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Le feu libérateur

Le feu libérateur (1) : tout commence par


la pensée
21 août 2001

par Pierre Lévy

Tout commence par la pensée, l’intention, la sagesse qui marche derrière, sentir,
l’émotion, toucher de l’âme

> Tout commence par la pensée

> L’intention

> La sagesse qui marche derrière

> Sentir

> L’émotion, toucher de l’âme

Tout commence par la pensée

Nos choix, nos paroles, nos actes, et donc le monde dans lequel nous vivons dépendent de
nos pensées. Tout se décide dans l’esprit.

Puisque chacun de tes choix est entraîné par tes pensées, ta pensée crée ta vie, ton monde.
Prête attention à la façon dont les sentiments et les idées qui te viennent à l’esprit finissent
par produire ton existence.

Les stoïciens disent que nos pensées, nos représentations, nos jugements sont la seule chose
qui soit véritablement en notre pouvoir. A première vue, cela semble peu, mais à bien
considérer les choses, la puissance que nous pourrions acquérir sur nos pensées entraînerait
une libération de tous les aspects de notre vie.

On est d’abord responsable de ce que l’on pense. Mais la responsabilité implique la liberté.
Or il n’y a rien de plus difficile que d’accéder à la liberté de penser, d’échapper à
l’automatisme inconscient des représentations et des émotions. Il est bien plus aisé d’agir
sur le « monde extérieur » que de se rendre maître de soi, de sa propre expérience de la vie,
ici et maintenant.

La pensée automatique ou pensée parasite, celle que nous subissons, nous empêche de vivre
dans l’instant, de percevoir le moment et de vivre heureux. Cette pensée nous interdit de
vivre notre vie. C’est pourquoi il est si important de conquérir la liberté de penser.

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Le feu libérateur

***

Le plus simple est le plus difficile.

***

Nos objets d’aversion pourraient être des objets de désir et nos objets de désir, des objets
d’aversion. De plus, ces objets n’existent dans notre monde subjectif que parce que nous
leur accordons de l’importance. Mais cette importance pourrait être autrement distribuée.
Mieux, notre intérêt pourrait être partout distribué et sous tous les rapports, si bien que ces
objets-là ne se détacheraient plus particulièrement sur le fond de notre expérience.
Autrement dit, nous pourrions être désintéressés.

L’intention

Les dispositions de notre âme à l’amour et à la souffrance sont fortement conditionnées par
ce que nous voyons et entendons autour de nous et plus particulièrement par ce que nous
sentons des intentions des autres à notre égard. Plus les êtres sont proches de nous, plus ils
participent au modelage de notre âme et au tissage de notre vie. Symétriquement, nous
sommes tenus de connaître honnêtement nos intentions et nos sentiments, de contrôler nos
paroles et nos actes, parce qu’ils contibuent à tricoter l’âme des autres, et notamment celles
de nos proches. Chaque âme étant pleine des âmes des autres, choisir pour soi de cesser de
souffrir revient à choisir aussi d’aimer les autres.

Chaque fois que tes intentions ne sont pas pures, ne dis rien, ne fais rien. Attention!
Reconnais immédiatement la nature de tes intentions, parce que la pensée se transforme très
vite en grimaces, en paroles, en actes irréversibles!

Comment choisir tes pensées? Comment distinguer celles qui sont animées de compassion,
de gentillesse et d’amour de celles qui sont dictées par les poisons de l’esprit? Comment
peux-tu reconnaître tes propres intentions? Surtout n’écoute pas ce que dit la pensée. Sois
plutôt attentif à son rythme, à sa mélodie, à son timbre, à son accent. Est-elle rapide,
violente, pointue? Est-elle lente, lourde, brûlante? Est-elle froide, métallique, insensible?
Est-elle affolée, agitée, dispersée? Mielleuse, gluante, collante? Ou s’élève-t-elle libre,
précise, légère, joyeuse, paisible? Médite. Ecoute inlassablement.

Veux-tu prendre? Veux-tu donner? Veux-tu briller dans le monde? Veux-tu la guerre ou la
paix? Veux-tu dominer? Veux-tu vaincre? As-tu envie de frapper? Veux-tu faire plaisir?
Es-tu animé du souci des autres? Contemple ton visage dans le miroir de tes intentions.

Chaque élément du décor de nos vies, comme l’ensemble de ce qui peuple le monde
humain, institutions, techniques, œuvres de l’esprit, tout ce qui nous entoure matérialise des
intentions.

Chaque intention, chaque pensée, chaque parole, chaque acte humain se répercute à l’infini,
tourne et revient sans cesse sous de nouvelles formes au sein d’un immense système de

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causes et d’effets qui s’étend à une hiérarchie insondable de mondes célestes et terrestres,
passés, présents et à venir. Ce sont les intentions, avant même les pensées, les intentions les
plus secrètes, les plus cachées, les plus inconscientes, les plus imperceptibles qui entraînent
le plus d’effets. Les bonnes intentions déclenchent un afflux d’amour dans le monde, les
autres provoquent un accroissement de souffrance chez tous les êtres. C’est pourquoi il
importe tant de parvenir à la connaissance et à la possession de soi.

***

Nous sommes intégralement les auteurs de tout ce qui nous arrive. Les événements de notre
vie, toutes les facettes de notre monde extérieur, sont des projections de notre monde
intérieur. En vérité, il n’y a qu’un seul monde, dedans et dehors confondu. Nous produisons
continuellement ce monde unique, non seulement en interprétant nos perceptions et les
situations dans lesquelles nous sommes plongés, mais de manière beaucoup plus effective,
en appelant notre destin, en sécrétant continuellement les gens, les lieux, les événements.
Nous ne les avons sans doute pas provoqués consciemment et délibérément mais notre être
profond les a fait émerger: ils ont été appelés par le murmure innombrable de nos
intentions.

La sagesse qui marche derrière

Nous souffrons parce que nous sommes sensibles.

L’irritabilité est le propre de tous les êtres sensibles. Pour ne plus souffrir, nous devrions
être engourdis, anesthésiés, morts-vivants. Une attention soutenue et bien exercée à nos
sensations physiques et à nos états d’esprit nous convainc bientôt que notre souffrance est
constante. Ou bien nous sommes la proie d’un malaise physique ou mental. Ou bien,
parfaitement satisfaits, nous jouissons d’une sensation de bien-être. Mais la peur de sa
dissolution mine secrètement cette agréable sensation. Et plus nous obtenons satisfaction,
plus nous nous habituons au plaisir, plus nous en sommes dépendants et plus cette addiction
entraîne de soucis, de craintes, de souffrances sans nombres. Nous sommes tous des
drogués à notre manière. C’est précisément à cause du caractère permanent de la souffrance
(quoiqu’elle se présente sous des visages et des intensités fort variées) que nous avons tant
de mal à vivre dans l’instant: en étant pleinement présents, nous coïnciderions avec notre
souffrance, avec la souffrance de tous les êtres sensibles. Nous fuyons la souffrance
présente, nous courons après les supposés plaisirs à venir, nous nous absentons
perpétuellement. Nous croyons éviter la souffrance en nous insensibilisant de mille
manières. Pourtant, nous ne pourrions la maîtriser qu’en l’étudiant et nous ne pouvons
l’étudier qu’en revenant à notre sensibilité fondamentale.

***

On n’entreprend pas le chemin spirituel pour supprimer la souffrance, pour devenir


invulnérable. On ne trouvera pas au bout du voyage une sorte de bonheur mièvre et
paradisiaque, la vie transformée en parc d’attraction, une béatitude de dessin animé. On
emprunte le sentier pour vivre dans la vérité de sa vie, pour se rendre présent au monde,

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pour être là. On s’engage sur le chemin avec la résolution de devenir sensible, humain,
compatissant.

Plus nous ouvrons notre cœur, plus nous sentons la souffrance (la nôtre et celle des autres:
c’est la même) et moins nous alimentons les mécanismes qui la nourrissent.

***

Si les bourreaux étaient sensibles, ils ne pourraient commettre leurs crimes. L’insensibilité
engendre tout ce qui nous horrifie dans l’espèce humaine.

***

En dirigeant le faisceau de notre attention vers le monde intérieur, nous découvrons


l’univers immense de la sensibilité. Nous faisons connaissance avec cette énorme masse à
vif, ultrasensible, irritable et douce qu’est le cœur. La peur de souffrir, l’espoir du plaisir,
les pensées de l’ego avaient formé la compacte carapace discursive qui recouvrait cette
chair écorchée. Mais sous le cuir de l’ego, nous dénudons le trésor qui était là depuis
toujours, l’exquise délicatesse de l’âme, l’intelligence du cœur, plus fine et plus précise que
tous les concepts imaginables.

Ne regarde pas ce que tu vois. Sens ce que ta vision fait à ton cœur.

Les concepts nous séparent de l’instant, du flux impermanent des sensations. Les concepts
sont construits sur la peur de souffrir. Nous détachant de notre expérience, ils nous égarent.
Etant motivés par la crainte, ils sont illusoires. Comme ils sont illusoires, ils engendrent la
souffrance.

Pour reconnaître l’avidité et l’agression, en soi comme chez les autres, il faut cesser de
penser et commencer à sentir.

***

Voici les deux sagesses. Celle qui marche devant, la conscience triomphante, la lumière qui
éclaire tout, impitoyablement, l’intelligence discriminante qui fait voler en éclat les
moindres prétentions de l’ego. Et la sagesse qui marche derrière, celle qui croît lentement
avec le développement de l’âme, la sensibilité, l’intuition, le toucher compatissant du cœur,
la sagesse qui fleurit sur le cadavre en décomposition de l’ego, quand nous n’avons plus
peur de la souffrance, quand les mille détails de la douleur deviennent nos meilleurs
informateurs, quand notre soif de plaisir et de sécurité a cessé de voiler la beauté, la
profondeur, l’immensité et la subtilité infinie de l’âme.

***

Le cœur tendre, ou la vulnérabilité, forme le noyau de la générosité, de la compassion, de


l’éveil, de la sainteté. C’est aussi la vraie source de l’intelligence. Tous les êtres la

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possèdent, mais tous ne savent pas que le plus précieux des joyaux se présente de manière
aussi simple.

Dans la tradition chrétienne, il est dit que ceux qui ont le pouvoir de sentir complètement
leur souffrance et celle des autres - de la sentir à en pleurer - ont le « don des larmes ».
Seuls de grands saints et de grandes saintes ont eu ce « don des larmes », aussi merveilleux
que la grâce du sourire.

Le fond de la sagesse, l’intelligence du cœur, la grande sensibilité, cela n’est finalement


rien d’autre que notre propre vulnérabilité, très humble et très ordinaire, mais qui peut
briller plus fort que mille soleils si nous décidons de l’écouter et de l’honorer.

Sentir

Une vague déferle. Elle est creusée de vaguelettes elles-mêmes ridées de micro-vagues.
Elle explose en myriades de gouttes ondulées qui reflètent une fraction de seconde, et
chacune sous un angle différent, l’écroulement de la vague. La vague est elle-même une
ondelette de l’immense vague de la tempête qui en contient des milliards. Vagues de
vagues dans les vagues. Vagues de formes vivantes, vagues de peuples et de gens, vagues
d’émotions et de pensées. Foisonnement du monde, magie des phénomènes, à chaque
seconde. Même les pensées sont magiques. Même les émotions se lèvent, se brisent, se
dispersent en se reflétant, puis renaissent inlassablement, identiques et différentes.
Contemple les émotions, tristes ou joyeuses, comme tu contemples la mer, comme tu sens
le vent. Les pensées ne deviennent des poisons que si nous leur obéissons au lieu de les
goûter.

Vivre ses émotions, cela signifierait goûter très clairement, très lucidement et dans le
moindre détail tous les événements de notre expérience comme des vagues transitoires dans
le courant de l’existence, sans croire une seconde à la réalité des objets qui sont censés
susciter ces émotions ni à celle du sujet qui est censé les éprouver. Face à ces myriades
d’événements mentaux, nous pouvons figer des choses, des gens, des significations, des
valeurs, un moi, et nous raidir dans la souffrance. Mais nous pouvons aussi, pourvu que
nous suivions l’entraînement approprié, nous abandonner lucidement au flux, à la variété
des énergies, au caractère climatique et changeant de l’expérience.

***

Sens la texture, la qualité, l’intensité de tes émotions plutôt que de croire ce qu’elles te
représentent. L’émotion est parfaitement réelle. C’est le lien de l’émotion à ses objets qui
est illusoire. Tu es effectivement avide, mais tu n’as pas vraiment besoin de la cible
particulière de ton désir. Tu es certainement irrité, mais l’objet de ton irritation n’est pas sa
cause. Quand tu sens l’émotion, tu es présent. Quand tu crois ce qu’elle te représente, tu es
pris au piège de l’illusion, tu rêves, tu es absent.

De même que tu peux sentir la souffrance comme une énergie au lieu de la fuir, tu peux
percevoir tout ce qui entre dans ton monde comme une qualité d’énergie plutôt que comme
un objet à s’approprier, repousser ou ignorer. Il n’y a ni bien ni mal, ni beau ni laid. Chaque

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être, chaque événement intérieur ou extérieur est une longueur d’onde, une fréquence, une
couleur du spectre.

***

J’ai confondu trop souvent le refoulement avec la maîtrise de soi.

Quand la souffrance monte, sens-là monter. Quand la peine vient, laisse-là venir.

Sens tes émotions ici, maintenant, au présent, ne les refoule pas, ne tente pas d’y échapper,
ne passe pas non plus à l’acte automatiquement, ce qui serait encore une tentative pour y
échapper.

Sens complètement l’émotion. Reste en elle. Ne la fuis pas dans la pensée (Ne te demande
pas pourquoi ça fait mal, d’où est-ce que cela vient, qu’est-ce qui fait mal exactement,
comment cela pourrait cesser, etc.). Ne la fuis pas dans l’action. (La plupart des actes
stupides sont accomplis pour fuir une émotion désagréable: agresser pour éviter de sentir la
colère, prendre pour fuir l’avidité ou le sentiment de manque, s’étourdir pour oublier la
peine, etc.)

***

Je croise un chien dans la rue. Habituellement, j’ai peur des chiens. Mais au lieu d’être saisi
par la peur, de croire ma pensée de peur et de lui donner réalité, je peux reconnaître la peur
comme une pensée. Plutôt que d’être captif de la peur, je l’observe et la goûte. J’imagine
que le chien va venir me renifler les mollets, puis me mordre. Je ressens la peur comme une
émotion riche et intéressante alors que j’aurais pu souffrir d’une peur qui veut toujours se
faire passer pour « objective », « réelle ». Si nous observons attentivement nos émotions au
lieu de leur faire crédit, elles perdent leur pouvoir sur nous. Elles ne nous font plus peur
(même la peur ne nous fait plus peur) et nous pouvons les accueillir sans les juger ni les
refouler. Comme nous cessons de nous identifier à des émotions ou à des pensées que nous
jugeons, nous cessons de nous juger. Puisque nous cessons de nous juger, il devient plus
facile de ne plus juger les autres, de les comprendre et d’avoir envers eux une attitude
amicale. Nous sommes libres pour la perception de la beauté du monde et du plaisir d’être.
Nous pouvons goûter toutes les textures de l’existence. Y compris la peur.

***

Sens tes émotions positives. Sans les forcer, laisse leur l’espace pour émerger, ici et
maintenant, à propos de presque rien. Une bouffée d’air frais, la rencontre d’un ami, le choc
d’un paysage, l’éclosion d’une idée, une gorgée de vin, le simple fait de vivre et de respirer.
Cela ne veut pas dire que tu dois te voiler la face devant le mauvais ou le médiocre de
l’existence, mais que tu peux goûter ce qu’il y a de bon dans chaque situation. Et il y a
toujours quelque chose de bon.

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Le feu libérateur

Ne fuis pas les émotions positives, l’amour, la joie, la douceur, la reconnaissance, parce
qu’elles sont le sel de la vie, le bonheur. Laisse-les monter, laisse-les s’épanouir, goûtes-les.
Bien souvent, plutôt que de les vivre au présent, tu t’en souviens au passé, tu les escomptes
dans l’avenir, tu les esquives dans la course, tu les escamotes dans la précipitation, tu les
noies dans d’infinies préparations, tu les négliges dans la distraction, puis tu regrettes, plus
tard, de n’avoir pas saisi l’occasion de les éprouver pleinement. Et c’est ainsi que tu passes
à côté de la vie.

L’émotion, toucher de l’âme

Sens tes émotions négatives, parce qu’elles sont les signaux qui te permettent de te protéger
et de diriger ta vie. Pour prendre une analogie dans la sphère du corps, si tu ne sentais pas la
douleur, si tu passais ton temps à t’anesthésier, tu risquerais de te brûler, de te couper, de
finir terriblement estropié. Or c’est précisément ce qui t’arrive couramment dans la sphère
de l’âme. Tu es gravement malade parce que tu passes ton temps à fuir, à nier, à éviter la
douleur de toutes les manières possibles. Si tu veux que ton âme reste entière, tu dois te
rééduquer à sentir: « Là, ça fait mal! Je me sens... humilié, frustré, j’ai peur, je suis en
colère, je suis triste, j’ai de la peine, je suis plein d’envie, je déteste, etc. »

N’essaye pas de comprendre tes émotions. Contente-toi pour l’instant de les reconnaître et
de goûter pleinement la manière dont elles prennent corps: gorge serrée, crispation de la
nuque, douleur dans la poitrine, dans le ventre, sensation d’oppression, nausée, mal de tête,
battements de cœur, rougeur, pâleur, fatigue, abattement. La liste n’est pas close. Tu peux
aussi leur donner un nom: c’est de la peur, de la frustration, de la tristesse, de la haine, de la
culpabilité, de l’envie, etc.

Ce n’est qu’une fois la sensation reconnue, goûtée, sentie, observée, étudiée dans ses
manifestations physiques, sans que la pensée ne s’échappe de l’ici et du maintenant de la
sensation, ce n’est qu’une fois ce travail accompli que tu peux la laisser partir. Alors, alors
seulement, l’émotion a rempli sa fonction de messagère. Les émotions, ni les discours dont
on t’abreuve, ni ceux que tu te tiens, tes émotions, dis-je, sont tes meilleurs informateurs
sur ta vie, sur le monde qui t’entoure, sur ce que tu dois faire et surtout éviter de faire.

Sois très attentifs aux émotions que suscitent en toi les gens qui t’entourent. Que cela t’aide
à choisir tes relations, tes amis, tes amours.

***

Alors que tu fuis naturellement la douleur physique (qui laisse longtemps sa main au dessus
d’une flamme?), tu te brûles toi-même sans fin avec des pensées qui te torturent. Sais-tu
dans quel état se trouve ton âme? Pas tant que tu n’auras pas acquis et entraîné patiemment
ta sensibilité aux émotions, ta présence attentive à la souffrance. On ne fuit pas
naturellement la douleur morale, cela s’apprend.

Apprends à reconnaître tes pentes intimes, tes attracteurs fatals, tes réflexes maléfiques, tes
parties mortes, tes zones anesthésiées. Puis commence à te rééduquer. Personne ne peut le
faire à ta place. Personne ne peut sentir pour toi.

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Le feu libérateur

***

L’émotion est notre interface avec le monde. Si notre âme avait une peau, son toucher serait
l’émotion.

***

L’armure que tu as ajustée à ton âme pour la protéger des coups ne laisse pas non plus
passer les caresses.

Nos blessures sont nos plus grandes richesses. Elles maintiennent ouvert le chemin qui
mène au cœur.

Quand tu gèles ton cœur pour qu’il ne sente pas la souffrance, il meurt aussi pour la joie.
Ne deviens pas un mort-vivant !

L’insensibilité à la souffrance entraîne la mort de l’âme.

***

Dès que nous ne vivons plus nos émotions, nous commençons à les projeter, à nous leurrer,
à nous perdre dans la confusion.

Dès que nous fuyons ou nions la souffrance, dès que nous abdiquons notre lucidité, dès que
nous nous anesthésions, le diable pointe le bout de sa queue.

Les damnés ne brûlent en enfer que parce que leurs âmes ne sentent plus rien.

Le feu libérateur (2): le chapitre du coeur


En adoptant un comportement plus doux, tu adoucis le monde. Comme tout
commence par l’état de ton esprit, entraînes-toi à la douceur dans tes pensées. En
suivant le fil de la douceur, tu finiras par trouver l’amour.

Quand on n’a jamais connu l’amour, il est très difficile de distinguer l’amour de la
dépendance.

L’amour qui fait mal n’a de l’amour que le nom. Soit présent! Sens!

L’amour ne promet pas. L’amour ne fait pas attendre. L’amour ne souffle pas le chaud et le
froid. L’amour est bon tout de suite, tout le temps.

L’amour est strictement étranger aux rapports de force, à l’exercice du pouvoir, à la


poursuite de l’intérêt.

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Le feu libérateur

Veux-tu distinguer l’amour de sa caricature? L’amour est libérateur, aussi bien pour celui
qui aime que pour celui qui est aimé. S’agit-il d’un subtil asservissement, d’un gonflement
de l’ego, d’un alourdissement du fardeau de vivre? Y a-t-il une facture à payer? Alors ce
n’est pas de l’amour.

Aimer sans être aimé, c’est choisir de ne pas s’aimer, faire entrer le non-amour dans sa vie.
Aimer quelqu’un qui vous fait du mal revient, sans détour, à se faire du mal.

Plus on est en rapport avec l’autre, plus on est en rapport avec soi. Sinon, ce n’est pas de
l’amour mais de l’aliénation, de la dépendance, du renvoi d’ascenseur entre ego.

Aimer ne veut pas dire être gentil, offrir des cadeaux, faire ce que l’autre demande, imiter
l’amour, vouloir se refléter dans l’autre, s’accrocher à quelqu’un qui nourrit notre ego,
vouloir sauver l’autre, etc. C’est l’amour plein, le cœur brûlant, et lui seul, qui est la source
de toute connaissance.

Quel extraordinaire sentiment d’aimer et d’être aimé! D’être en contact, d’âme à âme avec
quelqu’un! De ne plus être seul! Avoir cette expérience permet de se rencontrer et de
s’aimer soi même. Avoir cette expérience avec soi-même permet de rencontrer l’autre sur
cette base.

Les enfants jouent. Les enfants vivent dans l’instant. Les enfants participent à la danse
cosmique. Les enfants aiment sans contrepartie. Les amoureux sont des enfants.

***

Quelle que soit la relation où tu t’engages, que ton seul motif soit l’amour.

***

Tu ne peux savoir qui tu es que si tu as été aimé.

Que signifie « avoir été aimé? » Cela veut dire que tes parents et tes proches se sont
adressés à toi en tant qu’âme. Cela veut dire que tu as été initié à la danse cosmique. Cela
signifie que tu as été aimé inconditionnellement (il n’y a pas d’autre manière d’aimer). Cela
signifie que ton affection spontanée pour tes proches n’a pas été utilisée pour nourrir leur
ego, porter leur narcissisme, ou leur peur, ou leur culpabilité, ou leur douleur, etc. En un
mot, a-t-on donné à l’enfant que tu étais l’espace nécessaire pour qu’il identifie la lumière
de son âme? Ou bien tes parents t’ont-ils dressé à entretenir un ego complémentaire du
leur?

Si tu estimes ne pas avoir été aimé, il est inutile de nourrir sans fin des accusations, des
reproches et du ressentiment. Le seul remède, le remède souverain est de t’aimer toi-même.

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Le feu libérateur

Au lieu de te condamner, donne de tes pensées, de tes intentions, de tes actes, la meilleure
interprétation. Sens l’amour qui imprègne tous les aspects de ta subjectivité. Cesse de te
haïr. Tu es bon. Cesse de te juger. Tu es innocent.

Aime-toi tel que tu es. Aime-toi immédiatement.

Si tu ne t’aimes pas, comment peux-tu demander aux autres de t’aimer? Peux-tu leur
demander d’aimer quelqu’un que tu n’aimes pas? Aucune personne sensée ne pourrait te
suivre. Tu n’attirerais que des fous...

Dès que Tu t’aimes, tu as beaucoup moins « besoin » de l’amour des autres, car désormais
tu es aimé(e)s! T’aimant, étant aimé(e), tu ne te jetteras plus dans les bras de n’importe qui
pour fuir ta solitude. Puisque tu t’aimes, tu sais à quel point tu es précieux (euse), et tu veux
ton bien. C’est alors seulement que tu pourras choisir, choisir vraiment, choisir quelqu’un
que tu aimes et qui t’aime.

Qui ne s’aime pas utilise les autres pour combler ses déficits, il cherche un ego
complémentaire du sien.

On ne peut aimer véritablement les autres que si l’on s’aime soi-même.

S’aimer, s’aimer vraiment, non pas abstraitement, en général, parce qu’il le faut, mais
s’aimer d’amour, tel que l’on est, avec les détails de son corps et de son caractère, non d’un
attachement narcissique, mais d’un amour de l’âme et qui s’adresse à l’étincelle. S’aimer
n’est pas demander à son miroir si l’on est la plus belle, cela n’est pas aimer, aimer avec
son cœur. Regarder son image revient à vivre dans la terreur de l’échec. L’amour ne veut
pas que tu correspondes à un idéal, l’amour n’est pas orgueilleux, ne méprise pas les autres,
l’amour est très simple: l’amour ne veut pas que tu souffres.

Quand tu réalises que tu te bats toujours contre toi-même, que c’est toi que tu n’aimes pas
quand tu détestes l’autre, alors aies pour toi-même de la compassion. Sens la souffrance qui
se cache derrière ta colère, ta revendication, ton ressentiment. Sens le manque d’amour. Et
cet amour qui manque tant, donnes-le. Comprends-toi, pardonne-toi, aimes-toi. Puis donnes
aussi cet amour à l’autre. Celui ou celle qui est précisément en face de toi. Aimes ton
prochain comme toi-même.

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » On n’a pas toujours compris le sens de cette
formule, à savoir: tu aimeras ton prochain dans l’exacte mesure où tu t’aimes toi-même.
Comme toi-même. Ce n’est pas une injonction autoritaire: « Tu aimeras ton prochain
comme toi-même! ». C’est l’énoncé d’un rapport immuable, d’une relation quasi
mathématique entre l’amour de soi et l’amour du prochain: tu n’aimeras jamais ton
prochain que comme tu t’aimes toi-même. Si tu t’aimes mal, tu l’aimeras mal. Plus tu seras
capable de t’aimer, plus tu seras heureux, et mieux tu pourras aimer ton prochain. Tu es le
plus proche de tous tes prochains.

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Le feu libérateur

L’observation microscopique de nos pensées révèle que nous portons constamment,


quoique presque inconsciemment, un jugement négatif sur nous-mêmes, nos actions, nos
paroles et nos pensées. Il est difficile de cesser de se juger, il est difficile de cesser de
souffrir, il est difficile de s’aimer parce que le dénigrement de soi est un réflexe intime de
notre esprit. L’amour réclame un déconditionnement énergique, intensif et prolongé. Nous
devons même abandonner l’idée qu’il nous est difficile d’aimer.

***

L’ego veut étendre l’ego partout. La souffrance engendre la souffrance. L’amour réveille
l’amour. L’amour seul comprend l’amour et révèle l’amour à lui-même. L’amour aime les
êtres comme ils sont.

***

Les moralistes ont beau jeu de souligner que l’amour-propre forme le motif quasi exclusif
de nos pensées, de nos paroles et de nos actes. Mais ils oublient de signaler que ce moi,
objet de notre amour, peut se présenter sous deux visages, forts différents. Le premier moi
est séparé du monde, menteur, séducteur, agressif, narcissique, jaloux, avide, effrayé ou
honteux. Le second moi, plus vaste et plus vrai, enveloppe le monde. On peut choisir son
amour-propre.

***

La Terre supporte tout ce qui vit, le soleil éclaire sans distinction l’infinie variété des êtres.
Quand tu te seras réconcilié avec toi-même, tu te seras réconcilié avec chacun. Tout ce que
tu hais dans le monde est ce que tu ne peux supporter en toi-même. Quand tu te seras
réconcilié avec ton propre ego, ta propre souffrance, ta propre insensibilité, tu pourras
aimer le monde d’un amour universel.

Aimes-toi, le Ciel t’aimera.

Tu as peur d’être seule alors que tu es toujours avec le divin. Tu crains la solitude alors que
tu pourrais être ta meilleure amie. Ces deux phrases ont exactement le même sens.

Notre bonheur ne dépend que de nous puisqu’être heureux c’est s’aimer soi-même.

S’aimer soi-même, d’accord, mais qui « soi »? On ne peut pas s’aimer si l’on ne se connaît
pas! Or, on ne peut se connaître que si l’on s’aime.

Se connaître consiste à distinguer le soi (la lumière de l’instant qui enveloppe le monde) de
l’ego (l’image qui couvre les mécanismes de la souffrance et qui se fait passer pour nous).

Dès que nous nous connaissons comme étincelle du feu divin, nous nous aimons. On ne
peut pas se connaître sans s’aimer.

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Le feu libérateur

L’amour est le soleil des âmes.

Aimer l’autre c’est reconnaître et vouloir que le monde de l’autre soit beau. Or tous les
mondes s’impliquent réciproquement. Comme nous sommes le monde, aimer consiste à
vivre uniquement de la vie de l’âme. Il revient au même de ne pas nous agresser et de ne
pas agresser l’autre: il s’agit toujours de notre monde. Lorsque nous réalisons l’unité de
l’âme et du tout au présent, nous ne pouvons pas ne pas aimer.

***

Il est impossible de comprendre quoique ce soit sans comprendre sa beauté propre.

***

S’il n’y a pas de distinction entre soi et le monde, haïr quelqu’un revient à se haïr soi-
même. L’être éveillé aime absolument tout le monde parce qu’il est en paix avec soi, avec
l’instant, parce que tout est bien exactement comme c’est, parce qu’il n’espère rien de plus
ou de mieux, parce qu’il ne compare pas celui qu’il rencontre à ce qu’il devrait être. Son
amour et sa compassion rayonnent absolument sur chacun parce qu’il n’y a pas de
« personnes » mais seulement l’instant. Il sent la beauté de l’instant. Il est l’instant. Il n’y a
pas d’effort à faire pour aimer les êtres.

***

La suprême connaissance, celle qui ouvre à la connaissance que la vie a un sens, est
l’expérience de l’amour, de la tendresse et de la compassion inconditionnelle.

Une âme sauvée (aimée, aimante, rayonnante) représente la possibilité d’éveiller d’autres
âmes. Cette chaîne de l’amour, cette propagation de la douceur entre les êtres est la seule
véritable religion.

Honore en chaque être l’amour qui te fait naître continuellement.

***

L’amour est la connaissance parce que sans aimer ni être aimé il n’y a aucune manière
d’orienter sa vie. L’amour est le pôle magnétique et la boussole. Qui n’en dispose pas se
trouve absolument perdu. L’expérience de l’amour est la lumière et la vue. Qui en est privé
vit dans les ténèbres. L’amour est la source, le centre, le point d’appui absolu de toute
connaissance, la référence ultime.

Savoir, au sens le plus fondamental, c’est avoir expérimenté, rencontré, connaître le goût et
la texture de l’amour.

On ne connaît que si l’on aime.

12
Le feu libérateur

L’amour se sent, comme la lumière.

Aimer et connaître sont exactement la même dilatation de la lumière.

Le feu libérateur (3): le chapitre de la


présence
On n’a jamais qu’une seule pensée à la fois. La comparaison de deux pensées, le
jugement d’une pensée, le souvenir d’une pensée est encore une autre pensée.

La pensée et l’instant

Ni les pensées, ni les émotions ne représentent quoique ce soit. Elles sont.

***

Passé et futur n’existent jamais que pour des pensées actuelles. Croire au futur et au passé
(ceux que tes pensées produisent: il n’y en a pas d’autres) revient encore à être le jouet de
tes pensées. Sois attentif à la qualité de tes pensées maintenant. L’instant seul existe et la
qualité de ta vie est celle du présent.

***

On n’a jamais qu’une seule pensée à la fois. La comparaison de deux pensées, le jugement
d’une pensée, le souvenir d’une pensée est encore une autre pensée. Au moment où elle
nous tient, chaque pensée nous semble la pensée la plus importante, la plus urgente. Mais
cette pensée cède la place à une autre. Si bien qu’en réalité, aucune pensée n’est importante.

Les pensées qui nous semblent « importantes » et les sentiments qui nous paraissent « très
vifs » à tel instant passent au second plan ou sont oubliées l’instant suivant. Observer ce
processus incessant d’apparition et de disparition, d’entrée en scène et de retour à l’ombre,
devrait nous aider à ne pas croire à l’importance de quoi que ce soit et à réaliser que notre
esprit construit et détruit l’importance continuellement.

***

Rien n’est absolument bon, même la meilleure pensée: elle pourrait nous faire perdre
l’instant.

***

La plupart de nos « pensées » relèvent de l’automatisme mental. La véritable pensée, la


pensée noble, est perception directe, contemplation, présence, création, action sur soi,

13
Le feu libérateur

engagement profond, transformation de l’être. La pensée noble n’est jamais un jugement.


On sait qu’on a vraiment pensé quand on perçoit autrement, quand un espace s’est ouvert.

Les seules pensées heureuses sont les pensées vraies. Je ne parle pas seulement des vérités
« objectives », « universelles », « scientifiques », mais d’abord des vérités existentielles,
émotionnelles, de la vérité des situations. Les pensées vraies ne sont ni des dérobades, ni
des faux-fuyants. Elles regardent notre vie en face, ici et maintenant. Les pensées vraies
sont des perceptions.

***

La majorité de nos pensées tisse un voile qui nous sépare du monde et de nous-mêmes.
Elles détournent notre attention de se qui se passe ici et maintenant. Elles nous empêchent
de sentir. Nous voulons échapper à l’expérience directe du grand flux parce que cela nous
ferait renoncer à la solidité illusoire de notre moi et du monde « extérieur ». Pourtant,
derrière le brouillard des pensées, des concepts, des préjugés et de toutes les formes de
bavardage mental brille la lumière de l’éveil.

***

Pour s’orienter dans l’existence, il faut avoir du discernement. Pour acquérir du


discernement, nous devons apprendre à regarder les choses telles qu’elles sont. Pour voir
les choses telles qu’elles sont, il faut cesser de projeter ses états mentaux sur le monde.
Pour cesser de projeter, nous devons nous connaître. Pour se connaître, il faut devenir son
ami. Afin de devenir notre propre ami, efforçons-nous d’accueillir avec douceur toutes nos
pensées. Pour accepter toutes ses pensées, il faut cesser de distinguer entre les bonnes et les
mauvaises. Si l’on veut sincèrement cesser de distinguer entre les bonnes et les mauvaises
pensées, il est conseillé de pratiquer la méditation avec constance et discipline. Pour
méditer, il faut distinguer sans juger entre la pleine conscience de l’instant et la fuite dans
les pensées. A ce stade, le problème de s’orienter dans la vie ne se pose plus. Nous
demeurons depuis toujours dans le cœur de l’existence.

Misère de l’homme

« Nous ne nous tenons jamais au temps présent. Nous anticipons l’avenir comme trop lent à
venir, comme pour hâter son cours; ou nous rappelons le passé, pour l’arrêter comme trop
prompt: si imprudents que nous errons dans les temps qui ne sont pas nôtres, et ne pensons
point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont rien et
échappons sans réflexion le seul qui subsiste. C’est que le présent, d’ordinaire, nous blesse.
Nous le cachons à notre vue, parce qu’il nous afflige; et s’il nous est agréable, nous
regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l’avenir, et pensons à
disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n’avons
aucune assurance d’arriver. Que chacun examine ses pensées. Il les trouvera toutes
occupées au passé ou à l’avenir. Nous ne pensons presque point au présent; et si nous y
pensons ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est
jamais notre fin: le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi,

14
Le feu libérateur

nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre; et nous disposant toujours à être
heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » Pascal.

L’instant

Tu es l’instant et tu n’es rien d’autre.

***

« Sois heureux un instant. Cet instant, c’est ta vie »

Omar Khayyam.

***

La racine de toutes les souffrances est l’incapacité où nous sommes de vivre dans le
présent, seconde après seconde, et de nous émerveiller de respirer, de sentir, de penser,
d’être en relation avec d’autres êtres sensibles.

Etre présent implique une adhésion intégrale aux sensations et à l’expérience. Il faudrait
pour cela que les pensées cessent d’occuper notre esprit, ou tout au moins que nous voyions
un peu à travers.

L’esprit présent, comme s’il était une membrane très fine, très souple et transparente,
adhère à tous les détails de son champ visuel, de son champ auditif, tactile, olfactif,
proprioceptif et affectif sans jamais se perdre ou se dédoubler dans la pensée qui le fait
décoller de ses sensations, sans s’absenter du flux d’expérience, sans l’interpréter ou le
conceptualiser. Etre présent, c’est devenir son flux d’expérience.

***

En cessant de m’absenter dans mes pensées, je sens ma propre présence envelopper la


présence de tout ce qui constitue mon monde. Du même mouvement de revenir au présent,
je me rends sensible à moi et au monde, c’est-à-dire au même instant.

Que ton âme soit présente à la danse cosmique, aux autres âmes, à elle-même. C’est tout
un.

***

Aucun bien n’est supérieur à la joie d’exister ici et maintenant.

Aucun bien n’est préférable au bonheur de la personne qui nous fait face, ici et maintenant.

Le Bien n’est pas la source de la joie, il est la Joie.

15
Le feu libérateur

Le Bien se trouve dans la fragile, évanescente, qualité de l’instant.

***

Tu es pour la joie, pour le bonheur? Tu es pour l’amour, pour la paix? Unis ta vie à tes
idées et tes idées à ta vie, concrètement, à chaque seconde, maintenant, ne repousse pas le
moment. Car compte uniquement cette vie-ci. La vie immédiate est seule réelle. Sois
l’amour, sois la paix, sois la joie. Maintenant. Tout le reste est hypocrisie.

***

L’éveil suppose une libération de tous les concepts et catégorisations qui réifient et
emprisonnent l’existence. Tout être qui possède une expérience directe de quoi que ce soit,
et précisément dans la mesure où il la possède, est éveillé. Une personne inventive ou
créative a forcément lâché prise sur les préconceptions instituées, que ce soit dans le
domaine de la science, de l’art, de l’organisation, de la cuisine, de l’amour ou dans
n’importe quel autre secteur de l’existence. Aller au-delà de l’institué, de l’habituel, du
mécanique, pour expérimenter créer ou interpréter librement est une forme d’éveil partiel.

Une personnalité ordinaire équivaut à une certaine distribution, irrégulière et spécifique, de


ses moments de présence, une spécialisation ou un filtrage singulier de son potentiel
d’existence. L’être complètement éveillé, en revanche, existe ici, maintenant et vers tous les
azimuts, sans spécialisation ni filtrage. Les personnes épinglées par leur ego, enfermés par
leurs concepts, limités par leurs attachements n’ont aucune idée de la qualité et de la
puissance de la présence éveillée, quoique le fond de leur être soit précisément cette
présence.

Je ne veux pas seulement être présent mais « PRESENT ». Le mot doit être crié, hurlé, pour
marquer l’intensité de la présence possible.

Protège ton esprit des poisons. Vis en pleine conscience. Sois heureux. Quand le poison
arrive, lâche prise et reviens à la chanson des sens.

Surveille ton esprit: c’est là que se décide la qualité de l’instant.

***

Chaque instant est sacré parce que c’est un instant de vie. Parce que la vie est cet instant. Et
donc tout ce qui peuple l’instant est sacré, et tout ce qui a mené à cet instant, même la
souffrance, même les causes de la souffrance.

Le feu libérateur (4): le temps


Le présent est inutile, généreux et beau

Le présent est inutile

16
Le feu libérateur

Kant dit qu’il faut considérer chaque être humain comme une fin et jamais comme un
moyen. C’est la marque de la plus grande immoralité que d’utiliser l’humain. Je dirais (et
c’est exactement la même idée, mais à l’échelle moléculaire) que chaque instant doit être
considéré comme une fin en soi et jamais comme un moyen. L’instant est l’humain. Par
exemple, le moment où tu épluches une orange est une fin en soi et non quelque temps mort
pour arriver au moment de manger l’orange.

Le cercle vicieux du malheur s’alimente du rapport entre fins et moyens. La simplicité du


bonheur vient de ce que chaque seconde d’expérience est une fin.

Il n’y a jamais de mal pour un bien. La distinction de la fin et des moyens est déjà le mal.

En réalité, aucun instant de notre vie ne sert, aucun n’est asservi à l’avenir.

Le plus important ne sert à rien. Prêter attention à la couleur du ciel, aimer, méditer...

Tous les calculs sont de mauvais calculs.

***

Le plaisir calcule et compare. La joie fuse ici et maintenant.

***

La gloire peut être accumulée, servir, la joie, non. On collectionne des photos de couchants,
non l’attention à la couleur du ciel, maintenant, au dessus de nos têtes. Tu peux entasser de
l’argent, mais l’amour flambe dans le cœur ou s’éteint.

A quoi bon accumuler ou thésauriser ce qui ne sert à rien?

Posséder? Vouloir posséder? Mais, quoiqu’il arrive, nous ne possédons jamais que la
seconde présente!

Le présent est généreux

Ne te perds pas dans l’affairement et le « sérieux » de la vie. Ne t’égare pas dans les brumes
de l’ego. Jouis de ta simple respiration. Apprécie le cadeau merveilleux de la vue, le don de
l’ouïe, l’afflux des odeurs, la présence mystérieuse des êtres. Plonge dans la poésie du
monde tel qu’il s’offre continuellement.

Que fais-tu, à cette seconde où je te parle, du don extraordinaire de la vie humaine?

L’existence nous donne tout, absolument tout, à chaque seconde, puisqu’elle nous fait don
de l’instant et qu’il n’y a que l’instant.

***

17
Le feu libérateur

Certes, nous ne possédons rien. Mais tout nous est offert à chaque moment.

Il est inutile de s’attacher à quoique ce soit puisque l’existence est toujours disponible. En
nous attachant à un objet ou à une qualité particulière de l’expérience, nous nous dérobons
tout le reste.

***

Il existe deux figures du présent. L’une est malheureuse, car tout échappe à sa prise, à sa
volonté de saisir. L’autre face du présent s’établit dans une joie éternelle et sans condition.
Le présent heureux n’a rien à saisir car tout lui est et lui sera toujours offert sans
contrepartie.

***

La beauté t’est donnée gratuitement et tu la reçois gratuitement. Hors du calcul perpétuel.

La surabondance de ce qui t’est donné à chaque seconde est proprement stupéfiante.

Tu ne manques de rien.

Le présent est beau

Tentons de rendre le monde plus beau, pour nous et pour les autres. Cela implique de
surmonter la négligence, la paresse, l’ignorance, le désordre et confusion. Nous pouvons
développer la beauté, l’habileté et la précision dans tous les aspects de notre vie: la cuisine,
l’habillement, la décoration, le langage, le travail et les relations avec les autres. Tout ce
que nous faisons doit être bien fait. Quand au résultat de nos actes, il ne nous appartient
pas.

Va au bureau comme si tu allais à ton premier rendez-vous. Travailles comme tu fais


l’amour (et non l’inverse). Lave la vaisselle comme tu si contemplais les chutes du Niagara.
Fais les courses comme si tu étais un Roi Mage le jour de Noël. Epluche les légumes
comme si tu sculptais le David. Change ton bébé comme si tu réalisais la première
transplantation cardiaque. Remplis ta déclaration d’impôts comme si tu composais la Messe
en ut. Descends la poubelle comme si tu goûtais un Pommard.

Ce que la vie a de plus extraordinaire se trouve dans les moments ordinaires. A n’importe
quel moment. Maintenant.

Rends chaque seconde de ta vie plus belle, plus poétique, plus sacrée.

***

Il existe aujourd’hui comme une frénésie de désacralisation. Reconnaissons l’aspect positif


de cette tendance: dissoudre toutes les formes d’idolâtrie et de fétichisme. Mais n’oublions

18
Le feu libérateur

pas que l’effort spirituel vise l’objectif inverse: tout réintégrer dans le sacré, chaque atome
d’existence, chaque seconde de vie.

***

Lorsque nous découvrons quelque chose de beau, ne nous contentons pas du signal de la
beauté, de son éclat fugitif. Que l’émotion de la beauté, l’émerveillement, la gratitude,
s’épanouissent dans notre âme. Ouvrons notre coeur à la beauté jusqu’à ce que nous
devenions la beauté.

Tout est beau.

Ici convergent tous les temps

Tu marches dans la rue. Tu avances vite. Tes pensées tournoient à toute allure. Ralentis le
pas. Prends conscience du contact alterné de tes pieds avec le sol. Détends la nuque, les
épaules, la gorge. Sens l’atmosphère de la ville, de cet instant, en ce lieu. Regarde les
couleurs. Laisse-toi pénétrer par les sons. Quel spectacle extraordinaire. Encore plus
lentement, s’il te plaît! Respire calmement, sans forcer. Ecoute les pensées, écoute-les
distinctement parler dans ton esprit. Sois attentif aux sensations qui viennent de ton corps.
Sens le Ciel, la Terre, les maisons, le trafic, leur présence tellement étrange, tellement
singulière. Ce monde, ces sensations, ces pensées, tout est dans ton âme. Tu te déplaces à
l’intérieur de l’espace infini de ton âme. Ici, maintenant, le monde t’engendre à neuf et tu
sécrètes sa vie chatoyante, seconde après seconde, l’un et l’autre confondus, suspendus
dans le vide.

***

La matière de l’existence est magique, rare, infiniment précieuse, translucide et lumineuse


comme un rideau de diamants, légère comme un reflet sur une bulle irisée.

***

Le temps ne passe pas. Le temps n’est pas à perdre ou à gagner. Le temps n’est pas un
fardeau.

***

Ici convergent tous les temps. Maintenant contient tous les lieux.

***

Etre là.

Etre ce qui est là.

19
Le feu libérateur

Rien ne sert plus à rien.

Rien n’entre plus dans aucun calcul.

Liberté.

***

Il n’y a rien à attendre ni rien à atteindre. Nous y sommes. Nous y sommes déjà. Nous y
sommes depuis toujours.

Le feu libérateur (5): le chapitre de


l’identité
« J’existe » est le titre le plus haut. Tout ce qu’on y ajoute le ternit.

Sortir du Labyrinthe

Un jour ou l’autre, il faut affronter son dragon. Chacun de nous a dans sa vie un monstre
différent. Ce qui semble terrible aux uns n’est pour les autres qu’une gêne passagère. Mais
pour tous il existe une « grande peur », un Minotaure au centre de son labyrinthe intérieur,
une bête immonde qui arbore notre visage. Un jour, il faut se battre pour soi, pour sa propre
cause, non pour quelque finalité élevée, sociale, politique, humanitaire, spirituelle ou autre.
Décides-toi à affronter ce qui t’empêche de vivre pleinement. Guerroie pour ta vie. Bats-toi
contre ta grande peur. Aujourd’hui est un bon jour pour accepter le combat, cesser de fuir,
lutter avec ce qui te terrifie le plus. Comprends-tu que les gens et les situations qui font ton
malheur sont les déguisements de cette peur, les masques du dragon qui t’habite?

Toute vie contient une descente en enfer. Le labyrinthe est une représentation classique du
monde infernal (le roi Minos était juge des enfers), mais aussi de la matrice. Comment
sortir du Labyrinthe? Comment revenir du pays des morts? Comment ressusciter?
Comment renaître? Comment naître?

Thésée, comme tous les héros, combat le monstre avant de rejoindre (ou de libérer) la
princesse. La princesse, ou Ariane, est sa part féminine, l’anima, sa part d’émotion et de
douceur. C’est parce qu’il est relié à sa partie féminine par un fil, parce qu’il est relié avec
lui-même, qu’il peut vaincre sa peur (le Minotaure) et devenir libre (sortir du Labyrinthe).
Il est suffisamment sûr de son identité sexuelle pour accepter sa part féminine. C’est
l’énergie de l’union avec soi, de la rencontre avec soi-même (le fil qui relie Ariane à
Thésée), qui lui permet de devenir libre. Devenir libre, devenir un et vaincre sa peur sont
une seule et même chose.

20
Le feu libérateur

Ariane, comme toutes les compagnes des héros, libère sa part masculine, sa part de force et
de courage.

Le héros qui libère la princesse enfermée émancipe son propre côté féminin.

Le dragon, c’est toujours la peur, la peur d’être soi... ou de n’être plus soi si l’on se libère.

Le scénario qui a pris possession de notre être et dans lequel nous nous sommes enfermés:
voila notre dragon. Affronter le dragon consiste à retrouver la situation, exactement la
situation dans laquelle le piège s’est refermé. Revenir à l’instant de la chute, au lieu même
ou nous avons perdu la liberté. A la phrase qui nous a condamné. A l’âge où nous avons
perdu la vue. Nous devons retrouver cet instant que nous voulons fuir de toutes les cellules
de notre être. Et là, il faut rejouer la partie mais, cette fois-ci, en sortant du piège par le
haut. Si l’événement a engendré la peur ou l’orgueil, en sortir par la plénitude ou l’humilité.
En sortir par l’innocence si la situation fondatrice a engendré la culpabilité.

Héros, princesse et dragon sont une seule et même personne.

Je ne peux apprécier la femme en toi que parce que ma dimension féminine est capable de
la reconnaître. Je ne peux aimer la femme en toi que parce que j’aime en moi la femme. Tu
ne peux aimer l’homme pleinement homme en moi que parce que tu as en toi cette
dimension de virilité assumée, pleinement réalisée, aimée. Alors tu peux aimer l’homme
que je suis, sans m’envier ma virilité, sans craindre mon étrangeté. De même, mon amour
pour toi n’est mélangé d’aucune jalousie envers ta féminité triomphante, d’aucune peur,
parce que cette féminité est aussi en moi. L’amour est implication réciproque des âmes et
de leurs différences. Une « identité » qui n’implique pas les identités différentes qu’elle
rencontre est une identité morte, réactive, haineuse, impuissante. Aimer, c’est éveiller
l’autre en soi.

Lâche prise totalement sur les opinions que les autres ont de toi. Détaches-toi complètement
des images et des représentations que tu te fais de toi-même. Abandonne complètement
toute idée de mérite ou de culpabilité, d’infériorité ou de supériorité. Tu n’as rien à
« prouver », ni à toi ni aux autres. Cesse de te demander qui tu es. L’identité est un joug :
on ne peut te manipuler que parce que tu as une image de toi-même. L’identité est une
prison.

Sors du Labyrinthe de l’identité.

***

« J’existe » est le titre le plus haut. Tout ce qu’on y ajoute le ternit.

La victoire et la défaite

Observe-le! Ce n’est qu’un pitbull. Son plaisir est de montrer qu’il est le chef, qu’il
commande, qu’il peut dominer, faire du mal, mordre. Sa seule finalité est de vaincre et il

21
Le feu libérateur

s’imagine que tout le monde est comme lui. Il considère toute autre manière de vivre
comme de la faiblesse ou de l’hypocrisie.

Dès que tu veux gagner, le mal entre en toi. Tu bascules dans le monde des morts-vivants,
le monde en noir et blanc de ceux qui sont obsédés par la victoire.

Le mal gagne toujours. Le mal gagne toujours parce qu’il n’a que ça à faire: gagner. C’est
sa seule préoccupation et c’est à cela qu’on le reconnaît: il gagne, il est victorieux, il
triomphe.

Les sages n’ont rien à faire de vaincre: ils vivent. La vie est tellement plus belle, plus riche,
plus vraie que la victoire. La victoire n’est que signe, apparence, ego. L’amour seul plonge
dans la plénitude et la continuité de la vie. C’est parce qu’ils n’accèdent pas à la richesse de
l’existence qu’il ne reste aux insensés que la victoire. Et avec leur victoire, ils n’ont que du
vent.

***

Un homme très riche possédait à la campagne un merveilleux château entouré d’un grand
parc où les jardiniers avaient réuni toutes les merveilles de la nature. Mais au lieu de vivre
dans son palais, l’homme riche passait son temps à ourdir des intrigues politiques dans
l’atmosphère polluée de la capitale. Tu es l’homme riche, le château est ta présence sensible
et la capitale enfumée ton ego.

***

Celui qui est en proie à l’ego veut gagner plus, gagner toujours. Moins il vit, moins il
apprécie le présent, plus il a besoin de s’assurer de sa propre existence en édifiant une
image de lui. Alors il poursuit le pouvoir, l’argent, le plaisir, le prestige, le sentiment
d’avoir raison, que sais-je encore. Mais avec tous ces objets, il obtient en prime le
ressentiment, la culpabilité, la peur, le doute, le manque. Il ne peut continuer à vaincre
qu’en entraînant les autres encore plus bas que lui, en propageant la gangrène de l’ego: il
les force à penser en termes de victoire et de défaite, de plaisir et de douleur. Il excite la
peur et l’espoir. Il veut que les autres « doutent d’eux-mêmes », encore plus que lui. Le
méchant t’étourdit, t’entraîne, te déstabilise, te décentre, te séduit, t’effraye, il te fait
souffrir. Le sage te désigne en souriant la douceur de l’instant.

Le feu libérateur (6): la triple antidote


« J’existe » est le titre le plus haut. Tout ce qu’on y ajoute le ternit.

22
Le feu libérateur

Quand un poison de l’esprit se manifeste (avidité, haine, peur, jalousie, etc.), aussi bien
chez nous que chez une autre personne, la démarche à suivre peut se décomposer en trois
étapes: sentir, voir, compatir.

Premièrement, sentir le poison, le goûter pleinement. Supposons par exemple qu’un violent
sentiment de jalousie nous saisisse à la vue de quelqu’un possédant quelque chose que nous
n’avons pas. Ne fuyons pas, ne nions pas, ne passons pas à l’acte en entrant en compétition,
ou en agressant, ou en redoublant de gentillesse pour compenser. Restons dans l’émotion.
Donnons lui son nom. Soyons totalement présents à la qualité brûlante, piquante, irritante,
claustrophobique, étouffante de ce sentiment. Plongeons complètement dans l’expérience
de la jalousie.

Deuxièmement, regardons clairement et nettement la nature parfaitement vide et illusoire


de la jalousie (ou de la colère, ou de la peur, etc.). L’autre ne possède aucun objet dont je
manquerais. L’autre, comme moi, n’a jamais que des instants de vie. Il est dans sa vie et je
suis dans la mienne. Comme je ne fais qu’un avec mon propre monde, lorsque je l’envie, je
me divise contre moi-même, je fabrique de la souffrance. Il n’y a aucun objet, seulement
des âmes qui projettent des mondes, c’est-à-dire qui perçoivent, souffrent et aiment. Ces
âmes sont Lumière et leurs mondes illusions colorées. Au lieu de rester fascinés par les
apparences des phénomènes, retournons-nous vers la lumière de l’instant.

Troisièmement, ayons de la compassion pour notre propre souffrance (ou pour celle de
l’autre si c’est lui qui est jaloux). Plutôt que de nous culpabiliser, consolons-nous, soyons
gentils avec nous-mêmes. Aimons nous. C’est d’amour que nous avons besoin, non de la
douleur supplémentaire de penser que nous sommes mauvais, imparfaits, etc. (ou que les
autres le sont!)

Il est important de sentir avant de reconnaître la nature vide de la souffrance. En effet, si


l’on ne sent pas, si l’on n’est pas présent, l’idée du vide ne sera qu’une fuite, une
construction conceptuelle. Nous ne saurons même pas dans quelle situation nous sommes.

Il est également capital d’associer la compassion à l’intelligence du vide. Si nous


reconnaissions le vide de nos objets d’agressivité ou d’avidité et que nous en concluions à
notre stupidité fondamentale (ou à celle des autres), nous ne ferions qu’ajouter de la
souffrance à la souffrance. « Nous » ne sommes pas ignorants ou absents parce que
« nous » (notre ego) ne sommes pas plus substantiels que nos objets. Et la lumière que nous
sommes réellement n’est pas stupide. En fait, au cas où nous nous jugerions stupides, ou
mauvais, ou bien si nous jugions ainsi les autres, nous ne serions pas dans la véritable
intelligence du vide. La sagesse discriminante s’accompagne nécessairement de
compassion.

Enfin, une compassion automatique, immédiate, sans espace, qui s’exercerait avant de
sentir et avant de reconnaître le vide des phénomènes, serait simplement le trait d’un ego,
une figure de l’aveuglement. La compassion est un prolongement naturel de la sensibilité,
de la tendresse du cœur, d’une douloureuse vulnérabilité. L’être véritablement
compassionné ne peut être que pleinement présent à la vérité des situations et attentif à
déjouer tous les tours de l’ego.

23
Le feu libérateur

La « sainte trinité » se décline donc ainsi: présence, intelligence, compassion.

La présence implique la sensibilité, la vulnérabilité. Etre là, c’est se mettre en position


d’être touché. Cette présence du coeur, ou pleine conscience, est la racine de toutes les
vertus.

L’intelligence discriminante permet de voir le vide de tout ce qui alimente l’ego et la


souffrance. Une intelligence qui ne mène pas à la compassion n’est pas de l’intelligence.
Une faculté qui augmenterait la souffrance n’aurait de l’intelligence que le nom.

Ainsi, la présence ou l’ouverture du coeur est l’antidote de l’ignorance, de l’illusion, ou de


l’absence. Etant présents, nous ne sommes pas des morts-vivants. L’intelligence
discriminante est l’antidote de la passion et de l’agression puisqu’elle révèle le vide des
objets. La compassion, enfin, comprend et guérit la souffrance. Elle arrête la propagation de
l’incendie en absorbant le feu de la douleur. Elle fait vivre les âmes dans leur véritable
milieu qui est l’amour. Présence, intelligence et compassion forment les trois faces du
même joyau.

Merveilleux contre-feu de l’incendie de la souffrance qui ravage le monde, la présence,


l’intelligence et la compassion sont le combustible, la lumière et la chaleur du même feu
libérateur.

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