Vous êtes sur la page 1sur 2

18 | horizons 0123

MERCREDI 10 JANVIER 2024

Nakba, la grande déchirure


ISRAËL-PALESTINE, LA GUERRE 1947 1949
SANS FIN 2|5 L’adoption Le plan de partage de l’ONU Victoire militaire d’Israël
par l’ONU d’un plan Etat d’Israël après la première
LIBAN
23 mars
de partage est le point Etat juif (trois parties) LIBAN guerre israélo-arabe 1949
14 000 kilomètres carrés XX Date d’armistice avec le pays voisin SYRIE
de départ de l’expulsion 558 000 Juifs
405 000 Arabes
Mer
Méditerranée 3
SYRIE
20 juillet
Ligne d’armistice (« ligne verte »)
de centaines de milliers Etat arabe (quatre parties) 1
2
Nahariya Safed
1949
Villages palestiniens vidés Lac de
de Palestiniens 11 500 kilomètres carrés
804 000 Arabes
et détruits par les autorités
israéliennes, en 1948
Acre Tibériade
Haïfa Tibériade
10 000 Juifs
Camp de réfugiés Nazareth
Jaffa 4
Jérusalem TRANSJORDANIE palestiniens, en 1949
2

I
Ville internationale Afula
l est 10 h 30, le 21 avril 1948, quand le administrée par l’ONU Mer
capitaine Amin Ezzedine, chargé de la 106 000 Arabes
Jérusalem Méditerranée
défense des quartiers arabes de Haïfa, 100 000 Juifs Jénine
Localité en 1947
pénètre, la peur au ventre, dans le Netanya
Tulkarem Tubas
bureau du général Hugh Stockwell, Palestinienne
commandant des forces britanniques Juive
1 Naplouse

Jourdain
dans le nord de la Palestine. L’officier libanais, Tel-Aviv
cadre de l’Armée de libération arabe, une 3 Propriétaires terriens Jaffa
force irrégulière venue se battre au côté des ÉGYPTE Lydda (Lod)
Palestiniens
Palestiniens, redoute que ce rendez-vous ne JORDANIE
scelle le sort de la cité portuaire, cible depuis Juifs Ramallah
Ramleh (Ramla) 3 avril 1949
cinq mois d’une campagne de terreur orches-
trée par les milices sionistes. Jérusalem
Sur son chemin, Amin Ezzedine a entendu
les appels par haut-parleurs du maire juif de Bethléem
Mer
la ville, Shabtai Levy (1876-1956), suppliant la 1948-1949 Morte
Gaza
population arabe, un peu moins de la moitié Hébron
des 150 000 habitants, de rester. Mais il a Offensive Contre-attaque
aussi entendu les messages de la Haganah, la des armées arabes israélienne
future armée israélienne, incitant les fem- Le 15 mai 1948, A partir
mes et les enfants de la communauté palesti- au lendemain de juillet 1948 Beersheba
nienne à s’enfuir « avant qu’il ne soit trop de la proclamation
tard ». Et il sait que des camions sillonnent les de l’Etat d’Israël Territoires contrôlés
quartiers arabes en diffusant une bande-son par les Israéliens
de cris, de pleurs et de deux mots qui saisis- Territoires contrôlés ÉGYPTE
sent d’effroi les passants : « Deir Yassine ». par Israël juillet novembre janvier 24 février
Deux semaines plus tôt, le 9 avril, une cen- au 1er juin 1948 1948 1948 1949 1949 Désert
taine d’habitants de ce village des environs du Néguev
de Jérusalem ont été exécutés par des mili- LIBAN LIBAN
ciens de l’Irgoun, un groupe armé d’extrême
droite sioniste. Le sang appelant le sang, un SYRIE SYRIE
bus de médecins et d’infirmiers juifs a été
attaqué quatre jours plus tard, alors qu’il fai- Mer Mer Sources :
sait route vers l’hôpital Hadassah, dans la Méditerranée Méditerranée F. Encel, Atlas géopolitique
partie est de Jérusalem. Bilan : 77 morts. d’Israël, Autrement, 2023 ;
La Palestine a basculé dans la guerre civile C. Grataloup, Atlas
au lendemain du 29 novembre 1947, date de historique mondial,
l’adoption par l’Assemblée générale de Les Arènes, 2023 ;
TRANSJORDANIE
l’ONU du plan de partage de ce pays en deux Palestinian Academic
Etats, l’un juif, l’autre arabe. C’est un jour de Society for the Study
fête pour les sionistes, qui sont alors of International
600 000 sur cette terre, le résultat d’un lent ÉGYPTE ÉGYPTE Affairs ; ONU
processus d’immigration entamé à la fin du
XIXe siècle, à la suite des pogroms perpétrés TRANSJORDANIE Cartographie Le Monde :
dans la Russie tsariste. Le vote des Nations Francesca Fattori,
unies valide leur aspiration de toujours, la Delphine Papin
création d’un Etat-refuge sur la terre de leurs 20 km et Floriane Picard
lointains ancêtres. Un combat auquel les
6 millions de victimes de la Shoah ont ap-
porté une légitimité tragique aux yeux de
l’opinion publique occidentale.
quais, sous le fracas des mortiers, dans l’es- sirènes du régime nazi qui misait alors sur le de juifs, soit 90 % de la population juive locale,
DÉBÂCLE poir de fuir par la mer. « Les hommes mar- C’EST L’ÉPOQUE ressentiment des Arabes à l’égard des Britan- ont disparu, et où les survivants ont été
Mais pour les Palestiniens, qui ont rejeté le
plan onusien, ce 29 novembre est un jour de
chaient sur leurs amis, les femmes sur leurs
propres enfants, affirme un compte rendu de
OÙ, DANS UN VASTE niques pour s’implanter au Proche-Orient. Il
se réfugie à Berlin en 1941, aidant Hitler à met-
dépossédés de tout. A Kielce, le 4 juillet 1946,
42 juifs sont tués après une émeute pro-
rage. Ils ont le sentiment d’être dépossédés l’époque. Les bateaux dans le port furent très ESPACE tre sur pied deux légions SS musulmanes, voquée par des rumeurs d’enlèvements
de la patrie où ils vivent depuis des siècles. vite remplis d’une cargaison vivante. La sur- majoritairement composées de soldats bos- d’enfants et de crimes rituels. Ces accusations,
Leur dépit est d’autant plus fort que l’Etat que charge était horrible. Beaucoup ont chaviré et EST-EUROPÉEN niaques. « Les Arabes sont les amis naturels de relevant de fantasmes antijuifs vieux de plu-
leur octroie l’ONU ne recouvre que 44 % de la
superficie de la Palestine alors qu’ils repré-
coulé avec tous leurs passagers. » En quelques
jours, la ville se vide de dizaines de milliers de
ALLANT DE LA l’Allemagne parce qu’ils ont les mêmes enne-
mis, les Anglais, les juifs et les communistes »,
sieurs siècles, conduisent de nombreux resca-
pés, jusqu’alors bien loin de l’idéal sioniste, au
sentent les deux tiers (1,2 million) de sa popu- personnes. Quand l’exode se termine, il ne POLOGNE À LA déclare le mufti lors d’une entrevue avec Hit- constat dressé par Theodor Herzl (1860-1904)
lation. Les juifs ont obtenu 56 % du territoire, reste plus que 5 000 Palestiniens à Haïfa. ler, en novembre 1941. un demi-siècle plus tôt : l’antisémitisme est
hors la zone de Jérusalem-Bethléem censée Harcèlement militaire, occupation et expul- RUSSIE SOVIÉTIQUE, A ce naufrage personnel se sont ajoutées des un mal incurable, et seul un Etat pourra assu-
être internationalisée. sion : ce scénario se répète durant le prin- erreurs tactiques : en 1947, lorsque les Nations rer la sécurité du peuple juif.
A Haïfa, où subsistait un fragile idéal de temps à Tibériade, Safed, Jérusalem, Saint- LES COMMUNAUTÉS unies se sont emparées du brûlant dossier pa-
coopération judéo-arabe, les affrontements Jean-d’Acre et Jaffa. Pendant ce temps, la Haga- JUIVES ONT ÉTÉ lestinien, à la demande de Londres, qui n’a CALVAIRE
éclatent, le 30 décembre. Six ouvriers arabes nah lève le siège imposé quelques semaines plus les moyens d’entretenir son empire et qui En Palestine, la couronne britannique tente de
de la raffinerie périssent dans l’explosion aux quartiers juifs de Jérusalem, le seul mo- EXTERMINÉES. est débordé par les attentats de l’Irgoun (ex- s’accrocher à son Livre blanc de 1939, qui visait
d’une bombe jetée par l’Irgoun. En repré- ment où la situation a été critique pour le plosion de l’hôtel King David, en juillet 1946), à contenir l’immigration juive pour maintenir
sailles, trente-neuf de leurs collègues juifs camp juif. Quand la création d’Israël est pro- LE YIDDISHLAND les Palestiniens ont boycotté les débats. Seuls un semblant de paix civile. Mais au sortir de la
sont battus à mort. Le lendemain, la Haga-
nah se venge sur le village voisin de Balad
clamée, le 14 mai 1948, par David Ben Gourion
(1886-1973), le chef de l’Agence juive – l’exécutif
A ÉTÉ ANÉANTI à s’exprimer devant les délégations, les émis-
saires de l’Agence juive se sont attiré les fa-
guerre, cette politique devient intenable. Le
calvaire enduré par les 4 500 survivants de la
Al-Cheikh, où elle laisse une soixantaine de sioniste en Palestine –, 350 000 Palestiniens veurs des Etats-Unis et de l’URSS, qui voteront Shoah entassés à bord de l’Exodus, un bateau à
cadavres. Vite dépassés par leurs adversai- ont déjà été chassés de leur terre. C’est la pre- oui au plan de partage, le 29 novembre. vapeur parti de Sète (Hérault) le 11 juillet 1947,
res, abandonnés par leurs élites parties se mière phase de la Nakba (« catastrophe »), un C’est l’époque où des centaines de milliers de puis refoulés du port de Haïfa et renvoyés à
réfugier au Liban, les Palestiniens se sont re- terme forgé à l’été 1948 par l’intellectuel syrien survivants des camps de la mort voient dans Hambourg en Allemagne, bouleverse les opi-
tranchés autour du port. Chaque jour ou Constantin Zureik (1909-2000), pour désigner la Palestine leur seule chance de salut. Dans nions publiques.
presque, ils essuient des attaques venues la destruction de la Palestine. un vaste espace est-européen allant de la Polo- « Qui veut et peut garantir que ce qui nous est
des secteurs juifs, situés en surplomb : tirs Dans cette débâcle, les Palestiniens paient gne à la Russie soviétique, en passant par les arrivé en Europe ne se reproduira pas ?, s’écrie
de snipers, lâchers de barils explosifs, riviè- les arriérés de la guerre précédente : la grande pays baltes, la Hongrie, les Balkans et la Rou- peu après David Ben Gourion devant les en-
res de fioul enflammé dévalant les pen- révolte de 1936-1939, écrasée par les Britan- manie, les communautés juives ont été exter- quêteurs de l’ONU, venus en Palestine. Il n’y a
tes, etc. Ceux qui tentent de les éteindre sont niques. Partis et syndicats dissous, groupes minées. Le Yiddishland tout entier a été qu’une sauvegarde : une patrie et un Etat. »
fauchés à la mitrailleuse. armés laminés, leaders politiques déportés : anéanti. Comment continuer à vivre après ce Mais sur quel territoire et avec quelles frontiè-
Le 21 avril, le général Stockwell confirme les la défaite a porté un coup terrible au camp génocide ? Les Etats-Unis ne délivrent des res ? La déclaration d’indépendance du 14 mai
pires craintes du chef de l’Armée de libéra- palestinien, déjà affaibli par la rivalité entre le visas qu’au compte-gouttes et l’idée de revenir cette année-là ne le spécifiait pas. Chef de gou-
tion arabe. Le représentant du mandat bri- clan des Husseini, adepte d’un nationalisme dans leur pays d’origine, parfois ancien auxi- vernement, David Ben Gourion veut profiter
tannique, dont le terme est fixé au 14 mai, lui intransigeant, et celui des Nashashibi, liaire de la barbarie nazie, est insupportable à du brouillard de la guerre qui s’épaissit le len-
annonce le retrait immédiat de ses troupes, proches d’Abdallah Ier (1882-1951), le roi de beaucoup d’entre eux. Ceux qui, malgré tout, demain, avec l’entrée en Palestine de troupes
qui servaient jusqu’ici de tampon avec les Transjordanie. Il y a plus grave : forcé à l’exil tentent de retourner là où ils vivaient avant la de cinq nations arabes (Egypte, Syrie, Transjor-
forces juives. La panique s’empare aussitôt par les Britanniques, le mufti de Jérusalem, Shoah se heurtent à l’hostilité de leurs anciens danie, Liban, Irak), pour continuer à étendre
des quartiers arabes. Une foule se rue vers les Hadj Amin Al-Husseini (1895-1974), a cédé aux voisins, notamment en Pologne, où 3 millions son Etat. Coup de poker ? Pas tant que ça.
0123
MERCREDI 10 JANVIER 2024 horizons | 19

Quelques jours avant le vote de l’ONU, Les troupes disposent, pour chaque village, tous ces éléments sont constitutifs d’un au quotidien israélien Haaretz, en 1948,
l’Agence juive a conclu un pacte secret avec d’un dossier recensant une multitude d’infor- QUELQUES JOURS « nettoyage ethnique ». « l’idée du transfert est dans l’air. Le corps des
Abdallah Ier : son armée, la Légion arabe, la mations cruciales : le dessin des voies d’accès, L’idée aurait germé très vite parmi les théori- officiers comprend ce qui est attendu d’eux ».
seule force du Proche-Orient capable de tenir l’affiliation politique des habitants, leurs sour- AVANT LE VOTE ciens du sionisme. Ceux-ci ont compris, intui- L’exemple le plus frappant est l’attitude de
tête aux sionistes, n’attaquera pas le territoire ces de revenus, le nombre d’armes à leur dis- tivement, qu’il ne serait pas possible de cons- David Ben Gourion à Ramleh. Quand le
réservé à Israël. En contrepartie, le monarque position et, surtout, le nom des personnes ju- DE L’ONU, L’AGENCE truire un Etat à majorité juive dans un pays à commandant de l’attaque, Yigal Allon (1918-
hachémite pourra annexer la Cisjordanie.
Forte de cet engagement, la jeune armée is-
gées hostiles, notamment celles ayant parti-
cipé à la grande révolte de 1936. Une fois la lo-
JUIVE A CONCLU UN majorité arabe, sans se débarrasser d’une
grande partie de cette population. « Nous pen-
1980), lui demande ce qu’il faut faire des habi-
tants, il répond par un geste de la main signi-
raélienne s’attaque, en juillet 1948, à Ramleh calité conquise, celles-ci sont souvent PACTE SECRET AVEC sons que la colonisation de la Palestine doit al- fiant : « Chassez-les. » Alors adjoint de Yigal
et Lydda, deux villes attribuées par l’ONU aux abattues sur place. ler dans deux directions : installation des juifs Allon, Yitzhak Rabin (1922-1995), le futur pre-
Palestiniens, de même que l’était Jaffa. Les as- Outre Deir Yassine, de nombreux villages ABDALLAH IER : SON en Eretz Israël et réinstallation des Arabes mier ministre israélien, racontera la scène
saillants ne font pas de quartier. « Pratique-
ment tout ce qui se trouvait sur leur passage
sont le théâtre de massacres. C’est le cas à
Tantoura, en mai 1948, et à Dawaimeh en oc-
ARMÉE N’ATTAQUERA d’Eretz Israël en dehors du pays », écrivait
en 1917 Aryé-Yéhouda-Léo Motzkin, l’un des
dans un passage censuré de ses Mémoires, dé-
voilé en 1979 par le New York Times. Dans le
mourait », écrit alors Keith Wheeler, un jour- tobre de cette même année, deux localités PAS LE TERRITOIRE penseurs les plus libéraux du mouvement sio- courant de l’année 1948, pour abriter les réfu-
naliste du Chicago Sun-Times. Au bout de disparues où, selon Benny Morris, des cas niste. Le procédé étant considéré comme mo- giés palestiniens qui affluent en Cisjordanie
quelques jours, Lydda hisse le drapeau blanc d’enfants au crâne fracassé et de femmes vio- RÉSERVÉ À ISRAËL. ralement douteux, les dirigeants sionistes et à Gaza ainsi qu’en Syrie, en Jordanie et au
et Ramleh se rend peu après. lées et brûlées vives ont été rapportés par les n’en parlaient qu’en cercle fermé, en utilisant Liban, des dizaines de camps de toile sortent
Une interminable colonne de femmes, d’en- soldats israéliens eux-mêmes. Des atrocités EN CONTREPARTIE, l’euphémisme « transfert ». « La force juive de terre. L’administration en est confiée
fants, d’hommes et de vieillards se forme aus- telles qu’en novembre le ministre de l’agri- IL POURRA ANNEXER grandit et elle renforcera aussi nos possibilités en 1949 à l’Office de secours des Nations
sitôt, qui prend le chemin de la Cisjordanie, où culture, Aharon Zisling, s’en émeut auprès de de réaliser le transfert à une grande échelle », se unies connu sous le sigle UNRWA. C’est là que
la Légion arabe s’est déployée comme prévu. David Ben Gourion : « Je n’ai pas pu dormir de LA CISJORDANIE réjouissait, en 1937, David Ben Gourion dans va grandir la génération de la Nakba, dans la
Une marche sans eau ni nourriture, fatale à de la nuit. Maintenant les juifs aussi se condui- un discours ultérieurement « caviardé ». Lui- nostalgie d’un monde perdu et la volonté de
nombreux déplacés. Les opérations de Tihour sent comme des nazis et mon être entier en est même n’a pas laissé d’ordre écrit en ce sens, se battre pour le reconquérir. p
(purification), le terme employé par l’état-ma- ébranlé. » Pour Ilan Pappé, historien israélien précise Benny Morris, qui, au début de ses re- benjamin barthe
jor israélien, se poursuivent durant l’été et engagé à l’extrême gauche, comme pour son cherches, minimisait le caractère centralisé de
l’automne dans les collines de Galilée. confrère Benny Morris, qui a viré progressi- la politique d’expulsion et l’importance du Prochain article A Jérusalem, en 1967,
Commandée par un ancien officier ottoman vement à droite au début des années 2000, plan Daleth. Mais comme il l’a confié en 2004 le retour du religieux
sans envergure, Fawzi Al-Qawuqji, l’Armée de
libération arabe est incapable de s’opposer au
dépeuplement des villages arabes. La cité bi-
L’exode des Palestiniens de Jaffa, en Israël, en 1948. COLLECTION PARTICULIÈRE ; Proclamation de l’indépendance de l’Etat d’Israël
blique de Nazareth est épargnée à la demande
par David Ben Gourion (1886-1973), dans le hall du Musée de la ville de Tel-Aviv, le 14 mai 1948. AKG-IMAGES
de David Ben Gourion, qui s’inquiète des réac-
tions du monde chrétien occidental.

« SIMPLIFICATION MIRACULEUSE »
La dernière vague d’expulsions, à l’automne
1948, vise le désert du Néguev. La déroute de
l’armée égyptienne, encerclée dans la poche
de Falouja, facilite la conquête de Beersheba.
Durant les six premiers mois de 1949, Israël si-
gne des armistices avec chacun de ses voisins.
En un an et demi, 15 000 Palestiniens ont été
tués et 700 000, plus de la moitié de la popula-
tion d’avant-guerre, déracinés. Plus de 500 vil-
lages ont été détruits et 11 villes et quartiers
purgés de leurs habitants. En réaction, des
émeutes antijuives éclatent au Maghreb et
dans des pays du Proche-Orient. Ces violen-
ces, couplées au pouvoir d’attraction du nou-
vel Etat juif et au travail de recrutement de
l’Agence juive, vont mener, en une quinzaine
d’années, au départ de presque tous les juifs
du monde arabe – près de 800 000 personnes,
dont les trois quarts s’installeront en Israël.
Le jeune Etat a perdu 6 000 hommes dans
les combats, mais sa victoire est écrasante. Sa
superficie est passée de 56 % à 78 % de la Pales-
tine mandataire. Il contrôle désormais Jérusa-
lem-Ouest, la totalité de la Galilée et tout le lit-
toral, à l’exception de la bande de Gaza. Quel-
que 150 000 Palestiniens résident sur son ter-
ritoire, alors que, dans le plan de l’ONU, il était
prévu que les juifs cohabitent avec une très
importante minorité arabe, de 400 000 per-
sonnes. Auprès de James Grover McDonald, le
premier ambassadeur américain à Tel-Aviv,
Chaïm Heizmann (1874-1952), qui s’apprête à
devenir président du pays, se félicite d’« une
simplification miraculeuse des tâches d’Israël ».
Pendant plus de trente ans, cette thèse a
prévalu dans le monde occidental. Les Palesti-
niens sont partis de leur plein gré, dit-on alors,
obéissant aux appels des leaders arabes, leur
promettant un rapide retour après la victoire.
Leur fuite serait le simple résultat des aléas de
la guerre : un tragique concours de circonstan-
ces, où se mêlent la trahison des dirigeants
palestiniens et la victoire inespérée du David
israélien sur le Goliath arabe. Les travaux de
l’historien palestinien Walid Khalidi, qui ont
parlé, dès les années 1960, d’une expulsion
planifiée, ont été ignorés.
Il a fallu attendre la fin des années 1980 et
l’émergence du courant des « nouveaux histo-
riens israéliens » pour que cette thèse s’im-
pose. Archives à l’appui, Benny Morris, Tom
Segev, Simha Flapan, Avi Shlaïm et Ilan Pappé
ont mis à bas quatre mythes : celui de la supé-
riorité militaire du camp pro-arabe, qui n’a en
fait jamais pu rivaliser ; celui des fameux ap-
pels radiophoniques à évacuer, qui n’ont ja-
mais existé ; celui de la défection des élites
palestiniennes, qui a joué un rôle secondaire ;
et le plus important de tous peut être, celui de
l’expulsion accidentelle.
A cet égard, une réunion joue un rôle-clé. Elle
se déroule le 10 mars 1948, à la Maison rouge,
un élégant bâtiment du nord de Tel-Aviv, quar-
tier général de la Haganah. Une dizaine de di-
rigeants sionistes historiques et de jeunes offi-
ciers sont rassemblés autour de David Ben
Gourion. Ils mettent la dernière main à un
document militaire secret, baptisé le « plan
Daleth », qui va être distribué aux unités com-
battantes. Le texte appelle notamment, pour
« consolider l’appareil de défense », à prendre le
contrôle des « centres de population ennemie »
soit « en y mettant le feu, en les dynamitant et
en déposant des mines dans leurs débris », pour
ce qui est des zones les plus hostiles, soit « en
montant des opérations de ratissage et de con-
trôle ». « En cas de résistance, précise le docu-
ment, la force armée doit être anéantie et la po-
pulation expulsée hors des frontières de l’Etat. »

Vous aimerez peut-être aussi