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Méthode de dissertation philosophique

1. Le sens de l’exercice
Les sujets de dissertation sont souvent proposés sous forme de question. Cependant, il existe deux types
de questions et les sujets de dissertation philosophique n’appartiennent qu’à un seul type de question :
• Les questions « informatives » : celles qui demandent un renseignement, une information (ex :
« Qui a gagné Waterloo ? »). Il n’y a qu’une seule bonne réponse. Si on la connaît, on peut
répondre, si on l’ignore, il ne sert à rien de réfléchir. La réponse à une telle question peut être
stockée quelque part (livre, mémoire).
• Les questions « problématiques » : celles qui ne demandent pas une information mais qui
naissent d’un problème, d’une difficulté (ex : « Peut-on perdre la mémoire sans perdre son
identité ? »). Personne ne « possède » la réponse, aucun livre ne la « contient ». Il s’agit moins
de répondre à une question que de repérer où se trouve le problème, de le construire à un niveau
théorique et de le résoudre.
On l’aura compris, les sujets de dissertation sont tous des questions problématiques. Par conséquent, il
n’est pas approprié de rapporter simplement ce que des philosophes ont finalement répondu à la question
(ce qui est une information). Un sujet de philosophie ne demande pas que l’on restituer, pour elles-
mêmes, les réponses de différents philosophes. Les auteurs sont des auxiliaires précieux et même
absolument nécessaires à la propre réflexion de l’étudiant, mais ils ne doivent pas être cités pour eux-
mêmes ; on ne les mentionne que pour reconstituer leur argumentation. De même on comprendra que ce
qui est le plus important est le cheminement, pas nécessairement la réponse finale. C’est la qualité de
la progression que l’on juge.

Il y a 5 qualités attendues d’une dissertation philosophique, qui sont donc aussi des critères d’évaluation :

1) La problématisation de la question
2) La conceptualisation rigoureuse des notions employées
3) Des analyses de théories, de situations, d’exemples
4) Une argumentation rigoureuse et progressive
5) Une culture philosophique de première main et maîtrisée (pas forcément encyclopédique)

La première chose à faire face à un sujet est de comprendre d’où vient le problème. La problématique
désigne la réflexion qui montre pourquoi la question se pose ou s’est posée. C’est dans l’introduction
qu’on l’évoque une première fois avant de la développer plus clairement dans la première partie.
Construire une problématique est à la fois le plus difficile et le plus important.
Ne pas confondre la question et la problématique : la question se formule sur le mode interrogatif, alors
que la problématique est une séquence de propositions qui vise à dégager les raisons (paradoxe, tension,
aporie) qui justifient que l’on pose la question.

2. La problématisation de la question

Il s’agit de transformer une simple question (une interrogation) en un problème : c’est la fonction de
l’introduction. Pour cela, il faut prendre le temps de construire le problème, car celui-ci n’est jamais
donné. Pour construire un problème il faut, au moins sommairement dans un premier temps, présenter des
analyses, des concepts et des arguments qui, peu à peu, conduisent à une tension, un paradoxe, une
difficulté, une aporie. Sans cela, la question est gratuite et ne se justifie pas. Problématiser, c’est parvenir
à montrer pourquoi la question doit se poser.
Exemple sur le sujet « Est-on propriétaire de soi-même ? »
Ø Il semble évident que chacun est propriétaire de lui-même en ce sens qu’il est maître de son corps, de
sa vie, de la manière de la mener. Nul ne peut légitimement être le propriétaire d’un autre. C’est parce
que je suis le propriétaire de moi-même que nul n’a le droit de ma rendre esclave. Être propriétaire de
soi-même est par ailleurs la condition de possibilité de l’appropriation des biens par le travail,
puisque c’est par la force de mon travail que je peux être considéré comme le propriétaire de ce que
j’ai produit. Il apparaît ainsi que l’on est propriétaire de soi-même ; le nier serait absurde et aurait
pour conséquence que d’autres puissent se saisir de nous.
Ø Cependant, si l’on est propriétaire de soi-même, on est aussi la propriété de soi-même. Outre le défaut
de cohérence qu’il peut y avoir à être sujet et objet du rapport de propriété – nul ne peut s’obliger lui-
même – être une propriété, fût-ce de soi-même est extrêmement préoccupant. L’homme est une
personne et non une chose ; il ne s’appartient pas comme un bien lui appartient. C’est d’ailleurs la
raison pour laquelle il est scandaleux de se vendre, se louer, vendre ou louer une partie de son corps,
voire de sa vie : tel est le principe de l’indisponibilité du corps humain. Si je m’appartenais, je
pourrais faire de moi ce que je peux faire de n’importe quelle propriété : me céder et même me
vendre. On voit ici qu’on pourrait alors justifier l’esclavage plutôt que le combattre. Il faut donc
reconnaître que nul ne s’appartient, du moins totalement. Et cela implique des devoirs envers soi-
même.
Ø On voit donc combien il est difficile de déterminer si, véritablement, l’on est propriétaire de soi-
même.

C’est un exemple de problématique où l’on voit comment on expose, en deux points, les raisons qui
justifient la question.

3. Définir des concepts

Trop souvent les copies sont rédigées sans conceptualiser les notions employées. Il ne s’agit pas d’un
passage obligé purement académique, mais tout au contraire, d’un préalable à toute réflexion un peu
sérieuse. Le danger à ne pas conceptualiser est de tenir des propos superficiels, instables et plus
équivoques que ce qu’on imagine. Il est donc nécessaire de procéder à des clarifications conceptuelles,
parfois déjà dans l’introduction, souvent au début du développement.

Définir conceptuellement, ce n’est pas donner le sens ou les sens d’un mot (copier le dictionnaire ne sert
donc à rien), mais donner l’essence d’une entité, la signification logique d’une notion. A cela la
réflexion seule suffit, encore faut-il qu’elle soit entraînée ; certaines « recettes » peuvent servir sans être
des panacées.
- Trouver l’exact contraire : vérité s’oppose à fausseté et non à mensonge.
- Trouver des termes proches mais différentes ; cela permet d’affiner les contours de la définition et
d’être distinct ; ex : vérité, réalité, sincérité, authenticité…
- Recourir à l’étymologie mais uniquement si elle est utile.
Ces trois pratiques peuvent parfois aider, l’essentiel est de parvenir, au fil d’une analyse conceptuelle qui
ne se résume pas à une ou deux lignes, à déterminer rigoureusement ce que voudra dire telle ou telle
notion.

4. Les analyses
Les analyses sont des opérations consistant à démêler les éléments d’un problème, d’une situation, d’une
théorie pour mieux les évaluer et en tirer des conclusions. La première chose à analyser est le problème
qui est posé. Dans le développement, on analyse également les théories et les arguments que l’on
présente.
Les définitions font partie de l’analyse du sujet, mais celle-ci doit veiller également aux termes avec
lesquels le sujet a été formulé.
• « Faut-il… ? » peut s’entendre comme une nécessité ou une obligation morale.
• « Doit-on… ? » nécessité ou obligation. Le « on » renvoie à tout homme et vise à l’universalité.
• « Dois-je… ? » nécessité ou obligation. Le « je » renvoie à moi, à une décision que je dois
prendre et insiste donc sur ma liberté et mon devoir corrélatif.
• « Devons-nous… ? » idem. On insiste ici sur la communauté des hommes ; la question est posée
non à un individu mais à une société. On insiste donc sur la responsabilité de chacun envers les
autres.
• « Peut-on… ? » peut s’entendre comme potentialité (a-t-on le pouvoir de…), comme aptitude
(parvient-on à ?) ou comme autorisation, droit (a-t-on le droit de ?).
• « Puis-je » potentialité, aptitude ou autorisation. On insiste sur le sujet personnel et ses
potentialités, aptitudes, droits propres, avant même de prendre en compte la société, les rapports
entre les hommes.
• « Pouvons-nous… ? » idem. On insiste là au contraire sur la communauté des hommes.

Il est malheureusement courant que l’analyse soit déséquilibrée et qu’elle porte trop sur le concept le plus
familier et que les autres concepts – et, au-delà, de tout le problème – soit rapidement expédié. On sera donc
attentif à accorder autant de travail à chaque élément du problème.
5. La technique argumentative
Le développement, plus encore que l’introduction, est le lieu de l’argumentation. Il s’agit de donner à son
discours la forme du raisonnement, donc de la nécessité logique et de la justification des thèses. Toutes
les raisons auxquelles on pense spontanément ne sont pas recevables, il faut faire le tri et les examiner
pour ne retenir que ce qui remporte l’adhésion de l’entendement attentif.
La philosophie est une discipline, non seulement au sens d’une « matière » mais d’une discipline de
l’esprit. L’argumentation traduit cette exigence de penser plus rigoureusement qu’à l’ordinaire. Le propos
doit viser à être reconnu comme valide par le lecteur (pas par soi-même), il convient donc d’être
rigoureux (strict) et d’anticiper les objections.

On raisonne contre son opinion personnelle le plus souvent. Le raisonnement consiste à proposer :
- Une analyse de chaque difficulté rencontrée, à commencer par celle qui a donné naissance à la
question (début du développement),
- Une conceptualité rigoureuse – une fois définis, les concepts doivent être utilisés dans le sens de leur
définition,
- Une argumentation qui progresse par étapes explicites, paragraphe après paragraphe, chacun devant
s’enchaîner logiquement au précédent. Les auteurs viennent ensuite, dans un second temps, pour
prolonger et approfondir un point de l’argumentation.
- Une évaluation de chaque thèse au regard des objections possibles, qu’il faut inclure dans le
raisonnement afin de le réfléchir.

6. La culture philosophique

Elle est indispensable. Elle vient enrichir le raisonnement pas des développements qui ont été proposés
par les philosophes. Ces passages doivent montrer leur plus-value, être restitués dans toute leur ampleur et
avec rigueur, être discutés.
Tout d’abord, les auteurs sont à présenter pour ce qu’ils apportent à l’intelligence du problème et à sa
résolution. L’étudiant ou l’étudiante doit souligner l’intérêt qu’il y a à suivre Platon, Kant ou Rousseau à
tel moment.
Il ne faut pas contenter d’une allusion de quatre ou cinq lignes (comme si l’on pouvait supposait une
complicité intellectuelle avec le correcteur), mais d’un paragraphe étendu où l’on expose non pas
seulement les thèses mais les raisons que le philosophe a présentées.
On ne se contentera pas non plus d’une « vulgate » approximative des auteurs. Il faut les connaître
suffisamment et, si possible, de première main.

7. La forme de la dissertation
a) L’introduction comporte : la problématique (en deux temps, puisqu’on doit indiquer une tension, un
paradoxe, une aporie), l’énoncé du sujet tel qu’il a été donné (pas de modification tolérée) et
l’annonce du plan.
Il faut compter au moins une page manuscrite.

b) Le développement en trois parties. Chaque partie est constituée de paragraphes ; chaque paragraphe
comporte une affirmation générale, son explicitation par un auteur (le plus souvent) et sa
justification rationnelle. La première partie commence par analyser le problème et en conceptualiser
les termes afin de bien développer la problématique (au moins un paragraphe).

c) La conclusion rassemble l’argumentation centrale, propose une réponse claire et bien discernée.

8. Quand le sujet n’est pas une question

Il peut arriver, c’est régulièrement le cas aux concours, que le sujet ne contienne qu’une notion ou un
couple de notions. Cela tient à l’exigence supplémentaire de culture philosophique. Cette culture est ce qui permet
de passer de la notion à la question puis (ou directement) au problème.
Le défi est donc de construire une problématique à partir d’une simple notion (ou couple de notions) en
pointant par exemple les problèmes qu’elle recouvre, la fonction qu’elle assure d’un point de théorique. Il faut se
poser toute une série de questions :
- Est-ce une notion courante ou/et un concept philosophique ?
- Qui a eu recours à cette notion, dans quel cadre et pour quelles raisons, pour résoudre quelle
difficulté ?
- Quelles ambiguïtés ou ambivalences occulte-t-elle ?
- S’il s’agit d’un couple de notions, c’est évidemment la relation entre les deux qui doit être au centre
de la réflexion et dans chaque partie.

Exemple : « Histoire et politique »


Parmi les questions qu’on se posera, il y aurait celles-ci : pourquoi l’histoire est-elle avant tout l’histoire des
événements politiques (rapport à l’action, à l’événement) ? Est-ce justifié ? Peut-il y avoir politique sans faire
histoire, sans se donner une perspective historique ? Un peuple peut-il trouver son unité en dehors d’un passé
commun ? Quelles alternatives ? La politique peut-elle parasiter le travail de l’historien ? Peut-on à l’inverse
réaliser un travail historiographique totalement dépolitisé ? Quelle objectivité / neutralité du travail de l’historien ?
Un historien peut-il jouer le rôle de personnalité publique ?

À partir de questions de ce genre, on utilise sa culture philosophique pour situer des auteurs, des théories, des
approches. Au terme de ce travail, on passe à l’organisation de la réflexion par réduction des thèmes à de grands
problèmes qui formeront autant de parties.

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