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1. Programmation génétique :
« mémoire spécifique » ou « apprentissage 0 »
L’exemple célèbre donné
autrefois par Jacob von
Pour un grand nombre d’animaux,
Programme génétique de l’espèce Uexküll (1965 : 17-9) à
non seulement les traits physiques = " mémoire spécifique " propos de la tique et de
(anatomie, physiologie) mais aussi le
son milieu peut donner
comportement individuel dans le
une idée de ce type
milieu physique, biologique et social
d’organismes guidés de
sont très largement déterminés par ce
Comportement de l’individu face à façon r é fl e x e ,
que nous pourrions appeler le
son environnement naturel ou social automatique :
"programme génétique de l'espèce".
Environnement = Milieu
extérieur
Organisme
= Milieu intérieur
Système
nerveux
primitif 2
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3
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Signaux internes
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ou végétatifs 5
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Ac
9 11
Chez les êtres « simples », comme par exemple la tique, mais on prendra ici
plutôt l’exemple des reptiles chez qui est apparu un système nerveux central de 1. Quand, par exemple, le reptile n’a plus mangé depuis plusieurs jours, les
type primitif, ce dernier permet à l’organisme de capter par ses organes des déséquilibres biologiques qui s’en suivent dans son organisme forment des
sens (variables selon les espèces) les modifications qui surviennent, tant dans signaux internes qui déclencheront un comportement de recherche de
son environnement interne (l’organisme) que dans son environnement externe. nourriture.
Limite de l’organisme Limite de l’organisme
Système Système
nerveux nerveux
primitif 2 primitif 2
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Signaux internes Signaux internes
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ou végétatifs ou végétatifs
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2. Les organes des sens se mettent alors en éveil. Tout passage d’une proie à
proximité sera détecté et déclenchera un comportement de prédation.
Limite de l’organisme
Organisme
= Milieu intérieur
Système
nerveux
primitif 2
Ce type de comportement nécessite donc une forme de "prélèvement
Ac
3
tiv
lle
6 d'information" dans l’environnement, tant extérieur qu’interne. Une série
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d’organes sensoriels, "récepteurs", reçoivent l’information des modifications
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Signaux internes
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butyrique...) que l’organisme est susceptible de recevoir. En fonction de ces
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3. Si la proie est attrapée, ingérée, digérée, l’organisme retrouve un équilibre On peut multiplier presque à l’infini
biologique et envoie alors des signaux de satiété au système nerveux primitif des exemples qui montrent tout aussi
qui permet de reprendre un comportement de satiété. clairement cet aspect inné de ces
Limite de l’organisme comportements instinctifs.
Environnement = Milieu extérieur
Organisme
Ainsi, « l’exécution parfaite des
= Milieu intérieur activités de capture chez un insecte
prédateur qui vient de sortir de sa Une larve de coccinelle dévorant un puceron
pupe prouve bien que ces
Système manifestations n’ont pas pu se
nerveux
primitif 2 développer au contact de la proie
mais devaient déjà être
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Signaux internes
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Ac
Cela indique bien qu'il s'agit d'un programme d'action inné, conclut Eibl-
Comportement inné mais complexe de l’araignée tisseuse. Eibesfeldt (1972 : 24).
25 27
Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que ces comportements innés ne sont
pas l'apanage des animaux que nous qualifions souvent "d'inférieurs". On les
retrouve notamment chez tous les mammifères, hommes compris, même si ces De même, chez les primates, on trouve des
comportements réflexes sont parfois mêlés à des suites de comportements comportements innés :
appris, ou s’ils sont corrigés ou aiguisés par l’expérience.
Ainsi, Eibl-Eibesfeldt (1972 : 24) a pu observer "Les macaques rhésus isolés depuis leur
certains comportements innés chez l’écureuil naissance et devant qui on fait passer l'image de
d’Europe centrale qui en automne : "cache des congénères sur les parois de leur cage, émettent
noix et des noisettes, comme provisions pour les sons de la recherche de contact, invitent au
l'hiver et, pour ce faire, opère d'une façon très jeu et apprennent très vite, une fois la projection
particulière : terminée, à pousser un levier pour qu'elle Singe Rhésus dans une chambre
d’isolation. Repris à Harlow et
recommence. Harlow (1965).
-le fruit dans la bouche, il dégringole sur le sol, À l'âge de deux mois, ces sujets sans aucune expérience reconnaissent les
-cherche jusqu'à ce qu'il arrive au pied d'un expressions de leurs semblables. L'image d'un singe menaçant les fait reculer,
arbre, pousser des cris de peur et le rythme des représentations qu'ils se donnent à
-creuse là un trou avec les pattes antérieures, eux-mêmes diminue rapidement quand ils voient ce spectacle. Comme ils
Ecureuil roux: Sciurus vulgaris -y dépose le fruit, n'avaient jamais été mis en présence de leur congénères, il faut bien attribuer
Source: www.mammal.org.uk/ -l'enfonce avec le nez,
squirrel.htm cette juste interprétation des expressions à quelque déclencheur inné." (Eibl-
-puis le recouvre de la terre qu'il avait ôtée." Eibesfeldt, 1972 : 36)
26 28
De multiples travaux ont pu
montrer que, chez l'homme
aussi, une série de
comportements, comme chez les
autres primates, étaient innés.
Ainsi, le nourrisson n'a pas
besoin d'apprendre à téter; il sait
aussi crier et sourire sans avoir à
l'apprendre.
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de nouveaux comportements qui lui permettent de s’adapter. Les êtres humains être un avantage d’un point de
sont capables de s’adapter au point de pouvoir vivre dans presque n’importe vue de la sélection naturelle.
cf. Exemple présenté au cours :
quel environnement.”
-le mouvement de roulement de l’oeuf de l’oie : le
réflexe de ramener l’oeuf dans le nid pour la couvée se
fait, à nos yeux, sans beaucoup de discernement
puisqu’une boule de billard, une ampoule électrique ou
un cube lisse sont appréhendés par l’oie comme des
oeufs !
41 43
42 44
Au niveau du développement physiologique de l'animal il en va de même,
Notons cependant, qu'en ce qui concerne le "programme génétique" qui
comme au niveau de son comportement : ce n’est pas parce que vous êtes en
détermine la physiologie des espèces mais guide aussi une partie de leur
présence de deux "clones" que nécessairement le développement et les
comportement, même chez les espèces les plus rudimentaires, celui-ci n'est pas
comportements de ces individus seront rigoureusement les mêmes.
"tout puissant" : c’est au contraire dans l’interaction du programme et du
milieu que se réalise le comportement effectif de l’individu, même le plus L’interaction avec
simple. Tout comportement "inné" est en fait la résultante de la " mémoire le milieu joue un
spécifique " et des particularités du milieu. Aussi, le schéma précédent aurait rôle important : les
avantage à être corrigé de la façon suivante : accidents, les
avantages, les
Programme génétique de l’espèce limitations ne sont
= " mémoire spécifique " pas nécessairement
les mêmes d’un
milieu à l’autre.
Comportement effectif de l’individu
Environnement physique, Contrairement aux apparences, ces deux souris ont bien le même génome. Celle de
biologique ou social gauche a suivi un régime riche en méthyle, qui a modifié l'activité d'un gène lié
notamment à la couleur du pelage et à l'obésité.
45 47
Ou encore, songez aux graines de Ainsi, ce n’est pas le patrimoine génétique qui détermine à lui seul le
plantes que l’on plante à l’ombre ou développement d’un individu, mais bien l’interaction des gènes et de
au soleil, ou à différentes altitudes. l’environnement. Bien sûr, chaque individu, humain ou animal, dispose de
Croissance de sept plants de mille-feuille à trois variantes de gènes qui favorisent plus ou moins la suralimentation, la
altitudes différentes. Ce graphe montre le phénotype des
organismes d’un génotype particulier en fonction de
dépression ou les performances intellectuelles. Mais l’environnement peut
l’environnement. Illustration in Lewontin, 2003 : 31.
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influer de façon marquée l’activation et/ou
48
la désactivation de ces gènes.
Ceci modère l’idéologie du «tout génétique» ou du «tout ADN» qui avait Bien sûr l’organisme reste construit à partir de ses gènes, mais l’ADN «quasi
connu son apogée au tournant du second millénaire avec les grands projets du divin» d’autrefois, censé receler tous les secrets du vivant, est lui aussi modulé
séquençage du génome humain, qui prétendait que les gènes définissaient dans son expression par l’activité de l’organisme dans son environnement. Le
intégralement, à la fois la forme, les pathologies, mais aussi les comportements gène, en réalité, définit des potentialités que les infinies variations des
de l’individu, animal ou humain. conditions - internes et externes - des organismes réaliseront ou non.
Dans cette idéologie, on prétendait trouver Certaines parties du code génétique, peuvent ne pas s’exprimer, à cause de
des gènes de tout : des gènes qui font l’environnement. L’environnement peut influencer l’expression du programme
grossir, des gènes de la dépression, de génétique ! Un organisme ne se développe donc pas à partir du programme
l’homosexualité, de la longévité, etc. Tout génétique seul : il est façonné par un grand nombre de phénomènes aléatoires.
comportement était réduit à l’expression
d’un ou de plusieurs gènes, au même titre L'environnement notamment,
d’ailleurs que les caractéristiques de n'est pas une sorte de toile de
l’anatomie, ou les pathologies dont pouvait fond immuable sur laquelle
souffrir un individu au cours de sa vie. s'agitent les organismes, mais il Environnement Expression des gènes
participe pleinement au
développement de chacun
49
d'eux. 51
C’est un bel exemple d’une sélection D'une manière très comparable, l'épigénétique permettrait plusieurs lectures
épigénétique d’un même génome. d'une matrice fixe (le livre ou le code génétique), donnant lieu à diverses
interprétations, selon les conditions dans lesquelles on interroge cette
54
matrice». 56
2. Constitution des premières mémoires individuelles :
de l’habituation à l’association
On peut donc affirmer, que, comme tous les autres caractères d’un organisme, Programme génétique de l’espèce
même rudimentaire, "les traits innés comportementaux résultent eux aussi = " mémoire spécifique "
d’une interaction permanente entre le patrimoine génétique et le milieu. Seule
Mémoires individuelles
est innée une "norme de réaction", qui représente en quelque sorte une
"potentialité" soumise à l’action du milieu (et qui se réalisera différemment Comportement effectif de l’individu
selon les différences de milieu). À l’intérieur de cette marge de variation, les
diverses influences du milieu décideront comment les informations véhiculées
par les gènes pourront se réaliser." (Immelman, 1990 : 137) Environnement physique,
biologique ou social
Si l’on peut parler "d’apprentissage" en ce qui concerne la "mémoire
spécifique", c’est de façon indirecte, pour désigner ce qui se passe dans
l’évolution biologique, par des processus de sélection. On pourrait illustrer ce schéma très/trop
simple par l'exemple d’une fourmi volante
On peut comprendre ici "apprentissage" au sens où cette "programmation" (cf. S.H. n°19 juillet 1992. photo 30) qui
elle-même n’est pas indépendante du milieu, mais qu’au contraire, c’est développe normalement les 5 phases du
l’interaction organisme-milieu qui, au cours de l’évolution, a structuré ce comportement inné suivant :
"programme" par des processus divers de sélection. Ce type d’“apprentissage”
s’inscrit donc dans la très longue durée.58 60
1) elle tue une proie Le comportement n'est donc plus entièrement "préprogrammé" : plus
exactement, chaque individu naît "programmé" mais avec cette particularité
2) elle la ramène vers son terrier que le code génétique semble, pour un certain nombre de comportements,
laisser l'individu moduler ceux-ci en fonction de sa propre expérience.
3) elle la dépose à l’entrée
Ce schéma « en coin » n’est cependant par vraiment représentatif de la façon
4) elle visite le terrier
dont on peut concevoir concrètement la mise en place des premières formes de
mémoires.
5) elle en ressort et y ramène sa proie.
Programme génétique de l’espèce
Lorsqu'on déplace la proie juste avant que la fourmi ne ressorte du terrier pour = " mémoire spécifique "
la reprendre, on observe que la fourmi dont on a perturbé volontairement le
Mémoires individuelles
programme stéréotypé va alors le répéter intégralement : elle va ramener la
proie à l’entrée du terrier, rentrera à nouveau pour l’explorer, puis ressortira Comportement effectif de l’individu
prendre la proie.
Et si on la déplace une fois encore, elle repassera une troisième fois par toutes Environnement physique,
ces phases. Pourtant, au bout d’un certain temps, la fourmi finira par rentrer la biologique ou social
proie directement. 61 63
On peut donc dire qu’en fonction de la mémoire de son comportement dans un Programme génétique de l’espèce
passé immédiat, elle a été capable d’adapter son comportement actuel aux = " mémoire spécifique "
stimuli du milieu.
Mémoires individuelles
--> Il y a mémoire : il y a un "bouclage neuronal" qui permet à la fourmi après Comportement effectif de l’individu
un certain nombre d'expériences de faire revenir l'information de ces
expériences antérieures pour produire un comportement plus adapté au présent.
Environnement physique,
De tels exemples, on a tendance à conclure que le programme génétique guide biologique ou social
le comportement habituel des individus, mais que, au bout d'un certain nombre
d'expériences, ou à des moments tout à fait singuliers, ce programme génétique La mémoire n’est pas apparue comme une sorte de «région» tout à fait
laisse entrer en jeu un nouveau programme, basé lui sur un apprentissage fait constituée d’un cerveau dans laquelle l’organisme aurait emmagasiné des
par l'animal dans son milieu réel. «souvenirs» comme pourraient nous le faire penser d’anciennes métaphores de
la mémoire.
L'apparition de ce programme basé sur l'expérience a très certainement une
grande valeur adaptative. En effet, ces boucles qui se mettent en place On a en effet souvent pensé la mémoire au travers de métaphores qui ne nous
permettent une adaptation plus rapide des individus à un changement de permettent pas de vraiment comprendre la dynamique effective des processus
l'écosystème. Mais chacun fait son expérience individuellement. mémoriels tels qu’on les décrit aujourd’hui.
62 64
Ainsi, depuis l’Antiquité, on a souvent comparé la mémoire à une tablette de
cire.
66 68
Plus récemment est apparue la métaphore de la mémoire humaine comme un
disque dur d’ordinateur, sur lequel on va rechercher de l’information.
Lorsqu’on va dans ce sens, on a
tendance à ne voir la mémoire que
comme un «magasin», un «dépôt»
qu’une “âme” ou une “intelligence”
devra exploiter, mais qui n’est pas
l’intelligence elle-même.
69 71
Environnement physique,
biologique ou social
70 72
Or, ce que la neurologie a mis de mieux en mieux en évidence ces dernières Comme le rappelle Chapouthier 2017 : 21 : «Le système nerveux, qui est le
décennies, c’est que la capacité de se remémorer un comportement de façon principal système d’enregistrement de l’information chez les animaux, se
pertinente, face à une situation donnée, n’est pas extérieure à l’intelligence, développe progressivement au cours de l’évolution des espèces. Il est composé
c’est une capacité qui relève de l’intelligence en tant que telle; c’est de cellules nerveuses appelées «neurones». Lorsqu’elles sont excitées, ces
l’intelligence elle-même, qu’il s’agisse d’ailleurs d’une intelligence humaine ou cellules très allongées transmettent d’un bout à l’autre une impulsion
animale. bioélectrique : l’ «influx nerveux», qui se propage comme une onde à la surface
d’un étang.
En effet, avec le développement des
sciences cognitives, pourtant fondées au
départ sur l’analogie du cerveau et de
l’ordinateur, on s’est petit à petit rendu
compte que la mémoire fonctionnait selon
des principes complètement différents de
ceux de nos disques durs. Ainsi, on s’est
rendu compte que la mémoire n’est pas,
comme c’est le cas dans un ordinateur, un
espace matériel où les éléments seraient
stockés passivement en un lieu précis et où
l'intelligence irait les retrouver.
73 75
Bien sûr, ces réseaux de neurones peuvent être plus ou moins importants d’une C’est pourquoi, avec ces cent mille milliards de synapses, on parle souvent du
espèce à l’autre. cerveau humain comme l’objet le plus complexe de l’univers.
In Sfez, La communication.
La mouche du vinaigre
(Drosophila) en possède 200 000.
78 80
Extrait de : “Le cerveau impensable
Comme l’explique Edelman, le système génère, selon le code génétique, un
premier réseau de neurones, qui fait que le système nerveux d’une espèce a des
caractéristiques générales différentes de telle autre espèce.
Ces réseaux de neurones, plus ou moins denses selon les espèces, ont des
capacités de connexion et de réorganisation. Ils bougent, se déforment, se lient
et se délient, et échangent des signaux, le tout à grande vitesse. Ce ne sont pas
des systèmes statiques comme dans un ordinateur. Ce sont des systèmes
vivants qui naissent, se développent, puis dégénèrent au cours de la vie des
individus. 81 83
82 84
Cela signifie que, à ce niveau déjà, il
ne peut y avoir deux cerveaux
absolument identiques. Déjà dans ce
À ce niveau basique, celui de la cellule nerveuse et de ses connexions processus de mise en place de ce
synaptiques, on pourrait parler plus simplement en termes de « câblages ». Ce premier câblage, un processus
premier câblage neuronal constitue ce qu’Edelman appelle le « répertoire épigénétique est à l’oeuvre, pour
primaire » : selon lui, ces réseaux de neurones variés, ces «câblages» sont modeler ce réseau :
d’abord générés par le génome de l'individu. Ce premier "câblage neuronal"
-que ce soient des facteurs
donnera un répertoire primaire de comportements de l’espèce.
intrinsèques (interaction entre les
cellules; sécrétion de substances
chimiques : neuromédiateurs,
hormones), ou
-que ce soient déjà des facteurs
environnementaux (nutritionnels,
sensoriels, ...).
Le déterminisme du code génétique
n’est pas tout puissant; les gènes ne
85
sont pas les seuls qui commandent ! 87
Mais c’est à partir de ce répertoire neuronal de base défini par le génome (et
propre à chaque espèce) que seront ensuite sélectionnés certains réseaux de
Ici non plus, il ne faudrait toutefois pas s’imaginer que la complexité et la neurones qui répondent à des stimuli externes à l’organisme. Le premier
singularité du développement de ces premiers réseaux neuronaux et de leurs «câblage» sera en effet lui-même formé, sculpté, dans le cours même de son
connections synaptiques sont entièrement déterminés par le programme ontogenèse, en fonction des influences du milieu externe. Certaines
génétique. connections de neurones seront renforcées par la répétition de stimuli externes,
d'autres seront laissées à l'abandon et disparaîtront progressivement par
Lorsque ces câblages se mettent en place, par arborescences multiples, il existe inutilisation.
une compétition entre les neurones. Cette sélection est la conséquence de
contraintes d’ordre génétique et biophysique au cours du développement des
neurones. Cette variabilité qui échappe au pouvoir des gènes résulte notamment
de l’histoire précise des divisions et migrations cellulaires, qui ne peuvent être
exactement les mêmes d’un individu à l’autre, même si leur code génétique est
identique.
86 88
L’interaction avec le monde fait apparaître des bourgeonnements de nouvelles
synapses qui créent de nouveaux circuits du répertoire primaire et, dans le
même temps, la persistance de ce rapport au monde renforce les synapses
stimulées, favorisant ainsi le renforcement du répertoire secondaire.
Il y a donc interaction des processus d’élaboration des répertoires primaires et
secondaires. Ces deux répertoires forment les cartes cérébrales dans lesquelles
des neurones sont préférentiellement connectés entre eux.
La stimulation récurrente des connexions nerveuses renforce les synapses de Très concrètement, comme l'explique Ruffié (1976, 329), ce sont donc les
certains groupes neuronaux, alors que celles qui sont le moins stimulées stimuli du monde extérieurs qui enrichissent les connexions neuronales et
dégénèrent. permettent d'effectuer les "montages" du cerveau, de quelque espèce que ce
Si le programme génétique avait déterminé en grande partie dans un premier soit.
temps l'apparition d'un câblage neuronal avec une structure hypercomplexe et
redondante, c'est l'interaction avec l'environnement qui va sélectionner dans ce On a pu ainsi montrer qu'une différence significative dans la richesse et
second temps les connexions pertinentes au détriment des autres connexions l'expansion des dendrites du cerveau du chat se constitue selon que le jeune est
qui vont dégénérer et disparaître. En fait, ce sont les connexions les plus élevé à la lumière ou dans l'obscurité. En fait, grâce au développement de la
utilisées qui vont se renforcer et tandis que les autres vont disparaître, technique, on peut aujourd’hui “voir” la formation de ces “chemins
façonnant ainsi des réseaux de neurones propres à chaque individu. neuronaux” :
89 91
Document et commentaire trouvé in Pour la Science, Dossier Hors-série, n° 31, Avril-Juillet 2001,
La mémoire, le jardin de la pensée, p. 29.
93 95
Ce qui est globalement vrai pour l’animal l’est aussi pour l’homme. Ainsi, on a
Extrait vidéo présenté au Photo Rampon (Claire) in Rampon (Claire) : 2001. "Un stimulant pu vérifier par exemple que les chauffeurs de taxi londoniens avaient un
cours : Disneyland pour pas si ordinaire" in La Recherche Spécial : La mémoire et l'oubli.
souris « Comment naissent et s'effacent les souvenirs ». n° 344, p. 25.
hippocampe plus développé que celui d’un quidam.
98 100
Il y a pour une part un “programme génétique” qui commande la formation et
la direction des branches et de la ramure en général. Cependant, cette forme
n’agit jamais en milieu neutre. Dans son rapport à l’environnement,
notamment les vents, ce “plan initial” sera modulé, adapté, ce qui donnera une
forme singulière aux arbres, notamment, de façon très visible, à ceux qui sont
exposés aux vents dominants en bord de mer.
Les branches les plus exposées sont souvent éliminées plus vite que les autres;
Photo De Keerle/Gamma et commentaire in La Recherche, n°344, Spécial La mémoire et l’oubli, Juil.-août 2001, p. 38.
101
celles qui au contraire sont mieux protégées
103
se développent davantage.
À la place des
anciennes métapho- Ce sont des phénomènes de ce type, au niveau de la modification des réseaux
res, on pourrait propo- neuronaux, que l’on qualifie généralement de “plasticité cérébrale” (= nouvelle
ser une troisième mé- métaphore). Cette plasticité fait référence aux facultés plus ou moins
taphore du dévelop- développées d’adaptation du système nerveux selon les espèces, mais aussi les
pement des réseaux multiples aptitudes que ceux-ci peuvent développer.
neuronaux par l’ana-
logie du développe-
ment de la forme d’un
arbre exposé à des
vents dominants, tels
qu’on en observe en
bord de mer.
102 104
Ivry Gitlis, Photo P. Box/Rapho, in La Recherche, n° 289, Juillet-août 1996, p. 87.
On veut indiquer par ce concept que les réseaux neuronaux ne sont pas
donnés tout faits, de façon statique, à la naissance de l’individu. Au
contraire, c’est par l’expérience, par la stimulation plus ou moins importante
d’un organe ou d’un autre que se développeront de façon différenciée d’un
individu à l’autre les réseaux de neurones. Les incessantes réorganisations
de ceux-ci sont à l’origine de l’extrême variabilité des capacités humaines.
106 108
Ainsi il n’est plus possible de penser le développement cérébral comme un
Comme pour la sélection naturelle à programme entièrement déterminé à l’avance par la «mémoire spécifique», par
l’origine des différentes espèces telle le code génétique, ni entièrement façonné par l’expérience du sujet. Il faut
qu’elle fut décrite par Darwin, nous apprendre à penser les relations cerveau-expérience en terme de coproduction :
retrouvons donc dans la théorie du
darwinisme neuronal deux concepts clés :
en fait, il y a des dispositions de neurones et des agencements synaptiques qui
pré-existent à l’interaction avec le monde extérieur. Mais l’épigenèse exerce sa
a) la production d'une variété de formes (la sélection ceux-ci.
diversité des structures neuronales) et
110 112
Nous ne nous distinguons donc pas
vraiment de la plupart des animaux
À des degrés divers de complexité selon les espèces considérées, le par un nombre de gène plus élevé;
«programme» ou le «code» génétique n’est plus en mesure de prendre en il y a même des plantes qui ont un
compte toutes les particularités des comportements pertinents à adopter en nombre de gènes bien plus
fonction de telle ou telle configuration d’un milieu donné. imposant que le nôtre : ainsi le
maïs, avec ses 54 000 gènes a
En fait, quand on reprend l’exemple du cerveau humain avec ses 100 milliards pratiquement le double de gènes
de neurones, et ses cent mille milliards de connections synaptiques, il n’est pas que les humains !
possible qu’un nombre si astronomique de connexion puisse être totalement
déterminé par le nombre proportionnellement limité de gènes. Il faut donc bien admettre, sur base
de ces rapports mathématiques, que
Comme l’a remarqué Jean-Pierre Changeux, il est difficile de croire que la ce nombre de gènes est largement
structure du cerveau, avec 100 milliards de cellules nerveuses, comportant insuffisant pour expliquer
chacune 1 000 à 10 000 synapses, puisse être déterminée en détail par l’immense variété des caractères
seulement ± 22 000 à 25 000 gènes ! Considérant que chacun de nos 100 humains, de nos conduites
milliards de neurones établit ces 1000 ou 10 000 connexions, il est comportementales, de nos façons de
mathématiquement impossible que le génome spécifie entièrement le câblage faire, d’agir, de savoir, ... Ten Speed Press publishes the "Corn of America" poster,
available at www.tenspeed.com. (SHNS photo by
précis de tout le cerveau. Maureen Gilmer / Do It Yourself)
113 115
Ac
La mémoire individuelle est au 3
tiv
lle
est à noter que ce 6
rie
ité
contraire distribuée dans
so
4 1
n
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schéma pourra bien sûr
en
Ac
nt
s
l’ensemble du cerveau et
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Signaux internes
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me
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5
être complété ulté-
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n
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ou végétatifs
ne
sur
complètement intriquée au
ice
Ac
on
vir
l’e
rieurement en spécifi-
n
processus inné de formation de
l’e
vir
ant les types de mé-
on
de
celui-ci.
nem
n
tio
moire en jeu.
ent
Ac
117 119
Mais bien avant d’arriver à la complexité d’un cerveau comme celui des Comme on l’a dit précédemment, dans de nombreux cas, par exemple lorsqu'il
humains, avec leur 100 milliards de neurones, il faut noter, comme l’explique faut se défendre d'un prédateur, il est vital pour un organisme de pouvoir réagir
Cyrulnik (2001, 449) : en fonction d'un mécanisme préprogrammé qui guide une réponse réflexe
immédiate et automatique (circuit court) et non en fonction de boucles (circuits
"Dès qu'un organisme possède une possibilité de mémoire, il accède à la plus longs) qui exigent la construction d’une mémoire individuelle par essais et
petite unité de représentation possible en comparant ce qu'il perçoit dans le erreurs.
présent avec ce qu'il a perçu dans le passé. La simple différence constatée entre
deux perceptions fait naître un début de représentation. Mais si, dans la nature, des formes de mémoires individuelles sont apparues, on
peut supposer que la mise en place de ces boucles (circuits plus longs) avaient
En fait, l'astuce qui permet d'amplifier ce phénomène de mémoire comparative un avantage adaptatif, ou tout au moins qu'elles n'étaient pas un désavantage
repose sur des neurones qui font revenir l'information dans le système nerveux. adaptatif.
En effectuant des bouclages, ils augmentent le nombre de comparaisons
possibles, permises par l'association à un nombre croissant de connexions." On peut expliquer aujourd'hui comment chez nombre d'espèces, l'apparition de
mémoires individuelles permet à leurs membres d'avoir un comportement
mieux adapté à des environnements variables que des animaux dont le
programme génétique est plus automatique.
118 120
On s'est d'ailleurs progressivement rendu compte que des formes de mémoires On peut mettre en évidence cette mémoire rudimentaire en réalisant une
individuelles rudimentaires étaient beaucoup plus répandues dans la nature que expérience d'accoutumance ou d’habituation : si vous présentez de façon
ce que l'on croyait dans un premier temps. On peut déjà observer l'apparition répétée le même stimulus inoffensif à un organisme comme l’aplysie, vous
de formes de "mémoires individuelles" sommaires à un niveau biologique pourrez observer une diminution progressive de l’intensité, de la durée ou de la
élémentaire, chez des invertébrés parmi les plus primitifs. fréquence de la réponse à celui-ci. Cette diminution de la réponse n’est pas liée
à de la fatigue, car il suffit de présenter un nouveau stimulus pour réactiver
Par ailleurs, de façon plus générale, on distingue généralement quelques types
l’intensité de réaction. C’est donc bien la répétition du stimulus qui fait faiblir
de mémoires différentes qui sont partagées par un nombre important
la réponse de l’organisme.
d’espèces :
Exemple de l'aplysie = limace de mer ou
-conditionnement skinnérien... lièvre de mer.
-conditionnement pavlovien Mémoires
-tendance à l’alternance individuelles
-habituation (+sensibilisation) Une simulation de l’habituation chez l’aplysie peut être
observée en ligne à l’adresse : www.mnhn.fr/expo/cerveaux/
cerveau/aplysie.htm.
Système On peut donc dire qu’il y a déjà ici une forme rudimentaire de mémoire
nerveux
puisque l’organisme parvient à comparer la situation actuelle (la présentation
Ac
tiv
primitif 2
ité renouvelée d'un stimulus donné) avec ses "souvenirs" (les présentations
n
eur
o mo
tr
répétées précédentes du même stimulus ou d’un stimulus perçu comme
semblable).
ice
121 123
Système
nerveux
La mémoire la plus rudimentaire et que primitif 2
Ac
Ac
jouant à proximité) lui fait redresser la tête et
tiv
organismes. Cette forme est appelée la
ité
inspecter visuellement son environnement.
n
tendance à l'alternance. Lorsqu'un animal a
eur
om
choisi plusieurs fois de suite le premier
otr
Mais, dans la mesure où ce son n’est pas suivi d’événements qui affectent son
ice
équilibre (ni de façon agréable, ni de façon désagréable), si ce son du jouet terme d'une alternative, il aura tendance, à
réapparaît de façon répétée, on verra dans les secondes ou les minutes qui un moment donné, à choisir le second. On se
suivent que la réponse du chat (redresser les oreilles puis la tête, puis inspecter référera ici à Chapouthier (2001 : 119-20).
son environnement) décroîtra rapidement. Ce n’est pas parce que le chat est
fatigué. Car si vous déclenchez un autre bruit bizarre pour lui, le chat Ceci suppose à nouveau un certain
redressera à nouveau les oreilles. (Delacour, 1998 : 109) "souvenir" du premier terme de l'alternative.
125 127
Si chaque fois qu'on lui offre de la nourriture, on associe un stimulus perçu par
le chien, mais qui est neutre, car il ne déclenche pas par lui même de réflexes
automatiques, par exemple une sonnerie, le chien finira par saliver dès qu'il
entendra ce stimulus neutre à l'origine. Ce dernier stimulus est donc un
stimulus conditionné (SC), capable de produire une réponse, par association
répétée au stimulus inconditionnel, alors qu'il était neutre à l'origine.
129 131
3) Le conditionnement pavlovien Nous voyons donc ici aussi une forme de mémoire, qui garde le souvenir d'une
"association" entre deux stimuli.
Une troisième forme de mémoire est ce que l'on appelle le conditionnement
classique ou pavlovien. Ce type de mémoire a bien sûr des avantages sélectifs sur le plan de
l'adaptation des espèces. On peut comprendre qu'une espèce capable, par
-conditionnement skinnérien...
Mémoires
expérience individuelle, d'associer à une proie un indice préalable de sa
-conditionnement pavlovien
-tendance à l'alternance
individuelles présence, ou à un danger réel un indice qui l'annonce, a plus de chance de
-habituation (+sensibilisation) survie qu'une espèce qui ne pourrait pas se baser sur de tels indices
"mémorisés" ...
Système
L'expérience de conditionnement de
Pavlov, selon une illustration d'époque. in
Pour la Science, Les Génies de la
ité
n
eur
o mo
tr
ice
130 132
4) Le conditionnement instrumental ou « skinnerien"
Illustration in Chapouthier
(1994, 13) : Boîte de
Skinner.
-conditionnement skinnérien...
Mémoires
-conditionnement pavlovien La souris peut obtenir de la
individuelles
-tendance à l'alternance nourriture dans la
-habituation (+sensibilisation) mangeoire située derrière
elle si elle appuie sur le
levier lorsque le voyant est
allumé.
Système
nerveux
primitif 2
On peut distinguer du conditionnement
Ac
pavlovien classique le conditionnement Conditionnement skinnérien. Pour obtenir des
tiv
ité
boulettes de nourriture, une souris peut apprendre à
n
instrumental ou "skinnerien". Dans ce type
eur
om
de conditionnement, l'animal doit effectuer appuyer sur un levier (a). Pour obtenir la même
otr
ice
une certaine réponse (R) pour obtenir une récompense, elle peut aussi apprendre à choisir
récompense, qu'on considérera comme un systématiquement l’allée de droite dans un labyrinthe
"renforcement positif"; ou au contraire en forme de T (b).
pour éviter un "châtiment" que l'on nomme Illustration in Chapouthier (Georges) : 2001. "Mémoire et évolution biologique"
in Dossier pour la Science : La mémoire. Le jardin de la pensée. Paris, Pour la
"renforcement négatif". Science, p. 11.
133 135
h t t p s : / / w w w. c a i r n . i n f o / l e - c o m p o r t e m e n t -
animal--9782804107093-page-517.htm
http://www.vetopsy.fr/comportement/ethologie/ethologie-histoire-ethologie-cognitive-precognitivistes.php
142 144
Apprentissage de détour : raton laveur
Des cartes cognitives ont pu être mises en évidence chez les oiseaux, par
exemple chez le geai qui cache ses provisions pour l’hiver pendant l’automne.
Il est capable de disséminer ses réserves dans une centaine de cachettes sur son
territoire et de les retrouver quand il en a besoin :
146 148
“L’emplacement de chaque réserve est Le singes et les grands singes connaissent en effet un grand nombre de choses
mémorisé par l’intermédiaire d’une série au sujet de l’environnement et des aliments.
de repères topographiques; c’est donc à
une véritable carte mentale du territoire -Ils connaissent les aliments à consommer ou à éviter,
que le geai se réfère pour retrouver
l’emplacement de ses caches. -Ils savent où trouver des sources alimentaires dans leur domaine,
-ou la direction d’indices visibles depuis ce territoire, tels qu’une montagne Mère et petit chimpanzés qui mangent des fruits de ficus (Parc National Kibale, Ouganda). Crédit : Alain Houle /
ou la position du soleil levant.” (Hergueta,
149
1999 : 52) Harvard University / BMC Ecology image competition 2014: the winning images - Licence : CC BY
151
Des cartes cognitives très élaborées ont pu être mises en évidence également
chez les singes et les grands singes (Boyd & Silk 2004 : 236)
150 152
2) Économie d'essais en réversion
On peut aussi citer comme type de faculté cognitive permettant la mise en place
de mémoires complexes, celle qu'on appelle économie d'essais en réversion.
Dans un labyrinthe en T, on apprend à un ver, par conditionnement, à tourner à
gauche après 100 essais successifs. Si après cela, on veut que l'animal tourne à
droite (tâche de réversion) on aura beaucoup de difficultés à le faire faire à
l'animal. Le premier apprentissage rend plus difficile celui de la tâche inverse. Il
faudra faire davantage d'essais pour y parvenir.
http://www.ox.ac.uk/news/2017-11-01-chimpanzees-shown-spontaneously-taking-turns-solve-number-puzzle
Seuls quelques
-Ils retiennent des parcours à suivre pour se rendre sur animaux sont
les lieux recherchés, en se rendant d’une source de capables, lors de
nourriture à l’autre, Exemples donnés au cours : cet apprentissage
de la tache de
-Ils savent comment éviter des prédateurs... -l’orang-outan et la carte réversion, de faire
cognitive
moins d'essais Illustration in Chapouthier : 2001 : 12.
-enfant et chimpanzé et
modèle réduit de la pièce que lors de
Il est clair qu’on retrouve ces “cartes cognitives” chez l'apprentissage de
l’homme également. 153
la tâche directe. 155
Pour comprendre à quoi fait appel cette capacité, prenons l'exemple d'un enfant
à qui vous proposez de découvrir un bonbon caché sous une des deux tasses
que vous lui présentez, en le mettant toujours sous la tasse de droite. Il aura
vite compris que c'est sous celle-là qu'il doit d'abord chercher. Lorsqu'on
inversera la consigne, en mettant les bonbons sous la tasse de gauche, il suffira
à l'enfant d'un ou de deux essais pour comprendre que ce qui valait pour la
droite, vaut à présent pour la gauche.
L’enfant est donc capable de découvrir une règle cognitive qui peut s’énoncer
comme ceci : "généralement les bonbons se trouvent sous la tasse de droite"
Chapouthier a ainsi montré que contrairement à ce qui se passe pour un ver (cf.
Illustration ci-dessus), on peut mettre en évidence un apprentissage d'une règle
chez le rat (schéma ci-après).
154 156
Illustration in Chapouthier (2001a : 12)
3) Évolution des capacités Ce qui ressort de ce premier parcours sommaire des types de mémoires
mnésiques selon les espèces et animales et de ce schéma, c’est que l'apparition d'un type de mémoire plus
évolution de divers systèmes complexe, qui fait appel à des capacités cognitives plus élaborées, n'élimine
nerveux pas pour autant les formes de mémoires antérieures. On peut s’imaginer
l’esprit des animaux supérieurs, hommes compris, comme une accumulation
en mosaïque, voire en pelure d’oignon, de différents types de mémoires.
Comme on peut le pressentir à partir
des exemples ci-dessus, ces différents
types de mémoire correspondent au Merlin Donald (1999 : 154) exprime bien ceci :
développement progressif des
systèmes nerveux, depuis les “Les mammifères supérieurs se sont développés en
organismes les plus rudimentaires aux dernier; ils possèdent des cortex cérébraux élaborés et
animaux les plus développés. Ainsi, sont plus intelligents. Parce que l’évolution se construit
Chapouthier (2001b : 45) essaye-t-il toujours sur ce qui existe déjà, les derniers systèmes
de mettre en relation les six types de Illustration in Chapouthier (2001a, 9) nerveux comme ceux des primates, contiennent en leur
mémoires distingués ci-dessus avec le sein les structures archaïques de leurs ancêtres. Ainsi, le
développement d’un arbre généa- cerveau est organisé, comme un oignon, en couches qui
logique simplifié du règne animal : reflètent les étapes de son histoire évolutionniste.”
158 160
Divers schémas ont essayé de représenter cette mosaïque des capacités
cognitives qui se développent, sans annuler, mais en recomposant les formes -Le néocortex prend de l’importance chez les primates et culmine chez
de mémoires plus archaïques. Le plus célèbre de ces schémas est celui de l’humain. C’est grâce à eux que peut se développer la conscience, la pensée
MacLean (1973) qui est habituellement désigné par l’expression des “trois abstraite, l’imagination et le langage. La souplesse du néocortex permet des
cerveaux”. capacités d’apprentissage énormes qui rendront possibles, notamment, le
développement de la culture.
Il essaye d’établir des liens généraux entre
la complexification des facultés cognitives
au fil de l’évolution des espèces et Le schéma des trois cerveaux a connu un grand succès et a souvent été repris à
l’anatomie de l’appareil cérébral humain. des fins de vulgarisation scientifique. Ce modèle avait l’avantage de rendre
L’expression “trois cerveaux” renvoie aux compte et de simplifier le fait qu’effectivement le cerveau est un produit de
trois étapes de l’évolution contenues dans l’évolution et qu’il est composé de structures différentes que l’on retrouve
le cerveau humain : chez d’autres espèces.
-reptilienne (tronc cérébral et mésencéphale), Cependant, par rapport à nos connaissances actuelles, ce modèle :
-paléo-mammifère (hippocampe et cortex) - ne correspond pas à la façon dont est organisé le cerveau humain,
-primate (néo-mammifère) & humaine (néocortex) -ne donne pas une image exacte du cerveau des mammifères et des reptiles.
161 163
Ces trois composantes seraient distinctes dans leur chimie et leur structure et
seraient séparées, au niveau de l’évolution, par un nombre innombrable de
génération. (MacLean, 1974 : 187) Ainsi, par exemple, comme l’explique Dortier (2011 : 17), on sait aujourd’hui
que le cerveau reptilien ne se résume pas à quelques structures de bases. On a
-Le cerveau “reptilien”, serait le plus ancien et serait apparu chez les poissons pu mettre en évidence que les reptiles possèdent l’équivalent d’un système
il y a 500 millions d’années. Ce cerveau assurerait les fonctions vitales de limbique et un cortex (appelé pallium) comme tous les vertébrés (c’est-à-dire
l’organisme, notamment le contrôle de la fréquence cardiaque, de la la classe des animaux qui comprend à la fois les poissons, les reptiles, les
respiration, de la température corporelle et de l’équilibre. Une blessure qui oiseaux et les mammifères).
affecterait ce cerveau entraînerait une altération des comportements de
reproduction ou de défense du territoire. Il a été également bien mis en
évidence, qu’à l’instar des
-Le cerveau “limbique”, selon MacLean, serait apparu avec les premiers mammifères, certains reptiles, comme
mammifères, il y a environ 150 millions d’années, les rendant capables de le crocodile, ou des oiseaux (dont les
mémoriser des comportements agréables ou désagréables. Il serait responsable ancêtres sont les dinosaures !)
des émotions (c’est là ce qui a fortement été critiqué dans son schéma). Il serait manifestent des comportements
le centre de nos jugements de valeur, souvent inconscients. Là encore, une maternels ou parentaux développés,
maladie ou une blessure provoquerait d’étonnantes variations émotionnelles contrairement à ce qu’on aurait pu
qui iraient de l’indifférence totale à la rage incoercible, selon le lieu de attendre du «cerveau reptilien»
l’altération du système limbique. rudimentaire décrit par MacLean.
162 164
Ainsi, si l’on reprend les grands exemples d’homologie entre les membres de
différents vertébrés, on peut admettre qu’au-delà des spécialisations de ces
De même, comme on l’a vu ci-devant et membres en ailes, nageoires, pattes, bras,
comme on le montrera encore ci-après, les on retrouve une même structure
oiseaux sont capables de comportements générale composée à chaque
complexes comme le maniement des outils fois des mêmes éléments, dont
ou l’apprentissage du chant, ce qui suppose notamment : l’humérus, le
un cerveau bien plus développé que celui cubitus, le radius, le carpe, le
décrit par MacLean au niveau reptilien ! pouce, etc.
Il en va de même de
Aujourd’hui, on envisage l’évolution du cerveau de manière très différente. On l’organisation du cerveau. Un
considère que c’est la même structure fondamentale que l’on retrouve chez cerveau de baleine, de chauve-
tous les vertébrés. souris, de souris ou d’humain
sont très différents l’un de
Ce qui change, d’un ordre à l’autre ou d’une espèce à l’autre, c’est le l’autre. Cependant, dans tous les
développement relatif de telle ou telle structure. On peut établir un parallèle ici cerveaux de vertébrés, derrière
avec ce que nous avons donné comme exemple pour expliquer le principe ces différences, on retrouve une
d’homologie. structure de base commune.
165 167
Par exemple, si on prend deux cerveaux aussi différents que celui d’un requin
et d’un humain, au-delà des différences patentes, on retrouve en fait une
Lorsqu’on compare les membres structure de base identique, mais dont les différentes parties – en fait les cinq
antérieurs de plusieurs vésicules –se sont spécialisées différemment (indiquée par le code couleur).
vertébrés, comme le lézard, la
grenouille, l’oiseau, la chauve-
souris, l’humain, le chat, la
baleine, on constate évidemment
de grandes différences qui font
qu’on se retrouve tantôt avec
une patte, tantôt, avec une aile,
tantôt avec un bras, tantôt avec
une nageoire.
Ainsi, les lézards possèdent bien l’équivalent d’un cortex [le pallium] où sont
traitées les informations visuelles, olfactives ou motrices. De même, Et Cyrulnik (2001, 455-6) explique, de façon très générale : "...une donnée
l’hippocampe, important dans la mémorisation et l’apprentissage, est présent majeure émerge de la comparaison entre les cerveaux : progressivement, une
chez les oiseaux contrairement à ce que pensait P. MacLean. organisation cérébrale se met en place pour permettre à l'être vivant de
répondre à des informations absentes. Le lobe préfrontal est le support
Le schéma des “trois cerveaux” de MacLean est certainement beaucoup trop neurologique de l'anticipation. Il envoie un grand nombre de neurones qui se
simple pour refléter l’extrême complexité du cerveau humain et est à ce titre connectent à ceux du système limbique, support important des fonctions de la
facilement critiquable. 169
mémoire et de l'affectivité. 171
Ainsi, chez l’homme, le néocortex semble tellement développé, par rapport à Ainsi se met peu à peu en place cette aptitude neurologique à décontextualiser
d’autres mammifères, qu’il doit se replier sur lui-même, comme du papier une information, à se libérer des perceptions présentes pour se soumettre aux
froissé et tassé, pour tenir dans la boîte 170
crânienne. représentations que nous construisons 172
de notre passé et de notre avenir."
De même, dans la mesure où nous n’avons pas ici de nécessité impérative de
Ces nouvelles organisations du cerveau permettent à la fois les souvenirs discuter du bien fondé des correspondances anatomiques, mais que nous
(passés), les besoins (présents) et des intentions (futur). L’animal peut alors cherchons plutôt à représenter de façon “simple” une “complexification”
anticiper des événements futurs et adapter ses comportements à des situations croissante de la cognition, nous nous contenterons de compléter le “schéma en
déjà rencontrées. Il peut aussi réagir à de nouvelles situations (innovation). oignon” dont nous avons déjà décrit ci-dessus la première “couche de
mémoire”.
Exemple : sur les
“représentations absentes”, M é m o i r e s -économie d'essais en réversion...
Représentations
penser au rêve chez lez animaux Mémoires réprésentationnelles -apprentissage de détour (cartes cognitives)
et chez l’homme. individuelles Mémoires
-conditionnement pavlovien + skinnérien ...
associatives Protoreprésentations
-habituation + tendance à l'alternance
Illustration in de Bonis (Louis) : Janvier 1997. et habituation
"Contingence et nécessité dans l'histoire de la vie" in
Dossier pour la science : L'évolution. p. 27. I n f o r m a t i o n
Système cérébral le plus archaïque :
Système (perception) traitée
les réflexes et les fonctions
par un dispositif
nerveux homéostatiques = correspond à la
réflexe rigide = “bien
primitif “mémoire” spécifique, la mémoire de
faire sans rien
l’espèce.
savoir”
Ac
tiv
lle
rie
ité
so
n
eur
en s
o
Signaux internes
ité
mo
tiv
ou végétatifs
tr
ice
Ac
173 175
Mémoires
individuelles
Comportement effectif de l’individu 4) Protoreprésentations et mémoire procédurale
versus représentations et mémoire épisodique
Environnement physique,
Nous distinguons donc à présent dans notre schéma, dans la zone que nous
biologique ou social avions décrite dans le schéma précédent par le terme de “mémoires
individuelles” deux parties :
L’inconvénient de tous les schémas, comme celui de MacLean, ou celui «en - une partie, plus archaïque, qui correspond à des formes de mémoires par
habituation et par association encore largement immergées dans l’action
coin» que nous avions présenté ci-devant, c’est qu’ils sont réducteurs. Ils ne
représentent qu’une petite partie de la réalité, et encore, sous un angle limité.
-une autre, qui correspondrait aux formes de mémoire plus récentes, supposant
une complexité plus grande : des mémoires basées sur des représentations (de
Mais, l’avantage de la simplification, c’est qu’elle nous permet une première l’espace ou des règles d’actions…).
approche des phénomènes complexes. En l’occurrence, le schéma de MacLean,
au-delà de ses limites évidentes, a l’avantage de bien marquer cette idée de Nous appellerons la zone plus archaïque la mémoire des “proto-
mosaïque et de recomposition des facultés au fil de l’évolution, tout en représentations” tandis que la zone plus périphérique et plus récente, celle des
établissant des rapports sommaires avec174l’anatomie. “représentations”. 176
De même, la nidification est instinctive, mais les oiseaux plus expérimentés
M é m o i r e s -économie d'essais en réversion... construisent de meilleurs nids et en moins de temps. La plupart des
Représentations
Mémoires réprésentationnelles -apprentissage de détour (cartes cognitives) modifications comportementales se produisent à la suite d'un tâtonnement.
individuelles Mémoires
-conditionnement pavlovien + skinnérien ...
associatives Protoreprésentations
-habituation + tendance à l'alternance
et habituation Dans les poulaillers, les poussins picorent
Système cérébral le plus archaïque :
I n f o r m a t i o n instinctivement les petits cailloux au sol, puis, à force
(perception) traitée
Système les réflexes et les fonctions
par un dispositif
d’expérience, ils se mettent à picorer seulement des
nerveux homéostatiques = correspond à la
“mémoire” spécifique, la mémoire de
réflexe rigide = “bien graines comestibles.
primitif l’espèce.
faire sans rien
savoir”
Ac
tiv
lle
On peut également citer, chez les mammifères, le
rie
ité
so
n
eur
Signaux internes
ité
otr
ou végétatifs
ice
Ac
Certes, comme nous l’avions fait en un premier temps, certains auteurs ont
tendance à étendre la notion de représentation à tout type de mémoire L'instinct et l'apprentissage sont bien souvent complémentaires. L'instinct est
permettant de comparer par des boucles ce que l’organisme perçoit dans le vital quand on manque d'expérience, puis l'apprentissage affine le
présent avec ce qu’il a perçu dans le passé. comportement et le rend plus efficace.
Cependant, on admettra, même intuitivement, que l’on ne peut véritablement On peut alors voir une bonne partie de l'apprentissage, non pas comme
parler de “représentations”, au sens fort, que lorsqu’il y a au moins des “cartes l’acquisition de “représentations” au sens fort, mais comme la capacité de
cognitives”. On a du mal à imaginer qu’une aplysie ait vraiment des moduler des schèmes de comportements moteurs innés grâce à l'expérience,
“représentations”. On préférera donc parler de “protoreprésentations” au niveau pour mieux les adapter aux circonstances changeantes de l’environnement.
de ces mémoires qui ne relèvent que de conditionnements sommaires liés à
l’action. Ceci est vrai également pour une grande part des comportements humains.
En effet, on peut considérer que bien des apprentissages consistent seulement à Chez l’homme aussi, en effet, de nombreuses séquences comportementales
lisser, par l’expérience, des séquences innées de comportement. motrices ou perceptivo-motrices peuvent être rapprochées de cette mémoire
élémentaire que l’on voit à l’oeuvre dans le monde animal.
Un oisillon sait instinctivement comment battre des ailes pour voler, mais il a
encore un apprentissage à faire pour manœuvrer habilement et pour atterrir en
douceur. 178 180
Ainsi, lorsque nous essayons de prendre
un verre, nous tendons la main et, sans que En fait, on pourrait, grosso-modo, faire correspondre
nous ayons à y penser, nos doigts bon nombre des apprentissages repris ci-dessus sous
s’écartent d’une distance qui correspond l’appellation de “proto-représentations” à la mémoire
presque exactement à la taille du verre procédurale décrite en psychologie humaine. Pour
pour le saisir. Si nous voulons prendre une apprendre à marcher, à monter un escalier, à tenir en
bouteille, l’angle formé par le pouce et les équilibre sur une bicyclette, à nager; pour apprendre
autres doigts sera plus large, mais à peine à lancer un projectile de façon précise, ou même
de quelques millimètres de plus que la jouer du piano ou lire un texte, etc... nous avons dû
taille de la bouteille. On n’ouvre la main faire bien des apprentissages.
ni trop largement, ni trop étroitement. Ce
simple geste suppose une sorte de “proto- Mais ces “savoir-faire” sont enregistrés de façon à ce qu’ils deviennent des
représentation” du geste à accomplir, une sortes d’automatismes que nous accomplissons généralement “sans y penser”.
“représentation motrice” qui précède Il s’agit là de schémas d’action que nous ne pouvons apprendre qu’en tombant,
l’action et reste largement non consciente nous redressant, en avalant des “tasses” (à la piscine), en trébuchant sur des
(cf. Jeannerod, 2003 : 45). mots ou des expressions peu familiers (“les chemises de l’archiduchesse sont-
elles sèches...”) et en faisant bien des fausses notes... Mais surtout, en
181
recommençant encore et encore. 183
Cependant, il ne s’agit pas ici d’un simple acte réflexe car il a dû être appris, Par ailleurs, la mémoire procédurale est celle qui se manifeste par des
lissé, modulé par l’expérience. performances plutôt que par un rappel conscient. Elle correspond à ce qu’on
appelle couramment l’habitude. Comme l’explique Eustache (2003 : 43-6) :
Regardez jouer un jeune enfant, il
essaie de s’asseoir, d’avancer en “La mémoire procédurale permet d’acquérir des habiletés progressivement,
rampant, puis de marcher à quatre avec de l’entraînement (c’est-à-dire de nombreux essais), de les stocker et de
pattes. À force de tâtonnements, il les restituer sans faire référence aux expériences antérieures.
apprend à coordonner de mieux en
mieux ses mouvements. En explorant Elle s’exprime dans l’activité du sujet et ses contenus sont difficiles à
l’espace qui l’entoure, en saisissant verbaliser.
des objets, en les inspectant, en
essayant de les faire fonctionner, en La mémoire procédurale est chargée de l’acquisition et de la restitution
les jetant, ... d’habiletés, d’expertises, qu’elles soient motrices, verbales, cognitives. Elle
… il inscrit ces “représentations motrices”, ces “proto-représentations” dans est indissociable de l’action (…) La mémoire procédurale est caractérisée par
son cerveau, sous forme de “schémas neuronaux”. un fonctionnement automatique et rigide.
Enfin, son expression est implicite, c’est-à-dire que nous l’utilisons sans avoir
conscience de faire appel à notre mémoire. (...)
182 184
La mémoire procédurale est très impliquée dans les tâches
de tous les instants. Elle sous-tend de multiples activités que Comme l’explique Donald (1999 : 162) :
nous réalisons chaque jour; elle nécessite peu de ressources
attentionnelles (...). En conduisant notre voiture, nous “La mémoire épisodique, comme son nom l’indique, est la mémoire des
pouvons soutenir une conversation; mais la discussion épisodes particuliers d’une vie, c’est-à-dire des événements avec la
s’arrête dès que les aléas de la route imposent une localisation particulière dans le temps et dans l’espace. Ainsi, nous pouvons
manoeuvre particulière.” nous rappeler les particularités d’une expérience, l’endroit et le temps, les
couleurs et les odeurs et les voix du passé.”
On le voit, ce genre de mémoires par conditionnements est trop “atomisé”, trop De tels souvenirs sont riches en contenus perceptifs particuliers. Le trait
lié au “schéma d’action” pour qu’il puisse y avoir une véritable représentation. important de ce type de mémoire est sa nature concrète et perceptive et sa
rétention de détails épisodiques spécifiques. La charge émotionnelle vécue par
Notons enfin, avec Eustache (2003 : 46) que si cette mémoire procédurale est le sujet au moment des faits conditionne la qualité de la mémorisation
omniprésente chez l’homme dans de multiples aspects de nos existences, épisodique.
parfois même en lien avec des compétences complexes (articuler les mots On constate en effet qu’il y a une puissance émotionnelle du souvenir qui est
d’une langue, jouer d’un instrument de musique…), cependant, cette forme de considérable : un souvenir peut nous rendre gai ou nous faire pleurer, nous
mémoire peut être considérée comme : « relativement archaïque et son rendre fier ou honteux, nous donner confiance ou nous stresser… En fait, notre
existence est décrite chez différentes espèces, y compris chez des animaux mémoire épisodique, par ce va-et-vient incessant du passé au futur est ce qui
primitifs. » 185
construit notre identité humaine individuelle.
187
La mémoire épisodique comprend ainsi le fait précis (quoi ? Patricia est scène, avec tous les détails phénoménologiques et propositions.”
l’émotion du moment. »
venue), le contexte spatial (où ? chez nous à la maison), le contexte temporel
(avant la fête de Noël trois ans auparavant).
186 188
L’exemple typique de la mémoire épisodique est celui de la
madeleine relaté en 1913 par Marcel Proust dans À la
recherche du temps perdu. Lorsqu’il goûte un morceau de
madeleine trempé dans du thé c’est un souvenir précis de
son enfance qui remonte en lui : On peut comprendre ceci par une exemple : « pour apprendre à attraper une
balle, on doit acquérir le principe selon lequel on suit la trajectoire d’un objet
“Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, qui se déplace sans accorder d’importance à la vitesse de l’objet, au point de
c'était celui du petit morceau de madeleine que le départ ou à sa position initiale au moment où il est lancé. Il serait
dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne encombrant de mémoriser la vitesse exacte, le point de départ et la position
sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui Exemple ; Proust de chaque capture réussie; il est peu probable en pratique que les
dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait remonte au temps de caractéristiques particulières d’un nouveau lancé se répètent. Ainsi,
son enfance.
après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul.” apprendre une procédure, même à ce niveau, implique de régler des
paramètres et de construire des règles générales. » Donald (1999 : 163)
Par contre, se souvenir de quand j’ai joué au tennis la dernière fois, avec qui,
189
en quelles circonstances relève d’une mémoire
191
tout à fait différente.
190 192
Ces mémoires sont à ce point différentes qu’on peut supposer qu’elles reposent
sur des mécanismes neuronaux très différents et il est donc certain que ceux-ci
se seraient développés plus ou moins séparément. Comme l’explique Donald
(1999 : 163) :
En effet, si cette mémoire épisodique a d’abord été décrite chez l’humain chez
qui elle est souvent bien mise en évidence par les formes linguistiques grâce
auxquelles ces mémoires sont partagées, on a pu repérer des formes de
mémoire épisodique chez divers animaux, en particulier chez les mammifères
et les oiseaux.
En fait, notre geai n’a pas seulement des schémas d’action conditionnés par
l’expérience immédiate de ses récepteurs, il a aussi une certaine vue d’un
monde avec un horizon plus large et une temporalité qui ne se limite pas au
197
strict présent. 199
Comme l’explique Hergueta (1999 : 51) le traitement des informations visuelles On a d’ailleurs pu faire l’expérience sur certains oiseaux de cette différence
du geai : entre “mémoire procédurale” et “mémoire épisodique” au niveau des dispositifs
neuronaux.
“repose sur la discrimination de catégories d’objets regroupés par leurs
ressemblances, tant sur un plan purement descriptif (forme, couleur, texture...) Ainsi, si l’on détruit un noyau déterminé de leur cerveau, ils peuvent perdre
que sur un plan contextuel (temporel, social...). Ce sont en effet de telles leur chant (c’est à dire une forme de mémoire procédurale);
caractéristiques qui sont mémorisées, conduisant le cerveau à construire des
images mentales subjectives des objets. Ces systèmes cognitifs intègrent à la si on détruit un autre noyau de leur cerveau, on peut leur faire perdre la capacité
fois des souvenirs (passé), des besoins (présent) et des intentions (futur), ce qui à cacher et à retrouver de la nourriture telle que nous l’avons décrite pour le
geai (ce qui correspond à une forme de mémoire épisodique). (Donald, 1999 :
permet à l’animal d’anticiper des événements futurs et de mettre en oeuvre des
163).
comportements adaptés à des situations déjà rencontrées. Ils lui permettent
aussi de réagir à des situations nouvelles (innovation).”
Aussi, à la suite de Donald (1999 : 162), on peut considérer que :
On devine ici la mémoire épisodique correspond largement à ce que nous avons “La mémoire procédurale est assez différente et structurellement plus
décrit comme mémoire basée sur des représentations. On voit mal une mémoire archaïque que la mémoire épisodique. Pour la plus grande part, les
épisodique sans véritables représentations spatiales et temporelles. Un simple connaissances procédurales peuvent être vues comme les composantes
conditionnement opérant ou associatif est trop “atomisé”, trop lié au “schéma mnémoniques de patterns d’actions sans aucun rappel épisodique détaillé; la
d’action” pour qu’il puisse y avoir une véritable représentation. Il permet certes mémoire procédurale implique le stockage d’algorithmes ou de schémas qui
une mémoire procédurale, mais pas une198mémoire épisodique. sous-tendent l’action.” 200
On remarquera que l’archaïsme de la mémoire procédurale peut être représenté « À l’opposé, les représentations détachées concernent des objets ou des
par la schématisation “en oignon” que nous avions proposée, en la situant au événements qui ne sont ni présents, ni même déclenchés par des indices
plus proche du système nerveux primitif. La mémoire épisodique, supposant récents. Un bon exemple de représentation détachée est le souvenir de quelque
de véritables représentations, serait plus récente. C’est pourquoi elle est chose de complètement indépendant du contexte dans lequel ce souvenir a été
représentée de façon plus périphérique. Mais rappelons que cette disposition créé.
n’est que schématique et n’est pas transposable comme telle à l’anatomie
cérébrale. Considérons le cas d’un chimpanzé
effectuant la séquence d’actions
-économie d'essais en réversion...
M é m o i r e s
-apprentissage de détour (cartes cognitives)
Représentations suivante : il s’éloigne d’une
Mémoires réprésentationnelles
individuelles Mémoires termitière, casse une brindille, en
-conditionnement pavlovien + skinnérien ...
Protoreprésentations
associatives
et habituation
-habituation + tendance à l'alternance enlève les feuilles afin de fabriquer
un bâton, retourne à la termitière et
I n f o r m a t i o n
Système cérébral le plus archaïque :
Système les réflexes et les fonctions
(perception) traitée utilise le bâton pour « pêcher » les
par un dispositif
nerveux homéostatiques = correspond à la
réflexe rigide = “bien
termites. Un tel comportement serait
“mémoire” spécifique, la mémoire de
primitif l’espèce.
faire sans rien très difficile à expliquer sans avoir
savoir”
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Photo : http://planete.gaia.free.fr/animal/ethologie/
chimpanzé possède une
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abc.culture.chimpanze.html
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Signaux internes
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ou végétatifs
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de son utilisation. »
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Ac
201
201 203
« L’existence d’une telle capacité implique que l’on soit capable de mettre en
-économie d'essais en réversion... Représentations
-apprentissage de détour Représentations Mémoire épisodique sommeil les sensations que l’on reçoit dans l’instant. Si on ne les supprimait
(cartes cognitives) détachées
pas, ces sensations entreraient en conflit avec les représentations détachées.
-conditionnement pavlovien
-conditionnement skinnérien Représentations Lorsque l’on pense à l’avenir, que l’on songe au passé, que l’on se projette
Protoreprésentations Mémoire procédurale
-tendance à l'alternance
-habituation …
réponses dans ses pensées intérieures, le monde environnant est provisoirement mis à
l’écart. C’est le lobe frontal du cerveau qui est impliqué dans la planification
des tâches, de l’imagination et des « fonctions exécutives » responsables du
Une autre manière encore de décrire ces distinctions de façon plus ou moins
contrôle de soi. Il se trouve que le lobe frontal est la partie du cerveau qui
parallèle à celle proposée par Tulving, est celle proposée par Mathias Osvarth
s’est développée le plus rapidement lors de l’évolution des hominidés. »
et Peter Gärdenfors (in Dortier 2015 : 106-7), entre les « représentations
réponses » et les « représentations détachées » :
Il dispose ceux-ci dans diverses cachettes et attend l’arrivée du public vers 11h
5) Des mammifères aux grands singes : l’apogée de l’esprit épisodique
du matin.
Si l’on a pu établir que chez les vertébrés, on retrouve des formes complexes
de représentations, en particulier des cartes cognitives, tant chez les oiseaux
que chez les mammifères, essayons de décrire à présent, de façon générale, ce
que permettent, sous forme de comportements, ces mémoires “épisodiques” ou
ces « représentations détachées ».
« La capacité de se remémorer le
passé et imaginer le futur repose en
partie sur la mémoire épisodique,
responsable de souvenirs précis. Les
psychologues ont réussi à montrer
que l’anticipation –soit
l’imagination du futur possible–
s’appuie en grande partie sur la
projection de blocs de souvenirs.
Ces capacités d’anticipation de Santino sont évidemment fascinantes et nous “Nous disposons de nombreuses données expérimentales qui nous permettent
interpellent, dans la mesure où nous pouvions croire que ces comportements de penser que les mammifères n’acquièrent pas ces compétences de manière
étaient essentiellement humains. béhavioriste, en se bornant à faire correspondre des stimuli et des réponses,
ou en faisant simplement appel à une sorte de mémoire du “par coeur” : ils
Cependant, tout en étant une belle illustration de ces capacités d’anticipation et parviennent effectivement à comprendre et à se représenter l’espace et les
donc de l’importance de la mémoire épisodique chez les grands primates, pour objets de manière cognitive (cela vaut également pour les catégories et les
les éthologues et primatologues, elles sont un peu moins inattendues que pour quantités), ce qui rend possibles les déductions créatives et la résolution de
un public non averti. problèmes.”
213
autres mammifères (cétacés non compris).215
cognitives
-se souvenir “où” se trouve “telle chose” dans leur environnement immédiat,
quels fruits par exemple se trouvent dans quels arbres (et à quel moment);
-résoudre un problème en faisant preuve de perspicacité” Lorsque le volume cérébral est mis en rapport sur un tableau avec le poids du corps (ou masse corporelle) pour divers
groupes d’animaux, la plupart des points pour chaque groupe se situe le long de lignes séparées. Par rapport à une
taille du corps donnée, les primates ont des cerveaux plus grands à toutes les autres espèces. Les reptiles au contraire
ont les plus petits cerveaux. Notons que les deux axes sont tracés sur des échelles logarithmiques : la relation entre
taille du cerveau et taille du corps est en fait courbe, ce qui indique que la taille du cerveau ne croît pas tout à fait à la
même vitesse que la taille du corps. Mettre en tableau les données d’une relation curviligne sous forme logarithmique
produit une ligne droite qui permet de voir plus clairement les rapports. (cf. Dunbar, 1996 : 57).
214 216
Pourquoi les primates ont-ils hérité de
cerveaux plus gros et de mémoires
épisodiques plus développées ? En effet, on peut imaginer une forme de sélection naturelle conduisant à la
croissance cérébrale comme suit :
Mais à quelles types d’adaptations précises B. Ils arrivent à mieux se nourrir que les autres. Ce genre de capacité peut
peut correspondre cet accroissement signifier pour ces individus un meilleur potentiel de reproduction et donc...
cérébral des primates ?
C. la transmission et la multiplication de ce trait “gros cerveau” permettant la
En fait, il existe, surtout par rapport aux cartes cognitives, une thèse
mise en oeuvre de cartes cognitives complexes.
écologique, qui essaye d’expliquer la croissance du cerveau chez les primates
en la mettant directement en relation avec le type d’environnement forestier
dans lequel les primates ont été amenés217à vivre. Elle consiste à expliquer que : 219
A. Les primates se nourrissent essentiellement de fruits. Or, ceux-ci ne Tomasello (2004 : 20) rappelle que,
peuvent être trouvés que a) sur des territoires étendus, et b) à des moments en matière sociale, “tous les
différents (les fruits ne mûrissent et ne sont comestibles qu’à certaines mammifères vivent parmi des
époques et durant une courte durée). congénères reconnus
individuellement comme tels, avec
lesquels ils entretiennent des
B. Ceci a nécessité de la part des primates a) une meilleure mémoire de relations à la fois verticales
l’espace que pour d’autres espèces (cartes cognitives) et b) une meilleure (systèmes de dominance) et
mémoire des rythmes de l’apparition des fruits. horizontales (les affiliations) (...).
On serait donc entré ici dans une spirale ascendante : les cerveaux pouvant le
mieux développer une intelligence sociale sont favorisés, mais la société étant
composée d’individus ayant des capacités sociales de plus en plus développées, Si l’on considère, à la suite de Donald (1999 : 164) que : “L’apogée de la
la complexité de ces sociétés peut s’accroître. Dans cette complexité culture épisodique, la culture des grands singes, marque le point de départ de
croissante, ce sont les plus malins socialement qui l’emportent encore, et ainsi l’épopée humaine” il serait intéressant de chercher à savoir si les hommes
de suite... il y a un boucle amplificatrice : n’auraient pas développé des formes de mémoires représentationnelles
complexification de la société, accroissement cérébral, complexification de la nouvelles qui pourraient expliquer le développement prodigieux de notre
société, etc. qui peut croître jusqu’à un niveau non négligeable. évolution culturelle depuis les singes.