Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Énoncé
Suffit-il d'observer pour connaître ?
Comprendre le sujet
Il importe pour traiter ce sujet d'être très attentif à sa formulation. L'expression « suffit-il » invite à s'interroger sur le
caractère exclusif, ou non, de l'observation dans la connaissance. Cette question repose sur l'idée de condition
nécessaire et suffisante, ou non-suffisante.
Le sujet ne remet pas en question la nécessité de l'observation dans la connaissance, mais le fait qu'elle en soit la
seule et unique condition. L'observation est-elle une condition suffisante pour parvenir à la connaissance, ou, bien que
nécessaire, doit-elle être complétée par d'autres conditions tout aussi indispensables ? Si c'est le cas, il convient alors
de préciser la nature de ces conditions. Il est également impératif de bien définir les termes d'« observation » et de
« connaissance ».
Repères du programme
Abstrait/ concret ; analyse/ synthèse ; cause/ fin, contingent/ nécessaire/ possible ; expliquer/ comprendre ; intuitif/
discursif ; objectif/ subjectif.
Corrigé
Introduction
Dans la mesure où l'observation nous permet de percevoir les choses dans le détail avec précision et rigueur,
nous sommes tentés de penser qu'elle suffit pour parvenir à une connaissance objective de la réalité.
Néanmoins, se limiter à l'observation, n'est-ce pas prendre le risque de réduire la connaissance à une simple
description des apparences, en oubliant que la véritable connaissance résulte d'une découverte, c'est-à-dire
d'une démarche consistant à déceler, certes à partir de l'expérience sensible, ce qui ne se manifeste pas à
l'intuition sensible. Ainsi, j'aurai beau observer aussi rigoureusement qu'il est possible la chute d'un corps, et
renouveler cette observation une multiplicité de fois, je n'y verrai jamais la force d'attraction qui en explique la
trajectoire. Par conséquent, lorsque Newton découvrit la théorie de la gravitation, il semblerait qu'il ne se soit
pas contenté d'observer le mouvement des corps dans l'espace, mais qu'il ait également procédé à d'autres
opérations pour parvenir à élaborer une véritable connaissance. Par conséquent, si l'observation est
nécessaire, elle ne semble pas suffire pour connaître véritablement. Peut-être même risque-t-elle de nous
induire en erreur, si elle n'est pas méthodiquement orientée par d'autres opérations qui font appel à des
éléments supplémentaires, différents de ceux issus de l'expérience sensible ?
2. Observation et imagination
Pour parvenir à sa découverte, Torricelli ne s'est pas contenté d'observer le phénomène, il a aussi dû élaborer une
hypothèse pour parvenir à lui trouver une explication. Élaborer une hypothèse, cela signifie principalement envisager
une explication possible du phénomène, c'est-à-dire imaginer les causes de celui-ci. Autrement dit, se représenter ce
que l'observation immédiate ne fournit pas directement. De même que Newton n'a pas observé directement les lois de
la gravitation, mais leurs effets en voyant des corps en chute libre, Torricelli n'a pas observé directement la pression
atmosphérique lorsqu'il a étudié le fonctionnement des pompes qu'utilisait le fontainier de Florence pour puiser l'eau
de l'Arno. Il a fallu qu'il imagine une solution possible au problème qu'il devait résoudre, c'est-à-dire une explication
dont la réalité est envisageable sans contradiction. Néanmoins, comme le possible n'est pas le réel, il va falloir ensuite
faire appel à la raison scientifique pour mettre en œuvre tout un protocole de vérification afin d'observer si la réalité est
en accord avec l'hypothèse.
3. Observation et raison
On peut donc considérer qu'entre l'observation initiale, qui est le plus souvent suggérée par un « fait polémique »
– c'est-à-dire par un fait qui pose un problème parce qu'il entre en contradiction avec l'explication admise jusque-là –,
et l'observation finale, qui permet de vérifier la validité d'une hypothèse, il y a tout un travail théorique de la raison qui
reconstruit son objet d'étude afin de saisir ce que l'observation ne perçoit pas immédiatement. Ainsi, pour reprendre
l'exemple de Torricelli, ce dernier va modifier certains paramètres, puis, après avoir prévu à l'aide de son hypothèse les
effets que ces modifications pourraient entraîner, il va vérifier si les résultats de ses calculs prédictifs coïncident avec
ce qu'il observe effectivement après avoir procédé à ces changements. Il va donc reproduire le phénomène qu'il étudie
en remplaçant l'eau par du mercure, qui offre une résistance plus grande à la pression atmosphérique – il va d'ailleurs
inventer ainsi le baromètre –, après avoir calculé à partir de son hypothèse la hauteur à laquelle il devrait s'élever.
C'est ensuite, en constatant que la valeur qu'il observe dans l'expérience est la même que celle qu'il prévoyait par ses
calculs théoriques, qu'il vérifiera sa théorie. Par conséquent, il ne suffit pas d'observer pour connaître. L'observation
est nécessaire à la connaissance, mais il faut également qu'entre l'observation première et l'observation qui suit
l'expérimentation se mette en place tout un travail de construction théorique. Ce qui fera dire à Gaston Bachelard que
toute expérimentation scientifique est une « théorie matérialisée ».
La manière dont se construit une théorie scientifique va donc dans le sens de la thèse kantienne selon laquelle « si
toute connaissance débute avec l'expérience, cela ne prouve pas qu'elle dérive toute de l'expérience ».
Conclusion
L'observation est donc une étape indispensable et nécessaire à toute connaissance. Néanmoins, si elle est une
condition nécessaire à la connaissance, elle n'est pas une condition suffisante. La connaissance n'est pas une simple
description des faits, elle consiste justement à découvrir ce que l'observation immédiate ne révèle pas. Il faut donc,
pour que l'observation soit féconde, qu'elle soit guidée par tout un travail d'élaboration théorique, comme cela apparaît
dans les différentes étapes de la démarche expérimentale théorisée, entre autres, par Claude Bernard. Celle-ci,
certes, commence avec l'observation, mais passe également par la formulation d'un problème, l'élaboration d'une
hypothèse, la mise en place d'un protocole expérimental, l'interprétation des résultats de l'expérience scientifique à
partir de calculs et de prévisions préalables, pour enfin aboutir à une conclusion invalidant l'hypothèse ou lui apportant,
au contraire, des éléments de confirmation. L'observation n'est donc pas la seule source de connaissance, il faut
nécessairement qu'elle s'accompagne d'un travail méthodique de la pensée pour parvenir à une connaissance digne
de ce nom. Le recours naïf à l'observation immédiate ne peut que produire des opinions ; or, comme l'écrit Gaston
Bachelard, « l'opinion ne pense pas ». La connaissance ne peut résulter que d'une remise en question des prénotions
et des préjugés qui se constituent inconsciemment dans l'esprit humain lorsqu'il accorde une trop grande confiance à
l'observation première. Cette remise en question autorise ensuite une observation plus méthodique, une observation
guidée par l'entendement qui permet d'accéder à une connaissance véritable.