Vous êtes sur la page 1sur 16

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2001_num_33_1_2396. Acesso 27 out.

2023

Dix-huitième Siècle

Sur les origines de l'«Atlantic History» : paradigme interprétatif de


l'histoire des espaces atlantiques à l'époque moderne
Sylvia Marzagalli

Abstract
'Atlantic history is currently fashionable among North American historians. Its advocates urge a fresh reading of Western
experience in the modern period centring on the interrelations between the peoples of the three continents bordering the
Atlantic. This article traces the emergence of this paradigm in post-war European historiography and shows the changes it has
undergone during the past two decades in the North American world. It finally questions the validity of this interpretative model
outside the Anglo-American context.

Citer ce document / Cite this document :

Marzagalli Sylvia. Sur les origines de l'«Atlantic History» : paradigme interprétatif de l'histoire des espaces atlantiques à
l'époque moderne. In: Dix-huitième Siècle, n°33, 2001. L'Atlantique. pp. 17-31;

doi : https://doi.org/10.3406/dhs.2001.2396

https://www.persee.fr/doc/dhs_0070-6760_2001_num_33_1_2396

Fichier pdf généré le 17/05/2018


SUR LES ORIGINES
DE L'«
ATLANTIC HISTORY » :

PARADIGME INTERPRÉTATIF DE L'HISTOIRE


DES ESPACES ATLANTIQUES À L'ÉPOQUE MODERNE

graphie
celui
mination
considérable.
notion
associée,
atlantique
l'existence
par
Il
véritable
notre
l'expérience
tenants
t-il,
Depuis
nel'océan,
deux
d'«
s'agit
attention,
ou
deanglo-saxonne,
Atlantic
paradigme
la
une
se
conceptions
en
cette
celle
d'une
entre
donc
terminologie
range
tant
du
Au-delà
vingtaine
tendance
car
demonde
history
qu'ensemble
trois
relation
pas
un
«il
interprétatif,
monde
se
du
d'une
continents
fondamentales
nombre
d'années,
à
historiographique
»occidental
conçoit
phénomène
renvoie
ou
étroite,
l'affirmation
atlantique
simple
histoire
intégré,
de
d'un
comme
on
: Europe,
àpublications
au-delà
assiste,
une
formule
àcadre
atlantique.
de
etunitaire.
»l'époque
d'un
fondatrices.
mode
une
qui
perception
partagent,
du
Afrique
conceptuel
au
yclé
à«nouveau
sein
qui
est
effet,
Elle
de
pont
Sous
de
moderne.
généralement
entoure
et
de
plus
relecture
sous-entend
de
me
»cette
Amérique.
mais
qui
l'historio¬
constitué
concept,
l'espace
semble-
enmérite
déno¬
cette
d'un
plus
Les
de

En premier lieu, la conviction que la plupart des phénomènes


qui caractérisent l'histoire des espaces atlantiques à l'époque
moderne ne sauraient se comprendre pleinement en adoptant les
cloisonnements propres à l'histoire coloniale et nationale tradi¬
tionnelle. Plus qu'une histoire (ou plutôt des histoires) de l'Améri¬
que française, anglaise, espagnole ou portugaise, l'ambition est
de repenser l'histoire de l'Amérique en soulignant les expériences
communes, trans-frontalières, du Nouveau Monde, tel qu'il a
été modelé par la rencontre entre Amérindiens, Européens et
populations africaines déportées. Même si, dans la réalité des
études empiriques menées par chaque chercheur, on retombe
souvent dans un cadre géographique plus limité, ces études se

DIX-HUITIÈME SIÈCLE, n° 33 (2001)


18 SILVIA MARZAGALLI

présentent comme un apport à la reconstitution d'un ensemble


plus vaste, qu'on suppose homogène \
Le deuxième élément, est l'accent mis sur les interrelations
et les échanges au sens large du terme (de marchandises, mais
aussi d'hommes, d'idées, de cultures, d'institutions). Plutôt que
d'envisager l'histoire de l'Atlantique comme une histoire de la
colonisation caractérisée par un transfert unidirectionnel de civili¬
sation, où seul l'acteur européen est pris en compte, cette historio¬
graphie est très sensible à la rencontre, parfois brutale, entre les
civilisations amérindiennes, africaines et européennes, et à l'as¬
pect créatif et novateur de l'expérience qui se configure à l'époque
moderne autour de l'espace atlantique. Les phénomènes culturels,
les mentalités, les parcours individuels et collectifs jouent donc
un rôle central dans cette approche, et ses partisans soulignent
sans cesse les retombées de cette nouvelle réalité atlantique sur
toutes les sociétés concernées et, entre autres, les transformations
qu'elle a induites sur la société européenne. L'Atlantique est
conçu comme un système et le concept d'interaction y est central.
On pourrait beaucoup discourir autour de cette relecture de
l'histoire. Mon propos n'est toutefois pas d'analyser d'une
manière exhaustive les études et les apports de ce courant historio-
graphique, dont la production dépassera bientôt les capacités d'un
seul lecteur, mais plutôt d'essayer de retracer l'émergence de ce
concept, élaboré entre autres par des historiens français, mais
qui ne semble plus rencontrer de nos jours autant de faveur dans
l'historiographie française. Si on examine par exemple les articles
publiés à l'occasion de la récente question du CAPES et de
l'Agrégation en histoire : « Européens et espaces maritimes au
18e siècle (Méditerranée exclue), aspects économiques et sociaux,
expansion coloniale, rivalités politiques, influences culturelles »,
on constate rapidement que peu d'auteurs emploient le terme
« atlantique » dans le titre de leur contribution 2, et que personne

World.
Economy,
dans
moderne
Compagnie
société
proche
française
pace
2.
1. atlantique
Voir
Les
le du
d'histoire
Co-ordination,
commerce
»,et
seules
concept
à1651-1815
L'information
des
ce
contemporaine,
au
propos
exceptions
Indes
moderne
18e
examiné
atlantique
siècle
»,et
les
Complexity
Itinerario,
le
historique,
remarques
et
»,
étant
ici
cabotage
1-2
Revue
contemporaine,
(1690-1790)
: J.-P.
: (1Michel
23
and
997),
historique
Poussou,
59
de
atlantique
(1999),
:1
the
David
p.Zylberberg,
(1997),
»,92-99
Emergence
Bulletin
p.
«1-2
des
Hancock,
L'âge
au
107-126.
p.
Armées,
;(1997),
Gérard
18e
21-33
«de
atlantique
siècle
of
La
« la
p.

;The
an
place
Le
Paul
140-167
société
205
»,Atlantic
British
Bouëdec,
Bulletin
de
Butel,
(1996),
del'économie
l'Espagne
d'histoire
; Atlantic
et,
Market
« p.
de
L'es¬
«plus
59-
La
la
ATLANTIC HISTORY»
U« 19

n'utilise l'expression « histoire atlantique » ou « monde atlanti¬


que ». Certes, les titres ne sont pas toujours explicites, mais le
moins qu'on puisse dire, est que le concept d'histoire atlantique
n'est pas à la mode en France comme il l'est auprès de nos
collègues nord-américains.
A partir d'une meilleure connaissance de la genèse du concept,
on pourra amorcer une réflexion autour de l'universalité de cette
relecture de l'histoire moderne à laquelle prétend implicitement
le paradigme interprétatif de l'Atlantic history. Car, si le concept
a du mal à se diffuser au-delà du monde anglo-saxon, c'est peut-
être que sa valence explicative soulève quelques perplexités pour
des expériences autres que celles des Britanniques 3.

tiellement
remonte
pace
Même
atlantique
bien
si des
l'engouement
plus
deux
apparaît,
loin.
dernières
Une
pour
dansnouvelle
l'«
ladécennies,
discipline
histoire
manière
atlantique
l'histoire
historique,
de percevoir
» du
date
auconcept
essen¬
lende-
l'es¬

française
Histoire,
Michel
France,
d'Outre-mer,
océaniques
candidats
colloque
invités
différentes
publiés
Nouveau
64.
consacrés
Bulletin
2bonne,
péens
L'Information
numéro
Actes
historique
espaces
édite
concours,
l'expansion
avait
atlantique
(1996),
18e(1997)
3.siècle
Nous
Au
cette
invité
et
duétaient
1997)
Morineau,
dans
p.
spécial
espaces
maritimes
les

; Monde
colloque
mois
international
Economie
analysons
»,
d'histoire
»au
Chronique
mais
19-44.
des
revue
réalités
22,
au
:Bernard
européenne
Actes
Antilles
CAPES,
Bernard
concours
la
; appelés
84Bulletin
historique,
armées,
18e
«numéro
elle
de
océaniques
revue
(1997),
britannique,
Laaux
n'adu
du
siècle
mai
«nationales
ad'Outre-mer.
ici
percée
et
Bailyn,
d'histoire
La
etréuni
pas
Comité
colloque
Bailyn,
parus
du
: 17e
àsur
les
de
Société,

spécial
Association
1999,
l'Europe
de
vraie
p.
réfléchir
souhaité
(1996)
Centre,
205
la
59:1
articles
et
la
3-24.
au
de
l'Université
en
l'un
dans
àsociété
de
«18e
18e
l'Europe
nature
le
ou
maritime,
un
présenter
(déc.
: nature
deThe
numéro
(1997);
La
d'anciens
«des
documentation
siècles
PrPieter
siècle.
sur
(17e-19e
consacrer
transversales.
Itinerario,
volume
la
parus
Les
1997
des
Société
Idea
d'histoire
Revue
1996),
des
plus
l'utilité
de
Européens
sur
de
(Paris,
Quelques
».
une
historiens
dans

spécial
of
Revue
choses
l'histoire
siècle)
intitulé
éminents
Emmer
les
Signalons
articles,
Leyde,
35
d'histoire
numéro
française
un
Atlantic
conférence
23
de
les
(1997-1),
Océans
moderne
Presses
numéro
historique
Les
:2
d'histoire
ce
«La
numéros
et
»,
orientations
Les
et
aux
modernistes
du
(1999).
susceptibles
paradigme
atlantique
spécialistes
leur
Revue
spécial
actes
History
les
aussi
d'histoire
vers
Européens
des
Marine»,
Centre
Universitaires
Pays-Bas,
numéro
spécial
sur
etespaces
enchaînement
des
de
colonies
contemporaine
1690
l'excellent
du
française
En
«maritime,
: »,l'idée
de
«la
de
».
revues
colloque
pour
1996,
des
spécial
àL'Europe
Itinerario,
d'outre-mer
de

Marine
d'intéresser
laLes
océaniques
la
et
16:1
recherche
arecherche
l'histoire
vers
de
Universités,
et
organisé
question
les
l'étude
de
suivantes,
ce
d'histoire
historiens
Il'histoire
article
la
: entre
(1997);
espaces
;«ont
(1997),
1790
la
Centre
, et
Revue
Euro¬
20

Sor-
des
qui
sur
été
les
»au
de
un
du
1-
».
:la
1;
20 SILVIA MARZAGALLI

main de la seconde guerre mondiale. L'impulsion lui vient sans


doute de la sphère du politique, où la notion de « système atlanti¬
que » avait fait son apparition dès le début du 20e siècle. On
indiquait par-là une nouvelle perception « du mot Atlantique,
[qui acquiert] non seulement un sens géographique, mais aussi
un contenu historique et politique » 4. C'est le deuxième conflit

Aims,
p.
mondial
la
l'Atlantique
reprenait
une
européennes
de
mais
internationaux
22).
176)
sphère
l'intervention
« dont
formation
publié
: une
qui
lapolitique
lenotion
»notion
en
et
remet
contenu
date
dupolitique
américaines
1944,
de
début
de
de
qu'il
et
la
son
«le
1941,
se
notion
dans
communauté
des
pays
journaliste
avait
et
précisait
économique
années
l'opinion
etdans
(J.àdéjà
dans
Godechot
l'ordre
àla
élaborée
1940
américain
un
atlantique
la
première
publique.
ouvrage
lumière
»du
(Bay
unissant
etjour,
en
R.lin,
Walter
»,
1917,
guerre
Palmer,
des
intitulé
La
conçue
àart.
les
la
«événements
au
puissances
Lippmann
cit.,
Charte
mondiale,
fois
moment
US
art.
comme
p.dans
War
cit.,
21-
de

Cette conception d'une communauté atlantique, unissant deux


continents par-delà l'Océan, partageant, en raison de leur histoire,
des valeurs, des intérêts, voire une même civilisation, a à ses
débuts une forte connotation politique. Le pas qui mène à opposer
cette civilisation occidentale du pourtour de l'Atlantique à l'Eu¬
rope centro-orientale et à son idéologie communiste est vite fran¬
chi par certains, dans le climat idéologique qui porte à la guerre
froide. On remarquera également que, telle qu'elle est conçue à
cette époque, cette « communauté atlantique » confère un rôle
central aux États-Unis, qui deviennent le principal sinon l'unique

référence
tout »particulièrement
l'Atlantique
que
Canada,
ment sur
constitué
etcette
pour
l'attention
estpartie
le
dominée
par
continent
la
de
dans
desGrande-Bretagne,
l'Océan
en
contemporains
l'effet
américain.
entre-deux-guerres,
par
. le Depuis
«setriangle
les
porte
Etats-Unis
lel'économie
tout
Nord-atlanti¬
19e naturelle¬
siècle,
et de
et
le

C'est dans le contexte du milieu des années 1940, où l'Atlanti¬


que rentre avec force dans l'actualité en raison des événements
politiques, que la conception de cet espace en tant que commu-

Rome,
States
20e4.
5.siècle
Jacques
J. and
B.
1955,
»,Brebner,
Great
dans
vol.
Godechot
Relazioni
Britain
5 North
: Storia
etAtlantic
(New
R.
del
contemporanea
Palmer,
XHaven,
Congresso
Triangle.
« Yale
Le problème
The
(Firenze,
Intemazionale
University
Interplay
de
Sansoni,
Press,
l'Atlantique
ofdi
Canada,
Scienze
1955),
1945).the
du
p.
Storiche,
United
175.
18e au

ATLANTIC HISTORY» 21

nauté de valeurs et d'intérêts passe du domaine de la politique


à celui en
noncé de 1945
la discipline
à la réunion
historique.
annuelle
Ainsi,
de dans
1' American
son discours
Historical
pro¬

Association, le professeur Carlton J.H. Hayes, enseignant à l'Uni¬


versité de Columbia — un intellectuel catholique d'envergure,
fervent anticommuniste — invitait ses collègues à renoncer à
une vision particulariste de l'histoire américaine et à se pencher
sur les liens historiques et culturels unissant l'Amérique et l'Eu¬
rope, ainsi que sur leurs héritages communs 6. Mais, à côté de

doit
encore
la réception
anticommuniste,
que
tant
nécessairement
L'Atlantique
sus historique
que
d'intégrer
à lamarginalisée.
communauté
naissance
dedevient
cette
les
constitutif
conserver
qui
deux
idéologie
de
fournit
alors
fraie
continents
l'OTAN,
deune
son
lafinalement
l'Occident,
« même
chemin
unité
atlanticiste
le
afin
concept
d'analyse
de
connotation
parmi
une
alors
mieux
» justification
par
de
les
que
historique,
l'historiographie
saisir
l'Atlantique
historiens,
l'Afrique
idéologique.
le proces¬
histori¬
quisans
est
en
se

ainsi
En une
1946,
allocution
l'historien
à la rencontre
britannique
annuelle
H. Haiede Bellot
/' Historical
prononçait
Asso¬

ciation à Londres, dont le titre est éloquent : « Atlantic History ».


En posant la question d'actualité de comment insérer l'histoire
de l'Amérique dans le cursus scolaire britannique, il estimait
. qu'il fallait l'étudier en tant que « partie intégrante et vitale »
de l'histoire, pour mieux comprendre les développements de
l'Europe aux 19e et 20e siècles. Il soulignait, par exemple, que
l'expansion américaine vers l'ouest au 19e siècle n'aurait pas été
possible sans l'apport migratoire des Européens et les capitaux
britanniques, alors que le 20e siècle amenait les États-Unis à

chercher
deur
D'après
américains,
les Haie
relations
desmais
marchés
Bellot,
de
internationales
phénomènes
extérieurs,
il ne s'agissait
en
entre
atlantiques
influençant
pas
l'Amérique
là » «1 .ainsi
de phénomènes
etenl'Europe.
profon¬

Un an plus tard, Jacques Godechot publiait en France son


Histoire de l'Atlantique, une étude de vulgarisation, rédigée pen¬
dant le conflit, lorsqu'il enseignait à l'Académie navale française,

Historical
et
p. 6.Palmer,
7.
56-63
24. C. J.
H. Hale
; Review,
H.art.Hayes,
voir Bellot,
cité,
aussi
5 1p.
««Godechot
(1946),
The
176 American
Atlantic
etp.Baylin,
199-216.
History
et Palmer,
Frontier
art.
»,Sur
cité,
History
art.
cette
—p.
cité,
Frontier
communication,
22-23.
(London),
p. 176
of etwhat
vol.
Baylin,
XXXI
voir
? », American
Godechot
art.
(1946),
cité,
22 SILVIA MARZAGALLI

sans avoir donc eu connaissance des contributions fournies par


l'historiographie anglo-saxonne à l'élaboration de ce nouvel objet
de l'histoire. Le livre de Jacques Godechot, nommé entre-temps
professeur à l'université de Toulouse, est essentiellement une
histoire des explorations, une histoire de la politique navale et
des conflits pour la maîtrise de l'Atlantique du 16e au 20e siècle :
synthèse sans doute prématurée, d'après le jugement de C. N.
Parkinson (voir Bay lin, art. cit., p. 24), qui ne peut pas véritable¬
ment offrir la relecture de cet espace que l'historien français
préconise dans son introduction. Cet ouvrage a néanmoins le
mérite de proposer clairement l'Atlantique en tant qu'unité cen¬
trale d'analyse : « Ni plus ni moins qu'une vulgaire région conti¬
nentale, l'Atlantique a une histoire » 8.
Avec le livre de l'Américain Michael Kraus (1949), consacré
aux origines de la civilisation atlantique 9, le thème des interrela¬

tions
pulsion
ques,
de
Ainsi,
les formation
deentre
sociaux
sans
l'histoire
donnée
l'Europe
sed'une
et
limiter,
culturels
coloniale,
parcivilisation
et
l'Amérique
comme
l'Amérique
deàl'Europe
étudier
dans
atlantique
aux
les
seles
et
approches
précise.
développements
souligne
mouvements
s'est opéré
Kraus
plus
que au
ce
traditionnel¬
étudie
d'hommes,
18e
processus
économi¬
siècle.
l'im¬

des cultures, des religions, des institutions de l'Europe vers le


Nouveau Monde comme un processus unidirectionnel, on s'inté¬
resse de plus en plus aux interrelations.
Dans une toute autre perspective, la question des transferts et
des relations d'interdépendance qui se tissent à l'époque moderne
à travers l'Atlantique avait été posée par Eric Williams dans son
Capitalism and Slavery, publié en 1944, et traduit en français
en 1968 10 : il s'agit d'un ouvrage qui a stimulé depuis son

l'enrichissement
de
apparition
sa
sur
êtrela
thèse
les
pour
Grande-Bretagne
bénéfices
autant
centrale,
une série
de
neutre,
del'Europe
selon
de
laau
travaux
traite
l'histoire
18e
laquelle
occidentale,
siècle,
négrière
visant
atlantique
l'essor
sont
àetet
confirmer
très
de
tout
du
n'a
l'esclavage.
largement
particulièrement
capitalisme
donc
ou pas
infirmer
fondés
Sans
une
et

Africaine,
caractère
(NY),
(p.9.
8.
10.
5).Michael
Jacques
Eric
1949).
mondial
1968,
Williams
Godechot,
Kraus,
réimpression
et interdépendant
Capitalisme
Atlantic
Histoire
Civilization.
1998).
de
etduEsclavage,
l'Atlantique
commerce
L'auteur
Eighteenth
trad,
affirme
»(Bordas,
colonial
française
Century
dès1947),
aux
l'introduction
17e
(Paris,
Origins
p.et2.18e
Présence
(Ithaca
siècles
« le
ATLANTIC HISTORY »
L'« 23

connotation politique univoque, car l'analyse d'Eric Williams se


faisait à partir d'une conception idéologique contraire à celle
d'où avait initialement émergé la notion.
Avec les années 1950, l'histoire de l'Atlantique franchit une
étape essentielle, car elle passe d'une phase pionnière, qui théorise
plus qu'elle n'analyse, au stade où elle alimente des études empiri¬
ques. Qui plus est, le concept s'étend dans l'espace, car il
embrasse désormais l'Atlantique ibérique, et dans le temps, car
ces études se concentrent de plus en plus sur la période moderne,
et se distancient de l'idéologie « atlanticiste » de la guerre froide.
C'est l'époque où mûrissent les travaux de V.M. Godinho sur
le Brésil ou de Pierre et Huguette Chaunu sur Séville et l'Atlanti¬
que, pour n'évoquer que quelques exemples illustres. Les
concepts d'«économie atlantique » (H. et P. Chaunu), d'«espace
atlantique » (L. Febvre), de « structures et conjonctures de l'es¬
pace atlantique » (P. Chaunu) se diffusent, s'affirment, dominent
Annales.
cette partie émergente de l'historiographie française proche des

Au milieu des années 1950, R. Palmer et J. Godechot relan¬


çaient le débat de fond lors d'une communication à Rome au
Comité International des Sciences Historiques. Dans un essai
intitulé « Le problème de l'Atlantique du 18e au 20e siècle », les
deux chercheurs se proposaient de « déterminer quelles sont les
réalités historiques qui recouvrent les expressions employées »
par les études passées, soit « système », « civilisation », ou encore
« histoire atlantique » (J. Godechot et R. Palmer, art. cit., p. 177).
Dans une large revue des études existantes, ils soulignaient
l'émergence d'une nouvelle manière de percevoir l'espace,
notamment maritime, et rappelaient l'influence de la Méditerra¬
née de Fernand Braudel (1949). Mais surtout, ils posaient la
question de fond de savoir si l'Atlantique a été, après 1492, un
lien, un bassin autour duquel se forme une nouvelle civilisation
ou bien un fossé séparant des civilisations différentes, ou encore
rien de plus, pendant longtemps, qu'une simple route permettant
aux navires d'effectuer le grand cabotage européen, voire d'attein¬
dre l'Asie. Les deux historiens esquissaient ensuite les conditions
de la navigation, les circuits et la durée des voyages avant et
après la révolution industrielle. Ils invitaient leurs collègues à
ne pas oublier trop aisément, face aux critiques visant l'histoire
bataille, l'analyse des facteurs politiques et diplomatiques, long¬
temps objet exclusif ou presque de l'attention des historiens de
la colonisation. L'hégémonie britannique sur l'Atlantique, qui
24 SILVIA MARZAGALLI

s'affirme dès la fin du 17e siècle, détermine toute la politique


européenne de la Grande-Bretagne au 19e siècle, aussi bien que
sa politique douanière libérale, qu'elle impose par la suite aux
autres puissances. Une juste considération des facteurs diplomati¬
ques et géostratégiques est donc indispensable à tout historien
de l'espace atlantique. En se penchant ensuite sur l'évolution
économique, ils constataient la forte interdépendance entre l'Eu¬
rope et les États-Unis de 1780 à la première guerre mondiale,

et l'affirmation
introduit
extérieur une
des nouvelle
États-Unis
progressive
donne,
estdede
dans
l'économie
moins
la mesure
en nord-américaine
moins
où leorienté
commerce
vers
qui

l'Europe. Ce « déséquilibre » comporte, à leur avis, de « graves


conséquences sur la civilisation atlantique elle-même » (ibid.,
p. 202) qui, après avoir partagé des valeurs communes, tend
désormais à évoluer d'une manière divergente. Au terme de ce
long détour, les deux historiens arrivent ainsi à la réflexion cen¬
trale autour de l'existence ou non d'une « civilisation atlantique ».
Après avoir rappelé que les avis des contemporains ne sont pas
unanimes à cet égard, ils adoptent une définition large et souple
de « civilisation » qui n'exclut pas des différences, en son sein,
entre la civilisation anglo-américaine et celle latino-américaine,
par exemple. L'étude des influences réciproques entre l'Amérique
et l'Europe à « l'époque des révolutions (1750-1850) » confirme
l'existence d'une « véritable communauté atlantique » (p. 233).
Depuis le milieu du 19e siècle, toutefois, la civilisation américaine
et celle européenne tendraient à diverger.
L'article de Jacques Godechot et Robert Palmer souleva de
nombreuses critiques et les auteurs furent accusés de faire l'apolo¬
gie de l'OTAN (voir Baylin, art. cit. p. 28). Leurs ouvrages
successifs, en particulier The Age of Democratic Revolution de
R. Palmer (2 vols., 1959 et 1964) et Les Révolutions (1770-1799 )
de J. Godechot (1963), poursuivaient toutefois dans la logique
déjà présente dans leur contribution de 1955 : étudier l'époque
révolutionnaire d'un côté et l'autre de l'Atlantique comme un
phénomène réductible à un principe unitaire, renvoyant à une
commune civilisation. Malgré les réticences que les uns et les
autres ont pu exprimer vis-à-vis de la notion de « révolution
atlantique », l'idée d'une communauté atlantique qui se forme à
l'époque moderne était désormais acquise et elle s'affirmait à
travers un nombre de plus en plus important d'études empiriques.
Il serait impossible, dans l'espace d'un article, de rappeler les
publications qui se sont succédé depuis la fin des années 1950,
L'«
ATLANTIC HISTORY » 25

même en se limitant aux travaux les plus importants. Les histo¬


riens se sont attaqués aux mouvements migratoires, à la traite
négrière, au fonctionnement des réseaux commerciaux, aux tra¬
fics, aux relations de pouvoir, aux influences intellectuelles. Ils
ont ainsi élargi considérablement les champs de nos connaissances
sur l'Amérique et l'Europe atlantique à l'époque moderne, trop
souvent cantonnées à l'étude des institutions et des politiques
impériales d'une part, et à celle des explorations d'autre part.
Une comparaison entre L'Histoire de l'Atlantique de Jacques
Godechot (1947) et celle de Paul Butel (1997) permet par exemple
de mesurer les acquis dans le champ de l'histoire des trafics et
des réseaux commerciaux qui font l'objet principal de ce dernier
ouvrage 11 : des aspects qui étaient marginaux, faute d'études
préalables, dans l'ouvrage le plus ancien.
Avec les années, la perspective et les accents des historiens
de l'Atlantique ont évolué imperceptiblement, surtout dans le
monde anglo-saxon. Peu à peu, sans doute sous l'influence des
autres sciences sociales mais aussi de l'évolution propre à la
société nord-américaine, on est passé de la notion de l'Atlantique
en tant que communauté aux racines et aux expériences commu¬
nes, à celle, plus complexe et plus nuancée, de l'Atlantique en
tant que « vigoureuse construction interdépendante » (Hancock,
art. cit., p. 107). C'est cette dernière conception qui caractérise
V Atlantic history telle qu'elle se dessine aujourd'hui et qu'il
conviendrait peut-être de qualifier ici de « nouvelle histoire atlan¬
tique » pour la distinguer de la première phase que nous venons
d'évoquer, celle qui a vu le jour dans les années 1940 et 1950
grâce à la réflexion conjointe d'historiens européens et améri¬
cains, mais dans un contexte dominé par la guerre froide. La
nouvelle histoire atlantique s'attache à étudier « en termes de
connexions et convergences » les individus et les sociétés autour
de cet océan dont l'existence a été profondément transformée par
les rapports établis à travers l'Atlantique après 1492 : individus et
sociétés ayant été entraînés, bon gré mal gré, dans un monde
nouveau 1 . Ce monde atlantique ne se limite pas à la zone

Perrin,
et
«capitaux
171,
américaines
11.iciAlison
particulièrement
12. Paul
1997).
p.
entre
162-163.
Butel,
Games,
»Les
l'Amérique
en deux
Histoire
aux
Europe.
« Teaching
trafics
tiers
etdede
l'Europe,
etl'Atlantique
Atlantic
aux
l'ouvrage
réseaux
mais
History
sont
de
de
aussi
l'Antiquité
consacrés
distribution
», Itinerario,
à la circulation
ààdes
l'époque
23
nosproduits
(1999),
jours
desmoderne,
denrées
p.(Paris,
et162-
des
26 SILVIA MARZAGALLI

littorale : il suffit de penser, par exemple, à l'impact de la décou¬


verte/invasion de l'Amérique au niveau épidémiologique, avec
ses conséquences démographiques et sociales, pour l'ensemble
des Amériques, ou encore à la pénétration de produits américains,
indigènes ou acclimatés, dans les habitudes alimentaires des Euro¬
péens, ou encore à la réorganisation des circuits de migration
propres au vieux continent.
Multiculturelle, multiethnique, multiraciale, la nouvelle histoire
atlantique est certainement plus « politiquement correcte » que
l'histoire de l'expansion européenne traditionnelle. Ceci explique
en partie le fait qu'elle ait conquis, les unes après les autres, les
universités des États-Unis et que son enseignement se soit affirmé

désormais
L'université
de
nisation
dans
sitéBaltimore
nord-américaine
le sillage
demême
de
séminaires
sont
de
Harvard
au
l'«
trèspremier
histoire
se
actives
aussi
et
doit
la cycle
depuis
atlantique
bien
désormais
publication
que
(Games,
plusieurs
l'université
»,d'offrir
et
d'ouvrages
art.
toute
années
cit.,
àgrande
Johns
ses
p.
dans
se
166-167).
étudiants
Hopkins
univer¬
l'orga¬
situant

des cours dans cette matière. Par sa nature, cette histoire nécessite
de multiplier les angles d'attaque, ce qui a sans doute une vertu
pédagogique certaine pour des apprentis historiens, auxquels on
peut présenter l'expansion européenne en Amérique également
comme une invasion aux conséquences catastrophiques pour les
populations indigènes, sans oublier, en évoquant l'apogée de la
production de denrées coloniales aux Caraïbes, de rappeler les
implications de cette économie pour la traite négrière et de se
pencher sur les transformations qu'elle provoque sur les sociétés
africaines 13. En obligeant à changer constamment d'optique, de

point
recherche
et
qu'on
History
miné
tout
à se
unde
de
adopte.
rendre
n'est
style
connaissances,
vue,
peut-être,
d'enquête»
pas
compte
«elle
Enune
est
tant
d'habituer
des
manière
susceptible,
que
nipièges
(Games,
un
matière
les
sujet
deidéologiques
étudiants
communiquer
plus
p.
cohérent
[d'enseignement],
171).
que d'histoire
d'autres
en
de soi,
un
la terminologie
corps
àmais
thèmes
relativiser
VAtlantic
plutôt
déter¬
de

Sujet non « cohérent en soi », la nouvelle histoire atlantique


s'attache néanmoins à un objet d'enquête défini, bien qu'il soit

répercussions
africain,
la
History
13.
naissance
Oninmais
ne
Global
d'une
pense
de
aussi
laPerspective»,
«demande
ici
aux
identité
pas
processus
seulement
d'esclaves
noire
Itinerario,
de
» : redéfinition
aux
voir
sur
conséquences
à23
l'état
ce(1999),
propos
de conflictualité
identitaire,
p.démographiques
David
141-161.
et Eltis,
en du
particulier
«continent
Atlantic
et auxà
ATLANTIC HISTORY »
L'« 27

plus vaste qu'un océan... Elle est concernée par tout ce qu'impli¬
que « la création d'un vaste circuit atlantique, d'un nouveau
réseau humain des points et passages reliant quatre continents,
trois races et une grande variété d'ensembles régionaux » 14,

comme
l'introduction
de formation
l'explique
de
de l'Amérique
safort
relecture
bien le
ànovatrice
l'époque
géographe
du
moderne.
Donald
processus
Meinig
historique
dans

Faute de pouvoir recenser cette historiographie de manière


exhaustive, nous pouvons souligner quelques-uns des traits carac¬
téristiques de son « style d'enquête ». Ils s'expliquent par le
contexte culturel et social plus proprement nord-américain dans
lequel s'enracine la nouvelle histoire atlantique, mais aussi par
le processus de mondialisation auquel nous assistons, qui sensibi¬
lise les historiens à s'interroger sur la réorganisation des entrepri¬
ses et des marchés dans le passé.
En premier lieu, à partir de l'étude des phénomènes d'interdé¬
pendance et d'interaction qui se tissent autour du bassin atlanti¬
que, les historiens de la nouvelle histoire atlantique demeurent
sensibles aux nuances, aux différences, aux asymétries. Si, sur
un plan global, ils postulent l'existence d'une communauté ou
d'un monde atlantique, cette unité se décline par la suite dans
une multiplicité de situations. Peut-on y voir le reflet historio-
graphique d'une société, celle de l'Amérique du Nord d'au¬
jourd'hui,
avec fiertéqui
lesa différences
abandonné l'idée
culturelles
du melting-pot
en son sein
et qui
? Ainsi,
revendique
dans

le premier volume de son ouvrage, Donald Meinig commence


par étudier
aussitôt sur« «
lalacréation
création
d'un
de monde
la diversité
atlantique
américaine
», mais »se; penche
en fait

par Amérique, il faut entendre ici essentiellement l'Amérique


britannique.
Cette sensibilité à la différence aboutit naturellement à une
attention aiguë au destin individuel, inséré dans l'histoire mais
préservé dans sa particularité, dans une démarche qui constitue
sans doute l'un des caractères les plus captivants du « style
d'enquête » propre à cette historiographie. Tout en s' efforçant
de présenter les individus dans leur complexité et unicité, ces
historiens dépassent en effet la démarche biographique classique,
qui ne réussit pas, à leur avis, à relier suffisamment l'individu

on 14.
Londres,
500Donald
Years
Yale of
Meining,
University
History. The
Vol.
Press,
Shaping
I : 1986),
Atlantic
ofp.America.
America,A 1492-1800
3. Geographical
(NewPerspective
Haven et
28 SILVIA MARZAGALLI

aux processus sociaux et économiques plus larges 15 . En même


temps, même si le parcours individuel est reconduit à un cadre
conceptuel et interprétatif plus vaste, ce qui lui donne une signifi¬
cation plus générale 16, les auteurs refusent toute typologisation

excessive,
tation
se
du
économique
qui fait
passé,
contribuent
globale
à travers
qui
quiet
tout
ade
politique,
pu
àcelle
l'histoire.
en
former
être
étant
des
reprochée
sont
modelés
ces
parcours
Autrement
considérés
mêmes
àpar
d'autres
des
contextes.
ledit,
hommes
aussi
contexte
l'étude
tentatives
comme
social,
etdes
des
des
d'interpré¬
structures
culturel,
femmes
acteurs

On peut aisément comprendre que cette historiographie n'ait


pas
tant poursuivi
de travaux
dans
d'histoire
le sillagemaritime
de l'histoire
dans
quantitative
la Francequi
desa produit
années

1950-1960. Plutôt que d'expliquer les flux marchands en termes


de quantités de produits et de navires, les historiens atlanticistes
d'aujourd'hui ont davantage tendance à nous sensibiliser aux
implications de ces trafics par une démarche qualitative. David
Hancock ouvre, par exemple, son étude sur les grands négociants
londoniens du 18e siècle par la description d'une partie de golf
qui eut lieu en 1773 en Afrique, sur un comptoir de traite anglais
proche de la rivière Sierra Léone ( Citizens of the World, p. 1-
2). L'existence de ce terrain de golf au milieu de la jungle,
destiné à agrémenter la vie de six marchands négriers britanniques
aux vastes horizons commerciaux, est en soi surprenante, si l'on
considère qu'il n'y avait à l'époque que deux terrains de golf
dans toute l'Angleterre. Le récit, livré par un botaniste suédois
de passage, apporte certainement des éléments pour l'étude de
la culture des négociants qui quittent leur pays, ainsi que de la
sociabilité qui s'instaure parmi les Européens en Afrique, ici le
voyageur suédois et ses hôtes. Mais le récit nous renvoie à une
autre réalité : les clubs de golf faits avec du bois venu de l'Améri¬
que centrale, les chemises et les pantalons de coton indien des
joueurs européens, les tissus de laine produits à proximité de
Glasgow qui habillent les porteurs noirs, le vin de Madère et le
tabac de Virginie qui couronnent la soirée, tout révèle un réseau

tion
There
l'étude
1995),
15.ofCette
16. David
is
the
p.desa5.British
Black
femmes
démarche
Hancock,
Atlantic
Atlantic»,
de est
Citizens
couleur
clairement
Community,
Itinerario,
of
entheAmérique.
illustrée
World
1735-1785,
23 : (1999),
London
par Deborah
(Cambridge,
Merchants
p. 127-140,
Gray Cambridge
and
White,
relativement
the «Integra¬
"Yes",
U.P.,à
ATLANTIC HISTORY »
L'« 29

commercial dense, unissant l'Europe, l'Asie, l'Amérique et


l'Afrique 17 .
La connexion et l' interrelation qui sont au centre des analyses
de la nouvelle histoire atlantique la portent tout naturellement à
envisager toute histoire comme globale, dans le sens qu'elle n'est
ni locale, ni nationale (ibid., p. 15). C'est là un autre élément
qui caractérise le « style d'enquête » de cette nouvelle histoire
atlantique, même si elle ne s'identifie pas nécessairement à d'au¬
tres modèles interprétatifs globaux, et en particulier à la relecture
de l'histoire de l'Atlantique en termes de rapports prédéterminés
entre
à l'initiative
le centredes
et la
individus
périphérie,
18. qui semblent laisser peu d'espace

Globalisante, ï Atlantic history s'attache à explorer différents


champs de l'histoire. En soi, rien ne semble empêcher d'appliquer
la sensibilité qui est propre à cette historiographie à toute question
centrée sur l'Atlantique. Toutefois, les historiens nord-américains
ont approfondi avant tout les phénomènes d'ordre culturel, quitte
à les relier à l'économie 19 , ou encore les aspects relevant de
taire
l'histoire
(poursociale,
les Afro-américains
notamment les et
processus
pour lesdenouvelles
formationsociétés,
identi¬

par exemple) et les dynamiques qui se mettent en place dans


ces sociétés de migrants. Des problématiques nouvelles se sont
ajoutées, en enrichissant le panorama — la question de la
transmission des idées se doublant par exemple d'une étude des
vecteurs de diffusion de ces idées à travers l'Atlantique 20 . Ces

problèmes
temps,
accents ne
américaine
reflètent
saurait
devant
et occidentale
sans
rester
lesquels
doute
insensible.
(migration,
l'historien,
les problèmes
homme
identité,
actuels
ou
communication),
femme
de la société
de son

partie
de
p.
naires
fondamentale
Network
Hopkins
à approfondir
ration
sity
20.
17.
18.
19.
15.
laPress,
«de
of
Voir,
Voir
Je
entre
Liss,
lecture
of
Communication
University
pense
golf
1986).
la
Trade
ouvr.
les
dans
le
dans
en
critique
socio-économique
ici
années
rôle
Afrique
cit.
ce
and
aux
cePress,
joué
même
; domaine
faite
Revolution,
Ian
nombreuses
1770
and
par
que
K.
àvolume,
1983).
I.les
et
Community
Steele,
propose
Wallerstein
est
1820
réseaux
»celle
1713-1826
études
donnée
l'interprétation
The
enPierre-
de
Amérique
desur
English
(New
Peggy
dans
ici.
négociants
Yves
la(Baltimore
York
Hancock,
circulation
Atlantic,
K.Beaurepaire,
etmaçonnique
and
Liss,
en
etOxford,
Europe
de
et
Atlantic
Citizens
1675-1740.
des
Londres,
marchands.
idées
complémentaire
Oxford
deEmpires.
qui
ofcette
révolution¬
s'attachent
the
The
AnUniver¬
L'étude
World,
Explo¬
même
Johns
The
30 SILVIA MARZAGALLI

Le fait que ce courant soit dominé par des historiens de l'Amé¬


rique du Nord explique aussi la suprématie des études portant
sur l'Amérique britannique. L'Amérique ibérique et française est
en retrait, alors que son importance à l'époque moderne ne fait
pas de doute. Par ailleurs, la bibliographie utilisée par ces auteurs
étant presque exclusivement anglophone, nos collègues d'outre-
Atlantique n'accèdent à la réflexion sur des réalités atlantiques
autres que celle britannique que par l'historiographie en langue
anglaise, stimulante, certes, mais limitée. Le rôle central du cas
britannique dans la production historiographique de l' Atlantic
History peut par ailleurs porter à s'interroger sur la validité du
modèle interprétatif qu'elle offre pour l'étude de l'ensemble des
réalités impériales atlantiques de l'époque moderne21. Tout

dépend,
quement
concernées
de
française
l'extension
territoriale
des
et institutionnel
concerne,
«Leyde),
développements
Britanniques
monde
évidemment,
2interreliée
par
,de
réelle,
»la
atlantique
dans
(définition
la
exemple,
réponse
qui
métropole
et
dans
la ont
des
sur
similaires
mesure
de
».l'espace
une
ne
Si
le
l'expérience
Ibériques
la
proposée
pourra
on
signification
pourtour
sont
certaine

l'entend
sur
etmoins
les
dans
23
le
qu'être
aux
. importance
phénomènes
de
plan
hollandaise,
le
comme
participants
évidents
qu'on
l'Atlantique,
temps,
économique,
nuancée
donne
une
de
pour
que
migratoires
mais
la
« pour
du
aire
domination
dans
les
àprésentant
la
politique
colloque
aussi
histori¬
régions
ce
notion
le cas
qui
la
et

Dans le cas français, par exemple, malgré l'essor de la naviga¬


tion, du commerce colonial et de la traite négrière au 18e siècle qui
profite très largement aux ports de la façade atlantique, plusieurs
historiens ont nuancé l'incidence de ces trafics pour le développe¬
ment de l'économie française dans son ensemble, alors que dans
le cas britannique, l'intégration des marchés et ses effets sur
l'industrie anglaise ne font pas de doute 24 . C'est là un point sur
lequel les historiens « atlanticistes » auraient intérêt à réfléchir.

péenne
autour
sion
French
23
atlantique
21.
22.
23.
24.
(1999),
Without
Le
Peter
Dans
Je
de
de
Atlantic
me
colloque
cette
dans
l'Université
p.C.
son
permets
84-106,
Empire
Emmer
question.
le
»,article,
cas
Itinerario,
organisé
»,
seet
de espagnol
de
Itinerario,
Caria
prononce
renvoyer
Wim
Voir
Leyde
enRahn
23
Klooster,
plus
1999
etse
(1999),
aux
avec
23
portugais.
proposait
Phillips,
haut,
par
(1999),
conclusions
force
«l'Institut
p.
The
note
70-83.
«justement
pour
p.
Dutch
The
3.48-69
d'histoire
l'existence
deIberian
Atlantic,
mon
; Silvia
d'amorcer
article
Atlantic
ded'une
1600-1800.
Marzagalli,
l'expansion
dans
une
», Itinerario.
communauté
Itinerario,
réflexion
Expan¬
«euro¬
The
ATLANTIC HISTORY »
L'« 31

Car ces différences nationales dans le degré de complexité du


système et du succès de chacun au sein du « monde atlantique »
doivent être expliquées. La vision néo-libérale qui conçoit l'inté¬
gration du monde atlantique comme le produit spontané de la
« co-ordination d'entreprises individuelles travaillant dans le pro¬
cessus de globalisation» (Hancock, art. cit., p. 112 ; voir aussi
p. 117) ne semble pas pouvoir pleinement rendre compte de ces
diversités. Peut-être peut-on mieux les expliquer en prenant en
considération la plus ou moins grande proximité de chaque aire
au centre de l' économie-monde. Évacuées trop hâtivement, les

processus
et
structures
complexeheuristique
pourraient
du passé.ainsi
qui nous
retrouver
conduit
uneà place
une vision
centrale
plus
dans
riche
le

Si l'historiographie non-anglophone a intérêt, me semble-t-il,


à étudier plus qu'elle ne le fait les approches novatrices de
Y Atlantic history, celle-ci gagnerait de son coté à intégrer les
apports
duire des
des
nuances
historiens
éventuelles
européens,
et àqui
vérifier
pourraient
la validité
les aider
universelle
à intro¬

de leur
tout l'écoumène
relecture historien.
des réalités atlantiques, au plus grand profit de

Silvia Marzagalli
Université de Bordeaux III

Vous aimerez peut-être aussi