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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Série L

Sujet 1 :
Suffit-il d’observer pour connaître ?

Première partie : remarques sur le sujet (spécificités, niveau de difficulté)

C'est un sujet très ambitieux, dont la formulation est « à l'ancienne », si l'on peut dire : les
notions au programme n'y sont pas explicitement présentes (vérité, raison et réel, théorie et
expérience, perception, etc.).
Traiter efficacement ce sujet demandera de la dextérité dans le maniement des concepts,
des références et des arguments ; il s'agira de proposer une argumentation suivie qui aille au-
delà du cas par cas (« il y a des cas où observer suffit, il y a des cas où observer ne suffit pas
pour connaître... »), et qui ne soit pas seulement une sorte de plan thématique ou de plan
séparateur (par exemple : I) l'observation dans la vie courante ; II) l'observation en art ; III)
l'observation en sciences).

Les notions du programme qui peuvent être mobilisées sont :


- la vérité
- la théorie et l'expérience
- l'interprétation et la démonstration
- la perception
- la raison et le réellement- l'art
- le vivant
- la conscience, l'inconscient
- autrui
- le désir…
Et on peut même ajouter tous les chapitres dans lesquels on a parlé de la « connaissance » :
connaissance de soi, connaissance du passé (histoire), connaissance de l'objet du désir, etc.

Il y aura deux excès à éviter pour traiter ce sujet :


- ne parler que de la connaissance scientifique, et proposer une copie abstraite, alors que ce
n'est pas seulement un sujet d'épistémologie, de théorie de la science ou de théorie de la
connaissance ;
- vouloir parler d'absolument tout, et proposer une copie dispersée.

On peut donc dire que c'est un sujet difficile, qui demande d'avoir extrêmement bien
intériorisé les définitions, les références et la méthode de l'argumentation en dissertation.

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Deuxième partie : analyse notionnelle et repérage du réel que le sujet invite à


penser :

Remarque préalable sur la structure logique du sujet : on a un sujet du type : « A est-il la


condition nécessaire et suffisante de B ? ».
Face à un tel sujet, il y a toujours un plan simple et cohérent qui peut être adopté :
I) A est au minimum nécessaire pour avoir B.
II) et A pourrait même suffire pour avoir B…
III) à condition que A veuille dire très précisément [définition contre-intuitive, paradoxale
de A].
La démarche consiste à construire peu à peu un concept de A – ici, l' « observation » - qui
soit plus strict, plus restreint, plus rigoureux que le sens ordinaire du mot.

Analyse notionnelle :
« Observer » :
- regarder attentivement
- avoir une perception consciente
- se procurer sur quelque chose une certitude sensible (cf. le cours sur la vérité, pour cette
expression « certitude sensible »)
- saisir les apparences sensibles (dont on sait qu'elles sont : diverses, différentes, multiples,
variables, contingentes, présentent ressemblances et dissemblances, chaotiques,
irrationnelles…)
- Attention à ne pas remplacer dans la copie « observer », qui implique une activité
consciente et intentionnelle, par « voir », qui est seulement la réception passive d'une donnée
visuelle.
- il faut donc parler de la concentration de l'esprit : dans l'observation, d'emblée, il n'y a
pas que les yeux qui interviennent, mais bien, déjà, la volonté et la raison.

« Connaître » :
- savoir identifier
- pouvoir expliquer
- pouvoir décrire, pouvoir définir
- pouvoir prévoir
- insérer dans une succession de causes et de conséquences
- penser quelque chose de vrai à propos de quelque chose
- savoir à quelle loi ou catégorie générale quelque chose correspond, obéit.

Avec ces premiers éléments de définition, on peut commencer à réfléchir un peu.

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Si observer, c'est seulement accorder de l'attention à ce que l'on perçoit, alors ce que je sais
par une observation ordinaire, courante, ne peut pas prétendre au statut d'une véritable
connaissance rigoureuse.
Cependant, si connaître c'est seulement avoir avec quelque chose une familiarité pratique
et psychologique suffisante pour pouvoir interagir efficacement avec cette chose ou cette
personne (connaître quelqu'un, c'est savoir quoi lui dire de manière appropriée), alors il se
pourrait qu'une simple observation (unique, ou répétée) fût suffisante pour connaître.
Si, à présent, on propose une définition plus exigeante, plus restrictive, de l'
« observation », en se souvenant par exemple que le médecin peut me garder « en
observation » à l'hôpital, que l'observation est aussi une étape dans la démarche scientifique
expérimentale, où l'esprit a l'initiative, et procède à une observation qui est solidaire d'une
hypothèse théorique, on dira que l'observation, qu'une observation digne de ce nom,
implique logiquement, ou présuppose toujours, tant de choses (usage de la raison,
interprétation active par l'esprit de ce qu'il perçoit consciemment et volontairement, etc.),
qu'au fond, dès que j'observe, c'est déjà une condition suffisante de la connaissance. En
précisant cette idée, on peut dire que la véritable observation, méthodique, réfléchie, assidue,
attentive… ne va pas donner des connaissances toutes faites, mais qu'elle suffira à rendre
l'homme capable de produire de véritables connaissances.
On commence à voir se dessiner une réponse possible au sujet. Cette réponse consisterait,
« en gros », à dire qu'une observation réfléchie, sans cesse rectifiée ou retravaillée, certes
n'équivaut pas à la possession de connaissances complètes et parfaites, donc à la possession de
la vérité, mais est ce processus nécessaire et suffisant pour acquérir, pour produire de
véritables connaissances, qui auront la rigueur et l'exhaustivité qui caractérisent la vérité.
En résumant : bien observer, c'est déjà être dans le vrai, ou s'être préparé pour l'être.

On commence à voir se dessiner les difficultés majeures du sujet, et à se rappeler des


éléments du cours. Ainsi, par exemple, à la lumière des références à l'histoire de la science, et
à l’œuvre de Michel Foucault, on peut noter que l'acte d'observer, que toute observation, est
historiquement déterminé, est « historique ». Le regard, en effet, est toujours « pré-orienté »,
pré-déterminé à voir certaines choses plutôt que d'autres, à les interpréter d'une manière
plutôt que d'une autre, à les ordonner d'une manière plutôt que d'une autre. Ce qui détermine
les conditions de l'observation, ce peut être le corps (Nietzsche), les institutions politiques
(Foucault), le monde sensible et ses conditions spatio-temporelles toujours particulières et
variables (Platon), et un certain nombre d'éléments caractérisant la finitude de notre pouvoir
de connaissance (Descartes, Kant…).
Aussi en vient-on assez vite à un argument clair : l'observation est toujours historique,
alors que nous attendons d'une véritable connaissance qu'elle ne soit pas historique. On voit
donc mal comment de l'historique pourrait donner accès à lui seul à de l'anhistorique, de
l'hypothétique à de l'anhypothétique.
Mais on peut alors remarquer que l'observation, puisque justement elle n'est pas toujours
la même au cours de l'histoire, peut être bien se travailler, être modifiée à l'initiative du sujet
observateur lui-même. Lorsque j'observe quelque chose, je peux aussi (ou juste après)
réfléchir sur la manière dont j'observe, sur ma méthode d'observation. L'observation peut
donc aussi être réfléchie, et le sujet observateur est un sujet réflexif : il observe, et il s'observe

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en train d'observer. Cela veut dire que celui qui observe a toujours, au moins en droit, sinon
en fait, la possibilité de dépasser sa condition historique, en prenant conscience de cette
historicité, justement. Il a donc, au moins en droit, la possibilité de parvenir à une véritable
connaissance.
Toute observation – on avance là un autre argument, qui complète l'idée précédente – a
donc, ou est donc, toujours la possibilité de dépasser les apparences sensibles, la possibilité de
ne pas se contenter des apparences sensibles. Ainsi un acte forcément subjectif – celui du
sujet qui observe - , ponctuel, relatif à des conditions matérielles bien précises, peut produire
(donner accès à) des éléments de savoir objectifs, universels, durables, intemporels, absolus
(c'est-à-dire précisément ce qu'on entend normalement par « connaissance »).

On en vient ainsi à une formulation possible du problème :


y a-t-il une certaine qualité de subjectivité (attention, concentration, rigueur, application,
rationalisation de ce qui est perçu), dans notre manière de percevoir, qui pourrait mener à la
vérité objective sur ce qui est perçu ?
Si oui (en suivant le cas paradigmatique/révélateur de l'art, de l'observation de l’œuvre
d'art), dans toute véritable observation, il y a déjà une connaissance qui est produite.
Si non : il faut toujours questionner la validité de notre certitude sensible, soupçonner qu'il
n'y ait pas correspondance fidèle entre le sensible et la réalité, entre les apparences et les
choses elle-mêmes.

Cela nous permet, en passant, de repérer les situations réelles que le sujet nous invite à
penser :
- devons-nous toujours nous méfier des apparences ? Devons-nous toujours nous rappeler
qu'il ne suffit pas d'avoir observé quelque chose pour avoir eu accès à cette chose telle qu'elle
est réellement ?
- quel est le pouvoir exact qu'a l'homme de connaître le monde ? Ne s'agit-il finalement
que de retenir, de sélectionner des éléments utiles pour sa vie (en ce cas, il n'y a jamais de
connaissance accédant à l'être véritable des choses, de véritable « théorie »), ou bien celui qui
voit attentivement a-t-il déjà accès aux choses mêmes ?
Cela nous renvoie à une opposition qui traverse toute notre pensée et notre vie :
l'opposition entre l'apparence (superficielle, éventuellement trompeuse, incomplète…) et la
réalité (profonde, authentique).

Proposition de plan :

Première partie : il y a une observation ordinaire, spontanée, courante, qui est bien une
perception des choses, mais qui n'est pas une véritable connaissance des choses.
Références possibles :
Platon, La République (allégorie de la caverne), Descartes (morceau de cire, manteaux et
chapeaux dans les Méditations métaphysiques), Aristote (c'est l'âme qui voit, et non l’œil…),

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Husserl, Méditations cartésiennes (autrui perçu n'est pas présenté mais seulement
apprésenté).

Deuxième partie : mais une observation véritable, « digne de ce nom », peut-elle se


contenter d'être « ordinaire » ?
Ici, on restreint la définition du mot « observation », et on affirme que l'observation, pour
en être vraiment une, doit toujours aussi s'accompagner d'une critique, d'un questionnement
réflexif (« suis-je bien en train d'observer comme il faut ? Ne suis-je pas la dupe de ma propre
manière de regarder ? »). Dès lors, toute véritable observation a déjà les moyens de
s'affranchir des conditions historiques dans lesquelles elle a lieu, et peut se corriger elle-
même.
Référence :
Duhem (construction des théories scientifiques), Galilée (L'essayeur, Le messager des
étoiles), Claude Bernard (sur la méthode expérimentale), analyse et exemples de mise en
œuvre de la démarche hypothético-déductive en sciences, etc.

Troisième partie : l'observation est une participation entre moi-même et la chose


observée : le cas suprêmement révélateur du regard esthétique (observation de l’œuvre d'art).
L'observation véritable comme intuition sympathisante (Bergson), comme co-naissance
(Claudel) ; comme réception et attribution simultanée de sens (Merleau-Ponty), comme
ouverture à un sens qui est au-delà de toute connaissance (Lévinas).

Réponse finale et complète au sujet :


Ce que je peux observer et ce que je peux connaître sont deux ensembles qui s'intersectent
(ils ont des éléments communs, où une chose observée est de facto une chose connue) sans se
superposer : tout ce qui a été observé n'est pas nécessairement connu, et tout ce qui est connu
ne l'a pas nécessairement été grâce à une observation.
On peut connaître sans avoir observé : il ne suffit donc pas d'observer pour connaître… tout
ce qu'il y a à connaître. On répond donc fermement : il ne suffit pas d'observer pour
connaître.
Mais si l'on peut répondre ainsi au sujet, c'est aussi parce que l'observation n'a peut-être
pas pour rôle essentiel de nous procurer une connaissance théorique parfaite, intellectualisée,
rationnelle.
Observer quelqu'un, observer un paysage, observer un événement, ce n'est pas seulement
connaître, c'est m'ouvrir à la profondeur de sens des choses, tisser un certain lien entre les
choses et moi, où les choses me communiquent leur sens et où je confère un sens à ces choses
en retour, comme si nous co-opérions, et que le sens naissait toujours à mesure que les choses
sont observées.
Il ne suffit donc pas d'observer pour tout connaître, mais il suffit en revanche d'observer
pour penser (de manière charnelle, sensible ou sensitive, intuitive, sympathisante) les choses,
dont le sens ne se formule pas uniquement sur le mode d'une connaissance objective et
verbalisée.

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Cependant, pour accéder à la connaissance consciente, thématisée, et partageable avec


d'autres, de quelque chose que l'observation m'a fait penser, il faudra un travail d'élaboration
par la raison, un effort d'interprétation, de catégorisation, que la raison prendra en charge. Il
suffit donc d'observer les choses pour les penser, mais il revient à la raison de s'emparer de
cette observation pour l'ériger en véritable connaissance.
(pour être moins abstrait : si j'observe longuement un tableau, je le pense, j'accède à lui par
une certaine forme de pensée, qui passe par mes sensations, mes émotions. Je sens qu'il se
passe quelque chose entre ce tableau et moi. Cependant, si je veux le connaître véritablement,
il faudra en retracer l'histoire, le décrire, l'interpréter de manière cohérente et documentée, ce
qui nécessitera bien un travail de la raison).

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Sujet 2 :
Tout ce que j’ai le droit de faire est-il juste ?

Première partie : remarques sur le sujet (spécificités, niveau de difficulté)

Pour peu que l’on pense, dès le début de l’analyse au brouillon, à plusieurs aspects
importants du sujet, la réflexion court le risque de se disperser assez vite. En effet, il est tout
de suite tentant d’explorer tous les points liés au sujet : le légal, le légitime, la liberté, la
licence, la justice au sens politique, la justice au sens moral, les définitions aristotéliciennes
de la justice (corrective, distributive, etc.), la justice sociale, l’identité du « je » présent dans
l’énoncé, etc. Il faut alors s’attacher à trouver un fil conducteur de la réflexion suffisamment
fort et unifié pour pouvoir évoquer ces éléments (pas nécessairement tous, d’ailleurs), sans
risquer la confusion ou l’énumération de définitions de la justice.

C’est un sujet qui demande au candidat d’articuler correctement la notion, implicitement


présente, de liberté (avoir les droits subjectifs, avoir l’autorisation, de faire quelque chose),
avec les notions de justice et de Droit. Mais on peut, et même : on doit, penser à la question
de la morale et du devoir. Il y a donc plusieurs notions du programme qu’il faudrait évoquer,
pour s’assurer que l’on est pleinement dans le sujet, et qu’on n’en néglige pas d’aspect majeur.

Il faut ensuite faire très attention à rester constamment dans le sujet, dont il est parfois très
facile et tentant de s’éloigner. Logiquement, puisque le sujet parle de « tout ce que j’ai le droit
de faire », c’est qu’il y a aussi tout ce que je n’ai pas le droit de faire. Et logiquement toujours,
puisque je peux me demander si ces actions autorisées sont toujours justes, je peux avoir envie
de me demander si les actions interdites, non autorisées, elles, peuvent parfois être justes. Il
faut ici être prudent : si on décide d’en parler, il faut que cela ne soit pas dans le cadre d’un
développement autonome (cela ne doit pas être votre propos en tant que tel), mais seulement
que cela soit une sorte d’argument indirect, du type : « on sait qu’il y a des actes illégaux qui
sont légitimes ; rien que ce constat nous invite à nous méfier d’une définition de la justice qui
se limiterait au respect de la légalité ».

Il est commode, pour ce type de sujet, de procéder à l’aide d’exemples étoffés ; il faut alors
bien les préparer au brouillon, de manière à éviter plusieurs défauts importants (mais
fréquents!) d’argumentation, parmi lesquels, surtout, il faut bannir la pure liste de cas de
figure, l’énumération peu ou pas construite de faits, d’exemples qui ne permettraient pas de
venir ou de revenir à des concepts, des arguments, des thèses précis.
Il faut travailler au brouillon pour trouver des exemples qui joueront pleinement leur rôle :
- clarifier (en rendant concret, visible, aisé à imaginer) le propos qui vient d’être exposé ;
- nourrir, relancer la pensée, suggérer des pistes de réflexion qui n’ont pas encore été
abordées.

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L’intérêt de ce sujet est de nous inviter à comparer le raisonnement purement « juridique »,


et le raisonnement philosophique : cette approche doit permettre de discuter de manière
approfondie le légalisme, ou ses versions les plus caricaturales.

On évitera toutefois de comprendre le sujet uniquement comme un sujet sur la fonction de


la LOI : si l’expression : « tout ce que j’ai le droit de faire » voulait dire seulement : « tout ce
que la loi m’autorise à faire sans me punir », on risquerait de ne pas identifier le problème
posé, qui disparaîtrait complètement : car dans ce cas, le « juste » serait à comprendre
uniquement comme : « ce que la loi a défini comme juste », et la question s’approcherait
d’une pure tautologie : « tout ce que la loi autorise correspond-il à ce que la loi définit comme
juste ? ».
Le sujet demande donc de voir si le juste se limite à sa définition purement légale,
juridique, ou si, au contraire, le juste n’est pas quelque chose dont parle la loi, sans que la loi
détermine (à elle seule) ce qu’il est.
Il faut alors dire : « le juste est irréductible au légal », « dire le légal, ce n’est pas dire tout ce
qui est juste », et il faut « sortir » du Droit positif, pour se demander ce qui le fonde. On
retrouve alors des questions abordées en cours, sur l’hypothèse du Droit naturel notamment.

A l’issue de ces remarques préalables, on peut dire qu’il s’agit d’un sujet très accessible, qui
permet sans difficulté majeure (ce qui ne veut pas dire : sans difficulté du tout!) de raisonner,
d’argumenter simplement, et de montrer qu’on a travaillé pendant l’année, et bien appris les
éléments du cours. C’est le type de sujet de dissertation qu’il est judicieux de choisir lorsqu’on
a eu l’occasion d’atteindre, au cours de l’année, un niveau satisfaisant (de 10 à 13 sur 20).

Deuxième partie : l’analyse du sujet.

On va mener l’analyse en deux temps : analyse nominale/notionnelle (quel est le réseau de


mots, de notions, que les termes du sujet mobilisent?), puis identification du réel visé (de
quel domaine de la réalité, de quel objet d’une possible expérience le sujet nous invite-t-il à
parler?)

Analyse notionnelle :

« tous ce que j’ai le droit de faire » :


- tous les actes (« faire ») que la loi autorise, ou du moins, n’interdit pas explicitement ;
- tout ce qui est moral, ou, du moins, compatible avec la morale : mon devoir, et tous les
actes qui, sans être « moraux » en tant que tels, ne sont pas foncièrement immoraux,
répréhensibles, condamnables.
- tout ce qui n’est pas nuisible aux autres.
- si on interprète l’expression comme : « tout ce que la loi autorise », cela demande une
réflexion sur le fondement de la loi, et les sources auxquelles les hommes puisent pour écrire

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la loi : exigences de la vie en société (ordre, tranquillité, paix, cohésion…), volonté politique,
expression d’une souveraineté, État, etc.
- l’étendue de ma liberté de mouvement (cf. définition hobbesienne de la liberté comme
liberté physique de se mouvoir sans être empêché).

« juste » :
- égal (avec ses déclinaisons : égalité stricte, égalité de proportion…)
- légal
- dû
- respectueux des autres, de leur vie, de leurs droits, de leur dignité
- moral
- justifié, qui a de bonnes raisons d’exister
- bon pour le groupe, utile (perspective utilitariste, perspective conséquentialiste).

Identification de la réalité dont il est question et problématisation :

Agir légalement, et en respectant la morale qui est en vigueur dans la société où l’on vit,
cela suffit-il pour agir de manière juste ? Toute liberté exercée de manière compatible avec les
normes légales et morales valides est-elle la preuve, ou le signe irréfutable, que l’on est un
homme juste ? Légalisme et conformisme moral sont-ils une condition suffisante (on ne
peinerait pas à accorder qu’ils sont une condition nécessaire, au préalable) pour s’élever à la
véritable justice, c’est-à-dire à une vie conforme à ce qui, en soi, est bon pour soi et pour les
autres ?
Ne faut-il pas une autre condition (complémentaire ou opposée) que la stricte légalité et la
docilité face aux exigences morales de la société, pour être vraiment « juste » ?

Concrètement, le sujet nous demande de réfléchir sur le rôle et les effets politiques et
moraux que nous pouvons attendre (dans les deux sens du mot : « attendre » :
anticiper/prévoir, ou exiger) de la loi.
Ainsi, la loi – hypothèse minimale, « modeste » - garantit-elle seulement le strict
« minimum » (survie, sécurité, coexistence pacifique des hommes, liberté de mouvement), ou
bien, de manière plus « emphatique », plus ambitieuse, devons-nous dire que toute loi digne
de ce nom m’autorise à faire des choses dans la mesure où elle a pour fonction de garantir
l’égalité, et la conformité des actions humaines à des normes qui ont une validité absolue et
qui sont en soi désirables ? (le bien, la justice).

La réalité ici questionnée, c’est l’attitude légaliste. Le légalisme (s’en tenir au respect strict
des textes, des règlements, des lois, sans jamais questionner leur bien-fondé) autorise-t-il la
bonne conscience ? Suis-je quelqu’un de bien du moment que j’ai respecté la loi à la lettre ?
Pour que je sois quelqu’un de recommandable, suffit-il qu’aucun de mes actes ne contredise
explicitement la loi en vigueur ?

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Nous avons en tête des exemples de cas où le légalisme paraît très nettement insuffisant,
sinon choquant : faire embaucher un membre de ma famille non parce qu’il est compétent,
mais parce qu’il est de ma famille, mettre en œuvre certaines techniques d’ « optimisation
fiscale », etc.
Cela nous suggère alors l’hypothèse suivante : l’homme juste ne doit-il pas toujours
associer, au respect des lois et de la morale socialement dominante qui est déjà le sien, un
ensemble de principes, un ensemble de préoccupations, qui, certes, ne figurent pas
explicitement dans la loi, mais qui doivent impérativement guider, modérer, préciser, sa
liberté effective d’action ? Dit plus simplement : ne dois-je pas toujours être plus exigeant
avec moi-même que la loi ne l’est ?

Troisième partie : proposition de plan et réponse au sujet

I) Il n’est jamais « juste », en soi, et même, au contraire, il peut être extrêmement injuste,
de faire tout ce que la loi autorise.

En effet, la loi n’a pas à tout réglementer, à tout normer, à tout codifier. Cela s’explique par
le fait qu’une loi digne de ce nom, démocratique, n’impose pas une définition transcendante
du bien qui viserait à organiser absolument tous les événements de notre existence. Ce n’est
pas son rôle ; elle laisse à chacun le soin de définir pour lui-même ce qu’il considère être bon
politiquement et moralement, c’est-à-dire ce qu’il considère être juste.
Références possibles : Claude Lefort, Spinoza, Kelsen, Hume…

II) En revanche, il y a toujours une exigence préalable (une « condition nécessaire », sur le
plan logique), exigence démocratique et politique cruciale, d’inscrire tout ce que nous faisons
dans le strict respect des lois.

Il faut « au moins » avoir le droit de faire ce que l’on fait, pour pouvoir commencer à se
demander si ce que l’on fait est juste.
Références possibles : Tocqueville, Montesquieu, Kant (penseurs non « légalistes », mais
qui ont défendu l’idée que c’est aussi une vertu démocratique, une qualité démocratique, de
savoir faire confiance aux lois, de savoir accepter positivement – et non uniquement de
mauvaise grâce – qu’il y ait des lois pour le bien de tous).

III) Tout ce que j’ai le devoir de faire, c’est cela qui est juste. Et il est juste (et moralement
obligatoire, nécessaire) de limiter mes propres actions plus rigoureusement que la manière
dont la loi les limite déjà.

Je ne dois pas seulement respecter la loi, je ne dois pas seulement explorer toutes les
possibilités d’action demeurées dans le « silence de la loi » (principe selon lequel est permis
tout ce que la loi n’interdit pas explicitement de faire).

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Je dois respecter, outre la loi, tout ce qui rend la loi elle-même respectable. En clair : je ne
respecte pas la loi uniquement parce que c’est la loi ; je respecte la loi parce que ce qu’elle me
dit de faire est juste : c’est donc la justice que, à travers le respect des lois, je respecte
ultimement.
Tout ce qu’un principe exigeant de recherche du bien politique me permet de faire, voilà ce
qui est juste.
Ce bien politique admet des définitions multiples, qui méritent discussions,
argumentations et arbitrages. Citons rapidement : le bien commun, la décence commune (à la
manière dont les libéraux comme Locke, ou comme un George Orwell bien après, l’ont
définie), la visée d’un bien pour chacun comme pour tous, la liberté et l’égalité, etc.
Références : Locke, Orwell, Platon (Gygès), Sophocle (Antigone), les penseurs des
Lumières.

Réponse finale au sujet :


Une liberté qui se définirait comme l’exploration légaliste de toutes les possibilités d’action
– tant que la loi ne me punit pas, je le fais – ne serait ni viable, ni satisfaisante. En effet, la
liberté que, fondamentalement, nous recherchons, c’est une liberté qui nous mène aussi à une
vie juste.
Est juste non pas tout ce que je peux légalement faire, mais tout ce qui, dans ce qui est
légalement permis, contribue, de surcroît, au bien commun.
La réponse au sujet que nous proposerons sera donc extrêmement simple : tout ce que j’ai
le droit de faire en faveur des autres est juste.

NB : vous aurez remarqué que cette réponse est très simple, presque banale. Elle est
cependant pleinement une réponse philosophique. Gardez bien en tête qu’en philosophie,
c’est bien le vrai qui est recherché, et non l’original ni le compliqué. La dissertation peut très
bien servir non pas à découvrir/construire une réponse extrêmement longue et complexe,
mais à produire les raisons que nous avons de proposer une réponse très simple, très claire,
très brève, et déjà connue de tout homme un peu sensé et de bonne foi.

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Sujet 3 : Rousseau, Second Discours

Un Auteur célèbre*, calculant les biens et les maux de la vie humaine et comparant
les deux sommes, a trouvé que la dernière surpassait l’autre de beaucoup et qu’à tout
prendre la vie était pour l’homme un assez mauvais présent. Je ne suis point surpris
de sa conclusion ; il a tiré tous ses raisonnements de la constitution de l’homme
Civil : s’il fût remonté jusqu’à l’homme Naturel, on peut juger qu’il eût trouvé des
résultats très différents, qu’il eût aperçu que l’homme n’a guère de maux que ceux
qu’il s’est donnés lui-même, et que la Nature eût été justifiée. Ce n’est pas sans peine
que nous sommes parvenus à nous rendre si malheureux. Quand d’un côté l’on
considère les immenses travaux des hommes, tant de Sciences approfondies, tant
d’arts inventés ; tant de forces employées ; des abîmes comblés, des montagnes
rasées, des rochers brisés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des
lacs creusés, des marais desséchés, des bâtiments énormes élevés sur la terre, la mer
couverte de Vaisseaux et de Matelots ; et que de l’autre on recherche avec un peu de
méditation les vrais avantages qui ont résulté de tout cela pour le bonheur de l’espèce
humaine, on ne peut qu’être frappé de l’étonnante disproportion qui règne entre ces
choses, et déplorer l’aveuglement de l’homme qui, pour nourrir son fol orgueil, et je
ne sais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courir avec ardeur après toutes les
misères dont il est susceptible et que la bienfaisante nature avait pris soin d’écarter de
lui.

* Maupertuis

Première partie : remarques sur le choix du texte (ses difficultés, ses spécificités, la
méthode appropriée pour l’expliquer)

Après deux ou trois lectures du texte, on peut considérer que si l’on comprend bien
l’opposition majeure entre « naturel » et « civil » (soit en devinant son sens, soit parce qu’on
l’a vue en cours pendant l’année), l’ensemble du texte n’apparaît pas extrêmement
énigmatique. Il a ses difficultés, mais l’ensemble ne résiste pas excessivement à la
compréhension. C’est donc un texte abordable.
Le texte est riche, sans que cette richesse le rende obscur : c’est un texte sur lequel le
candidat aura (normalement!) beaucoup de choses à dire. Ajoutons que, de surcroît, le texte
est d’une lecture agréable : c’est du Rousseau !
Abordable, riche, beau : autant de raisons à la fois de choisir, un jour d’examen,
l’explication d’un texte semblable, mais aussi de rester très vigilant. Plus le texte est séduisant,
plus il faut s’obliger à être très méthodique (rigueur, cohérence dans les choix d’interprétation,
exhaustivité – c’est-à-dire : être complet). Ce n’est surtout pas le moment de travailler « à
l’instinct », au « feeling », au « talent », ni de laisser libre cours à la plume sans avoir produit
un important travail préalable d’élucidation au brouillon.

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Repérons dans le texte les concepts, les notions, vus dans l’année, qui étaient au
programme, ou qui ont été vus en cours. On en trouve un certain nombre, mais il faut ici
« sentir », détecter que certains sont suggérés, sont présents à l’état diffus, et que le travail
d’explication va consister à bien les mettre en lumière, et à montrer de manière parfaitement
claire les liens logiques que Rousseau a établis entre eux.
Ce travail d’identification des concepts et de reconstruction explicite des liens logiques
implicites, il faut le mener dans l’élucidation linéaire – quand on explique, ligne après ligne,
le texte - , puis lors d’une ressaisie complète de l’ensemble du texte. Dans cette « ressaisie »
(on essaie de condenser tout ce que l’on a compris grâce au texte), on s’assure qu’on a bien
proposé une véritable lecture, une véritable interprétation du texte, c’est-à-dire identifié un
problème et une thèse qui sont bien ceux de tout le texte, et non pas seulement d’un passage
ou de quelques lignes de ce texte.

Sur le plan du style, de la forme littéraire, on constate qu’il y a beaucoup d’éléments


concrets, une énumération d’éléments visuels. On n’en proposera pas un commentaire
stylistique, mais il faut :
- essayer de les traduire en concepts, de les relier à des concepts philosophiques précis (en
l’occurrence, dans ce texte : société, technique, politique, liberté, force, puissance…)
- s’interroger sur le rôle argumentatif de chacun de ces éléments ;
- voir s’il y a une progression logique entre eux qui structure souterrainement l’ensemble
(ex : passage de l’individuel au collectif, changement, d’échelle, approfondissement des
conséquences d’un fait premier, etc.)

Enfin, il reste à mobiliser toutes les techniques d’explication qui s’appuient sur le postulat
que le texte est écrit exactement comme l’auteur, qui est un bon écrivain, voulait et même
devait l’écrire :
- à chaque mot correspond-il une idée ?
- le même mot désigne-t-il toujours la même idée, ou porte-t-il des variations légères
autour de la même idée ?
- deux mots distincts renvoient-ils à deux idées distinctes, ou peuvent-il renvoyer à une
même idée ?
Dans le texte de Rousseau, par exemple, ces questions se poseraient à propos de l’usage du
mot : « nature », dont on comprend qu’il évoque à la fois la nature humaine, et la nature
biologique (l’ensemble des vivants).

Une dernière remarque : si jamais, comme c’était ici fort probable pour les candidats avec
un auteur majeur et central comme Rousseau, on connaît des éléments de la pensée de
l’auteur, on prend garde de ne pas « plaquer » des connaissances artificiellement sur le texte.
La règle essentielle est de suivre la lettre du texte, qui, en théorie, peut se suffire à elle-même.
C’est seulement si vous êtes certain(e) de pouvoir approfondir votre lecture du texte en ayant
recours à un élément externe à lui (externe à lui = que la lecture seule du texte n’aurait jamais
permis de deviner), que vous pouvez solliciter ces connaissances doctrinales.

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Ici, par exemple, la maladresse et le hors-sujet auraient été de mobiliser par exemple la
théorie du contrat social, du souverain, de la volonté générale, pour expliquer ce texte, qui
n’est pas un texte de réflexion sur la légitimité du pouvoir politique.

Deuxième partie : élucidation linéaire du texte :

On repère, à défaut d’un plan parfaitement délimité à la ligne près, une progression
d’ensemble du texte :
- début du texte qui nuance fortement une thèse philosophique antérieure (celle de
Maupertuis), thèse qui est aussi un lieu commun philosophique (pessimisme).
- Cette thèse répondait à un problème philosophique central : l’origine du mal, et les liens
que l’on peut établir entre la nature humaine et le malheur. Est-ce par nature que l’homme est
malheureux ? En ce cas, il faut déclarer que le bonheur est impossible, pour des raisons de
principe, pour des raisons ontologiques (tenant à l’être de l’homme, à sa réalité essentielle).
Ou bien la vie humaine n’est-elle qu’exceptionnellement malheureuse ? Le malheur est-il
nécessaire, ou contingent, dans la vie de l’homme ?
- Rousseau va nuancer très fortement – sinon carrément rejeter… - la thèse de Maupertuis,
en identifiant (par la «méditation ») l’origine de l’erreur de Maupertuis.
- Pour cela, Rousseau va lui-même déployer sa propre thèse, sur l’origine non pas naturelle
mais historique (le mot n’est pas dans le texte, mais la lecture attentive du texte invite à avoir
recours à ce concept d’histoire) du malheur des hommes. Cela s’appuie sur la thèse de
Rousseau que toute évolution – donc l’histoire humaine, l’évolution de la vie des hommes au
fil du temps et des actions qu’ils accomplissent – est ambivalente sur les plan moral et
politique : toute évolution comporte, indémêlablement, du positif et du négatif, va toujours à
la fois vers du « mieux » et vers du « pire ».
- On en vient à ce que la fin du texte signifie : ce qui augmente, ce n’est pas le bonheur des
hommes, quand ils évoluent, mais seulement leur puissance, leur maîtrise physique du
monde.
- ainsi obtient-on la conclusion du texte : il est nécessaire que l’homme contredise son
naturel ; la nécessité que l’homme subit et suit (vivre en société, devenir un homme « civil »,
au fil de l’histoire) est de contredire sa naturalité. La vie naturelle n’est pas ce qu’il est
inévitable de suivre, mais ce qu’il est inévitable de perdre, et c’est pourquoi l’homme, puisqu’il
est nécessairement dans l’histoire, est condamné à devenir malheureux, alors que sa nature le
prédispose pourtant toujours à rechercher le bonheur.

L’objectif du texte est donc de s’emparer efficacement du problème philosophique de


l’origine du mal (le mal, ici, c’est le fait que les hommes soient, puissent être, doivent toujours
être, malheureux, car exposés à la souffrance, à la mort, à la violence).
Trouver d’où vient que les hommes soient si malheureux, cela répondrait à la question du
bonheur : le bonheur est-il accessible ? S’il l’est – ce que nous avons fortement envie de
répondre, et ce que répondaient les philosophes de l’Antiquité - , si désirer le bonheur est un
désir parfaitement naturel, et si l’homme est naturellement capable d’être heureux, comment
expliquer l’omniprésence du malheur dans nos sociétés ? C’est donc un texte qui porte sur le

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statut exact des obstacles au bonheur. En partant de la question de ce statut, posons le


problème du texte sous la forme d’une alternative :
- première hypothèse : le principal obstacle au bonheur est ontologique, ou métaphysique ;
c’est par nature que nous sommes condamnés au malheur, la nature humaine est une nature
qui est, par définition, souffrante, vulnérable, et méchante.
- deuxième hypothèse : le principal obstacle au bonheur est psychologique et historique :
ce sont les volontés des hommes, manifestées au cours de l’histoire, et en dépit même de ce
que leur nature les encourageait à vouloir (l’innocence, la simple conservation de soi, des
passions simples), qui sont seules responsables du malheur.

La solution proposée par Rousseau à ce problème s’obtient par un raisonnement


« dynamique » : ce que Maupertuis figeait, condensait, comme si l’on pouvait calculer des
plaisirs et des douleurs qui existeraient simultanément, il faut l’étudier dans le fil de son
évolution. Le raisonnement se reconstitue alors comme suit :
- il existe bien une nature humaine, qui est définie par la nature. L’homme est comme la
nature a défini qu’il serait naturel d’être pour tout membre de l’espèce humaine.
- Un tel homme naturel, qui serait forcément heureux, on ne peut peut-être pas le voir,
mais on peut au moins le penser, l’imaginer, par une sorte de « méditation ».
- Cet homme ne s’observe pas à l’état pur, car dès qu’il vit, il se socialise, vit en société, et
alors il change : c’est ainsi que nécessairement il contredit sa nature.
- En toute logique, donc, ce n’est pas la nature elle-même, mais l’histoire humaine – le fait
que les hommes aient à agir ensemble, en sociétés, au fil du temps, à être des « hommes
civils » - qui est l’origine du mal.
Autrement dit : nous ne sommes pas malheureux parce que nous sommes humains ; nous
sommes malheureux parce que nous vivons dans l’histoire, et que l’histoire n’est pas du tout le
lieu où s’exprimerait peu à peu, de mieux en mieux en quelque sorte, la vérité de la nature
humaine.

Détail de l’explication linéaire :

Rousseau commence par évoquer la méthode de Maupertuis, qui consistait en un calcul


des biens et des maux de la vie humaine. Ce philosophe avait essayé, en quelque sorte,
d’objectiver en quantités calculables, dénombrables, et donc comparables, des réalités
subjectives (joies, plaisirs, souffrances). La raison calculante cherche à s’emparer par
objectivation d’éléments subjectifs définissant toute vie, pour en tirer une thèse d’ensemble
sur la valeur éthique et axiologique (est-ce en soi une bonne chose ou une mauvaise chose?)
de la vie humaine elle-même. Rousseau ne critique pas en tant que telle cette méthode ; il se
contentera de la remplacer par une autre – la dynamisation du raisonnement fondée sur la
distinction entre « naturel » et « civil », et la « méditation » qui consiste en une sorte de
reconstitution indirecte de l’hypothèse la plus plausible sur l’origine du malheur.
Cette méthode de Maupertuis rappelle plus ou moins la technique du « calcul des plaisirs »
d’Épicure, la « métriopathie » recommandée dans sa Lettre à Ménécée. On note simplement
qu’Épicure était parvenu à des conclusions toutes différentes, en affirmant que le plaisir est en

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soi une bonne chose, et que le « quadruple remède » permettait effectivement de parvenir au
bonheur en réalisant l’ataraxie.
La thèse de Maupertuis est l’exact contraire de celle d’Épicure : la vie est un « assez mauvais
présent ». Si elle est un don, alors il faut plutôt parler d’un « cadeau empoisonné », qui est
finalement moins donné qu’imposé, comme une sorte de condamnation universelle au
malheur, à l’homme.
La vie même serait faite pour mener au malheur ; toute vie serait un destin tragique, et
l’homme n’aurait nul choix, nulle liberté, à opposer à la perspective inévitable d’un tel
malheur.
Il y aurait une condamnation d’ordre biologique et d’ordre métaphysique à être
malheureux : être vivant, pour un homme, c’est être malheureux, tant les souffrances
l’emportent, lorsqu’on dresse un bilan, sur les plaisirs que l’homme peut éprouver.

« surpassait l'autre de beaucoup » : Rousseau condense avec la notion de « somme »


beaucoup de choses, qu'il ne prend pas la peine d'énumérer. Il est alors bienvenu, pour nous
qui expliquons le texte, de chercher à quoi Rousseau (et Maupertuis indirectement) fait
allusion. Il s'agit ici de combler les « blancs » du texte, d'en reconstituer les non-dits. Il s'agit
aussi d'essayer de faire droit à la thèse citée, et, en quelque sorte, de la « rendre crédible ».
Quand bien même nous devinons que Rousseau rejettera cette thèse, la manière dont il
l'évoque montre qu'elle n'est pas une thèse stupide, ni une thèse « non-philosophique ». Il
s'agit donc de chercher les éléments qui l'ont rendue et pourraient encore aujourd'hui la
rendre, sinon vraie, du moins vraisemblable.
Dans la liste des biens de la vie humaine, nous trouverons les plaisirs biologiques, les
gratifications psychologiques, l'amour, l'amitié, l'expérience de la beauté… Dans la liste des
maux de la vie humaine, nous trouverons le deuil, la maladie, la souffrance, l'angoisse, la
violence…
A bien y penser, la comparaison de ces deux « listes » donne effectivement raison à
Maupertuis, si nous faisons nôtre l'argument pessimiste selon lequel les sensations négatives
sont toujours beaucoup plus intenses que les sensations positives (la souffrance la plus
intense l'est toujours que le plaisir le plus intense qu'un homme peut éprouver au cours de sa
vie).

Rousseau affirme ne pas être « surpris » par la thèse de Maupertuis : c'est reconnaître que
cette thèse, à défaut d'être pleinement satisfaisante (c'est-à-dire d'être vraie), n'était pas
totalement invraisemblable.
Il faut cependant identifier où Maupertuis a pu commettre une erreur. Selon Rousseau,
Maupertuis dit une chose exacte, mais pas à propos du bon « objet » : il croit parler de
l'homme en tant que tel, de l'homme « à l'état pur », et se trompe de cible, parce qu'il ignore
la distinction cruciale, décisive selon Rousseau, entre « naturel » et « civil ». On peut le dire
autrement : Maupertuis parle du bon objet, à savoir l'homme, mais il commet une erreur
préliminaire d'interprétation sur cet objet qui rend toute la suite du raisonnement fausse.

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Rousseau suggère ici très brièvement de corriger la thèse inexacte en corrigeant la


méthode.
L'analyse des faits, l'analyse s'appuyant sur une base purement empirique, ne convient pas
ici pour parvenir au vrai.
L'expérience ne délivre pas ce que l'homme est, ce qu'il est vraiment, mais seulement une
apparence extérieure, ou une « version » modifiée, toujours déjà transformée, de ce que
l'homme est originairement, de ce qu'il est en propre. C'est ici que joue la distinction entre
« naturel » (ce qu'est l'homme en propre, vraiment, à l'état pur), et « civil » (ce qu'est devenu
l'homme, une fois modifié par son entrée en société auprès d'autres hommes).
Il faut donc « remonter jusqu'à » : la technique d'approche de ce qu'est l'homme ne peut
donc être qu'indirecte. Pouvoir statuer sur le bonheur ou le malheur de l'homme « en soi », en
tant que tel, cela ne peut pas s'obtenir uniquement par le constat factuel, ou par la pure
description des hommes qui sont sous nos yeux.

En changeant la méthode, il est donc évident que l'on obtient des « résultats très
différents ».
On peut ici réfléchir, à partir de ce texte, à la manière même dont Rousseau invite le
lecteur à philosopher. Nous ne pouvons jamais considérer qu'il suffira de « constater les
faits », de répéter que « les faits sont là », ou que « les faits sont têtus » : au-delà de ce qui est
là, et au-delà de ce qui, dans ce qui est là, est effectivement perçu par nous, il restera toujours
des choix méthodologiques à faire. Les faits ont lieu, mais ils ne délivrent pas de sens « en
soi » : il faut toujours les interpréter.
En revenant à notre texte, cela signifie que chercher à faire parler une comparaison entre
totalité des biens et totalité des maux sans avoir correctement compris le sens de ces biens, le
sens de ces maux, et les raisons profondes pour lesquelles ils peuvent, biens comme maux,
arriver à l'homme, c'était prendre le risque d'une erreur massive sur la possibilité, pour
l'homme, d'être heureux.

« L'homme n'a guère de maux que ceux qu'il s'est donnés lui-même » ; « La nature » s'en
serait trouvée « justifiée » :
Rousseau commence à avancer sa propre thèse : contre l'idée que la vie est un malheur dont
l'homme n'est jamais responsable, mais auquel il est toujours condamné, Rousseau réaffirme
que l'homme est libre. Il y a une liberté humaine, et il y a (eu) un usage historique de la liberté
humaine, qu'il faut opposer à la « nature ».
Ici, il est difficile de reconstituer précisément ce que Rousseau entend par « nature », ou
« naturel » dans le texte, sans faire appel à une connaissance de l'ensemble de son œuvre.
On devine toutefois que le mot mêle, parfois distingue, parfois associe, les deux sens du
mot nature : la nature au sens des vivants, des êtres biologiques, et la nature au sens de l'être
de l'homme, de sa définition, de ce qu'il est profondément. La nature, c'est donc la condition
biologique initiale dans laquelle tout homme vit, ou plus précisément, c'est ce que, par
hypothèse, on peut penser de la vie d'un homme qui n'aurait pas été, ou serait très peu,
socialisé, civilisé, « cultivé ». Cela, on le déduit de l'opposition avec l'adjectif « civil », qui
décrit l'homme vivant en société, et peut-être aussi (mais là, on fait peut-être appel à des

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connaissances doctrinales extérieures au texte, et impossibles à déduire uniquement à partir


de ce texte-ci), un homme obligé, par cette vie en société, d'être duplice, de se dédoubler,
d'être dans la dissimulation, et un homme obligé d'entrer en rivalité avec les autres, donc de
souffrir à cause d'eux et de les faire souffrir.

Le propos du texte va ainsi consister à affirmer que l'origine du mal, ou l'origine du


malheur, n'est pas anhistorique. Elle est culturelle, elle est liée au déroulement même de
l'histoire des hommes.
Dire qu'ainsi la nature se trouve « justifiée », c'est dire qu'on lève l'accusation qui pesait
contre elle d'avoir été méchante avec l'homme en le condamnant au malheur. On réaffirme
que la nature n'a pas été « injuste » avec l'homme. Élucidons ce que cela implique de
« justifier » la nature :
- le mal est évitable ; le mal était évitable. L'homme peut donc être heureux (sur ce point,
les philosophes de l'Antiquité ont eu raison de construire des « éthiques » du bonheur : elles
ont pu être, elles auraient pu rester, efficaces.
- l'homme est responsable de son malheur. L'origine du mal est la liberté humaine, un
usage mauvais mais libre des possibilités mêmes que la nature de l'homme lui offrait.
- le malheur humain est le produit de l'histoire, c'est-à-dire non pas un effet involontaire de
la nature de l'homme, de l'homme en soi, de l'homme naturel, mais de l'action volontaire des
hommes (vie en société, évolutions et dégradations dues aux ambivalences de toute
« culture »…).

Rousseau insiste même sur un paradoxe : l'homme se donne beaucoup de peine pour se
rendre malheureux… ! En forçant à peine le propos, on pourrait même ajouter qu'à la limite, la
nature protégeait l'homme du malheur, elle s'y opposait. La vie naturelle, la nature de
l'homme et la nature comme ensemble des êtres vivants, en tant qu'heureuses, s'opposent
logiquement et/ou métaphysiquement (elles en sont le contraire, et elles auront résisté à
l'avènement d'un tel contraire) au malheur de la vie en société.
C'est donc volontairement, intentionnellement, que l'homme s'est lancé dans une
entreprise qui l'éloigne d'un bonheur qui, pourtant, correspondait intimement à sa nature.

La suite du texte, bâtie sur le parallélisme : « Quand d'un côté… et que de l'autre » semble
reprendre une technique de calcul comparable à celle de Maupertuis, mais déplace les termes
de la comparaison qui sera effectuée :
- on ne compare plus indistinctement biens et maux de l'homme ; on précise que l'on
étudie les biens et les maux de l'homme civil.
- on voit, dès le début de l'énumération de Rousseau, qu'il ne s'agit plus de parler
d'avantages purs et d'inconvénients purs, mais d'en produire une évaluation nuancée,
ambivalente.

Il faudrait ici commenter toute la liste des actions accomplies par l'homme civilisé ; je
passe directement à la ressaisie conceptuelle des éléments importants : les progrès théoriques
et pratiques visent à supprimer les risques auquel l'homme se trouve exposé (risques naturels,

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par exemple), à supprimer les sources d'angoisse, à accroître la vitesse des actions et de la vie
humaine tout entière, à défier les lois du réel lui-même (on sent ici la pointe de critique d'un
projet que d'autres auteurs qualifièrent de « prométhéen », et que Goethe mit en scène dans
ses deux Faust), maîtriser la terre, apprivoiser, rendre familier, domestiquer, assainir (progrès
médicaux, amélioration de la santé), construire des villes pour accentuer la politisation et la
socialisation de l'existence, faire reculer l'inconnu radical jusqu'à ce que tout ce qui était
symbole d'inconnu (mer, immensités) semble désormais cartographié, donc maîtrisé.
Si l'on synthétise tout cela, le mouvement d'ensemble est celui d'un renforcement physique
de l'espèce humaine par elle-même : l'homme est cet être dont l'histoire consiste à rechercher
collectivement la puissance, et à s'assurer que le rapport de force qui le reliait à la nature
tende à lui devenir totalement favorable. L'histoire humaine est l'histoire de l'accroissement
de la puissance humaine.
Mais selon Rousseau, rien de tout cela ne suffira pour pouvoir parler de véritables
avantages pour le bonheur de l'homme : en cherchant la puissance, l'homme s'est trompé, car
les moyens de la puissance ne sont pas les moyens du bonheur. L'homme peut tout, sauf
devenir heureux.

C'est pourquoi il faut voir dans ce contraste entre puissance et malheur une « étonnante
disproportion », là où Maupertuis, en usant d'une méthode moins rigoureuse, n'avait pas été
frappé par le même contraste, ne voyant finalement à établir qu'une conclusion « à tout
prendre »).

Il reste alors, pour finir l'élucidation de détail, à proposer des nuances.


Se précipiter dans le malheur au gré de l'histoire des sociétés humaines, il faut bien dire
que l'homme le fait volontairement, mais il faut aussi dire qu'il le fait inconsciemment : il veut
quelque chose, sans réellement avoir compris ce que signifiera ce qu'il veut. Ajoutons :
l'homme « sait » ce qu'il fait, mais ce « savoir » n'est pas une claire conscience. C'est en ce
sens que Rousseau parle d'un « aveuglement ».

Comme il convient toujours de le faire en philosophie, une fois détectées une erreur, une
illusion, il faut en identifier l'origine exacte, afin de comprendre pourquoi l'homme les subit,
et nous préparer à nous en libérer.
L'aveuglement de l'homme sur ce qu'il fait de et dans sa propre histoire s'explique par un
trait psychologique propre à l'homme « civil », à l'homme historique, donc à l'homme déjà
séparé de sa propre nature : un « fol orgueil », et l' « admiration » pour soi-même.
Ce trait psychologique est sans doute le produit de la socialisation, de la civilisation, et il
s'accroît de lui-même, en une sorte de cercle vicieux : « le fait courir avec ardeur ».

L'expression finale : « toutes les misères dont il est susceptible » appelle quelques
remarques :
- la nature signifiait bien une vocation humaine au bonheur ;
- mais la société, ou l'histoire même, ont signifié aussi la capacité de l'homme à consentir
inconsciemment au malheur en se reniant lui-même ;

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- et la société et l'histoire sont le terrain où s'exprime un principe de « générosité


ontologique », qui veut que dès que quelque chose est possible, il soit voué à devenir réel
(voir l'énumération des réalisations dues à la puissance humaine).
L'homme est l'être qui pouvait toujours devenir plus et autre que lui-même, et qui devait
donc devenir plus (puissant et malheureux) et autre que lui-même (innocent, vulnérable,
mais heureux).

Troisième partie : ressaisie finale du problème et de la thèse :

Problème :
Le bonheur est-il compromis par l'impossibilité principielle, naturelle, de l'homme, à
supprimer la souffrance, ou bien le bonheur est-il compromis uniquement par des choix
historiques incohérents, par lesquels l'homme se contredit lui-même ?
L'homme peut-il expliquer le mal par sa propre nature (humaine) ? Ne doit-il pas plutôt
reconnaître qu'il en est intégralement responsable ?

Thèse de Rousseau :
La manifestation politique, sociale, collective de la liberté d'action de l'homme n'exprime
pas une nature éternelle de l'homme, mais est une succession de choix historiques
paradoxaux contradictoires, par lesquels l'homme devient une puissance toujours plus grande
et pourtant toujours plus malheureuse.

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Série S

Sujet 1 :
Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ?

Première partie : remarques sur le sujet et son niveau de difficulté :

Il s'agit d'une question qui est abordée dans le cours sur la justice et le Droit.
C'est un sujet qui ne prend donc pas les candidats en traître, et qui leur permet de
mobiliser sans peine les connaissances du cours. Mais ce sujet demande aussi un effort de
finesse, un effort personnel de réflexion, d'adaptation de ce qui a été vu en classe, et une
recherche précise d'arguments adéquats.

Il s'agit de ne pas compartimenter les chapitres, mais de bien identifier l'ensemble des
notions auxquelles ce sujet fait référence : c'est aussi un sujet sur le désir, sur la liberté, sur
l’État, sur la morale (en lien avec la question de l' « intérêt »), sur la société…

Comme très souvent, l'astuce majeure dans une bonne analyse consistera à allier la rigueur
méthodique – essayer d'être complet, de ne rien d'oublier d'important – et le sens du concret.
Cela passe par des questions comme : « Qui, au juste, peut être amené à défendre ses droits ?
Qui, au juste, peut être amené à défendre ses intérêts ? Dans quelles situations concrètes,
pour quelles raisons précises ? »
On voit tout de suite que le même sujet invite à réfléchir à plusieurs échelles :
- un peuple, et même un État, peuvent défendre leurs droits (guerre défensive, mesures de
rétorsion, sanctions commerciales…)
- une communauté, un groupe, une minorité, au sein d'un peuple, peut réclamer des droits
(exemple : la communauté noire aux États-Unis)
- un individu, c'est-à-dire chacun d'entre nous, peut défendre ses droits, en allant porter
plainte, en allant manifester contre un projet de loi qui lui déplaît, etc.

Le recours aux exemples sera également très utile, soit pour illustrer une idée abstraite que
vous avez déjà trouvée, soit pour découvrir ces idées grâce à une analyse approfondie de
l'exemple lui-même.
Ainsi, « défendre ses droits », par exemple, cela peut être :
- prendre la parole au Parlement.
- signer une pétition, manifester.
- porter plainte, c'est-à-dire avoir recours à la Justice.
- négocier un contrat, un accord ; négocier un salaire.
- légiférer.
- Assumer une expression publique, écrire des articles dans les journaux.

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Ce que ces exemples ont de commun, si nous les analysons, c'est qu'ils révèlent tous une
porosité entre la vie privée (mes idées personnelles, mes goûts), et la vie publique (ce que je
choisir de dire et de faire en public, devant les autres). Défendre ses droits, c'est donc
d'emblée s'élever au-delà de la préoccupation exclusive pour la vie privée, l'individualité
privée, l'intimité.
- rappeler à quelqu'un la loi, la règle, le principe, qu'il est en train d'enfreindre.
Cet exemple doit être analysé : est-ce que je rappelle la loi seulement parce que c'est la loi
(légalisme pur), ou parce que cette loi est censée traduire dans un texte précis le Droit
naturel ?
Les exemples servent ici de moyen mnémotechnique pour se rappeler les éléments du
cours, par exemple ici l'interrogation sur l'existence et la validité du Droit naturel.

Deuxième partie : analyse notionnelle et repérage de la réalité en question dans ce


sujet

« droits » :
- libertés, bien, propriétés, attribués à un homme. Ce sont les droits subjectifs.
- on peut distinguer les droits-libertés (droit de…) et les droits-créances, les droits de
« deuxième génération » (droits à) ; la distinction peut d'ailleurs produire des arguments (le
droit-créance est par excellence mon intérêt, là où le droit-liberté s'en détache peut-être, ce
que le sujet nous demande d'établir).
Droits qu'il s'agit de « défendre » : parce qu'ils sont menacés par :
- la concurrence d'autres droits ?
- les intérêts des autres ?
- la force ?
- la privatisation des existences, la dépolitisation ? Ici l'hypothèse consisterait à remarquer
que défendre des droits, c'est se dire qu'on ne peut pas se contenter d'avoir des droits, mais
qu'il faut toujours les faire vivre, s'en servir, et pour cela, avoir une démarche politique. Ainsi,
que deviendrait le droit de s'exprimer librement si personne n'en usait réellement, si chacun
préférait se taire, se censurer… ?
- Droits absolus/ droits relatifs ; droits illimités/ droits limités par un impératif supérieur.
Exemple : la liberté d'expression limitée par l'impératif de l' « ordre public ».

« Défendre » :
- lutter pour conserver quelque chose, garantir ce qui existe déjà.
- accroître, approfondir, perfectionner. Ce sens-là correspond bien au fait de « défendre des
droits » en démocratie : par exemple, défendre les droits des femmes, ce n'est pas seulement
garder le statu quo sur ce que la loi prévoit déjà pour les femmes ; c'est chercher à obtenir

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davantage de garanties que les femmes pourront faire davantage de choses sans subir la
domination ou l'agressivité masculines.

On peut noter ensuite, toujours à propos de la notion de « droit » subjectif, qu'un droit
n'est jamais absolument singulier : si j'ai un droit, d'autres l'ont aussi, c'est un droit
nécessairement commun à plusieurs hommes. Sans cette condition, il ne s'agit pas
véritablement d'un droit, mais d'une simple possibilité, d'une « liberté » au sens le plus faible
du mot.
Cette remarque amène à voir que défendre mes droits, c'est donc toujours aussi défendre
ceux d'au moins un autre homme que moi. C'est d'emblée une démarche collective et
politique, et cela relève d'une autre logique que celle de la stricte survie et celle de
l'accroissement du confort personnel.

« Défendre ses intérêts » :


- mes intérêts, c'est tout ce qui maintient ou augmente mon énergie, ma vitalité ; c'est tout
ce qui favorise ma survie, ma sécurité, tout ce qui accroît ma force et diminue ma
vulnérabilité.
- défendre ses intérêts semble donc être une nécessité biologique, une démarche
rationnelle, et une démarche foncièrement légitime : la vie même, le fait d'être un être vivant,
se manifestent par l'effort ou la tendance d'un individu pour se conserver, se préserver,
continuer à exister. Défendre mes intérêts est donc toujours, au regard de la vie elle-même,
une démarche justifiée.
- liste des intérêts d'un homme : acquérir ou accroître sa force ; acquérir des
connaissances ; s'enrichir ; éprouver moins de souffrance, avoir moins d'effort à faire, avoir de
moins en moins de choses à faire contre son gré ; gagner en indépendance, ne pas être exposé
à l'action ou à l'influence des autres.

La réalité que ce sujet invite à interroger concerne certains débats politiques récurrents.

- Toute lutte politique est-elle un corporatisme qui s'ignore ou qui se dissimule ?


Si un professeur défend ses conditions de travail et de rémunération, le fait-il uniquement
pour maintenir un certain confort de vie et un certain confort de travail personnels, sans se
demander le coût que cela aura pour l'ensemble de la société ? Ou le fait-il parce qu'il défend
des droits, les siens et ceux des élèves et de leurs parents à bénéficier d'une école de qualité ?
Autrement dit : derrière tout « engagement », derrière toute action politique, y a-t-il un
égoïsme dissimulé, ou idéalisé, qui refuse de dire son nom ?
(Autre exemple : imaginons une loi qui prévoirait que la période d'essai avant de signer un
contrat à durée indéterminée soit de deux ans ou plus : si je suis opposé à cette loi, le suis-je
uniquement parce que subir cette incertitude pendant deux ans serait une source de stress
pour moi?)

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

On est donc dans un sujet mi-politique, mi-sociologique, qui nous invite à réfléchir sur les
conséquences de l'individualisation des mentalités : les hommes sont-ils seulement des
agents motivés par leur propre vie personnelle, donc des agents rationnels et intéressés ? Ne
restent-ils pas capables d'agir pour d'autres raisons que l'intérêt personnel ? Le « commun »,
le « public » sont-ils aujourd'hui des idéaux politiques disparus, ou susceptibles d'inspirer
notre action et nos engagements ?

Troisième partie : position du problème et proposition de plan

Le sujet nous demande s'il faut démystifier la politique : derrière la quête d'un idéal, d'un
devoir-être (la liberté, la justice, l'égalité, le bonheur pour tous), derrière la recherche et la
proclamation de véritables principes (qui, si ce sont bien de véritables principes, doivent être
désintéressés, collectifs, et universalisables), derrière, enfin, l'idée d'une rationalité généreuse
(suivre sa raison, c'est faire le bien pour les autres), ne faut-il pas toujours soupçonner que se
cache, qu'avance masqué, l'égoïsme le plus plat, l'égoïsme de l'homme qui pense d'abord aux
conditions de vie qui lui sont les plus favorables ?
Prôner pour soi, mais aussi pour les autres, des principes de liberté et d'égalité comme
moteurs de l'engagement politiques, comme guides de notre action, est-ce :
- 1) croire réellement à la bonté intrinsèque de ces principes, et les défendre de manière
désintéressée ?
- ou bien 2) faire valoir habilement ses propres désirs, et raisonner de manière utilitaire ?
En ce cas, les principes défendus ne seraient alors pas la fin (le but) de l'action politique, mais
seulement le moyen le plus respectable, donc le plus efficace, de mener à bien la défense des
intérêts personnels.

Si le problème se pose, c'est parce qu'on oppose peut-être un peu vite et un peu trop
l'intérêt personnel et l'intérêt collectif. Si l'on parvient à établir un lien entre les deux, le
problème se résout.

L'idée majeure dans l'argumentation qui permettra de résoudre le problème sera la


suivante :
Défendre vraiment ses intérêts, cela mène logiquement (sans quoi on bascule dans
l'absurdité, ou dans une violence non viable et inacceptable) à défendre toujours aussi les
intérêts d'autres que soi.
Penser en toute rigueur mon intérêt, cela me mène à penser l'intérêt collectif. (l'argument
est simple : nuire aux autres dans mon propre intérêt finira par se retourner contre moi, donc
à nuire à mon propre intérêt ; je dois donc toujours tenir compte de l'intérêt des autres, car
c'est dans mon propre intérêt).
Il faut donc défendre des éléments (valeurs, idéaux) communs à tous, et il se trouve que la
meilleure formulation de ces idéaux communs à tous se trouve être celle selon laquelle il y a
des droits identiques et universels pour tous les individus.
On en déduit le plan suivant :

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Première partie : il va de soi que défendre ses droits a nécessairement pour conséquence
logique, ou pour effet, de défendre ses intérêts.
Tout droit est quelque chose dont la jouissance (pouvoir m'exprimer, pouvoir me cultiver,
etc.) va bien sûr dans mon propre intérêt.
Références possibles : Rousseau (réfutation du droit du plus fort) ; Socrate dans La
République de Platon ; éléments de Droit, avec par exemple le principe de la souveraineté des
États sur leur territoire, et les guerres défensives légales que ce principe peut justifier.

Deuxième partie : inversement, il va de soi que l'égoïsme pur est une impasse. La seule
défense efficace de mes intérêts personnels ne peut pas être elle-même strictement
personnelle. (Ne défendre que mes intérêts, cela ne mène à rien, donc ce n'est certainement
pas une défense de mes droits digne de ce nom).
Références possibles : D'Holbach, Montesquieu, Mill… ; exemples de l'école, du tribunal,
comme institutions où l'individu n'est jamais en situation de ne défendre que ses propres
intérêts, institutions où l'individu est toujours invité à dépasser l'égoïsme personnel (se
venger, ne pas vouloir respecter les autres…).

Troisième partie : donc la seule manière valable de défendre ses intérêts, c'est la véritable
action politique qui vise à défendre le « commun » (ce dont tous bénéficient, mais qui
n'appartient et ne peut appartenir à personne).
Dès lors, défendre ses droits, ce n'est pas défendre intentionnellement ni exclusivement ses
intérêts, ce n'est pas agir par intérêt, mais cela a toujours aussi pour effet de surcroît, pour
effet supplémentaire, d'être conforme à la défense de mes intérêts bien compris.
Références possibles : Machiavel, Cicéron, Rawls… + analyses de luttes contemporaines
pour la reconnaissance, éléments sur la corrélation entre niveau d'éducation et baisse de la
violence…

En conclusion, on insiste sur le fait qu'il nous faut toujours réfléchir politiquement, et que
réfléchir politiquement ne se fait pas avec les mêmes catégories que celles de la réflexion
morale. En l'occurrence, il est politiquement très appréciable que défendre ses droits revienne
toujours aussi à défendre ses intérêts bien compris : ce que je fais politiquement de bon n'a
pas, pour être bon, à être totalement désintéressé, ni à aller contre mes intérêts.
Que je bénéficie du résultat de luttes politiques pour les droits ne veut pas dire que mes
engagements seraient suspects parce qu'intéressés.
On répond donc au sujet : la seule manière correcte de défendre ses droits a toujours aussi
pour effet indubitable de favoriser nos intérêts, mais parce qu'il est toujours dans notre intérêt
que les hommes bénéficient autant que possible de droits traduisant un véritable idéal de
justice et de liberté.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Sujet 2 :
Peut-on se libérer de sa culture ?

Première partie : remarques sur le sujet

Il peut s'agir d'une question de cours pure, suivant l'enseignant que le candidat a eu dans
l'année. En effet, certains cours sur la culture s'interrogent essentiellement sur la culture
comprise comme libération, comme processus par lequel l'homme devient (plus) libre. Dès
lors, le problème est tout trouvé : pourquoi aurait-on à, et comment serait-il possible de, se
libérer de ce qui, pourtant et précisément, nous libère ?

Dans de nombreux cours de philosophie revient aussi la thématique de la « contrainte


libératrice », qui constitue aussi un bon angle d'approche pour ce sujet. Parler de contrainte
libératrice, c'est souligner le paradoxe que l'homme est un être qui a besoin d'être placé sous
le poids de règles, de normes, de pressions, pour devenir pleinement lui-même, et
s'émanciper de la simple « nature », censée être le lieu d'une « non-liberté », voire d'un
asservissement (à l'instinct, aux pulsions, etc.). Ainsi estime-t-on que l'école est le lieu où ce
paradoxe joue pleinement, mais c'est aussi le mécanisme de l'entraînement du sportif, de
l'exercice de l'artiste ou du musicien. Si l'on se souvient de cette thématique, le problème est
aisé à poser : la culture est un système de contraintes, mais cela a-t-il un sens de chercher à se
libérer de contraintes qui nous libèrent ?

Si, par conséquent, vous avez bien appris le cours, ce sujet vous donnera l'impression d'être
en terrain familier. C'est alors qu'il faut justement faire attention, et ne pas se précipiter.
- Il faut éviter d'être dans la pure récitation du cours.
- Il faut éviter la dissociation totale – erreur de méthode fréquente – entre la notion de
liberté et celle de culture (c'est-à-dire : on ne fera pas une première partie sur la liberté, puis
une deuxième partie sur la culture, avant une troisième partie qui essaierait de réconcilier les
deux notions).
- Il faut bien lire le sujet, qui mentionne « sa » culture, et non pas « la » ou « toute »
culture.
Précisons : si le sujet mentionnait : « la » culture, cela désignerait le processus
d'humanisation, le processus de libération, le processus de (trans)formation de soi. Or, il
s'agit ici de « ma » culture, que l'on comprendra non pas comme un processus de
transformation de l'individu, mais comme un système collectif d'idées et de valeurs qui
informe (met en forme) mon expérience du monde. Le sujet interroge donc la culture à
laquelle on appartient.
- Attention aussi aux imprécisions, ou aux erreurs de vocabulaire : se libérer de quelque
chose, cela ne veut pas dire l' « oublier », et cela ne veut pas dire non plus « quitter
géographiquement ». Il ne suffit pas de quitter le pays où je vis pour ne plus subir le poids des
structures morales que mon éducation m'a inculquées ; il ne suffit pas de devenir amnésique
pour devenir plus « libre » !

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

D'après le premier repérage du problème que nous avons indiqué, il apparaît que, pour un
tel sujet, il convient surtout de raisonner avec logique, et de tirer toutes les implications,
d'identifier tous les présupposés, que cette manière-là de s' interroger - « pouvoir se libérer de
sa culture » mobilise.
Exemple : si je me demande si je peux me libérer de ma culture, c'est que je pars du
principe que la culture ne serait pas déjà synonyme de liberté, qu'elle ne serait pas la
manifestation même de la liberté. Je pars du principe que la culture s'opposerait même par
définition à la liberté. Cela va-t-il de soi ?
La méthode privilégiée est alors de procéder par repérage de possibles absurdités, pour,
ensuite, construire une thèse qui évitera de s'appuyer sur ces absurdités. Ainsi, en voyant
qu'on ne peut pas se libérer de ce qui nous libère, on avancera l'idée que ce n'est pas une
« libération » intégrale que l'on peut espérer vis-à-vis de la culture à laquelle on appartenait.

Le niveau de difficulté de ce sujet n'est pas excessif. C'est un sujet très accessible, dès lors
que l'on sait le cours et qu'on sait raisonner avec logique. Mais bien évidemment, l'impression
de « facilité » ou d'accessibilité, ne peut apparaître que lorsqu'on a effectivement travaillé et
retenu le cours…

Deuxième partie : analyse notionnelle du sujet et identification du réel interrogé


par le sujet :

« Se libérer » :
- supprimer la contrainte qu'exerçait quelque chose, sans supprimer ce quelque chose en
tant que tel.
- devenir autonome.
- devenir indépendant à l'égard de quelque chose.
- détruire (dans le cas où il s'agirait de se libérer d'une tyrannie, cela passe par la
destruction d'un tel régime politique).
- transformer, s'approprier.
- dominer, maîtriser (si l'on parle de la « nature » : s'en libérer, c'est s'en assurer une
maîtrise qui nous rendra moins vulnérables à la maladie, aux conditions climatiques, etc.).
- cesser d'être vulnérable aux attaques de quelque chose ; se renforcer face à quelque chose.
(Pour les quatre derniers tirets, on peut remarquer qu'il s'agit moins d'une définition en
bonne et due forme de la libération, que de « moyens » de parvenir à une libération effective :
la libération politique n'est pas destruction en tant que telle, mais elle passe par la
destruction d'un régime tyrannique, par exemple).

« Culture » :
- système d'idées, de symboles, de normes, qui a toujours une existence collective.
- une culture, c'est aussi une manière de faire l'expérience du monde, c'est une forme de
vie, une manière d'être au monde.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- c'est donc aussi un ensemble de croyances, une certaine langue, un rapport au corps, un
rapport au temps, un rapport à l'espace.
- c'est aussi un système de contraintes, mais de contraintes qui sont déterminantes, c'est-à-
dire individuantes (elles me déterminent, c'est-à-dire qu'elles me confèrent mon identité,
mon individualité). Ma culture me fait être celui que je suis.
- c'est aussi une « mémoire », un certain rapport affectif et irrationnel au passé (voir la
distinction entre « mémoire » et « histoire »).

On pourra aussi penser au sens du mot « culture », comme étant l'ensemble des
connaissances personnelles, la « culture générale », à condition d'en tirer des remarques qui
soient pleinement liées au sujet (question d'une possible hypermnésie, des problèmes de
culpabilité liée à la violence dont « ma » culture a pu faire preuve envers d'autres par le
passé…)

Ce que l'analyse notionnelle révèle ici, c'est qu'il y a une production réciproque de la
contrainte et de la liberté, dans l'idée même de « culture ». Ma culture est ce qui me contraint
pour me libérer, et ma culture est cette réalisation de ma liberté que je vais toujours un peu
vivre comme contraignante.

Quelle est la réalité commune, ordinaire, que ce sujet invite à penser ?

Le réel dont le sujet parle, c'est ce fait élémentaire que nous voulons toujours plus de
liberté. C'est notre désir de liberté. C'est cette envie qui est la nôtre d' « alléger », en quelque
sorte, notre expérience des choses et de nous-mêmes, de faire en sorte que tout soit plus aisé,
moins gêné, moins entravé. C'est l'envie de supprimer toutes les sensations d'oppression, de
contrainte que nous avons, et de ne pas suivre quelque chose que nous n'avons pas nous-
mêmes voulu, sinon produit.
Ce désir-là mène souvent à considérer que c'est notre culture (d'origine), en tant que
système imposé à un individu qui lui impose de se former, de vivre d'une certaine manière
seulement, en tant que contrainte, en tant qu'exercice forcé et non pas naturel, en tant que
respect de normes coercitives, c'est cette culture qu'il s'agit de mettre de côté, de désactiver,
de neutraliser.

Il y a une deuxième chose que le sujet nous invite à penser, dans le monde réel que nous
connaissons tous. A regarder des pratiques culturelles qui ne sont pas les nôtres (manières de
se marier, rapport à la sexualité, rapport à la souffrance à laquelle on attribue un rôle
initiatique pour devenir adulte, etc.), nous pouvons être vite tentés de les condamner : au
regard de la morale, au regard de la justice, dont il doit être possible de trouver des définitions
universelles, ces pratiques-là peuvent paraître inhumaines, rétrogrades, cruelles. Aussi
pouvons-nous souhaiter pour les hommes qui appartiennent à de telles cultures, qu'ils
parviennent à s'en libérer. Nous leur souhaitons volontiers de parvenir à se déprendre de
l'emprise psychique que cette culture exerce sur eux. Mais cela est-il possible ? Est-ce
réalisable ? En outre, nous partons d'une bonne intention, d'une bienveillance, pour leur

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

souhaiter une telle libération, mais avons-nous raison de le leur souhaiter ? Nos « bons
sentiments » sont-ils nécessairement de bons conseillers ?
En effet, ce serait aussi souhaiter aux autres qu'ils parviennent à ne plus être eux-mêmes,
qu'ils rejettent ce grâce à quoi ils sont devenus qui/ce qu'ils sont…

Troisième partie : Position du problème et proposition de plan

Toute culture est contraignante. L'individu qui veut gagner en liberté, ou garantir plus
fortement la liberté dont il jouit déjà en tant que sujet de droit, doit-il nécessairement
modifier, par une prise de distance ou par une sorte de « neutralisation » à l'égard de la
puissance normative et coercitive, la part de lui-même qui a été culturellement construite, qui
a été acquise par sa culture ?
(Remarque de méthode : si vous relisez bien cette phrase, vous verrez qu'elle n'est rien de
plus que le sujet initial, dans lequel j'ai remplacé les notions de culture et de libération par
leur définition associée aux difficultés repérées pendant l'analyse)
Pour s'individuer pleinement, faut-il s'affranchir des éléments issus du groupe humain qui
nous ont pourtant aidés à devenir ce que nous sommes ? Ce qui m'a fait être moi-même peut-
il vraiment être aussi ce qui m'empêche de devenir pleinement moi-même ?

Position du problème par formulation complète de l'alternative :


- oui (réponse globalement positive à la question posée par le sujet) : on peut se
réapproprier avec succès sa propre culture, et même il faut procéder à cette réappropriation :
toute liberté consiste dans la prise de distance par rapport à soi-même, à rapport à ce qui fait
être soi-même. C'est d'ailleurs le véritable déploiement de toute culture que de rendre
l'homme capable de critiquer sa culture d'origine.
- non (réponse globalement négative à la question posée par le sujet) : « se libérer de sa
culture » serait une contradiction dans les termes. Ce serait se renier pour mieux être fidèle à
soi, ce serait se libérer de la liberté, ou encore chercher à devenir soi en attaquant tout ce qui
signifiait être soi.

Pour ce sujet, on peut choisir de défendre la réponse positive au sujet en guise de thèse.
On dira alors :
l'homme peut se libérer de sa propre culture, à condition que cette libération ne se réduise
pas à la tentative/tentation de faire « table rase », mais vise ou soit un changement fécond de
rapport à cette culture, donc une réappropriation par l'homme de sa culture.
En ce cas, se libérer de sa culture, ce sera faire l'effort de penser sa propre culture, de telle
sorte que l'expérience du monde, des autres et la conception du « bien » que cette culture
fonde, viennent indissociablement des autres (part imposée, passivement accueillie, de la
culture) et de soi-même (part voulue, pensée, réfléchie par l'individu lui-même, de sa
culture).

Plan :

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Première partie : on ne peut pas faire que sa culture n'ait jamais été sa culture.
Dans cette partie, on s'attachera à détecter, pour les rejeter, des figures fausses ou illusoires
de la libération (oublier sa culture, en superposer une autre, dénigrer…)
Références possibles (vues en cours) : Philippe Descola, Ernst Cassirer, Émile Benveniste,
Peter Sloterdijk… (ici, il s'agirait non pas de réciter ce qui a été vu en cours sur ces auteurs,
mais de s'en servir, y compris pour en déduire plus que ce que ces auteurs ont eux-mêmes
écrit).

Deuxième partie : mais appartenir à une culture, dont on possède les normes et les
symboles, ce n'est pas non plus devoir lui obéir sans réserve, aveuglément.
On peut « provenir », « être d'ici », sans être condamné à y rester toute sa vie. L'homme
n'est jamais seulement un autochtone, un indigène (quelqu'un qui est né ici).
Références possibles : Descartes sur le lien individu/monde et la morale par provision ;
Lévinas, Montaigne, Lévi-Strauss…

Troisième partie : on peut se réapproprier sa culture, la regarder de manière interrogative


et critique.
C'est même ainsi que ma culture jouera le mieux son rôle, celui d'un système m'aidant à
être libre et à mettre en forme mon expérience du monde.
Références possibles : Kant, Nietzsche (2ème considération inactuelle), Socrate commenté
par Merleau-Ponty (celui qui croit « comme personne »…).

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Sujet 3 :

A la limite, la vie, c’est ce qui est capable d’erreur. Et c’est peut-être à cette donnée
ou plutôt à cette éventualité fondamentale qu’il faut demander compte du fait que la
question de l’anomalie traverse de part en part toute la biologie. A elle aussi qu’il faut
demander compte des mutations et des processus évolutifs qu’elle induit. A elle qu’il
faut demander compte de cette mutation singulière, de cette « erreur héréditaire »
qui fait que la vie a abouti avec l’homme à un vivant qui ne se trouve jamais tout à fait
à sa place, à un vivant voué à « errer » et destiné finalement à l’ « erreur ». Et si on
admet que le concept, c’est la réponse que la vie elle-même donne à cet aléa, il faut
convenir que l’erreur est à la racine de ce qui fait la pensée humaine et son histoire.
L’opposition du vrai et du faux, les valeurs qu’on prête à l’un et à l’autre, les effets de
pouvoir que les différentes sociétés et les différentes institutions lient à ce partage,
tout cela même n’est peut-être que la réponse la plus tardive à cette possibilité
d’erreur intrinsèque à la vie. Si l’histoire des sciences est discontinue, c’est-à-dire si
on ne peut l’analyser que comme une série de « corrections », comme une
distribution nouvelle du vrai et du faux qui ne libère jamais enfin et pour toujours la
vérité, c’est que, là encore, l’ « erreur » constitue non pas l’oubli ou le retard d’une
vérité, mais la dimension propre à la vie des hommes et au temps de l’espèce.

Foucault, Dits et écrits (1978)

Première partie : remarques sur le choix du texte, et la bonne approche à adopter


face à ce type de texte

Ce texte est très difficile. Même s'il parle de la vérité, et que l'on peut attendre de
Terminales scientifiques des connaissances un peu approfondies d'histoire des sciences et des
compétences en termes de démarche expérimentale, on ne peut que constater que le niveau
de difficulté de ce texte est très élevé, peut-être trop pour que tous les candidats aient des
chances raisonnables de le traiter de manière satisfaisante.
Ce texte se situe à la limite des critères habituels de sélection des textes de baccalauréat : en
effet, il est toujours précisé que « la connaissance de la doctrine de l'auteur n'est pas requise »,
mais pour comprendre toutes les subtilités de la pensée de l'erreur que propose ici Michel
Foucault, il fallait sans doute avoir écouté un cours soit sur Foucault, soit sur deux auteurs
dont la pensée a influencé Foucault : le philosophe des sciences Georges Canguilhem (ce
texte est en réalité la préface que Foucault avait donnée pour l'édition d'un des livres de
Canguilhem), ou bien Nietzsche.
On peut également noter que le niveau de langue, le style dans lequel ce texte est écrit,
représentent aussi une difficulté : il faut une très fine attention « littéraire » pour ne pas
négliger de nuances du texte, notamment toute la variation de sens que Foucault propose
autour du verbe « errer », et de ses déclinaisons : l'errance, l'erreur, l'erratique.
La difficulté du texte tient aussi au fait qu'il faut jouer sur deux échelles de lecture pour le
comprendre : procéder à une lecture de détail (la vie, l'erreur, le concept, la politique,

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

l'histoire des sciences, la vérité), puis reprendre une vision synoptique du texte (synoptique,
littéralement : qui voit tout ensemble, qui parvient à tout ressaisir simultanément).
Mentionnons toutefois un avantage du texte : il est tellement riche, tellement dense,
tellement ambigu, que plusieurs lectures peuvent en être légitimement proposées. Par
exemple, il est tout à fait possible de lire ce texte comme un texte sur la vie (on retrouve alors
la notion « le vivant » dans le programme), et de dire que toute la réflexion sur la vérité de la
fin du texte n'est que le développement du thème de la vie (le dernier mot du texte est :
« espèce », on revient donc à cette thématique biologique) ; mais on peut aussi décréter que
c'est un texte sur la vérité, et dire que les remarques du début du texte sur la vie servent à
préférer la thèse finale sur l'historicité de la vérité.

Plusieurs lectures de ce texte révèlent aussi que sa difficulté est qu'il contient beaucoup
d'implicite : les définitions précises de mots tels que « erreur », « vérité », « anomalie »,
« concept », et des exemples illustrant les thèses les plus abstraites, manquent.
La bonne stratégie pour expliquer le texte sera donc de le « compléter », de chercher à
reconstituer tout ce qui peut manquer pour le comprendre facilement. Ainsi peut-on
proposer ici des références à la théorie de l'évolution formulée par Darwin, chercher des
exemples de révolutions ou d'évolutions scientifiques (l'invention de la science moderne, les
débuts de la physique quantique, le rejet du vitalisme ou de la théorie de la matière vivante,
etc.).
Il faut aussi, à force de répétitions patientes du texte, essayer de « sympathiser », d'entrer
dans la logique interne du texte, jusqu'à éclairer les oppositions qui structurent le texte,
notamment celle de la fin : « non pas l'oubli ou le retard d'une vérité, mais la dimension
propre à la vie des hommes et au temps de l'espèce. » On finit ainsi par comprendre le
paradoxe que Foucault entend défendre : l'erreur n'est pas ce que la science veut et va peu à
peu supprimer, mais quelque chose qui lui appartient en propre, qui lui est intime, qui ne
peut donc pas lui être enlevé. L'erreur n'est pas de la science ratée, elle n'est pas l'ennemie du
scientifique, mais un moment en quelque sorte nécessaire de la recherche scientifique elle-
même.
Mais il faut ici faire très attention : il ne s'agit pas ici d'une sorte de reprise du thème, assez
courant, de la fécondité de l'erreur, que nous exprimons d'habitude par : « On apprend de ses
erreurs. », « Faire des erreurs permet de progresser ». Ce n'est pas du tout l'idée de Foucault,
qui veut au contraire ici faire comprendre qu'une erreur ne débouche jamais sur un réel
progrès, mais seulement sur une autre manière de concevoir la vérité, et donc sur une
nouvelle erreur.

En établissant autant que possible un « plan » du texte, on peut identifier le nombre de


niveaux de réflexion auxquels on se situe, à la fois et successivement. On repère alors :
- la biologie
- la science
- l'existence
- les institutions (politiques)
- l'individu

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- l'espèce
- la métaphysique de la vie.

C'est en combinant l'ensemble de ces repérages et de ces techniques de lecture (répétition


sympathisante, repérage des articulations du texte et de ses niveaux de réflexion) que l'on
parvient à dégager le problème du texte :
la recherche de la vérité, le changement de ce qui est considéré comme la vérité d'une
époque à l'autre, ce « mouvement » de la vérité est-il orienté téléologiquement vers une sorte
de vérité pure et absolue, ou bien y a-t-il une historicité irréductible de « la » vérité, de telle
sorte qu'on n'irait pas vers des théories « de plus en plus vraies », mais seulement vers
« d'autres manières de concevoir l'idée même de vérité » ?
C'est une position philosophique « naturaliste » que Foucault adopte en proposant sa
résolution du problème : la rationalité scientifique, et plus généralement la pensée humaine,
sont déterminées par le corps vivant, par des données biologiques ; elles n'en sont pas
indépendantes. Le monisme de Foucault (corps et esprit ne sont qu'une seule et même chose ;
il n'y a pas de différence d'essence entre ce qui est corporel et les productions de l'esprit) lui
permet de conclure que la définition même de la vérité est et restera, par définition,
historique, dépendante des circonstances historiques dans lesquelles elle est recherchée.

On voit ici que la maîtrise et l'utilisation des « repères » du programme de Terminale


seront essentielles : on ira beaucoup plus vite dans la compréhension et la restitution du
problème et de la thèse si l'on convoque à bon escient certains couples de notions, tels que
« immanent/transcendant », « relatif/absolu », « origine/fondement », etc.

Position complète du problème du texte et éléments de commentaire synthétiques

On connaît l'hypothèse classique de philosophie de l'histoire des sciences défendue par


Husserl dans La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, selon
laquelle il y aurait une téléologie de la raison humaine. La pensée rationnelle de l'homme
avancerait, se déploierait de manière continue et irréversible, en progressant vers la vérité
absolue. La pensée se caractériserait par le fait qu'elle ne cesse de se rapprocher de la vérité,
même en se représentant ce progrès comme une « tâche infinie », un idéal éternellement
recherché, dont il s'agirait de continuer incessamment de s'approcher. La science, qui est
l'une des réalisations les plus parfaites, les plus rigoureuses, les plus fécondes aussi, de la
raison humaine, évoluerait elle aussi selon ce même schéma téléologique, en direction d'une
vérité parfaitement une (unifiée), universelle, donc anhistorique (indépendantes des
circonstances historiques).
Si la science évolue, selon cette hypothèse, c'est parce que la manière d'en faire, les
modalités de cette activité théorique, elles, changent avec le temps, et s'améliorent. Mais ce
n'est pas l'objet même de la science (produire un discours parfaitement vrai sur le réel) qui
évolue au fil du temps.
Selon cette hypothèse husserlienne toujours, on ne peut interpréter les erreurs, dans
l'histoire de la recherche scientifique, que comme des étapes inévitables, mais surmontables,

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

donc toujours provisoires. Elles ne sont que des moments d'un processus au terme duquel
elles sont vouées à disparaître.
Selon cette thèse, il y a donc une orientation téléologique de l'histoire des sciences qui
permet de décrire l'histoire des sciences comme un progrès linéaire et irréversible. Cette thèse
a pour elle quelque vraisemblance : qui contesterait que la physique newtonienne est bien
plus vraie que la physique aristotélicienne et la physique médiévale, et que la physique à partir
d'Einstein est bien plus complète que la physique newtonienne ?

Mais à cette thèse classique, on peut en opposer une autre (et c'est bien là qu'il y a un
problème philosophique, qui est celui du texte). Cette autre thèse affirme que la raison de
l'homme n'est pas une faculté vouée à se libérer des origines imparfaites, irrationnelles,
« mythiques », qui sont les siennes, et avance l'argument que ce caractère nécessairement
historique de la raison s'explique par le fait que la raison ne transcende pas le corps matériel,
n'en est pas radicalement indépendante. Elle est liée au lieu matériel où elle s'exerce : le corps
humain, soumis à l'évolution biologique des espèces, donc aux lois définissant l'évolution des
vivants.
Or l'évolution de la vie elle-même ne s'interprète pas – tel est l'argument par lequel
Foucault se justifie, au début de notre texte - comme un perfectionnement linéaire et
irréversible, qui effacerait peu à peu les traces de ses manifestations antérieures pour devenir
anhistorique, se stabiliser sous une forme parfaite, stable et indépassable. Au contraire,
l'évolution de la vie n'est pas linéaire, mais elle va dans plusieurs directions, elle est
contingente, et, par conséquent, va vers une pluralité imprévisible de formes de vie.

L'idée que Foucault met ici en relief, et qu'il emprunte au philosophe des sciences Georges
Canguilhem, lui-même influencé par certaines remarques de Nietzsche sur les liens entre la
vérité et la vie, est la suivante :
lorsque la vie mute, elle le fait par petits écarts aléatoires par rapport à des normes. Mais
ces normes (ce qui, par exemple, définit les standards d'une espèce animale) ne sont rien « en
soi », elles sont des normes purement statistiques.
Ces écarts par rapport à la norme statistique, on peut les nommer « erreurs », et ils
donnent l'impression que la vie évolue en procédant à tâtons, par petites tentatives. Ainsi
produit-elle des anomalies, des « monstres », mais aussi de nouvelles espèces.

Le cœur du texte se concentre alors sur l'espèce humaine, à la lumière de ce qui vient d'être
établi sur le lien privilégié entre vie et erreur. L'homme n'est pas un être à part, il ne
transcende en rien, par son esprit, la nature, et tout en lui s'interprète donc de manière
biologique. L'homme n'est rien de plus qu'une grande anomalie qui s'est réfléchie : par
conséquent, la pensée humaine ne se déploie pas comme si elle était une instance purement
rationnelle, immatérielle, transcendante au monde, mais elle est seulement la réponse que la
vie s'est proposée à elle-même face à l'une de ses manifestation les plus « anomaliques » (à
savoir : l'homme).

La thèse peut alors se décliner sous différents aspects.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

L'opposition « parménidienne » (Jan Assmann) entre le vrai et le faux telle qu'elle va


donner naissance à la science, les deux valeurs morales opposées accordées au vrai et au faux
(véracité/mensonge, aveu/parjure, etc.), la dimension politique, sociale et institutionnelle qui
valorise celui qui détient la vérité et produit donc des effets de pouvoir ou de domination sur
les autres hommes, tout cela : science, morale, justice, ne renvoie à rien d'idéal, à rien
d'absolu, à rien de transcendant. Plus précisément, si cela nous paraît idéal, c'est parce qu'au
fil du temps, ce qui n'était que le fruit d'une simple mutation biologique (hominisation qui a
rendu l'homme capable de produire des idées abstraites et d'acquérir des préoccupations
morales) a été surestimé, idéalisé, en une sorte d'erreur de second degré visant à maquiller
l'erreur initiale qu'est l'homme lui-même.

Au final, ce qui fait la difficulté de ce texte est qu'il brode, qu'il improvise autour d'une
thèse extrêmement contre-intuitive : l'histoire de la pensée, donc de la recherche de la vérité,
donc finalement aussi de la vérité elle-même, est discontinue, et ne peut être décrite comme
l'histoire d'un progrès indubitable. Il s'agit de voir la portée anti-métaphysique et anti-
théologique de ce texte, par lequel Foucault entend rejeter toute lecture idéaliste de l'histoire
(c'est-à-dire la lecture qui dirait que c'est un mouvement des idées qui fait se mouvoir le
monde, et qui le fait progresser immanquablement), car ce type de lecture est toujours
suspect de reproduire, consciemment et volontairement ou non, la vision de l'histoire héritée
du christianisme (le temps s'achemine vers une fin lors de laquelle il y aura la « parousie », la
révélation de la vérité absolue de Dieu). Il convient de reconnaître, plus sobrement, que notre
pensée reste déterminée par notre existence biologique, par notre corps, ce qui ne lui permet
pas d'espérer un jour s'absolutiser, s'affranchir de l'histoire elle-même.
Une fois repérée cette thèse extrêmement contre-intuitive, l'autre difficulté pour des
candidats du baccalauréat était le peu d'argumentation que le texte contient. Le texte affirme
beaucoup de choses, mais n'en justifie pas tant que cela, préférant broder sur les différentes
déclinaisons possibles d'une même thèse de départ : « la vie est ce qui est capable d'erreur. » Il
était alors pertinent d'essayer de trouver à quels exemples de l'histoire des sciences Foucault
pouvait avoir fait allusion, et quels exemples permettaient de rendre la thèse de Foucault au
minimum crédible.

Explication linéaire détaillée et identification finale de l'intérêt philosophique du


texte

- Le texte commence par une définition de la vie, ou du « vivant » (notion du programme).


Mais il y a une mention : « à la limite », qui invite à lire prudemment la phrase, et à ne pas
prendre au pied de la lettre la définition de la vie comme capacité à faire des erreurs.
En effet, dire qu'un être vivant peut faire des erreurs, alors qu'un être inanimé n'en fait
jamais, c'est soit dire une banalité, soit employer le mot « erreur » dans un sens très
précis, qu'il faut interpréter. En effet, si le vivant était voué à faire des erreurs, toute vie
n'aurait-elle pas dû disparaître au fil du temps ?
Or la définition est assez nuancée : le vivant ne fera pas nécessairement d'erreurs, mais il
porte en lui la possibilité inéliminable d'en faire.

35
Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- Foucault ajoute d'ailleurs que cette possibilité, cette « éventualité », est « fondamentale ».
On peut ici faire deux remarques :
(1) étrange « fondement » que cette « erreur » : d'habitude, un fondement digne de ce nom
signifie surtout une stabilité première, et non une simple « possibilité », et une condition
nécessaire de réussite plutôt que la condition contingente de l'échec ou de l'erreur ; (2) on
devine ici que l'erreur, placée par Foucault en position de « fondement », devrait permettre
d'expliquer quasiment tout ce qui va concerner l'existence des êtres vivants. Il faut donc
s'attendre à ce que la suite du texte tire analytiquement les conséquences de la définition de la
vie comme capacité d'erreur.

- L'une des implications de cette définition ne tarde pas à être abordée par Foucault : « la
question de l'anomalie traverse toute la biologie ». Ici, le raisonnement revient à dire que la
propriété de l'objet étudié par une discipline affecte nécessairement la méthode et l'histoire
de cette discipline : puisque la biologie étudie la vie, elle ne peut que se pencher sur les
« anomalies » génétiques qui scandent l'évolution du vivant.

- Cette première transposition de la thèse générale (la vie est possibilité d'erreur) à un cas
plus restreint (l'histoire de la biologie qui a toujours parlé des anomalies) permet d'ailleurs de
mieux comprendre le concept d'erreur, et de voir ici une sorte de « coquetterie de plume » de
Foucault : évidemment, la vie ne se caractérise pas comme pure capacité de faillir, d'échouer,
de se détruire, de se supprimer elle-même (c'est tout cela, « l'erreur »), mais comme capacité
à produire des exceptions par rapport à des normes statistiques. Les erreurs de la vie seront
ainsi tout simplement les nouvelles formes de vie, soit les « monstres », soit les nouvelles
espèces apparaissant au fil du temps et des mutations génétiques.
L'anomalie, c'est un être singulier apparu suite à une mutation, qui finit par avoir à
l'échelle de l'espèce des répercussions au point de changer cette espèce : tel est le principe de
l'évolution du vivant, finalement.

- La thèse de Foucault se reformule alors : la vie est changement contingent, production


d'écarts, d'irrégularités statistiques (les plus aptes à la survie faisant disparaître les formes
moins aptes, et définissant de nouvelles normes spécifiques).

- L'une de ces mutations singulières, peut-être « la plus » singulière de toutes, c'est


l'homme. En effet, l'homme est apparu, exactement comme les autres vivants, par application
de cet étrange principe « erratique » (c'est en faisant des erreurs que la vie « réussit » à être
elle-même, c'est-à-dire à continuer à produire des vivants à partir des vivants précédents).
Mais on peut dire que l'homme a une singularité qui, si l'on peut dire, se singularise encore
par rapport à toutes les autres singularités vivantes : toutes les espèces sont apparues grâce à
un écart singulier, mais l'homme n'est pas un « écart » comme les autres, comme si pour lui il
y avait toujours une sursingularisation, ou une singularisation élevée au carré.

- Toute la question est alors de savoir ce qui fait de l'homme l'erreur par excellence. Le
propre de l'homme, selon le texte, on le trouve en observant l'existence de l'homme. L'homme

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

est ce vivant qui éprouve dans son existence le sentiment de ne jamais se trouver tout à fait « à
sa place ». Foucault fait ici allusion à la vie vécue, à l'expérience existentielle de l'homme,
pour théoriser la vie (la nature biologique) de l'homme. Dans les faits, la vie biologique de
l'homme (ce qu'il est génétiquement) détermine sa vie vécue, la manière dont il fait
l'expérience du monde. Et il se trouve que cette expérience est toujours celle d'une
« errance », d'une désorientation, d'un « être-perdu », autrement dit l'homme est cet être à
qui il manque de l'instinct, à qui il manque la certitude instinctive de savoir ce qu'il a à faire.
- Le texte entrelace donc erreur et errance : l'erreur comme exception statistique se traduit
par l'errance existentielle dans le monde, quand il s'agit de l'homme. On est ici dans une sorte
d'association un peu flottante des divers sens possibles du mot « erreur » : fausseté,
affirmation du contraire de la réalité, mais aussi écart, monstruosité, nouveauté, marginalité
(y compris sociale).

- « Et si on admet que le concept... » : « concept » est employé ici par Foucault de manière
métonymique : cela désigne en réalité toutes les formes de pensée « conceptuelle », c'est-à-
dire la science, l'abstraction, l'utilisation d'idées générales, l'élévation à l'idéal ou à l'idée, à
l'universel… C'est aussi par conséquent le pouvoir de concevoir : la raison, la pensée
rationnelle, la réflexion.

- Selon Foucault, le fait que l'homme manie le concept, l'idée abstraite, n'atteste pas que
l'homme soit d'une nature exceptionnelle, qu'il ait une dimension métaphysique ou
spirituelle que les autres animaux n'auraient pas. Il ne s'agit que de la manière – la
« solution » biologique dont le problème biologique de la survie est traité et résolu par
l'homme.
On comprend, à la lumière de ce coup de projecteur sur l'homme, l'ensemble de la thèse
initiale d'une manière plus complète : si la vie peut se tromper ET survivre en même temps,
c'est parce qu'elle survit EN se trompant, justement. La vie ne se définit que comme un
ensemble de réponse adaptatives à ses propres changements.
L' « erreur » est donc finalement ici totalement réévaluée. Elle n'est ni destructrice, ni
fatale ; elle est une sorte de principe/non-principe aléatoire – c'est là sa nature éminemment
paradoxale – et se déploie ainsi comme un mouvement, un changement, créateurs et féconds.

- Foucault localise ensuite cette erreur en un « lieu » bien précis : « à la racine de ce qui fait
la pensée humaine et son histoire ». L'erreur est ce qui rend possible et détermine (« racine »)
toutes les productions intellectuelles de l'homme. Dire cela, c'est commencer à avancer une
thèse extrêmement tranchée, très contre-intuitive, qui prend le contre-pied des philosophie
de l'histoire des idées proches de celle de Husserl (voir ci-dessus). En effet, l'affirmation de
Foucault est un refus clair de toute vision téléologique de l'histoire de la pensée : si l'erreur est
« radicale », alors elle ne peut pas être supprimée « une bonne fois pour toutes », et il ne faut
pas espérer que la science, notamment, parvienne un jour à la vérité absolue, sur quelque
sujet que ce soit.
L'histoire de la pensée n'est pas une histoire linéaire, orientée dans une certaine direction
et s'y avançant irréversiblement. Pour affirmer cela, Foucault s'appuie sur une pensée plus
générale de la vie : le changement vital n'est pas un progrès, mais seulement une force qui

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

propose de l'autre, du différent, ce qui n'est pas la même chose que de proposer du
« meilleur ».
Il y a ici un « naturalisme » de Foucault : l'auteur affirme en effet que la raison (celle dont
on se sert quand on conçoit, quand on raisonne, quand on fait des sciences) n'est pas
désincarnée, ni indépendante, transcendante ou absolue par rapport à la nature, par rapport
au corps de l'homme qui pense. Il y a ici un monisme : la raison ne se distingue pas par
essence du corps biologique de l'homme qui use de sa raison.
Aussi n'y a-t-il jamais, selon Foucault, ni jamais à espérer, de pensée pure, de pensée
abstraite capable de s'élever dans un ciel d'idées totalement indépendant des variations
historiques auxquelles sont soumis les corps matériels des hommes. Toute pensée est au
contraire un mixte, une association inextricable de matière et d'idée, mixte qui évolue de
manière contingente.

- Ainsi, l'histoire de la pensée n'est pas une histoire pré-écrite, pré-déterminée, qui
s'acheminerait triomphalement vers une sorte d'avènement de la raison, ou de la vérité. C'est
au contraire une histoire incertaine, ouverte, multiple, tâtonnante, qui évolue mais ne
progresse pas (rappel : tout progrès est une évolution, mais toute évolution n'est pas
nécessairement un progrès).
L'histoire de la vérité est l'histoire de conceptions multiples et successives de la vérité. Ce
n'est pas l'histoire d'un « mouvement vers le meilleur », c'est l'histoire d'un « mouvement vers
le différent », vers l'altérité.

- Aussi y a-t-il une « historicité » de la pensée et de la vérité (un ancrage, une


détermination dans telle époque, dans tel contexte, dans telles circonstances spatio-
temporelles), et cette historicité est irréductible, insurmontable. Concrètement, cela signifie
que je ne peux jamais prétendre parler autrement que comme l'homme de ma propre époque,
donc différemment de la manière dont parlèrent les hommes d'autres époques, et dont
parleront les hommes des époques à venir. Cette histoire n'est pas l'histoire de l'assomption
vers la vérité.

- Foucault insiste alors sur tous les ancrages matériels de la pensée : qu'il y ait eu des
manières différentes d'opposer le vrai et le faux, des manières différentes de valoriser le vrai et
de condamner le faux, cela s'explique par l'insertion nécessaire (inévitable) de toute pensée
(celle de la science, par exemple) dans des institutions sociales et politiques, dans des sociétés
humaines, donc dans des groupes de vivants qui peuvent « errer ».
S'être mis à désirer la vérité, à l'aimer, est ainsi une réponse « tardive » de l'homme à sa
propre vie, et à la vie. Comprenons : la recherche de la vérité fut la manière propre à l'homme
d'assumer ce qu'une « erreur » vitale l'a fait devenir, et cette manière arrive assez « tard » dans
l'histoire de l'évolution, signifiant par là que, si elle arrive en « dernier » chronologiquement
dans l'histoire de la vie, c'est bien que la recherche de la vérité n'est pas « première » dans
l'ordre logique et dans l'ordre ontologique pour les vivants.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- Ainsi doit-on reconnaître avec Foucault que toute recherche de la vérité, individuelle
comme collective, toute valorisation morale de la vérité (promotion de l'honnêteté, de la
sincérité, et de la culture, condamnation du mensonge et de l'ignorance), mais aussi toutes les
pratiques sociales visant la vérité (aveu, confession, jugement au tribunal, science, prophétie,
oracle, etc.), sont simplement des données historiques contingentes. Dit plus simplement :
l'amour de la vérité n'est pas universel, il n'est pas de tous les temps ; au contraire, l'amour de
la vérité a été inventé : il est une construction vitale, une réponse rare et originale aux défis de
la survie, proposée par l'espèce humaine seulement.

- Le texte s'achève sur l'application de la thèse générale de l'historicité de la vérité au cas


plus particulier de l'histoire des sciences, avec quelques brèves remarques de Foucault sur la
manière d'écrire désormais celle-ci en se prémunissant de toute illusion téléologisante
(vouloir écrire l'histoire des sciences comme l'histoire d'un progrès constant). Il faudra parler
de discontinuités, d'époques incomparables, renoncer sans doute à se demander si certains
ont plus ou moins « raison » que d'autres : « jamais enfin et pour toujours la vérité » signifie
bien que, dans la réflexion de Foucault, quelque chose comme « la » vérité n'existe pas, même
comme simple pôle, horizon ou idéal régulateur de la recherche (conception husserlienne de
la vérité).

Cela revient à dire que l' « erreur » n'est jamais une erreur : l'écart par rapport au passé
n'est jamais un tort qui s'apprécierait en fonction d'une norme ou d'une vérité absolues. Au
contraire, l'erreur est une propriété essentielle de la vie vécue par les hommes, et de
l'évolution biologique de l'espèce. Cette erreur que la vie fait, finalement, elle a toujours
raison de la faire, puisque nul ne saurait a priori lui donner tort d'être si inventive, si multiple,
si foisonnante…

Concluons en ressaisissant l'intérêt de ce texte :


ce texte tente d'en finir avec une métaphysique idéaliste et rationaliste de la vérité, avec une
surinterprétation de tout changement qui en fait toujours un progrès.
Ce texte permet de questionner ce que nous entendons par le mot de « vérité » : elle n'est
pas à rechercher comme une exigence absolue, comme un idéal plérômatique, mais à penser
comme ce que, biologiquement, nous désirons, d'une manière qui, d'ailleurs, au regard des
autres vivants, est somme toute rare.
Ce texte rappelle également que désirer la vérité n'est pas avoir un désir totalement pur :
notre désir de théorie n'est jamais motivé par un intérêt purement théorique. La vérité est
intéressante (désirable, captivante) parce qu'elle est intéressante (elle rencontre nos intérêts
politiques, économiques, et avant tout biologiques).
Au fond, selon Foucault, l'histoire de la théorie, du « concept », est l'histoire des
motivations non-théoriques qui permirent pourtant de faire de la science et de la
philosophie ; à ce titre, la vérité est seulement une valeur, et non un idéal ; elle est relative et
non pas absolue ; elle est toujours ancrée dans son temps, sans prétendre jamais devenir
anhistorique.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

ES

Sujet 1
La raison peut-elle rendre raison de tout ?

Première partie : identification du sujet, de son niveau de difficulté et de ses liens


avec l’ensemble des notions du programme.

- Ce sujet est au cœur du programme. Il porte sur la raison, notion qui figure dans la liste
officielle d’une part, notion qui « irrigue » la réflexion sur presque toutes les autres notions,
d’autre part. Cela signifie que le sujet est à la fois accessible (pas de « hors programme », qui
serait de toute façon banni des sujets de baccalauréat), et difficile, car il s’agit de trouver les
liens majeurs entre les notions concernées, sans pour autant se disperser. C’est également un
sujet difficile parce qu’il porte sur l’un des « blocs » du programme les plus techniques, les
plus arides (celui qui porte sur la connaissance, la science, avec les notions de vérité, de
démonstration, d’interprétation…)
- Les notions mobilisées sont donc : la raison et le réel, la vérité, l’interprétation, la
démonstration, mais aussi la morale, le devoir, le désir, l’histoire, l’art (rendre raison du sens
d’une œuvre d’art…), la culture (rendre raison de nos propres pratiques et croyances, comme
de celles provenant d’autres cultures que de la nôtre).
- C’est un sujet difficile pour une autre raison encore : il y a une difficulté de vocabulaire,
liée à l’expression : « rendre raison de » quelque chose. L’expression est à la fois vague,
ouverte, polysémique (plusieurs sens acceptables), et technique, parce que peu usitée au
quotidien. Lorsque l’un des mots ou l’une des expressions du sujet n’est pas parfaitement clair,
ni parfaitement compris, il faut renoncer à choisir ce sujet le jour de l’examen, afin d’éviter les
contresens, les hors-sujets, ou les erreurs graves de logique.
- C’est, enfin, un sujet difficile, parce qu’il demande une habileté dans la conduite de vos
idées : il y a toujours trois éléments à travailler simultanément, dans le corps de la copie qu’on
rédigerait sur ce sujet : la raison (il faudrait ici mobiliser le cours), l’expression « rendre
raison » (ici, on mobilise le cours… et sa culture personnelle, sa propre connaissance de la
langue française), et le mot « tout » (pour celui-ci, on peut mobiliser des passages du cours,
des corrigés de sujets vus dans l’année, et la logique).

Bilan de cette évaluation du sujet :


Il s’agit d’un sujet abordable en fin de Terminale, et d’un sujet plutôt ambitieux. On peut le
recommander à un(e) candidat(e) qui aura beaucoup travaillé la philosophie toute l’année, et
qui, ainsi, maîtrisera :
- le programme (définitions, problèmes, arguments, références)
- les techniques d’analyse de sujet
- les techniques d’argumentation (raisonnements, illustrations, exemples, capacité à varier
les points de vue et à expliciter les présupposés, etc.)

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

On conclut donc ces premiers repérages par une banalité vraie : un tel sujet (comme
absolument tous les autres qui sont proposés à votre réflexion!) ne peut pas être traité
uniquement à partir d’une récitation mécanique du cours ou de fiches rapidement
mémorisées. Il demande une application méthodique des règles de la dissertation, et un peu
de « feeling », d’intuition.

Deuxième partie : analyse du sujet

On peut ici subdiviser le brouillon : il y a trois analyses à mener en même temps, pour bien
prendre la mesure du sujet : A) mener une analyse nominale, lexicale (définir les mots du
sujet et trouver le réseau de mots, d’expression, qui peuvent logiquement leur être associés) ;
B) identifier le « réel », la réalité dont le sujet nous demande de parler, le concret que le sujet
nous invite à penser ; C) retrouver les auteurs, les problèmes, les arguments… vus en cours, et
adaptés à ce sujet.

A) Analyse nominale

La raison :
- pouvoir, faculté théorique (connaissance, compréhension), qui est (au moins en théorie,
sinon réellement ; au moins en droit, sinon de fait) présente en tout homme.
- elle mobilise la logique (identité, non-contradiction, tiers-exclu)
- elle mobilise des idées abstraites, soit en les produisant, soit en y accédant.
- elle procède par saisie, appréhension, « intuition » d’idées.
- elle est une capacité d’articuler entre elles ces idées, de produire des raisonnements suivis.
Elle est « discursive ».
- elle est donc la capacité qui peut établir des liens causaux et des liens sémantiques
entre les choses, ou entre les idées. Liens causaux : elle peut établir la cause d’un fait ; elle
peut établir les conséquences d’un fait ; ordonner des faits en chaînes correctes de causes et de
conséquences. Liens sémantiques : elle peut interpréter un fait, en trouver le sens, dire ce
qu’il symbolise, ce qu’il représente, à quoi il faut l’associer pour le comprendre.
- elle entretient un lien (il faudrait préciser lequel dans la copie) avec la volonté. Dans un
« désir » ou une pulsion, la raison n’intervient pas ; dans une volonté, elle intervient (elle
produit cette volonté ou, à défaut de la produire, elle guide une volonté déjà existante)
- elle apporte ordre, unité, nécessité (structure, orientation) dans ce qui est désordre,
multiplicité, contingence. (sur ces points, voir le cours)

« Rendre raison de » :
- expliquer, c’est-à-dire trouver les causes.
- comprendre, c’est-à-dire trouver le/un sens, une signification, une orientation.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- assumer, revendiquer la responsabilité de quelque chose (« rendre compte de ses actes


devant un tribunal », par exemple), éventuellement à l’aide d’un travail d’explication ou de
compréhension/interprétation préalable.
- rendre intelligible, c’est-à-dire compréhensible, ce qui ne l’était pas.
- décrire avec certaines catégories (celles de l’intelligible : unité, nécessité, ordre,
cohérence) quelque chose qui n’est peut-être pas « en soi », ontologiquement, par définition,
intelligible. Faire semblant, feindre de décrire la réalité comme si elle était homogène avec
notre esprit, alors que la réalité et l’esprit humain n’ont pas la même nature, ni le même
fonctionnement, et en toute rigueur ne devraient pas être décrits à l’aide des mêmes
catégories. (ces points-là sont difficiles : à retrouver dans le cours).
- juger, évaluer, estimer quelque chose (ex : un critique d’art rend compte d’une exposition
qu’il a vue en disant si elle est réussie, intéressante, originale, ou non).

« Tout » :
- la somme, sans reste ni élément négligé, de ce qui existe, donc : la réalité entière, le réel,
les choses, la matière (dans l’hypothèse où réel = matière).
- l’ensemble des événements passés et présents (les seuls dont on peut « rendre compte » :
on ne pourrait pas « rendre compte » de ce qui ne s’est pas encore passé).
- en feuilletant un peu le sens du mot : la somme de toutes les pensées, la somme de tous
les désirs, la somme de tous les actes, la somme de tous les faits, la somme de tous les
événements…
- l’ensemble de ce qui est produit par l’homme, et l’ensemble de ce qui n’est pas produit par
l’homme.

B) De quoi (de réel, de très concret, que je peux croiser ou éprouver dans ma vie
quotidienne) le sujet m’invite-t-il à parler ?

Insistons bien sur ce moment de l’analyse. De nombreuses copies, écrites dans l’année ou à
l’examen, montrent que les élèves ne prennent pas les sujets de philosophie « au sérieux »,
c’est-à-dire écrivent mécaniquement des copies en cherchant à « recaser », à « placer » ce
qu’ils espèrent convenir aux attentes des correcteurs, mais sans jamais se dire que ce qu’ils
écrivent pourrait et devrait vraiment parler du réel, ce que nous vivons vraiment, tous. C’est
cela qui explique les hors-sujets, les copies trop abstraites, les erreurs de raisonnement
également, et c’est cela qui donne alors à tous (élèves, parents, professeurs) l’impression que
les exercices demandés, et même la discipline « philosophie » en tant que telle, sont
totalement « artificiels », coupés des réalités, voire « inutiles ».
Disons, pour éviter cela, que, même si un candidat ne peut pas complètement oublier qu’il
est dans les conditions d’un examen, avec tout ce qu’elles impliquent de désagréable, ce
candidat gagnera(it) toujours à essayer de « croire » à ce qu’il fait, à essayer de se dire que c’est
bien la réalité même, - celle qu’il connaît déjà - , qu’il va essayer de penser, de décrire,
d’expliquer, de juger.
Croire à ce que l’on fait, prendre les exercices au sérieux, être à ce qu’on fait : il nous semble
que c’est là l’attitude qui permet de réussir les examens et les concours. L’idéal serait bien sûr

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

de philosopher pour le pur plaisir de philosopher, en oubliant les contraintes académiques,


scolaires ; cet idéal restant sans doute hors de portée, il reste cependant à faire les choses avec
cœur.

Que nous demande de penser le sujet : « La raison peut-elle rendre raison de tout ? » ?
Explorons plusieurs pistes.
Lorsque, en tant que scientifique, je veux rendre compte d’un phénomène, je veux
l’expliquer, je veux trouver ses causes, je veux pouvoir écrire une loi générale qui permettrait
de prévoir si et comment ce phénomène pourrait se répéter ou varier ; et je veux en « rendre
compte » pour en acquérir, par mon esprit, une sorte de « maîtrise ».
Ainsi, le sujet peut être reformulé ainsi : « Tout ce qui existe peut-il être expliqué, compris,
et donc, in fine, maîtrisé ? ». En ce cas, d’après cette reformulation, il s’agit d’un sujet sur les
pouvoirs et les limites de la raison humaine.
Lorsque, en tant que journaliste, je rends compte d’une manifestation, d’un krach boursier,
d’un attentat, d’une séance au Parlement, je cherche à en parler d’une manière qui restitue ce
qui a eu lieu, et d’une manière qui donne un sens à ce qui a eu lieu. Ainsi, mon auditoire
visualise ce qui a eu lieu, et comprend ce qui a eu lieu. Rendre compte, c’est donc pouvoir
parler de quelque chose de manière satisfaisante.
Le sujet se reformule alors comme suit : « Peut-on parler de tout de manière satisfaisante,
communiquer à propos de tout, être compris à propos de tout, et dire des choses vraies à
propos de tout ? » C’est alors un sujet sur les pouvoirs et les limites du langage, et un sujet sur
les liens entre la vérité, la réalité et les mots. (La « raison » serait alors ce qui permet de tisser
entre ces trois instances les « bons » liens…)
Lorsque, en tant qu’homme préoccupé par des questions « métaphysiques » ou
« existentielles » (la mort, l’éternité, la question de l’existence de Dieu, la question de
l’existence de l’âme, le problème du mal, la question de savoir ce qu’est une vie juste, réussie,
bonne…), je cherche à rendre compte de ma propre vie, je cherche à discerner, dans tout ce
que j’ai vécu, un sens et une valeur intrinsèque (je cherche à dire en quoi, « en soi », c’était
bien, c’était respectable, cela valait la peine d’être vécu…). Je cherche à savoir où tout cela (ma
vie, les événements vécus, les personnes côtoyées) m’emmenait finalement.
En ce sens, le sujet se reformulerait ainsi : « Ma vie, prise dans absolument tous ses aspects,
peut-elle avoir un sens qui pourrait être, pour moi, satisfaisant, sur le plan théorique, sur le
plan pratique, et sur le plan spirituel ? » C’est alors un sujet sur le sens de la vie, et sur le
rapport, rationnel ou non (c’est toute la question), de l’homme, à la spiritualité.
Lorsque, en tant qu’être de culture, c’est-à-dire être qui ne peut entrer en relation avec le
monde que grâce à des savoirs et grâce à des symboles, je cherche à rendre compte de la
totalité de ce qui existe, par l’intermédiaire de la science, mais aussi de l’art, mais aussi de la
philosophie, mais aussi, éventuellement, des grands livres des religions (qui toujours porteurs
de sens et d’informations précieuses sur l’homme, que l’on soit ou non croyant), je cherche à
satisfaire un désir de connaissance, un désir de savoir, qu’Aristote estimait parfaitement
« naturel ».

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Le sujet se reformule alors ainsi : « La science, l’art, la philosophie, l’ensemble des activités
spirituelles et culturelles menées par l’esprit humain depuis des millénaires nous permettent-
ils d’espérer, raisonnablement, comprendre un jour absolument tout ? »

Cette deuxième partie de l’analyse permet de repérer toutes les activités humaines dont le
sujet nous invite à parler. Le sujet paraît alors moins abstrait : il faut parler certes de la raison,
mais la copie pourrait envisager la religion, l’art, le mal, la mort… et être ainsi bien moins
monotone et technique qu’il n’y paraît au premier abord.
Cette deuxième partie permet aussi de bien cerner le sujet, et de commencer à en voir des
difficultés majeures. Ainsi, par exemple, dans nos quatre variations menées autour de
l’expression : « rendre compte », nous constatons que l’expression a toujours une valeur
rétrospective. On ne peut rendre compte que de quelque chose qui existe déjà, ou qui a déjà
eu lieu ; en revanche, on ne peut rendre compte de ce qui n’existe pas, ou de ce qui n’existe pas
encore. Le sujet semble donc présupposer soit que la raison ne peut jamais anticiper ou
produire par elle-même des choses, mais seulement « revenir », « après coup », sur ce qui a eu
lieu, pour le rendre accessible à notre compréhension – le sujet est alors très proche, dans son
présupposé, de la pensée de Hegel à la fin de la préface des Principes de la philosophie du
Droit, qui affirme que « la chouette de Minerve [la raison philosophique] ne prend son envol
qu’à la tombée du jour [une fois que les événements sont passés] » ; soit que la raison peut
éventuellement « prévoir », anticiper, mais que ce n’est pas cet aspect-là ou cette capacité-là
de la raison qui nous intéresse ici.

C) Mobilisation d’éléments du cours :

Hegel sur la vérité, Kant sur la morale et le devoir, Stoïciens et Épicuriens sur les pouvoirs
de la raison de réinterpréter correctement le sens de ce qui nous arrive, Platon, Kant, sur l’art,
Kant et Hegel sur le sens de l’histoire, etc.
Ici, il s’agit d’avoir bien appris le cours, et de mobiliser à bon escient des éléments : ne
jamais restituer inutilement de connaissances (c’est-à-dire : réciter pour meubler, sans lien
avec le sujet), et, à l’inverse, ne jamais croire que l’ignorance totale ni le relativisme (à chacun
son point de vue, à chacun ses goûts, autant d’opinions valables que d’hommes sur Terre, etc.)
pourraient remplacer une véritable réflexion informée (informée = qui est au courant de ce
qui, « en gros », a été dit sur ces questions par des penseurs majeurs, avant nous). Il s’agit de
prouver que l’on a fait une véritable année de philosophie.

Troisième partie : position du problème ( = problématisation, ou « formulation de


la problématique »), et construction d’un plan

Reformulons de la manière la plus ample possible le sujet, jusqu’à faire apparaître, le plus
clairement et le plus puissamment possible, son problème, c’est-à-dire les deux ou trois
grandes réponses pertinentes mais incompatibles entre elles, qui se présentent lorsque nous
voulons répondre au sujet.
Cela donne par exemple ceci :

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Y a-t-il un mouvement de l’esprit humain, tant individuel (moi, vivant ma propre vie) que
collectif (la science, l’université, toutes les réalisations culturelles de l’histoire de l’humanité),
une sorte d’évolution des capacités de notre esprit, évolution par laquelle nous pourrions tout
à fait espérer, un jour, restituer intégralement et de manière pleinement satisfaisante, l’origine
(causes), le sens (signification et orientation) et la valeur (bonté, excellence) de tout ce qui a
existé et de tout ce qui existe ?
L’alternative qui s’offre à nous, puisque la question du sujet est une question « fermée », est
une alternative en « oui/non » :
- si oui, s’il y a un progrès de la raison, s’il est vrai de penser que la raison peut, pourrait,
pourra, rendre compte de tout (si elle ne le fait pas déjà, du moins le pourra-t-elle un jour),
alors cela signifie qu’il y a un sens de l’histoire par lequel les pouvoirs de l’esprit humain
s’épanouissent de plus en plus, et par lequel l’homme comprend de mieux en mieux la réalité.
Cette réponse est très vraisemblable, et elle est extrêmement séduisante. Mais d’emblée nous
voyons qu’elle ne peut pas être acceptée immédiatement sans la moindre réserve, car des
choses resteraient alors à élucider. En effet, s’il y a un progrès inéluctable de la raison, ou,
variante, si nous sommes certains que la raison peut d’ores et déjà « rendre raison de tout »,
comment, alors, comprendre le mal (la souffrance incompréhensible, la méchanceté gratuite,
la mort scandaleuse des êtres que nous aimons), comment comprendre la persistance et
l’originarité du mal (si l’homme est fait pour tout comprendre, pourquoi n’a-t-il pas
commencé par là, et pourquoi ne semble-t-il pas toujours vouloir accomplir ces progrès?).
Pourquoi l’homme commence-t-il toujours sa vie, et reste-t-il toujours si longtemps, de son
plein gré parfois, dans l’ignorance, le non-sens, l’incompréhension et la souffrance ?
- si non, si la raison ne peut pas « rendre raison de tout », on doit conclure à une
impuissance relative (elle n’est pas totalement impuissante) mais irréductible (elle ne pourra
jamais tout) de la raison à faire ce qu’elle a à faire (nous rendre le monde compréhensible). Il
faut alors penser, utiliser notre raison, mais l’utiliser avec une lucidité tragique, c’est-à-dire en
sachant pertinemment que l’entreprise dans laquelle nous nous lançons ne pourra pas réussir.
Il faudra(it) alors assumer le fait qu’il y a, dans le monde et en nous-même, une part du réel
qui échappe à la raison, qui demeurera inintelligible, irrationnel, insensée, et ce,
nécessairement. Cette réponse est elle aussi très vraisemblable, et elle est elle aussi très
séduisante : elle a pour elle une grande beauté, celle de ces histoires où nous voyons l’homme
se lancer dans des entreprises par avance désespérée. Cette réponse au sujet serait tragique, et
placerait tout homme désireux de penser dans la position d’un « héros » de tragédie (Hercule,
par exemple). C’est beau, mais est-ce possible sans désespoir ? Pourrions-nous supporter,
dans notre vie quotidienne, la pensée que nos pensées sont vaines ? La pensée que nos
pensées ne peuvent penser vraiment le monde ?

Le problème est donc finalement le suivant :


Notre raison doit-elle être utilisée de manière optimiste, ou de manière héroïco-tragique ?
Est-elle vouée à réussir, ou condamnée à échouer ?
Quand nous pensons avec notre raison, devons-nous le faire comme si nous avait été
promise une réconciliation parfaite entre notre esprit et le monde, ou, au contraire, comme
s’il fallait accepter définitivement un hiatus (séparation, discontinuité heurtée) entre notre
esprit et le monde ?

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Proposition de plan :

Le plan va chercher à progresser vers la thèse d’un certain succès (avec d’importantes
précisions et nuances toutefois) de la raison à rendre compte de… « tout », toute la question
étant de savoir de quelle « totalité » ce « tout » nous parle exactement. On va donc répondre
« oui » au sujet – il faut toujours avoir une idée très claire, et même un peu rigide, sur ce que
l’on veut, au final, défendre comme thèse à la fin de la dissertation - , mais essayer de dire à
quelle condition ce « oui » est acceptable sans paraître naïf, ou béatement optimiste.

La première partie va commencer par rappeler combien il est légitime d’espérer que la
raison puisse rendre raison de tout, c’est-à-dire tout comprendre pour pouvoir tout maîtriser :
Arguments et références (évoqués pêle-mêle) : le désir de l’homme de devenir « comme
maître et possesseur de la nature » (Descartes), la tendance naturelle de l’homme à
rechercher par la raison l’inconditionné (Kant), le mouvement inéluctable de réalisation et de
libération de l’esprit au cours de l’histoire (Hegel), le désir de savoir (Aristote).
Arguments : le mal n’est supportable que dans la mesure où il est compris, dans la mesure
où un sens lui est associé ; notre identité a besoin, pour se construire, de croire qu’elle sait sur
quel passé elle s’édifie, « d’où elle vient ».
A l’issue de cette première partie, l’idée dominante serait : « nous ne savons pas encore si la
raison peut rendre raison de tout, mais nous savons, en revanche, qu’elle le veut, et qu’il est
dans sa nature même de le vouloir. »

Deuxième partie : Mais toute raison convenablement employée découvre qu’il est
raisonnable, pour elle, de savoir reconnaître ses propres limites.
Références, arguments : les mythes signifiant qu’une maîtrise intégrale du monde par la
science n’est pas viable (Prométhée, Faust, Frankenstein), ou ne ferait pas un monde
habitable. Réflexion sur les idéologies, comme produits monstrueux de la raison.
Montaigne, penseurs de la tolérance.
Arguments : la raison peut construire des preuves « philosophiques » de l’existence de
Dieu, mais ces preuves sont totalement inutiles lorsqu’il s’agit de savoir si réellement l’on croit
en Dieu ou si l’on n’y croit pas… la raison ne peut donc pas rendre compte de « Dieu » lui-
même…
La raison ne peut pas trouver par elle-même de définition parfaite du bien en politique,
d’où l’acceptation de nos régimes politiques incertains, modestes, qui ne prétendent pas
savoir « scientifiquement » ce qu’il faut faire pour gouverner correctement…

Troisième partie : il s’agit toujours, dans chaque partie, de tenir compte de la ou des parties
précédentes en les réutilisant, en les prenant comme point d’appui d’un raisonnement, et non
pas de les contredire totalement. Cette troisième partie va donc tenir compte des deux idées
majeures défendues ci-dessus : 1) la raison voudrait toujours tout comprendre ; 2) mais elle
comprend aussi qu’il ne faut pas chercher à tout comprendre…

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Et c’est ici que l’on va retravailler, pour finir, le sens qu’il convient de donner à « tout »,
dans l’énoncé initial.
Complétons alors : la raison doit toujours s’obliger à rendre des comptes, et à se rendre des
comptes à elle-même, sur ce qu’elle a produit elle-même, sur ce qu’elle a fait, sur ce qu’elle a
cru comprendre du monde grâce aux représentations qu’elle nous en donne. La raison peut et
doit rendre raison de tout… ce qu’elle a elle-même produit. Toute pensée doit s’évaluer elle-
même, se repenser elle-même, sans quoi elle devient dogmatique, et n’est plus vraiment une
pensée, mais une simple croyance, une habitude, un stéréotype, une idéologie…
Arguments, référence : la pensée critique, penser par soi-même (Kant)
Stoïciens, sur le pouvoir de l’intellect de réattribuer aux choses un sens plus conforme à la
raison, donc sur le pouvoir de la pensée de rectifier la pensée.
Pratique socratique de la dialectique pour rechercher la vérité.

Conclusion, qui formule définitivement la thèse :


La définition du réel, c’est qu’il est ce qui résiste, ce qui nous échappe, ce qui ne se laisse
pas comprendre facilement, ce qui laisse toujours à penser, à comprendre davantage, à
désirer ! Le réel est ce que notre raison veut maîtriser, et qui échappe toujours en partie à cette
maîtrise. On voudrait tout expliquer, mais il reste de l’inexplicable ; on voudrait trouver le
sens définitif des choses, mais il restait toujours du sens à redécouvrir.
La définition de la raison, c’est d’être cette faculté de penser qui, tôt ou tard, doit faire
l’épreuve de ce manque de preuves, de cette résistance du réel, et qui va chercher cependant à
abolir cette résistance, à la vaincre.
Aussi, la raison ne rend jamais raison de « tout ». Certes, elle veut « toujours plus » en
savoir, en maîtriser, c’est dans sa définition même. Mais ce n’est pas une « totalité » de savoir
qu’elle vise, préférant progresser indéfiniment dans une série ouverte de savoirs, de théories,
de significations, qu’elle produit et rectifie à mesure qu’elle les produit. Ainsi la raison se
rend-elle toujours raison à elle-même de tout ce qu’elle fait, de tout ce qu’elle pense, à défaut
de pouvoir rendre raison de tout le réel.

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Sujet 2
Une œuvre d’art est-elle nécessairement belle ?

Première partie : remarques sur le sujet et premiers repérages

Ce sujet invite à examiner une affirmation qui relève de la doxa (opinion courante,
irréfléchie, inquestionnée). Couramment, en effet, nous pensons spontanément qu'une
véritable œuvre d'art, c'est un objet que nous allons forcément trouver beau, réussi, plaisant.
Spontanément, la doxa affirme donc que l'art, ce sont les choses fabriquées par l'homme qui
sont belles, et que sans beauté, on n'est pas dans de l'art.
NB : attention, la doxa n'est pas nécessairement fausse, et le candidat du baccalauréat n'a
pas à se sentir obligé de réfuter la doxa : il peut parfaitement soutenir dans sa copie que cette
doxa exprimait de manière non argumentée, et imprécise, une opinion vraie. Dans ce cas de
figure, le travail d'argumentation dans la copie consisterait à trouver les raisons pour
lesquelles cette doxa est vraie, donc, ici, les raisons pour lesquelles on peut dire qu'une œuvre
d'art (réelle, véritable, digne de ce nom) est toujours forcément belle.

On remarque ensuite que ce sujet est un sujet qui donne envie de répondre tout de suite,
qui donne l'impression que l'on a déjà la réponse, la bonne réponse, simplement parce que,
sur la question qu'il pose, que l'on ait fait de la philosophie ou non, on a déjà un petit avis.
(à titre de comparaison, sur un sujet comme : « La perception s'éduque-t-elle ? », ou « La
raison peut-elle rendre raison de tout ? », il sera assez rare qu'un candidat non philosophe ait
déjà une opinion toute trouvée avant même d'avoir réfléchi à la question…)
Toute l'astuce, ici, sera de trouver des stratégies pour ne pas se limiter à la simple
expression répétitive de cet avis : il faut s'efforcer d' « oublier », au moins pendant le début de
l'épreuve, que l'on a envie de répondre « oui » au sujet.
Ces stratégies consistent à appliquer la méthode vue dans l'année, et à essayer d'envisager
toutes les réponses possibles, et les conditions auxquelles on pourrait proposer ces réponses :
- à quelle condition aurait-on le droit de dire : « Une œuvre d'art est nécessairement
belle. » comme un énoncé absolument vrai ?
- si l'on ne soutient pas cette thèse, quelle(s) autre(s) thèse(s) est-on amené à défendre ?
(et d'ailleurs, faut-il à tout prix la remplacer par une autre thèse ? A-t-on vraiment besoin de
connaître le lien entre art et beauté, pour savoir ce qu'est l'art d'une part, pour savoir ce qu'est
la beauté, d'autre part?)

Le sujet semble assez « localisé » dans le programme : il porte sur « l'art ». Mais un bon
réflexe de méthode consistera à se demander avec quelles autres notions du programme un tel
sujet peut être relié.
L'art n'est pas seulement lié à la question de la beauté ; on sait aussi qu'il a à voir avec la
recherche de la vérité, avec la recherche du sens (interprétation), qu'il est une réalité sociale et
politique, qu'il a longtemps été lié à la pratique religieuse. Tous ces éléments peuvent être
abordés.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

L'une des difficultés de ce sujet tient à sa structure logique, à la forme de la question qui est
posée, qui peut mener à des plans maladroits, ou très stéréotypés, et même, assez vite, à des
hors-sujet.
Que demande le sujet ? Il est de la forme : « A est-il nécessairement B ? », et demande
donc :
- si B est la condition nécessaire de A (si B n'est pas là, A ne peut pas non plus être là, ou
être A) : si c'est laid, cela peut-il être de l'art ?
- Si B est la condition nécessaire et suffisante de A (sans B, A ne peut être là, mais dès que B
est là, A est entièrement là) : dès que c'est beau, est-ce de l'art ?
- si B est une bonne définition de A : la beauté définit-elle toute œuvre d'art ?
- Si B est l'essence, ou la manifestation de l'essence de A : la beauté est-elle l'essence de
l'art, ou le signe visible de l'essence invisible de l'art ?
- si B est le critère de reconnaissance de A : savons-nous s'il s'agit d'art grâce au critère de la
beauté ? (et est-ce le seul critère, ou bien un critère parmi d'autres?)

Toujours en réfléchissant à la structure logique du sujet, on voit qu'il faut aussi se


demander ce qui, outre l'éventuelle beauté, définirait un objet comme étant certainement une
œuvre d'art.
Concrètement, cela revient à se placer dans l'hypothèse suivante : cette œuvre ne me plaît
pas, mais il s'agit quand même d'une œuvre d'art. Pourquoi ? Comment puis-je savoir,
comment puis-je affirmer, qu'il s'agit bien d'art ?

Pour clore ces remarques sur le sujet, apprécions son niveau de difficulté. C'est un sujet
d'une difficulté moyenne.
Si l'on maîtrise bien le cours, et que l'on a quelques bons exemples d’œuvres d'art et de
théorie artistiques en tête, le sujet est abordable, et demande simplement de la rigueur, et
l'aptitude à contourner, à discuter, les clichés et les facilités relativistes (« ça dépend des
goûts », « ça dépend des œuvres », « ça dépend des époques »). Mais le préalable, pour
s'emparer de ce sujet, reste d'avoir bien mémorisé les références majeures (pour faire vite :
Platon, Hume, Kant, sur la question de la beauté), et d'avoir une culture générale
satisfaisante…
La dernière difficulté, pour traiter ce sujet, consiste à éviter les plans ou les méthodes
« paresseux » :
- le plan « dialectique » (oui/non/ça dépend ou synthèse)
- le plan abstrait : « non, l’œuvre peut aussi être laide, ou être banale, ça sera de l'art quand
même »
- le plan énumératif (succession d'exemples ou de théories, mais absence d'une vraie
réflexion suivie et structurée).

Deuxième partie : analyse notionnelle du sujet et repérage du réel que le sujet


invite à penser

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

« œuvre d'art » :
- objet, événement, spectacle, performance, délimités dans le temps et dans l'espace ;
- objet qui a un créateur, un auteur, et qui relève donc d'un « produire » humain (poiésis).
- objet qui a une capacité à exister sans dépendre d'une justification utilitaire. Cet objet
peut servir, mais qu'il puisse servir occasionnellement n'est pas ce qui a réclamé sa création,
sa conception, sa fabrication. (différence avec l'outil, la machine, l'objet purement technique)
- le résultat d'une pratique, individuelle ou collective, distincte d'une pure production
économique
- ce qui fait l'objet de discussions sur son caractère réussi, important, riche… (discussions
typiques qu'aucun autre type d'objets ne peut appeler)
On ne peut pas aller beaucoup plus loin, pour définir l’œuvre d'art, que ces quelques
éléments, car on risquerait d'ajouter des choses qui tiendraient pour déjà résolu le problème
qu'il faut justement traiter, à savoir si l’œuvre d'art a pour propriété intrinsèque la beauté, la
capacité à plaire à tous.

« belle » :
- harmonieuse. Idée d'équilibre, de cohérence, d'ordre, de correspondance interne entre
des éléments (lien antique entre beauté et ordre : cosmos, cosmétique…)
- agréable, plaisante. Idée d'un plaisir donné gratuitement, don, faveur.
- capacité à ébranler, à émouvoir, à sidérer.
- jugement produit par le sujet. Appréciation positive provenant d'un sujet qui juge du
point de vue esthétique.
- agréable pour le corps (Hume).
- signe de l'absolu, signe du vrai.
- résultat d'un libre jeu des facultés (imagination et entendement), selon Kant.

En reformulant le sujet, on obtient : pour définir, pour créer, ou pour reconnaître une
œuvre d'art, et non un simple objet technique, et non plus un « échec » de l'artiste (une
œuvre ratée), la condition est-elle que tout spectateur possible de cette œuvre puisse, ou
même doive, la trouver belle ?

L'expérience quotidienne que le sujet nous invite à penser :

Ordinairement, nous « savons » très vite, presque immédiatement, si tel objet, tel
mouvement, telle suite de sons… qui nous font face sont de l'art ou non. Nous savons s'il y a
art, nous savons quand c'est de l'art ou non.
Et il est vrai que nous le savons, semble-t-il, d'autant mieux que l'objet nous plaît.
Mais ce plaisir, signe de la beauté de l’œuvre, est-il l'indice infaillible de la teneur artistique
de l'objet qui nous fait face ? Sans ce plaisir, faut-il refuser à l'objet considéré la dignité, le
rang, de véritable œuvre d'art ?

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L'esthétique est-il l'indice de l'artistique ?


Tout le problème est que cette expérience du plaisir n'est pas universelle. C'est un cliché,
mais un cliché vrai, de dire que les goûts des uns et des autres sont très différents, très divers.
Cependant nous constatons que, si nous ne sommes pas d'accord sur ce qu'il faut penser de
l’œuvre d'art (est-elle belle ? Est-elle laide ? Est-elle banale?), en revanche nous sommes
d'accord sur le fait qu'il faut penser que c'est bel et bien une œuvre d'art.
En quoi des jugements subjectifs (« j'affirme que ceci est... ») peuvent-il définir l'identité
ontologique d'un objet (« La Joconde est une œuvre d'art », « ce marteau n'est pas une œuvre
d'art, mais un simple outil »), alors que ces jugements : 1) ne sont pas des jugements de
connaissance, et 2) ne concordent pas entre eux ?
L'enjeu concret est multiple, en ce cas : il s'agit de dire ce qui appartient à l'art, à l'histoire
de l'art, ce qui mérite d'être retenu comme ayant été de l'art. L'enjeu est alors ici important :
- dire ce qui est de l'art et n'en est pas sera décisif dans la manière dont nous allons
hiérarchiser les œuvres, donc dans la manière dont nous allons former notre propre goût, et le
goût des autres, notamment des enfants.
- cela influe donc, et l'enjeu est proprement politique, sur la manière dont nous formons
notre propre jugement, et le jugement d'autrui.
- l'enjeu est également éthique, et religieux : si l’œuvre d'art manifeste une ouverture vers
l'absolu, un questionnement sur la vérité, il est crucial de savoir si l’œuvre d'art est reconnue
comme telle juste parce qu'elle est reconnue comme belle, ou pour d'autres raisons.

Les questions qui en découlent sont alors : l'être de l’œuvre, le caractère artistique de
l'objet, peut-il être totalement indépendant du regard toujours unique que le spectateur porte
sur elle ?
Peut-il y avoir une œuvre que personne n'aime, et dont pourtant tout le monde
s'accorderait à dire, malgré tout, que c'est bien de l'art.

En dernière analyse, cela renvoie à une question d'ontologie plus vaste : certains êtres ne
consistent-ils pas, ne doivent-ils pas leur existence et leur identité, uniquement dans le
jugement que l'homme s'en fait ? N'est-ce pas notre pensée qui fait intégralement être ou ne
pas être certaines réalités ?

Troisième partie : problématisation et proposition de plan

Affirmer à propos d'un objet fabriqué qu'il est une œuvre d'art, donc un objet créé par
liberté, selon une visée qui n'est pas strictement utilitaire, est-ce la même chose que
d'affirmer que cet objet, en soi, est, ou mériterait toujours d'être jugé comme, plaisant ?
Si l'on répond positivement à cette question, cela revient à dire que :
- il n'y a vraiment art que lorsque l'objet concerné produit toujours un plaisir chez celui qui
lui fait face.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- il faut avoir une conception emphatique ou ambitieuse de l’œuvre d'art : l'art n'est pas
seulement ce qui choque, ce qui aide à prier, ce qui fait penser. Il doit en plus toujours plaire,
sans quoi il n'y a pas pleinement art.
Si l'on répond négativement à cette question, cela revient à dire que :
- le jugement esthétique positif (« j'aime », « c'est beau », etc.) sur une œuvre n'est pas ce
qui la constitue comme œuvre : son statut d’œuvre est déterminé par des éléments objectifs,
et non par des jugements subjectifs.
- il faut, en tant que spectateur ou amateur d'art, rester « modeste » : mon « avis »
défavorable à propos d'un tableau de Picasso, par exemple, ne va tout de même pas
m'autoriser à conclure que ce tableau ne mérite pas le statut d’œuvre d'art…

Piste de résolution du problème :


il faut interroger le statut de la beauté elle-même, ou sa localisation exacte. Où est le
beau ? Dans l’œuvre elle-même, ou seulement dans le jugement que je produis à propos
d'elle ?
C'est en travaillant sur le statut exact de la beauté (propriété objective d'une chose, ou
contenu d'un jugement appréciatif ou dépréciatif) que l'on pourra déterminer dans un second
moment le statut d’œuvre d'art de tel ou tel objet.

Plan :

Première partie : comme le beau n'est jamais, de facto, l'objet d'un accord universel entre
les hommes, le beau ne peut servir à identifier objectivement les choses.
Dans les faits, par conséquent, rien n'est jamais « nécessairement beau », de toute
manière. L'expression « nécessairement beau » est, en elle-même, contradictoire, avant
même qu'on ait commencé à se demander à quelle chose on projetait de l'appliquer.
Références :
- Hume, sur le fait que le critique d'art parfait est introuvable, le goût, la hiérarchie des
avis…
- Platon, sur la divergence des avis.
Exemples d’œuvres : les grands films de guerre, des peintres comme Francis Bacon, les
désaccords sur des œuvres considérées par ailleurs comme classiques, majeures (La Princesse
de Clèves…)

Transition : mais alors, de quel critère de reconnaissance disposons-nous pour dire si un


objet est une œuvre d'art ou non ?

Deuxième partie : cependant, la question de la beauté, parce qu'elle est nécessairement liée
à la vérité, à l'absolu, à la pensée (le beau nous fait penser, le beau est ouverture à l'absolu,
etc.), ne doit pas, ne peut pas être totalement étrangère à la démarche créatrice de l'artiste, et
à l'attitude du public.

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Certes, on peut déplacer, modifier, transformer, l'expérience du spectateur (effrayer,


sidérer, ironiser, décevoir), mais cette expérience du plaisir esthétique ne peut pas être
vraiment éliminée (sauf dans des cas marginaux ou éphémères)
Références possibles :
- Nietzsche
- Hegel
- Platon…

Transition : quel lien établir entre l’œuvre d'art et la beauté, si ce lien n'est pas une
constante association de l'un à l'autre, association que l'on pourrait constater empiriquement,
comme un fait ?

Troisième partie : l’œuvre d'art est cet objet qui doit toujours pouvoir, au moins en droit
(sinon de fait), au moins par hypothèse, être jugé beau, par toute subjectivité sensible et
compétente.
Référence : Kant.
Exemples : Madame Bovary, la poésie de Mallarmé, de Celan…
L’œuvre d'art se reconnaît au fait qu'elle est cet objet qui donne nécessairement envie non
pas de dire que c'est beau, mais au moins de se demander si c'est beau. L’œuvre d'art ne
possède pas la beauté comme elle posséderait une propriété intrinsèque et objectivement
constatable, avérée. Elle est cet objet qui nous adresse la question et presque « exige » que
nous nous posions, à son sujet, la question de la beauté : « Est-ce beau ? Si je ne trouve pas
cela beau, est-il cependant possible de comprendre le jugement de personnes qui, elles,
trouveraient cela beau ? ».

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Sujet 3
Étant donné […] qu’il n’existe pas au monde de République où l’on ait établi
suffisamment de règles pour présider à toutes les actions et paroles des hommes (car
cela serait impossible), il s’ensuit nécessairement que, dans tous les domaines
d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur
propre raison leur indique comme étant le plus profitable. Car si nous prenons la
liberté au sens propre de liberté corporelle, c’est-à-dire le fait de ne pas être enchaîné,
ni emprisonné, il serait tout à fait absurde, de la part des hommes, de crier comme ils
le font pour obtenir cette liberté dont ils jouissent si manifestement. D’autre part, si
nous entendons par liberté le fait d’être soustrait aux lois, il n’est pas moins absurde
de la part des hommes de réclamer comme ils le font cette liberté qui permettrait à
tous les autres hommes de se rendre maîtres de leurs vies. Et cependant, aussi
absurde que ce soit, c’est bien ce qu’ils réclament ; ne sachant pas que les lois sont
sans pouvoir pour les protéger s’il n’est pas un glaive entre les mains d’un homme (ou
de plusieurs), pour faire exécuter ces lois. La liberté des sujets ne réside par
conséquent que dans les choses que le souverain, en réglementant les actions des
hommes, a passées sous silence, par exemple la liberté d’acheter, de vendre, et de
conclure d’autres contrats les uns avec les autres ; de choisir leur résidence, leur genre
de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils le jugent convenable et
ainsi de suite.

Hobbes, Léviathan (1651)

Première partie : remarques sur le choix du texte

Nous sommes face à un texte à double effet différé, ou à « double lame », si l'on peut dire :
sa compréhension globale est facile (lorsque la loi n'interdit pas en toutes lettres de faire
quelque chose, c'est sans doute que c'est permis), mais sa compréhension de détail est plus
ardue, notamment s'il s'agit (et c'est ce qui est demandé au baccalauréat) de reconstituer
entièrement l'argumentation.
Le texte est donc d'une difficulté « moyenne », ou légèrement supérieure à la difficulté
« moyenne » d'un texte choisi pour notre examen.

Choisir de l'expliquer, plutôt que de disserter, présenterait des avantages et des


inconvénients.

Les avantages :
- ce texte est long ; il y a donc beaucoup d'éléments (concepts, connecteurs logiques, etc.) à
commenter, sur lesquels on peut s'appuyer pour bâtir une interprétation complète du texte.
- l'argumentation est visible ; les connecteurs logiques sont présents, ce qui permet de
délimiter sans souci particulier la structure du texte (« car », « par conséquent », etc.), et de
délimiter la thèse et les arguments soutenant celle-ci.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- puisque le texte est long, il est suffisamment riche pour donner au candidat la liberté d'en
proposer plusieurs lectures possibles. Ainsi, on peut très bien dire que ce texte réfléchit : 1)
sur ce qu'est un État républicain, et sur la fonction qu'il doit assumer ; 2) sur la fonction de la
loi ; 3) sur la liberté politique ; 4) sur les droits subjectifs de l'individu. Ces quatre lectures
sont parfaitement valides ; choisir l'une d'elle demandera simplement de ne pas oublier de lire
l'ensemble des éléments du texte à la lumière de ce thème (État, loi, liberté, droits) que l'on
choisit de considérer comme central dans le texte.

Les inconvénients :
- le texte demande de la dextérité pour : 1) ressaisir l'ensemble du texte sans en fragmenter
excessivement le propos (le texte a bien une unité, même s'il évoque beaucoup de choses
distinctes : lois, force, souverain, contrat, éducation, commerce…) ; 2) bien mobiliser tous les
concepts du cours de philosophie politique vu dans l'année (licence, liberté, État, République,
loi, intérêt général, intérêt particulier, souverain, droits, société…).
- le fait que ce soit un texte du Léviathan de Hobbes peut avantager le candidat, ou
l'amener très vite à des erreurs de méthode. En effet, il s'agit d'une œuvre tellement centrale
dans l'histoire de la philosophie politique, tellement importante dans l'histoire de la pensée
républicaine, que beaucoup de professeurs de philosophie le citent pendant l'année pour
initier les élèves à l'idée d'un pacte fondateur de l’État, à l'idée d'une liberté civile distincte de
la pure licence, etc. Si, à l'examen, vous « tombez » sur un texte, un livre, un auteur, que vous
connaissez déjà un peu (parce que vous l'avez vu dans l'année en cours), il faut bien prendre
garde à ne pas réciter de manière gratuite tout ce que vous savez, si cela n'éclaire pas le texte.
Ainsi, pour ce texte de Hobbes, il n'est pas nécessaire de connaître la genèse du souverain issu
d'un pacte entre les hommes voulant rompre avec l'état de nature, pour éclairer le sens de ce
texte précisément. De même, il faut bien prendre garde à ne pas confondre ce que dit ce texte-
ci, avec ce qu'ont dit d'autres auteurs en évoquant les mêmes thèmes (par exemple Rousseau,
lui aussi théoricien du pacte, théoricien de l'intérêt général, théoricien de l’État
républicain…).

Deuxième partie : élucidation linéaire du texte

Première phrase :

Hobbes propose dans cette phrase un argument « mixte », qui mêle le recours à
l'expérience ou au constat empirique, et la déduction, en faveur d'une thèse de philosophie
politique. L'argument est construit d'une manière assez dense : en constatant ce qui,
factuellement, s'est toujours révélé impossible à faire en politique (mentionner dans les textes
de loi absolument tout ce qu'il est permis de faire), on en déduit les possibilités véritables du
législateur en politique, et à partir de ces possibilités véritables, on finit par passer à une
déduction de la norme de toute politique juste, qui constitue la thèse du texte, défendue dès
cette première phrase.
Dit plus simplement :
- jamais aucun État n'a réussi à écrire, dans le texte de la loi, tout ce qui est permis ;

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

- donc une politique possible ne cherchera jamais à tout prévoir dans ce qu'il est permis de
faire aux citoyens ;
- donc une politique juste, nécessairement, doit s'abstenir de dire, à la place des citoyens,
ce qu'ils peuvent faire pour bien vivre, pour mener leur vie au mieux.

L'argument, si on le déploie, dit en effet que dans le monde, il n'y a pas de République dans
laquelle la loi définit tout ce qui est permis. La loi n'y détermine pas positivement
(positivement : elle dit ce qui peut exister, ce qui peut être « posé » dans l'existence, dans la
réalité) la liste des actions que l'homme est libre de mener ni des paroles qu'il est libre de
proférer.
De là, on peut tirer un certain nombre de remarques :
- la loi ne définit jamais la liberté des hommes positivement (elle ne leur dit pas tout ce
qu'ils peuvent faire) ; elle ne définit la liberté des hommes que négativement (elle leur dit tout
ce qu'ils ne peuvent pas faire).
- une loi ou un État qui tenterait de définir positivement toutes les libertés des hommes
mobiliserait une définition a priori du bien, de la vie bonne, ce qui ne correspond pas à l'idéal
républicain de la liberté, qui consiste à ne pas imposer aux autres un mode de vie dont ils ne
veulent pas ;
- si la loi ne définit que négativement et non pas positivement, c'est en raison de
contraintes d'ordre matériel, physique et logique : lire cette loi prendrait un temps excessif, ce
qui annulerait son efficacité, ou la rendrait même carrément illisible (on retrouve ici une
problématique d'actualité : comment écrire des lois utiles et efficaces tout en évitant
l'inflation de textes que personne ne pourrait connaître adéquatement, et qui demeureraient
alors inappliqués?).

Il faut rappeler, pour commenter efficacement cette phrase, la définition du concept de


« République ». Si Hobbes parlait de tout État, quel qu'il soit, la difficulté du texte ne se
poserait pas : un État tyrannique ou, en termes contemporains, « totalitaire » (utiliser ce mot
pour commenter Hobbes serait risquer l'anachronisme), pourrait parfaitement se lancer dans
la délimitation positive de tout ce qu'il autorise les hommes à faire, et c'est d'ailleurs ce que ce
type d’États, historiquement, a parfois tenté de faire.
Au contraire, la République décrit un type d'organisation étatique fondé sur le principe de
la liberté et de l'unité du peuple, dans lequel le gouvernement (assimilé au peuple ou distinct
de ce peuple) est au service du peuple, dans lequel ce même gouvernement est le pouvoir
souverain qui garantit l'intérêt de tous, et par conséquent aussi les droits de tous. En
résumant, il s'agit d'un gouvernement qui lutte contre tout ce qui peut priver son peuple de
liberté, et contre toutes les formes de domination arbitraire qui peuvent s'exercer sur les
membres de ce peuple.

Il s'agit donc de comprendre quelle est, selon Hobbes, la définition républicaine de la loi,
c'est-à-dire quelle est la loi qui garantit efficacement la liberté d'un peuple, la liberté des
hommes qui composent un peuple.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

La thèse que Hobbes défend peut s'entendre à la fois comme un constat, une description (il
parle de l'être, des Républiques qui existent déjà, des lois déjà existantes qui méritent d'être
appelées « républicaines »), et comme une théorie prescriptive, qui établit la norme à suivre
pour tout législateur (il parle alors du devoir-être, des Républiques telles qu'il faut les
souhaiter voir apparaître ou se maintenir). Le passage logique de l'aspect descriptif à l'aspect
prescriptif de la thèse est assuré par la structure de l'argument que l'on a déjà reconstitué plus
haut : qu'il ait toujours été impossible factuellement de déterminer positivement le contenu
des libertés par la loi nous invite à ne jamais essayer de déterminer positivement ce contenu,
donc de ne jamais se donner cette mission ou cette ambition lorsque l'on gouverne et/ou
lorsqu'on légifère.

Explicitons à présent la thèse défendue par Hobbes.


Selon Hobbes, la liberté véritable du citoyen se déploie :
- dans le « silence de la loi » (tout ce que la loi n'interdit pas explicitement est
implicitement permis) ;
- mais (et il faut ici faire très attention au choix des mots…) la véritable liberté politique
n'existe que lorsque l'homme, en plus d'éviter de faire ce qui est interdit, utilise sa RAISON
pour ne faire que ce qui lui est « le plus profitable ».
Cette restriction est très importante pour comprendre la suite du texte : il ne suffit pas
d'obéir à la loi pour avoir bien usé de la liberté que la loi nous donne. Il ne suffit pas de n'avoir
fait d'interdit pour que tout ce qui est permis vaille la peine d'être fait. De ce que la loi ne
m'interdit pas certaines choses, ma raison ne doit pas conclure que je peux ni que je dois à
tout prix faire toutes ces choses. En synthétisant : l'ensemble des actes strictement légaux
comporte plus d'éléments que l'ensemble des actes accomplis par un homme vraiment libre.
La véritable liberté consiste à profiter de manière rationnelle de la marge de manœuvre que
la loi a préalablement délimitée. Et un choix, un acte rationnels, sont un choix, un acte qui
sont dans mon intérêt (c'est l'une des propriétés de la raison : elle favorise toujours les
intérêts, le bien, de celui qui s'en sert).
On s'achemine alors vers un point de philosophie de la liberté important : la véritable
liberté ne peut pas consister en des comportements ou en des désirs absurdes. Un peu dans le
même esprit que Descartes, Hobbes semble ici suggérer que la liberté de faire n'importe quoi
n'est pas une vraie liberté, que la liberté de s’autodétruire ou d'agir contre ses propres intérêts
n'est pas une véritable liberté.

Il fallait prendre le temps de remarquer le mot « raison » dans cette première phrase, sans
quoi l'on ne comprendrait pas bien la suite de l'argumentation, qui ne va cesser de montrer
quelles mauvaises conceptions de la liberté un usage vicié de notre raison (être illogique)
nous mènerait à promouvoir.

Deuxième phrase du texte :

La deuxième phrase propose le premier de deux arguments qui visent à appuyer la thèse
d’un lien nécessaire entre la liberté du citoyen et l’usage de la raison.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Ce premier argument consiste à dire que, si j’utilise ma raison (être logique, faire des choix
cohérents et objectivement bons, justifiés, pertinents), cet usage ne peut pas me mener à
réclamer ce que la loi me garantit déjà. La loi, en effet, garantit déjà que je ne serai pas
emprisonné arbitrairement, que je ne risque pas constamment d’être, à tout moment, privé de
manière injuste de ma liberté de mouvement. On a bien ici une conception républicaine de la
liberté : je suis libre au sens où je ne subis pas de force qui me dominerait et qui me
contraindrait de manière arbitraire à lui obéir.
On peut alors redéduire, d’après cet argument :
- Qu’il serait absurde de rejeter (en utilisant précisément cette liberté même !) la loi qui
nous assure déjà cette liberté ;
- - qu’il serait absurde de demander davantage à la loi, de demander à la loi de préciser
explicitement, positivement, tout ce qui est légal, tout ce qui est permis. Il serait absurde
d’attendre de la loi qu’elle mentionne davantage de choses que simplement la liste de ce qui
est interdit. La loi n’a pas à délimiter positivement une « liste » de tout ce qu’elle permet.

Troisième phrase du texte :

La troisième phrase avance un deuxième argument en faveur de la thèse.


Rappelons la thèse de Hobbes en la déployant entièrement : la liberté politique consiste
précisément à laisser à l’homme le soin de déterminer rationnellement ce qu’il a à faire, ce
qu’il peut, la loi se contentant d’interdire tout ce qui nuirait à la possibilité de déterminer
rationnellement les mouvements que l’homme veut accomplir.
En résumant : la loi autorise tout a priori, et ne précise donc pas tout ce qui est autorisé, à
l’exception de tout ce qui, à terme, serait contraire à l’exercice même de notre rationalité, c’est-
à-dire de tout ce qui nous empêcherait de rechercher à l’aide de notre raison notre propre
bien.
Le deuxième argument fait varier le point de vue, en partant d’une autre définition (fausse,
cette fois-ci, contrairement à la précédente conception de la liberté comme non-domination)
de la liberté : l’anomie, l’absence de loi, la « licence », le « tout est permis ». Cette conception
fausse de la liberté mènerait l’homme qui la ferait sienne à réclamer une possibilité d’agir
illimitée.
A nouveau, mais pas pour la même raison que le premier argument, réclamer une autre
forme de la liberté que la simple possibilité garantie d’accomplir pour soi des actions vraiment
profitables, objectivement bonnes et donc viables, serait une revendication illogique,
absurde, inconséquente.

Le premier argument consiste à dire que revendiquer une autre liberté (que la version
républicaine de la liberté) serait tautologique, ou redondant (cela répéterait ce que l'on a
déjà).
Le deuxième argument consiste à dire que revendiquer une autre serait contradictoire, ou
autophage. Ce serait réclamer pour les autres le droit de nous priver de nos droits, ou encore
utiliser notre liberté pour nous mettre nous-mêmes en danger.

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Les deux arguments servent, en fait,à justifier l'idée qu'il n'y a qu'une conception de la loi
et de la liberté qui vaille : la conception républicaine. Cette conception implique les éléments
suivants :
- la loi interdit aux hommes d'en dominer d'autres, de nuire aux autres. Elle garantit la
« non-domination ».
- La loi ne fait ni plus, ni moins.
- La loi ne peut donc ni servir de guide pour tous mes actes (tout prendre en charge), ni
disparaître comme loi (je serais alors l'unique décideur de mes actes).
En résumant : le domaine, l'objet, le champ d'application, de la loi, ne peut être ni total, ni
nul.

Quatrième phrase du texte :

« Et cependant... » ne fait sans doute référence qu'à la deuxième absurdité (réclamer qu'il
n'y ait plus du tout de lois).
Cette phrase propose un des gestes philosophiques majeurs : Hobbes ne se contente pas de
mentionner la thèse qu'il rejette, c'est-à-dire de signaler une erreur ; encore faut-il
reconstituer la genèse de cette erreur, c'est-à-dire déceler ce qui peut pousser beaucoup
d'hommes à la commettre.
L'erreur vient selon Hobbes de deux méprises :
- celle qui consiste à penser que la loi a par elle-même une puissance contraignante, qu'elle
est par elle-même « forte », comme l'aurait écrit Pascal.
- celle qui consiste à penser que notre sensation de manque de liberté a pour cause
l'existence de la loi en tant que telle, ou encore : que c'est la loi qui nous prive de liberté (alors
que c'est seulement le désir irrationnel et auto-destructeur – car les autres aussi désireront la
même chose, et m'empêcheront alors d'assouvir mon désir – qui produit en nous cette
impression que la loi est liberticide).

Hobbes peut alors poursuivre, sur la base de ce repérage de ce qui avait pu induire les
hommes en erreur, la déduction et l'exposition de sa propre thèse. Selon lui, il faut :
1) la loi juste (c'est-à-dire la loi qui protège de la domination arbitraire)
2) l’État, dans lequel le souverain (l'instance au pouvoir à la tête de l’État) est armé
3) par addition de la loi juste et de la force souveraine armée : le républicanisme, c'est-à-
dire un système politique dans lequel la force, nécessairement limitée mais ferme et efficace,
est au service d'une liberté des hommes qui n'est jamais nulle ni totale, mais qui se trouve
ainsi assurée, garantie, et est donc une véritable liberté politique.

Complétons en commentant la précision apportée par Hobbes sur l'identité exacte du


souverain : « entre les mains d'un homme (ou de plusieurs) ». En réalité, peu importe qui va
incarner ce pouvoir (un seul, quelques uns, un certain nombre), peu importe la transposition
juridique et politique exacte qu'on en fera, ce qui compte c'est le principe d'une liberté assurée
parce que limitée, limitée parce qu'assurée. C'est le principe républicain selon lequel l’État (la

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

République) repose sur l'idée de liberté politique, il est la liberté politique même (la condition
par laquelle l'homme échappe à l'état de nature potentiellement mortel), et concrètement il
s'agit d'un État où les lois sont justes, cette justice étant constituée d'une définition par la
négative des libertés, et de la force permettant de faire respecter les interdictions légales.

Cinquième et dernière phrase du texte :

Le connecteur « par conséquent » indique la fonction de cette dernière phrase : Hobbes


récapitule, précise et illustre de plusieurs manière sa thèse, c'est-à-dire sa définition de la
liberté politique, de cette liberté qui n'existe que dans le cadre républicain.

La liberté réside dans le silence du souverain, dans tout ce sur quoi le souverain ne s'est pas
prononcé en légiférant. Ce silence du souverain, c'est le silence de la loi, auquel il faut ajouter
le principe de la rationalité de l'action. Je suis libre quand je fais ce qui est : 1) légal et 2)
objectivement bon pour moi et pour les autres.
On peut ici rappeler, si l'on connaît la doctrine de la souveraineté chez les penseurs
contractualistes, que le souverain n'existe, en principe, que dans l'intérêt de tous, sans quoi il
perd sa raison d'être (s'il est inefficace pour garantir la paix et la sécurité, il disparaît), ou sans
quoi il trahit sa mission (et devient un tyran purement et simplement).

On en déduit que la liberté véritable est co-déterminée, ou co-réalisée, par le souverain et


par chaque sujet (chaque citoyen obéissant à la loi) : le souverain la détermine négativement
en déterminant ce qu'elle ne peut pas être, et le sujet la détermine positivement, définit son
contenu, définit tout ce qu'elle peut être de rationnel.
Autant dire que la véritable liberté n'est jamais confiée seulement à l’État (risque de
tyrannie), ni non plus seulement à la société sans lois (risque de guerre civile).

La liberté est la liberté de faire tout ce qui socialement, économiquement, juridiquement,


politiquement, favorise l'intérêt (personnel et collectif) des hommes.

On en déduit le contenu de tout véritable exercice, de tout véritable usage, de la liberté :


faire du commerce (intérêt vital + prospérité), signer des contrats (avec tout ce qu'implique un
contrat valide : la liberté de décision et de consentement des contractants, l'avantage
réciproque, l'équilibre, le pouvoir d'engager les contractants de manière contraignante, le
moyen de sécuriser toutes nos actions, de leur assurer un « ancrage » dans la réalité et d'en
garantir le succès…), choisir sa résidence (ce qui renvoie au principe majeur de la propriété, et
au principe de la libre disposition de soi et de sa propre intimité par exemple), se nourrir,
avoir un métier (choisir et faire tout ce qui me maintient en vie et me singularise en même
temps), choisir l'éducation de ses enfants (ce qui revient aussi à faire valoir la liberté de
choisir ses propres principes moraux et ses propres croyances, de définir comme on l'entend
le « convenable », la décence, principes ou valeurs que l'on transmettra à ses enfants), et ainsi
de suite…

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Éléments de corrigé des sujets des baccalauréats généraux – Juin 2017 (Métropole)

Ressaisie synthétique du problème et de la thèse :

Liberté et loi : quel type de lien peut-on et faut-il établir entre les deux ? L'un ne doit
jamais faire disparaître l'autre, c'est une affaire entendue. Mais quel lien établir entre elles
pour que, d'incompatibles entre elles et exclusives l'une de l'autre qu'elles paraissaient, elles
soient bien condition l'une de l'autre, et qu'on puisse ainsi parler d'une véritable liberté
politique de l'homme ? Comment en déduit-on que cette liberté ne peut être que celle d'un
sujet d'une République qui choisit, pour lui-même et pour les siens, la meilleure manière
objective de mener sa propre vie ?

Faut-il un gouvernement intégral des hommes par la loi ? Faut-il prendre le risque du
« Summum jus, summa injuria » contre lequel Cicéron avait déjà mis en garde ? Faut-il faire
confiance sans réserve à la rationalité de la loi, et se méfier systématiquement de la prétendue
capacité de chaque individu à faire, par et pour lui-même, des choix rationnels ?
Ou bien faut-il au contraire préférer l'effacement et même la disparition de la loi et de
l’État, pour laisser les sociétés garantir par elles-mêmes les droits de tous ?

La thèse adoptée par Hobbes affirme que la vraie liberté politique est celle d'un sujet
républicain : ce sujet est un être soumis, mais jamais à d'autres sujets. Le sujet n'est soumis
qu'à la loi qui empêche les autres de le soumettre à eux, et qui l'empêche de soumettre les
autres. La liberté est alors toute la marge de manœuvre qui reste, une fois qu'on a respecté
cette loi-là, et que l'on utilise sa raison pour faire des choix objectivement bons.

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