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Pour plusieurs raisons, la conscience humaine est très difficile à définir. Elle pose en
particulier à la science un problème différent dans sa nature de l’explication de
phénomènes physiques comme la chute des corps, la photosynthèse ou la fusion nucléaire.
Cette différence, on l’a caractérisée de différentes façons par plusieurs dichotomies.
Le sentiment d'être On a noté son caractère ineffable, c’est-à-dire qu’on ne pouvait en rendre compte
soi convenablement dans les termes du langage, contrairement aux propriétés des
phénomènes physiques qui peuvent être exprimés avec précision en terme de masse ou de
température.
Dans un article de 1974 intitulé « Quel effet cela fait d’être une chauve-souris ? » ("What is
it Like to Be a Bat?", en anglais), le philosophe Thomas Nagel, a voulu mettre en évidence
ces propriétés subjectives de l’expérience consciente humaine.
Rythmes, douleur et
conscience chez les
invertébrés
L’idée de Nagel était de montrer que comme les humains sont incapables d’écholocation, ils
Un « cyborg » qui entend plus
ne pourront jamais ressentir subjectivement « l’effet que cela fait » de s’orienter ainsi. Les
que ce que nous voyons
chauves-souris ne perçoivent peut-être pas l’écholocation comme des sons, mais
Notre conscience subjective et directement comme des objets perçus (un peu comme la vision ne nous fait pas percevoir
les modèles pour l’expliquer des ondes électromagnétiques mais des objets lumineux), mais ça, nous ne le saurons
jamais…
De l’excitabilité membranaire
à la conscience subjective
Et c’est exactement ce que l’on veut dire par le côté subjectif de l’expérience consciente
L’approche sensorimotrice de comparé à son côté objectif qui correspond ici à la physique acoustique de l’écholocation.
la conscience Une physique acoustique qui peut, contrairement à son aspect subjectif, être décrit et
compris par nous. Nagel en conclut que la science nous a appris beaucoup de choses sur
La conscience : partout sur le
le fonctionnement du cerveau de la chauve-souris, mais pas « ce que cela fait » d’être une
web, et partout tout court ?
chauve-souris…
Des aveugles qui « voient »
par écholocation ! Cet aspect subjectif de « ce que cela fait » d’avoir tel ou tel état conscient, on le nomme
aussi l’aspect phénoménologique de la conscience. On parle également de «qualia» (le
Trois séances sur le cerveau à pluriel de «qualium» ou «quale») pour désigner plus spécifiquement toutes les impressions
l’UPop Montréal
prochainement ! directes que nous avons des choses.
Une protéine cryptochrome à Les qualia sont l’aspect expérienciel immédiat des sensations, ce que l’on peut
l’origine de la maladroitement traduire par «la rougeur particulière du rouge d’une pomme», le «mordant
magnétoréception chez les
oiseaux d’une morsure» ou la «froideur de la glace». Certains étendent même le concept de qualia
à nos désirs et nos pensées les plus élémentaires.
Une école d’été sur la
sensibilité et la cognition Les problèmes que posent les qualia à l’étude scientifique de la conscience ont amené le
animale
philosophe David Chalmers à distinguer ce qu’il appelle le problème « difficile » de la
Les cerveaux souvent conscience, par opposition aux autres problèmes « faciles ».
étranges des autres animaux
Le cerveau, comme la
science, est prédictif (ou
bayésien)
Certains, comme le
philosophe Daniel
Dennett, tentent même
de nous convaincre que
ce qu’on nomme les
qualia, au fond, ça
n’existent tout
simplement pas. Car s’il
est difficile de nier
l’existence de quelque
chose de très général
comme « l’expérience
subjective », le terme
qualia, plus précis et issu
du jargon des
philosophes, prête
davantage le flanc à la
critique.
La recherche biologique
qui eut cours au XXe
siècle discrédite
l’existence de forces Ainsi, pour les tenants de la théorie du double aspect, notre cerveau peut nous apparaître
mentales aux propriétés comme quelque chose de physique quand nous le regardons de l’extérieur en tant qu’objet
distinctes des forces mais comme quelque chose de « mental » lorsqu’on l’examine de l’intérieur (par
physiques. Durant ce
introspection) en tant que sujet. Exactement de la même façon que les physiciens peuvent
siècle de recherche ayant
permis une parler de la lumière à la fois comme une onde et à la fois comme une particule, le corps et
impressionnante collecte l’esprit ne seraient que les deux côtés de la même médaille. La distinction séculaire entre le
de données sur les corps et l'esprit pourrait alors n'avoir été qu'un artéfact de perception.
circuits neuronaux du
cerveau et leur Le mouvement de neuro-psychoanalyse, qui tente d’intégrer les données des
fonctionnement, rien n’a
neurosciences et de la psychanalyse en vue de mieux comprendre la conscience humaine,
pu être décelé comme un
indice de la présence de repose sur cette position théorique du « double aspect ».
causes mentales
séparées. L’autre grande interprétation matérialiste quant à la nature de l’esprit est la théorie de
l’identité psychophysique. Elle postule qu’il y a une identité entre les états conscients
Si certains éminents d’une personne et les états physiques de son cerveau. Contrairement à la théorie du double
neurobiologistes comme
John Eccles ou Roger aspect, la nature subjective et objective de la conscience ne peut pas être considéré
Sperry ont défendu l’idée comme deux aspects différents de la même chose puisqu’il s’agit d’une seule et même
que l’esprit conscient chose. En d’autres termes, on peut réduire complètement les états mentaux à des états
était séparé du cerveau
et pouvait parfois exercer
physiques, comme on peut réduire l’eau à sa formule chimique H20.
une influence
indépendante sur ses La difficulté devient alors évidemment d’expliquer comment l’objectif et le subjectif, le
opérations, la majorité cerveau et l’esprit, peuvent être identiques considérant qu’ils ont l’air si différents. Deux
des neurobiologistes du formes d’identités différentes, l'identité " type à type " et l'identité " token à token ", ont été
début du XXIe siècle
proposées. Elles conduisent à deux variantes du matérialisme réducteur, une première au
refusent l’idée de causes
mentales séparées du sens fort, et une seconde au sens plus faible.
monde physique.
Le matérialisme dit éliminativiste, version encore plus radicale des deux précédentes,
ainsi que le fonctionnalisme matérialiste, tentent eux aussi de contourner les difficultés
inhérentes au matérialisme tout en acceptant sa prémisse de base, à savoir qu’il n’y a que
de la matière.
Pour d’autres enfin, le problème de la conscience humaine va tout simplement au-delà des
possibilités de la compréhension humaine. La position mystérienne, dont le représentant le
plus connu est le philosophe Colin McGinn, refuse de croire que notre vision subjective des
couleurs, par exemple, soit identique à l’activité d’une population de neurones dans
certaines régions du cortex. Mais en même temps, ces philosophes anti-matérialistes ne
veulent pas retourner au dualisme.
Ils affirment donc que la conscience est un mystère et qu’il en est ainsi parce que nos
concepts sur le monde mental et physique sont trop grossiers pour aborder de façon
éclairante le problème de la relation du corps et de l’esprit. Un peu comme les singes ne
feront jamais de calculs différentiels : cela nécessite des concepts qui sont inaccessibles à
leur cerveau. De fait, chaque espèce a des capacités cognitives limitées. Et la
compréhension de la conscience nécessite peut-être des notions qui nous sont
inaccessibles.
Les matérialistes trouvent que les mystériens ont abdiqué trop vite et ne basent leur
conclusion que sur leur incrédulité devant la possibilité que la matière grise du cerveau
puisse constituer le monde aux couleurs éclatantes que nous expérimentons chaque jour.
Certains pensent par exemple qu’une façon de rendre l’identité conscience-matière moins
contre intuitive est d’utiliser de nouveau concepts issus des neurosciences cognitives
lorsque nous pensons à l’aspect phénoménologique de la conscience.
Entre 1946 et 1953, alors que le behaviorisme dominait encore la psychologie, la fondation
Macy organisa à New York et à l'Université Princeton, au New Jersey, une série de
rencontres avec des spécialistes de nombreuses disciplines allant des mathématiques à la
psychologie, en passant par l’anthropologie, la sociologie et la neurobiologie.
Les Wiener, Shannon, Mc Culloch, von Foerster ou von Neumann qui participaient
régulièrement à ces réunions revendiquaient très clairement leur caractère pluridisciplinaire.
Cette approche s’avéra des plus productives et ce que l’on nomme aujourd’hui les
"Conférences Macy" donnèrent naissance au mouvement cybernétique. Définie comme la
science générale de la régulation et des communications dans les systèmes naturels et
artificiels, la cybernétique étudie comment circule l'information.
Plusieurs biologistes, comme Henri Laborit ou Henri Atlan, ont beaucoup été influencé par
Notre conscience subjective et • et l’approche de construction globaliste ou systémique, du bas vers le haut («bottom
les modèles pour l’expliquer
up», en anglais).
Parler-agir avec un corps-
cerveau Ces deux approches, plutôt complémentaires que contradictoires, allaient donner naissance
aux deux grands courants qui se développèrent par la suite dans les sciences cognitives,
Notre corps à l’origine de c’est-à-dire respectivement le cognitivisme et le connexionnisme.
notre compréhension du
langage
Les ordinateurs développés durant la Seconde Guerre mondiale, bien qu’encore très lents,
L’activité endogène du inspirèrent néanmoins grandement l’approche cognitiviste (ou computationnelle). La
cerveau force à repenser métaphore classique de l’ordinateur pour décrire l'esprit humain, dont on connaît
plusieurs phénomènes
aujourd’hui les limites (voir capsule outil à gauche), amène ainsi les cognitivistes à
Comment fonctionne le
considérer que les éléments du monde extérieur sont traduits en représentations internes,
«cerveau» d’AlphaGo ? exactement comme le font les ordinateurs.
« La cognition incarnée »,
séance 1 : Survol historique Ce paradigme central du cognitivisme allait dominer les sciences cognitives à partir du
des sciences cognitives et milieu des années 1950, et pendant près de 30 ans. Comme l’a soutenu Jerry Fodor, élève
présentation du cours
d'Hilary Putnam : penser, ce serait manipuler des symboles, et la cognition ne serait rien
« Intelligence artificielle » :
de plus que la manipulation de symboles à la manière des ordinateurs. De là découleront
périls (déjà) en la demeure ? les approches dites fonctionnalistes inspirées par les travaux de Fodor : l’esprit est organisé
en modules spécialisés qui peuvent être mis en place sur d’autres supports comme les
ordinateurs. C’est le fameux concept « de la réalisation multiple ».
Modèles et concepts en À partir du moment où les états mentaux sont vus comme le « software » d’un ordinateur et
neuroscience le cerveau comme le « hardware », la simulation et la modélisation informatique devint un
Recherche spécialisée versus
moyen tout désigné pour étudier le fonctionnement de l'esprit humain. C’est ce qu’on a
démarche multidisciplinaire appelé « l’intelligence artificielle » (ou IA) (voir l’encadré). Le philosophe John Searle
distingua deux niveaux de radicalité dans l’IA. Avec l’IA « forte », pour être intelligente, il
Recherche spécialisée versus suffirait à une machine d’avoir simplement le bon programme. Searle a porté un coup dur à
démarche multidisciplinaire
cette version avec son argument de la chambre chinoise.
Le mathématicien anglais Pour l’IA « faible », les ordinateurs ne peuvent que simuler l’esprit. Peu importe leur
Alan Turing (1912-1954) puissance de calcul, ils ne pourront jamais créer une vraie intelligence ou une véritable
pensait qu’on arriverait
conscience. Les ordinateurs des météorologues ont beau pouvoir simuler avec une grande
assez vite à programmer
un ordinateur pour lui précision le développement des ouragans, jamais ils ne nous mouilleront ou détruiront nos
donner des états maisons…
conscients. Pour
déterminer quand cela Le cognitivisme, inspiré par le fonctionnement de l’ordinateur qui manipule des symboles
sera atteint, il avait mis sans en interpréter le sens, est contraint de réduire le cerveau à un simple appareil
au point un test qui porte syntaxique et non sémantique. Voilà une position qui, sur le plan épistémologique, prête
aujourd’hui son nom. Le
« test de Turing » pose
flanc à plusieurs critiques.
que l’on est en relation
avec un être que l’on ne C’est dans ce contexte que va se développer, durant les années 1980, l’autre grand courant
voit pas par des sciences cognitives, le connexionnisme.
l’intermédiaire d’un
dispositif à distance,
comme le courrier ou le
courriel par exemple. La
que ce ne soit que la extraire de l’information. C’est contre cette métaphore tenace d’un agent cognitif qui ne
simulation d’une saurait survivre qu’en possession de la carte d’un monde extérieur que Francisco Varela a
conscience, rétorquent
élaboré sa théorie de l’énaction.
les sceptiques et adeptes
de l’IA faible (voir le texte
ci-contre). Ou que la
question ne soit, au fond,
pas plus intéressante que
Contrairement à l’intelligence artificielle traditionnelle où toutes les opérations devaient être écrites
de se demander si un
à l’avance par un programmeur, les réseaux de neurones artificiels ne sont pas programmés,
sous-marin peut nager,
mais plutôt entraînés. Et pour bien des tâches, comme la reconnaissance des visages, cela s’est
comme le faisait
avéré une approche fructueuse.
remarquer l’informaticien
hollandais Edsger Il est en effet très difficile de définir des règles explicites sur la manière dont nous procédons pour
Dijkstra… reconnaître si facilement une caractéristique comme la sexe d’une personne à partir de son visage.
Avec l’approche connexionniste, on obtient de bien meilleurs résultats. Il s'agit dans un premier
temps de montrer au réseau de neurones artificiels une série d'images de visages dont on veut
connaître le sexe. Ensuite, en lui signifiant les erreurs commises dans la détermination du sexe, le
réseau de neurones va ajuster l’efficacité des connexions de ses circuits pour corriger ses erreurs
et tendre ainsi vers de plus en plus de réponses exactes.
Dans le cas qui nous intéresse ici, un réseau minimal pourrait être constitué de trois couches de
neurones, chaque neurone pouvant faire des connexions à plusieurs autres de la couche suivante.
La première couche devrait avoir un grand nombre d’éléments pouvant correspondre de façon
assez précise aux zones foncées et claires des photos. Et la troisième couche, celle de la sortie,
que deux éléments correspondant aux deux sexes. Entre ces deux couches, un nombre
indéterminé d’éléments dont l’efficacité des connexions avec les éléments des deux autres
couches peut être ajustée durant le processus d’entraînement.
Si les photos d’entraînement sont bien choisies, le réseau peut reconnaître correctement le sexe de
nouveaux individus dont on lui présente les photographies. Et ce, même si les programmeurs ne
peuvent alors dire dans les détails comment le réseau trouve les bonnes réponses. Car
contrairement aux logiciels traditionnels, les réseaux connexionnistes ne font pas uniquement ce
que leurs programmeurs leurs disent. Ils inventent eux-mêmes une partie de la stratégie gagnante.
L’avènement des neurosciences comme une discipline importante des sciences cognitives
a progressivement montré les failles du modèle classique de la conscience. Ainsi, les
données de l’imagerie cérébrale et de bien d’autres expériences ne s’accordent pas du tout
avec l’idée que tous nos processus mentaux sont consciemment accessibles, que la
conscience jaillit en un point du cerveau suite à une perception transparente du monde, et
que nos comportements ont pour cause suffisante des intentions consciemment
accessibles.
"L'idée qu'il existerait un centre spécial dans le cerveau est la plus mauvaise et la plus
tenace de toutes les idées qui empoisonnent nos modes de pensée au sujet de la
conscience", affirme par exemple le philosophe Daniel Dennett dont le modèle des
«versions multiples» de la conscience fait voler en éclats l'illusion de ce qu’il appelle le
théâtre cartésien.
Le bluff en interrogatoire
amène de faux aveux
L’activité endogène du
cerveau force à repenser
plusieurs phénomènes
associations à ce
stimulus plus lentement. Ce résultat indique que « perception visuelle » et « action guidée par la vision » peuvent
Ce phénomène, connu être dissociables. Autrement dit, des comportements comme celui de saisir un objet sont
sous le nom d’inhibition
contrôlés par des processus qui échappent à la conscience puisqu’ils ne sont pas induits en
latente, a pu être
observé chez une grande erreur par la perception consciente erronée.
variété de mammifères
allant de la souris à l’être Un autre exemple de ce phénomène est illustré par la vieille boutade qui dit que si l’on veut
humain. déconcentrer son adversaire au tennis par exemple, on n’a qu’à le complimenter sur la
fluidité de son mouvement, la précision de son geste, etc…. Du coup, il va en prendre
Plusieurs explications ont
été avancées pour
conscience, chassant par des mouvements conscients la parfaite précision de ses
décrire pourquoi il est mouvements inconscients issus d’années de pratique, et va envoyer la balle dans le filet !
plus difficile de faire de
nouvelles associations La présence d’un aspect inconscient dans la vision est aussi révélée de façon spectaculaire
avec un stimulus par le phénomène de la « vision aveugle ». Ces personnes qui ont subi une lésion dans
préalablement jugé sans l’un des deux cortex visuels primaires ont par conséquent perdu la vue dans l’hémichamp
signification. La plupart
visuel opposé.
mettent l’accent sur son
caractère adaptatif qui
sort du champ de Mais si un stimulus lumineux est présenté dans cet hémichamp aveugle et qu’on demande
l’attention consciente ce à la personne de nous dire s’il y avait un stimulus ou pas en « prenant une chance », celle-
qui n’est pas directement ci y parvient avec un taux de réussite bien supérieur au hasard ! Et quand on leur indique
utile à la tâche en cours. leur succès, ils demeurent incrédules, convaincus qu’ils sont d’avoir choisi au hasard
L’inhibition latente met puisqu’ils disent ne rien voir du tout dans cette partie de leur champ visuel.
aussi en évidence le fait
que la pertinence des
choses significatives pour
Les patients souffrant de vision aveugle ont donc de surprenantes capacités visuelles
un individu est apprise (et résiduelles qui seraient rendues possibles grâce aux structures visuelles sous-corticales et
pas donnée a priori). à des voies nerveuses qui vont directement du corps géniculé latéral aux aires visuelles V4
et V5, sans passer d’abord par l’aire visuelle primaire V1.
L’odeur d’une maison
que l’on remarque en Par conséquent, si les aires visuelles primaires semblent essentielles pour la vision
entrant et que l’on oublie
par la suite, ou le tic-tac consciente, plusieurs comportements guidés par la vision ne semblent, eux, n’avoir besoin
d’une horloge que l’on d’aucun contrôle conscient. Mais comment cela est-ce possible ? La conscience n’est pas
entend en se couchant supposée surgir d’abord et l’action en découler par la suite ? Autre pavé dans la mare du
mais que l’on oublie tout modèle classique de la conscience…
aussi vite sont deux
exemples de ce Et ce n’est pas le dernier. L’apprentissage et la mémoire, tout comme la perception, ont des
phénomène qui effectue
une sorte de tri
pans entiers qui échappent à la conscience. Constatons d’abord que la plupart de nos
inconscient afin que les souvenirs sont, à un moment donné, inconscients. On peut se les remémorer
stimuli sans conséquence consciemment, mais ils sont à l’état de traces inconscientes dans notre système nerveux la
qui nous assaillent à tout majorité du temps.
moment ne nous
empêchent pas de nous Il y a ensuite les nombreuses formes de mémoire dites « implicites ». La simple
concentrer sur l’essentiel.
acquisition d’un savoir-faire particulier, comme aller à bicyclette ou taper sur un clavier sans
regarder ses doigts, implique une mémoire procédurale dont le fonctionnement ne nous est
pas accessible consciemment. Même chose pour l’effet d’amorçage («priming», en
anglais) où l'exposition préalable d'une information pertinente influence nos processus
cognitifs sans que l’on s’en rende compte (voir l’encadré à gauche). Si l’on vous donne par
De plus en plus
d’expériences mettent en exemple une longue liste de mots à mémoriser où figure plusieurs fois le même mot, vous
évidence des effets aurez plus de facilité à vous remémorer ce mot, sans même avoir remarqué consciemment
d’amorçage tout à fait qu’il était plus fréquent que les autres. Une bonne part de la publicité repose d’ailleurs sur
inconscients. Des sujets ce principe de reconnaissance préférentielle inconsciente.
se rendant à un test où il
doivent évaluer la Les études sur des amnésiques ont aussi montré la grande autonomie de ce système
sociabilité d’étrangers
mnésique implicite souvent préservé malgré la perte de la mémoire explicite. Ces
sont par exemple arrêtés
par un complice de amnésiques, comme le célèbre patient H.M., à qui l’on présentait chaque jour un problème
l’expérimentateur juste comme celui des tours de Hanoï, affirment tenter de le résoudre à chaque fois pour la
avant de rentrer dans le première fois, mais trouvent néanmoins la solution un peu plus vite à chaque jour.
laboratoire. Ce complice
a les mains pleines et Il apparaît donc clair que nous accomplissons une multitude de tâches de façon
demande aux sujet de
inconsciente et que ces processus sont beaucoup plus nombreux que les actions
l’aider en tenant un
moment une tasse de conscientes. Le langage pourrait être cité comme dernier exemple qui montre en plus que
café qui peut être froid ou les deux processus, conscient et inconscient, peuvent fonctionner en même temps. Car à
chaud. Or une fois les bien y penser, lors d'une discussion, nous formons des pensées conscientes en même
résultats compilés, on temps que nous utilisons de manière complètement automatique et inconsciente la syntaxe
observe que ceux qui ont et le vocabulaire de notre langue maternelle.
tenu la tasse dont le café
était froid ont évalué les
étrangers du test comme
Tant de manifestations de processus inconscients nous permettent donc, dans une
étant des personnes plus première approximation, de distinguer non pas un mais deux sous-systèmes : un premier,
froides, moins sociables conscient, souvent verbal ou visuel, et fonctionnant de façon sérielle (« on ne peut penser
et plus égoïstes que ceux à plus d’une chose en même temps »); et un second beaucoup plus important, largement
qui avaient tenu la tasse
inconscient, souvent affectif, réagissant automatiquement aux stimuli et constitué de
avec le café chaud !
nombreuses unités fonctionnant massivement en parallèle.
D’autres comportements
ont pu ainsi être La mise en évidence que la majorité de nos processus cognitifs sont en fait de nature
influencés dans une inconsciente est considérée comme une véritable révolution qui met fin au règne du
direction particulière sans modèle classique de la conscience. Cet inconscient, de surcroît bien plus « intelligent »
que le sujet n’en ait
conscience. Après avoir
qu’on ne le croyait (voir l’encadré sur les choix difficiles), ne cesse d’étonner par la diversité
répondu à un de ses processus : automatismes mentaux ou sensori-moteurs, connaissance ou même
questionnaire dans une raisonnement implicite, traitement sémantique, etc.
salle où il y avait une
odeur citronnée de Ces deux sous-systèmes, conscients et inconscients, ne suffisent toutefois pas à gérer à
liquide à laver, des sujets eux seuls la complexité du réel grandement sous-estimée par le modèle classique de la
se voyaient récompensés
conscience. C’est pourquoi ils sont aussi secondés par un autre système formé de ce que
par une collation
constituée de biscuits qui l’on appelle nos processus attentionnels.
s’émiettaient facilement.
Or le film de cette
collation révèle que ces
sujets époussetaient les Plusieurs données montrent que certains aspects de la conscience qui semblent
miettes des biscuits 3 fois unifiés sont en fait dissociables. Chez des patients atteints de lésions
plus qu’un groupe cérébrales, il peut parfois exister une dissociation complète entre leurs
contrôle qui avait passé performances et la prise de conscience de ces performances.
le questionnaire dans une
salle sans odeur Par exemple, dans le domaine de la perception visuelle consciente, il existe un
particulière. trouble de la perception qu’on appelle l’agnosie visuelle de la forme (ou
agnosie aperceptive), où le patient est incapable de reconnaître visuellement la
Ces expériences et bien taille, la forme et l’orientation d’un objet. Pourtant, malgré ce déficit
d’autres (voir le lien ci- informationnel important sur un objet, il peut parfaitement le saisir entre le pouce
bas) révèlent un cerveau et l’index.
inconscient qui est
beaucoup plus actif qu’on L’inverse, l’ataxie optique, se rencontre également. Ici, les personnes sont
ne le croyait dans le incapables d’atteindre et de saisir des objets dont ils peuvent cependant
choix de nos reconnaître visuellement la taille, la forme et l’orientation.
comportements. Une
multitude d’indices Dans les deux cas, on a donc affaire à une dissociation complète entre le
sensoriels qui ne sont traitement perceptif conscient et visuomoteur inconscient, une distinction que l’on
pas consciemment retrouve également au niveau anatomique avec la voie visuelle ventrale et la
perçus pourrait ainsi voie visuelle dorsale.
expliquer pourquoi nous
pouvons être tantôt L' anosognosie est un syndrome encore plus global où le patient nie
courtois et aimable dans carrément l’existence d’un déficit acquis à la suite d’une lésion neurologique.
une situation, ou au Ainsi en est-il d’une patiente traitée par V.S. Ramachandran qui souffrait d’une
contraire agacé et rude paralysie au bras gauche résultant d’un accident cérébrovasculaire à
dans une autre qui nous l’hémisphère droit (l’anosognosie résulte presque toujours d’une lésion à
apparaît consciemment l’hémisphère droit). Lorsqu’il lui demandait de le pointer avec son bras droit, elle
pourtant similaire. L’un de s’exécutait sans problème. Mais lorsqu’il lui demandait avec le bras gauche
ces circuits inconscients paralysé, le bras restait évidemment immobile, mais elle insistait pour dire qu’elle
capable d’orienter notre suivait la consigne. Et si Ramachandran lui signalait que son bras n’avait pas
comportement aura peut- bougé, elle répondait qu’elle souffrait d’arthrite à l’épaule gauche, que ça lui
être été déclenché par faisait mal, et qu’il le savait très bien…
quelque chose à notre
insu... Les lésions à l’hémisphère droit peuvent aussi produire un autre type de
dissociation spectaculaire : l’héminégligence. Le patient héminégligent ne
perçoit tout simplement plus consciemment la moitié gauche de son univers. Il ne
rasera par exemple que la partie droite de sa barbe et ne mangera que la moitié
droite du contenu de son assiette. Quand on lui demande de dessiner une
horloge, il concentrera les 12 heures de l’horloge dans la seule moitié droite du
Devant un problème cadran. Et si quelqu’un assis à sa gauche lui parle il répondra à la personne
complexe, vaut-il mieux assise à sa droite.
essayer de faire
consciemment le L’héminégligence se distingue également d’un trouble perceptif élémentaire
meilleur choix ou est-il comme l'hémianopsie (perte de la vue dans la moitié du champ visuel). Face à
préférable de laisser une phrase, le patient hémianopsique tourne la tête afin de voir toute la phrase
aller son intuition, tandis que le patient héminégligent, lui, ne lit que les mots de droite de la phrase.
autrement dit ses
processus inconscients ? L’intérêt des patients héminégligents pour l’étude de la conscience vient du fait
Pour tenter de répondre à que l'information qui est négligée par les patients semble être tout de même
cette question, le traitée inconsciemment. Si on leur présente par exemple deux images, l’une à
psychologue Ap gauche et l’autre à droite, ils sont évidemment incapables d’identifier l’image de
Dijksterhuis a demandé gauche. Mais curieusement, si on leur demande de prendre une chance et de
à des personnes de deviner si l’image de gauche était la même que l’image de droite ils répondent
déterminer la meilleure nettement mieux que ce que le niveau du hasard prédirait. Et le cerveau des
voiture possible en patients héminégligents serait non seulement capable de traiter inconsciemment
considérant les traits physiques élémentaires d’une image, mais aussi, comme le suggèrent
soigneusement une d’autres expériences, des niveaux sémantiques plus élaborés. Ces patients
douzaine de critères. montrent donc qu’il peut y avoir une dissociation entre performance et prise de
Après avoir refermé le conscience de la performance. Ces données, qui peuvent apparaître
volumineux dossier, une paradoxales dans la perspective du modèle classique de la conscience,
personne sur deux était deviennent toutefois intelligibles dans une conception plus distribuée du substrat
appelée à réfléchir cérébral de la conscience.
quelques instants avant
de faire son choix, l’autre Un autre syndrome étrange, la prosopagnosie, survient lorsqu’une personne,
à faire un puzzle pour suite à une lésion cérébrale, devient incapable de reconnaître les visages, même
l’empêcher de penser à d’individus qui lui sont pourtant familiers. Or même si elles affirment
tout ça. consciemment voir pour la première fois le visage d’un ami, des signes
physiologiques comme les changements infimes de la moiteur de leurs mains
Or ce sont ces dernières (des variations de conductance cutanée) révèlent qu'ils ont reconnu le visage
personnes, qui n’ont pas même s'ils affirment le contraire. Encore un exemple de dissociation entre
consciemment réfléchi performance inconsciente et consciente.
sur le problème, qui ont
fait les meilleurs choix ! Un désordre mental comme la schizophrénie peut aussi être considéré comme
Le psychologue explique un autre cas de dissociation intéressant pour comprendre la conscience. Les
ce résultat par le fait que personnes schizophrènes attribuent souvent à leurs actions des intentions qui ne
la surcharge sont pas les leurs, les attribuant plutôt à des forces extérieures. Plusieurs
attentionnelle chez les auteurs ont tenté d’expliquer cet aspect de la schizophrénie en termes de
sujets devant se décider dissociation entre un système intentionnel à l’origine de l’action et un système de
consciemment leur a fait contrôle du « soi » qui ne se retrouverait pas informé des intentions du sujet.
prendre en compte que
certaines informations qui Il existe des dissociations vraiment étranges et rares, comme le syndrome de la
n’étaient pas toujours les main étrangère où le patient a l'impression que sa main n'est plus sous son
plus pertinentes. Les contrôle. Le patient regardera par exemple avec effroi sa main effectuant une
processus inconscients, tâche complexe comme déboutonner sa chemise, alors qu’il est convaincu de ne
qui peuvent eux traiter de pas lui avoir donné l’ordre de le faire. Dans cette pathologie mettant souvent en
grandes quantités cause une lésion au corps calleux (comme les personnes au cerveau divisé),
d’information de façon l’action de la main est encore une fois perçue comme répondant à une intention
automatique, semblent étrangère.
avoir été capables d’une
meilleure synthèse. Toujours dans le registre des dissociations spectaculaires, fréquentes surtout
dans les films d’Hollywood mais néanmoins possibles dans la réalité, on peut
Ces résultats vont dans mentionner la fugue dissociative (2 personnes sur 1000 environ au États-Unis).
le sens de ceux Dans les cas extrêmes, la personne va quitter son foyer, parcourir une longue
d’Antonio Damasio et distance et commencer une nouvelle vie tout en étant partiellement ou
de sa théorie des totalement amnésique de son ancienne vie.
marqueurs somatiques
L’une des plus célèbres dissociations est certainement celle du trouble
qui affirme que nous dissociatif de l'identité (anciennement trouble de personnalité multiple). Les
nous fions naturellement patients qui en souffrent alternent entre deux ou plusieurs personnalités sans
à nos émotions, qui pouvoir contrôler ces changements. Chacune des personnalités a généralement
s’expriment un spectre comportemental qui lui est propre et ne partage pas ses
implicitement, pour faire connaissances explicites avec les autres personnalités. Mais au niveau de la
nos choix rationnels. mémoire implicite, il semble y avoir un transfert possible entre les différentes
Faudrait-il donc accorder personnalités. Encore ici, conscient et inconscient ne vont pas nécessairement
plus d’importance à son de pair.
intuition qu’à sa raison ?
Pas toujours, puisque Jusqu’où peut aller l’étrangeté des troubles de dissociation ? Jusqu’au trouble
dans une situation identitaire relatif à l'intégrité corporelle (« Body Integrity Identity Disorder" ou
inverse où il y avait peu BIID, en anglais), où l’individu qui en souffre demande l’amputation sélective de
de critères de choix l’un de ses membres qui, disent-ils, ne correspond pas à l'image idéalisée qu'ils
(entre différentes ont d'eux-mêmes. Paradoxalement, ces personnes ne se sentent donc
serviettes par exemple) la complètes que le jour où elles réussissent à se faire amputer…
délibération consciente et
contrôlée s’est avérée
plus efficace.
Il faut pour cela considérer des modèles plus généraux qui essaient d’expliquer les
multiples facettes de la conscience en intégrant les données de toutes les branches des
neurosciences cognitives contemporaines. La plupart de ces modèles se sont développés à
La conscience : partout sur le partir du début des années 1990, dans la foulée des premiers congrès internationaux
web, et partout tout court ? consacrés essentiellement à l’étude de la conscience (voir la reproduction de l’affiche ci-
dessous).
Stanislas Dehaene, une star
de l'étude de lla conscience ?
consciente et un
événement neuronal, il
faut demeurer prudent
car cela peut signifier
différentes choses. Ce
pourrait être l’évenement
neural qui cause
l’expérience consciente.
Ce pourrait également
être l’expérience
consciente qui cause
l’événement neural. Ce
pourrait être aussi un
troisième événement qui
cause à la fois
l’événement neural et
l’expérience consciente.
Finalement, il est
possible que l’événement
neural soit la même
chose que l’expérience
consciente, même si les
deux n’ont pas l’air du
tout d’être la même
chose.
Ces modèles développent également des concepts spécifiques à leur niveau d’analyse.
Mais comme tous ces modèles se veulent résolument ancrés dans ce substrat neuronal, il
n’est pas étonnant d’observer une utilisation des mêmes concepts dans différents modèles.
Des nuances et des redéfinitions partielles leur sont bien sûr apportées, mais on assiste de
plus en plus à la confirmation du pouvoir explicatif de plusieurs de ces concepts.
Selon ce modèle, la conscience ne peut être localisée de façon précise ni dans le temps, ni
dans une région particulière du cerveau, ce qui exclut donc complètement les modèles
classiques du type « théâtre cartésien ».
Un autre concept, celui-là aux multiples variantes, est celui «d’espace de travail global».
Développé à l’origine par le psychologue Bernard Baars, ce concept s’appuie sur
l’observation que le cerveau humain comprend plusieurs systèmes spécialisés (reliés à la
perception, à l’attention, au langage, etc.) qui accomplissent chacun leur tâche à un niveau
qui n’atteint pas le seuil de la conscience.
L’espace de travail neuronal postulé par Baars serait donc un lieu d’échange d’information.
D’autres sous-systèmes peuvent alors eux aussi profiter de cette information disponible et
c’est cette disponibilité qui constituerait la conscience, contrairement à l’information traitée
par les sous-systèmes isolés qui, elle, demeure inconsciente. Cette conception de la
conscience, proche d’une forme de mémoire de travail momentanée, permet de rendre
compte de l’interaction entre les processus conscients et inconscients observés dans divers
phénomènes.
Changeux et Dehaene vont tenter de décrire les divers états que l’on peut observer dans ce
modèle connexionniste de la conscience et, dans un deuxième temps, d’identifier les
mécanismes qui permettent de passer d’un état à l’autre.
- un premier niveau de
traitement subliminal où
l’activation de bas en haut n’est
pas suffisante pour déclencher
un état d’activation à grande
échelle dans le réseau;
- un second niveau
préconscient qui possède
suffisamment d’activation pour
accéder à la conscience mais
est temporairement mis en
veilleuse par manque d’attention
de haut en bas;
Francis Crick et Christof Koch se penchent eux aussi sur les corrélats neuronaux de la
conscience, mais en se concentrant sur les circuits du système visuel. Pour eux, la clé des
processus conscients se trouverait dans les oscillations neuronales synchronisées que
l’on retrouve dans le cortex à des fréquences avoisinant les 40 Hertz (35 à 75 Hz).
Rodolfo Llinás met quant à lui l’accent sur une forme de synchronisation neuronale globale,
qui pourrait s’avérer essentielle pour déterminer quelle perception particulière devient
consciente. Selon Llinás le thalamus déclenche des oscillations corticales qui balaient le
cerveau de l’avant à l’arrière en 25 millisecondes, soit 40 fois par seconde. On retrouve
donc ici la même fréquence de 40 Hz fréquemment associée à l’unité perceptuelle
consciente.
Il y aurait donc, en plus des oscillations corticales pouvant lier ensemble les différents
aspects d’un percept, ce second type de synchronie entre une assemblée neuronale
donnée et ces oscillations thalamiques non spécifiques. L’assemblée qui devient
consciente serait celle qui est en phase avec l’oscillation non-spécifique.
Par un mécanisme sélectif qu’il nomme « darwinisme neuronal » (voir capsule outil à
gauche), il se crée, selon Edelman, un système de cartes neuronales constituées
d’assemblées de neurones responsables de nos différentes possibilités perceptuelles.
Quand le cerveau reçoit une nouvelle stimulation, plusieurs cartes vont être activées et vont
s’envoyer des signaux mutuels. C’est ce pattern d’interconnexions entre différentes cartes
neurales qu’Edelman appelle les « boucles réentrantes ». Les connexions réciproques
entre le thalamus et le cortex, aussi appelées boucles thalamo-corticales, seraient au cœur
de ce modèle de "cartes réentrantes" dont le fonctionnement en boucle constitue pour
Edelman le point de départ de la conscience.
Celle-ci n’est donc pas associée à une structure anatomique permanente, mais plutôt à un
pattern d’activité éphémère présent à différents endroits dans le cortex où ces boucles
réentrantes le permettent. Voilà pourquoi Edelman et Giulio Tononi parlent plutôt d’un
«noyau dynamique» pour décrire les processus conscients.
La conscience joue alors le rôle d’un opérateur qui module ces dynamiques cérébrales.
Résidant nulle part et partout, elle reforme constamment des contenus conscients qui sont
fournis par les différentes parties du cerveau et qui subissent les changements rapides et
étendus que l’on attribue à la pensée humaine.
Cette pensée consciente et les décisions qui en découlent n’impliquent pas seulement des
raisonnements abstraits. Pour Antonio Damasio, on ne peut penser la conscience sans y
inclure le constant monitoring d’une boucle affective au sein de laquelle le cerveau et le
corps se répondent continuellement (par le système nerveux végétatif, le système
endocrinien, etc.).
Damasio défend l’idée que nos pensées conscientes dépendent substantiellement de nos
perceptions viscérales. Pour lui, la conscience se construit à l’écoute du milieu somatique
intérieur (notamment via l'insula), et ce monitoring a évolué parce qu’il nous permet
d’utiliser ces états somatiques pour marquer, ou si l’on veut, évaluer, les perceptions
extérieures. D’où son concept de marqueur somatique qui décrit la façon dont les
perceptions du monde extérieur interagissent avec les émotions du monde intérieur.
Un dernier concept qui étend encore plus largement le rôle du corps et de l’environnement
dans la genèse des processus conscients est celui d’énaction. Développé par Francisco
Varela et s’inscrivant dans le mouvement de la cognition incarnée, l’idée centrale de
l’énaction est que les facultés cognitives se développent parce qu’un corps interagit en
temps réel avec un environnement donné.
Dans la perspective de l’énaction, la perception n’a rien à voir avec une réception passive.
Elle est indissociablement liée à la manière dont le système corps-cerveau parvient à
guider ses actions dans sa situation locale du moment. Dans le langage de l’énaction, les
sens permettent « d’énacter » des significations, c’est-à-dire de modifier notre
environnement tout en étant constamment façonné par lui.