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Communications

Notes pour une typologie des événements


Abraham Moles

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Moles Abraham. Notes pour une typologie des événements. In: Communications, 18, 1972. L'événement. pp. 90-96;

doi : https://doi.org/10.3406/comm.1972.1261

https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1261

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Abraham A, Moles

Notes pour une typologie

des événements

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centrifuges; les événements s'opposent aux actions. En ce sens, l'événement est un


message reçu qui s'oppose à un acte émis, conformément au troisième facteur de
variance de la connotation d'Osgood :
I. Évaluation (bon, mauvais).
II. Grandeur (grand, petit).
III. Activité (actif-passif).

L'idée de participation à un événement nous apparaîtra donc comme une


action en retour à une série de stimuli. Un événement est un « phénomène »,
c'est-à-dire quelque chose qui apparaît à l'individu et, entre autres, qui varie
suffisamment vite dans l'intervalle de perception. La montée des côtes d'Islande
de 1 centimètre par siècle au-dessus de la mer n'est pas un événement, non plus
que les paresseuses fluctuations du fleuve Méandre au cours de l'histoire. Par
contre, un coup de revolver tiré dans un bar devant moi est un événement,
le déclenchement brusque d'une révolution en est un autre.
La science ne s'occupant que du général, un discours scientifique sur
l'événement se réfère nécessairement à une analyse typologique, dans laquelle ces
événements sont saisis par une série de caractéristiques indépendantes ou peu
dépendantes de la nature spécifique de l'événement considéré. Or, l'événement
a pour caractéristique d'être surprenant, il est imprévisible ou, en tout cas,
imprévu. Comme le remarque Morin, il a été expulsé des sciences, précisément
parce que celles-ci ne se sont pas suffisamment souciées de l'enserrer dans un
réseau de caractéristiques.
C'est une phénoménologie des événements qui fournira une typologie de
l'événement alors qu'on peut réserver le terme de « phénomène » à une catégorie
d'observables scientifiques échappant aux contingences de l'histoire et
partiellement repris en charge par la sémantique explicative.
L'événement possède donc une série de dimensions, la première étant
précisément sa grandeur.

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A cet égard, nous distinguerons :


— les micro'événements qui parviennent à la conscience mais s'effacent dans
la mémoire immédiate en suivant les lois de celle-ci;
— les mini-événements, qui sont retenus pendant un délai variable, mais
toujours limité dans la durée de vie de l'être : un jour, un mois, un an;
— les événements proprement dits, mémorisés par ceux mêmes qui y ont
participé, ou en ont été témoins;
— les grands événements enfin, historiques, qui sont inscrits dans des archives
sociales de quelque espèce qu'elles soient, agence photographique, agence de
nouvelles, journaux, livres d'histoire, {et généralement datés dans une
quelconque chronologie universelle.
Ces distinctions doivent, bien entendu, être corrigées en fonction du nombre
d'êtres qui portent un jugement, de la nature des archives qui servent à les
retenir, etc. En particulier, on introduira à propos de l'événement, d'abord la
distinction entre l'événement privé (se marier ou perdre son chat) et l'événement
social (marier la Reine d'Angleterre ou assassiner Adamo).
Certains événements passeront du privé au social selon des règles du
remarquable qui restent à définir. A cet égard, les journalistes ou les émissaires du
social qui vont à la rencontre des événements, équipés d'une série de critères
d'appréciation pour les transformer en messages appelés « nouvelles », jouent
un rôle considérable dans la définition de ce qu'on appelle un événement.
Plus généralement, on définira la masse d'un événement, de façon analogue à la
masse d'un fait, comme le produit du nombre de personnes qui en sont affectées
dans leur sphère personnelle par le degré d'affection qu'elles en subissent.
L'événement a donc fondamentalement un caractère imprévisible et il sera
légitime de le mesurer, entre autres, par son degré d'imprévisibilité, celui-ci nous
référant nécessairement à un arrière plan socio-culturel qui conditionne cette
imprévisibilité : l'apparition d'une auto chez les Papous est un événement plutôt
que chez les Suisses.
Mais il existe beaucoup d'autres dimensions de l'événement et l'on reprendra
ici un certain nombre de catégories de la théorie des actes.
Si, par définition, un événement est peu familier, une notion plus subtile est
celle d'étrangeté qui paraît liée, moins à l'imprévisibilité de l'événement lui-même
qu'à la valeur de surprise ou d'originalité des caractères circonstanciels de
l'événement (Uberraschungswert), introduisant par là la notion d'un setting ou d'un
décor de l'événement.
D'autres dimensions seront, par exemple, le degré d'implication par lequel
une personne se trouve entraînée dans un événement particulier : on trouverait
un bon champ d'observation dans les événements de la conduite automobile et,
en particulier, le taux d'implication d'un conducteur dans un accident (depuis
la position d'observateur jusqu'à celle de victime). Quelle est l'implication dans
un événement pour le conducteur qui parvient à une zone où un camion-citerne
de pétrole s'est répandu en flammes sur l'autoroute? Les fabricants de nouvelles
à partir d'événements savent artificiellement augmenter le taux d'implication
d'un individu au récit d'un événement (nouvelle) par des artifices rhétoriques.
Le taux a" intrication de l'événement (les linguistes diront plus volontiers de
concaténation), serait une caractéristique de l'événement selon laquelle celui-
ci s'inscrit dans une chaîne causale logique ou administrative. Exemple :
l'émergence de cartes d'alimentation dans un pays en disette et bloqué est un
événement ayant un taux d'intrication relativement grand, dans une chaîne causale

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dont il n'est qu'un des aspects; il aboutira lui-même à un marché noir et à des
événements successifs [crime, pillage etc.) qui ont une relation causale nette
avec lui. En fait, le phénomène observé n'est événement que précisément dans la
mesure où cette chaîne causale n'est pas claire aux yeux de l'observateur, sinon
il est récupéré dans la rationalité déterministe. Ce n'est que par abus de langage
qu'on qualifie « d'événements » des manifestations répétitives et dont la période
de répétition est connue et mémorisable : les marées d'équinoxe sont des
événements pour les touristes, et des faits ou des phénomènes pour les habitants des
côtes bretonnes.
L'événement se cristallise, se fige et, par là, se détruit dans le document qui est
la « Nouvelle » inscrite en archives, cataloguée en statistiques, datée et
répertoriée sur une quelconque fiche.
Dans la pratique sociale, les « événements » sont liés à la renommée des êtres
qui les subissent : la mort du chien de Brigitte Bardot est un événement. Les
personnages célèbres peuvent donc être considérés a priori comme des sources
d'événements, en tout cas, dans une courte période de leur histoire, car certains
personnages deviennent célèbres parce qu'ils ont vécu beaucoup d'événements
et tout micro-événement qui leur arrive par la suite est promu au titre
d'événement proprement dit à partir d'un certain seuil de célébrité du porteur. Il y a
donc un cycle de sécrétions événementielles qui construit le personnage public.
L'individu anonyme participe ou mieux, crée de toute pièce l'événement : ainsi de
l'expédition de Thor Heyerdahl sur le Kontiki; l'individu étant monté au-dessus
du seuil d'anonymat (ou de célébrité), les aventures qu'il a avec son divorce ou
son mariage, seront promues au niveau de l'événement, et s'il a ensuite quelques
démêlés avec x, y, ou z, ceux-ci ont droit à l'intérêt de la société. Ce cycle
événementiel est donc pratiquement créé par les mass media qui ne sont ici que des
amplificateurs très puissants du mécanisme de célébrité tel qu'il a existé de tout
temps.
L'événement est situé dans l'espace et dans le temps. Dans le temps, c'est sa
date, mais la notion d'environnement est un aspect sous-estimé par les
historiens, grands spécialistes jusqu'à présent des événements. Pourquoi les
journalistes fréquentent-ils le bar du Grand Hôtel d'un pays en guerre? Parce qu'ils
savent de façon plus ou moins intuitive que la densité des événements au mètre
carré y est plus grande qu'à 200 mètres de là. La répartition spatiale des
événements ou tout au moins de leurs traces par unité de surface définit des lieux
fertiles en péripéties et aucune étude sérieuse de toposociologie n'a été faite à cet
égard; il est bien évident que le nombre d'événements est lié à la nature des
personnages qui fréquentent tel ou tel lieu, à leur importance passée, présente
ou future, c'est-à-dire à leur pouvoir de décision et qu'il y a des lieux
fonctionnels à la création d'événements : cabines téléphoniques, antichambres
ministérielles, cols de montagne ou champs de bataille.
Dans la promotion de la quotidienneté, établie par le système social
contemporain, les chances pour un individu donné de participer à un événement sont
plutôt moins grandes que celles qu'il pouvait avoir à l'époque de la Guerre de
Trente ans, ceci entre autres, à cause de la tendance homéostatique à la
sécurisation des êtres; mais ce point mériterait d'être discuté sur le plan d'une théorie
de l'histoire, car il n'est pas dit que nous parvenions effectivement à une fin de
l'histoire. On peut légitimement définir, par exemple, le centre de la ville comme
le lieu où la densité des micro-événements est maximum. A cet égard, une
grandeur spécifique d'un ensemble d'événements est l'entropie, ou, plus simplement,

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la complexité de la séquence d'événements observés sur un parcours ou sur une


durée donnée; il n'est pas suffisant que les « événements » soient nombreux, il est
aussi important qu'ils soient diversifiés dans une liste, culturellement aussi
étendue que possible. L'entropie des événements par heure ou au km2 sera donc
une caractéristique importante d'une société étalée dans l'espace. La définition
d'une quantité globale de surprise qui serait le produit pondéré d'un coefficient
de nouveauté (estimable sur des échelles de comparaison) par la complexité
unitaire ou l'entropie par élément des événements qui pénètrent dans la sphère
personnelle de l'individu serait une grandeur importante de l'analyse métrique
de la vie quotidienne.
Passant de l'individu à un ensemble social, la généralisation d'une telle notion
(Uberraschungspotential) par sommation à Yensemble des individus vivant à
une époque ou dans un lieu donnés, doit permettre l'identification d'une
caractéristique sociale globale : l'impact des événements sur les structures écologiques.
On voit émerger ainsi une nouvelle forme de sociométrie ou de mesure des
phénomènes sociaux, basée sur le rapport homme-événement, c'est-à-dire sur
l'interaction entre le changement externe et la coquille personnelle de l'être
humain.
L'événement se banalise dans la culture. Nous remarquions plus haut que les
Émissaires du Remarquable, journalistes, reporters, cinéastes du film ou de la
télévision, les témoins accidentels aussi, transforment l'événement en un message :
« la Nouvelle » qui va s'inscrire dans les archives universelles pour être, plus
tard, éventuellement jugée soit comme définitivement inscriptible dans
l'histoire, soit comme épisodique, c'est-à-dire destinée à l'oubli définitif.
L'événement — ou plutôt la Nouvelle — vient donc s'insérer dans le cycle
socio-culturel, qui, en principe, en est indépendant, par lequel l'historicité
s'intègre dans la culture. Rappelons que le cycle socio-culturel est ce mécanisme,
quasi économique, par lequel les idées nouvelles émises par les créateurs sont
recueillies dans un micro-milieu, puis sélectionnées par les moyens de
communication de masse — eux-mêmes régis par les gate-keepers qui leur imposent leurs
valeurs — ces mass media arrosant la masse sociale, le champ de la société, pour
constituer une ambiance culturelle permanente mais lentement évolutive, dans
laquelle vivent aussi les créateurs qui vont refaire d'autres idées nouvelles en
se reposant pour large part sur les culturèmes ainsi reçus de l'ambiance. Dans cette
opération, les idées nouvelles se banalisent, perdent leur taux d'originalité ou de
nouveauté pour devenir assimilables à la société globale, et l'œuvre créatrice
est, dans une large mesure, une combinatoire originale d'éléments qui par eux-
mêmes sont largement banalisés, comme des matériaux culturels par une sorte
d'atomisation ou de dissociation. Dans la rotation de ce cycle, les nouvelles des
événements s'introduisent généralement à l'entrée des mass media, là où le
journaliste, émissaire des systèmes de diffusion se recherche un « programme »;
il puise largement dans « ce qui est arrivé » (et qui n'était pas prévisible), dont il
transcrit « une Nouvelle ». Ainsi emballée, conditionnée en vue de la
consommation par un public défini, la nouvelle s'insère dans le circuit culturel,
parallèlement aux phénomènes culturels proprement dits, aux créations intellectuelles
esthétiques et scientifiques des êtres humains pour constituer ce que Silbermann
appelle Tableau socio-culturel, une sorte d'inventaire permanent de
l'accroissement du bagage humain. Une analyse du contenu des journaux, de la radio, de
la télévision, etc. nous suggère effectivement cette classification en deux
composantes :

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1. d'une part ce que jamais on n'a vu deux fois, ce qui est le produit d'un
aléatoire, ce qui, en bref, est événementiel;

2. d'autre part ce qui est le produit de l'être humain, ce en quoi il se reconnaît,


même si, le plus souvent, ce produit ne lui est pas très intelligible, car c'est celui
d'un créateur intellectuel ou artistique qui, par définition, se situe toujours
à un niveau d'originalité (ou de néguentropie) supérieur.
Contenu événementiel et contenu intellectuel sont bien les sources du
remarquable dans les mass media et le rapport quantitatif entre les deux contribue à
définir le style d'un canal de communication.
On conçoit qu'une société qui vivrait la fin de l'histoire verrait se réduire
indéfiniment l'événementiel, y compris les catastrophes naturelles qu'elle aurait
— plus ou moins — maîtrisées, pour donner une prépondérance quasi exclusive
aux productions des êtres humains devenues seules sources de valeurs et de
nouveautés pour construire de toute pièce un monde environnant dans lequel
l'événement imprévisible n'aurait aucune place.
En bref, dans cette analyse, la Nouvelle qui est un document se sépare de
l'événement et en vient rapidement à s'opposer à lui. La Nouvelle est la trace du
Remarquable déjà récupéré dans les archives universelles, mais susceptible d'être jugé
au bout d'une certaine période probatoire pour s'en aller aux corbeilles à papier
de l'Histoire. L'analyse précédente situe donc deux dimensions pertinentes des
rapports entre l'homme et l'environnement, l'une qui est la relation entre
événements et documents basée sur le critère du Remarquable, l'autre, qui est le
rapport entre le privé et le public, entre la sphère personnelle et l'univers social.
C'est dans ce champ de représentations à deux dimensions que se situent entre
autres les industries d'exploitation des événements dans les mass media et les
processus de gouvernement sont parmi les principaux. Il est certes, possible,
comme nous l'avons fait dans l'analyse du Cycle socio-culturel de considérer
les créations artistiques et intellectuelles comme des événements au même titre
que les guerres, les tremblements de terre, les révolutions et les attaques de trains
postaux; chacun vient frapper à la porte des mass media pour avoir droit à la
'< documentalité » de la nouvelle et par là, s'inscrire dans l'histoire quotidienne et
aspirer à l'histoire permanente, c'est-à-dire à éviter la corbeille à papier ou le
ver d'archives.
En fait, les phénomènes culturels, les produits de l'homme sont
essentiellement sédimentaires, en ce sens qu'il en reste toujours quelques traces à l'intérieur
d'un édifice collectif : la science ou la culture. Mais ils peuvent diminuer de volume
quand ils s'éloignent de notre champ de vision ou de conscience dans le temps ou
l'espace, comprimés qu'ils sont par le flux quotidien qui se déverse sur eux comme
une sédimentation sociologique. Par contre, un certain nombre d'événements
historicisés vont disparaître définitivement dans notre champ de vision avec la
destruction des archives personnelles ou sociales mais sous l'empire d'une
obligation vitale : « l'oubli, remarquait William James, est nécessaire à la vie ».
Les événements, par définition imprévisibles et imprévus, sont donc
l'équivalent d'une imagination sociale, la source du renouvellement permanent de la
Société, à l'opposé du circuit continu du progrès culturel qui s'inscrit à l'encre
dans les registres de l'histoire.
Les phénomènes culturels n'échappent pas totalement à la prévisibilité, même
si nous sommes incapables d'en saisir les détails qui seuls leur donneront la
réalisabilité, donc l'existence dans le futur. Les événements sont ces faits por-

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teurs d'avenir qui, dans le message du futur, apparaissent comme le bruit


perturbateur du plan intelligible proposé par le futurologiste.
L'ensemble des Sciences sociales poursuit comme but, nous l'avons dit, la
récupération de l'événement. La tendance sociologique en histoire s'opposant à
l'histoire événementielle dans une querelle qui a divisé les esprits. Les
événements se trouvent enserrés dans un réseau dimensionnel que la tâche d'une
analyse du contenu historique est d'établir dans des chaînes causales et, de façon
plus moderne encore, dans des réseaux d'interactions qui détruisent peu à peu
leur originalité, leur imprévisibilité, leur caractère spécifique d'événements.
Ce sont les Sciences sociales qui seront responsables de la fin de l'histoire. A
cet égard, l'ensemble du Mouvement structuraliste prend le relais d'une
typologie des événements et cherche comme il l'a fait pour le flux linguistique à les
décomposer en fragments reconnaissables et isolables, en nombres relativement
restreints ou en tout cas, en listes fréquentielles qui, même ouvertes, sont
convergentes et obéissent à des lois numériques (voir par exemple l'analyse
statistique des guerres de Richardson). L'une de ses préoccupations essentielles sera
l'établissement d'une structuration à différents niveaux des événements, se
demandant par exemple, s'il existe des lois statistiques régissant la fréquence des
pillages, des barrages de rues ou des dévaluations dans une révolution, et s'il y a
en ce domaine une quelconque prévisibilité. Elle cherche ce qui est prévisible et
déjà vu dans ce que jamais on ne verra deux fois et par là même, évacue l'essence
même de l'événement; s'il est bien certain que ce but est très largement
irréalisable dans sa plénitude, il est bien certain aussi qu'il est une tendance
irrépressible liée à l'idée même d'une pensée scientifique et qu'il ne peut donc disparaître
qu'avec celle-ci.
Nous résumons ces quelques remarques comme il suit :
1. L'événement est par définition l'imprévisible.
2. Il est caractérisé par un certain nombre de facteurs au sens même de
l'analyse du contenu :
— son degré d'imprévisibilité;
— sa grandeur;
— son taux d'implication;
— son caractère privé ou public;
. — son intelligibilité;
— son taux d'implication pour un certain nombre d'individus etc.
3. L'événement prélevé sous forme de document devient une nouvelle qui
s'insère dans le cycle culturel, perd son caractère événementiel et se transforme
en un matériau pour historien ou pour journaliste.
4. L'événement se banalise dans la culture. De devenir de la société, il se
transforme en phénomène culturel intégré dans des catégories préparées à l'avance qui
permettent de le récupérer.
5. Il n'est pas certain que nous soyons à la fin de l'histoire, mais nous sommes à
l'époque de la société comme système, c'est-à-dire d'un ensemble d'agrégats
limité à une sorte de volume propre de l'être sur lesquels chacun exerce une
emprise suffisante, ensemble qui est inséré dans des réseaux de services et de
contraintes impersonnalisés et qui sont acceptés comme^tels par les éléments
ou les noyaux qui constituent ces agrégats; au lieu que les services soient les buts
d'institutions humaines, ils sont les produits d'organisation automatisables ou
en tout cas objectivables, en principe, impersonnalisés.
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6. La société se transforme donc en un système social dans lequel la


participation à l'événement est toujours négative si elle n'est pas a priori contenue
dans certaines limites. Les seuls événements que nous acceptions sont des
happenings, et c'est le problème de l'agitateur social de savoir jusqu'où il peut conduire
un happening.

Abraham A. Moles

Institut de Psychologie Sociale,


Université de Strasbourg I

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