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Résumé
Cet article aborde la question de la relation entre le geste et l'outil. Inspirées par le
"tactile vision substitution system" de Bach-y-Rita (1972), les expériences rapportées
ici sont une simplification délibérée où les retours sensoriels sont réduits à leur plus
simple expression, à savoir une stimulation tactile en tout en rien. Ce dispositif
expérimental oblige une extériorisation complète de l’activité perceptive, ce qui rend
possible sont enregistrement et son étude. L'analyse montre que, dans ces conditions,
l'outil exerce une contrainte "proscriptive" sur les gestes, autrement dit qu'il ne les
détermine pas totalement, mais donne lieu plutôt à une pluralité de stratégies
d'action possibles. Il convient alors de prendre en compte le fait que l'outil existe en
deux modes : "saisi", et dans ce cas il s'intègre au corps propre ; ou "déposé", et dans
ce cas il peut être refaçonné afin d'optimiser l'efficacité d’une stratégie, tout en
inhibant les autres. C'est ainsi au terme d'un processus de construction que l'outil
semble générer un geste unique, ce qui fait de l'outil une forme de "mémoire
externe".
Mots clés : geste, outil, substitution sensorielle, stratégies d'action, mémoire externe.
I. Introduction.
La relation entre le geste et l'outil est devenue, depuis Leroi-Gourhan (1964),
l'une des grandes questions de l'anthropologie. Les gestes ne laissent généralement
pas de traces ; c'est donc d'abord pour des raisons méthodologiques que
l'anthropologie étudie les outils, dans la mesure où ils permettent de reconstituer les
gestes de nos ancêtres disparus. Les outils sont ainsi une forme de mémoire pour
pré-historiens. Mais les outils sont aussi, et plus essentiellement, une forme de
"mémoire externe" pour les sociétés elles-mêmes. Les êtres humains naissent dans un
monde culturel qui est "toujours déjà là" pour eux ; et les outils et dispositifs
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méthodologiques et anthropologiques, Bril B. et Roux V. (Eds) Ramonville Saint-Agne : Editions Erès (Revue
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techniques constituent une partie importante, peut-être même déterminante pour le
mode de vie, de cet indispensable héritage culturel.
Pour bien comprendre les outils, il faut thématiser le fait qu'ils existent pour
ainsi dire en deux "modes" : saisi, et déposé. Quand il est saisi et utilisé, un outil est
"intériorisé", et devient pratiquement une partie du corps propre, presque au même
titre que les organes de perception et d’action. Mais, à la différence des yeux ou des
mains, un outil existe aussi en mode "déposé" ; c'est à ce titre que les êtres humains
peuvent déployer leur imagination pour l'inventer et le fabriquer ; et dans la mesure
où ceux qui l'inventent, qui le fabriquent, et qui ensuite l'utilisent ne sont le plus
souvent pas les mêmes personnes, les outils sont d'emblée profondément sociaux. Ce
qui caractérise les outils, c'est le va-et-vient entre ces deux modes ; nous aurons
l'occasion de revenir sur ce thème en l'illustrant par les recherches qui seront
présentés ici.
Il convient de reconnaître que la relation entre l'outil et le geste est complexe et
difficile à bien cerner. L'outil n'est pas un simple "moyen" indifférencié et neutre ; il
influe sur les fins et les activités, d'où précisément son intérêt pour la préhistoire.
Mais d'un autre côté, l'outil ne détermine pas purement et simplement le geste. Un
outil ne contribue à constituer des actions que s'il est saisi, pris en main, approprié
par le sujet humain. Un apprentissage (plus ou moins long) est généralement
nécessaire pour cela ; et, surtout, l'emploi d'un outil est rarement unique. Par
exemple, une canne peut servir à s'appuyer pendant la marche, à fouetter un serpent,
à explorer un terrier.... ou, pour un aveugle, à percevoir le sol et des obstacles1. Nous
espérons, dans cet article, apporter une contribution à la compréhension de cette
relation subtile entre le geste et l'outil.
Nous aborderons cette question du geste technique dans le cadre particulier
de l'activité perceptive et de ses prothèses. En effet notre recherche s'appuie sur des
dispositifs expérimentaux permettant d'observer la genèse chez l'adulte de gestes
nouveaux, et ceci dans le cas d'une activité perceptive. Nous présenterons d'abord
1 J.J.Gibson écrivait : " an elongated object of moderate size and weight affords wielding. If used to hit or strike,
it's a club or hammer. If used by chimpanzee behind bars to pull in a banana beyond reach, it is a sort of rake.
(...) [Gibson 1979 p. 133.]
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ces dispositifs techniques et les rapports qu'ils instaurent entre outil et activité. Nous
reviendrons ensuite à une discussion concernant la signification plus générale de ces
résultats.
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reconnaît des objets familiers de plus en plus complexe jusqu'à être capable de
discriminer des visages.
iii)- De plus, cette capacité de reconnaissance de forme s'accompagne d'une
mise en extériorité des percepts en des objets placés dans l'espace. Au départ
l'utilisateur sent sur sa peau des stimulations qui se succèdent. Mais avec les progrès
de l'apprentissage perceptif, il finit par oublier ces sensations de toucher pour
percevoir des objets stables à distance, là-bas devant lui. Ainsi, d'après les
témoignages des utilisateurs, les irritations proximales que peut provoquer la plaque
tactile sont clairement distinguées de la perception proprement dite. Cette
localisation subjective des objets dans l'espace se produit rapidement (après 5 à 15
heures d'entraînement). L'aveugle découvre ainsi des concepts perceptifs nouveau
pour lui tels que la parallaxe, les ombres, l'interpositions des objets, etc. Certaines
illusions visuelles classiques sont spontanément reproduites (Bach y Rita 1982). Une
telle expérience peut être réalisée aussi bien par une personne voyante ayant les
yeux bandés que par une personne handicapée.
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cellule cible
photoélectrique
doigt (index)
stimulateur tactile
(vibrateur)
Figure 1
Dans une première expérience, une cible lumineuse est placée à distance du
sujet dans une pièce noire. Le sujet a les yeux bandés et peut librement mouvoir le
bras et la main qui tient le récepteur. Après quelques minutes d'exploration, le sujet
se révèle capable de localiser la cible, c'est-à-dire d'indiquer sa direction et sa
distance approximative. Du point de vue du sujet, après avoir cherché pendant un
certain temps l'activation du vibreur, il perçoit les premières stimulations tactiles
localisées sur la peau. Mais très rapidement, alors qu'il maîtrise mieux la production
de ces stimulations, il ressent la présence d'un objet placé au-delà de lui dans un
espace où il se situe lui-même. La succession temporelle des sensations reçues
semble renvoyer à différents "contacts" avec un unique objet distal. Il est à noter que
le vibreur peut être déplacé vers une autre région de la peau sans que cesse cette
perception. D'ailleurs le sujet oublie effectivement le lieu où se produisent les
sensations (sauf s'il y porte une attention spéciale) pour appréhender un objet dans
l'espace. Inversement, des stimuli artificiellement envoyés indépendamment des
mouvements du doigt sur lequel est positionné la cellule photosensible ne sont pas
associés à une perception distale, mais restent perçus proximalement sur la peau.
On comprend bien que la localisation de la cible soit possible. Les conditions
d'exploration déterminées par ce dispositif de couplage ultra simple sont suffisantes.
Pour simplifier, ne prenons en considération que les mouvements dans un plan
horizontal du bras tendu et de la main par rapport au bras (on oublie le coude, et les
articulations multiples des doigts et de la main). La position du sujet est supposée
fixe, le buste toujours tourné dans la même direction. On considère que la cible est
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une source ponctuelle S de coordonnées (0, L). Elle est face au sujet qui est situé en
O. L'angle indiquant la direction du bras est α = (Ox, OP) ; l'angle entre le bras et la
main est β = (PO, PS). Le point P (cos α, sin α) représente le poignet du sujet. Si un
couple de valeurs (α, β) est connu dans le référentiel du sujet, cela suffit en principe
pour localiser la source de lumière S (Fig.2).
y
cible
S
L
cellule
photoélectrique
P β
α
0 1 x
Figure 2
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contact. C'est dans cette finitude du savoir de ses actions, que le sujet doit activement
constituer ses perceptions2.
Le problème de la perception de la position spatiale d'un objet, qui sera pensé
comme la source des sensations, est le problème de pouvoir penser la simultanéité
de différentes choses dans un même temps. Or, le sujet n'a accès qu'à une succession
temporelle de sensations. Il faut donc qu'il réalise une synthèse temporelle de ces
sensations suivant une règle. Cette règle, comme Kant l'a montré, est celle de la
réversibilité :
L=0
2
3
2 Nous retrouvons, au cœur de l'activité perceptive spatiale, une "finitude rétentionelle" au sens développé par
Bernard Stiegler à propos de la conscience du temps et de ses liens avec les supports techniques de la mémoire
[Stiegler 1996].
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Figure 3
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Cette importance de l’action au cœur même du processus perceptif à été
discutée depuis longtemps par divers auteurs, disons depuis Diderot [1749] jusque
Merleau-Ponty [1945]. Une célèbre approche récente est celle de J.J. Gibson qui a
propos de la locomotion écrivait :
Pour résumer, ces expériences avec le "gant distal" permettent une bonne
caractérisation qualitative de la façon dont cet outil très particulier défini les
contraintes qui pèsent sur la recherche des relations invariantes entre action et
sensation, relations qui finalement constituent un espace perceptif. Nous aurons
l'occasion d'y revenir dans notre discussion. Cependant, le travail consistant à
mesurer, enregistrer et décrire avec précision les gestes effectivement accomplis par
les sujets est encore à faire. La mise en place d’un système d’observation adéquat est
en cours. On peut cependant compléter cette première série d'expériences, en
utilisant un autre dispositif : le "stylet tactile".
3 Toutefois, chez Gibson, le rôle de l’action de s’étend pas à la constitution de l’espace lui même. Ses
formulations sont parfois ambiguës, et la notion de perception directe peut être comprise comme la saisie
d’invariants dans la structure de la lumière, des invariants qui existeraient avant et indépendamment de
l’organisme qui les saisit [Varela 1993, pp. 275-278]
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graphique pilote un curseur qui permet d'explorer des formes en noir sur fond blanc
affichées sur l'écran de l'ordinateur (par exemple des lettres d'imprimerie
majuscules). Le curseur correspond à un champ récepteur (3 x3 pixel). Quand il
croise au moins un pixel noir il déclenche l'activation d'un stimulateur tactile
(vibration en tout ou rien d'un transducteur électromagnétique). Le sujet a les yeux
bandés et le stimulateur tactile est installé sur la main libre (l'autre tenant le stylet).
Ce dispositif de suppléance perceptive permet donc l'exploration, sur la tablette
graphique, d'une image tactile virtuelle (Hanneton et al., 1998 et 1999).
Cependant, comme plus haut, le sujet n'accède qu'à une seule information à
chaque instant. Dès lors, seuls les déplacements actifs du sujet sur l'image lui
permettent de reconnaître des formes. Par sa pauvreté même, le dispositif de
couplage force une externalisation de l'activité de reconnaissance de formes. Les
formes à reconnaître ne sont pas données d'un coup aux organes récepteurs de la
perception, comme cela peut être le cas pour une forme projetée sur la rétine ou
plaquée sur une surface de la peau (ce qui reporte le processus de reconnaissance à
une activité essentiellement interne). Ici, il n'y a qu'une sensation à la fois, en tout ou
rien. L'activité de reconnaissance est donc entièrement déployée dans le temps et
l'espace d'une activité externe aisément observable et enregistrable.
Les expériences rapportées ici sont réalisées par des sujets naïfs qui
rencontrent le dispositif pour la première fois. Dans une première expérience de
discrimination (Fig.4) (reconnaître si la forme présentée est un S ou son reflet dans
un miroir), les sujets ont un taux de bonnes réponses compris entre 90 et 100 %.
A B
Figure 4
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Une seconde série d'expériences de reconnaissance de caractère comporte 10
lettres majuscules à reconnaître ( I T L P S V B O R D ; traits larges de 3 pixels au
plus). Lors de chaque présentation de stimulus, l'essai est arrêté lorsque le sujet
donne une réponse verbale, et aucun retour sur la valeur de la réponse ne lui est
fourni. Là aussi les trajectoires de l'activité perceptive sont enregistrées (Fig.5).
Figure 5
70
60
50
40
30
% de sujets
20
10
0
I T L P S V B O R D
Lettres
Figure 6
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d'intervalle. Les résultats montrent un très net effet d'apprentissage : 9 identifications
correctes sur 50 durant la première cession à comparer avec 25 sur 50 à la dernière
session.
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absolues en (x, y) rend cette procédure inopérante, et en effet il semble que les sujets
ne procèdent pas de cette façon.
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de l'espace exploré qui permettrait de composer mentalement ces traits, mais au
mieux une simple topologie (cf. confusion entre le "D" et le "O ", entre le "U" et le
"V").
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remplissement d'une anticipation. Ceci explique d’ailleurs les "erreurs" fréquentes de
construction partielle (par exemple entre P et R ou entre P et B).
III. Discussion.
A la lumière de ces expériences, que peut-on dire sur la détermination du
geste par l'outil? Pour conduire cette discussion, il sera utile d'établir une distinction
entre contraintes "prescriptives" et contraintes "proscriptives" 4 . Des contraintes
prescriptives spécifient directement, dans tous les détails, les opérations à réaliser.
Par contraste, des contraintes proscriptives ne spécifient seulement que ce qui est
interdit, le type d’état à éviter, mais ne disent rien sur le moyen d'y parvenir. Par
exemple, tous les organismes vivants sont soumis à une contrainte proscriptive : ils
doivent impérativement se comporter de façon à rester en vie, faute de quoi ils
n'existeraient plus en tant qu'être vivant ; cette contrainte est très forte, mais ne
spécifie pas une solution unique comme le montre la grande diversité des
organismes vivants. Les ingénieurs connaissent bien ce type de contrainte : un pont,
par exemple, doit permettre de traverser une fleuve en supportant une certaine
charge et sans s'écrouler sous l'effet des vents ; mais cette contrainte ne dit pas
comment y arriver. Ce genre de problème, nommé "problème inverse", possède une
propriété générique : il n'y a aucune garantie a priori qu'une solution existe ; mais s'il
existe une solution, en général il en existe une pluralité.
Dans le cas de notre dispositif expérimental, il est clair que globalement l'outil
et la tâche constituent une contrainte proscriptive sur les gestes à accomplir : éviter
d’être perdu dans une série de variations de sensations irrégulières et incontrôlées
qui dès lors ne permettrait ni la localisation, ni la reconnaissance de quoi que ce soit.
On peut toutefois approfondir l'analyse en modélisant la situation de la façon
suivante. D'une part, chaque action « a » du sujet produit un retour sensoriel s (s=1
s'il y a retour sensoriel, s=0 sinon) ; on peut écrire cela mathématiquement par
l'équation :
4Pour d’autres approches classiques et importantes de la notion de contrainte sur l’action, voir dans ce même
numéro les articles de Lena Byriukova, Agnès Roby-Brami et Blandine Bril ainsi que leurs bibliographie.
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s = f(a) Equation (1)
D'autre part, le sujet utilise les retours sensoriels s pour guider ses actions
futures, autrement dit il possède ce que l'on peut appeler une "stratégie d'action" ;
mathématiquement :
a = g(s) Equation (2)
En combinant les équations (1) et (2) on obtient :
a = g(f(a)) Equation (3)
Autrement dit, un système d'équations différentielles qui permet de modéliser
les trajectoires produits par les sujets. Or l'équation (1) correspond à une contrainte
prescriptive : étant donnés le dispositif expérimental et la figure à percevoir, l'action
a du sujet détermine la position du stylet, ce qui à son tour détermine le retour
sensoriel s. La contrainte proscriptive réside donc dans la "stratégie d'action" décrite
par l'équation (2). Nous avons mentionné que les problèmes inverses possèdent, le
plus souvent, une pluralité de solutions ; et un examen approfondi de nos
expériences révèle qu'en effet il existe une pluralité de "stratégies d'action" possibles.
Nous avons décrit en II.3 une stratégie (i) consistant à réaliser un suivi de contour en
avançant tangentiellement sur le tracé tout en maintenant des "microbalayages"
latéraux, ajustés afin de rester centré sur le tracé. Il existe toutefois d'autres stratégies
possibles. Par exemple, (ii) un suivi de contour peut être réalisé en avançant sur le
tracé en s'écartant volontairement et périodiquement par des "sauts de mouton" d'un
seul côté du tracé. (iii) On peut également essayer de réaliser un "suivi direct" du
tracé ; efficace aussi longtemps que l'on reste effectivement sur le tracé, cette stratégie
devient compliquée quand on s'écarte (involontairement donc) du tracé, car il faut
alors une "microstratégie" supplémentaire pour découvrir de quel côté on se trouve.
Nous avons également évoqué, en II.3, une stratégie (iv) consistant à "scanner" la
figure en balayant systématiquement la totalité du champ.
Cette liste de quatre stratégies n'épuise pas toutes les possibilités, mais suffit
déjà pour illustrer notre propos. L'outil - ici notre dispositif expérimental - ne spécifie
pas le geste, mais il impose une contrainte proscriptive. Plus précisément, il donne
lieu à une liste dénombrable de "stratégies d'action" possibles. Il est à remarquer,
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cependant, que ces stratégies ne sont pas d'une égale efficacité. Parmi les quatre
stratégies que nous venons d'identifier, la stratégie (iv) est la plus difficile à réaliser
(quoique, dans nos expériences, l'un de nos sujets l'a effectivement mis en oeuvre -
au prix, faut-il le préciser, d'un effort cognitif démesuré). Avec un seul champ
récepteur, la stratégie (iii) est aussi relativement peu efficace ; la stratégie (ii) est très
faisable, mais légèrement inférieure à (i).
Nous arrivons maintenant à un point clé de notre discussion. L'efficacité
relative des différentes stratégies est dépendante de variations dans le dispositif
expérimental. Par exemple, dans le cas d'un seul champ récepteur, si celui-ci est
agrandi, la stratégie (ii) devient meilleure que (i). La raison probable en est la
suivante : du point de vue du sujet, un grand champ récepteur avec un tracé fin est
équivalent à un petit champ récepteur et un trait très large ; dans ce cas, il est
effectivement plus efficace de cheminer sur un seul bord du trait, sans chercher à le
traverser entièrement ; cela correspond en effet à la stratégie (ii). Pour continuer dans
ce sens, une autre variation dans le dispositif consiste à augmenter le nombre de
champ récepteurs et des points de stimulation tactile correspondants : dans nos
expérience les plus récentes, 16 récepteurs ordonnés dans une matrice de 4 x 4. Dans
ces conditions, la stratégie (iii) devient non seulement faisable, mais la plus efficace ;
le retour sensoriel "en parallèle" effectue pour ainsi dire directement les
microbalayages, de sorte que ceux-ci deviennent superflus. On voit, à travers ces
exemples, comment l'outil conditionne sans pour autant déterminer rigidement les
gestes.
Pour conclure, revenons à la distinction entre les deux modes d'existence des
outils, "saisi" et "déposé". A la différence des organes sensori-moteurs du corps, les
outils peuvent exister en mode "déposé" et, dans ce cas, peuvent être délibérément
refaçonnés. Supposons qu'il existe une première version prototypique d'un outil.
Nous avons vu, dans le cas de notre dispositif expérimental, qu'un tel outil génère
une liste de gestes possibles ; mais que ceux-ci sont d'une efficacité variable. Or, dans
ces conditions, il est plausible de supposer que l'outil sera délibérément refaçonné de
sorte à renforcer les gestes les plus efficaces, tout en inhibant les gestes moins
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efficaces. On peut prendre comme exemple les outils de menuiserie ; dans leur forme
"première", les gestes appropriés sont difficile à acquérir. Il se produit alors une série
d'innovations, destinées à rendre ces outils maniables par des bricoleurs amateurs ; à
la suite de quoi, il devient plutôt difficile de manier l'outil autrement que d'une façon
appropriée. L'évolution technique construit, en quelque sorte, un "attracteur" fort
autour d'un geste unique et efficace ; et par conséquent on peut avoir l'impression,
en fin de parcours, que l'outil "détermine" le geste. Cette impression est dans un
certain sens bien fondée, mais au fond elle est illusoire ; car une telle "détermination",
apparemment prescriptive, est le résultat (et non la cause) d'un long processus de
construction ; et le principe même de cette construction repose sur le fait que la
contrainte exercée par l'outil sur le geste est de nature proscriptive et non
prescriptive.
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