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Etude des aspects

s émantiques

des composantes &


des
structures de

LA VILLE

Xavier Delaval D E S en Urbanisme et Aménagement du Territoire juin 2002


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On ne peut pas vivre dans un monde où l’on croit que


l’élégance exquise de la pintade est inutile

Jean Giono
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aisissant le temps (et inclus dedans


l’éternité) pour le ramener et le ramasser
et en faire un point dans l’espace, opérant
ainsi une des plus prodigieuses opérations
métaphysiques que l’on ait jamais vues, ramassant
tout âge ( et dedans quelque éternité), ramassant
toute histoire dans leur propre histoire, faisant des
amassements prodigieux de mémoire, se faisant elles-
mêmes document, monuments prodigieux, (l’histoire
se fait avec des documents) faisant de l’histoire un
extrait (d’histoire), un raccourci formidable, presque,
disons le mot, un manuel faisant de l’histoire une
géographie, par quelle (dé)torsion, quel
détournement réussi faisant du temps (même) un
lieu ; faisant de l’histoire une géographie, une
topographie, un plan ; quelle réussite ; opérant,
réunissant ainsi une des plus incroyables opérations
métaphysiques, indues, que l’on ait jamais pu
imaginer ; réalisant ce prodige, faisant du passé, d’un
immense passé, un présent concentré, un point de
présent, de toute une immense mémoire un point de
mémoire, de toute ligne un point (d’aboutissement),
d’affleurement, et comme un présent durable un
présent de mémoration : les villes, mon ami, les villes
enfin, les villes de reconcentration, les marmoréennes
et les mémoratoires, les lapidaires et les (grandes)
métaphysiciennes, les villes au front couronné de
créneaux, les villes mon ami, et l’âge des villes, de
ces êtres que sont les villes ?(…)
Plan symbolique d’une ville indienne P
Charles Péguy- 1909- Dialogue de l’histoire et de
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l’âme
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Introduction
Comme l’oiseau qui erre loin de son nid,
Ainsi est l’homme qui erre loin de son lieu

Proverbes, XVI,20

orsqu’en sortant de la cuisse de Jupiter, les moustachus


d’une époque obscure nous proposèrent le fruit
fascinant et enivrant de la mort de Dieu, ils nous
profanèrent1 du même coup en nous interdisant l’accès à nos plus
hautes facultés spirituelles. Ce qui nous identifiait à Dieu devint
suspect, dépassé, interdit, superstitieux, naïf ou ridicule. Pour
décrire notre comportement humain, on allait désormais étudier les
singes, les rats et les lapins. Nous avons alors dû apprendre à
connaître et à ressembler à nos nouveaux parents. Une nouvelle
cosmogonie de l’évolution se mettait en place. La science officielle
(…) La réussite de l’élevage dépend du allait s’atteler à composer de nouvelles hypothèses pour expliquer
logement (clapier), de l’hygiène notre genèse. Désormais il n’y aura plus rien d’autre à espérer que
(renouvellement fréquent des litières,
désinfection des cases) et de la qualité de ce que le pouvoir propose à ses enfants. Puisqu’il est au sommet
l’alimentation (…) Larousse illustré de l’évolution et donc de l’intelligence, il a forcément raison.

1 Rendre profane
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Le golem réinventé

Créés jadis à l’image de Dieu nous devinrent donc un étrange fruit


du hasard, inexpliqué et très compliqué. Afin de mieux nous situer
dans le système de pensées qui se mettait en place, on dût nous
résumer, ne retenir de notre dignité que ce qui ne nuisait pas à la
nouvelle théorie. Le besoin d’intelligibilité du «concept humain »
conduisit bientôt à isoler nos comportements dans des logiques
simples et compréhensibles du type : « l’homme est un animal-
pensant ». Des sciences nouvelles allaient même se mettre un
devoir de fouiner dans notre inconscient, seul rempart où pouvait
encore se retirer nos âmes violées, pour les disséquer sous le
scalpel importun d’aliénés. Dans un même élan généreux, on
Un des marché aux viandes de la mer rouge détermina aussi tout aussi lapidairement nos aspirations et nos
désirs légitimes, afin de les orienter vers des jouets tout brillants
comme le sexe ou l’argent, objets autrement plus faciles à gérer
que le phénomène religieux par exemple. Ces nouvelles valeurs
conventionnelles seront alors mises en œuvre pour uniformiser
nos sociétés et allécher les autres. Bref, nous devenions un objet
bien équarri, enfin redressé et fidèle image de nos nouveaux
pères. On nous créa alors homme et femme à l’image de
l’homme-type intelligible et « gérable ».

Les monarques absolus

Une fois que l’on eut dressé notre portrait robot conceptualisé, on
put alors enfin nous loger dans des hypothèses sociales faites sur
mesure pour notre plus grand bien, hommes citoyens du futur
souverainement établi.

Cependant, c’était bien une infime partie des facteurs intervenant


dans la société qui furent fichés, catalogués, disséqués, reproduits
en chambre froide, mathématisés en concepts assimilables par les
intelligences démocratiques du moment. Nos besoins
fondamentaux se résumaient très simplement . Le Corbusier en
déterminera quatre : « habiter - travailler - se recréer - circuler ».
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Cette planification de nos besoins correspond étrangement aux


besoins des gnous, des tamanoirs nains et des fourmis rousses en
oubliant la bactérie du yaourt qui se loge plutôt qu’elle n’habite. A
moins de nous conduire comme eux, la ville faite pour nous, par
des hommes de notre temps, devint vite insipide, désolante,
incompréhensible et tyrannique, car elle fut pensée comme un lieu
de gestion de viandes tièdes ou chaudes, d’hormones, de
susceptibilités, de transports et d’argent mais notre humanité
Peuple intelligent, urbaniste, organisé,
travailleur, silencieux, sérieux et efficace, mais amoureuse, mystique, spirituelle était négligée voir castrée. Trop
qui pique quand on l’écrase. de souvenirs obscurantistes nuirait à la belle lumière de la
modernité.

Nous fûmes donc réduits à nos quatre fonctions primaires. Mais si


l’une faisait défaut, si nous cessions de circuler, de nous recréer
ou de travailler, devait-on être exclu de l’humanité ?... Et si nous
priions, devenait-on un autiste prépubère à rééduquer ? Ces
questions ont eu leur terrible réponse. Le système communiste
répondait par l’affirmative. Le système libéral aussi et les autres
systèmes capitalistes également. L’animal-bien-pensant que nous
devions être ne pouvait sortir de ses balises conceptuelles sans
enrayer tout le système utopique, car l’électron libre est
dangereux. Les banlieues deviendront le dépôt de ces hors-les-
murs. Ces tentatives hégémoniques technico-économiques de
rationalisation de nos sociétés selon un modèle laïque universaliste
aboutiront alors à ce que nous appelons communément, l’ordre
mondial, avec ses pieux organes de gestion humaine comme l’ONU
ou la FAO, sanctifiant des prophètes en les nobellisant et distillant
leurs commandements, et les châtiments planétaires qui
s’abattront sur nos hypothétiques générations futures
(universellement tuées dans l’œuf par le « planning » ) si on ne les
écoute pas.

Ce système universel, basé sur des hypothèses humaines et


sociales, des projections démographiques sur base de sondages
orientés, de rapports d’étude d’organismes indépendants
saucissonnés et cloisonnés en observatoires, laboratoires et
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autres instituts de conceptualisation humaine relative aux


différentes fonctions primaires qui caractérisent des sociétés
modélisées par d’autres labos, observatoires tout aussi
indépendants mais utilisant les mêmes critères (afin d’être
agréés), fonctionne sur la foi, sur la croyance irréfléchie que
l’imagination humaine de quelques-uns doit inventer le futur des
peuples de l’univers.

Tout cela devant être suffisamment résumé et clair pour être


assimilable par les auto-élus qui ont en charge la gestion de notre
vie.

« J’avais tout prévu…


sauf ce qui allait suivre »

Il va de soi que tout ce bazar est absolument impuissant à rendre


compte de l’ensemble de nos sociétés. A vrai dire, pas une seule
ne s’y reconnaît. Puisque ce système vit dans le futur, il est
utopique. Il est créé ex-nihilo sur la base d’une pensée unique
prêchée sur les ruines de nos mentalités qu’il vient auparavant de
maudire. Des civilisations entières, des peuples, nos gens qui
croient à d’autres valeurs, qui ont d’autres besoins, d’autres
modes de pensées sont alors considérés comme des pauvres
bougres qu’il faut aider à sortir de leur proto-préhistoire pour les
faire entrer dans la lumière de la raison évoluée. Le commerce les
sauvera d’une mort affreuse. Après le fiasco des prévisions sur la
bombe P (population), sur la paix, sur le travail, sur l’équilibre
11

social, on a eu droit au scandale des famines organisées, des


guerres alimentées, des quotas humains et autres sucreries…Les
pays du tiers monde ou d’Asie devinrent un laboratoire fertile pour
ces sauveurs de l’humanité.

Les proies sacrificielles

Nous nous sommes donc retrouvés la proie d’un système


impressionnant, universel, dépassant les frontières, allant même
jusqu’à obscurcir et ridiculiser notre passé et nos lois afin de ne
pas souffrir de concurrence dans l’enivrante autorité qui s’arroge
le droit souverain de gérer notre bonheur et celui de l’univers.
Arrachés de nos aspirations spirituelles, nous n’avons donc plus
rien d’autre à faire que de mettre de l’absolu dans nos loisirs et
petits bonheurs proposés en vente libre par les nouveaux
monarques mondiaux. Les puissantes loges de la mondialisation
avec leur conseil des «sages » leurs rameaux d’Olivier et leurs
douze étoiles, n’auront désormais plus qu’à s’occuper d’échanger
nos biens afin qu’ils se répartissent équitablement chez ceux qui
en feront la demande écrite ou qui solliciteront judicieusement les
Chimpanzé cherchant à médias. La World philosophie deviendra le nouvel évangile. Les
communiquer sa vision du monde mécontents se verront remettre entre les mains de psychologues
par des concepts abstraits.
assermentés pour qu’ils retrouvent la raison.

Afin de nous garder dans l’illusion de n’avoir pas perdu nos


racines, et devant le refus de certaines de nos grandes villes
européennes de se voir rasées pour leur plus grand bonheur futur,
on décida de classer nos reliques, là où elles se trouvaient. Isolées
du réel par leur ostentation exagérée et cernées d’autoroutes, tout
un chacun put voir ses « racines » exposées, disséminées sur tout
le territoire. Ultime pied de nez à l’histoire ou respect profond de
notre culture ? La sélection des « merveilles du passé » se fait
d’une manière tellement obscure qu’elle fait penser à une vaste
blague.
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On distilla donc un peu d’écologie et de patrimoine afin de ne pas


trop brusquer nos intelligences «non éclairées ». Cela permettait
d’enjoliver les ardeurs « novatrices » de certains penseurs urbains.
Les interventions se firent plus souples, en douceur, souterraines,
mais bien réelles. Et on obtint le résultat escompté sans trop de
mal. Nos villes furent consacrées en grande pompe à l’économie,
nos travailleurs au commerce touristique et nos habitants, à la
périphérie !

Le chaos adultère

Le bonheur devait donc être là, tout proche, mais on s’est rendu
compte que l’économie n’avait pas besoin de nous mais seulement
de notre valeur marchande que nous devions immoler pour être de
bons citoyens responsables. On exploita donc industriellement nos
corps et ses tranches d’âge pour en extraire l’intelligence, la
beauté, la sagesse, l’argent et le sexe. Car à quoi pouvions-nous
servir d’autre ? Après avoir nié l’existence du bonheur gratuit, il ne
nous restait que celui qui s’achète. On vit nos villes s’orner de
temples bancaires et de tripos mondains, distribués allègrement
selon des lois inconnues, et reliés entre eux par des voies royales ;
nos monts sacrés devinrent enjeux touristiques et nos cultures,
prétexte à la consommation. Nos symboles, notre histoire, notre
religion et tout ce que nous sommes, fut bafoué, pris pour la cause
de tous nos maux et on alla jusqu'à se demander à quoi on
pourrait utiliser nos églises et nos cathédrales, si ce n’est en
carrière d’art illustrant l’obscurantisme des pauvres gens
d’«avant » et de ce à quoi on avait échappé. On fut élevé à glorifier
les nouvelles espérances promises par l’économie de marché. On
nous relia virtuellement entre nous par des rites d’interconnexion
obscure au «village planétaire », on nous rebaptisa dans le stupre
et l’orgie afin qu’on soit « un » pour relever le «défi du futur ».
Mammifères tissant des liens sociaux
Dans notre catéchisme économique on peut lire qu’il n’y a pas
selon la culture du milieu d’autres noms sur terre dans le ciel et les enfers par qui l’homme
ne soit sauvé : € !
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La ville est alors devenue un vaste laboratoire-carnaval où plus


rien de cohérent ne devait exister. Puisque toutes les raisons qui
ont poussé nos anciens à urbaniser comme ils l’ont fait sont
perdues, incomprises, ridiculisées ou reléguées dans le camphre
d’un historicisme totalitaire, tout un chacun puise exotiquement
son inspiration dans son petit cerveau et y va de sa petite main
pour rajouter des emplâtres de n’importe quoi, n’importe où, en
rêvant secrètement qu’un jour viendra où leur œuvre sera
reconnue parmi les grandes idées novatrices urbaines de
l’humanité. On ne détruit plus, on crée à côté, on rafistole, on peint
en rouge, on plante du vert, on fait circuler des pingouins dans des
couloirs écologiques, on positionne au mieux les machines à sous
et c’est joli. Disneyland planifié à l’échelle internationale.

Les sentiers stériles

Dans ce décor, planté d’idées nouvelles et de concepts glanés aux


quatre coins du monde, la ville semble vouloir vivre sans nous. Elle
est devenue l’échiquier de groupes financiers internationaux et de
cerveaux mafieux. La lutte violente qui les oppose est faiblement
masquée par le vernis touristique. La ville profanée ne nous parle
plus car nous l’avons niée, méprisée, détruite et pillée. Dans un
sursaut de pitié, on l’a colmatée, on lui a ouvert sa poitrine à coup
d’explosifs pour la faire respirer davantage, on lui a greffé des
organes de singe, sans se soucier de ses structures millénaires, on
y a joué les Prométhées souverains, gentils écolos, sauveurs
masqués, à coup de philosophie, de béton, de plomb et d’emplâtre
de verdure… Mais avec notre propre profanation nous n’avons
plus rien à nous dire. La ville humaine, féconde, civilisatrice que
l’on connaissait jadis, est morte, puisque ce qui faisait sa vie est
profondément nié. Nous aussi ; privés de valeurs stables, de sens
et de culture, nous perdons tout sens critique et acquiesçons nos
nouveaux soudoyeurs. Nous n’avons plus d’enfants, non
seulement parce que notre stérilisation planifiée rend leur
Caneton suivant son maître
naissance impossible, mais parce que notre intelligence
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« extrêmement avancée » ne trouve plus de raison pour sa propre


existence…

Bref, on est mal Thérèse !

Le sens interdit

C’est à partir de ce constat qu’a germé secrètement ce qui allait


devenir les pages que nous lisons aujourd’hui. Le sens est-il
nécessaire ? Ne l’est-il que pour les faibles d’esprit ? Sommes-
nous des blocs de viande à occuper pour limiter les nuisances, ou
avons-nous une autre finalité ? Est-ce la solution de nous créer
dociles, éduqués avec une pensée unique ; orientée vers une
finalité commerciale pour ne rien gaspiller ? ; de nous sécréter en
nombre restreint pour assurer une occupation à chacun et garantir
le bien-être des végétaux ? Mais pour qui ? Sous quelles sombres
sélections, sous quels quotas ? A ces questions, qu’il était de bon
ton de poser dans les réunions intellectuelles du 19e S, lorsque
l’on s’essayait à repenser la morale humaine, le 20e siècle y a
répondu sans appel :

Oui, nous sommes de la viande. Oui, les villes sont des frigos chics
et les périphéries des poulaillers. Oui le monde est géré par une
gigantesque couveuse bienfaisante, rouge, qui attend nos œufs
pour nourrir le virtuel économique de glabres monarques. Dans
ces conditions, la question du sens n’a pas de sens, car les poules
ne pensent pas à ces choses là. Dès lors, ce mémoire célèbre
l’inutile. Car plutôt que d’étudier les moyens de parvenir à
améliorer le poulailler, nous posons la question du sens du
poulailler. Nous n’y répondrons pas valablement. Etant une poule
issue du poulailler, nous ne savons pas ce qu’il y a dehors car il
n’y a évidemment pas de porte de sortie prévue dans la couveuse.
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Sous l’écorce, la moelle

Cependant des traces subsistent dans nos villes. Comme si


quelque chose de juste s’y était déroulé autrefois. Comme si une
civilisation avait vécu, créé des hommes et des femmes entiers,
assuré le maintien de leur vie et de leur éternité, dans nos rues,
sur nos places et nos églises… Voilà qu’elles retrouvent un sens.
Anachronique toutefois, mais le sens est-il esclave du temps ? La
place centrale d’une ville, sa Grand-Place, peut-elle se retrouver le
nœud autoroutier d’un zoning industriel sans que tous ses pavés
ne crient vengeance tant que le blasphème ne soit retiré ? Cela
peut arriver, mais cela ne dure jamais longtemps. Le sens retrouve
vite ses droits. Car il existe une logique souterraine à l’implantation
de tous les bâtiments, des structures, des espaces et des
fonctions. Sinon, on créerait des sens et des justifications durables
Fruit de la Nigelle de Damas (Nigella
Damascena) en implantant des terrains de foot, des zonings, des virtual centers
et des blocs d’habitat selon des critères transpirés par les
intelligences du moment. Or leur sens n’a jamais duré plus
longtemps que la mode qui les a générés. Et on ne sait plus rien
en faire après (ex :Droixhe à Liège).

Ces traces que nous retrouvons dans nos villes, existent comme
des mini-enclaves d’on ne sait trop quoi, mais qui s’apparentent au
vivant. Ces points isolés sont absolument incapables de se
reconnecter entre eux pour recréer une vie car on leur a coupé les
bras et les jambes pour leur greffer sur les moignons juteux, des
touffes de persil et des aquariums qui ne prennent même pas, tant
le rejet est violent. De plus, ils sont cernés de toutes parts par le
chaos urbain, péri-urbain et post-urbain allant jusqu'au domaine
du pré-rural, dépassant le rural pour pointer dans le post-rural.
L’au-delà du post-rural n’étant pas encore défini, le chaos n’y a
pas encore de prise, mais la patience obtient tout.

Dès lors ces traces sont insensées. Elles n’ont de l’intérêt que si
on les frotte, les enjolive avec du fard, des parfums lourds et des
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onguents pour les prostituer au plus offrant. « Visitez son musée,


son cœur historique, ses promenades, ses vitrines magiques et sa
gastronomie ». A quand des publicités qui parlent de « vivez une
ville « vivante », savourez la joie de ses habitants, rencontrez des
gens heureux, admirez leur savoir-faire, leur bonté et leur
accueil ». Cette publicité ferait rire, on le sait. Nous râlons en
travaillant, nous nous ennuyons en nous reposant, nous nous
saoulons de petits plaisirs parce que c’est notre droit pour mourir
ensuite bien repus en répandant nos cendres aux gémonies dans
les fours crématoires réintroduits, parce que c’est plus digne et
plus hygiénique…La vaste farce dans laquelle on joue est
cependant encore obligatoire. Elle sert encore à planifier notre
territoire et notre espérance.

Une géographie sacrée

Quel est le secret des villes millénaires qui accueillent en leur sein
des dizaines de générations aux objectifs et pensées différents qui
ont toutes un sentiment d’identification et d’appartenance envers
elles ?

C’est à cette question que nous nous attacherons dans ce travail. Il


nous semble qu’il faille d’abord chercher à définir le sens à donner
au sens. Essayons d’abord la notion de sens partagé. Non pas un
sens fabriqué, imposé par une mode, une philosophie ou une
technologie nouvelle, mais un sens ressenti, accueilli, compris,
vécu, sans explications, sans théories ni concepts. Le sens du
ressenti. Le sens de l’identité ; le sens de l’histoire ; le sens de la
ville , de notre place en son sein ; le sens charnel de noces et
d’étreintes qu’on a vécues dans ses rues, ses places et ses
chapelles…Le sens des lumières de ses cours, des vues de ses
toits et de la danse de ses clochers dans le ciel sonore. Le sens de
Coupe d’une tige de Pesse d’eau l’animation de ses quartiers marchands et celui de l’humidité
(Hippuris vulgaris)
montante des chaudes journées de terrasses. Le sens du beau
visage des jeunes filles et celui du parfum des fleurs de
chèvrefeuille. Le sens, oui, celui du chant des merles le soir, près
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des sombres jardins publics tandis que le couchant s’illumine dans


le crissement des hirondelles…Le sens de la course des étoiles
au-dessus des nuques de la terre, des sources, des arbres et des
planètes.

Le sens ; le pourquoi du beau, du bien, du gentil, de l’agréable, du


bienfaisant, du vent et de la pluie, de l’ordonné, de l’orienté ; le
pourquoi de la pierre et la brique plutôt que le béton et le plastic,
le pourquoi de la colline plutôt que la plaine, le damier plutôt que
l’organique, la verticale plutôt que l’horizontale… Le pourquoi de
l’espace public, son sens. Le sens de la tour, du beffroi, du
clocher, du boulevard, celui du trottoir et des façades, celui du
parc et de l’étang, de l’usine et du marchand, du palais et de
l’église, de la maison et du jardin…Le sens inné, celui qui coule
dans nos veines et qui respire dans nos poumons…Le sens de
l’Homme profond, entier, libéré de ses interfaces technologiques
qui biaisent sa perception du plus splendide, lumineux, saint et
merveilleux univers qu’il nous fut donné de V I V R E.

Une clé mystique

Lorsque l’on perd le sens des choses naturelles, on en crée


Splendides digitales qui rient quand on leur parle…
d’autres en s’extasiant du sens merveilleux que ce nouvel objet
donnera à la destinée humaine. Découvre-t-on la voiture et hop le
sens des villes devient autoroutier. Découvre-t-on la poudre de
fusée et hop, l’avenir de l’humanité sera dans l’espace ;
l’ascenseur et hop l’altitude vitrée sera synonyme de bonheur
hygiénique . Découvre-t-on l’ordinateur et hop le monde se réduit
en un village global ; la pilule et hop la stérilisation deviendra
libératrice…Tous ces jouets fascinent car ils ont le parfum de la
nouveauté, de la fraîcheur, de la jeunesse, de la vie, de la liberté
…Et l’univers court derrière, en retournant les mondes et ses lois
pour se créer un tout nouveau terrain de jeu. Et chaque fois que
tout est labouré et que les cendres s’accumulent, on cherche autre
chose, plus brillant, plus neuf…
18

Et que se passerait-il si, plutôt que de découvrir des objets qui


déterminent notre futur, on découvrait l’être humain…être
humain ! Quelle merveilleux honneur !

Si c’était nous, la base de départ pour une nouvelle partie… Nous


seuls sommes inépuisables et ne passons pas de mode. Il faudrait
nous connaître alors ; d’une autre façon que nous a connus le
20éme siècle. Non pas à partir de dissection de cadavres, ni
d’études anthropologiques paternalistes et encore moins de
théorisation sociale de nos comportements, car toutes ces
connaissances utiles ont le parfum visqueux de la morgue et du
laboratoire.

Si nous cherchions à découvrir ce qui nous donne la certitude


d’être utiles, extraordinairement utiles, impérativement utiles aux
autres et aux mondes par la joie d’être ce que l’on est. On
s’emploierait alors avec gravité à redécouvrir ce qui nous fait être
humains, ce qui fait soudain notre bonheur, au croisement d’une
route, ce qui nous enchante lorsque l’on se dirige vers telle
direction, ce qui nous élève quand on se rend vers telle activité, ce
qui donne envie de voler bien haut et d’applaudir, de prier,
d’exploser de joie, de rire et de faire du bien…Voilà des activités
bien naturelles que nous partageons depuis des millénaires avec
nos prédécesseurs dans la vie et qui nous sont autant utiles que le
zoning de virtual-loisirs implanté judicieusement sur des axes
prépondérants en rentabilisant au maximum l’équation énergie-
temps-bénéfice.

Ces paroles pouet-pouet-bateau nous les disons de bon cœur, en


sachant que ces rêves de fillettes ne vont pas faire frémir la
cuirasse des lobotomisateurs de cités, et offrent peu de justesse
dans les enjeux des villes contemporaines. Peu importe, nous
plaidons pour le sens, à notre petite échelle, dans la limite de nos
connaissances et de nos questionnements. Et à ce titre nous ne
sommes pas isolés. Car tôt ou tard, les quelques pelés qui
n’auront pas été mis hors circuit par les «réseaux mondiaux »
19

devront se rendre à l’évidence : la « dé-sens-sification » de toutes


activités, l’automatisation orientée des besoins , l’image hystérique
des villes sans destinations humaines, sans autres raisons que de
servir l’économie et organisées pour asséner la vitesse, l’urgence,
le dépassement, la violence, la gloire et la dépression à ses
citoyens ; ces villes-univers, arènes obligatoires où la moindre
faiblesse devient prétexte de mort pour la guillotine des
évolutionnistes pour qui la « sélection naturelle » est un « outil
d’excellence » ; tout ce vacarme, cette montée du chaos planifié, ne
peut être de près ou de loin la solution au bonheur…
Blade Runner, film culte de Ridley Scott qui semble être le
modèle à suivre : la planification totale du passé, du présent et de Le bonheur, relique de l’obscurantisme ?
l’avenir, de l’espace, des besoins et des gens selon le seul critère
encore valable de l’harmonie entre l’homme devenu enfin
machine et ses machines… Le bonheur. Ce mot, devenu débile à force de l’avoir servi à toutes
les sauces au moindre vagissement monnayé de nos prostituées
sacrées télévisées, est bien ce qui nous manque le plus dans nos
vies d’extra-terrestres. Il n’est d’ailleurs plus du tout mentionné
dans les critères qui vont déterminer l’évolution des villes. Car
cette évolution, générée par l’urbanisme moderne, cette
machinerie qui s’orne du nom de science et qui règne sur le mon
dentier, ne peut pas«scientifiquement », sous peine de perdre toute
crédibilité, l’introduire dans ses calculs… Sa justification est tout
aussi impossible car le bonheur est difficilement « modélisable » et
incroyablement fuyant. Bref, il est une source de problèmes et la
ville n’a pas besoin d’un problème supplémentaire… A moins, à
moins de faire croire que le bonheur s’achète. Dès lors, il devient
un chiffre et peut alors être introduit dans les modèles urbains…
Les banques et les centres commerciaux deviendront des sources
de bonheur, de joie, de paix, et d’amour…

Nous autres, humains…

Le bonheur est simplement ce qui est humain et qui nous fait


humains, de la plus haute manière. Il ne vient pas des relations
avec des objets brillants que l’on multiplierait jusqu’à plus soif mais
avec des personnes, ces êtres de lumière…. Il suffit alors d’être
20

représentés dans la ville, d’avoir des ambassadeurs bien humains


qui iraient parler aux routes, aux plans, au béton, aux tunnels, aux
bureaux et aux banques pour expliquer qui nous sommes, notre
taille, nos mensurations physiques, spirituelles et amoureuses, nos
besoins d’espace, d’étoiles, de parfums, de forêts et de champs,
d’imprévus, de rencontre, d’extases, de prières et d’adoration,
d’amitiés, de gratuité, de musique et d’harmonie des formes et des
gens, d’histoire, de culture et de religion (de religere : relier à) ;
qu’on y ait une petite place, lisible, orientée, mystique, naturelle,
reliée aux temps et aux espaces et dont notre merveilleuse
histoire, sainte, sacrée, ininterrompue depuis les étoiles et les
vents de là-haut, serait notre plus belle couronne.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Qu’est-ce que l’homme ? Quels
sont nos besoins ? Nous avons vu que le XXème siècle y a répondu
à sa manière. Comment l’ont fait les autres siècles ? Quelle était
leur vision de notre finalité et quels moyens ont-ils mis en œuvre
pour organiser des villes cohérentes qui font vibrer notre âme
aujourd’hui ?

Quelque chose d’insaisissable…

D’aucuns diront que c’est le terrorisme religieux qui a orienté les


structures de la ville d’autrefois et que la cohérence des villes
n’était que le reflet d’une tyrannie étendue aux corps et aux
esprits. Les moyens employés par les anciens n’auraient donc
aucune pertinence dans le système politique dans lequel nous
sommes immergés. D’autres au contraire, prétendront que la
vision de l’homme y était plus vaste et en harmonie avec le monde
et les territoires intérieurs des habitants car la religion servait de
lien, et que de ce fait, la ville ne pouvait être que plus humaine,
puisqu’elle garantissait à l’homme l’accès à la connaissance du
Ville de Damas dans la cosmographie de « visible et de l’invisible », par l’utilisation de ses plus hautes
Ptolémée XVème siècle. facultés artistiques, spirituelles et amoureuses.
21

Ces dispositions intellectuelles paraissent bien éloignées de celles


d’un moderne. Il est clair que la ville d’aujourd’hui n’est pas faite
pour les gens du passé. Ce qui est moins clair, c’est que ces villes
du passé conviennent très bien aux gens d’aujourd’hui, vacanciers,
fortunés hommes d’affaires, pensionnés et autres maîtres du
monde. Cette curieuse « nostalgie », que l’on surprend chez la
plupart des gens vivant dans des villes modernes, pour les villes
traditionnelles mérite réflexion ; comme si elles répondaient à
quelque chose que la modernité ne peut, ou ne veut offrir, parce
qu’elle n’en soupçonne même pas l’existence.

Un collage multicolore

On a alors l’impression que la ville moderne est un mal nécessaire,


que tout le monde regrette, mais dont personne ne pourrait se
passer. On ne cherche même pas à la guérir ni à chercher la cause
de la plaie. On la crée malade, pour qu’on puisse la remplacer
sans remords dans l’après-midi, parce qu’un nouveau plan de
mobilité écologique veut y faire circuler des blaireaux et des
renards (nouvellement crées par insémination). Les villes,
d’œuvres collectives, deviennent alors des produits, juxtaposés les
uns aux autres, au gré des fantaisies financières et politiques de
quelques-uns. L’espace, désormais coupé du temps pour agir sans
contraintes historiques, reçoit ses formes sauvages par collages
successifs, sans autres relations entre elles que celle que la
pensée peut former après coup, pour justifier cette soudaine
« évolution-des-mentalités ». Cette technique correspond bien à la
nouvelle morale politique. On crée des lois sur des situations de
fait pour « accompagner » les dérives, et on supprime celles qui
prévenaient les dérives, en houspillant au passage les méchants
législateurs d’antan, et se félicitant des merveilleuses avancées de
la liberté.
22

L’église productiviste de la fin des jours

L’écrasante responsabilité qu’ont les politiques dans ce joyeux jeu


atemporel de divin planificateur ne serait pas si grave si c’était le
résultat d’une incompétence. Or c’est bel et bien volontariste. Ce
chaos a des règles et fonctionne selon des principes
philosophiques du type « la raison ou le chaos ». La raison étant
bien souvent la projection de ses propres désirs, vérifiés par
sondages. Le mythe productiviste à encore son clergé, ses lois,
ses églises et ses routes processionnelles. Elles étreignent le
territoire afin de l’échanger d’un point à un autre en un temps
record. On crée des infrastructures coûtant des milliards pour
gagner 15 minutes (quand la saison des migrations des crapauds
ne rend pas les rails glissants)…C’est donc bien une logique
planifiée qui est en route. Une logique sournoise, capable de faire
Train de rainettes augmenter d’une manière vertigineuse, chez ses propres gens, les
suicides, les haines, les dépressions, les dérivatifs de toutes
sortes, et de faire fuir ses habitants le plus longtemps possible et
le plus loin de ses propres villes idéales, organisées par ses
experts ès humanité, scientifiques de tous poils et grands
sondeurs savants 1

Ce mythe productiviste attend l’arrivée de l’homme nouveau, libéré,


auto proclamé maître de son destin. Ce mythe est intéressant en
soi car il permet de constater que l’homme même athée,
fonctionne sur des raisonnements mythologiques ou religieux. Mais
il est navrant dans les faits. Car cet homme nouveau qui est-il ? Le
gros ventru milliardaire assis sur ses banques ou le rigolo qui fait
péter des pizzerias et des écoles ? La logique individualiste a ses
limites ; l’organiser à l’échelle mondiale est une des plus
dangereuses tentatives mortifères que l’on ait imaginé jusqu’à

1 Cependant, nos savants répondront que c’est évidemment le bien-être qui pousse les citoyens responsables à s’évader, à s’accomplir par
l’exploration de domaines jadis interdits, et à trouver dans les dérivatifs, les suicides et autres, une sorte d’affirmation de soi, un acte fort pour sacrer
une existence librement choisie, etc…
23

présent. L’amour de soi jusqu’à la haine de l’autre est rentable


(avant d’être tué) mais est-il moral ?

Il est vrai que ce mot de « morale » est devenu horrible à nos


chastes oreilles. La propagande libertine y voit un ennemi de la
liberté. C’est pourtant ce qui supplée à notre absence génétique
de garde-fou, afin de vivre au mieux dans la société des hommes.
Bergson définissait deux types de morales : la morale « fermée »
qui produit des impératifs sociaux, contraint l’individu à des
automatismes et l’écrase ; et la morale « ouverte » qui s’incarne
dans des individualités supérieures et en fait des exemples.
L’absence de sens conduit à la première. La seconde ne peut
exister sans sens, car pourquoi suivre un exemple s’il n’y a pas un
but derrière ? Le sens est précisément le chemin qui relie le but à
l’action.

Sens et cohérences

On sent bien ici qu’il est nécessaire de définir au mieux ce qui


relève du domaine du sens et ses applications dans la vie et la ville
et ce qui relève de la cohérence urbaine. Le sens répond à un
besoin profond, dépassant la taille de la collectivité locale pour
plonger dans la question de l’identité vis-à-vis des autres, du
monde, de l’histoire et de sa finalité. Le Larousse le définit comme
étant la faculté de connaître d’une manière intuitive, d’apprécier.
C’est aussi la raison d’être, la signification d’une chose.

La cohérence ne réclame pas nécessairement de sens. Elle se


justifie par elle-même. Elle est liée à la vie sociale et agit en tant
que système d’organisation. Cette organisation peut puiser sa
cohérence dans sa logique de localisation, d’implantation,
d’optimisation fonctionnelle. Cette cohérence fonctionnelle peut
être associée à la cohérence physique pour se construire une
représentation de l’espace, identique à une « carte mentale » en
associant des repères qui situent des fonctions au sein du
territoire urbanisé. Il existe aussi une cohérence environnementale
24

qui organise les compatibilités structurelles et fonctionnelles


(échange, ensoleillement, énergie) afin de ne pas bousculer des
équilibres. Toutes ces cohérences sont impératives dans le
repérage que nous faisons du territoire dans lequel on « vit ». Elles
sont aussi garantes d’une saine gestion de l’espace. Sans elles,
c’est le flou, l’inorganisation, la planification du n’importe quoi, du
chaos, du néant…

Il existe encore une cohérence, c’est la cohérence sémantique.


C’est cette cohérence qui permet de faire le lien entre le passé et
le présent, entre les structures et les implantations nouvelles, et le
tissu nouveau. Cette cohérence garantit une « suite », une
continuité à l’organisme de la ville, une transmission d’espace au
temps. Elle vise les questions d’identité des groupes sociaux, de
leurs rapports entre eux, de leur finalité et des expressions
structurelles et formelles que le tout peut composer1.

Le sens est précisément ce qui harmonise les cohérences ; ce qui


les orientent dans une logique claire et lisible. Or le sens ne peut
être fabriqué, imposé. Il se fait connaître intuitivement. Il doit donc
L’homme et les cieux
posséder un langage, un vocabulaire qui soit compris sans
explications. Impossible dira-t-on ! Tout ce que nous sommes,
nous le sommes par acquis ! Or nous avons une base, un socle
commun que Jung appelait inconscient collectif. Cet inconscient
nous fait rejeter les structures illisibles et nous fait rechercher
celles qui sont sensées, qui entrent en harmonie avec nos
« structures intérieures ». Ce fait avait fasciné Platon et les
Pytagoriciens qui émirent l’hypothèse que notre âme se composait
de structures géométriques parfaites. Celles-ci vibraient avec celles
du cosmos mais se déchiraient lorsque le milieu, des bâtiments,
des musiques, des sculptures, des œuvres disharmonieuses
émettaient leurs énergies géométriques destructrices. La
cohérence entre les figures célestes et celles que l’homme créait

1 M. Collette
25

se devaient de correspondre. C’était de la plus haute importance,


l’œuvre « capitale ».

Contenu du travail

Nous avons vu que nos villes d’aujourd’hui sont organisées afin


que ni cohérences, ni sens ne viennent distraire les habitants dans
leurs tâches inutiles. Or nos villes présentent encore dans
l’implantation des composantes religieuses ou temporelles, des
schémas très clairs de « référence » à des mystères que leurs rues
et leurs places ont célébrés des millénaires durant. Ces structures
multitemporelles ont orienté le développement des cités que l’on
connaît aujourd’hui. Nous pensons aux tracés quadrangulaires
Romains, aux boulevards périphériques de nos cités médiévales, à
la texture calligraphique des villes islamiques ou aux
impressionnantes reliances mystiques qui règnent entre des
édifices de culte, des villes ou des régions édéniques. Cependant,
on ne sait plus pourquoi. A l’époque ou hasard et nécessité est
martelé dans la jointure souple du cerveau des petits jeunes, on
croit que églises, enceintes, rues et places sont jetés
spontanément au hasard du développement anarchique d’un
passé ténébreux. D’autant plus si on louche sur la mentalité
profondément religieuse de nos anciens avec nos yeux
désenchantés et repus de films-bateaux véhiculant des idéologies
commerciales.

Nous allons alors faire une visite chez nos amis d’autres temps et
d’autres espaces, pour discerner un peu ces cohérences qui
offrent de la ville, une lecture claire, logique, en parfaite harmonie
avec les territoires imaginaires de ses habitants. Nous verrons
qu’elles peuvent se faire structure, volume, chemin, écriture, danse
ou chant….Elles ont toutes un point commun, elles sont
génératrices de sens. La cité est alors un tout parfaitement lisible
dans ses moindres détails. S’y promener devient un phénomène
familier car elle est l’image de notre propre fonctionnement. Nous
tacherons de soulever dans ces villes, la robe qui les recouvre
26

d’une texture physique, pour accéder à la vision des forces qui en


ont assuré le développement des centaines d’années durant. Nous
avons cru nécessaire de situer notre travail dans un contexte
historique assez large. La simple période moderne aurait put offrir
des exemples suffisants et nous en donnerons quelques-uns, mais
cependant les villes qui composent notre environnement
d’aujourd’hui viennent bien souvent de plus loin, de ces régions du
temps que nos historiens qualifient d’obscures et de sauvages,
dégoulinant de barbaries et d’ignorance mais que notre cœur ne
peut s’empêcher d’embrasser en souriant.

L’objectif de ce mémoire sera donc de susciter une réflexion quant


à la pertinence de donner du sens aux structures que l’on met en
place, aux implantations, aux fonctions, bref, à toute création
humaine, pour encadrer d’harmonie, de paix et de justesse, les
gens qui nous font confiance dans notre rôle de créateur
d’espaces humains. Car si nous sommes humains, pourquoi se
priver de la joie de « fonder » des événements, des structures , des
espaces avec toute la cohérence requise, pour les faire chanter
avec le passé, la mémoire, les hommes et la Vie ?

Plan du travail
Nous répartirons notre propos en trois chapitres. Identité
/Expression /Actualisation. Le premier nous introduira dans une
réflexion quant à notre identité profonde d’« êtres » créateurs,
avec les implications spirituelles et les possibilités de lectures
sémantiques qu’elles offrent à nos belles intelligences citoyennes.
Le second nous permettra de redécouvrir certains principes
indispensables à la bonne marche vivante des villes et nous
permettra d’explorer le réel pour en condenser les forces
créatrices. Le troisième nous portera à confronter la réalité
d’aujourd’hui et l’aspect symbolique du territoire humain, pour en
dégager les possibles lumières. Nous n’avons pas pu résister à
l’envie de parsemer ce texte, de référence avec notre cité fétiche,
Liège la belle, celle dont l’identité est plus forte dans le cœur que
dans la pierre…
27
28

Chapitre 1 : Identité
« Ce n’est pas l’intelligence qui parvient à saisir la vie,
c’est l’intuition ou sympathie par laquelle on se transporte
à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a
d’unique et par conséquent d’inexprimable. »
Bergson

« Malheur à l’homme qui ne voit dans la Loi que de simples


écrits et des paroles ordinaires ! Les récits de la Loi sont
les vêtements de la Loi. Malheur à qui prend ce vêtement
pour la Loi elle-même. Les simples ne prennent garde
qu’au vêtement. Les instruits font attention au corps qui
l’enveloppe. Les sages voient la Loi elle-même… »
Zohar
Introduction

lus on remonte dans notre histoire humaine, plus on est


confronté à des récits de combats entre les fils du ciel et
de la terre. Ces récits, qualifiés de « mythe » par nos
historiens, nous racontent tous la même histoire. C’est un peu
comme si nous faisions partie des familiers des êtres de mystère
qui séjournaient dans les domaines de l’au-delà, puis, après un
terrible événement, nous nous sommes retrouvés errant sur la
surface des choses, où nous tentons de retrouver nos géographies
disparues, nos villes oubliées, nos habitudes d’enfant-dieu, frères
de sang d’anges et de démons … nous tentons alors
désespérément de retrouver le ciel, en le fixant, l’organisant, et en
29

nous en servant comme aide-mémoire pour ne pas oublier ses


jardins, ses îles et ses parfums. Dès lors notre architecture aura
une autre échelle, notre urbanisme une autre fonctionnalité, et son
implantation, une autre destination…Nous reproduirons les
étoiles, tracerons des voies aux esprits, créerons des montagnes
pour y immoler nos plus belles jeunesses, nous nous fortifierons
par des murs magiques aux épaisseurs fantastiques, aisément
franchissables aux hommes mais épouvantables et opaques aux
légions de démons. Nos temples auront l’échelle des anges et des
dieux, terribles et redoutables comme les régions de pure lumière.
Nous ne pourrons y accéder que si nous sommes redevenus
lumière par rite et sacrifice… Toute une architecture inédite
s’implantera sur des points particuliers à la surface du globe,
comme pour tenter de fabriquer un monde inconnu et
profondément hors-naturel1 et cependant bien présent dans notre
inconscient collectif.

Des huttes en pagaille pour nos corps, des temples en pierre et


des routes pour nos esprits. Aucune civilisation n’aura de sens et
n’aurait pu voir le jour sans cette prise de conscience.
L’importance capitale de garder des traces de l’enseignement des
dieux et des voies qui mènent à garder sa vie sauve lors du
passage de la mort pour les futurs vivants du monde s’est traduite
dans l’Urbanisme et l’Ecriture.

Les commandements des religions seront autant de clefs ouvrant


les portes célestes pour ceux qui les pratiquent. Il sera donc de la
responsabilité inouïe du « prêtre » de garder, d’enseigner et de
perpétuer ces cartes aux trésors . Les cités religieuses d’Angkor
Vat, de Borobudur, de Lhassa, de Téotihuacan en sont des
exemples parlants. Elles sont l’image, la représentation fidèle de la
cité mère et immortelle que retrouveront les fidèles après la
purification que permet leur séjour terrestre. Ces villes ne feront

1Par hors-naturel nous ne voulons pas dire extra-terrestre, car l’espace et les planètes sont aussi le monde physique de la nature. Nous parlons du
monde sacré, intimement lié au profane mais cependant distinct par la frontière des « sens souillés » ou non purifiés qui empêchent de le saisir
directement. Les morts , les dieux ou les ancêtres se chargent de nous en tracer les contours…
30

cependant pas l’objet de notre discours. Il ne pourrait être


pertinent d’ici et aujourd’hui. Nous les citons tout au plus pour ne
pas perdre de vue qu’elles restent un témoignage vivant de notre
impressionnante finalité.

Pagan et Lhassa
31

Aujourd’hui…

Selon la douce cosmogonie moderne, la civilisation et les religions


ne sont pas d’origine divine ou extérieure, mais résultent d’une
mutation biologique, survenue par hasard, qui permit le passage à
la position debout avec les changements capitaux qu’elle entraîne.
Elle ne s’est produite que pour l’homme. Le crâne devint
progressivement sphérique, plus gros, et s’équilibra à partir du
trou occipital, ce qui permit un nouveau développement cérébral et
guttural. Ne servant plus à la locomotion, la main se modifia : le
pouce devint opposable aux autres doigts. L’utilisation de l’outil se
chargea de complexifier nos connexions neuronales1. Nous
commençâmes alors à penser, parler, fabriquer, prier. Le facteur
culturel prit alors le pas sur le facteur naturel. L’Urbanisme naquit
alors pour pallier aux carences hygiéniques et sanitaires que
Futurs penseurs urbains et écrivains ?
l’entassement des cabanes engendrait. L’Ecriture quant à elle
débuta lors de comptages de troupeaux et de recensements
humains. Elle se développa, se précisa par la suite, pour arriver
aux romans photos d’aujourd’hui.

Quelle que soit la qualité du sourire que nous procure la lecture de


ces mythes anciens et moderne, chaque société se crée des
origines et se compose une histoire pour coller avec l’idéologie
que le pouvoir désire mettre en place. Ce cadre idéologique sert
ensuite de repère pour gérer les esprits et orienter les
intelligences. Pour pouvoir être vécues, ces sociétés doivent alors
s’incarner dans un cadre physique structurel, qui en permette les
différentes activités sur le territoire, tout en préservant l’idéologie
en place. Elles doivent aussi établir des formes qui ne se
rapportent pas à l’individu mais à la collectivité, afin de composer
un corps reconnaissable, identifiable par chaque habitant. Ce corps
possède une expression propre, particulière à chaque « terre » qui
l’a vu naître.

1 L’outil aurait donc existé avant l’intelligence qui permet de le fabriquer ! !


32

Si cette structure est dépourvue de sens, de signification profonde,


alors elle n’est pas utilisée à bon escient et devient un « outil »
impropre à qui que ce soit. On y vit, on y loge, mais d’une manière
qui rappelle celle des lapins et des vers à soie. Un sentiment
d ’«errance » imposée, de situation de « survie » sur une terre
ingrate et étrangère nous envahit, et nous dispose à toutes les
sortes de déviances tribales et territoriales.

Nous postulons donc avec vigueur que l’on réinvestisse le champs


abandonné des territoires intérieurs de l’homme, afin de les
réintroduire dans les terres vidées et saccagées du monde. Mais
cela ne va pas sans se poser de sérieuses questions quant à la
pertinence du réensemencement symbolique. Et si le symbole et
l’image qui en est l’expression étaient des débilités rassurantes
pour esprits immatures ? ou bien au contraire, s’ils étaient le
chaînon manquant qui nous relierait à Nous-Mêmes ?

Bref, nous nous voyons obligés de nous intéresser de près à cette


terre féconde et universelle et de reconsidérer techniquement la
pensée traditionnelle, magique ou instinctive. Car si de
nombreuses études sur la psychologie des profondeurs et des
abysses universaux nous mettent devant les yeux des mécanismes
symboliques récurrents, nous sommes encore loin de les avoir
acceptés et intégrés dans l’application de la vie de tous les jours.
33

1. Images et symboles

« Les images sont par leur structure même multivalentes.


Si l’esprit utilise les Images pour saisir la réalité ultime des
choses, c’est justement parce que cette réalité se
manifeste d’une manière contradictoire, et par conséquent
ne saurait être exprimée en concepts. C’est donc l’image
comme telle, en tant que faisceau de significations, qui est
vraie, et pas une seule de ses significations ou un seul de
ses nombreux plans de référence. Traduire une image
dans une terminologie concrète, en la réduisant à un seul
de ses plans de référence, c’est pis que la mutiler, c’est
l’anéantir, l’annuler comme instrument de connaissance. »

Mircéa Eliade in Images et symbole, Gallimard, p 18

« C’est ainsi que les architectures anciennes étaient pleines


de significations cosmiques et de représentations
symboliques, tandis que nos constructions contemporaines
dans leur majorité sont si pauvres de sens et ne tendent
plus qu’a exprimer les seules fonctions pour lesquelles
elles ont été conçues sans plus qu’aucune ambition sacrée
n’anime ses constructeurs. Elles rejoignent ainsi
L’arbre de Vie, l’Yggdrasil dans une représentation de
l’impitoyable justesse et l’inhumaine insignifiance des faits
la mythologie germano-nordique. naturels. »
Etienne de Berthier

« L’harmonie invisible vaut mieux que celle qui est visible »


Héraclite
a) Un besoin fondamental ?

fin de bien cerner le but de notre discours, nous devons


nous demander ce que représente le symbole ou l’image
symbolique dans notre vie de tous les jours. S ‘oppose-t-
elle à notre représentation scientifique du monde, la complète-t-
elle ? Car ce que nous recherchons dans ce travail, c’est de
débusquer le « sens » des choses du quotidien et des grands jours,
34

afin de leur donner un cadre dans la ville. La vérité scientifique a-t-


elle un sens ? si oui lequel, sinon celui d’être scientifique, le cercle
est clos. Le sens doit donc être recherché ailleurs.

Qu’y a-t-il de logique à placer le bureau du directeur en haut d’un


immeuble, alors que c’est l’endroit le plus défavorable (sécurité,
accès, contacts,…).Pourquoi vouloir à tout prix créer une cité
financière en verre, alors que c’est le matériau de l’insécurité et de
la fragilité ? Pourquoi regroupe-t-on les banques côte à côte au
centre des villes en laissant le reste quasi inservi. Pourquoi les
cités verticales de logements entrent fréquemment en ébullition
alors que les cités horizontales s’embourgeoises de plus en plus ?
Que nous apportent le vent, l’eau la terre et le feu ? Si ces
questions nous effleurent c’est que nous sommes pétris, et bien
plus que la farine dans le levain, de réflexions symboliques qui
alimentent et gèrent notre quotidien.

Notre désacralisation ininterrompue depuis un siècle a altéré le


contenu de notre vie spirituelle, mais n’a pas brisé les matrices de
notre imagination : « tout un déchet mythologique survit dans des
zones mal contrôlées. » le mythe du paradis perdu survit dans les
vacances que l’on se paie bien loin, le mythe de l’homme parfait, la
nostalgie de l’unité primordiale, le désir d’abolir les opposés, le
mythe du mystère de la Femme et de l’Amour, du trésor enfui etc.
Tout cela se retrouve partout mais o combien sécularisé, dégradé
et maquillé (pornographie, lotto, drogue, cinéma…) car on les
subit de l’intérieur sans en connaître le sens. Tout au plus a-t-on
quelques idées toutes faites sur le sens de la vie, la réalité ultime,
alimenté par quelques réminiscences livresques ou scolaires et une
bonne dose de préjugés de cafetiers d’ordres divers (religieux,
moral, social, esthétique, etc.) Rassuré de connaître à fond tout le
sujet, on s’en va heureux de savoir qu’on a dépassé tout ça.

Cependant, « la pensée symbolique est consubstantielle à l’être


humain : elle précède le langage et la raison discursive. Les
images, les symboles, les mythes ne sont pas des créations
35

irresponsables de la psyché ; ils répondent à une nécessité et


remplissent une fonction : mettre à nu les plus secrètes modalités
de l’être. Par suite, leur étude nous permet de mieux connaître
l’homme, l’ »homme tout court », celui qui n’a pas encore composé
avec les conditions de l’histoire. »1

Ces conditions de l’histoire sont les modes, les nouvelles


philosophies ou mentalités, composées à la hâte pour avaliser des
lois, vendre des produits ou se faire élire. Ces leurres nous font
progressivement entrer dans un monde de rêves, virtuel, utopique,
progressiste et eugéniste, détaché de toute référence historique
ou sociale, et libre de toute contrainte humaine, morale ou
religieuse.

Connaître les mythes, les symboles et les histoires saintes n’est


donc pas une perte de temps. Ils peuvent être du plus haut intérêt,
puisqu’ils nous parlent de notre fonctionnement interne, de notre
moi profond, celui là même qui est victime du génocide moderne.

b) Vocabulaire

Entre les ailes de la poule féconde


« Comme tu le sais, Liège, doucement soulevée à l’ouest
par des coteaux que ne surplombe aucune éminence,
soulevée aussi par les deux collines de Publémont qui, sur
son échine sans hardiesse, abrite quatre communautés
régulières, cette ville, dis-je, souplement dessinée par
cette double colline, recueille ainsi sous ses ailes,
réchauffe et nourrit ses enfants, comme une poule qui
protège ses poussins, et elle les conduit, les éduque et les

1 Mircéa Eliade in images et symboles, Ed. Gallimard


36

instruit dans tout ce qui concerne la vie civile et les


mœurs, et elle ne souffre pas qu’il manque quelque chose
qui puisse assurer la richesse ou modérer la disette.
Contribue aussi, avec charme, à la sécurité du site et à son
enrichissement, par son cours sans brusquerie, la Meuse
aux deux branches, sans conteste le fleuve le plus
remarquable de notre Belgique. Ses flots généreux
procurent en abondance des poissons tant aux citadins
qu’aux habitants du pays ; la Meuse se prête au trafic des
marchandises les plus variées et on peut l’utiliser pour
toutes sortes de commodités…Nos faubourgs possèdent
aussi, de tous côtés, des jardins de légumes à l’odeur
agréable et des forêts d’arbres rougeoyant légèrement.
Mais quant à nos vignes, Bacchus, étendant les ceps vers
d’autres régions plus fertiles pour lui et répandant
seulement quelques plants, n’y a pas mis la dernière
main. »1

Dans toutes les cultures du monde, nous avons souvent associé


les animaux et leur caractère avec des concepts difficilement
traduisibles en langage verbal. Le zodiaque universellement utilisé
en est un exemple. Lorsque notre ami Gozechin nous parle de
Liège, comme d’une poule, nous ne pensons pas à dire que cette
vision simpliste et ancienne ne correspond pas à notre façon de
voir le monde. On comprend très bien ce qu’il a voulu exprimer.
L’image de la poule ouvre une variété insoupçonnée de
significations, d’impressions, venant soutenir et colorer d’une
manière exquise la subtilité de sa pensée. De la même manière,
lorsque notre Seigneur nous dit qu’il nous aime à la façon d’une
A peine est-il sorti de l’œuf que le poussin se poule qui protège ses poussins sous ses ailes, on ne l’imagine pas
précipite en faisant « cui-cui » contre le corps avec une crête en poussant des cots-cots puérils, mais on imagine
chaud de sa mère la poule : là il peut se sécher un dévouement,
A une attention, une bienveillance toute remplie du
et se reposer en sécurité.
doux duvet pmaternel.
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1 Gozechin, chancelier de l’évêque de Liège Théoduin, écolâtre de la cathédrale, directeur de l’école de Mayence écrivant à son élève Walcher.
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37

Le bestiaire de l’alphabet intérieur

Ce mode d’expression, nous l’utilisions sur toute la planète avant


l’apparition de la fragmentation des connaissances. Le langage
analogique a en effet cette incroyable faculté d’exprimer une idée
avec l’expérience vécue de l’auditeur. Il suffit simplement de laisser
parler l’image avec toutes ses significations et les impressions que
l’on a pour qu’en découle petit à petit une richesse extraordinaire.
Cette tradition nous est néanmoins restée sous la forme de la
poésie, que personne aujourd’hui ne soupçonne d’être un
enfantillage d’une époque pré-freudienne et superstitieuse. Sans
connaître les mœurs du gibier africain, on est séduit lorsqu’une
demoiselle apparaît comme une gracieuse gazelle.

La religion fut un merveilleux terreau pour l’analogie, car les


mystères de la nature profonde de l’homme et de l’univers visible
et invisible ne pouvaient, sans devenir une rhétorique rebutante,
être accessibles que par elle. En Egypte, nous représentions le
dieu Amon sous la forme d’un bélier, premier des animaux du
zodiaque, celui qui ouvre la voie et montre le chemin. Depuis le
Golgotha, le Fils de Dieu est un agneau égorgé, victime sacrificielle,
qui conceptualise à merveille le Mystère de la Rédemption.
L’Adoration de l’Agneau Mystique n’est donc pas une forme
L’agneau, les brebis, le bélier sont des d’animisme égyptien ou de chamanisme visant à incorporer l’esprit
images récurrentes des religions ou Dieu est de l’animal, mais un hommage sensible et poétique à l’Etre qui s’y
un dieu de Lumière.
identifie. R.A Schwaller de Lubicz nous rend bien l’idée lorsqu’il
dit :

« La forme passagère, illusoire quant à la valeur que nous


lui accordons, ne l’est pas en tant qu’incarnation d’un
Principe Abstrait ou d’une possibilité de fonction. »

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Nous touchons là, la vision du monde des cultures non-laïques.

Une vision profondémenta poétique, où les fonctions de Dieu, de
l’homme et de la natureg sont conceptualisées en autant de choses,
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de personnes et d’attributs
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que le ciel est peuplé d’anges et de
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38

démons. Le zodiaque, les animaux mythologiques ou les éléments,


sont des clés de représentations de systèmes plus complexes que
la poésie et l’analogie rendent palpables sinon compréhensibles.1
De cette manière, rien, dans le ciel et la terre, n’est gratuit,
dépourvu de sens. Tout est lisible. L’apprentissage est ici la vie de
tout un chacun. Dès lors, on n’est plus obligé de masquer les
étoiles, d’ignorer la course des planètes, du soleil et de la lune, de
jeter aux oubliettes la nature sauvage, le silence et la nuit, et de
refuser l’existence de ce que l’on ne veut ou de ce qu’on ne peut
pas connaître ou qui ne nous intéresse pas, pour nous croire chez
nous, car, par l’analogie, l’univers entier, la cité et la vie,
deviennent notre propre expérience mystique, et nous situent dans
un monde orienté sur nos propres schémas de pensée qui
s’expliquent avec bienveillance.

« Tu trouveras plus dans les forêts que dans les livres ; les
arbres et les rochers t’enseigneront des choses qu’aucun
maître ne te dira. »
Saint Bernard de Clairvaux

Ainsi, en Orient, nous cherchons à avoir la tortue noire au Nord et


le phénix rouge au Sud ; le tigre blanc à l’Ouest et le dragon d’azur
à l’Est. Indous, nous veillons à ce que la tête du Vastu-Purusha
reste bien fixée au Nord-Est, et en Amérique centrale, c’est à
l’endroit où l’aigle dévorera le serpent que nous bâtirons notre
cité. Celtes, nous nous implantons sur les lieux fréquentés par la
wouïvre, car elle unit les forces souterraines aux grands courants
Ce mandala du
célestes. Chrétiens, c’est la géographie du jardin d’Eden et la
vastu-purusha Jérusalem céleste décrite par l’Aigle de Patmos qui font nos délices
permet de « caler » et notre modèle de cité. Guerriers, c’est le soleil rouge et son œil
le tracé directeur
des constructions aux multiples rayons qui galvanise notre âme et notre espace,
sur l’empreinte tandis que Colonisateur, c’est l’ordre et la sécurité du damier-filet
sacrée… qui nous sert à ancrer notre pays dans les ténèbres des régions

1C’est aujourd’hui les mathématiques qui jouent ce rôle. Elles postulent le big-bang, déterminent les plis d’un drap mouillé, et s’enveloppent de sons
pour jouer les harmonies des sphères…Malheureusement leur langage obscur est peu accessible et le sens est bien peu présent…
39

barbares. Mercure, Saint-Michel ou le Sacré-Coeur occuperont les


collines du Nord et Vénus, Isis et Notre-Dame seront près des
eaux. Le soleil se lèvera dans l’axe de la voie du décumanus
maximus, pour trôner dans celle du cardo. Ainsi fixée
géographiquement et théologiquement, notre cité terrestre pourra
être mère.

Selon la prophétie du dieu Huitzilopochtli, les Le tigre blanc et le dragon d’azur sont des concepts représentant les polarités Yin et Yang.
aztèques nomades devaient cesser leurs migrations Le bâtisseur repérera dans l’environnement naturel, les formes du relief qui manifestent cet
et fonder une ville à l’endroit où ils verraient un aigle équilibre dynamique.
posé sur un cactus dévorant un serpent. Mexico fut
bâtie à cet endroit, au milieu d’un marécage.
40

c) Science et conscience

« Ce qui est bas est comme ce qui est haut et ce qui est
haut est comme ce qui est bas, pour faire les miracles
d’une seule chose. »
Hermès Trismégiste

« Le soleil a la largeur d’un pied d’homme »

Protagoras (env. 450 av. J.C)

« Dans les chapitres qui viennent, je rencontrerai l’hostilité


des physiciens, parce que j’ai déduit les propriétés
naturelles des planètes des réalités immatérielles et de
figures mathématiques ; maintenant je vais même oser
rechercher l’origine des cercles à partir de la simple
imagination de certaines intersections. Aux physiciens je ne
veux faire que cette brève réponse : puisque Dieu, le
créateur, est esprit et fait ce qu’il veut, rien n’empêche
qu’il n’ait regard à des réalités sans matières où qui
n’existent que dans l’imagination pour répartir les
puissances et tracer les cercles. »

Johannes Kepler in Le secret du monde, chapitre XI

De l’autre coté de l’erreur…

Peut-être sommes-nous un peu surpris de parler de zodiaque,


d’âme et d’éléments à une époque où les universités européennes
auraient dut célébrer l’abolition de ces hérésies. Cependant, force
est de constater que cette vision est encore bien vivante dans nos
sociétés qui voient le monde avec leur cœur et leurs yeux. Les
outils qui déterminent notre vision moderne du monde, ont acquis
une certaine crédibilité parce que rien d’humain ne venait troubler
les mesures. Serait-ce parce que l’homme est l’erreur ,que sa
vision naturelle à moins de valeur que celle de l’outil (artificielle) ?
Faut-il que notre vision naturelle se moule sur celle de l’outil pour
41

voir le monde réel tel que l’outil le voit ? Ou bien le réel n’est-il
accessible que par l’homme et serait invisible à l’outil? Bref, toutes
ces questions que l’on ne se pose pas sont nécessaires pour
situer la « vérité » dans son contexte historique, car elle n’existe
pas indépendamment d’un langage pour la décrire1. Nous
revenons au vieux débat qui opposerait foi et raison. Ce n’est pas
le lieu d’en débattre ici, tout au plus en cernerons-nous la
pertinence.

Ce dualisme foi/raison vient de l’hypothèse philosophique posée à


l’époque par les rationalistes qui déclaraient que toutes les
qualités et perceptions sensorielles (son, couleur, chaleur, etc.) se
situent dans le sujet, et qu’en dehors de ce sujet, rien de
correspondant n’existe. En d’autres termes, ce postulat indique
qu’il existerait une réalité physique indépendante des perceptions
sensibles, qu’il faut chercher au moyen de concepts comme les
mathématiques, les outils, et autres instruments neutres…Cette
réalité scientifique serait la seule crédible, la seule véritable, la
seule objective.

Or comme le dit Rudolph Steiner dans un article « Goethe et


l’illusionnisme scientifique », « (…)cela n’est pas une pensée
logiquement conduite, et c’est en cela qu’on est devant une demi-vérité.
On trace une frontière en plein milieu de ce qui est perceptible par les
sens et on déclare qu’une partie est objective et l’autre subjective. » Car
il est bien clair que les outils ne donnent de réponses que dans le
monde sensible car c’est le seul monde où nous y avons des
perceptions, où nous existons. Ce qui est déclaré subjectif est bien
souvent ce que l’on ne parvient pas à modéliser en termes d’outil
et d’équation. Mais cette inaptitude à cerner cette région du
monde perceptible n’est pas une preuve de non-existence.

1 et la langue n’est pas plus à même de décrire la vérité qu’elle ne l’est pour décrire l’Amour ou la Joie, notions religieuses pour les religions du Verbe
(Jésus, le Verbe de Dieu dit en effet : Je suis La Vérité et La Vie)
42

L’épreuve des preuves

Quoiqu’il en soit, toute mesure est muette. Il faut l’interpréter. Les


théories du Big Bang par exemple, sont vérifiées par des
interprétations de chiffres, de formules, de traces, mais ne sont
pas des « preuves » de vérité dans le sens judiciaire du terme. Les
divergences d’interprétation de mêmes phénomènes, vues sous
l’angle quantique ou relativiste ne sont toujours pas réglées, même
si chaque théorie fonctionne admirablement dans des échelles de
grandeur qui leur conviennent. La grande théorie unificatrice n’est
pas encore au point. Les preuves, on les recherche toujours après,
afin de prouver la validité de la théorie postulée auparavant par
intuition. Dès lors, notre vision moderne du monde reste valable
sous réserve d’être discréditée lorsque des moyens techniques
plus avancés par le financement de projets scientifiques orientés
par les politiques du savoir prouveront le contraire. C’est pourquoi
la foi d’un Einstein, d’un Kepler, etc ne troublait en rien leur
recherche scientifique. La foi et l’intuition, vérifiées dans le temps
par la science étaient à la base de leurs découvertes fulgurantes.

« Le plus beau sentiment qu’on puisse éprouver est le


sens du Mystère. C’est la source de tout art véritable, de
toute vraie science. Celui qui n’a jamais connu cette
émotion, qui ne possède pas le don d’émerveillement, ni
de ravissement, autant vaudrait qu’il fût mort : ses yeux
sont fermés »
Albert EINSTEIN

Nous voulons dire par là que la séparation des deux « lectures » du


monde n’est pas nécessairement gage d’une plus grande vérité.
La joie de la connaissance pure ne peut être maintenue dans des
domaines dits « porteurs ». Elle est débordante, jeune, vierge,
nouvelle, friponne et se faufile là où la bienséance raisonnée,
raisonnable, n’oserait y mettre le scalpel. Les recherches et
expériences effectuées pendant des millénaires par des
brahmanes, bouddhistes, chrétiens, prêtres shinto, musulmans ou
juifs pour cerner plus correctement les territoires de l’âme, de
43

l’esprit et de la matière, sont passées sous silence par nos


brontosaures mécaniques, ainsi que l’immense domaine des
« révélations » qui ont mené les civilisations à nous construire tels
que nous sommes, là où nous sommes.

Le trèfle stratégique

Afin d’établir cette hégémonie de la vérité, nous avons scindé la


Science -dans sa forme initiale (histoire naturelle) dans laquelle
nous observions et notions toutes les manifestations naturelles du
monde- en trois domaines plus ou moins distincts : la biologie, la
chimie et la physique. Puis, on conçut une méthodologie consistant
à décomposer entièrement un objet ou phénomène, à en étudier
les éléments constitutifs séparément, puis à réunifier ces éléments
pour comprendre l’objet. Cette stratégie est typiquement
occidentale (européenne). Disséquer les morts pour comprendre
les vivants. Il va de soi que cette vivisection de la réalité ne permet
pas d’aborder les fonctions supérieures de l’homme vivant ou de la
nature « joyeuse ». En isoler une partie, fausse toute la perception.
Tout au plus perçoit-on notre corps comme une machine très
complexe, que l’on peut soigner en agissant sur les parties
défaillantes, comme un jeu de mécanique biologique de causes à
Les nadis, canaux énergétiques de l’homme et effets.
de son atmosphère (aura) où circule le prana
d’après la « science » ancienne de l’Inde. Mais cette méthode ne permet pas d’effleurer les questions comme
l’accumulation et l’intégration de l’expérience, le fonctionnement de
l’intuition, l’émotion artistique ou les facultés dites paranormales,
et autres manifestations « inexpliquées »…Les sciences
traditionnelles chinoises ou africaines fondées sur le vivant, ont
des mécanismes très peu connus des occidentaux, car ils
n’apparaissent pas sur les cadavres de singes ou les souris de
labo.
44

L’idée de l’esprit

C’est pourtant bien cette réalité totale qui nous intéresse, la réalité
pensée, vécue par le seul fait que nous, hommes, sommes
hommes et de surcroît vivants. En effet, chaque perception du
monde n’existe pas en tant qu’observation neutre. Notre esprit lui
imprime une signification qu’il tente de rattacher à d’autres
observations pour créer des liens et « organiser » les informations
en une idée cohérente qui serait précisément celle de l'objet.

« (…) Si nous observons une chose, la forme que nos


sens nous révèlent est illusoire parce qu’elle est relative à
nos perceptions imparfaites ; mais quant à la forme
causale ou Idée de la chose, cette forme est en soi-même
une réalité. »
Her-Bak disciple »R.A .Schwaller de Lubicz

L’esprit cherche partout à dépasser la succession des faits


telle que la simple observation la lui propose, pour accéder
jusqu’à l’Idée des choses. La science commence
précisément là où commence la pensée.
Rudolph Steiner

Les observations indépendantes ne le sont donc pas. Elles seraient


tout au plus un maillon se situant dans un processus d’explication
du monde, selon le mode de pensée sur lequel se structure
l’expérience. L’approche moderne et l’approche traditionnelle ne
sont différentes que dans l’identité de l’observateur. A la question
moderne : « Comment est le monde objectif, dégagé de toute
subjectivité et superstition ? » , l’Ancien pose: « Quel rapport lie à
moi-même le monde sensible qui m’apparaît ici ? Qu’est-il vis-à-vis
de moi ? ». C’est ce « moi » qui différencie les deux approches. Non
pas un moi fabriqué, imaginé, utopique, démiurge, qui se
supposerait en dehors du monde des perceptions, en observateur
indépendant, mais moi, ici, vivant dans cette nature qui me
construit et qui coule dans mes veines. Cette question revient à
dire :
45

« Comment puis-je exprimer sous forme d’idée ce


que je vois sous forme de nature ? » 1

C’est cette question qui est à la base de toute pensée


traditionnelle sur tout le globe jusqu'à ces dernières années. C’est
la question de base de tout « artiste » sincère, le sens de son
œuvre, depuis Lascaux jusqu'à Brancusi, en passant par Le Greco,
Beatus de Libiena, Pythagore, Kepler ou un vase esquimau. C’est
le principe même de notre humanité, la source du bonheur vrai, le
rôle majeur que nous attribuent les traditions, à savoir : rendre à
Dieu, par toutes nos facultés, la louange de ses œuvres.

La tradition Hindoue nous lègue un patrimoine


d’équilibre et d’harmonie qui s’exprime par la
danse, l’architecture, la musique …

C’est cet angle de vue qui nous permettra de comprendre la


pensée des anciens et leurs œuvres, leur villes, leur vie, leurs rites
et leurs sociétés, bref leur identité et la nôtre aussi, profondément
nôtre puisque nous en sommes issus…et que depuis lors,
contrairement aux dires des « animateurs » publics, nous

1 Rudolph Steiner .
46

fonctionnons toujours de la même manière….Et nous verrons que


cette vision du monde n’est pas contradictoire avec la vérité de
l’outil. Elle la complète. Car c’est l’homme qui est derrière et qui en
dirige l’interprétation selon ce qu’il désire en découvrir et selon le
point de vue posé par l'expérience1. Ces visions expriment
simplement deux choses différentes : le monde réduit à une
neutralité indépendante de la pensée de l’observateur, et le monde
conscientisé par toutes les puissances de l’observateur. Supprimer
l’un pour croire l’autre n’a pas de sens car le langage et le
vocabulaire est différent.

C’est donc une merveilleuse occasion de montrer que l’homme a la


faculté de connaître autrement que par de la froide théorie. C’est
un hommage à la sensibilité et à l’intelligence du cœur : une vraie
connaissance de l’homme en somme.

d) Sacré et profane

L’astronome et le fleuriste

La ville et le monde sont donc des lieux complexes où s’échangent


plusieurs réalités. Or, chacun voit le monde selon son module
propre. Les jeunes enfants circulent dans une réalité joyeuse,
généreuse, nouvelle, où le temps se déroule lentement dans des
espaces géants. Les plus âgés se reposent dans une réalité calme,
sereine, complexe car faite du mélange du passé et du présent, où
le temps trop court s’accommode d’espaces rétrécis. L’astronome
vivra dans un monde plus grand que le boucher. Celui-ci vivra un
monde plus âpre, rouge et plus puissant que celui du
fleuriste…L’homme religieux vivra une histoire sainte qui se
déploiera dans le grand ballet de l’histoire de Dieu. Ses espaces

1 Une particule de lumière est soit de nature ondulatoire (sans masse) ou de nature corpusculaire (avec masse, mais nulle, sinon la nature
ondulatoire ne serait plus) selon la manière dont on règle les instruments. La lumière possède ses deux états. C’est une profonde impossibilité
naturelle pourtant, soit on est soit on n’ est pas. Pourtant on nous dit que ça est et que ça n’est pas en même temps, les expériences le prouvent. Ce
qui nous montre la totale relativité de la moindre particule de matière…
47

seront étendus sur plusieurs « niveaux », dans un temps immanent


et transcendant. On comprend alors que si le boucher, l’astronome
et le fleuriste sont religieux, leur monde fusionne l’un dans l’autre
pour se tendre vers une même finalité. La ville doit pouvoir
intégrer ces dimensions dans sa « représentation » physique, afin
que chacun, selon son évolution puisse s’y retrouver.

Le sacré et le profane

Nous sommes ici confrontés à deux « qualités» de réalité. Le


profane (objectif par convention) et le sacré (objectif par
révélation). Dans la vision globale qu’avaient nos anciens et nos
contemporains religieux et qui tient compte de ces deux aspects,
les conventions sont utilisées pour fixer l’écho subjectif que nous
renvoient nos sens pour créer une communauté qui voit les choses
avec les mêmes yeux. Elles s’adressent principalement au monde
physique et à sa morale « domestique », laïque. Les révélations
quant à elles, fixent ce que les conventions du moment ne peuvent
encore, ou plus, percevoir. Elles tiennent lieu de support à la
réalité vraie, sacrée, indépendante des interfaces et des
explications produites par les intelligences du moment pour décrire
la réalité. Il convient donc absolument que la ville possède cet
ancrage si elle veut durer. Si elle se fonde uniquement sur des
conventions, elle ne résistera pas à leur transformation, leur
évolution, leur libéralisation, qui apparaissent à chaque demi-
génération. Des villes jetables en quelque sorte, à moins qu’elles
ne collent aux changements de vision du monde et s’emballent
alors dans une spirale inouïe de mutations et de transformations
toujours plus complexes, fines, générales, hurlantes, abrutissantes
et obligatoires pour «survivre » toujours sur la brèche, sur la plus
fine gouttelette d’écume de la vague, toujours à la recherche de
l’ultime équilibre qu’elles ont déjà perdu, persuadées d’être
immortelles, mais déjà vaincues par la pesanteur de leurs plâtres.

C’est pourquoi nos anciens, afin d’éviter l’écueil qui consiste à


calquer la ville sur une nouvelle technologie ou philosophie,
48

mettaient un point d’honneur à la fonder pour l’éternité. Dès lors,


la ville se bâtira à partir d’une enclave sacrée, vraie, identifiable à
nos plus hautes aspirations et désirs, selon un modèle divin,
indépendante d’une quelconque transpiration géniale mais
toujours réductrice. Ce modèle divin sera recherché dans les
oracles et les lois qui régissent le ciel et la terre. L’application de
ces lois dans la fondation des villes est donc évidente, puisque la
ville est l’imago mundi, le référent, l’antichambre du ciel, le
marchepied des anges et le parvis épicé des belles forêts de
lumière…
49

2. Survie et fondations

« Les grands monuments(…) portent la mémoire d’un


peuple au delà de sa propre existence et le font vivre
contemporain des générations qui viennent s’établir dans
ses champs abandonnés. »
Chateaubriand

« Ils sont sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas des
nôtres. S’ils avaient été des nôtres, ils seraient restés avec
nous. Mais il fallait que fût démontré que tous n’étaient
pas des nôtres. »
1 ép. Jean II, 19

Ville et Cité

our les anciens, la cité était l’association religieuse et


politique des familles et des tribus, tandis que la ville était le
lieu de réunion, le sanctuaire de cette association. La
collectivité prenait forme et existait par l’acte de fondation de la
ville. Mais auparavant, il fallait constituer la cité. « Une fois que les
familles, les phratries et les tribus étaient convenues de s’unir et d’avoir
un même culte, aussitôt on fondait la ville pour être le sanctuaire de ce
culte commun. 1»

Aujourd’hui, le fonctionnalisme urbain, pour avoir nié la perception


symbolique, subjective et sensible de la ville, se voit dans
l’impossibilité de faire naître un sentiment de citoyenneté. Depuis
l’ère industrielle, les collectivités se sont hérissées l’une contre
l’autre. Les classes sociales qui cohabitaient dans les mêmes rues,
se voient séparées et regroupées dans des quartiers créés sur
mesure, près du travail. La symbolique ignorée de cette relégation
hors des murs de la ville, et la méconnaissance des liens
psychologiques qui unissent les lieux et les individus vont

1 Fustel de Coulange 1864


50

évidemment faire naître dans les classes défavorisées, un


sentiment d’exclusion et de rejet, qui sera ensuite suivi dans les
faits par une spirale descendante dans la pauvreté et la misère. De
la lutte des classes à l’exploitation grossière, à l’exclusion, on
arrive aujourd’hui au concept de « culpabilité d’exister » . On
propose ainsi aux personnes nuisibles (vieillards, malades, enfants
non désirés) un aller simple pour la tombe ou l’égout, si possible
avec consentement écrit d’une personne de confiance. Bref, dans
cette « civilisation » où l’ensemble des êtres humains n’a plus
aucune nécessité ni valeur, on voit apparaître dans les villes des
réflexes de survie, de guerre, de clans sauvages, où la
déshérence, la perte d’identité, les valeurs et les mœurs
commerciales associées au nihilisme ambiant préparent une
révolution sans précédent.

Ce processus incessant de symbolisation du territoire que nous


faisions continuellement par le passé n’a pas été remplacé ni
réutilisé dans nos villes modernes. Le prétexte de nous libérer des
contraintes « intérieures » a été avancé mais on ne libère pas
quelqu’un en lui arrachant le membre attaché, on lui donne une
clé. La forme et l’esprit des villes ont évidemment suivi le
mouvement dans une sorte d’agrandissement viral ou microbien,
par taches, zones, qui se relient et se multiplient au gré des
bonnes fonctions et affaires pour alimenter l’ensemble en
parasitant les interstices. On est alors obligé de rechercher son
identité en se mesurant aux autres, aux plus faibles, que l’on exclut
ensuite par une série de mesures en consacrant le territoire
conquis en pied-à-terre pour fortunés. On se rend compte que
c’est évidemment le devoir des politiques, d’organiser un corps où
L’architecture d’Internet se développe aussi sur un modèle de
réseau tentaculaire, avançant et se complexifiant pourrait s’incarner la collectivité, où chacun aurait sa place dans
inexorablement selon une logique de connexions entre des l’harmonie, mais le débat actuel sacrifie la vision à l’urgence, le
pôles d’informations et de services. long terme au court terme. Il retient l’incendie social pour ne pas
qu’il se répande…

Or c’est une vision d’ensemble, ce grand projet mobilisateur, ce


souffle d’air neuf, pur, purifié 7 fois, pour respirer vers le haut, le
51

bon, le bien, le généreux, qui galvanise et donne envie d’avancer


dans une civilisation.

Fondations

Le besoin symbolique extrêmement puissant, de donner un sens,


une orientation sémantique ou symbolique à un lieu afin de le
rendre « humain » et y construire une histoire, est notre manière à
nous de « marquer » le territoire, en y laissant la marque de notre
Esprit…Ce processus s’effectuait par le rituel de fondation (ou de
refondation quand la ville préexistait) ou par structuration
sémantique en recréant des structures reliant des référants
universels (eau, montagne, île, terre) tout en les dotant d’une
signification sensible (colosse de Rhodes (gardien de la ville),
statue de la liberté,…).

C’est pourquoi une ville peut être fondée plusieurs fois. Les
structures existantes seront utilisées sous d’autres symboles et
garderont leurs fonctions originelles. On parlera de pérennité des
lieux sacrés par exemple 1 . Ainsi en 642, Amr ibn-el-As, général
du deuxième successeur du Prophète, Omar, fonde Le Caire à
l’emplacement d’une ville fortifiée existant depuis au moins 5000
ans et lui donne un nouveau nom. Et lorsque la dynastie des
Fatimides y prend le pouvoir en 969, elle fonde El-Kahira, la
victorieuse (francisée Le Caire). Le nouveau conquérant, Djouhar,
voulut en faire une ville digne de rivaliser avec Bagdad. L’instant
précis de la pose de la première pierre devait correspondre à
l’heure de l’ascension de la planète Mars, dont le nom arabe El-
Kaher signifie le vainqueur. (« Les monuments du Caire » par Prisse
d’Avennes).

1 quels que soit leur époque ou leur « religion », certains lieux présentent des qualités singulières qui attirent des cultes parfois fort différents sur des
millénaires. Les temples d’Isis-Isthar deviendront temples de Vénus sous les Romains et cathédrales Notre-Dame sous les chrétiens, toujours sur des
sites ou l’eau est présente ; Les monts recevants les temples de Mercure le messager, ou de Jupiter (Iovis) deviendront des lieux de Saint-Michel (
MK’L signifiant ‘qui est comme Dieu’), ou du sacré Coeur le médiateur (Paris)…, c’est donc moins une question d’imposition de pouvoir qu’une
question de justesse symbolique de l’implantation sacrée qui réclame certaines lois afin de fonctionner au mieux et d’assurer les puissances et les
forces que son utilité réclame, bref d’assumer sa fonction, son rôle de « porte du ciel » de bétyle, de beth-el (‘porte du ciel’ en hébreux).
52

C
D On peut également dire de Rome
qu’elle fut fondée une deuxième fois
par le martyr de Saint-Pierre et de
son peuple au Colisée. L’implantation
discrète des premières églises
A chrétiennes révèle une structure pluri-
cruciforme dont le centre est le grand
abattoir chrétien.

La Rome Chrétienne, avec le plan cruciforme


des basiliques centré sur le colisée. En A, St.
Salvatore (St-Jean de Latran) ; B, St Pierre ; C,
St Pudenziana ; D, Ste-Marie Majeure ; E, St-
Paul…sources Enrico Guidoni

E
53

Sainte Geneviève, qui écarta par ses prières la menace des Huns
d’Attila fut la fondatrice du Paris « capitale de la fille aînée de
l’Eglise ». Les révolutionnaires la refondèrent en la consacrant aux
déesses Raison et Liberté, par l’aspersion rituelle du sang royal et
des autres victimes propitiatoires de la guillotine, le long de l’axe
Royal. (quatre stations: Place du Carrousel, Concorde, Bastille,
Place des Nations (ancienne Place du Trône renversé)).

Concorde
Carrousel
Bastille
Nations

« Le premier échafaud parisien fut dressé sur la place du Carrousel : il fait 33 victimes, et puis on le transporte place de la Révolution,
ancienne place Louis XV, face aux Tuileries et là, on guillotine 1120 personnes en 13 mois, parmi lesquelles le Roi, la Reine et Madame
Elisabeth. Cependant Robespierre, tout-puissant en juin 1794, décide de célébrer la Fête de l’Etre suprême (…). La guillotine ne peut
rester sur le passage du cortège, ce jour de fête ! On la démonte et plusieurs ouvriers grattent pendant trois jours le sang séché et sablent
la place. (…)On remonte la guillotine sur la place de l’ancienne Bastille et les victimes se succèdent ; mais la chaleur est torride, l’odeur
infecte, et les gens du quartier se plaignent avec tant de véhémence que la sinistre machine est démontée de nouveau pour la transporter
place du Trône renversé(…) N.Destremeau in « un jardin historique à Paris », Picpus
54

Mexico fut fondée sur l’ancienne Venise américaine de


Ténochtitlan, par Cortés. Horrifié par les croûtes de sang humain
qui composaient les autels de sacrifices aztèques, il fit raser le
centre religieux dont les pierres servirent à composer le socle
(Zocalo) de la place du marché, parvis de la cathédrale Notre-
Dame. Le palais de Moctezuma devint le Palais national…

Toulouse existait dans l’Antiquité, sous le nom de Tolos (du grec


rond, cercle). La présence de croix solaires () dans la région
toulousaine en serait l’expression symbolique. Il est vrai que cette
cité fut particulièrement liée aux cultes solaires et au Dieu de
lumière. Qu’il s’agisse du culte de Belen (celtique), d’Apollon
(Romain), des Cathares ou des Rose+Croix, son sol en fut
marqué. Cette « Rome cathare » possède une structure figurant le
zodiaque (présent dans tous les cultes de la lumière). Elle fut en
effet divisée en 12 quartiers, placés sous la direction de 12
capitouls (Caput Tholi, chefs), dont la croix toulousaine (croix à 12
perles) est assez significative.
55

Byzance devint par décision politique capitale de l’Empire.


Constantin fonde à coté de l’ancienne ville, une nouvelle « Rome »,
inaugurée le 11 mai 330. Cette nouvelle ville de Constantinople
reprend les références symboliques et les divisions administratives
de l’ancienne capitale occidentale (la voie royale, la division en 14
régions, le centre politico-religieux sur l’ancienne acropole, etc.).
Elle fut refondée en Istanbul (« la ville » ) par les musulmans, le 29
mai 1453.

Constantinople au XVème siécle


56

Jérusalem a le privilège d’avoir une structure permettant


l’identification de trois peuples aux trois religions. Une ville du nom
de Rushalimum existait à cet emplacement depuis au moins le
XIXème siècle av. J.C comme en témoigne les textes égyptiens. Plus
tard, on retrouve « Urusalim » dans les comptes rendus de
tribunaux du pharaon Akhénaton et de sa femme, Nefertiti. Ensuite
ce fut la Salem du mystérieux Melchisedech, puis la Jébus des
jébuséens que David repris pour en faire le siège de son autorité.
La Ichtbus-Salem hébraïque abrita l’Arche d’alliance, siège de la
shékinah (la « présence » de YHWH) puis accueillit le temple unique
de la religion juive, celui de Salomon, dicté par Dieu, dont le mur
des lamentations reste un vestige sacré. La Hiérosolyma
chrétienne, dote la ville d’une nouvelle lecture, tout en prolongeant
la tradition juive, c’est celle de la via dolorosa du Christ. La ville a
Jérusalem pivot du monde et carrefour des continents
Gravure allemande du XVIème siécle un jardin sacré, celui des Oliviers ; une montagne sainte, le
Golgotha ; et un temple, le St-Sépulcre. La El Kods musulmane se
profile dès 636, par
l’entrée dans la ville de
Omar Premier qui
consacra l’esplanade du
Temple. Le Rocher
sacré sur lequel se
déroula le sacrifice
d’Isaac, fut orné par
une coupole d’or. La
coupole du Rocher
consacre également
l’endroit où reposera le
trône de Dieu lors du
Jugement dernier. C’est
à cet endroit que
s’éleva le prophète
Mahomet et c’est sous
cette pierre que
sourdent les quatres
fleuves du Paradis.
57

La cité de Vishnou, Varanàsi (Bénarès), qui possédait une


géographie correspondant à la représentation des « mystères »
Hindous (forme de croissant, rive gauche sacrée, fleuve issu des
montagnes, etc.) devint aussi cité sainte bouddhiste (Bouddha y
prononça le sermon qui devait mettre en route la « roue de la loi »)
par la mise en place de petites « corrections » symboliques (réseau
de stuppas, marquant des points de passage du Bouddha, formant
une grille de routes Saintes à travers la ville, etc.) pour resituer la
ville dans un contexte symbolique, culturel, et idéologique
Hindous aux ablutions
cohérent.
58

Lors des conquêtes musulmanes,


les villes de Méditerranée de
tradition gréco-romaine, furent
entièrement remaniées, et
« modernisées » vigoureusement.
Comment en effet un mode de
pensée bien défini, cohérent
pouvait-il s’intégrer dans un
vêtement inadapté ? C’est bien la
conception théorique abstraite de
la « ville idéale » des conquérants
qui fut appliquée sur la réalité
urbaine existante. Ce processus
de remaniement extrêmement
rapide suivait des règles simples :
la destruction des grands axes
rectilignes, l’occupation privée des
bâtiments publics et une volonté
de retrouver des rapports
physiques entre la ville et le
territoire. Non pas faire de la ville
une image, mais une écriture. Un
grand tableau calligraphié ou
s’entremêlent les arabesques et
les lettres pour la plus grande
gloire d’Allah. Tout l’urbanisme
islamique en découle.

En haut, plan de Séville, on reconnaît


l’urbanisation islamique à la texture en crochet
des impasses et des ruelles, un peu comme de
la percolation du vide dans du plein.

En bas, plan de Tolède au XVIème siècle relevé


par Le Greco
59

A l’inverse, lors de la « reconquête », l’extraordinaire complexité de


reconcentration, étouffante pour un chrétien, à été « signée » pour
l’aérer un peu…

La ville de Palerme en 1777,


avec les traces du tissu
d’origine islamique et la
grande croix des rues du
XVIème siècle.
60

Nous voyons donc que chaque « société » inscrit sur le territoire


où elle est amenée à vivre sa dignité d’être humain, une image très
nette de sa propre identité. Cette image peut donc être établie sur
base de réseaux, de dessins, de symboles qui relient les terres à
vivre, à nos territoires communs, ces terres où plane le grand
souffle puissant qui respire dans chaque poitrine, cette terre
merveilleuses pétrie de symboles et d’Esprit.

Opus Médico-Chymicum, d’après J.D. MYLIUS, 1618


61
62

Chapitre 2 : Expression
« Je suis l’espace où je suis »
Noel Arnaud

« Parler des lieux, c’est parler des états de l’être »


R.A .Schwaller de Lubicz

« Accepter le mystère c’est écarter l’ignorance, c’est


connaître la connaissance et sa limite exacte. »
Lanza del Vasto, Principes et Préceptes du retour à l’évidence,250

Introduction

près nous être plongés dans l’épaisseur épicée du


temps et de l’espace pour goûter la saveur oubliée de
ce qui fait notre dignité d’être humain, et après avoir
survolé de haut les genèses de quelques villes historiques, nous
voilà prêts pour considérer les divers moyens ou outils dont notre
belle humanité de lumière s’est servie pour « composer »
symboliquement. Ces outils sont en étroite harmonie avec le trésor
le plus magnifique qui soit : la vision de l’univers depuis les
territoires de l’âme de chaque peuple. Nous visiterons la Chine,
l’Inde, l’Afrique et l’Amérique, l’Europe et le Moyen-Orient, pour
nous rendre compte que ces différentes approches possèdent des
reliances étroites, comme si elles s’organisaient sur une charpente
universelle.
63

Ce point ne va pas prétendre donner des formules, des techniques


pour « urbaniser », ni des prototypes idéaux à calquer
utopiquement. On utilise les formules quand on ne comprend pas
ce que l’on fait. Nous voulons simplement ici montrer la richesse
extraordinaire des moyens mis en œuvre par les traditions pour
déployer les espaces, les temps et les villes. Et peut-être y
trouverons-nous cette petite lampe qui éclaire un ailleurs que l’on
aurait jeté avec l’eau du bain…

Entrer dans la résonance

L ‘« image » utilisée pour incarner la société urbaine doit être


culturellement compréhensible pour les personnes concernées.
Nous comprendrons que la référence ultime soit nous-mêmes. Un
« nous-mêmes » complexe, complet, débordant. Car c’est toute
notre identité, notre âme, nos forces, notre expression de la
réalité, notre langue, écriture, musique et toutes nos plus hautes
facultés qui nous font « être » au sein du monde dans lequel nous
sommes amenés à manifester notre identité de peuple historique.
Nous sommes pour ainsi dire le dictionnaire, et la « construction »
du monde, de la ville, de la maison, suivra « nos» lois, celles que
l’on aura découvertes en cherchant notre relation avec notre
finalité…C’est pourquoi les villes anciennes entrent en résonance
avec nous, comme si ces villes saintes, sacrées par rituel et
consacrées, sanctifiaient à leur tour…
« Le monde » est la
dernière des arcanes
majeurs du jeu de Tout ce que nous sommes transpire dans l’expression que l’on
Tarot donne à nos fonctions. C’est pourquoi les anciens pouvaient dire :

« la forme humaine est la forme type, ramassant en elle


toutes les formes et la perfection de toute chose »
Zohar, III, 141,b.(commentaire de la Torah)

Ce n’est pas de l’anthropocentrisme comme pourrait le supposer


un moderne, car comment pourrions-nous « connaître », sans
nous ? La description du monde passe par le verbe, le mot,
64

l’écriture, le dessin, l’algèbre, la musique, la danse…Tous ces


« concepts » ne sont pas neutres mais sont étroitement reliés à
notre propre fonctionnement mental, celui qui émerge de la terre
qui nous a vus naître et dont la rosée est la culture1. Notre
perception du monde sera orientée par le langage nécessaire à le
décrire. Nous nous retrouvons ainsi dans le rôle de module,
d’étalon pour cerner l’univers.

Le microcosme humain

Depuis notre création, nous avons pu remarquer que notre tête est
en haut, que les bras entourent le cœur et que les évacuations
sont dissimulées derrière de souples collines. Les fluides digestifs
sont plus bas que la tête et le cœur, et trouvent leur repos vers le
bas. Lorsque notre corps est debout, il présente son dos à notre
arrière et notre visage devant. Il est naturellement orienté. Lorsque
nous regardons vers le sud, on plisse les yeux, on relève la tête et
on étire les bras. Vers le nord, on ouvre les yeux, on courbe le dos
et on resserre les bras. Lorsque le soleil est à l’Est, on a une
journée à accomplir. Le cœur accélère, la tête prépare la journée
et les jambes quittent la famille. Quand il passe à l’Ouest, le cœur
ralentit, la tête repasse les événements de la journée et les jambes
nous reconduisent dans notre famille. Bref, toutes ces choses que
nous faisons et que nous ressentons tous, ont une influence
capitale sur notre localisation dans nos lieux de vie. Le
recensement de tous ces phénomènes et les actions qu’ils
préparent sont répertoriés depuis des millénaires sous divers
Idéogramme de Feng- codes. Nos amis Indiens ont renfermé ce trésor dans les traités du
shui, vent et eau
Vaastu Shastra. Nos amis Orientaux l’ont codifié en termes Feng-

1 Le chant vu par un allemand a un caractère dramatique car le mot est sombre et grave : « lied ». En Italie, le chant sera plus joyeux, léger, comme
« canzone », etc. Chaque lettre (ou chaque chiffre) par son aspect figuratif ( écrit) , par le type de « déformation » du visage pour la citer (parler), ou
par le type de résonance que sa prononciation propage chez celui qui la nomme, correspond dans notre inconscient à un archétype majeur. On
chante les voyelles et on articule les consonnes. Trois A dans les noms cataracte, catafalque, ont souvent valeur explosive ou dramatique, et même
dans les noms de personnes Arafat. L’initiale Al comprend le L de la Limite, Latitude, Longitude, Largeur, et se trouve associé à l’infini, au sacré
bénéfique, magique par l’ouverture (de la bouche) du A ,comme Alliance, Allah, Algèbre, Alchimie, Alpes, Alléluia,…Chaque culture verrait donc le
monde comme elle le prononce ou l’écrit…
65

Shui, « vent et eau ». Ces codes sont comme des modes d’emploi
et aident à discerner les lois qui permettent d’implanter
harmoniquement1 toute création humaine dans l’univers. Chez
nous, ce fut le traité des Gromatici Veteres romains qui influença
la « science » de bâtir des villes dans le respect d’une homogénéité
cosmique.

Localisation d’une ville par


rapport aux éléments naturels,
et disposition de la Croix des
rues dans les schématisations
des Gromatici. Mais, outre ces considérations globales, humaines, il existe pour
chaque tradition une organisation mentale spécifique, une
orientation symbolique particulière que la langue, la danse,
l’architecture et l’urbanisme traduisent en termes physiques. C’est
une des plus hautes merveilles de notre bel univers, cette diversité
de nos vies s’exprimant avec un langage propre au sol qui l’a vu
naître.

Ainsi, on discerne dans le monde, des « cultures » de l’image


(Chrétienté, Hindouisme, Egypte,…) où la concrétisation physique
de l’intériorité vécue s’exprime sous forme de symboles, de formes
imagées ou de figures et de visages (on verra des croix, des
tridents, des étoiles, des géométries particulières dans les tracés

1plutôt que harmonieusement. Car ce mot a des relents sirupeux qui ne collent pas du tout avec l’idée même d’étroite correspondance, de fraternité
que doivent lier la création humaine et toutes ses charges culturelles avec le site qui en a permis l’émergence et orienté le développement.
66

des rues, des enceintes ou des fonctions...). En Afrique, on


retrouve dans l’implantation des villages, la projection de l’homme
et du couple fondateur.

Dans la structure des tatas des Bétammaribé,


on retrouve la polarité gauche/droite,
Homme/Femme, Sud/Nord commune à toutes
les cultures (dans les églises, les dames se
plaçaient du coté Nord (Yin), les hommes du
coté Sud (Yang)…)

Chez les Dogons, le tracé


directeur du village est à
l’image d’un homme allongé,
tête au Nord. L’implantation
des diverses activités
renvoie à un symbolisme
puissant. Le plan carré
exprime la terre. Les ruelles
le sillonnent du Nord au Sud
et d’Est en Ouest. « Ensuite,
au septentrion, à la tête, on
trouve la forge dédiée au
forgeron civilisateur, l’abri
du conseil où se prend toute
décision influant sur la vie
collective… » Cela nous
rappelle le Capitole romain
(caput : tête), etc.
Chaque maison reprend
intérieurement ce schéma
global afin que ce modèle
archétypique soit
l’harmonisateur de la vie
sociale.
67

Nous trouverons aussi des cultures de l’écrit et du concept (Islam,


Chine,…) où la représentation de l’immanence passe par
l’écriture, la calligraphie. Les villes islamiques seront ciselées
comme une page du Coran. Les villes chinoises seront rigides
comme les 64 trigrammes composant l’univers des mutations et
organisées numérologiquement.

Si nous déterminons d’autres critères, comme la représentation de


l’espace chez différents peuples, nous constaterons que c’est le
labyrinthe qui marque l’imaginaire des arabes et que toute
organisation de l’espace en est fortement imprégnée. Au Japon, la
représentation de l’espace se fait ponctuellement au départ de
carrefours, ou de places etc. Il s’ensuit un réseau d’interrelations
qui fouille l’espace par percolation diffuse au départ du point initial.
En Occident, c’est la représentation d’axes, de coordonnées X/Y
qui déterminent notre localisation. Les carrefours ne sont pas
comme au Japon des points générateurs, mais des points
résultants, etc. Nous pourrions encore subdiviser et remarquer que
les latins et les germains fonctionnent différemment, les africains
du sud et du nord aussi…
68

1. La forme
« La forme ne signifie pas mais se signifie »
Henri Focillon

« Toute Forme est aussi Valeur »

Roland Barthes, le degré zéro de l’écriture

« C’est la forme naturelle, dans son rapport avec sa cause


qui est réelle, et non pas la forme que l’on perçoit par
l’illusion des sens, car cette dernière n’a pas plus de
valeur que la suggestion qui modifie notre conscience »

« Her-Bak disciple » R.A .Schwaller de Lubicz


L’école de la forme

acilement appréhensible d’un coup d’œil par tout un chacun,


la forme peut accumuler une grande quantité de
significations qui se laissent ensuite progressivement
découvrir selon l’intensité de l’expérience qu’on en espère. Ainsi,
les sociétés de type « philosophiques » comme la Chine
traditionnelle ( basée sur les préceptes du Tao (la Voie)qui est une
philosophie de vie) et qui ne sont pas à proprement parler
religieuse (car il n’y a pas de Dieu-personne, mais un courant
universel d’Energie dont l’Empereur est le garant), ont mis au
point des systèmes d’analogies pour permettre une harmonie
entre les différentes parties constitutives de l’univers, dont la ville
impériale est le trône. Cette approche ( le feng-shui) est basée sur
la faculté que nous avons de fonder des analogies entre les
différentes formes dont se revêtent la vie et la topographie.

C’est une sorte de science de l’environnement. Le site idéal pour


implanter une communauté humaine, ville, village par exemple,
sera celui où notre corps, agrandi à l’échelle du site, se trouvera le
plus à l’aise. Face au Nord, on a froid. Face au Sud, c’est bon.
Debout, c’est fatigant ; couché, on s’endort ; assis c’est bien. Dans
69

un bon fauteuil, c’est mieux ; avec deux bons accoudoirs, les


jambes un peu relevées et c’est parfait. Nous y voilà. La ville devra
se trouver insérée dans le paysage topologique comme nous le
serions dans un fauteuil. Une grande colline au Nord sera notre
dossier, deux petites à l’Est et à l’Ouest seront nos accoudoirs,
tandis qu’une faible proéminence au sud fera office de pouf. Pour
atténuer notre soif, nous aurons devant nous, un verre
rafraîchissant ou une piscine… La ville aura un cours d’eau au sud
de son cœur. En termes analogiques, autrement plus riches et
porteurs de symboles puissants, on aura alors, la tortue noire au
Nord, le phénix rouge au Sud, dont le feu sera atténué par l’eau,
l’Est aura comme gardien le dragon d’azur et l’Ouest le tigre blanc.
En termes technologiques modernes, on parlera d’optimalisation
des paramètres énergétiques. Liège, Paris, Toulouse, Mexico,
Barcelone etc. ont cet environnement.

Le modèle topographique symbolisant l’union du tigre et du dragon, ressemble fortement


aux divers schémas d’implantation des villes dans les gromatici. C’est un archétype naturel
que de se protéger du nord, et s’ouvrir au sud. Le modèle topographique de la région
parisienne nous montre que cet archétype reste valable dans nos contrées.
70

Ces exemples nous montrent la permanence, dans l’espace et le


temps, de ces concepts de « protection ». Nous avons pu aussi
remarquer que la colline-dossier n’est pas nécessairement au nord
absolu et que l’eau peut se trouver tout aussi bien à l’Est ou à
l’Ouest. L’important est ici de comprendre les « sentiments » liés à
la course des vents et du soleil et notre place en leur sein.
71

D’une même manière, certains lieux devront être évités. Ceux dont
la topologie générale et le ressenti profond nous font penser par
exemple à un tigre à l’affût ou à un serpent prisonnier. Chaque
colline sera en fait identifiée dans sa forme avec un animal
symbolique représentatif d’une émotion particulière. Ces formes-
vie seront les garantes de l’équilibre du territoire. Les amputer, les
percer ou les humilier dans le mépris que l’on aurait pour leur
espace vital, reviendrait à maudire et à tuer le sol qui nous a fait
naître et qui garde les traces de la vie des ancêtres1. Ce manque
de respect attirerait alors la déstabilisation de l’harmonie
« homme-nature » et concourrait à l’abandon de toute moralité et
donc de tout civisme et de toute vie en communauté…

Car la nature étant une œuvre sublime, elle renferme en elle toutes
les sagesses et tous les exemples moraux qui font le fondement du
Tao. Détruire l’harmonie, c’est rendre vain le Tao ; et rendre vain le
Tao, c’est rendre vain la nature et l’univers ; et rendre vain
l’univers c’est se rendre vain soi-même. C’est pourquoi, respecter
et nommer l’univers en forme-vie garantissait la vie du couple
univers-homme. C’est pourquoi lors de la construction de la ligne
Pékin-Nanking, les rails durent emprunter un immense détour pour
ne pas violer le lieu de naissance de Confucius. La montagne était
en forme de chien et le chemin de fer ne devait à aucun prix
transpercer la gorge du chien.

« (…) la Musique et l’Architecture (…) sont au milieu de


ce monde (…) comme les exemples, çà et là disséminés,
d’une structure et d’une durée qui ne sont pas celles des
êtres, mais celles des formes et des lois. »

Paul Valery in « Eupalinos » ; OE,II, 105

1 Il faut préciser que les anciens ne « confondaient » pas la montagne Tigre Blanc, avec le tigre blanc. Il s’agit d’analogie. Un peu comme le « côté
jardin » de la scène du théâtre n’est pas un côté où il y a un jardin. Mais pour un acteur, entrer sur scène par le côté cour ou le côté jardin crée deux
sentiments tout à fait différents. Regarder la montagne Tigre Blanc oriente notre intelligence et nos perceptions vers un sentiment plus ou moins
complexe, qui serait la somme des impressions que l’on pourrait concevoir si l’on faisait l’expérience du face à face avec le vrai tigre blanc. Cet
échauffement des sens et des forces « imaginées » nous place dans un état qui permet certaines fonctions.
72

2. Le souffle
« L’entre-Ciel-et-Terre est comme un soufflet de forge.
Vide, il ne s’affaisse pas ; mobile, il émet sans cesse. Il a le
Ciel pour couvercle et la Terre pour fond »
Tao-te-King (ch. 5)

« L’être crée des phénomènes que seul le vide permet


d’utiliser » Lao Tseu

L’école du souffle

i le corps humain, dans son rapport avec l’univers, imprime


ses géographies saintes et ses géométries célestes sur le
territoire qu’il « vit », sa vie même prend sa source dans celle
de l’univers. Les traditions rapportent que cette vie est Dieu, et qu’
étant à son image, nous « respirons » Dieu en nous abreuvant à
Ses sources et à Ses flots. La ville sera implantée là où ces
« sources » seront disponibles, en de telle manière que les flots
restent bienfaisants et pacifiants.

Lorsque nous lisons, dans la genèse, le plus beau texte qu’il fut
donné à un papier de porter :

« Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre.


Or la terre était vague et vide, les ténèbres couvraient l’abîme
et l’esprit de Dieu planait sur les eaux. »

et après avoir retrouvé ses 7 esprits que le texte vient de faire


danser, on remarquera que l’Esprit et l’eau sont indissociables
dans pratiquement toutes les cultures civilisatrices. Le Souffle,
l’Esprit, le Pneuma des Grecs, le Noüs des Slaves, le Rouah des
Hébreux, le Ka des Egyptiens, le Ki japonais ou le Pranâ indien
sont identifiables en tout ou en partie au Ch’i chinois. Les eaux
sont la mouvance des formes dont se revêt la réalité pour exister
dans nos sens. La bonne circulation du Souffle doit être comme la
danse légère et fluide de la brise matinale à travers les roseaux.
73

Elle ne doit pas réveiller le dragon mais rester souple et docile


comme « une vierge-modeste-qui-aime-la-solitude ».

Circulation des flux

Certaines écoles décrivent le Souffle comme un fluide, avec les


propriétés physiques de celui-ci. Les formes rencontrées créeront
dans le courant des cascades, des étirements, des pointes, des
lacs et des mers, des geysers ou des volcans. Les différentes
fonctions de la ville seront placées au sein de ce courant en des
lieux qui lui correspondent. Les temples consacreront les régions
hautes, afin de capter le Ch’i du ciel, et auront de vastes
esplanades afin que celui-ci puisse constituer une mer calme et
sereine, réservoir sacré, océan d’inertie pour ancrer la ville au sein
des territoires de lumière. Les marchés, forums, et lieux
d’échanges, seront vivifiés par des rues plongeant dans leur place
centrale. Les tourbillons amélioreront l’ « activité » d’échange, de
commerce, de fête… Les habitations s’implanteront
orthogonalement, ou en ondoyant légèrement pour calmer et
discipliner le flux et ainsi créer un environnement doux et serein.
Ces quartiers
P bénéficieront du caractère « terre » du Ch’i, lieu de
refuge etl de ressourcement. Toutes ces implantations vivifieront la
a
ville en ny faisant circuler le « souffle » en correspondance avec les
fonctions.
d
e
Comme une eau qui consume
l
a
Lorsque ce Ch’i acquiert trop de force, il devient nocif. Non pas
parce qu’il
v se corrompt, mais parce qu’il est mal appréhendé. Ce
i
Ch’i accéléré, cet effet de pointe, c’est le shar Ch’i. Il peut agir
l
comme lune hache, un glaive ou un feu dévorant1.
e
1 Pourtant redécouverte par la géobiologie sous le nom d’onde de forme, l’effet c du shar Ch’i s’explique facilement par l’analogie. Nous sommes
dans notre lit. Si une hache effilée est suspendue, tranche à l’air à deux mètresh de notre cou, pouvons nous dormir calmement ? Si le lit se trouve
à moitié logé dans une alcôve et l’autre dans la pièce principale, allons-nous i dormir comme des bébés ou bien sentira-t-on obscurément le
besoin de se recroqueviller afin d’appartenir soit à l’alcôve, soit à la chambren ? Ici, il n’y a pas d’action au sens physique du terme. Mais un
ressenti qui nous empêche d’être bien. C’est une des formes du shar Ch’i. o
i
s
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5
8
2
74

Ainsi, à Hongkong, il n’est pas rare de trouver des terrains vagues,


remplis de broussailles et de branches, en plein centre des
affaires, là où le prix au m2 atteint des plafonds faramineux.
Personne ne désire les acquérir pour la simple raison qu’ils sont le
champ de tir de shar Ch’i accélérés par les angles des buildings et
des routes qui y mènent. Ces lieux ont été souvent réservés pour
les Anglais, parce qu’ils n’y croyaient pas. Ces sites, aujourd’hui ,
font l’objet des plus incroyables analyses des maîtres feng-shui et
prennent souvent des formes acérées pour discipliner le shar Chi
et le renvoyer sur les concurrents qui se protègent à leur tour
comme ils peuvent. La banque de Chine de I.Pei en est un
exemple1.

Plan géométriquede la ville chinoise de On comprend pourquoi il était tout aussi interdit qu’une voie
DAXING,
extérieure pénètre dans la ville sans être déviée, car la ville
recevrait toute la pollution extérieure des régions obscures et
chaotiques. Par contre deux villes sœurs ou reliées à une autre
cité religieuse pouvaient recevoir la voie dans leur mur, car le Ch’i
était alors composé du même sang. Un portique, situé non loin des
murailles permettait d’orienter l’énergie du Ch’i et de la nommer
‘sœur’ afin qu’elle soit bienfaisante (on retrouve ces pratiques
chez les égyptiens, romains, mayas…).

Afin de permettre une circulation idéale, les anciens chinois


préconisaient le damier à l’intérieur des murs, afin que les angles
des rues ne pointent pas vers des maisons isolées, mais soient
anéantis aux intersections. Pour plus d’efficacité, les rues seront
orientées sur les points cardinaux afin que la lumière du soleil, lave
les rues des résidus de shar Ch’i, en accord avec les énergies
cardinales. Le centre religieux où se tient l’empereur se devra
d’être à l’intersection des voies principales, afin de renouveler le
Ch’i stagnant, par un Ch’i appelé du ciel et des territoires vierges.

1L’architecte Norman Foster a du inverser les structures triangulaires de son building pour le siège social de la HongKong and Shangaî Banking
Corporation pour que le feng-shui soit bénéfique.
75

Les drains célestes.

Les hautes sources du Gange L’Inde, la Chine, l’Egypte ont laissé des traces de cette science des
flux. Le Flux majeur étant symbolisé par la voie lactée, elle abreuve
les régions du ciel la nuit et vivifie l’humus des terres le jour. Le
flux se répartit ensuite dans les vallées, le long de fleuves sacrés
dont la source magique marque un point de « passage» pour les
nouvelles âmes du monde. La sortie en mer, signale la libération
du corps et l’aboutissement dans l’au-delà. Le Gange, le Nil, ou les
fleuves descendant des hauts sommets tibétains (du Tigre Blanc)1
sont de remarquables exemples.

Il est important ici de bien comprendre que l’hindou par exemple,


qui fait ses ablutions purificatrices n’a aucune illusion concernant la
nature physique du fleuve. Il sait pertinemment bien qu’il y a des
poissons qui font caca dedans et autres. Il n’y va pas laver son
corps mais son âme. Et une âme n’est pas sensible aux poissons.
Le Gange est ici le « témoin » du Gange céleste, sa manifestation
terrestre, non pas le céleste. Mais n’ayant aucun moyen d’accéder
au céleste, les rituels consacrent le Gange terrestre pour lier, caler
les deux réalités. Ainsi, le bain physique dans le Gange terrestre
permet à l’âme spirituelle de se purifier dans le Gange céleste,
dans le courant de Vie qui draine et nourrit l’Univers. Le baptême
chrétien suit le même symbolisme. Par la consécration, l’eau se lie
à l’Eau primordiale de la Genèse sur laquelle plane l’Esprit.
L’enfant est alors placé sous son ombre et renaît à la Vie, de
l’intérieur. Ce point est important à saisir et nous y reviendrons. De
nombreuses villes se lient de la même manière à des réalités
célestes, et doivent donc y correspondre un minimum pour être
« reconnaissables » dans l’esprit des habitants.

1 Faut-il y voir la raison qu’a la Chine de posséder sous son drapeau cette terre sainte du Tibet, qui abreuve et draine les énergies du ciel vers les
terres de Chine ? Avoir sa tête sous une autre autorité que le corps crée un violent malaise pour les communistes au pouvoir, surtout si celle-ci est
profondément religieuse…
76

Dans le souffle des terres sacrées

On ressent donc confusément que cette mystique de la forme et du


souffle a un langage très proche du corps humain. Comme si la
géométrie du corps dans un espace, créait ses formes et ses
hauteurs indépendamment de l’échelle de projection, et comme si
l’inspir et l’expir de la ville tenaient leur équilibre dans celui du
plan. Ici, on parlera de pratique d’espace. Cette terre, ces collines,
on les a expérimentées, on en garde un sentiment à la mesure de
notre capacité d’identification avec le site, la future ville ou la
future maison. C’est de l’empathie de haut niveau. Pas de place ici
pour des travaux de laboratoires, mais un changement d’état, que
seul un homme Humain peut effectuer : devenir la ville, sentir de
tout son corps le poids des constructions, sa pesanteur sur le sol,
son empreinte, ses pressions lourdes d’histoires et de vies, son
étendue, ses déséquilibres, les emplacements des organes, les
aortes bienfaisantes ou les hémorragies, les endroits non irrigués
du corps, de notre corps, nos tumeurs, nos coups de sang, nos
bras qui étreignent, embrassent ou étouffent, nos temples qui font
descendre l’eau pure sur nos lieux arides, nos lieux de repos et de
joie, nos poumons encombrés ou libres d’oxygène, notre visage
enfin, celui de la ville, que l’on découvre aux anges et aux démons
et ce que l’on voit du ciel, de la terre et des enfers à cet
emplacement précis… A ce moment, on comprend que la danse,
l’écriture (la chorégraphie des lettres et sa scénographie dans
l’explosion soudaine de sens qu’elles décrivent -haute magie que
celle-là-), la prose et la poésie, l’architecture, la musique,
l’urbanisme, la ville et l’univers sont inextricablement liés et ne font
qu’un. Un corpus. Non pas un contenant pour stocker un max. de
mammifères, mais un dehors et un dedans vivants, dont le cœur, le
centre secret, le soleil alchimique, est celui de chaque habitant.
Ainsi chacun s’y promène afin de se découvrir davantage.
77

3. Les éléments
« Sous la pluie, voir le soleil brillant
Dans les flammes, boire à la source fraîche »
Anonyme chinois

« Quant à leur aspect, ils avaient une face d’homme, et


tous les quatre avaient une face de lion à droite, et tous
les quatre avaient une face de taureau à gauche, et tous
les quatre avaient une face d’aigle »
Ezechiel 1, 10

Corpus liber

n ayant survolé quelques régions du monde, nous y avons


vu que le corpus s’intégrait dans la topologie comme nous
le ferions si nous étions une ville. Afin que chaque fonction,
chaque espace, chaque recoin de la ville, puissent être identifiés à
notre propre fonctionnement, il a fallu trouver un commun
dénominateur pour qu’il soit le lien entre l’univers et la vie, l’arbre
et la route, la fleur et la porte, le rein et l’étoile…Les Grecs avaient
postulé l’existence d’une unité irréductible qui semblait être la
brique ultime : l’atome. Mais cette découverte était complètement
dépourvue d’une quelconque expérience qui nous ferait « vivre »
l’atome. Or il faut vivre la ville. Cherchons alors des « briques
ultimes » expérimentables spirituellement, physiquement,
intellectuellement et psychiquement. Bref, des « éléments » qui
mettraient en branle toutes nos plus hautes facultés qui font la
gloire de notre race Humaine.

Le cénacle des « cinq éléments »

Nos anciens ont alors découvert le concept des « éléments ».


Chine, Inde, Europe, Afrique, Amériques,… toutes les cultures ont
œuvré pour réduire la réalité en 4, 5 éléments, qui trouveraient
leur parfaite cristallisation dans l’Homme Vivant. Le zodiaque,
78

l’astrologie et la numérologie viennent les compléter. Nous n’en


parlerons pas ici, car la portée spirituelle en a été chassée afin de
les rendre plus accrocheurs. La rationalisation aidant, on n’y voit
plus désormais que des « influences mystérieuses de planètes
physiques et de chiffres obscurs», alors que ce ne fut jamais le cas.
D’aucuns les utilisent encore pour prédire l’avenir ou le temps.
D’autres utilisent la science ou les sondages pour ça…pour un
résultat identique.

Ainsi, en Chine, nous considérons les 5 éléments comme


constituants « énergétiques, subtils » du monde. Non pas en tant
que briques physiques du type atome, mais plutôt sous la forme de
catégories de sensations, de classes et de formes, de couleurs, de
textures, de vibrations, d’existences…

Représentation des 5 éléments chinois : le feu, , la -Le feu est ainsi associé au rouge, au pointu, au sud, au chaud et
terre, le métal, l’eau et le bois au sec, à la pyramide, à la haute montagne, à la passion,
l’expressivité et la sensualité…
-La terre désignera la stabilité, le confort, la sécurité, la gestion
et la communication, le jaune et le marron. C’est l’élément du
bas, du lourd, du Sud-Ouest et du Nord-Est, de l’horizontal,
du damier et du carré. Plaines et coteaux y sont associés.
-Le métal, désigne la richesse, la solidité, l’autorité, l’organisation ;
sa couleur est dorée, argentée ou blanche. Il se sent au
R
mieux
e de sa forme à l’Ouest et au nord-ouest et ses formes
prendront
p l’aspect de dômes, de cercles et d’ovales. Sa
r
fonction
é
principale est la protection.
-L’eaus symbolisera la profondeur, le pouvoir, la souplesse et la
tranquillité,
e les formes courbes, imprécises, irrégulières,
n
multiples,
t le noir, le verre, le nord. Elle est l’élément des lieux
de
a culte, du commerce et des lieux de stockages.
t est le seul « vivant » et est lié à la vie, à la croissance, au
-Le bois
i
dynamisme
o et à l’activité, à l’Est et au Sud-Est, au vert et aux
formes
n hautes et droites, fines et verticales, rectangulaires et
plates.
d
C’est l’élément de la conception et de la création, de
la
e recherche, de la culture et de la réflexion…
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79

Sans entrer dans les détails complexes mais ô combien


enrichissant et lumineux du fonctionnement des éléments dans
l’univers et la ville, disons simplement que leur utilisation nous est
familière si nous savons jouer au jeu du caillou-papier-ciseaux-
puits. Le papier couvre le puits mais est coupé par les ciseaux, le
caillou tombe dans le puits mais déforme les ciseaux etc… L’eau
éteint le feu et alimente le bois. Le métal vient de la terre et coupe
le bois etc.. Les éléments ont des cycles de création et des cycles
de contrôle. L’harmonie générale sera effective si tous les
éléments se rencontrent dans un cycle positif. Alors nous pourrons
y vibrer dans leur résonance « musicale » . Leur application servira
à distribuer au mieux les fonctions selon les directions optimales
tout en leur donnant la forme qui mettra en valeur leur dynamisme.

Certaines fonctions de la ville peuvent être renforcées, dynamisées


ou atténuées. La fonction religieuse (eau) sera idéalement placée
sur un plateau (environnement bois) et, aura une forme haute et
pointue (feu). Les cimetières(terre), sont généralement adoucis
par des arbres hauts, cyprès ou peuplier (bois)…Les lieux de
stockage (terre) sont souvent plats et massifs…Les entreprises
dynamiques ne s’abritent que parcimonieusement dans de vastes
constructions plates car elles cherchent les hauteurs, les
ascenseurs, le lisse et le verre, et le toit pointu, et l’antenne plus
haut, et la petite lampe rouge par delà, qui clignote…Ces
exemples nous montrent la récurrence de ces « archétypes » dans
les différentes cultures avec les excès inhérents aux changements
de « valeurs » des sociétés, qui cristalliseront les forces des
éléments dans un but financier, guerrier ou politique plutôt que
dans un but civilisateur humain (la maison blanche possède la
forme et la couleur du métal sans doute pour renforcer l’autorité,
l’organisation et la solidité de l’institution qu’elle abrite).

En Inde et au Tibet, nos éléments sont sensiblement différents


mais conceptualisent les mêmes forces sous d’autres noms. Nous
avons le feu, la terre, l’eau, l’air, et l’éther qui imprègne et vivifie
80

tous les autres. Leur utilisation se fait de la même manière qu’en


Chine, par cycles de création ou de complétude.

Elément Ether Air Eau Feu Terre


Force espace mouvement cohésion chaleur répulsion
Entité Brahma Vayu Varuna Agni Prithvi
Direction Centre N-O N-E S-E S-O
Couleur aucune bleu blanc rouge jaune
Forme aucune cercle hexagone triangle carré
Sens ouïe toucher goût vue odorat

Il est à noter que le parfait équilibre de ces éléments se réalise


dans l’Homme Vivant. Si notre environnement présente des
déséquilibres dans la distribution des éléments ou dans
l’inéquation des fonctions par rapport aux directions idéales des
énergies élémentaires, notre corps s’identifiera à cet
environnementC malade par empreinte et déstabilisera ses
o
structures minternes et sa santé physique et spirituelle. Les
« démons » bentreront alors dans les brèches pour terminer le
i
pillage et auront
n
ainsi ravi une nouvelle âme aux dieux. Il est donc
capital que ala ville ait une structure qui harmonise les structures
Combinaisons des 5 éléments dans les
3 doshas principaux (Kapha, eau et internes de i ses habitants. Cet ordre ne se fera pas innovant, car
s
terre, Pitta, feu et eau et Vatha, air et l’homme n’esto pas nouveau. Il ne sera pas non plus étudié en
Ether) selon l’ayurveda, qui fonction d’unn besoin spécifique ou d’une technique particulière,
déterminent les innombrables types s
constitutionnels qui se rencontrent notre organisme fonctionne selon les même lois depuis très
dans la nature. longtemps. dIl sera simplement bienveillant et respectueux des
énormes puissances
e et dignités de notre condition d’êtres
s
éternels, ayant en nous le tournoiement éclatant des univers de
lumière et la5 marque immortelle des fils des cieux.
é
Des éléments
l solides géométriques.
é
Chez nous,mecette théorie des cinq éléments dont les historiens
rapportent nl’origine à Pythagore, Philoloas et Platon (Timée et
Epinomis) at trouvé sa formulation définitive avec Aristote (Du ciel,
s
I, 2-4), avant de s’imposer dans la pensée occidentale jusqu’à la
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K
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81

très récente apparition des sciences modernes de l’instrument. Ces


grands messieurs à qui l’on doit ce que l’on pense aujourd’hui, ont
permis, grâce à cette admirable théorie, de poser les bases de la
philosophie, de l’astronomie, de l’arithmétique, de la musique
Le tétraède symbolise le feu
(gammes) des proportions etc… Bref de toutes ces sciences que
réclame avec avidité le prodigieux « sacerdoce » du concepteur de
Le cube symbolise la terre cité, dont la dignité et la responsabilité viennent juste après celles
du prêtre et de Dieu. Leurs recherches admirables ont permis de
les géométriser afin de les introduire dans toutes les recherches
L’octaèdre symbolise l’air formelles, physiques, organiques, médicales et astrologiques. Les
4 éléments de la Tétrade des pythagoriciens (feu, tétraèdre ; air,
octaèdre ; l’eau, isocaèdre ; terre, le cube) sont réunis sous le
L’isocaèdre symbolise l’eau dodécaèdre de la quintessence, qui les alimente et les justifie (12
faces correspondant aux douze divisions cosmiques des signes du
zodiaque (espace) et aux douze mois de l’année, (temps) et
Le dodécaèdre symbolise la quintessence
composées de pentagones réguliers, dont le rapport de la
diagonale au côté est le nombre d’or 1,celui qui engendre l’univers
entier). Par ces éléments, Johannes Kepler (20 siècles plus tard)
découvrit les trois lois2 sur les orbites des planètes, en assimilant
le système orbital des planètes aux polyèdres réguliers inscrits et
circonscrits à des sphères. L’astronomie fit un pas de géant. Le

1 C’est surtout Luca Pacioli, dans son de « divina proportione »(1509) illustré par Léonardo da Vinci, qui rendra célèbre cette sectio aurea ou
proportio divina, en spéculant sur le dodécaèdre platonicien. Désigné au début du siècle par la lettre  (pour Phidias), le nombre d’or est issu de la
série de Fibonacci dans laquelle chaque nombre est la somme des deux précédents (1,1,2,3,5,8,13,21,34,55,89,144…) : deux termes successifs
quelconques de cette série ont en effet des rapports mutuels tels qu’ils tendent vers deux limites : 0.618 033 98875… et 1. 618 033 98875…
différant exactement d’une unité, ces deux nombres sont l’inverse l’un de l’autre et s’écrivent : (0. 618 033 98875…x 1. 618 033 98875…) = 1.
La formule s’écrit  =  ±√5. Cette proportion permet aussi de diviser une droite en moyenne et extrême raison telle que a/b = a + b/a. Elle
fascinera Platon, Boèce, Hildegarde von Bingen, Agrippa de Nettesheim, Léonardo da Vinci ou le Corbusier (Modulor)….Elle intervient dans un grand
nombre de phénomènes naturels tels que la fécondité des lapins, la disposition des feuilles sur les tiges des végétaux, l’implantation des écailles
d’une pomme de pin, ou les proportions du corps humain (bras/avant-bras, hauteur du nombril et hauteur totale, etc…)

2 1) Une planète se meut autour du soleil en parcourant une ellipse dont le soleil est un des foyers.
2) Lors du mouvement d’une planète P, l’aire parcourue est proportionnelle au temps.
3) Les cubes des grands axes des planètes sont proportionnels aux carrés des périodes. Cette constante que l’on peut écrire A³/T² a également
permis à Newton, un siècle plus tard, d’élaborer sa loi de gravitation universelle. Deux siècles plus tard, cette troisième loi trouva sa contrepartie
exacte dans la formule par laquelle Niels Bohr (inventeur du modèle planétaire de l’atome et de la théorie des quantas) décrira l’atome (il remplaça le
modèle atomique newtonien où les forces atomiques étaient en majorité réglées par la gravitation, par le modèle électrique dans lequel c’est la charge
électrique du noyau qui intervient et où la gravitation ne joue pratiquement aucun rôle…)
82

tracé des polyèdres en plan et les implications philosophiques que


l’ensemble générait, fit la joie des Néo-platoniciens ; ceux-là
mêmes qui inspirèrent aux penseurs-architectes de la Renaissance,
le tracé des villes idéales.

C’est donc bien à partir de ces concepts que s’est développée la


pensée occidentale, et sa manière d’appréhender les choses, la
nature, l’homme et les diverses puissances du ciel. Ces géométries
élémentaires se sont retrouvées à la base de concepts abstraits
comme la musique ou l’architecture des temples et des palais. Ces
concepts déterminent à leur tour la physionomie des quartiers,
l’échelle des places et l’orientation de la cité. Cette « science » de la
forme et des puissances qu’elle libère et symbolise, nous permet
une fois de plus de nous rendre compte des étroites jointures de
lumière qui nous lient à l’univers ; non pas d’une manière atomique
et électronique, mais géométrique et respirante. Le plan de la ville,
ses formes, ses axes et ses directions, les masses formelles des
fonctions, disposées judicieusement selon nos perceptions
cardinales, symboliques, intérieures étaient pour ces Anciens la
base à partir de laquelle on pouvait commencer à penser la ville.
83

4. Le Nombre

« Connais le secret du Nombre car il engendre. Il est une


semence qui porte un fruit de son espèce… Cet élément
d’origine te guidera nécessairement vers toutes les formes
qui peuvent en résulter… mais ne sera que guide et non
image. »
R.A. Schwaller de Lubicz
« Her-Bak disciple »

« Quand deux nombres, en se multipliant, font un nombre,


celui-ci se nomme « plan » (epipedos). Quand trois
nombres, en se multipliant, font un nombre, celui-ci se
nomme « solide » (stereós) »
Euclide, VIIème livre des Eléments

ous avons vu dans le paragraphe précédent que les


éléments sont des expressions du nombre, son incarnation
dans les différentes couches de la réalité. Le nombre
engendre donc des formes qui l’expriment. Mais au delà de cette
lecture élémentaire, le nombre possède une charge profondément
symbolique, voire mystique, qui s’exprime dans une variété de
formes et de langages allant de la magie à la musique, en passant
par l’ésotérisme, la biologie, la Kabbale ou l’astrophysique. Le
nombre n’est plus pris ici en tant que quantité ou mesure, mais en
tant qu’expression d’un principe plus élevé, renvoyant à une autre
réalité, permettant de relier des contraires et de poser la base de
sciences spéculatives sur les différents modes d’existence de la
réalité. Le nombre, comme le nom, n’est plus une simple
désignation, mais l’expression dynamique de l’être ou du
phénomène avec lequel il se confond. Saint Martin nous disait que
« les nombres sont les enveloppes visibles des êtres », les
principes coéternels à la vérité.
84

Les nombres qui s’organisent en lois pour créer des syntaxes


harmoniques et organiser les énergies, ont été pour les Anciens, la
clef, le moule de l’univers. Grâce à eux, nous pouvions trouver des
points de référence dans le temps et l’espace. Ces nombres
expliquaient notre relation à l’Univers et organisaient les
calendriers en vérifiant l’harmonie des sphères et la mécanique de
l’âme.

Dans la pensée aztèque, les nombres sont reliés à un dieu, une


couleur, un point dans l’espace. La Chine voit dans le nombre, la
clef de l’harmonie macro-microcosme : la conformité de l’Empire
aux lois célestes. Platon faisait de l’interprétation des nombres, le
plus haut degré de connaissance et l’essence de l’harmonie
cosmique intérieure. Les vingt-deux lettres de l’alphabet
consonantique hébreu de Moïse, sont à la fois des lettres et des
chiffres. Un mot, une phrase peuvent être chiffrés, divisés,
multipliés par la valeur numérique d’un autre mot, phrase ou lettre
afin d’obtenir un résultat qui peut se lire en mot ou en nombre.
Ainsi, une phrase peut devenir espace et être géométrisée et
l’espace peut se lire en un verbe1. Cette science permit
l’élaboration de la discipline ésotérique de la Kabbale qui eut une
influence énorme en Occident dès la Renaissance (Pic de la
Mirandolle reste l’un des plus célèbre). Mais c’est encore Saint-
Augustin qui donne au nombre la définition la plus complète :

« Il y a d’abord le sens mathématique ordinaire du nombre.


Il y a le sens du rythme, soit musical, soit poétique.

1 La gloire de El-Shaddaî (un des Noms de YHWH) est toute entière contenue dans l’initiale du mot, soit le shin( ‫) ש‬. Ce ‫ש‬, a la valeur numérique de
300, soit la longueur de l’arche de Noé (300 coudées) - (alep=1, beth=2, guimel=3, daleth=4, … jusque yod=10, ensuite kaph=20,
lamed=30…jusque 100 puis 100, 200, 300 ( ‫ )ש‬et on arrive à la 22ème lettre à 400 avec tau) - . Ce qui permet une première interprétation en
disant que YHWH (El-Shaddaï) est l’arche, soit le sauveur des Hommes et du Monde vivant. Les kabbalistes chrétiens y ont vu l’image de Jésus, dont
la lettre centrale est le ‫ ש‬hébreu ( Jésus = I-SH-W (‫))ן ש י‬. Cette interprétation a abouti aux initiales IHS de nos cimetières, linteaux, potales et
missels, soit IESUS-HUMANUM-SALVATOR…Les mesures du temple d’Ezechiel, de Salomon, de la Jérusalem céleste permettent une richesse
d’interprétation incalculable. Les sociétés maçonniques du Moyen-Age ainsi que les Confréries de compagnons qui constituaient les forces vives de la
construction des villes, connaissaient bien les symboles numériques de ces temples saints et les déploiements philosophiques qui en résultaient. Cette
lecture permet de comprendre entre autres, les dimensions des bâtiments publics (cathédrales, perrons, palais, etc…), la répartition des fonctions,
ou le nom donné aux lieux…
85

Il s’élargit et prend le sens d’harmonie entre les diverses


parties des mouvements dans le monde ; et dans l’homme,
entre les diverses activités sensibles, intellectuelles ou
morales.
Enfin, en Dieu, numérus désigne la plénitude de l’unité,
contenant virtuellement, et les lois mathématiques, et la
beauté des rythmes, et toutes les harmonies du monde et
de l’homme. »

Ces intuitions sont de nos jours vérifiées dans les chaînes d’ADN,
les fractales, la science des particules ou la cosmologie
mathématique…Toutes ces sciences trouvèrent leur source et
leurs déploiements dans les travaux et recherches fondamentales
du nombre des pythagoriciens. Ces élaborations arithmosophiques
s’avérèrent inséparables des spéculations géométriques,
harmoniques, physiques, cosmologiques liées à leur tour à des
préoccupations morales, politiques ou religieuses.

Le nombre social et politique

Ainsi, on retrouve cette influence du nombre sous forme politique


et sociale, par le grand architecte pythagoricien Hippodamos de
Milet, fondateur de Rhodes, et rénovateur du Pirée. Ce
réformateur politique, dont les conceptions étaient alimentées par
des spéculations philosophiques à caractère mathématique, conçut
à Milet, la structure urbaine correspondant le mieux à son projet
de cité idéale. Sa prédilection pour la triade (les pythagoriciens
saluaient dans le Trois, la réconciliation de l’Un et du Deux sous la
forme d’une harmonie universelle, qui engendrait la gamme,
etc…)se remarque partout. Trois classes : artisans, agriculteurs et
guerriers. Trois territoires : le domaine sacré, le domaine public, le
domaine privé. Trois lois : outrages, dommages et meurtres. On
retrouve cette prédilection pour le trois chez Platon avec les trois
classes de la cité de la république, etc. Le nombre de ses habitants
était fixé à dix mille soit la décade pythagoricienne. L’étroite
correspondance entre tous les éléments constituant la cité grecque
86

fut à ce point réussie, que le tracé milésien se répandit rapidement


à tout le monde grec. Il deviendra habituel, tant pour la fondation
de nouvelles cités que pour l’extension ou l’aménagement de villes
existantes car il incarnait dans le nombre, l’esprit grec.

Ce besoin de clarté et de lisibilité dans le déploiement spatial des


constituants de la ville, va très souvent être réglé par les nombres.
Platon fixait le nombre des citoyens de ses cités idéales à 5040.
On assiste là, à une puissante mystique présidant à l’harmonie de
la cité. Les citoyens sont comme des bougies dans le monde. Leur
nombre se doit d’être parfait. 5040 = 1 x 2 x 3 x 4 x 5 x 6 x 7,
soit les 7 notes de la gamme, jouées sur les 7 cordes de la lyre,
selon des intervalles correspondant aux distances des 7 corps à la
terre sur l’heptachorde cosmique (les 5 premières planètes, le
soleil et la lune). Une cité faite pour jouer en harmonie avec la
musique des sphères, chère à Platon…

Ce nombre 5040, qui est divisible par les 10 premiers nombres et


aussi par 12, 36, 144, 360, servit aussi de générateur de
structures et d’espaces. Ecoutons Platon :
Rapport existant entre l’intervalle des notes et des
planètes de Robert Fludd (1617) « Ensuite, après avoir élevé dans le cœur même de la ville
un lieu qu’on appellera citadelle et qu’on entourera de
murailles ; de ce lieu, consacré à Hestia premièrement,
puis à Zeus et à Athéna, on divisera, comme d’un Centre,
la Cité et son territoire en 12 parties que l’on rendra
égales entre elles, en faisant plus petites les portions de
bonnes terres et plus grandes celles des mauvaises. Le
tout sera divisé en 5040 portions et chacune de ces
portions en deux parts que l’on joindra ensemble pour
former le lot de chaque citoyen, l’un situé proche, l’autre
loin de la ville. »

(Platon. Les lois V)

« Comme le Nombre entier (5040) se divise en 12 parties


égales, chacune d’elles, qui fait une tribu, peut aussi être
87

divisée en 12 autres, et l’on doit regarder chaque partie


comme un don sacré de la divinité, puisqu’elles répondent
à l’ordre des mois et à la Révolution annuelle de
l’Univers. »
(Platon. Les lois VI)

« Après cette division générale en 12 parties, il nous faut


voir comment, à ces 12 parties se subordonne un grand
nombre de subdivisions, qui, à leur tour, en engendrent
encore d’autres, jusqu’à ce que nous ayons épuisé le
nombre de 5040. De là les phratries, les démes, les
bourgs, puis la distribution et le mouvement des troupes,
les monnaies, les mesures de toutes les denrées, sèches
et liquides, les poids et tout le reste, que la loi réglera
dans une proportion et correspondance parfaite. »

(Platon. Les lois V)

Il est intéressant de remarquer que la ville de Cuzco (Amérique


Centrale) était divisée en 4 arrondissements et c’est de la place
principale, la Huaycapata (la place de la Joie) que partaient les 12
rues les plus importantes de la ville ; ville qui était sous la
protection du Dieu Sept (4 dieux solsticiaux et les dieux Tepeu et
Cuicumats, et le dieu « cœur du ciel »). Cuzco, d’où partaient les 4
Nan Cuna (Les Routes du Soleil), était la capitale de l’état Inca, le
Tahuantinsuyo (l’Empire des 4 Suyos, ou parties du monde). Il
était formé de 4 régions. Le Chinchasuyo occupait l’est du Pérou,
l’Antisuyo s’étendait dans les alentours du lac Titicaca, le Collasuyo
couvrait le nord-ouest de l’Argentine actuelle et le nord du Chili
septentrional, le Contisuyo comprenait la région du désert
atacaménique et le Chili central…1

1 Pierre Carnac in Les conquérants du pacifique.


88

Le nombre religieux

Cette division du monde en 4 régions1 est pour les égyptiens, « la


formule pour percer une ouverture dans le ciel, qu’a récitée Thot
sur Ounnefer tandis qu’il pénétrait dans le disque ». On retrouve
cette formule dans le livre des morts au chapitre 161 :

« (…)Vive Ré, meure la tortue ! Les réunis surpassent Ŕ


ils surpassent (maintenant aussi)- sa constitution
première.

Toute momie pour laquelle ces images divines sont tracées


sur son sarcophage, on lui ouvre 4 ouvertures dans le
ciel : une pour le vent du Nord, c’est-à-dire Osiris ; une
autre pour le vent du Sud, c’est-à-dire Rê ; une autre pour
le vent d’Ouest, c’est-à-dire Isis ; une autre pour le vent
d’Est, c’est-à-dire Nephthys. Chacun de ces vents qui est à
son ouverture, son rôle est d’entrer dans son nez.

Quelqu’un de l’extérieur ne doit pas connaître (cela), (car)


c’est son secret (à lui) ; les profanes ne doivent pas
connaître (cela). Ne le fait en faveur de personne, que ce
soit ton père ou ton fils, en dehors de toi-même ! C’est très
véritablement un secret ; personne ne doit (le) connaître. »
Les 4 vivants sont une image récurrente dans
l’iconographie chrétienne et proviennent des très
Nous voyons donc que cette division est un acte saint, interdit aux
anciennes figures du Moyen-Orient qui symbolisaient profanes qui n’en saisissent pas la portée, mais qui est cependant
les 4 gardiens de la Terre ou les 4 piliers du ciel. nécessaire pour faire « vivre ».

En Inde, les règles d’harmonie de la vie étaient inscrites dans les


Véda 2. Leur partie épique, les Purana, nous racontent le transfert
des 1000 temples consacrés à Shiva à la ville de Bénarès. Cette
ville était formée de sept anneaux concentriques représentant les
sept sphères célestes. La sacralité augmentait au fur et à mesure

1Le mot « quartier » vient aussi de cette division quaternaire de l’espace (un quart)
2Ces textes, comme la bible sont des expressions de nombres, des combinaisons de lettres-forces qui véhiculent un verbe, un logos, une pensée, qui
est l’âme sur laquelle se structure la vérité du réel…
89

qu’on se rapprochait du centre. Huit rayons correspondant aux


points cardinaux gouvernaient cinquante-six intersections, munies
chacune d’un temple dédié au fils de Shiva, Ganesh, protecteur des
seuils…1

Plus près de nous, la ville de Jaipur (Rajastan) fondée au XVIIéme


siècle fut bâtie sur un réseau de 9 carreaux, rappelant le Mandala
du Vastu-Purusha. Celui du centre, dédié à Brahma, accueillait le
palais royal. Le célèbre observatoire lui fait face ainsi que la tour
des vents, composant alors un vaste ensemble où les éléments,
les dieux , l’univers et les hommes pouvaient vivre en parfaite
syntonie.

1 Géréon Hach in « Vastu »


90

Le nombre harmonique

Mais c’est l’ancienne Chine qui nous a laissé le plus de documents


relatifs aux nombres et à leurs implications dans les rapports
d’harmonies qu'ils offrent entre l'Univers et la Pensée. Le « Yi
King » ou livre des mutations et les cinq classiques, rédigés pour la
plupart au VIIIème siècle avant notre ère, sont l’origine et le
fondement de la philosophie chinoise, le point de départ de toutes
les spéculations (Yi signifie caméléon et King le livre sacré).

L’une des plus anciennes légendes nous rapporte que Yu le Grand,


forgeron et géomètre, reçut d’une tortue (image de l’univers) les 9
principes essentiels. Il rétablit alors l’Harmonie après le déluge, en
parcourant les 9 fleuves, les 9 marais, les 9 montagnes, et divisa
le monde en 9 régions. Ce récit riche de significations fut alors
condensé dans le Mi Tang, la maison du calendrier, dont le sol de
9 cases recevait la visite rituelle de l’Empereur afin d’harmoniser
l’Univers. 1

Ces principes ont été appliqués aux villes. Le centre de chacune


est le Mi-Tang, à partir duquel se déploie l’espace. La ville de
Daxing (« grande prospérité ») qui devint sous la dynastie suivante
Chang’An (« Paix éternelle »), fut pensée par l’architecte Yuwen Kai
en 582 de notre ère sous le désir de l’Empereur Wendi. Elle est
conçue sur une symbolique numérologique intense. La nouvelle
ville fut terminée en 9 mois. Elle fut bâtie en 3 étapes : la cité du
Palais (Mi-Tang), la cité impériale, puis la ville extérieure. On
reconnaît dans cette disposition la clef des 64 trigrammes,
composés chacun de trois lignes ouvertes ou fermées,
représentant les cycles d’échanges entre le ciel, l’homme et la
terre. La ville extérieure fut conçue sur un plan en quadrillage
divisant l’espace en cent huit quartiers. 108 = (3 x 3 x 3 étendus
aux quatre directions x 4). Trois avenues reliaient le Nord au Sud
et 3 rues principales reliaient l’Est à l’Ouest. Chacune aboutissait à

1 On retrouve aussi 9 marches au trône impérial, 9 castes de fonctionnaires, et 9 lois sociales…


91

Plan géométriquede la ville chinoise de une porte de la ville. Les 12 portes (3 sur chaque coté) possèdent
DAXING,et plan de la ville après les chacune 3 entrées ( 108 = (3 x 12 étendus aux trois domaines
modification apportées au palais ,en 662
par l’empereur Gozong de la cité x 3)). Les marchés de la ville étaient en outre divisés en
9 secteurs rectangulaires etc. Il est à noter la rémanence de ce
nombre 108 en Orient. Le tantra bouddhique Kanjur (qui expose la
discipline monastique) possède 108 volumes, comme les 108
grains du chapelet tibétain, les 108 exercices du Tai Chi Chuan ou
les 108 Upanishads (livres de la littérature védique).
92

Le nombre symbolique

Cette ville de Chang’An prénommée « Paix éternelle », nous


rappelle étrangement par sa géométrie et ses nombres, la
Jérusalem descendant du ciel (salem de shalom « paix ») décrite
par Saint-Jean, cinq cents ans plus tôt, dans sa sublime Apocalypse
(« révélation »), ville qui fut la référence de tout l’occident chrétien,
non dans la forme extérieure mais dans la signification symbolique
des différents éléments.

« Alors, l’un des sept Anges aux sept derniers fléaux s’en
vint me dire : « Viens, que je te montre la Fiancée, l’Epouse
de l’Agneau. » Il me transporta donc en esprit sur une
montagne de grande hauteur, et me montra la Cité sainte,
Jérusalem, qui descendait du ciel, de chez Dieu, avec en
elle la gloire de Dieu. Elle resplendissait telle une pierre
très précieuse, comme une pierre de jaspe cristallin. Elle
est munie d’un rempart de grande hauteur pourvu de
douze portes près desquelles il y a douze anges et des
noms inscrits, ceux des douze tribus des fils d’Israël ; à
l’orient, trois portes ; au nord, trois portes ; au midi, trois
portes ; à l’occident, trois portes. Le rempart de la ville
repose sur douze assises portant chacune le nom de l’un
des douze apôtres de l’Agneau.
Celui qui me parlait tenait une mesure, un roseau d’or,
pour mesurer la ville, ses portes et son rempart ; cette ville
dessine un carré : sa longueur égale sa largeur. Il la
mesura donc à l’aide du roseau, soit douze mille stades ;
longueur, largeur et hauteur y sont égales. Puis il en
mesura le rempart, soit cent quarante-quatre coudées. Ŕ
L’Ange mesurait d’après une mesure humaine.- Ce rempart
est construit en jaspe, et la ville est de l’or pur, comme du
cristal bien pur. Les assises de son rempart sont
rehaussées de pierreries de toutes sortes(…) Puis l’ange
me montra le fleuve de Vie, limpide comme du cristal, qui
jaillissait du trône de Dieu et de l’Agneau. Au milieu de la
place, de part et d’autre du fleuve, il y a des arbres de Vie
qui fructifient douze fois, une fois chaque mois ; et leurs
93

feuilles peuvent guérir les païens.(…) Puis il me dit : « Ces


paroles sont certaines et vraies (…) »

Apocalypse de Saint Jean XXI, 9-XXII ,6

Déjà connue dès l’Antiquité, cette division duodécimale du temps et


de l’espace (rappelons-nous le dodécaèdre de la quintessence
dont les faces sont réunies par des angles de 108°) sera d’une
importance capitale dans les méthodes de planification, de
localisation, de division du territoire par rapport à des points de
références astronomiques.

Enrico Guidoni nous rapporte dans la ville européenne l’importance


que prenait l’horloge de Hagia Sophia ( « sagesse divine » traduite
par Sainte-Sophie) de Constantinople, la plus grande et la plus
connue des villes du Moyen-Age. Elle s’élevait près de la porte
Ouest de l’église. Douze petites portes étaient disposées sur le
pourtour de l’horloge. A chaque heure nouvelle, apparaissait une
figurine par une des portes. Elle restait là une heure, à regarder
une région déterminée de la ville. Ensuite elle rentrait dans sa
petite cachette pendant qu’une autre apparaissait à côté, et ainsi
de suite pour faire le tour complet. Il est remarquable de constater
que la ville était divisée en horae. Bologne et Gênes étaient
également divisées en 12 horae ; Spolète en 12 vaite, Toulouse
avait ses douze Capitouls et Rome à partir du XIème siècle eut ses
12 régiones ( la treizième, la Trastevere fut ajoutée plus tard).
Ravenne (VIIIéme siècle) était divisée pour des raisons militaires
en 11 undécimas partes, plus une douzième où trônait l’église, etc.

Les énormes connaissances astronomiques arabes ont donné aux


villes musulmanes d’Europe du Sud, l’emploi généralisé du nombre
7 dans les plans des rues. On n’y compte plus la présence de rues
à 7 tournants à angle droit ou de rues appelées « 7 tournants ».
On en retrouve en effet dans le Bario de Saint-Pierre à Cordoue, à
Séville, à Carmona, à Malaga, à Tolède,… Dans certains cas, il
94

s’agit de la traduction littérale de l’arabe, comme le prouve la


médina de Fez appelée Sab’ a luyat (« les 7 coudes »)…1

C’est en théologien averti que Notger inscrivit dans l’espace et la


pierre, la géographie mystique des visions de l’Apocalypse de
saint-Jean. Ce texte merveilleux et rempli d’espérance débute par
un encouragement émouvant du Christ aux 7 églises de l’Univers.
Le Christ tient en main 7 étoiles. Notger fondera Liège en y
consacrant 7 collégiales afin d’orner la cathédrale Notre-Dame et
Saint-Lambert « d’une couronne de collégiales et d’abbayes qui
forment un rempart spirituel appelé à doubler et à consolider les
murailles de pierre dont il avait entouré sa ville ».(J.-L. Kupper)

« La sagesse a bâti sa maison. Elle a taillé ses sept colonnes »


1 7 4
1 Livre des Proverbes 9.1
7
4 2 Le choix de l’emplacement des 7 étoiles nous met en présence
2 1
d’un véritable plan d’ensemble mystique qui déterminera
l’implantation et le développement des différents quartiers de la
5 6
cité mosane. Saint-Pierre, qui existait dès 727, fut la première
5
collégiale, tête de l’Eglise.6 Saint-Martin (965), saint patron des
3 ottoniens sera incorporée au système défensif de la cité et
deviendra une forteresse sacrée. Saint-Paul (970), l’apôtre des
païens est fondé 3sur une île au milieu des eaux, là où une chute
de neige tomba en plein juillet. Sainte-Croix (980) et Saint-Jean
(981) figurent le golgotha. Saint-Denis (987), converti par Saint-
Paul , évêque et martyr de Paris, et guérisseur des blessures d’un
des meurtriers repentit de Saint Lambert, verra sa collégiale
associée au système défensif de la cité, afin de protéger Liège
Liège au XIe et XIIe siècles
1 Saint-Pierre Ŕ 2 Saint-Martin Ŕ 3 saint-Paul Ŕ 4 sainte-Croix comme il protégea Paris. Saint-Barthélémy (1010), située à l’Est et
Ŕ 5 Saint-Jean-L’Evangéliste Ŕ 6 Saint-Denis Ŕ 7 Saint- hors-les-murs sera « la porte » qui accueillera les baptisés au sein
Barthélemy.
de la cité de Dieu.

1 Enrico Guidoni
95

Tout cela nous confirme dans l’idée que la ville se devait de


posséder une mécanique, une structure, la plus justement calée
dans le temps et l’espace, calquée le plus précisément sur la
merveilleuse machinerie céleste et sa cour. Notre mesure du temps
fonctionne toujours avec des étalons astrologiques. Les douze
mois en fonction des douze divisions zodiacales égyptiennes ; les
sept jours de la semaine indiquent les 7 corps mobiles visibles
(lundi / lune, mardi / mars, mercredi / mercure, jeudi / jupiter,
vendredi / vénus, samedi / saturne, dimanche (Sunday) / soleil)..
Le système sexagésimal sumérien1 et babylonien, sorte de
« zodiaque » dodécagonal anthropomorphique, reste encore notre
étalon du temps ( minutes-secondes) et se déploie dans l’espace
par le système angulaire (6x60°=360°)pour régler le déploiement
des territoires géométriques… Tout cela nous introduit dans l’idée
d’une géométrie de la ville, de la science des tracés.
Le joyeux ballet de la Grande et la
Petite Ourse, autour de l’axe sur lequel
se meut l’univers, a toujours su frapper
l’esprit de myriades d’humains qui ont
assisté une nuit au spectacle. Ces deux
fois sept étoiles possèdent une histoire
magnifique. « Aour » signifie lumière en
hébreu, tandis que Ours se prononce
CH.R.TZ, le Christ de saint Jean tient en
effet sept étoiles en main,(apocalypse).
Etc

Il est aussi à remarquer que la


constellation d’Orion qui se lève et se
couche pile dans l’axe Est-Ouest
possède aussi 7 étoiles et que dans la
mythologie, il pourchassait les pléiades,
les 7 sœurs…

1 On explique généralement l’origine du système sexagésimal ( à base 60) par la science du calcul et précisément du comptage. La base « 5 » (les
cinq doigts de la main gauche) associée à la base « 12 » (les douze phalanges de quatre doigts de la main droite, le pouce servant de témoin pour
compter les phalanges) permettait de venir à bout de calculs complexes des computs astronomiques et des divers calculs de gestion de la société, ou
du comptage de son troupeau avec ses propres mains. Il est clair que cette théorie de l’origine du système eut d’autres versions beaucoup plus
« magiques » et rituelles et tout aussi efficaces.
96

5. La géométrie.
La logique est la géométrie de l’intelligence. Il faut de la
logique dans la pensée, mais on ne fait pas plus de la
pensée avec la logique qu’un paysage avec la géométrie.

Victor Hugo

« L’Art doit bien imiter la nature non dans sa figure mais


dans son procédé de génération »

Paul Valéry (C, X, 226)

racieuse demoiselle aux gestes suaves et fascinants, la


géométrie a eu bien des amants. Son étude a déjà épuisé de
nombreux savants qui avaient entrepris la tâche de la
découvrir davantage. Et comme pour les points précédents, elle
mériterait à elle seule une étude, tant son implacable beauté et
justesse jouent un rôle majeur dans l’élaboration des structures de
la ville, soit en tant que méthode de planification ou en tant que
principe générateur. Que ce soit la géométrie sacrée, liturgique,
opérative, organisatrice ou de composition, toute géométrie a
souvent longuement soumis le territoire urbain à ces lois.

La Tradition voit dans la géométrie le moyen permettant d’agencer


et de déployer l’espace à la manière du Créateur. Cette science « à
tout faire » permet aussi bien de résoudre certains calculs, de
composer des gammes musicales, que de comprendre le monde et
l’univers. Le simple fait de regarder le ciel et on a compris.
L’observation minutieuse des étoiles, des figures, des « astres
errants » (planètes) mais surtout le déplacement de toute la voûte
de l’Est vers l’Ouest, permit aux Anciens d’élaborer des systèmes
permettant d’explorer et de comprendre cette mécanique. Afin de
Les femmes du haut atlas bénéficient encore d’un
extraordinaire maquillage qui les fait participer à s’en faire une représentation mentale cohérente, il fallut réduire le
l’harmonie divine en consacrant la désarmante beauté phénomène à un geste, un acte, une trace dans le sol, la pierre ou
de celles qui en sont ornée. le papier.
97

Chaque civilisation établit un calendrier. Celui-ci se construit à


partir de l’étude méthodique du ciel et de ses phénomènes
récurrents. Les calculs complexes se réalisaient par le tracé. Cette
géométrie opérative avait l’extraordinaire don de géométriser un
problème pour en visualiser la solution sans passer par le calcul.
Notre antiquité, et celle des autres civilisations aussi, avança dans
la découverte du monde par le biais de ses résolutions
géométriques. Ainsi, les tracés permettant de comprendre
l’Univers, n’avaient rien à voir avec sa réalité physique. Ils en
étaient la résolution et la compréhension, non pas sa
représentation. Les tracés extraordinairement complexes des
mandalas bouddhistes, ne cessent de fasciner. Ils sont la réponse
de l’Univers. Nous y voyons un dessin « oriental , les moines y
voient la clef de l’Univers. Dans tout l’Orient les mandalas sont
utilisés comme support à la méditation, afin de s’habituer petit à
petit à cette « connaissance »qui ne s’épuise pas. Il est ici
intéressant de signaler que nos villes sont aussi représentées par
des graphismes complexes. Cependant ceux-ci ne permettent
qu’une représentation plus claire d’une situation et ne révèlent rien
de transcendant et d’ontologique.

Ces passages qui géométrisent…

Le génial Kepler démontra que c’est l’octaèdre qui détermine la


distance entre la sphère de Vénus et celle de Mercure. Ces deux
planètes (étymologiquement « astres errants ») et leur cycle lent
(Vénus) et rapide, nerveux (Mercure) ont très tôt représentés un
couple sacré participant à la genèse de la ville. Vénus sortant des
eaux et Mercure ailé conceptualisent le moment où la vie peut
engendrer la vie, lorsque l’esprit plane sur les eaux…Leur temple
respectif s’établira sur une colline (mercure) surplombant les eaux
(vénus) comme par exemple à Lutèce (Paris).

Pour ce qui est de la symbolique, nous pouvons dire que


l’octogone et le nombre huit sont partout considérés comme le
chiffre du passage, le médiateur entre la terre (carré) et le ciel
98

(cercle). Selon Saint Augustin, c’est au huitième jour que seront


élevés les justes et condamnés les impies. Clément d’Alexandrie
(IIe siècle) assurait que « Celui que le Christ fait renaître est placé
sous le signe du huit. ».

Ces lieux de « passage » implantés judicieusement possèdent en


outre une symbolique puissante qui les rattache au gouffre
profond des temps et des espaces. Il est par exemple remarquable
de constater que Sainte-Croix et Saint-Jean de Liège possèdent
l’octogone dans leur tracé. Cet octogone n’a pas échappé à Jean
d’Outremeuse lorsqu’il souligne au XVI e siècle à propos de Saint-
Jean :

« La fachon et forme reonde ensi que astoit et est l’englise Nostre


Damme d’Yais-le-grain 1».

Sainte-Croix sur les hauteurs du publémont


La collégiale notgérienne reproduit en effet fidèlement la chapelle
palatine construite par Charlemagne vers 800 à Aix-la-Chapelle. Le
plan central était rare en nos régions de lumière, ce fait mérite
donc notre attention. Liège fille d’Aix ? En reproduisant fidèlement
le modèle aixois, Notger s’affirme dans le rôle que lui a confié
Otton 1 : maintenir le diosèse de Liège dans la mouvance de
l’empire ottonien. Voilà pour ce qui est des livres d’histoire.

Notger décida d’être inhumé dans cette collégiale Saint Jean. Ce


chiffre de la résurrection est aussi celui du passage. Située face à
Notre-Dame, au milieu des eaux, elle la protège de l’Ouest, région
obscure, celle des pluies et des ténèbres. La croix étant la
médiation par excellence, Sainte-Croix verra sa croisée de transept
Projection de la s’orner d’un octogone…
construction mégalithyque
Cathédrale d’aix-la- Collégiale Saint-Jean
de Stonehenge (En Par la suite, la science des tracés perdra peu à peu de sa
Chapelle de Liège
Angleterre, exactement
située sur le même signification de représentation de systèmes complexes, pour
parallèle que N-D D’Aix, devenir un outil de planification et de cohérence. Nous ne citerons
reproduite par dessous)

1 l’église Notre-Dame d’Aix-la-Chapelle


99

pas les villes connues pour leurs tracés et qui se laissent lire dans
de nombreux ouvrages. Notre but ici n’est pas de s’émerveiller sur
la beauté des gestes « régulateurs » qui harmonisent et redéploient
des chaos en ordre et en hiérarchies, mais d’en saisir le sens
humain.
Ce dessin nous permet de
savourer la structure St Bartélémy
subtile qui se découvre
dans l’implantation des
divers pôles Saints et des
portes du ciel de la cité S
ardente. Les 3 premières St Pierre a
forment un premier i
triangle (Pierre-Martin- n
Paul). L’Axe Pierre-Paul S t
(respectivement apôtres a -
des juifs et des païens) St Martin i P
figure le bois de la croix, St Croix n i
que Sainte-Croix-Notre- S t e
Dame confirment. a e r
L’implantation des 7 i - r
collégiales forme un n C e
grand triangle. C’est le St Jean t St Denis S
r
triangle d’or des - a
o
pythagoriciens, celui dont M i
i
la base et la hauteur a n
x
possède le rapport Phi, St Paul r t
1.6180339. Les t -
collégiales sont i J
distribuées sur les cotés n e
S
de ce triangle selon une a
a
progression d’1/3, etc. n
i
n
Toute une cohérence s’établit donc dans le schéma structurel de t
l’implantation des bâtiments religieux. Ce fait est nouveau et crée -
P
une jurisprudence. En effet, les villes antiques possédaient un a
centre religieux autours duquel s’étendait le quadrillage de la cité. u
Les villes chrétiennes distribueront les temples afin que toute la l
cité soit sainte et non plus seulement l’enclos des divinités…Les
habitants viendront s’installer à l’ombre de ces « passages «
temporels, visuels, sonores et intellectuellement justes et
délectables pour former une communauté remplie de fierté et de
joie d’appartenir d’aussi près à la Cité de Dieu.
100

6. L’image

« Car de subtiles analogies unissent l’irréelle et fugitive


édification des sons à l’art solide, par qui des formes
imaginaires sont immobilisées au soleil, dans le porphyre.
Le héros, qu’il combine des octaves ou des perspectives,
conçoit en dehors du monde…

Paul Valery (OE, II, 1403)

l arrive parfois que ce sont des images inscrites dans la


mémoire collective qui servent de base pour agrandir ou
développer la ville. Elles peuvent prendre des formes variées,
allant du simple signe jusqu’à une représentation quasi réelle de
l’image projetée.
Représentation
de la ville de
Bristol en
1479, avec 4
portes, 4 rues
et l’Alta Crux
(High Cross) au
croisement.
Cette
disposition
montre une cité
ouverte sur le
commerce. Les
églises ne sont
pas exagérées,
seuls importent
les 4 portes ,
les 4 voies
d’accés à la
place des
échanges, où
trône le
symbole du
nœud des
mondes et du
carrefour des
âmes (la croix).
101

Liège en 1649, gravure à l’eau A Liège on retrouve la transcription du Golgotha Hébreux, décidée
Forte de Mathieu MERIAN
par Notger, dans l’implantation de la cathédrale Notre-Dame et
Saint-Lambert(3), la collégiale Saint-Jean-l’évangéliste(1) et la
collégiale Sainte-Croix(2). La croix du Christ, plantée sur le
monticule du crâne (Golgotha signifie « lieu du crâne ») s’identifie
avec la collégiale Sainte-Croix, placée sur l’éperon du Publémont
(publicus mons). Ce lieu domine la cité tout en restant en son
cœur.L Notre-Dame et Saint-Jean, au pied de la croix finiront de
traceri le calvaire, prodigieuse scène où s’est déroulé notre salut :
è
g
« Voyant
e sa mère et près d’elle le disciple
qu’il aimait, Jésus dit à sa
mère : « Femme, voici ton fils. »
e
n
Jean IXX,26

1
6
4
9
,

g
r
a
v
u
r
e

l

e
a
u

F
o
r
t
e

d
e

M
a
t
h
i
e
102

Un des biographes de Notger note à propos de l’implantation de la


collégiale Saint-Jean :

« Notger édifia l’église sur une éminence de l’île, juste en


face de la cathédrale Saint-Lambert dont Notre-Dame était
la patronne principale, afin que l’apôtre préféré, que le
christ du haut de la croix avait donné pour fils à la Vierge,
eut toujours la vue de sa mère et que le gardien de Marie
fut toujours gardé par elle ».

Par ce choix , Notger voulu faire de Liège une fille de Jérusalem.

Les cités égyptiennes utilisaient ce systèmes de correspondance


avec les terres de l’au-delà. Le livre des morts cite plusieurs cités-
passages, villes-portes, marchepieds des terres Saintes qui
orientent le mort soit vers l’île de l’embrasement et ses terribles
salles d’abattage, soit vers le champs des souchets, afin de cultiver
le « pain » du ciel pour la plus grande gloire de Ré. Le chapitre 75
du livre des morts des anciens Egyptiens est révélateur à ce sujet.
C’est la formule que le défunt doit connaître pour accéder au
« paradis » qui est une ville…
« Formule pour se rendre à Héliopolis et y prendre place.
Paroles dites par N. : « Je suis sorti du domaine terrestre,
et mon vêtement est plus éblouissant que les entrailles du
cynocéphale. J’ai parcouru les domaines purs dans
lesquels sont les récompenses, je me suis introduit dans
les domaines de Remrem, je suis parvenu aux domaines
d’Ikhsesef, j’ai pénétré dans les recoins les plus retirés, et
je suis passé à la demeure de Kemkem. La boucle (d’Isis)
me tend ses bras vers moi ; elle m’a recommandé à sa
sœur Khebenet et à sa mère Kehkehet ; elle me place à
l’Orient du ciel, là où Rê se lève, où Rê apparaît haut
chaque jour ; étant apparu, ayant surgit, étant considéré
comme un dieu, je me suis mis par elles sur ce chemin
sacré sur lequel Thot chemina quand il apaisa les deux
combattants. « Qu’il aille, qu’il aille à Pe, qu’il vienne à
Dep ! »
103

Héliopolis, cité du Soleil où était conservée la pierre de Benben,


symbole de la renaissance Osirienne et Létopolis, cité d’Horus ou
l’on gardait les instruments sacrés de la cérémonie de résurrection
étaient deux villes saintes1. Letopolis était aussi le relais
d’importantes processions funéraires lors des résurrections des
pharaons. Quittant la « cité du Soleil », le cortège en passant les
eaux se dirigeait vers Horus (Létopolis) afin de se saisir de
l’herminette magique pour ensuite se diriger sur le chemin de
Rostau (Gizeh), porte d’entrée de la Douat, le royaume d’Osiris sur
terre et dans le ciel, dont les pyramides figuraient le cœur
emblématique..
S
16
km
18
km

Carte de la région de menphis.


On remarque la ville
d’héliopolis et celle de
Létopolis lui faisant face, sur
l’axe Est-Ouest, celui que
parcourt Ré chaque jour
nouveau.

1 L’égyptologue français Goyon rapporte que le géographe grec Strabon signalait près de Létopolis la présence d’un grand observatoire appelé
Kerkasore, dont parle Hérodote, qui prétend qu’Eudoxe et Platon y firent à plusieurs reprise des observations
104

Oscar Niemeyer a voulu utiliser l’image de l’aigle dévorant le


serpent des religions pré-colombiennes. Nous citons cet exemple
afin de montrer que l’image seule ne suffit pas. Il faut qu’elle soit
sufisemment riche, vivante , utilisable dans les jours normaux et les
fêtes tout en gardant un sens fort qui lierait les habitants. Le
golgotha de Liège faisait l’objet de procession. L’aigle de Niemeyer
paraît plutôt être n’être qu’une image accessible par la vue en plan
Le plan de la ville de Brasilia à la forme d’un et ne répond pas à une soif angoissée de sens.
oiseau. Mais celui-ci n’existe que dans
l’esprit de ceux qui ont vu le plan.
Dans l’argile, des réseaux de lumière

Ces routes Saintes, ces voies « magiques », ces implantations


Réseau de Croix dans les implantations
rituelles, orientées théologiquement et reliant des villes entre elles,
des Gromatici se retrouvent bien évidemment partout sur la terre. Nous savons
queS l’implantation des lieux saints ne relève pas d’un doux hasard.
Cesa sites doivent assurer le « passage ». Tous ces lieux ne restent
pasi isolés, ils se connectent entre eux pour former des structures
n
particulières
t et des cohérences singulières. Ces « routes »invisibles
quee l’on nommaient « laies » autrefois, quadrillent le territoire du
-
monde.
C
Athènes avait ses filles, Rome aussi, Jérusalem également.
Lar terre apportée de la ville mère et enterrée dans le Mundus
sacré
o de la ville nouvelle (romaine et étrusque) créait un lien
i
puissant
x que nos scientifiques quantiques redécouvrent avec
bonheur.1Cette image symbolique peut également se retrouver
s
appliquée sur des anciennes structures pour en renouveler le sens
u
etr l’intelligence. Ce sont les croix des rues. Ce symbole de la croix
se retrouvera d’une manière récurrente dans l’urbanisme des
l
villes.
e
Que se soit la division quadrangulaire romaine, Inca,
Egyptienne,
s …les villes du monde sont marquées par ce signe.
Nous avons vu que la Rome Chrétienne avait déployé un réseau de
h
croix
a autours du Colisée. Dans les villes européennes, on assiste à
unu maillage similaire dont la lecture se fait sur un fond de ciel.
t
e
u
r
s
1 Des particules « sœurs » ont la facultés de changer de polarité instantanément si l’on effectue un changement sur une des deux seulement.
d
u

p
u
b
l
é
m
o
n
t
105

Cette disposition cruciforme des basiliques se répandra dans tout


le monde chrétien dés le IVème siècle. Ce sera la marque de
l’interprétation chrétienne de l’Urbanisme Antique. Ces croix sont le
plus souvent « virtuelles » et ne correspondent pas nécessairement
aux Cardo et décumanus romain. Le programme chrétien faisait
des crux viarum (croix de rue) des crux ecclésiarum (croix
d’églises) et était un instrument prioritaire de planification du
territoire de la ville.

Les villes de Reims, Golson, Utrecht, etc…possèdent également


cette croisée de basilique et d’églises. Ce signe de croix, cette
référence qui imprime à la ville la marque de Dieu, comme l’Ange
de l’Apocalypse le fait chaque jour sur le front des « élus », marque
aussi le modèle Ango-Saxon.
Reims, dessin en plan avec la croix
des églises : O. croisement du Cardo
et Décumanus ; E. cathédrale située
diagonalement par rapport au
centre ; A. Abbaye de St-Remy avec
l’enceinte du 10ème siècle ; B. St-
Hilaire ; C. St-Crépin ; D. St-Victor
106

Goslar, dessin en plan avec la croix des églises : O. La Markkirche (Sts-Côme Utrecht, dessin en plan avec la croix des églises : O. Dôme au centre
et Damien) au centre ; A. Couvent de Sts-Simon et Judas ; D. Frankenberg ; de la croix ; X. St-Sauveur en position diagonale par rapport au centre ;
B. St-Georges ; C. St Pierre A. St-Paul ; B. St-Jean ; C. St Pierre ; D. St-Marien

Cette référence chrétienne sera ensuite progressivement


substituée après le haut moyen-âge au profit de la logique
commerciale. Le système à « croisée d’église » est progressivement
remplacé par la « croisée des chemins », ou de routes
commerciales, au centre de la ville (ex : Bristol, Manchester et
autres villes anglo-saxonnes).
107

7. Dans le brasier des symboles

« Là où tu te trouves sont les autres mondes »


Scholem

« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu ? »

Paul I. Cor.III, 16

ous avons vu que la ville signifiée par des référents


universels devient un lieu propice pour y établir nos
familles. Les précédents « outils philosophiques »
permettant d’inscrire et de construire le monde humain dans le
monde de la nature, nous ont révélés quelques moyens mis en
œuvre par les concepteurs de cités. Il ne faut cependant pas
oublier que la cohérence d’un point dans un milieu dépend de la
cohérence de ce milieu. Un Empire, qu’il soit chinois, égyptien, ou
romain établira une même philosophie aux villes qu’il implantera.
L’inverse est vrai aussi. Une même philosophie fera apparaître des
villes similaires. L’impérialisme Américain a par exemple essaimé
partout ses villes en kits. Mais il n’y avait pas de réflexion
symbolique derrière. C’est la mentalité mécaniste. On a ensuite
maquillé les boites en langage régional pour en couvrir les
territoires conquis.

(…) On me fit voir ensuite une grande maquette, dans une vitrine. On
disait que les Américains avaient promis de tout reconstruire à leurs
frais ; une manière de dédommagement. La maquette représentait la
Rimini future. Et les Riminais regardaient. Puis ils disaient : « cela
ressemble à une ville Américaine. Mais qui est-ce qui veut la ville
américaine ? »(…)
Frederico Fellini-1967 in les propos de Fellini,
editions Buchet/Chastel 1980

On remarque ainsi que des villes « sœurs » ou ayant des intérêts


communs, ou désirant avoir un essor identique ou bien partageant
108

la même crise, adaptent peu à peu leurs formes et leurs structures


pour ressembler à la ville mère, celle qui est la porteuse de
l’idéologie. On ne compte plus les filles de New York. Depuis
l’Amérique jusqu’en Asie, en passant par Bruxelles. Les cités
financières se ressemblent toutes. Or quand le centre et le
fondement de l’idéologie se situe ailleurs que dans l’Homme, cela
devient un milieu pathogène et eugéniste qui contamine
l’ensemble, car plus rien n’est sensé. La place qui nous est laissée
est celle d’un outils qu’il faut bien loger et entretenir pour faire
fructifier l’idée. Cette lamentable idôlatrie à été bien souvent le
signe de la fin des grandes civilisations.

En Chine, l’enceinte de la ville marquait la limite géométrique du


monde manifesté. Il est évident que cela restait un symbole. Un
symbole particulier, magique, « quantique »…Une des règles de la
magie appliquée est la science des correspondances. Pour
protéger une maison par exemple, il suffit d’en dessiner
correctement le plan, de l’orienter identiquement au modèle selon
les signes cardinaux, et de mettre le tout sous une forme, un nom-
force, un signe harmonique ou des objets « agissants ». La maison
réelle subira l’action bénéfique que l’on exercera sur le « témoin »1.
Pentacle moderne appelé « symbole La ville où siège l’empereur sera le témoin de l’univers. Ce qui se
compensateur » et utilisé couramment par
les géobiologues pour « assainir » les passera en son sein, se répercutera sur l’entièreté des mondes. La
maisons. Le triple triangle et ses 9 points limite permet que les actions désordonnées des étrangers et
de contacts est une géométrie barbares ne viennent anéantir le cycle parfait dans lequel se meut
particulièrement efficiente lorsqu’elle est
associée au très Saint Tétragramme le monde. Les parias, dissidents, seront des hors-les-murs afin que
YHWH et l’initiale du shin hébreux. leurs actions ne contaminent pas l’harmonie cosmique. Si les

1 . La photo percée d’épingles, ou entourée de roses fonctionne de la même manière. La lutte opiniâtre qui opposa les iconoclastes, puis ensuite les
musulmans et juifs aux chrétiens vient aussi de là. La représentation de Dieu, son image (icône) devenait un vrai blasphème doublé d’un crime
puisque quiconque la possédait pouvait « agir » sur Lui. Pour les chrétiens, Dieu s’est fait homme, il a donc donné son image aux mondes et par là sa
« substance », c’est le mystère de l’Incarnation. En agissant sur l’homme, on atteint le Dieu Chrétien. Pour les juifs, le don de Dieu fut fait par la
révélation de son Nom à Moïse : YHWH , « Je suis celui qui Suis ». La kabbale est une science du Nom Divin et posséder le Nom permettait de « plier »
les forces qu’il contenait à nos desseins. En agissant sur le Nom, on agissait sur Dieu. C’est la base de la Magie. Celle de nos campagnes employaient
le nom de Jésus…Les Egyptiens employaient des « mots de puissance » dans lesquels se déployait « l’ankh », hiéroglyphe de la Vie. Bref, toutes ces
magies se retrouvaient dans leur but : utiliser les puissances que le Dieu-Vie avait maintenues scellées dans son don aux hommes. Le « témoin » ,
l’homme, le Nom de Dieu, le nom de la Vie serviront d’interface pour « calquer » le modèle Divin aux nécessités quotidiennes, introduire le ciel sur
terre. En chine, le ciel était l’empereur. Son domaine se devait d’être saint, car il garantissait ainsi la sainteté au monde.
109

habitants deviennent trop nombreux, on recréera une ville parfaite


ailleurs. Les grecs et les romains agissaient de la sorte aussi.
Puisque la « frontière » de la ville s’identifie à la frontière du
monde, on comprend l’importance des rites et des liturgies pour
consacrer la « correspondance » et caler l’orientation. Les résultats
de la mise en pratique de cette approche des énergies et des
correspondances ont donné des résultats probants puisque ces
pratiques ont duré des millénaires sur toute la planète sans
discontinuer.

Des axes pour unique montagne…

L’image traditionnelle de la ville paraît être dépourvue d’axe. On y


voit un congloméra de fonctions et d’espace encerclés par des
murailles successives, sans autres raisons que de contenir la
collectivité qui s’y ramasse. L’étude des plans, des structures
viaires, ne paraissent aucunement induire la notion d’axe. A
l’inverse, une ville de la renaissance, baroque ou industrielle, nous
met en présence d’une flopée d’axes, tant au niveau des voies de
communication que dans la dynamique de certains îlots tendus
vers un point de jaillissement ou d’aboutissement. Pourtant chaque
modèle possède un système d’axe qui détermine son orientation.
C’est que les axes traditionnels ont surtout une dimension
verticale, dynamique, symbolique et sacrée, les axes renaissants,
baroques ou modernes ont une dimension horizontale, spatiale, et
dont le but principal est de constituer d’instrument de planification
et de composition spatiale, afin de clarifier au mieux la ville et lui
donner une lecture et une compréhension plus aisée. L’axe vertical
est lié d’une certaine mesure au pouvoir temporel, le vertical à
l’autre.

L’axe permet la mise en relation physique et visuelle. Un


emplacement de choix sera le lieux ou s’unissent le yin et le yang.
CesB deux concepts trouvent leur équivalent dans des termes bien
o
deu chez nous, comme par exemple le froid et le chaud, l’humide et
l’aride,
s le haut et le bas, le lâche et l’ordonné, le flou et le net, le
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110

sacré et le profane etc.… La ville sera à la rencontre de tout cela.


Il suffit qu’elle se situe à la rencontre d’une plaine et d’une colline,
d’un cours d’eau et d’un rocher, d’une route (horizontale) et d’un
temple ou un lieu de sang (martyr pour consacrer un passage
vertical), de foret et de prairie, d’île et de continent ou à la
confluence de deux rivières qui ont drainé les eaux de deux
régions opposées, etc.…A cet emplacement pourra vivre la ville.

Diverses traditions expriment cette rencontre du ciel et de la terre,


et la fixation en ce point précis du centre, depuis lequel s’étendra
celle qui aura la charge de civiliser des hommes. Ce centre
deviendra l’axis mundi, la columnus universalis ou l’ombilicus
terrae des régions qui l’entourent. Toutes les traditions ont un
rituel de fixation de ce lieu sacré et s’expriment selon des
symboles fort proches. C’est souvent au travers de flèches
descendantes que les forces du haut fixent les énergies
chtoniennes : Les flèches d’Appolon qui tuent le serpent Pyton
(grèce-Delphes), le bâton d’hermès sur lequel s’enroule deux
serpents, la lance de Saint-Michel archange qui terrasse le dragon,
ou l’aigle qui dévore un serpent (Incas-mexico), ou une femme
vierge aux ailes déployées qui écrase la tête d’un serpent (Europe
chrétienne cathédrales Notre-Dame), ou encore le dieu-faucon
Horus, foudroyant le serpent Seth de ses rayons… Là où l’on
discerne ce combat, dans les géographies des alentours, on y
inscrit une ville1. Le serpent ou le dragon est principalement
attribué au cours d’eau sinueux ou aux réseau souterrains. L’aigle,
la femme, Saint-Michel, ou Horus, figurent la bienveillance céleste
qui sanctifiera l’eau et domptera le serpent. Ce moment est traduit
dans l’espace par un axe reliant le pole mâle domaine du sacré au
pôle féminin ou s’établissent les hommes. Cet axe permettra de
féconder la ville, sans lui la ville est mort-née et ne pourra accéder
au statut de ville civilisatrice. Un dépôt humain, un camp dortoir,
une fosse à viande, un centre d’activité mais pas une ville vivante.

1Les cultures qui associent les deux forces reprennent les mêmes symboles : le serpent à plume Quetzalcoatl des aztèques , la Grande Wouivre celte, représentée par
un serpent aux ailes d’aigle, ou le dragon ailé chinois.
111

Les collines qui recevront ces hiérophanies seront attribuées aux


fonctions messagères. On y trouvera les temples de Mercure le
messager, de Mithra, des églises dédiées à Saint-Michel archange,
ou au Sacré-Cœur le médiateur. Ces monts sacrés ont toujours leur
« repons » en un point géométrique qui le prolonge vers la cité des
hommes. Ce sera le temple de vénus sur une île ou près des eaux
ou une cathédrale Notre-Dame , qui serviront de matrice féconde
pour faire naître et fructifier la vie des hommes.

Dans le brasier des symboles


Ainsi à Paris, la butte Montmartre, la tortue noire, était au temps
de Lutèce, le domaine de Mercure. Un temple lui était consacré.
Aujourd’hui, le mons mercurii est consacré par le Sacré-Cœur de
Jésus, qui s’est révélé à Marie à la coque comme le Médiateur de
toutes les Grâces. La fonction médiatrice de la colline du Nord est
donc préservée. Le Sacré-Cœur étant également vénéré comme un
bouclier puissant contre l’ « accusateur »1, le concept de tortue
noire est aussi préservé.2

Sur l’île de la cité se trouvait un temple dédié à Vénus. L’île est à


présent sanctifiée par Notre-Dame. La fonction maternelle,
féminine et aquatique que le lieu inspirait au latin garde toute sa
force pour les chrétiens.

A Liège, au cœur de la cité, sur le cône de la Légia, à l’endroit


sanctifié par le martyr de Saint-Lambert (consacrant un
« passage » vertical) s’élevait la gloire de Notre-Dame-et-Saint-
Lambert. Notre-Dame possédait ainsi sa place maternelle et
féconde au milieux des hommes et des eaux. La croix médiatrice
(Sainte-Croix) la surplombera et lui donnera vie….

Nous voulons simplement remarquer ici, que l’implantation des


bâtiments religieux et leur « polarité » suit des lois et des principes

1 Satan en hébreux
2 Le choix de l’emplacement du sacré Cœur de Cointe, à l’entrée des eaux de la ville, sur une colline la surplombant garde toute sa justesse.
112

qu’il est impossible de violer sans détruire toute la logique de la


cité et le sens de son visage. Supposer que le « choix » des lieux
sacrés est abandonné à l’homme lui-même, c’est rendre
inexplicable la continuité des espaces sacrés. Essayer de les
dissimuler, de les détruire, de les rendre impraticable ou d’en
effacer le sens et la mémoire1 n’est pas une preuve de
bienveillance envers notre splendide faculté de pressentir le sacré
dans les territoires que nous enchantons.

B
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s
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d
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1 La mise à sac de l’identité liégeoise ne s’est pas arrêtée avec la destruction de la cathédrale puisque aujourd’hui encore, on rend la place Saint-
g
Lambert soigneusement impraticable aux éventuelles manifestations religieuses et folkloriques. L’hommage que la ville à réservé à notre Grand Saint-
Martyr se résume en un cylindre en aluminium, capote à buse de parking, é dont toute trace du Nom de Saint-Lambert est effacé. Idem pour l’hommage
à Notre-Dame-et-Saint-Lambert : une grosse bouse de dinosaure fossilisée o sur un rond point d’autobus. Imagine-t-on pareil mépris pour Saint-
m
Georges à Mons, dont la ducasse et le doudou vont faire partie du patrimoine
a
mondial de l’humanité ? Ce n’est pas en supprimant nos racines qu’on
nous libère, mais c’est en tout cas le plus sur moyen, et le plus rapide, nde nous faire crever…
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»
113
114

Chapitre 3 : Actualisation
Est-il original ? « S’il inspire, alors oui, il l’est. »
Anonyme du XXIème siècle

« Moins une population a d’identité et plus les


intellectuels se trouvent intelligents, lucides,
ouverts sur le monde »
Francis Perrin

Jardiner le monde

près avoir survolé les domaines enivrants, il est bon à


présent de se resituer dans l’Histoire et le monde
d’aujourd’hui pour évaluer la pertinence d’utiliser de tels
mécanismes. L’ensemencement symbolique dont nous parlions
tout à l’heure est peut-être plus périlleux qu’il n’en a l’air, car cela
demande d’ouvrir sa chair aux parfums du Large, y laisser entrer
l’air neuf, vif, et oser recevoir en pleine charge ses sublimations,
étranges, travaillantes, familières, tenaces et respirantes ; renouer
avec le don, le sacrifice ou la dépense ostentatoire dont procède
fondamentalement tout établissement humain. Renouer aussi avec
l’Esprit du jardinier1 et retravailler la ville comme lui.

1 Car nous sommes tous des jardiniers. N’avons-nous pas été créés dans un jardin d’Eden afin de l’entretenir (Genèse) selon les commandements
d’un Dieu Jardinier (YHWH), planteur d’arbre, et admirateur d’Oliviers sauvages (Jésus). Les autres traditions du monde font également référence au
jardin primordial qui prit la forme d’un enclos sacré pour les japonais, …
115

Or, quoi de plus inutile qu’un jardinier ? Il s’occupe de choses qu’il


suffit de raser pour avoir la paix et se tracasse pour d’autres qu’il
ne maîtrise pas (le temps, la qualité des semis…). Et tout son
travail se fait pour que d’autres après lui en bénéficient
gratuitement. Mais notre jardinier a un idéal plus élevé car il sait
qu’il ne peut rien vendre à ces plantes, et que celles-ci ne lui feront
pas de cadeaux. Il travaillera à leur bien-être, à l’harmonie des
parties au tout, et du tout aux parties. Il introduira le concept de
beauté et de gratuité, en mettant en place toutes les qualités qui
font du temps une célébration. Mais il existe de mauvais jardiniers,
ceux qui laissent les mauvaises herbes envahir tout, qui laissent
grossir des arbres sans tenir compte de l’éclatement possible par
grand vent, qui plantent trop tôt par intérêt ou qui, impatients,
usent d’engrais et de fertilisants pour jouir de l’immédiate beauté
que permet l’exploitation outrancière…

Jardiner la ville demande une maturité. Un âge adulte afin d’oser


des coupes sombres, le sécateur, le fumier, jeter le pourri, oser la
patience, oser semer dans les larmes, et surtout accepter l’idée de
la mort, la grande, celle qui annonce l’arrivée de la vie.
116

8. La peur du futur et la peur du passé.

La peur n’est rien d’autre que l’abandon des secours


de la réflexion. Moins on compte intérieurement sur
eux et plus on trouve grave d’ignorer la cause de son
tourment.
Sagesse 17,11,13

Bienheureux ceux qui savent rire d’eux-même :


Ils n’ont pas fini de s’amuser.

ser introduire le concept de la Mort dans la ville est peut-


être un peu cru. Cela permettrait en tout cas de résoudre les
grandes peurs qui paralysent le développement urbain en
cadenassant toutes créations dans des modèles choisis. Que
celles-ci fassent références à des modèles anciens ou futurs, cela
revient au même, puisque cette situation cloisonne le temps en
concepts formalistes, en empêchant toute réflexion saine. Les
formes et les structures urbaines sont alors étiquetées par des
préjugés les identifiant à des modèles de sociétés ou à des valeurs
morales que l’on juge néfastes ou à l’inverse, trop modernes, et on
tremble devant l’une et l’autre comme devant un dieu que l’on
aurait voulu jeter et qui resurgit encore et toujours…Il n’y a alors
plus d’autres alternatives que la fuite en avant, et inventer de
l’inédit sans tenir compte de l’expérience humaine qui a
sélectionné durant des millénaires des logiques simples et
humaines…

Cette fuite en avant vers le Disneyland technologique a pour


conséquence de vouloir s’ancrer dans le Disneyland folklorique. Et
on revient au point de départ, à ceci près que ces deux extrêmes
relayées par le pouvoir lui-même, nous introduisent subtilement à
découvrir ce qui nous hante : cette soif alchimique de l’immortalité.
Mais à l’inverse de nos frères alchimistes qui plaçaient leurs
expériences sur les différents plans de conscience (spirituel,
117

psychique, physique), nous ramenons tout au plan physique et on


fige tout, pour tout maîtriser et annuler le temps.

La peur du futur

Jamais dans l’histoire religieuse de l’humanité, on n’a assisté à une


réglementation aussi complexe et pénétrante de nos faits et
gestes, idées, amours, argent et pensées, que dans nos sociétés
mourantes. Tout est cadenassé, répertorié, filmé, fiché, stocké,
réglementé et classé. On nous dit pour qui voter, qui est méchant,
quelle quantité de sel on peut ingérer par jour, à partir de quelle
âge on est un être humain et à partir de quelle incapacité on ne
doit plus l’être, on va jusqu'à s’immiscer dans l’intimité la plus
sacrée du couple en imposant une manière citoyenne d’user de
son partenaire en toute sécurité…Cette diarrhée législative va de
pair avec les méthodes nouvelles de sondages pour tout et pour
rien, avec l’hystérie de sauvegarder toutes les espèces vivantes, la
glace des pôles, les virus, la misère, la richesse et les ruines des
latrines romaines. Nous payons un lourd tribu à cette fièvre en
photographiant tout et en ne vivant plus. On vit pour stocker, c’est
l’ère du hamster. Et plus on stocke, moins on a de temps pour
regarder ce que l'on a stocké, et plus on a l’impression d’oublier et
plus on meurt sans souvenirs et déracinés…
118

Cette grande peur du futur et du changement est principalement


dû à cette pénétrante certitude que l’homme, l’architecte ou
l’urbaniste d’aujourd’hui sont incapables de créer le beau, de
rendre heureux, de produire une réflexion sur la ville qui ne
paraisse pas issue d’extraterrestres ou de financiers. On se
convainc alors que chaque patrimoine ne peut être remplacé que
par un truc débile, pauvre, nul et vitré, alors on accumule, on
fossilise, on réglemente et on codifie afin de mieux appliquer les
formes sauvées du déluge, dans le but de garder des traces de
notre « grandeur perdue », comme si dans un bref éclat de lucidité,
on prenait conscience que tout a une fin et que la nôtre n’est peut-
être pas si loin, et on tremble…

Cependant, ces recettes à faire du cohérent que nous imposent les


organes du pouvoir sont basées sur des concepts formalistes et
d’aspect. Et tant qu’on laisse la logique technique dicter la
régulation des schémas des rues et des implantations, c’est
comme si on positionnait des nains de jardin sur une autoroute.
Or, la forme n’est rien. On pourrait recréer des villages
traditionnels extraordinaires en employant des toitures courbes,
Il n’y a pas que les nains de jardin qui sont la référence des tours ou des toits plats, des avancées et des reculs, des
des lotissements, les petits canards sont également fort
remarquables… dépassants de toiture et des cheminées énormes sans aucun
problème, si la logique humaine et sensible était la base de toute
réflexion. Car la tradition n’est pas forme, mais esprit, et l’esprit à
un langage, qu’il faut réapprendre.

C’est cette séparation entre d’une part l’architecture (pour les


« artistes ») et d’autre part les questionnements urbains (pour les
ingénieurs, techniciens et géomètres) qui crée les horreurs des
villes et des campagnes. Et cependant on continue à nommer des
urbanistes qui ne pensent que par sondages, implantations
rentables, gabarits, logique de réseaux d’égouts et économie de
conduites de gaz interposées, pour donner un cadre aux p’tits
créateurs qui feront leur joli caca dans la trame imposée. Le
prétexte « traditionnel » servira à renforcer l’idée que le souffle qui
a généré les formes du passé peut être modélisé et reproduit dans
119

notre modernité. Or la catastrophe des lotissements prouve


évidemment le contraire. C’est l’Inspiration, libre, respirante,
retravaillée ensuite par les techniciens afin de l’incarner au mieux
sur terre qui doit être la première force créatrice. Tant que
l’homme symbolique, spirituel n’est pas le centre des dispositifs,
on continuera à faire des incongruités qui termineront le massacre
des espoirs d’une ville humaine.

La peur du passé

Mais si la fossilisation obsessionnelle est une preuve d’immaturité,


la peur obsessionnelle des formes du passé à l’instar d’un vampire
et d’une gousse d’ail sur un crucifix, l’est tout autant. Cette utopie
du monde nouveau, forgée par les romans de science-fiction et les
feuilletons américains des années soixante a influencé toute une
génération. Cette peur terrible de se servir de réflexion ancienne
est perçu pour beaucoup comme une gifle à notre capacité
d’invention ,et il plane encore de cette angoisse d’être sanctionné
par ses pairs pour avoir osé utiliser une méthode qui rappelle celle
du passé...Conditionner l’éventail des possibles dans la seule limite
qu’autorise une saine intelligence de la modernité, conduit à des
impasses où les seules pistes de réflexions restent bien souvent
limitées à ce que permet la modernité : des formes vides extirpées
avec violence de cerveaux fiévreux et asexués par des rites
intellectuels obscurs1. Effacer la mémoire et les symboles profonds
de nos terres intérieures stérilise toute création au profit d’une
triste répétition de formes académiques2 modernes dénuées de
toutes références humaines. Cette extrême pauvreté symbolique
« portée de volume » pour Athénes (M. Bourdeau)
conduit tout autant, sinon plus, à vouloir conserver les cadavres

1 Nous pensons au vaste projet Euralille qui confond allègrement problématiques spatiale et localisation, gestes forts et recopiage des lignes de
forces etc. le tout , orchestré par la « Dynamique d’Enfer » consistant en : « l’exacerbation de la complexité même comme seul ciment des forces sinon
centrifuges impliquées dans une entreprise aussi colossale qu’Euralille »(¿ ? ! ) J-P Baîetto, grand prêtre d’Eurallile.
2 Si l’académisme est défini avant tout comme l’art du pouvoir, promu par lui et proposé au peuple comme la référence du bon goût, force est de

constater que l’art dit « contemporain » est une haute forme d’académisme, ainsi que toute création du même nom, puisque c’est un des seuls à
bénéficier des commandes publiques pour « enjoliver » les nouveaux palais politiques….
120

anciens car leur dernier soupir nous racontent encore ce que nous
sommes.

En voulant éradiquer les clochers et le fantôme de l’obscurantisme,


on a du même coup privé les hommes du symbole de l’identité et
du lien social de la communauté. A l’inverse, en voulant reproduire
formellement des volumes traditionnels sans en comprendre le
souffle qui les a générés et disposés, et en les alignants dans des
lotissements de géomètres, on a privé les hommes d’une logique
traditionnelle de continuité qui constituait l’identité d’une
communauté.

Retrouver cette saine sagesse du jardinier qui prend autant de


plaisir à tailler un chêne ancien que de composer des greffes
délirantes, permettrait de remettre tout à sa place. En effet, ce
n’est pas un combat contre le passé qui doit nous animer, à moins
d’être fragile au point de croire qu’on peut juger le passé en
crachant sur ces témoins, dans ce cas il y a des maisons très
sympathique qui soignent bien…mais c’est prendre en charge le
passé et le présent, sans chercher à les confronter et à faire de la
ville un champs de bataille idéologique, mais un jardin où chaque
époque peut donner de son meilleur arôme pour embaumer nos
vies de lumières. Et quel autre moyen pour cela que d’employer le
même langage, le même verbe, pour raconter avec nos accents
propres et les expressions qui nous glorifient, notre vie partagée
sur cette même terre. Le seul effort est de retrouver cette langue,
qui est celle des hommes humains, et qui nous caractérise
jusqu’au fond des tripes : l’image et le symbole.

Notre « grandeur perdue », est précisément cette capacité


symbolique qui illumine notre intérieur d’une sorte de fulgurance
sereine en nourrissant notre âme de milles délices ; car nous
sommes les mêmes qu’avant, doués des mêmes grandeurs, des
mêmes génies et des mêmes beautés. Nous avons les mêmes
facultés créatrices, mais nous avons jeté l’essentiel ! L’image et le
symbole, ceux-là mêmes qui nourrissent le sens en nous
121

empêchant de nous empêtrer dans des théories stériles qui


servent à justifier les aspirations du capitalisme le plus mortifère.

Et en réintroduisant cette capacité d’accueillir la mort1


sereinement, on se sent enfin libéré de ce poids immense qui nous
paralyse à vouloir garder des tchinisses étouffants alors que le
vent de la Vie, le Grand Epicé attend à nos portes le moment où on
l’accueillera avec des mots choisis qu’il reconnaîtra… Si nous
retrouvons nos capacités de composer dans le langage du
symbole, alors la crainte de se voir pillé par les monstres en béton
s’éteint, car toute la ville se retrouve en des mains qui savent lire
la partition pour jouer la même symphonie. Et l’hypocrisie de la
préservation du patrimoine ne sera plus de mise car tout deviendra
patrimoine.

La ville est aussi comme un champs où s’épanouit une


multitudes « d’espèces » qui ont cependant toutes un type
de croissance et de génération distincte, ce qui leur permet
de se distribuer selon des lois précises (allongé-jaune en
haut, ça et là ; pointillé-blanc au milieu et en groupe ; frisé-
rose par grappes isolées ; vert-ligné en bas ,etc), selon le
milieu, le terrain, l’ensoleillement… pour composer une
hiérarchie paysagère cohérente. Si l’on « humanise » ce
paysage, on lui attribuera des fonctions selon la situation de
chaque « espèces » (jaune-symbolique/ religieux ou
communautaire, blanc-commerces, vert-habitat,etc…) en
des échelles de grandeurs correspondantes. La ville-
paysage obtenue aura plus de résonnances intérieures que
les villes-voiture , villes-réseau ou villes industries, car leur
structure nous est familière et naturelle…

1 Nous parlons bien sur de la mort naturelle, formelle, celle qui passe de la chrysalide au papillon, de l’embryon à l’enfant, du bourgeon à l’arbre, sans
pour autant renier l’ origine et l’identité de ces étapes intermédiaires. Car la vie, comme l’amour est une mort et une naissance perpétuelle. « Si sans
cesse tu ne crées l’amour, sans cesse l’amour meurt » dit un poême africain. Cet amour ne sera pas différent du premier, il sera renouvelé, de
l’intérieur, en gardant le même visage et les même expressions de tendresses afin d’être reconnu... C’est cette pénétrante et ennivrante continuité
dans « l’être ensemble » qui fonde l’amour véritable et qui conduit, avec l’allégresse de la certitude, vers l’immortalité…Et la ville qui acceuille la mort
doit le faire en tant qu’épouse et non en tant que courtisane, car la courtisane est aimée de beaucoup d’hommes mais aucun ne veut vivre avec…La
mort ne nie pas le passé, mais lui donne une signification et une valeur.
122

9. Le formalisme et la symbolique

« L’œuvre et le temps ont beau passer, l’esprit dans


lequel les œuvres ont été opérées continue à vivre. »

Maitre Eckart (vers 1260-1328)

« Le concept d’espace, dissocié de tout contenu


physique, n’existe pas »

Siddharta Gautama (Bouddha), Vè Siècle av.JC

ais cette béatitude puérile du bonheur retrouvé serait


superbe si on n’avait pas violé outrageusement l’image et
le symbole en les ridiculisant d’une manière criminelle,
pour en user sans en comprendre le sens et dans le seul but de
faire des justifications pré-pubères et intellectualisante de projets
commerciaux. Il est temps de bien cerner la différence
fondamentale entre formalisme et symbole.

Le formalisme pseudo-symbolique a été utilisé pour justifier la


bibliothèque de France, Euralille, Brasilia, la chapelle de
Ronchamps, etc. Bref, des architectures de formes et de jeux
spatiaux qui ne parlent que d’elles-mêmes. Donner à un aéroport1
ou à une chapelle, la forme d’un oiseau en vol, en s’extasiant du
Un oiseau qui vole, posé sur le sol, fait penser sens merveilleux du symbole n’est pas intéressant puisqu’un
à un oiseau mort, malade ou faible et nous
renvoie au symbolisme de la grande faucheuse. aéroport ou une chapelle ne sont pas amenés à voler, mais à
recevoir ; à être une entrée dans la ville ou le monde et être
« passage ». Et l’accueil, c’est les bras ouverts, le palier et le seuil,
la porte ouverte, la découverte, la femme, la lumière et l’amour…

Créer des livres ouverts, en verre opaque (!), pour stocker des
archives et installer les salles de lecture en cave, n’est pas plus
intéressant, car une bibliothèque n’est pas amenée à être un livre,

1 Kennedy Airport de New York


123

mais un réceptacle des grandeurs humaines. Et pour cela, c’est


davantage l’homme et son regard sur le monde qui doivent être
mis en valeur plutôt que le support (livre)…

Créer un bâtiment en « L » pour « symboliser » le nom de la banque


qui occupe le bâtiment est enfantin, car cela n’entraîne aucune
résonance profonde. Aucun relais avec nos abysses universaux n’a
été comblé. La ville n’est pas « restaurée » par ce bâtiment. Il parle
de lui à lui, dans un langage stérile et sans références, s’isole sur
lui-même en projetant dans nos intelligences le questionnement
suivant : pourquoi une chaussure de ski géante s’accouple avec
une gare ?…

Le ciel, le corps, la terre

Ces projets d’architecture ont un impact urbanistique énorme. Ils


constituent des repères visuels, et se dressent dans la partie
La fascination qu’exerce les formes
« ciel » de la ville en lui imprimant ses messages violents,
magistrales et puissantes, ne doit pas nous incompréhensibles, vides et bientôt démodés. Lorsque l’on
faire oublier que ce sentiment quasi relèvera la tête pour aspirer l’air et prendre le souffle, on sera
religieux, mêlé de crainte et d’effroi, de
jouissance et de terreur, et très largement confronté à ce spectacle désolant, déchiqueté et insensé. Le
utilisé par les pouvoirs totalitaires, est « ciel » de la ville, comme son « corps » et sa « terre » doivent
profondément annihilant et hypnotique. Il pouvoir bénéficier de formes adaptées à leur symbolisme profond.
nous place face à une autre échelle de
grandeur, comme une autre réalité, créée Autrefois, le ciel était rempli de clochers sonnants, de coqs, de
par des maîtres dont la puissance nous héros et de dieux, symbolisant le domaine spirituel et « élevé » de
échappe. L’Amour sincère des gens ne
devrait pas permettre d’utiliser cette
la communauté. Le « corps », milieu dense où la vie du monde
« magie « à des fins privées, commerciales fourmille, recueille les formes les plus diverses : publiques dans la
ou bancaires, mais plutôt comme images partie supérieure, privées dans la partie inférieure. La région
archétypiques sans fonctions particulières si
ce n’est celles de raconter, de réunir et de « terre » se constitue de pavés, de dalles lourdes, de ruisseaux et
soutenir la collectivité. de leuves, de racines et de gazon, et d’hommes debout…Or nous
avons toujours une tête qui rêve, un corps qui fonctionne et des
pieds qui nous supportent…
124

- Relever la tête et voir des symboles de l’identité de la


communauté, dressés verticalement à l’instar d’un homme
« droit » est nourrissant. Y voir le combat d’intérêts privés est
navrant.

- Marcher droit devant et sentir les flots odorants, visuels et


tactiles de la vie publique et privée, en des échelles de
grandeur qui leur correspondent et qui restent
apréhendables par nos sens, est nourrissant. Marcher droit
devant et se confronter à un combat inégal entre le privé et
le public dans des formes lisses et cliniques, où notre envie
d’utiliser nos sens est nié, est navrant.

- Regarder le sol et sentir battre la vie chthonienne, en foulant


pelouses, plans d’eau, et rochers, et en se faisant traverser
par les flots éthériques d’un fleuve ou d’un cours d’eau
important est nourrissant. N’avoir que les trottoirs en béton,
des ruisseaux sous égouts, et la route en pétrole durci à
expérimenter est navrant.

Nous voyons donc l’importance capitale de bien discerner le sens


de la fonction à implanter afin de lui restituer des résonances
symboliques qui parlent à tout un chacun. C’est la référence
humaine qui importe, afin de combler cette soif de se « retrouver »
dans les espaces et les bâtiments à l’instar des « ordres » du
passé ou l’on pouvait lire les jambes, le corps, la tête, le front, le
ciel et la terre…et sur lesquels on pouvait s’harmoniser en
respirant très fort le vent immortel qui nous anime, pour ensuite
rayonner de cette harmonie et contaminer les autres…

Formalisme exploratoire

Réinventer des formes nouvelles pour mieux correspondre avec


l’esprit de son temps n’est donc pas d’une importance prioritaire
puisqu’aux dernières nouvelles, aucune mutations biologiques
n’est apparue chez l’être humain qui lui aurait fait passer la tête
125

sous les pieds, le corps à l’horizontale et les jambes par dessus.


Nous fonctionnons de la même manière et nous avons toujours
autant besoin de marcher debout, bien droit, en allant devant, de
palper la pierre naturelle, le tronc d’arbre, et les tissus, de prendre
en pleine miche une grasse frite, une fricassée, un bon vin, de
goûter à la saveur extraordinaire du miel d’abeille, de l’amour, du
soleil et des étoiles, et retrouver la joie de prendre un bain de
foule en voyant passer nos frères humains dans des rues, sur des
places et des lumières qui leur donnent toute la joie nécessaire
pour aimer la vie et la construire encore et encore; toutes ces
choses archaïques qui nous viennent des profonds ténèbres du
passé, restent les seules où l’on retourne pour se ressourcer et se
retrouver authentiquement humain. La bouffe plastifiée, les
capotes ou les chemises en Nylon feront leur temps et on
reviendra à l’huile vierge, à l’amour simple et au lin pur.

Marché en Yougoslavie, avant la terrible tempête Les formes doivent nous raconter, et si elles existaient avant que
provoquée par la volonté d’abolir les différences
idéologiques pour vivre en harmonie. Cette idéologie notre cerveau ne les invente, tant mieux, c’est qu’elles ont prouvé
est la seule qui permet le massacre pour le bien leur efficacité. Il serait important de reconsidérer les formes
commun ! Tant que l’homme entier dans sa dignité classiques en les voyant avec un regard neuf, débarrassées des
physique et spirituelle n’est plus l’idéal alors on
cherchera à détruire le spirituel en saoulant le préjugés idéologiques, formalistes ou historicistes, comme si elles
physique de haine, d’orgueil et de plaisir, jusqu’au nous racontaient : la base, la colonne, le chapiteau ; la terre, le
dégout des autres.
corps, la tête, etc.. Mais si je les invente pour la pure beauté
formelle, alors je sacrifie à la mode du temps présent et j’utilise le
territoire humain de la ville comme champ d’expérience ou de
combat idéologique. Combat qui n’a pas le moindre intérêt pour la
plupart des gens.

L’Art et la ville

La question qui se pose est alors celle-ci : Peut-on priver les gens
d’Art, leur interdire de savourer les explorations sublimes
d’espaces et de formes que leur proposent les théories urbaines
les plus futuristes. Ne faut-il pas les inscrire au mieux au creux du
battement du cœur de leur temps ?
126

Pour palier aux carences de l’urbanisme économique, les


décideurs ont joué la carte de l’Art ; la ville œuvre d’art, à l’instar
du pseudo-passé. On a alors assisté à une débauche
d’incongruités formalistes aux concepts surannés et inexplicables
pour le non-initié aux Mystères. Assurément, nous n’avons plus la
même notion de l’Art que par le passé car nos villes œuvre d’Art
aboutissent toujours à une collection d’individualités s’annulant
l’une l’autre...

Ce point est primordial, car il nous permet de nous poser la


question sur le sens de l’art ou du moins sur le sens que le
rationalisme lui permet encore d’avoir.

Nous avons parlé tout à l’heure que la plus haute fonction de l’art
était de traduire sous forme d’idée ce que nous voyons sous forme
de nature (humaine, divine, végétale, animale, minérale,
énergétique, quantique, etc.) selon la sensibilité et le langage de
l’artiste. Or cette nature étant aujourd’hui complètement
artificialisée, le sujet de l’art contemporain devient justement cette
artificialisation. Et l’idée, que l’art nous renvoie, devient notre
propre image dégradée par nos artifices. Il n’y a donc pas d’air
neuf dans ce commentaire de nos mesquineries. C’est bel et bien
de l’eau croupie, la nôtre, que l’on doit boire.
« La fragilité de nos débats peut-elle résister au
réalisme du désespoir », collage de E.Marin-Trottin Si cette boisson est du plus haut intérêt pour connaître dans quel
jeu on joue, son implacable traduction en terme d’espace et de vie
Projet de ville idéale en 1924. risque de faire courir la ville vers la catastrophe, car le modèle qui
sert de support à l’idée est tellement arbitraire qu’il déstabilise la
cohérence du milieu où il s’implante.

Quand l’architecte ou l’urbaniste se met dans la tête d’être un


artiste au sens moderne du terme, il déclare automatiquement la
guerre en fixant dans le sol ses propres commentaires sur la
société, et en obligeant des êtres humains, à vivre, enfanter et
mourir dans ses propres théories du moment, et selon son goût
personnel. On a alors l’impression d’être volé pour de mauvaises
127

raisons, de vivre dans le rêve incompréhensible de quelqu’un


d’autre : d’être nié en tant qu‘être humain rêvant différemment. Le
déconstructivisme, le naturalisme, le high-tech, ou autres sucreries
formelles ne sont perçus et commentés par leurs propres auteurs,
que comme des moyens utilisés pour faire la guerre idéologique
dont le champ de bataille est le territoire humain.

Or cette guerre, si elle est utile dans un débat démocratique, doit


se faire discrète. Elle doit se proposer pas s’imposer. Elle ne doit
pas prendre en otages les gens qui ne sont pas faits pour être
soldat. La toile, la sculpture, la musique, le cinéma restent le
terrain idéal pour ces combats, ces transes et ces sublimes
ouvertures vers les ciels lourds ou enchantés. L’éternité que
symbolise l’architecture doit impérativement raconter autre chose.
Elle doit viser l’homme et posséder l’inertie nécessaire à son
épanouissement. L’extrême humilité et la nécessaire orientation
humaine des facultés créatrices de l’urbaniste restent les
ingrédients de base pour bâtir la ville. Et le langage doit
certainement être d’une logique et d’une immédiate
compréhensibilité pour que la ville puisse être identifiée comme
« sienne » par ses habitants.

Chaque art est soumis à des impératifs que lui ordonne son
support. La peinture à l’huile possède sa technique et ses
obligations, la sculpture aussi, etc. L’Art urbain , s’il existe, se situe
à un autre niveau, car son support, c’est La Vie. Il ne réside pas en
un objet d’Art, mais en une capacité de rendre la Vie « Œuvre
d’Art ». Et à ce niveau, plus question de proposer ces petites
œuvres orgueilleuses très vite démodées, car c’est plus une
logique de qualité de circulation, de structures, de réseaux de
points d’appels, de références, de symboles et de temps, bref une
logique qualitative qui englobe toutes les dimensions temporelles
et spatiales, psychologiques et spirituelles, qu’une logique
128

d’objets1 isolés à rentabiliser. C’est servir la Ville qui importe, et


non pas lui donner pour un temps, une belle image capitaliste ou
commerciale. C’est y faire vivre les gens, non pas avec la carotte
commerciale, mais avec la carotte de la Vie et de l’identité. Et
automatiquement tout deviendra « moderne » naturellement, car la
vie a certains besoins qui détermineront le cadre ou s’organisera
la Vie de la communauté. Le tout est de préserver le langage qui
permet au corps, à l’âme et à l’esprit de s’y sentir reconnu,
accueilli, et ennobli.

Garder la possibilité, depuis des places publiques, d’avoir une « fenêtre » ouverte sur des signes distinctifs relatifs à la vie communautaire
est très important pour se situer dans l’espace. Pouvoir jouir pleinement des 4 éléments dans des lieux plus ou moins fermés, où la vie
peut déborder sans artifice et où on peut la recevoir par tout nos sens reste un vrai bonheur. Cela devient une véritable « pile »
énergétique où l’on passe se recharger avant de poursuivre son chemin… (Jardin des charmettes à Lyon Vième).

1Même si ces objets doivent également avoir toute l’humilité et la décence qui conviennent pour être « publics » et donc partagés par la riche,
colorée et majestueuse multitude humaine.
129

10. Le désir collectif


Combats

Mais, proposer aujourd’hui des projets urbains cohérents est


devenu impossible. La maladie de la démocratie, la frilosité,
démultiplie les sécurités électorales en faisant grand jeu de la
consultation populaire. Consultation qui est du reste ressentie par
beaucoup comme une possibilité légitime de nuire ou de résister
jusqu’au sang, de devenir le Héraut d’une croisade ou de jouer les
super-matadors défenseurs de la touffe d’herbe humiliée et de la
jeunesse. Ce mécanisme malsain qui donne autant de pouvoir à un
individu qu’à un élu, est bien souvent utilisé pour contrecarrer des
projets qui pourraient nuire à certains intérêts privés. Bref, cette
démission des politiques mène à des projets de compromis
inégaux où c’est le fraisier du voisin, le terrain d’un échevin, le
câble électrique ou un abri bus qui déterminent l’orientation finale
du projet. Vouloir préserver la ligne directrice devient une atteinte
aux attentes des citoyens et une grave preuve d’intolérance et
d’extrémisme le plus brun. Ne pas en tenir compte et c’est la mort
assurée. Le projet ne peut-être alors qu’une vaste incongruité
supplémentaire dans le paysage. Dans ces conditions, on a le droit
de pleurer. Le souffle est éteint. On n’a plus qu’à bricoler des
jardinières pour les pensionnés qui les réclament au nom du droit
de leurs petits-enfants, et des générations futures, pour qu’elles
n’oublient pas…et tralala.

Cette anarchie (chacun détient son propre pouvoir et l’exprime sur


les autres) qui caractérise nos démocraties est surtout due à un
profond dégoût pour l’intérêt public. La liberté est comprise
comme étant un devoir de faire tout ce qui est possible plutôt
qu’une possibilité de choisir le magnifique. Cette conception durera
tant que la ville restera étrangère à ses habitants. Car les
consultations populaires ont cet avantage, elles expriment ce qui
nous taraude: la résistance. Or s’il y a résistance, il y a forcément
une attaque ressentie. Quelle est cette attaque, et pourquoi
130

l’extrême violence verbale et quasi-physique devient-elle le mode


de combat de ses résistants ? C’est que l’agression la justifie. Elle
doit être énorme. Nous pouvons presque dire qu’elle touche
l’extrême centre de nous-mêmes et de notre identité, sinon tout se
passerait dans le dialogue et la sérénité.

Eduquer les autres ou s’éduquer aux autres

Comme alternative à cette violence des consultations populaires,


on a émis l’hypothèse qu’il fallait éduquer les gens. Leur
apprendre ce que c’est la culture ; ce qui est beau et ce qui est
laid ; ce qui est gentil et ce qui est méchant ; ce qui est vieux et ce
qui est moderne ; ce qui est justifié financièrement, spatialement,
et historiquement. Et tout cela à grands renforts de programmes
éducatifs, d’émissions culturelles, de manifestations intellectuelles
et de beaux discours sur l’évolution de l’art, du monde et du futur.
Mais cela a été bien évidemment ressenti comme une tentative
d’amolir les cerveaux. La virulence n’en a été que plus dure, car
l’art et les artistes mis en œuvre n’avaient bien souvent que des
discours pour « justifier » leurs concepts, et ces discours
reposaient sur des théories fort complexes, proches des thérapies
psychiatriques radicales ou des envolées lyriques les plus
formalistes. Tout heureux de montrer qu’on avait l’intelligence de
les « comprendre », on s’en est servi comme arme de guerre,
comme pour mieux venir à bout de ces petites gens qui préfèrent
les nains de jardins et les scènes de chasse, en les taxant au
passage de nazis. Ces programmes d’éducation firent naître un
profond sentiment d’incompréhension et de malaise. « C’est laid,
mais si j’aime c’est que je suis intelligent » se sont dits les gens.
Cette schizophrénie obligatoire à donc été ressentie comme une
tentative extrêmement subtile pour faire passer tout et n’importe
quoi. La vigilance extrémiste en a été la réponse.

Le beau et le bon goût, ayant été définis comme qualités


subjectives d’un sujet, on utilisa dans un premier temps les
consultations populaires afin de faire une moyenne du goût et de
131

choisir ensuite. Mais la soif d’une plus grande objectivité amena à


modéliser le bon goût. Ainsi chacun serait en face de vérités
irréfutables et rationnelles, les seules qui permettent de prendre
les décisions qui s’imposent. Mais les modélisations se font
toujours sur des sujets sensibles, afin de trancher. Et bien souvent,
la modélisation sert à justifier le projet honni ou « incompris ». On
arrive alors à une situation où tout est justifiable, car il suffit de
pondérer les critères employés pour obtenir des orientations de
réponses conformes aux lois du projet.

Toutes ces méthodes, et on le sent bien, ne concernent que


l’aspect extérieur, au sens philosophique du mot, ce ne sont que
des critères de forme, d’espace et d’agrément. Or ces seuls
critères sont absolument risibles en face des critères économiques
et se subordonnent totalement à ceux-ci. Ils ne sont là que pour
« habiller », « enjoliver », avec toute la rigueur scientifique requise,
le projet financier.

Or ce que l’on veut, c’est être séduit directement, comme si cela


tombait du ciel, comme si cela coulait de source, comme si
l’endroit l’avait attendu depuis longtemps. On attend cette
fulgurante beauté qui nous immobilise et nous terrasse ; ce souffle
qui ne demande aucune explication et nous fait comprendre et
communier à l’idée que l’auteur du projet a « ressenti », vu et
admiré de loin, et qui ferait chanter la ville entière, heureuse
d’avoir été comprise et honorée d’une si belle manière.
132

L’exemple de Liège

L’îlot Saint-Michel à Liège est une opération financière aménagée


avec goût. Une scène théâtrale pour habiller un cadavre humain.
Rien de bien transcendant, une petite place, une croix des rues,
des jeux de passerelles, de quoi faire la joie d’un metteur en scène
ou d’un marionnettiste. On y fait circuler des gens par la carotte
des commerces et on crie victoire car il-y-a-de-la-vie-de-
l’animation-même-que-les-gens-aiment-bien-d’y-aller. Mais les
gens ne s’y sont pas trompés. L’enthousiasme a été mitigé. On
était content que la béance honteuse soit comblée et rafraîchie
(car sa permanente insolence et son image récurrente de tombe
chaotique agissait imperturbablement sur l’esprit identitaire des
liégeois), mais ce soulagement n’est pas dû aux commerces de
luxe, ni aux demeures pour artistes , il est dû à l’ordre retrouvé et
au sang neuf qui lave les errances du passé. Ce projet, n’apporte
rien à l’échelle de la ville, il colmate, crée de belles perspectives et
encadre magnifiquement la place Saint-Lambert, mais ne nourrit
pas, il ne fait pas chanter la ville et ne la ressuscite pas. De plus,on
n’y trouve pas de trace de Saint-Michel (« qui est comme Dieu »)..
133

Rien de comparable avec cette excitation de joie, de bonheur et de


fierté qu’a suscité le projet d’« écran » provisoire du « Chœur de
Liège ».

Le projet fut bâti à la hâte dans un but récréatif, afin de servir de


podium pour accueillir les festivités de l’an 2000. L’idée première
était de reconstruire la tour de 120 m. Mais cela aurait demandé
de creuser sur plus de 30 m de profondeur afin de stabiliser
l’ensemble. La présence d’un parking à cet endroit mit fin à cette
première idée et on se dirigea vers l’idée de la reconstruction
visuelle du chœur oriental de feu cathédrale Notre-Dame et Saint-
Lambert. En plus, ce projet, serait « éducatif ». Il fallait en effet
trouver un moyen de faire « voir » la fermeture de la place Saint-
Lambert afin de prouver le bien fondé de cette thèse et venir à
bout des objections sécuritaires des dénigreurs consultés. Il fallait
donc un écran afin de clore la « boîte urbaine » et goûter
pleinement aux fruits du « coefficient de compacité » définis.
134

Une fois bâtie, ce fut le choc. Toute la population à crié hourra ! Et


dans une toute autre mesure que pour l’îlot Saint-Michel ! Oh, il eût
des mécontents qui à l’instar de Judas, s’indignent d’une telle
dépense alors que les pauvres ont faim ! Mais cette séduction pour
le projet galvanisa la terre de Liège pendant quelques mois.

Bien que cet enthousiasme fut totalement imprévisible, il fut


récupéré par la suite pour justifier le bien fondé de la fermeture de
la place. Un théâtre, un syndicat d’initiative, ou un lieu de
rencontre fera l’affaire pourvu qu’il soit grand et haut et qu’il
ferme bien…Si cette fermeture ne fait absolument aucun doute, a-
t-on réellement saisi ce qui a embrasé le liégeois ? Etait-ce dû à
Les propositions de fermeture de la place se sont une jouissance spatiale soudaine, une ivresse de spectacles ou à
succédés. Ces propositions se justifiaient en terme
de fermeture spatiale laissant à plus tard le choix de
une soif profonde d’identité qui, pour une fois, était comblée. Car
la fonction. Ci-dessus, proposition d’une volumétrie ce projet « inutile » est bel et bien symbolique et nous a rempli de
d’un théâtre. la sérénité de l’enfant qui retrouve sa maison. Visible de loin, il a
agi comme une clef qui rendait compréhensible le Liège ancien et
135

moderne, le Liège enfin réuni. Et en vertu des lois de


correspondance, le Liège réunit reconstruisait en même temps le
liégeois, qui était devenu jusqu’alors errant dans une ville
incompréhensible et profanée.

Il est clair que ce n’est pas tant la forme de la cathédrale


reconstituée qui a séduit, mais le symbole « cathédrale », mère,
celle qui enfante, celle qui prend sous ses ailes les 7 collégiales
auparavant errantes en collier sans tête. Le nom de Chœur de
Liège, à l’instar des anciens rituels de fondation, a aussi
profondément contribué à cette identification en agissant
efficacement sur nos structures spirituelles inconscientes en dotant
l’échafaudage d’une résonance mystique et maternelle. C’est le
symbole même de la cité, qui n’avait pas de « centre » bien défini,
hormis des centres commerciaux ou refabriqués à la hâte, qui a
été ressuscité. Retrouver un centre affectif, symbolique, à l’endroit
même où a été célébrée la vie liégeoise pendant des siècles 1, est
du plus grand bonheur et dépasse de loin l’idée formaliste de la
fermeture spatiale. Retrouver un signe, une tour, un beffroi, un
campanile pour situer l’axe, le cœur, le centre de la vie permettrait
de conserver cette symbolique de manière plus efficace qu’une
fonction théâtrale, touristique ou économique. Le perron liégeois, à
l’échelle de la place du marché, pourrait alors être relayé par la
« tour » , à l’échelle de la ville, et faire fonctionner à nouveau la
structure symbolique de la cité entière.

Il est curieux de constater que le « Chœur de Liège » en toile est en


pure contradiction avec un des principes fondamentaux qu’avait
formulé l’auteur du projet de la place : « (…) toutefois, on veillera
à éviter tout attachement fétichiste pour aucune des formes

1 Lieu fantastique où cohabitent le perron, symbole des libertés liégeoises, l’hôtel de ville, la place du marché, le palais des princes-évêques et la
cathédrale, identifiant le lieu du martyre du fondateur de la cité…Un vrai cœur de ville. Que le palais devienne le méga-musée permettrait d’utiliser le
bâtiment efficacement. Lui adjoindre une aile moderne flanquée d’une tour marquerait l’identité de la région, etc…Placer le théâtre à la place de la
cité administrative et l’ouvrir sur la Meuse permettrait aussi une facilité d’arrivage des décors et des spectacles sur l’eau. Déménager la cité
administrative au Val Benoît permettrait de la situer à un nœud de circulation intéressant, sans pour autant obliger les gens a faire des km pour
trouver un parking pour un papier, etc.
136

versatiles du passé qui se sont succédées à cet endroit et qui


résultaient d’un passé, lui-même fort mouvementé (…) ».
Reconstituer une cathédrale est incontestablement une violation de
cette loi. Or, c’est précisément cela qui était attendu, retrouver ces
formes qui parlent à notre âme, selon une esthétique qui
caractérise l’époque où ces formes archétypiques s’incarnent.

La peur des formes du passé n’est donc pas un rêve, nous en


sommes tous victimes. Il est donc intéressant de purifier notre
regard sur les formes et les structures pour les dépouiller des
étiquettes complaisantes et idéologiques qui freinent toute
reconstruction urbaine.

Un autre projet à Liège a retenu toute notre attention. C’est


l’œuvre urbaine qui accompagne la gare des guillemins de
Calatrava. Nous avons vu tout à l’heure qu’un aéroport était bien
plus une porte d’entrée qu’un oiseau. C’est aussi la même chose
pour une gare. Elle est la porte d’entrée et de sortie de la ville.
Une des seules qui puisse être clairement identifiée. Les autres
portes étant réduites à des filaments de routes et de feux sans
âme…Cette opportunité de pouvoir localiser un point de
« passage » à partir duquel on se rend « en ville » a été
remarquablement mise en forme par l’équipe de Santiago
Calatrava.
137

Dans un premier temps, la gare ne nous avait pas semblé


extraordinaire ; on fait une colline en verre parce qu’il y en a une
en bois derrière, une place en triangle devant la gare, pour diffuser
les flux migratoires dans la ville , mettre en valeur le bâtiment et
retrouver le contact avec l’autoroute des quais ; bref une logique
normale, sans grand intérêt. La gare reste coupée de la ville et
isolée sur elle-même. Elle est un objet relié au rail. Ce projet est
celui de la ville. Mais l’auteur de la gare avait une bien autre vue
sur les implications de son geste dans la ville.
138

En voyant la maquette de la proposition de Calatrava, visant


l’aménagement du quartier de la gare , on respire enfin. Trop
diront certains ? Non, enfin, dirons-nous, car les poumons de la
ville ne sont pas que des arbres, ils sont tout autant des
respirations, des échanges d’éléments, des mariages, des souffles
et des apaisements spirituels… Ici, pas besoin d’explications
grandiloquentes. Tout est clair, on a compris. La Meuse qui a fait
Liège, est présentée en noces aux nouveaux venus, d’élégante
manière. Tout le passé industriel liégeois se retrouve dans cette
darse et ce bassin à degrés. La gare n’est plus l’élément principal,
mais le réceptacle des forces libérées par le projet.

L’entrée en ville nous raconte Liège succinctement en nous en


donnant quelques beaux aspects (ouverture sur le parc de la
Boverie, palais des congrès,…). Après avoir franchi la porte, on
prend le temps de respirer l’air et l’espace, l’arbre et l’eau, le soleil
et la colline, puis on pénètre dans les rues de la ville pour ses
occupations. Le symbolisme de la frontière est parfaitement intégré
et tout notre corps et ses différents niveaux de perception y ont
leur compte. A l’inverse, lors du retour, on n’a qu’a suivre la tour
de Cointe, qui est étrangement dans le point de mire de tous les
grands axes de circulation routière de la région…La gare est juste
en dessous. La porte de la ville a donc son étendard et son signe.
Bref, ce projet qui ne sera évidemment jamais réalisé, retisse et
reconstruit toute une structure symbolique à l’échelle de la gare,
du quartier, de la ville et de la région… Il clarifie la ville tout en lui
donnant un nouveau regard sur elle-même et sur ses sublimes
potentiels…1

Liège possède encore quelques exemples minuscules où la clarté


et la lumière qui en découlent nous réconfortent en profondeur.

1 La revue A+n°175 s’extasie sur la proposition d’un groupe d’étudiants de Saint Luc Bruxelles visant à privilégier l’arrivée tangentielle à la gare,
respectant ainsi la logique de l’accès principal par la rue des Guillemins. Cette proposition frise le flan mal cuit. Ces justifications en termes d’axes, de
flux, de beauté de la découverte oblique, et de respect du patrimoine (les tours du cadastre sont sauvegardées), bref, ces roupilles de sansonnet ne
nourrissent personne et surtout pas la ville…
139

Nous pensons au jet d’eau placé à la confluence de l’Ourthe et de


la Meuse, là où commence le Liège du coeur. C’est cette
confluence qui a multiplié les bras de la Meuse et qui a façonné ce
territoire que des milliers d’hommes ont choisi pour y vivre.
Marquer cet endroit par une verticale répond au lois du feng-shui
autant qu’à celles de la bienveillance. Il est remarquable que cette
verticale, véritable phare la nuit (un puissant projecteur l’illumine
par en dessous) ait son pendant dans le monument au Roi Albert,
situé exactement à la sortie de Liège, là où l’Ourthe dérivée rejoint
une nouvelle fois le fleuve et où le fleuve s’ouvre et se divise par le
canal Albert. Ainsi les entrées et sorties d’eau de la ville sont
marquées de lumière. L’eau et la lumière étant des symboles
puissants de baptême, de naissance et de passage, il est donc
salutaire d’y avoir pensé1.

La colline de Cointe dont nous avons touché un mot est également


à souligner ici. La complémentarité des deux bâtiments (monument
inter-alliés et église du Sacré-Cœur) est remarquable. On retrouve
de très anciennes résonances qui nous parlent toujours
aujourd’hui : c’est celles du couple originel, Laurel et Hardy, la
courbe et la droite, le crayon et la gomme, l’homme et la femme, le
yin et le yang …Ces formes possèdent l’image archétypique du
couple. Placées comme elles le sont, elles font office de veilleurs.
L’homme sur le front, la dame en retrait, le bec brûleur en avant, la
réserve d’huile en arrière,…Sa présence dans une mutitude
d’axes de voirie, donne à la tour, une connotation de veilleur, de
gardien, de protecteur de la cité

On retrouve ce genre de « couple » à Eupen.

1Ilest cependant navrant que ce jet de lumière soit pollué par l’ombre arachnéenne du pont haubané de la E25. Ce pont est catastrophique au point
de vue symbolique, humain et environnemental. Rien de comparable avec l’œuvre magnifique du Pont de Fragnée. Les haubans nous font voir le
paysage comme à travers la toile d’une araignée simpliste et rigide, ou d’un pare-brise fêlé. Le gros cure-dent d’une pauvreté navrante ne raconte
rien si ce n’est qu’il devient de plus en plus sale, bref on a l’impression que c’est une maquette conçue virtuellement en 2 dimensions, agrandie à
l’échelle 1/1 sans aucune référence à l’être humain, ni au ressenti des autres sens que ceux de la vue. Sa beauté tient plus de la fascination
mathématique que de la bienveillance. C’est la beauté froide, celle qui s’impose, maîtresse et muette..
140

Le symbole public

Lorsque l’on considère les constructions anciennes qui donnent


une orientation symbolique ou spatiale à un quartier ou à une ville,
on se rend compte qu’elles ne sont jamais habitées. Le symbole
est utilisé par toute la communauté, mais n’est pas prisonnier d’un
quelconque privé. Il est l’affaire de tous. Que ce soit les arcs de
triomphe, les portes de la ville, les torii japonais, les parcs, les lieux
de culte, les obélisques ou sculptures monumentales,… les
symboles restent inhabités.

Or la modernité, pour avoir perdu toute cette science des


implications philosophiques des formes et des lieux, a parfois
poursuivi cette mise en place de points symboliques, mais les a
rendus quasi-privés pour rentabiliser. L’arche de la Défense est
absolument remarquable dans son principe de « porte », de
passage, de borne ouverte qui ponctuerait un axe sur lequel se
développe les âges de la ville. Mais le problème, c’est qu’on a
rendu le symbole habitable. Des gens y travaillent. Il est alors vidé
de sa substance publique et parasité par les occupations
financières qui s’y déroule. Il devient une sorte de mutant mal
affermi , coque formelle avec connotation symbolique et dissipe la
pertinence et la force du signe. Imagine-t-on l'arc de triomphe
percé par les fenêtres du logement du préposé à l’entretien? Dès
lors la confusion s’installe, les constructions symboliques ne le
sont plus et d’autres le deviennent sans en avoir la permission et
dénaturent tout.

Les symboles représentent l’identité de la communauté, ils ne


doivent donc pas être réservés à quelques-uns, il faut qu’ils
restent publics, sinon, qu’ils se recouvrent de discrétion et
n’imposent par leur signification. Les tours du WTC de New-York,
141

ou le pentagone1 ont fait les frais de ce désir de faire vivre les


gens dans des symboles quasi mystiques2, et dans lesquels tout
un peuple s’identifie. Il est clair que ce symbole à l’instar d’un
drapeau, d’un étendard, sera visé par ceux qui n’en partagent pas
les valeurs, surtout s’il symbolise l’arrogance et les valeurs
guerrières du pouvoir et de l’argent. Méconnaître les implication
des gestes formels imposants, et les obligatoires résonances
symboliques qu’ils engendreront dans les territoires imaginaires
des personnes qui les reçoivent par tous leurs sens et leur esprit,
peut être criminel lorsque les valeurs « exposées » ne racontent
pas l’homme bienveillant et fraternel. Jouer avec les formes, les
masses et les volumes est un art très délicat et ne doit surtout pas
tomber dans les mains de rigolos modernistes qui veulent tout
réinventer. Les structures symboliques qui nous caractérisent font
partie de nous au même titre que nos instincts. Toutes les formes
vivantes courbent le dos quand elles sont agressées, se relèvent
toutes droites quand elles sont gaies, bombent le torse et sont
légères dans leurs mouvements quand elles sont amoureuses ou
en position de confiance…Les formes nous racontent. Les rendre
publiques implique une solide connaissance des possibles
conséquences. Prendre conscience que toutes les formes nous
suivent ( tous nos actes nous suivent) est donc primordial…

Si le symbole public doit raconter l’identité de la communauté, les


bâtiments privés doivent également jouer un rôle dans
l’ensemencement symbolique de la cité. Mais ce rôle doit rester
contenu dans des symboles de cohérence pour relier tout un
chacun à la ville. Ainsi, placer une tour octogonale au pied d’un

1 Le pentagone est universellement connu en magie sous le terme de « pentacles », qui sont des sortes de dessins actifs avec formulations plus ou
moins brèves et agissantes. L’œil dans le triangle du billet vert mondial, le pentagone dans la forme du bâtiment qui gère le monde, etc montre les
implications des sociétés plus ou moins apparentées à la maçonnerie dans la stratégie mondiale américaine…
2 les deux tours reprennent le symbolisme puissant des colonnes du temple de Salomon, Yakin (en lui est la force) et Boaz (il rendra stable). Cette

symbolique se retrouve dans les deux tours des cathédrales, les deux pylônes égyptiens qui encadrent l’entrée du sanctuaire, les deux lions
protecteurs des entrées des temples chinois, les deux colonnes qui soutiennent la Connaissance suprême des tabliers d’Initiations de la Franc-
Maçonnerie…Les deux tours figurent l’entrée et font de la ville de New-York, une cité- sanctuaire, ouverte à la fascination et au sacrifice, dont le dieu
reste encore secret mais qui peut s’imaginer : $.
142

pont enjambant un fleuve répond à toutes les résonances


universelles de l’humanité. Cette forme verticale vient comme
affermir le point de passage en offrant l’image de la stabilité contre
la mouvance des flots. Le sens n’est pas ici de nature identitaire,
mais de nature simplement structurelle.

Placer des tourelles aux 4 coins d’une place qui sert de porte
entre un fleuve et un parc ( les terrasses à Liège), répond
également à ce genre de cohérence. Utiliser une hiérarchie socle,
corps, corniche, etc est également bénéfique dans notre
appropriation de l’espace que ces bâtiments composent. Bref,
chaque bâtiment privé doit pouvoir jouer un rôle dans la lecture de
la ville, en s’y disposant comme une note sur une symphonie
inachevée. Les symboles seront de nature «neutre » au point de
vue communautaire mais très porteur au niveau « humain ». A
l’inverse les bâtiments publics devront afficher par une humble
ostentation les symboles de la communauté , à l’échelle de la ville.
De cette manière, même les villes les plus gigantesques et
liquéfiées pourraient retrouver un sens dans les territoires
imaginaires de ses habitants. Réinstaller des symboles visibles des
quartiers, à l’instar des clochers de paroisse, redonner une
visibilité claire aux bâtiments publics et privés, réaffirmer dans le
ciel les points de « passage », religieux ou terrestres, reimprégner
le sol des 4 éléments constitutifs de notre terre intérieure, la terre,
le feu, l’eau et l’air…et proposer des parcours reliant les pôles
des quartiers par des routes symboliques, permettrait de
réintroduire cette indispensable qualité humaine dans le béton gris
des financiers.
143

Conclusion

près avoir parcouru des sentiers étonnants, gravi des


rochers parfois difficiles, environnés de lumières légères,
singulières, acides ou bienveillantes, il nous faut à
présent déposer notre plume et regarder devant nous pour voir le
chemin parcouru.

Ce mémoire ne se voulait pas théorie, recettes pratiques, mais


plutôt constat, hypothèse, réflexion sur l’étrange manière qu’a eue
l’Occident du XXème siècle, de considérer l’être humain, et par
delà, la ville.

L’obscur étau dans lequel nous nous débattons aujourd’hui a été


conçu en vue de nous libérer, de parvenir à ce détachement total
des lois et des mécanismes de la nature, afin d’être pleinement
maître de sa propre personne et de sa destinée.

Cependant ce jeu enfantin nous a assujettis à une autre création


que celle de la nature, à une création de l’esprit de quelques
monarques argentés, pour qui ce détachement était gage de
bonheur hygiénique (Céausescù, Mao,…). En niant notre nature
spirituelle, on s’est en effet retrouvé en cosmonaute terrestre,
144

complètement étranger à la vie et esclave des besoins mis en


place pour remplacer la nature.

Or, nous sommes la nature. Nous ne vivons pas en spectateurs


des étoiles et des saisons, mais notre corps en est
spongieusement imprégné. Il en subit les variations et les colères.
N’oublions pas que nous sommes constitués de ce que nous
mangeons. Cette masse de nourriture est transformée en « nous »
par un message que l’on porte au sein le plus secret de notre
personne. Ce fil ADN, ce message, ce verbe n’existe que parce qu’il
est constitué de molécules organiques dont la matière provient
également d’une nourriture pré-natale, etc. Ce verbe était là avant
nous et il agit sans nous, en déterminant notre visage, notre
caractère et notre constitution propre. Nous n’existons donc pas
indépendamment de l’herbe des champs, de la vache du pré, de
l’air de la forêt ou de la galaxie majestueuse. Toutes ces réalités
nous constituent au sens physique, organique du terme. On rejoint
le monde des physiciens classiques.

Il n’existe pas non plus de finitude à notre être propre. Nous ne


sommes pas fermés à notre peau. On se prolonge par nos sens,
dans une réalité qui n’a de limite que notre propre capacité de la
percevoir, ou de l’imaginer. Il se crée alors tout un réseau
d’interrelations, de cordons ombilicaux, qui surgissent de nous, et
qui plongent, brassent et fouillent l’espace et le temps pour se
l’approprier. Ces liens informels avec des réalités supérieures, ces
super-cordes, sont aussi nous-mêmes au même titre que nos
cheveux ou que le galbe de nos coudes… Dès lors nous sommes
autant notre corps que le monde qui est autours de nous ; monde
que notre corps ramène à nous par le poème de ses sens. Notre
identité propre est alors plus complexe que la simple incarnation
dans un support physique ne la laisse penser. On rejoint le monde
de la matière consciente et des étranges concepts quantiques.
145

En poussant ce raisonnement à son comble, on remarque que si


nous sommes l’espace où nous vivons, alors l’autre est aussi une
partie de moi-même. Je suis avec les autres : nous sommes. Dés
lors, une action en faveur de l’un bénéficie à tous les autres. Un
manque à l’un et toute l’humanité est privée. Nous rejoignons le
monde religieux.

Cette dernière réflexion nous place devant un mystère étrange que


Platon avait défini comme suit : « Celui qui contemple devient
semblable à l’objet de sa contemplation ». L’étrange physique
quantique nous fait entrevoir des effets similaires où c’est
l’observateur qui détermine la réalité qu’il expérimente. La ville est
un système de conditionnement que nous assumons, comme la
peau, le corps ou la maison. Inventer des formes et des systèmes
sur base de nouvelles technologies n’a donc aucun sens. C’est la
Vie qu’il faut servir, pas la technique. La vie au sens total, dont
nous sommes les uniques contemplateurs. Nous sommes les seuls
à être capables de la « voir » et de la « recevoir » avec toutes nos
facultés sensibles, intellectuelles et spirituelles. C’est aussi à cela
que doit nous amener la ville, apprendre à voir et à connaître La
Vie entière. Priver la vie de sa composante sacrée, c’est nous
mutiler, nous anéantir et nous réduire à des chimpanzés, assujettis
aux désirs des programmateurs auto proclamés qui réduisent les
myriades de gloires et de mystères de l’univers à l’auge de leur
intelligence organique du moment. Nous rendre la faculté
d’émerveillement en autorisant le mystère, l’ouverture vers le non
explicable, c’est ouvrir une brèche dans le filet où notre esprit
assoiffé des lumières d’en haut est retenu prisonnier. Lui redonner
cette possibilité de jouissance spirituelle par la justesse des
composantes et des structures de la ville serait un hommage à
notre belle humanité. Employer les symboles pour les faire entrer
en résonance avec ceux qui peuplent nos terres pures intérieures,
permettrait de court-circuiter cet obscurantisme moderne de la
négation et du réductionnisme intellectuel. Nous redonner la
possibilité de jouir des étoiles et des questionnements
métaphysiques qu’elles entraînent, de savourer l’odeur des pierres
146

mouillées et la chaleur des pierres brûlées, de goûter au calme des


petites places enclavées et être enivré par la furie d’un nœud de
circulation, de se confronter à l’immense masse d’un bâtiment
public et de savourer la légèreté d’une passerelle enjambant une
voie d’eau millénaire, de retrouver la joie du sourire et du sifflet, de
retrouver par delà les toits, les signes des veilleurs et des gardiens
mystiques de la ville, et se perdre à rêver devant le ballet des
nuages toujours neufs et pourtant si anciens…Tout cela contribue
à nourrir notre terre pure intérieure. C’est la cultiver en employant
son langage qui permettra d’en goûter les fruits savoureux et
sauvages. Et c’est aux créateurs qu’il appartient de cultiver ces
champs afin d’en faire parvenir les prémisses sur notre terre
désenchantée.

(…)
L’oiseau monte
Et quitte l’image de l’eau
Le miroir vole.
(…)

E.L.Manner Reflets
147

Le glorieux retour de Notre-Dame-et-Saint-Lambert par X.Delaval (septembre 1999)-détail


148

BIBLIOGRAPHIE

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D’autres références sont données dans les tables des illustrations.


151

T A B L E D E S I L L U S T R A T I O N S.

Couverture : image issue d’une installation visuelle et sonore intitulée « matière de temps » de
Louise Harvey in revue POIESIS Architecture, arts, sciences et philosophie, n°11
« L’architecture et le temps », Editions de l’A.E.R.A., Toulouse, juillet 2000, page 194.

Bas gauche : Echelle céleste, d’après Raymond Lulle, De nova Logica, 1512, in «
Astrologie, le miroir céleste », Warren Kenton, Editions du seuil, Pays-Bas, 1974,
page43.

Intérieur jaquette : Ville de Bagdad in « La ville européenne, formation et signification


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1981, page 58.

Page 4: Pintade de Rinaldo D.D’AMI, in « La vie privée des animaux : les animaux d’Afrique »,
Editions Hachette, Torino,1970, page 56.

Page 5 : Mandala antique d’un projet de cité en Inde in « VASTU, le Yoga de l’habitat », HACH
Géréon , Editions Guy Trédaniel, Clamecy, octobre 2000, page 17.

Page 7: Lièvre gravé, Collection privée0/E.T Archive, Londres in « La Magie », petite bibliothèque
des symboles », Editions du chêne, Hong-Kong, septembre 1995, page 29.

Page 8: Publicité pour un hôtel de luxe sur les bords de la Mer Rouge

Page 9 : Fourmis noires de Rinaldo D.D’AMI, in « La vie privée des animaux : les animaux de la
ferme et des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 36.

Page 10 : « en l’an 2000 » illustration du 19ème siècle.

Page 11 : Chimpanzé de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux d’Afrique »,
Editions Hachette, Torino,1970, page 31.
152

Page 12 : Cochons de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux de la ferme et
des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 57.

Page 13 : Oison sauvage de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux de la
ferme et des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 41.

Page 14 : Poules qui picorent de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux de la
ferme et des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 45.

Page 15 : Capsule de Nigella damascena in « L’encyclopédie visuelle bilingue : Toutes les plantes
The World of Plants », Editions Gallimard, Paris, 1992, page 45.

Page 16 : Pesse d’eau in « L’encyclopédie visuelle bilingue : Toutes les plantes The World of
Plants », Editions Gallimard, Paris, 1992, page 29.

Page 17 : Illustration de Pierre Couronne in « Bébés animaux en vadrouille », textes de Marie Duval,
Editions Hemma, Chevron, page 32.

Page 14 : Corbeau et fillette de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux de la
ferme et des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 61.

Page 20 : Damas (B.A.V., cod. Urb.Lat. 277, cosmographie de Ptolémée, XVème siècle, c.132r) in
IDONI Enrico : « La ville européenne, formation et signification du quatrième au onzième
siècle », Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981,page 21.

Page 22 : Train de rainettes de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux des
bois et des prairies», Editions Hachette, Torino,1968, page 15.

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plantes The World of Plants », Editions Gallimard, Paris, 1992, page 43.
153

Page 29 : Grand triangle du plateau de Nazca, au Pérou, long de 800 m, photo de Marilyn Bridges,
in « Les lieux énygmatiques », collection les mystères de l’inconnu, par les rédacteurs des
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langage secret des symboles, leur histoire, leur interprétation », Editions France loisirs,
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de « Mystères des signes et symboles, reconnaître et décoder leur langage secret »,
Sélection du Reader’s Digest, Zurich, 1997, page 45.

Page 36 : Poule de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux de la ferme et des
champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 45.

Page 37 : Agneau de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux des bois et des
prairies», Editions Hachette, Torino,1968, page 46.
154

Page 38 : Mandala du Vastu-Purusha, représentant l’esprit de la terre. Il est fixé au sol par 45
divinités qui possèdent des attribus précis, générant globalement un rapport harmonieux
de simultanéité entre les forces de la nature in « VASTU, le Yoga de l’habitat », HACH
Géréon , Editions Guy Trédaniel, Clamecy, octobre 2000, page 24.

Page 39 : Tigre blanc et Dragon d’Azur in FABRE Jean-Charles, « Maison entre Terre et Ciel, vie,
forme et énergie », Editions Arista, 1987, page 156.

Page 43 : Les chemins du prana, dans l’atmosphère humaine, in « VASTU, le Yoga de l’habitat »,
HACH Géréon , Editions Guy Trédaniel, Clamecy, octobre 2000, page 39.

Page 45 : Splendide et émouvante danseuse indienne, parée des précieux atours de princesse,
dansant pour exprimer les mystères de notre filiation divine in « VASTU, le Yoga de
l’habitat », HACH Géréon , Editions Guy Trédaniel, Clamecy, octobre 2000, page 20.

Page 48 : Hetraie

Page 50 : Architecture d’Internet (BELL-LABS) in Science & Vie n°1014 de mars 2002, page 139.

Page 52 : La Rome Chrétienne, in GUIDONI Enrico : « La ville européenne, formation et signification


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Zodiaque de Toulouse in ANGEBERT Jean-Michel : « Les cités magiques », Editions Albin


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155

Page 55 : La Byzance Chrétienne au début du XVème siècle, Bibliothèque nationale de Paris, in


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Carte de Constantinople in GUIDONI Enrico : « La ville européenne, formation et


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Page 56 : Jérusalem, cœur spirituel du monde et carrefour géographique des 3 continents, ici
stylisés en pétales d’une fleur sacrée (gravure allemande du XVIème siècle) in «HARPUR
James, « Le Grand Livre des Lieux Sacrés du Monde », Editions France Loisirs, Paris, mai
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Page 57 : Le gange sacré

Page 58 : plan de Séville et plan de Tolède (dressé par le Greco au XVIème siècle) in GUIDONI
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symboliques et chimiques, Opus médico-Chymicum, d’après J.D. Mylius, 1618 in
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Planche tirée du Living Manuel of Feng-Shui de Skinner et montrant les formes


élémentaires des montagnes par rapport aux éléments et aux planètes in MERZ
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Page 79 : Pentagramme des cycles de création et des cycles de destruction des éléments selon le
feng-Shui .

Page 80 : L’homme de l’Ayurveda, combinant en lui les énergies des 5 éléments en 3 doshas ou
points de jaillissements ou point de Vie in « VASTU, le Yoga de l’habitat », HACH Géréon ,
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Page 82 : Gravure de Christophe Leibfried (1547) , illustrant la théorie de Jean Kepler in « Le


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Page 84 : Les 10 premières lettres de l’alphabet carré hébreux, celles qui furent gravées par le
Saint doigt de Dieu sur les tables de la loi du très humble Moïse dans l’éclatante
théophanie des montagnes du Sinaï.

Page 85 : Plan de la ville de Milet, conçu par l’étonnant homme que fut Hippodamos.

Page 86 : Figure illustrant les relations entre macrocosme et microcosme. La figure répartit
l’univers en intervalles musicaux sur le grand monocorde qui relie le ciel et la terre. Page
de titre et Musique du monde, Utriusque cosmi…Historia, par Robert FLUDD, 1617, in
158

Warren KENTON,« Astrologie, le miroir céleste », éditions du Seuil, Pays-Bas, 1974, page
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Page 87 : Plan de la région de Cuzco in CARNAC Pierre « Les conquérants du pacifique ».

Page 88 : Représentation des 4 évangélistes (Matthieu, Marc, Luc et Jean) sous les formes
respectives d’un homme-ange, d’un lion, d’un bœuf et d’un aigle. On retrouve ces 4
vivants dans les visions de l’Apocalypse de saint Jean et dans les visions
d’Ezechiel…Manuscrit du VIIIème siècle, cathédrale de Trèves, Allemagne/Archives E.T in
FONTANA David, « Le langage secret des symboles, leur histoire, leur interprétation »,
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Page 89 : Plan de la ville de Jaipur et photo illustrant l’observatoire astronomique de la ville


(Géréon Hach) in HACH Géréon :« VASTU, le Yoga de l’habitat », Editions Guy Trédaniel,
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Page 90 : Planche représentant les 12 divisions zodiacales, divisées en 28 maisons lunaires de


signes doubles (yin-yang) et du caractère yin ou yang des planètes selon l’horoscope
chinois du XIVéme siècle in Warren KENTON,« Astrologie, le miroir céleste », éditions du
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Page 91 : Dessin sur planche de bois, in MERZ Blanche : « L’Ame du Lieu, Son interaction
dynamique sur nos quatre corps », Georg éditeur s.a., Genève, mars 1988, page 38.

Plan de la ville de Chang’an, document du Royal Ontario Muséum Toronto-L.Von Matt. , in


« Grandes civilisations disparues », collection des pays et des hommes, sélection du
Reader’s digest,Paris, 1990, page 120.

Page 94 : Fond du plan de Liège au XIe et XIIe siècles, in « Liège, histoire d’une Eglise, tome 5 » de
Marylène LAFFINEUR-CREPIN, Editions du Signe, Strasbourg, 1991, page 12.

Page 96 : Magnifique visage d’une humble princesse marocaine (haut Atlas) photo Joffre explorer
in « Péninsule Ibérique Maghreb », collection Des Pays et Des Hommes, LAROUSSE-
Selection du Reader’s Digest, Espagne, 1989, page 21.
159

Page 97 : Carte symbolique de l’univers tirée d’un traité islamique du XVIéme siècle intitulé La fine
fleur des Histoires, Logman, 1583, Musée d’art Turc et islamique, Istanbul/Archives E.T in
FONTANA David, « Le langage secret des symboles, leur histoire, leur interprétation »,
Editions France loisirs, Paris, septembre 1994, page 53.

Diagramme sacré des hindouistes, le yantra est employé pour faciliter la méditation. Les
formes géométriques concentrent l’attention de l’esprit et permettent d’accéder à la
perception d’une réalité ultime, ici un SHRI Yantra du Népal, vers 1700 in « Mystères des
signes et symboles, reconnaître et décoder leur langage secret », Sélection du Reader’s
Digest, Zurich, 1997, page 104.

Page 97 : En filigrane dessins tirés du livre de Bernadette MERENNE-SCHOUMAKER, « La


localisation des services », Collection Géographie d’aujourd’hui, Editions Nathan, Paris
1996.

Page 98 : L’église sainte-Croix, le 30 juin 1834, dessin anonyme au crayon et lavis d’encre de
Chine.

Plans ( incrustation du plan de stonehenge et du plan de la chapelle palatine et plan de la


chapelle palatine) tirés de « Charlemagne et le secret d’Aix-la-Chapelle », de Hermann
WEISWEILER, collection les énigmes de l’Univers, Editions Robert Laffont,Paris,1982, page
90 et 70.

Plan de la collégiale Saint-jean de M. Botty tirée de « Liège, histoire d’une Eglise, tome
5 » de Marylène LAFFINEUR-CREPIN, Editions du Signe, Strasbourg, 1991, page 27.

Page 99 : Fond de plan de Liège au XIe et XIIe siècles, in « Liège, histoire d’une Eglise, tome 5 » de
Marylène LAFFINEUR-CREPIN, Editions du Signe, Strasbourg, 1991, page 12.

Page 100 : Bristol, représentation de la ville en 1479 in GUIDONI Enrico : « La ville européenne,
formation et signification du quatrième au onzième siècle », Pierre Mardaga Editeur, Liège,
1981, page 163.

Page 101 : Gravure à l’eau forte de Mathieu MERIAN (Liège en 1649).


160

Page 102 : Delta du nil , planche tirée de « Pamphlet of Extracts from the 13th Volume of the
astronomical Observations Made at the royal Observatory , Edinburgh », Neill & co.,
1872, Edimbourg.

Page 103 : Planche de la Région de Menphis tirée de « Le mystère d’Orion », Robert BAUVAL et
Adrian GILBERT, Editions Pygmalion/Gérard Watelet à Paris, 1994, page 235.

Planche tirée du « Le mystère d’Orion », Robert BAUVAL et Adrian GILBERT, Editions


Pygmalion/Gérard Watelet à Paris, 1994, page 228.

Page 104 : Représentation schématique d ‘un plan de ville cruciforme (B.A.V., Cod. Vat. Gr. 1605)
in GUIDONI Enrico : « La ville européenne, formation et signification du quatrième au
onzième siècle », Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981, page 133.

Page 105 : Reims , dessin en plan avec « croix des églises » et estampe du XVIéme siècle, in in
GUIDONI Enrico : « La ville européenne, formation et signification du quatrième au
onzième siècle », Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981, page 112.

Page 106 : Ville de Goslar et Utrecht in GUIDONI Enrico : « La ville européenne, formation et
signification du quatrième au onzième siècle », Pierre Mardaga Editeur, Liège, 1981,
page 115.

Page 107 : urbanisation Banlieue de Tokyo in « GA JAPAN Environmental design », n°5, A.D.A Edita
Tokyo, Automne 1993, page 42.

Page 108 : Rue Piréos à Athènes, qui relie Le Pirée à l’Acropole, photo de Richard scoffier in
SCOFFIER Richard, « Les villes de la Puissance », Editions Jean-Michel Place/Architecture,
1998.

Page 114 : Buse variable sur une charrue, dessin de Rinaldo D.D’AMI, in « La vie privée des
animaux : les animaux de la ferme et des champs», Editions Hachette, Torino,1968,
page 27.

Page 115 : Gravure d’un jardin, Piper Stones, Co. Wicklow/images in « La Magie », petite
bibliothèque des symboles », Editions du chêne, Hong-Kong, septembre 1995, page 18.
161

Page 119 : Illustration d’un projet visant à « restaurer » Athènes par l’architecte Michel Bourdeau in
SCOFFIER Richard, « Les villes de la Puissance », Editions Jean-Michel Place/Architecture,
1998.

Page 120 : Photo d’un jardin créé par Lorenz von Ehren in « Anamorphose », bi-annuel Page-
Payasage n°7, 1998/1999, France, septembre 1998, page 131.

Page 121 : Photo de Gilles Clément in « Anamorphose », bi-annuel Page-Payasage n°7,


1998/1999, France, septembre 1998, page 157.

Page 123 : Banque du crédit Lyonnais à Lyon par l’architecte nombreuses fois primé : Christian de
Portzamparc.

Page 128 : Aménagement du Jardin des Charmettes à Lyon VIéme (Rhones) par IN SITU
Paysagistes en 1998, photo de Eric Saillet in « Anamorphose », bi-annuel Page-
Payasage n°7, 1998/1999, France, septembre 1998, page 149.

Page 129 : Ane de de Rinaldo D.D’AMI, in « La vie privée des animaux : les animaux de la ferme et
des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 43.

Page 130 : Pigeons de Rinaldo D.D’AMI, in « La vie privée des animaux : les animaux de la ferme et
des champs», Editions Hachette, Torino,1968, page 51.

Page 131 : Splendide Tour du Caucase (Capra ibex cylindrrcornis), dessin de Paul Barruel in
« Mammifères d’Europe », Tome II, Editions Artis, Bruxelles1972, page 81.

Page 133 : Photo de Metti Champt « le perron détricote le chœur »

Page 134 : Photo de Joseph Laureys et Fabian Gérardy.

Page 137 : Schéma directeur des Guillemins, logement Ville de Liège, AGUA Louvain-la-Neuve,
Photo de la maquette de la nouvelle gare des Guillemins, février 2000, Euro Liège TGV
in « A+ Gares », n° 175, avril-mai 2002

Page 138 : Santiago Calatrava, projet d’aménagement de la gare des guillemins in « A+ Gares »,
n° 175, avril-mai 2002.
162

Page 139 : Photos de Xavier Delaval, descente de la E-25 et rue Louvrex à Liège.

Page 141 : Loups de Rinaldo D.D’AMI, in «la vie privée des animaux : les animaux des bois et des
prairies», Editions Hachette, Torino,1968, page 47.

Page 142 : Photo de Xavier Delaval, la tour du balloir à Liège.

Page 144 : Négatif de la galaxie spirale M101.

Homme zodiacal aztèque, Codex vaticanus B., XVème siècle, in Warren


KENTON,« Astrologie, le miroir céleste », éditions du Seuil, Pays-Bas, 1974, page120.

Page 145 : Homme humain Indou, lors d’un pèlerinage à ALLAHABAD, la ville Sainte au confluent du
Gange et de la Yamuna, in « OKAPI, Dossier INDE » n°370, avril 1987.

Page 147 : Dessin à l’encre, au crayon et tipp-ex ( 70cmx50cm) de Xavier Delaval (sept.1999)
163

TABLE DES MATIERES

Introduction ............................................................................................................................... 7
Le golem réinventé ....................................................................................................................... 8
Les monarques absolus ................................................................................................................. 8
Les proies sacrificielles ............................................................................................................... 11
Le chaos adultère ........................................................................................................................ 12
Les sentiers stériles ..................................................................................................................... 13
Le sens interdit ............................................................................................................................ 14
Sous l’écorce, la moelle .............................................................................................................. 15
Une géographie sacrée ................................................................................................................ 16
Une clé mystique ........................................................................................................................ 17
Le bonheur, relique de l’obscurantisme ? ................................................................................... 19
Nous autres, humains… .............................................................................................................. 19
Quelque chose d’insaisissable… ................................................................................................. 20
Un collage multicolore ................................................................................................................ 21
L’église productiviste de la fin des jours ................................................................................... 22
Sens et cohérences ...................................................................................................................... 23
Contenu du travail ....................................................................................................................... 25
Plan du travail ............................................................................................................................. 26
Chapitre 1 : Identité ................................................................................................................ 28
Introduction................................................................................................................................. 28
Aujourd’hui… ............................................................................................................................. 31
1. Images et symboles .............................................................................................................................. 33
a) Un besoin fondamental ? ............................................................................................................ 33
b) Vocabulaire ................................................................................................................................. 35
Entre les ailes de la poule féconde .............................................................................................. 35
Le bestiaire de l’alphabet intérieur.............................................................................................. 37
c) Science et conscience .................................................................................................................. 40
De l’autre coté de l’erreur… ....................................................................................................... 40
L’épreuve des preuves ................................................................................................................ 42
Le trèfle stratégique .................................................................................................................... 43
L’idée de l’esprit ......................................................................................................................... 44
d) Sacré et profane .......................................................................................................................... 46
L’astronome et le fleuriste .......................................................................................................... 46
Le sacré et le profane .................................................................................................................. 47
164

2. Survie et fondations ............................................................................................................................. 49


Ville et Cité ................................................................................................................................. 49
Fondations................................................................................................................................... 51
Chapitre 2 : Expression........................................................................................................... 62
Introduction................................................................................................................................. 62
Entrer dans la résonance ............................................................................................................. 63
Le microcosme humain ............................................................................................................... 64
1. La forme .............................................................................................................................................. 68
L’école de la forme ..................................................................................................................... 68
2. Le souffle ............................................................................................................................................. 72
L’école du souffle ....................................................................................................................... 72
Circulation des flux ..................................................................................................................... 73
Comme une eau qui consume ..................................................................................................... 73
Les drains célestes. ..................................................................................................................... 75
Dans le souffle des terres sacrées ................................................................................................ 76
3. Les éléments ........................................................................................................................................ 77
Corpus liber ................................................................................................................................ 77
Le cénacle des « cinq éléments » ................................................................................................ 77
Des éléments solides géométriques............................................................................................. 80
4. Le Nombre ........................................................................................................................................... 83
Le nombre social et politique ...................................................................................................... 85
Le nombre religieux .................................................................................................................... 88
Le nombre harmonique ............................................................................................................... 90
Le nombre symbolique ............................................................................................................... 92
5. La géométrie. ....................................................................................................................................... 96
Ces passages qui géométrisent… ............................................................................................... 97
6. L’image ............................................................................................................................................. 100
Dans l’argile, des réseaux de lumière ....................................................................................... 104
7. Dans le brasier des symboles ............................................................................................................. 107
Des axes pour unique montagne… ........................................................................................... 109
Dans le brasier des symboles .................................................................................................... 111
Chapitre 3 : Actualisation ..................................................................................................... 114
Jardiner le monde ...................................................................................................................... 114
8. La peur du futur et la peur du passé. .................................................................................................. 116
La peur du futur ........................................................................................................................ 117
La peur du passé ....................................................................................................................... 119
9. Le formalisme et la symbolique ........................................................................................................ 122
Le ciel, le corps, la terre ............................................................................................................ 123
165

Formalisme exploratoire ........................................................................................................... 124


L’Art et la ville ......................................................................................................................... 125
10. Le désir collectif ............................................................................................................................ 129
Combats .................................................................................................................................... 129
Eduquer les autres ou s’éduquer aux autres .............................................................................. 130
L’exemple de Liège .................................................................................................................. 132
Le symbole public ..................................................................................................................... 140
Conclusion ............................................................................................................................. 143
B I B L I O G R A P H I E .................................................................................................... 148
T A B L E D E S I L L U S T R A T I O N S. ................................................................... 151
T A B L E D E S I L L U S T R A T I O N S
………………………………………………………………….151
T A B L E D E S M A T I E R E S
………………………………………………………………………….163

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