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Mémoire de master

Décembre 2011

Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel
Guillemette Morel-Journel

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Un nouveau chapitre dans l’œuvre

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de Toyo Ito

à
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Induire la nature dans la forme ire
to
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construite
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Joan Sidawy
t d lle
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É
Joan Sidawy

Mémoire de master
Matières à penser
Décembre 2011

Directeurs de mémoire
Jean-François Blassel

e
Guillemette Morel-Journel

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Introduction 5

Préalable 7
Influences 7
Premières oeuvres 11
Le tournant de Sendai 11

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1. Le projet comme milieu 13

a
1.1 La symbiose avec la nature, une nature "spontanée" et opulente 13

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1.2 La métaphore du jardin 14

-la
1.3 La quête d'un espace fluide, une architecture comme séquence spatiale 15

ne
1.4 L'architecture comme intérieur, l'espace souterrain 17

ar
1.5 Une conception japonaise de l'espace, espace en mouvement 19

M
1.6 Une dissolution des limites entre dedans et dehors, blurring 25

à
architecture

s
ire
1.7 La densité de l’espace to 25
rri
2. Le projet comme corps 29
te

2.1 Le corps dans l’espace, un espace habité 29


eu es

2.2 Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométrique 31


face à la ressemblance vitale
ut d
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'a &

2.3 Assouplir la grille des modernes 33


t d lle

2.4 Assouplir le plan du sol 33


oi vi

2.5 Recherche d’une continuité organique, intégration espace-structure, 35


dr la

fusion des surfaces


au de

2.6 Système formel intégrateur 37


is e
m tur

3. Le projet comme processus 39


ou ec

3.1 Synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction 39


t s hit

3.2 Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural 41


en rc

3.3 La logique derrière les décisions formelles 41


m 'a

3.4 La croissance algorithmique 45


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do col

Conclusion 47
É

Références bibliographiques 49


Introduction

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Aujourd’hui, l’enjeu de la soutenabilité replace le thème de la nature au cœur du

M
débat architectural.

à
Depuis ses débuts, l’architecte japonais Toyo Ito construit son discours autour de

s
métaphores naturelles telles que le jardin de lumière, le jardin des vents et le
ire
jardin des puces électroniques. Ce recours à l’image du jardin exprime l’aspiration
to
à une architecture malléable et perméable à son environnement mais qui reste
rri

tout compte fait conventionnelle dans sa forme.


te

Néanmoins, la Médiathèque de Sendai, œuvre emblématique de ce début de XXIe


eu es

siècle, marque un tournant dans la carrière de Toyo Ito. Dans le volume


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prismatique de Sendai, on a l’impression que pour la première fois la métaphore


r
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se fait concrète à travers la forme organique des tubes structurels.


t d lle

On s’intéressera à l’après-Sendai, c’est-à-dire à la période qui commence à partir


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de la réalisation de la Médiathèque de Sendai en 2001 jusqu’aux réalisations les


dr la

plus récentes. Cette période voit Toyo Ito accéder à des commandes de plus en
au de

plus importantes en même temps qu’il développe une nouvelle liberté formelle
d’inspiration naturaliste. L’influence de la nature dans ces derniers projets se
is e
m tur

décline sous plusieurs formes : dans la conception des structures, dans la relation
des bâtiments à leur milieu, dans la perception corporelle qu’ils proposent aux
ou ec

usagers.
t s hit
en rc

En quoi la démarche architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une


m 'a

interprétation contemporaine de la notion de nature ?


cu e d
do col

Dans quelle mesure s’inscrit-il dans une continuité avec la culture japonaise de la
nature et dans une lignée architecturale nippone ?
É

On peut se demander si la nature n’est pas devenue un simple outil pour produire
une forme.
La notion de nature étant toujours une construction culturelle, il s’agit d’étudier le
discours de Toyo Ito mais aussi l’influence de la culture japonaise dans son œuvre,
une culture qui recherche une symbiose avec la nature.
« Je pense que l’espace de la ville contemporaine est encore incapable d’échapper
à la grille moderne. C’est un environnement artificiel, fondamentalement
moderne. Maintenant, on parle de problèmes environnementaux, mais l’espace
n’a pas changé dans l’absolu. L’espace qui contient la fluidité de la nature nous est
nécessaire. Bien que Sendai fût une architecture isolée, ce que je voulais
accomplir c’était un espace libre semblable à la nature. » , Toyo Ito , 2004.

D’abord, on essaiera de déterminer l’influence de ses maîtres japonais Shinohara,

e
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Kikutake, Isozaki, et d’analyser ses premières œuvres et le tournant de Sendai.

a
Ensuite on s’intéressera aux pistes de travail suivantes pour explorer trois volets

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qui semblent se détacher dans son approche projectuelle : la spatialité,

-la
l’intégration structure-espace et la recherche des règles de génération de la

ne
nature. On analysera:

ar
Le projet comme milieu

M
Le projet comme corps
Le projet comme processus

à
s
Nous nous concentrerons sur un corpus extrait de cette production :

ire
- le projet Vestbanen à Oslo : vers un système formel intégrateur, to
cristallographie.
rri

Il constitue un pas avant dans la recherche d’une structure intégratrice.


te

- le parc Grin Grin (2005), un paysage construit.


eu es

Une architecture intégrée dans le paysage avec une structure en coque qui
ut d

développe une nouvelle méthode d’analyse structurelle qui conduit à des formes
r
'a &

architecturales nouvelles.
t d lle

- l’opéra métropolitain de Taichung à Taiwan (2009) : une structure globale


oi vi

continue en forme d’éponge.


L’aboutissement de la recherche d’une fusion entre la structure, l’enveloppe et
dr la

l’espace. Une architecture à la fois intégrée dans son environnement et


au de

intégratrice.
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Il s'agira pour nous d'interroger ces bâtiments dans leur rapport à la nature et
ou ec

d'essayer de montrer à travers ces exemples concrets qu'il existe une vision
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renouvelée de la nature propre à Ito qui va au-delà de l'organique comme style


en rc

formel ouvrant des possibilités projectuelles.


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É

  TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.13.


Préalable

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Influences

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à
Il est nécessaire de commencer par comprendre le contexte culturel dans lequel

s
se développe l’œuvre d’Ito.
ire
Il admet que ses premières œuvres étaient en continuité avec l’architecture
to
moderne.
rri

« Je crois que j’ai pendant longtemps suivi la norme de l’architecture moderne. Je


te

me suis limité à l’esthétique du « less is more ». » Toyo Ito, 2004.


eu es
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Mais ces œuvres se développent dans un contexte particulier, le Japon, où


r
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l’architecture a établi une continuité qui adapte le mouvement moderne au


t d lle

contexte local.
oi vi

Comme le dit Hans Ulrich Obrist dans Projet Japan: "Au Japon, comme je le vois, il
dr la

y a une claire continuité, un vrai miracle architectural japonais, partant de Tange,


au de

en passant par le Métabolisme et l'ambivalent compagnon de parcours Isozaki


vers "l'anarchie progressive" de Kazuo Shinohara, et ensuite l'école de Shinohara,
is e
m tur

jusqu'à Toyo Ito pour qui toute architecture est une extension et un "épiderme"
de la nature, et en avant encore jusqu'à SANAA, puis Junya Ishigami et Sou
ou ec

Fujimoto. Les Japonais, on dirait, ne tuent pas le père ou la mère."


t s hit
en rc

Kiyonori Kikutake
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Toyo Ito travaille de 1965 à 1969 dans l’agence de Kiyonori Kikutake (1928), l’un
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des co-fondateurs du groupe Métaboliste qui se développa dans les années 1960.
Kikutake, en tant que planificateur urbain, conçoit des nouveaux concepts de
É

villes comme Marine City ou la ville tour.


Les Métabolistes élaborent, par analogie à la biologie, des principes de mutation
de nature à supplanter les fondements de l’architecture moderne, c’est-à-dire, la
séparation fonctionnelle, les métaphores des machines, la géométrie rigide et la

  TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.8.
  KOOLHAAS Rem, OBRIST Hans Ulrich, Project Japan: Metabolism Talks..., Taschen, Cologne,
2011, p.21.
 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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3
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1. Projet de ville Océan, 1958-1963, Kiyonori Kikutake


Un projet de mégastructure urbaine pour étendre la ville
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sur la mer, alliant des îles et des tours cylindriques sur


lesquelles se branchent des capsules.
do col

2. Clusters in the air, 1962, Arata Isozaki


É

Un projet de mégastructure urbaine se développant en


hauteur à partir de noyaux cylindriques sur lesquelles se
branchent des unités modulaires.

3. Maison Tanikawa, 1974, Kazuo Shinohara


Un projet de maison dans la pente qui sous une
apparence extérieure traditionnelle reprend à l'intérieur
la déclivité du sol extérieur.
source: Place, Time and Being in Japanese Architecture
Préalable 

permanence. Il s 'agit de convertir la tradition japonaise en une sensibilité


moderne, une japonisation de la modernisation ou comme dit Charles Jencks,
une sorte de "Metabouddhisme". Les bâtiments sont d’immenses proto-
organismes formels. Malgré leurs intentions, leurs propositions accentuent le
décalage entre l’homme et son environnement.
Pour faire face aux problèmes urbains causés par le développement chaotique
des villes, ces architectes élaborèrent des hypothèses utopiques de
mégastructures à l’échelle urbaine. Ils voyaient la société comme un organisme

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vital en continuelle transformation et tentèrent de dépasser le concept d’œuvre

a
architecturale bien définie en proposant une architecture comme une structure

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«métabolique». Kawazoe, théoricien du groupe, définit l’utilisation de ce terme

-la
biologique en affirmant que «le dessin et la technologie ne sont rien d’autre

ne
qu’une extension de la vie humaine».

ar
De son passage chez Kikutake, Ito retiendra l’imagination constructive, la

M
systématisation modulaire et l’idée de croissance organique mais la pensée
urbanistique métaboliste ne déteindra pas sur lui.

à
s
ire
Arata Isozaki to
rri

Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission


te

préférées dans l’architecture japonaise contemporaine.


eu es

Comme l’a décrit Arata Isozaki (1931) pour première fois en 1970, une « hypothèse
ut d

imaginaire » a surgi et est devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et


r
'a &

s’infiltrant dans tous les aspects du projet. »


t d lle

Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les


oi vi

« nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».


Il opère une critique du modernisme et réalise en même temps une abstraction
dr la

progressive de la tradition. En1966, débute l’architecture conceptuelle au Japon.


au de

Isozaki va réussir à séparer définitivement l’architecture japonaise et le courant


is e

moderniste. Pour la génération d’architectes qui émerge après l’expo’70, le terrain


m tur

laissé vacant par la critique et la destruction de l’architecture moderne est donc


ou ec

une « table rase ».


t s hit

Dans les années 1970, dans ce monde « irrationnel », chaque architecte se crée sa
en rc

théorie, son école et y assujettit son architecture. Ils procèdent à un détachement


m 'a

progressif du style international. Isozaki s’efforça de dégager radicalement


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l’architecture de son classicisme moderniste, pour laisser libre cours à une


créativité symboliste et maniériste, confinant quelque fois au surréalisme.
do col

Isozaki espaces conceptuels et dépasser l’architecture moderne mais ne refuse


É

pas les influences occidentales.


De ce maître de l’architecture de la fin de ce siècle, Ito retiendra la liberté de
conception.

  JENCKS Charles, Mouvement moderne en Architecture, Editions Mardaga, Bruxelles,1973, p.320


10 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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1. Maison White U, 1976 2. Hutte d’argent, 1984


La maison White U appartient à la période Une réinterprétation de la Hutte primitive
m 'a

du jardin de lumières, elle joue sur sa forme à travers un système modulaire de voûtes
cu e d

renfermée et les ouvertures lumineuses. entièrement perméable à son environnement.


do col

3. Tour des vents, 1986 4. Musée Yatsushiro, 1991


La tour des vents vient dissimuler un conduit Le musée est enterré en partie sous une colline
É

d'aération d'un centre commercial en créant des artificielle à fin de minimiser son impact. La
effets lumineux qui répondent aux stimulations partie émergente faite de minces voûtes se veut
environnantes. aérienne

5. Médiathèque de Sendai, 2001 6. Vue intérieure du tube structurel de la


Le volume prismatique renferme une structure Médiathèque de Sendai
organique de tubes. Le tube vient chercher la lumière naturelle
zénithale.
Préalable 11

Kazuo Shinohara

A partir des années 1950, Kazuo Shinohara (1925-2006) débute une remise en
question des principes fondateurs de l’architecture moderne et du rationalisme. Il
considère l'abstraction à partir de formes traditionnelles.
Selon Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de celle de
l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la division
spatiale en des divisions plus petites. Par opposition à l’espace tridimensionnel et

e
llé
statique occidental, c’est un espace plein de mouvements et de changements, un

a
changement continu tel une promenade sinueuse dans un jardin de pierres.

-V
Il cherche à revenir sur les fondements de la tradition japonaise basés non plus

-la
sur son apparence mais sur son sens.

ne
Son travail se concentre après sur le « Cube » et « l’Espace fissure ». Contrairement

ar
au Cube utilisé par les Modernistes à connotation de production industrielle, le

M
Cube de Shinohara représente l’anti-espace, la neutralité, rythmée par la présence
des « Espaces fissures » caractérisés par fentes de lumières et des ouvertures

à
s
zénithales.

ire
Les espaces minimalistes et le traitement en blanc des intérieurs de Shinohara
to
marqueront fortement Ito.
rri
te

Premières Œuvres
eu es
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Toyo Ito naît en 1941 à Séoul en Corée. Il obtient son diplôme en 1965 à
r
'a &

l’Université de Tokyo, où il reçoit un enseignement essentiellement centré sur


t d lle

l’architecture occidentale et spécialement sur le mouvement moderne.


oi vi

Toyo Ito crée sa propre agence en 1971, URBOT. Il réalise pour commencer
plusieurs maisons dont la maison White U en forme de « U » et renfermée sur elle-
dr la

même où il initie sa quête d’un espace fluide.


au de

En 1984, il construit sa maison, dénommée « Hutte d’argent », où il développe un


is e

système modulaire et où s’effacent les limites entre dedans et dehors.


m tur

La tour des vents de 1986 et ses anneaux lumineux prolonge l’idée d’une
ou ec

architecture quasi immatérielle qui réagit au gré des phénomènes naturels. La


t s hit

tour s’illumine de milles façons, sorte de feedback architectural qui absorbe


en rc

l’information sonore et physique et la retransmet sous forme d’information


m 'a

visuelle.
cu e d

Le musée Yatsushiro de 1991 exprime l’intention de s’inscrire avec discrétion dans


le paysage, d’ouvrir amplement le rez-de-chaussée sur l’environnement et la
do col

recherche de légèreté, à travers ses formes organiques expressives.


É

Sa quête d'un espace fluide, d'un effacement des limites et ses


recherches sur les formes organiques expressives seront synthétisés dans la
réalisation de la Médiathèque de Sendai.

 VAN GHELUWE Christophe, Toyo Ito et la quête de la fluidité,


http://www.vg-architecture.be/guide.
Le tournant de Sendai

«La Médiathèque de Sendai est un millefeuille de forêt urbaine.» Toyo Ito, 1995.

Inaugurée en 2001, à Sendai, à 300 km au nord-est de Tokyo, cette réalisation de


50m x 56m est une superposition de sept plateaux horizontaux transpercés par
treize tubes structurels à la forme changeante qui agissent comme des colonnes

e
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en même temps qu’ils servent à la circulation des flux de personnes, d’air et de

a
lumière. Ce volume transparent d’une superficie de 21600m² est un nouveau type

-V
d’infrastructure culturelle qui regroupe en un seul lieu une médiathèque, une

-la
galerie d’art, une bibliothèque et un centre d’informations pour les citoyens.

ne
ar
La médiathèque de Sendai constitue une synthèse des réflexions théoriques d’Ito

M
et de sa quête d’un espace fluide tel qu’on pourrait trouver dans un
environnement naturel.

à
s
L’édifice définit un nouveau modèle de médiathèque adapté au XXI siècle par sa

ire
liberté programmatique. Sa transparence traduit la volonté d’en faire un
to
prolongement de l’espace urbain.
rri

Il s’agit de libérer l’architecture de ses hiérarchies, les éléments traditionnels tels


te

que les murs disparaissent, les colonnes deviennent des tubes de lumière qui
eu es

oscillent dans l’espace, les dalles deviennent de fines plaques et la façade une
ut d

peau qui s’adapte selon l’orientation et les fonctions intérieures. Les trois
r
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éléments que sont les tubes, les plaques et la peau semblent indépendants les
t d lle

uns des autres, ce qui accentue l’impression d’immatérialité et la légèreté du


oi vi

bâtiment, qualités qui permettent l’intégration réussie dans son environnement.


La forme organique et irrégulière des tubes structurels, comparée à des algues,
dr la

vient induire une condition naturelle libérée du rationalisme fonctionnel.


au de

Les volumes évidés des tubes constituent un nouveau type qui sera développé
is e

dans les projets de Vestbanen et de Taichung. Ce type s’insère dans une recherche
m tur

de continuité spatiale et matérielle qui s’exprime par une intégration de la forme


ou ec

et de la structure.
t s hit

«A partir de 2001, il s’agit de rechercher une nouvelle liberté de la forme, un


en rc

contrôle de celle-ci par le biais de géométries ouvertes et dynamiques, et à travers


m 'a

l’intégration organique des différentes composantes du bâtiment (...) Introduire


cu e d

les éléments naturels comme composantes du projet. ».


do col
É

  "Sendai is a multilayered urban forest"


ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.76-113.
  CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la
recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.
13

1. Le projet comme milieu

e
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ne
ar
1.1La symbiose avec la nature, une nature « spontanée »

M
et opulente

à
s
La conception japonaise de la nature est héritée du shintô, religion animiste, la
plus ancienne du Japon. La cosmogonie shintô du type engendrement/devenir ire
to
est différente de la cosmogonie judéo-chrétienne et chinoise où tout débute par
rri

une création. Ainsi, shizen [nature en japonais] est un phénomène transcendant


te

dans la culture japonaise. Plutôt que de chercher à maitriser et à dominer la


eu es

nature à la manière des occidentaux, les japonais ont traditionnellement


ut d

recherché une symbiose avec la nature.


r
'a &

Cette conception est aussi liée à son territoire.


t d lle

« Confrontée à des conditions géographiques et climatiques difficiles, la culture


oi vi

japonaise traditionnelle ne s’est pas dissociée de son environnement et n’a pas


dr la

tenté de le soumettre brutalement. » Yann Nussaume.


au de

La nature est perçue comme un flux perpétuel qu’il ne faut pas entraver. Comme
le souligne le japonologue allemand Günther Nitschke :
is e
m tur

« Le Japon étant d’une échelle si petite, tout concept humain prononcé d’ordre
constitue proportionnellement à sa dimension et sa force, une interruption aux
ou ec

flux de la nature. » 10
t s hit

C'est ainsi que la notion de nature au Japon est aussi liée au concept de
en rc

phénomène et du flux.
m 'a

« L’historien de la pensée orientale Nakamura Hajime a bien montré à quel point


cu e d

la tradition japonaise tend à considérer le monde phénoménal comme seul


do col

absolu, et donc à ne reconnaître l’existence d’aucun principe qui le transcenderait.


A l’opposé de la conception kantienne (pour qui la seul réalité irréductible est la
É

conscience pure du sujet), la tradition philosophique japonaise considère que le


phénoménal est vraiment le réel. Bien entendu, cette conception présente un

  BERQUE Augustin, Le sens de l’espace au Japon : vivre, penser, bâtir, Paris, Edition Arguments,
2004, p.19
  NUSSAUME Yann, Réflexion sur l’importance du milieu en architecture. Tadao Ando et Shin
Takamatsu face au désordre de la ville japonaise, Thèse de Doctorat, mars 1997.
10 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du
milieu, Ousia, 2004, p.306. « Ma, le sens japonais du « lieu » », 1966.
14 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

rapport direct avec le sentiment de la nature, cette réalité première. De ce fait, elle
procède sans doute de l’animisme shintoïque. (…) La réalité, au Japon, n’est qu’un
flux perpétuel : celui du monde historique et phénoménal. »11
Il s’agira de montrer comment Toyo Ito s’inscrit dans cette appréhension
phénoménale du monde, un monde perçu comme flux perpétuel dans lequel
l’architecture se fait tourbillon.
L’ethnologue Araki Hiroyuki évoque la préséance que la culture japonaise accorde
au milieu plutôt qu’à l’individu qui s’y trouve ou – ce qui va de pair – à

e
llé
l’abstraction de principes universels.

a
« Dans l’architecture japonaise prévaut un mécanisme de pensée qui tient

-V
consciemment ou inconsciemment à un espace vide, un état suspendu, ou à une

-la
sorte de tabula rasa dans un système, empêchant ainsi d’établir une histoire et

ne
une théorie. Ainsi koto dama [l’écriture japonaise] et shizen fonctionnent comme

ar
un phénomène transcendant dans la culture japonaise.»12

M
Face à ce qui semblerait une absence de tradition théorique au Japon, chaque
architecte paraît produire sa propre théorie à partir d’une sorte de tabula rasa.

à
s
Dans le cas de Toyo Ito, il s’agira de voir comment cette vision japonaise de la

ire
nature vient orienter sa démarche architecturale, comme un thème qui vient
to
transcender tous les autres.
rri
te

1.2 La métaphore du jardin


eu es
ut d

Le mot métaphore provient du grec metaphora qui signifie « translation »,


r
'a &

« transfert ». Mark Johnson, dans Body in Mind, la définit comme « un mode


t d lle

pénétrant de compréhension à travers lequel nous déplaçons des modèles d’un


oi vi

certain champ de notre expérience à fin de structurer un autre champ d’un type
dr la

différent ». Cela a lieu par exemple lors du passage de la théorie à la pratique.


au de

Durant un certain temps, la métaphore a été l’une des formes de transmission


préférées dans l’architecture japonaise contemporaine. Comme l’a décrit Arata
is e
m tur

Isozaki pour première fois en 1970, une « hypothèse imaginaire » a surgi et est
devenue « l’essence de l’édifice, donnant naissance et s’infiltrant dans tous les
ou ec

aspects du projet. »
t s hit

Au fur et à mesure, elle s’exprimait comme image ou analogie, comme les


en rc

« nuages stratocumulus » ou le « crépuscule ».


m 'a

Ito utilise la métaphore d’une manière complexe et avec des strates multiples,
cu e d

introduisant des ressorts d’analogies pour compléter l’image.


do col

Ito écrit sur « l’architecture comme jardin » ou sur « l’architecture comme courant
d’eau » et aussi comme « architecture aurale », c’est-à-dire, une architecture
É

comme son. En décrivant ses œuvres, Ito utilise souvent des analogies. C'est la
métaphore du jardin qui semble le mieux synthétiser son architecture.
Il dit : « J’ai toujours considéré mon architecture comme un jardin », à prendre non
dans un sens littéral, comme forme, mais en tant que métaphore suggestive, qui

11 BERQUE Augustin, op.cit. p.19, 2004.


12 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du
milieu, Ousia, 2004, p.46
Le projet comme milieu 15

définit le lieu comme un environnement paisible, incertain, dans un cadre sans


limites précises. Ainsi pour les Japonais, le jardin est un oasis, réalisé à l'image de
la beauté et de la perfection de la nature, et réglé notamment dans les jardins zen
par la simplicité, l'abstraction et le symbolisme.

1.3La quête d’un espace fluide, une architecture comme


séquence spatiale

e
llé
« L’édifice comme filtre, senseur et vortex des flux naturels et artificiels,

a
énergétiques et électroniques, qui habitent l’espace architectonique. » El Croquis,

-V
n°123.

-la
ne
Chez Toyo Ito, la fluidité spatiale est un thème récurrent. Il la justifie par une

ar
analogie avec les flux naturels et les flux d’information. La fluidité spatiale renvoie

M
à un espace non-compartimenté et non-directionnel. Elle inclut l’idée d’instabilité,
d’espace dynamique et de relation directe avec l’environnement immédiat.

à
s
« Je voudrais créer une architecture qui serait telle un tourbillon qui apparaît

ire
lorsque on plonge un bâton dans un courant d’eau. Ce n’est pas le bâton que je
to
veux créer... mais le tourbillon.»
rri

« Introduire de la fluidité dans l’architecture sert à faire circuler de l’air frais dans
te

un espace stagnant et à créer une continuité entre l’intérieur et l’extérieur. », Toyo


eu es

Ito, 1995.13
ut d

C'est l'expérimentation de cette fluidité qui prime dans les espaces intérieurs
r
'a &

créés par Ito comme le souligne Sou Fujimoto.


t d lle

« Quand j’expérimente votre architecture, la fluidité de l’intérieur ne donne pas


oi vi

l’impression d’être sur un territoire insulaire ; c’est comme si l’espace intérieur


émergeait déjà doté d’une structure », entretien avec Toyo Ito.14
dr la
au de

Toyo Ito souhaite libérer l’habitant de l’enclave des murs et le laisser trouver son
is e

rythme au gré des changements des éléments naturels.


m tur

Il y a l’idée de saisir ce qui est de l’ordre de l’instable, du phénomène éphémère au


ou ec

sein d’un système qui cherche constamment la stabilité et la continuité.


t s hit

L’architecture, dans son désir de capter un phénomène passager ne peut se


en rc

résigner à celui-ci sans résistance, sous peine d’être immédiatement et


m 'a

complètement consommée.15
cu e d

Il s’agit à travers son architecture de perpétuer un flux de phénomènes, tout en


l’intégrant dans un système plus stable et plus ordonné. L’architecture est ordre.
do col

Elle doit retrouver un « ordre naturel », et d’établir des relations avec les éléments
É

naturels.
En parallèle, il y a une recherche d’espaces aux états instables, qui peuvent être
propices au mouvement et au flux. Il y une tension entre le flux d’espace et la
stabilité.

13 ITO Toyo, op. cit., 1995, p.77.


14 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
15 ITO Toyo, « Vortex and Current. On Architecture as Phenomenalism », Architectural Design,
vol. 62, nº 9-10, 1992, p.22-23.
16 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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3
É

1. Opéra Métropolitain de Taichung, 2013


Vue intérieure de la maquette. L'espace alvéolaire imite un tissu organique.

2. Himalayas Center, 2010, Arata Isozaki


Les formes organiques rappellent celles de l'opéra de Taichung bien qu'elles
soient moins réglées par la géométrie.

3. Himalayas Center, 2010, Arata Isozaki


L'intérieur fait référence à la grotte plus qu'à un tissu organique.
Le projet comme milieu 17

On recherche un espace dans lequel on circulerait de façon fluide et sans ruptures


en tentant d’abolir les codes traditionnels de la partition.
L’architecture est perçue comme une séquence spatiale pure plutôt que forme.

1.4 L’architecture comme intérieur, l’espace souterrain

Pour Toyo Ito, l'architecture est liée à l'expérience d'un espace intérieur, à l'image
de la grotte.

e
llé
Toyo Ito tente d’expliquer sa vision de l’espace à partir de son expérience étant

a
enfant :

-V
« J’ai grandi dans une vallée, ainsi j’ai toujours eu une impression similaire à celle

-la
d’être dans un trou. Je suis né sur le continent, à Séoul, en Corée, et puis on m’a

ne
jeté dans ce trou avant que je ne sois assez grand pour comprendre ce qui se

ar
passait autour de moi. Ainsi, je crois que j’ai toujours eu l’impression d’être à

M
l’intérieur de quelque chose. Passer du temps près d’un lac, entouré de
montagnes, dans une nature si intéreure… Il se peut que mon désir de regarder

à
s
depuis l’intérieur soit lié à cette expérience. », Toyo Ito, entretien avec Sou

ire
Fujimoto.16 to
« Je pense que nous les japonais nous considérons les concepts spatiaux dans un
rri

cadre qui relativise toujours les formes architecturales préexistantes.


te

Ma propre architecture en particulier, a été grandement affectée par «l’espace de


eu es

mon dialogue intérieur.» Dans ce concept, comme dans le concept de « l’espace


ut d

du son », il n’y a pas d’extérieur. ».


r
'a &

Une architecture sans extérieur qui fait référence à la grotte : « en tant que trou
t d lle

creusé sous le sol, une grotte naturelle n’a pas d’extérieur. » La qualité spatiale est
oi vi

celle d’un espace sans extérieur et celle d’un espace flottant.


« L’image de la dissolution se superpose à l’image de l’espace souterrain. Quand je
dr la

regarde en arrière à travers ma biographie architecturale, je conclus à une nature


au de

génératrice reliée en quelque sorte avec l’idée de la grotte et d’un espace qui
is e

coule comme un liquide. Je reviens toujours là, peu importe ce que je fais. Et j’ai
m tur

commencé à prendre conscience de cela il n’y a pas si longtemps. J’essaie de


ou ec

trouver quelque chose de volumétriquement lumineux, quelque chose de


t s hit

transparent, mais il subsiste toujours une image semblable à celle d’un flux de
en rc

liquide laiteux. Parfois, j’essaie d’abandonner cette image pour produire des
m 'a

espaces plus rafraîchissants et dynamiques, mais plus je cherche, plus je tends à


cu e d

l’espace souterrain. Je suppose qu’on ne peut éviter sa nature physique.


Finalement, j’ai décidé de me rendre et de jouer le jeu jusqu’au bout, avec toutes
do col

ses conséquences. » Toyo Ito.


É

1.5 Une conception japonaise de l’espace, espace en mouvement

« Pour nous japonais, l’espace est ambigu, comme l’air et la lumière coule entre
deux choses. » Toyo Ito.17

16 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
17 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu,
Ousia, 2004, p.441
18 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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1. Maison traditionnelle japonaise


is e

L'espace changeant de la maison traditionnelle


m tur

japonaise avec ses cloisons mobiles.


ou ec

2. Jardin de pierres
t s hit

La disposition soignée des pierres qui viennent


polariser l'espace et simuler un mouvement.
en rc
m 'a
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do col
É
Le projet comme milieu 19

« Mon sentiment essentiel à propos de « l’espace » dans la nature c’est qu’« il est
plus confortable que l’espace à l’intérieur d’une architecture ». En fait, j’ai toujours
souhaité en quelque sorte avancer vers le « confort d’espace » qu’a la nature, et
cela bien avant Sendai. Qu’est-ce que j’entends exactement par « confort qu’a la
nature » ? Ma réponse à cette question a consisté en des imageries de « fluidité
d’espace sans murs » et « d’ondulations dans la topographie » générant « des
distinctions de lieux ». Prenant celles-ci comme des sortes de métaphores et les
transposant dans l’architecture comme « espaces ». »

e
a llé
L’espace se veut flottant et aérien. Le « sens du lieu » substitue l’idée d’un espace

-V
fermé délimité par quatre murs.

-la
Selon Kazuo Shinohara, la conception spatiale japonaise est très différente de

ne
celle de l’espace occidental, c’est un « espace du mouvement » caractérisé par la

ar
division spatiale en des divisions plus petites.

M
Une spatialité privilégiant l’asymétrie et minimisant les perspectives, où chaque

à
s
aire avec sa logique intrinsèque l’emporte sur les lignes et leur logique

ire
intégratrice et centralisatrice, où les zones intermédiaires, horizontales et
to
enveloppantes prévalent sur les confrontations nettes et les coupures verticales,
rri

où l’étendue se complique de détours et de coudes : la spatialité japonaise paraît


te

goûter singulièrement la contingence.


eu es

Il s'agit d'une conception différente de l’espace tridimensionnel et statique


ut d

occidental. La conception japonaise est un espace plein de mouvements et de


r
'a &

changements, un changement continu tel une promenade sinueuse dans un


t d lle

jardin de pierres.
oi vi

Parlant des tubes structurels de la Médiathèque de Sendai, Toyo Ito dit : « Les
dr la

tubes sont souvent comparés aux arbres d’une forêt mais ils sont aussi comme les
au de

objets d’un jardin japonais, où l’espace est créé par le mouvement autour de
is e

points attentivement arrangés, comme des étangs ou des pierres. »


m tur

Dans cet empilement de plateaux homogènes, les tubes, au-delà de leur image,
ou ec

imposent leur présence et polarisent les espaces créés, aussi bien en tant que
t s hit

signes structurels qu’en tant que colonnes de lumière naturelle.


en rc

Le mouvement de l’espace japonais est « non-linéaire et sinueux »18. Un tracé


m 'a

sinueux implique une expectative face à l’inconnu à travers une découverte


cu e d

progressive de l’espace, idée que l’on retrouve dans la stratégie labyrinthique de


l’espace du projet pour l’Opéra Métropolitain de Taichung. L’expérience corporelle
do col

est celle d’une série d’espaces qui auront des continuités horizontales et
É

verticales. C’est une structure spatiale continue en forme d’éponge. On ne peut


appréhender le volume intérieur que comme un réseau de vaisseaux
communicants où viennent se fondre murs et planchers.
La superficie de l’opéra sera de 43260m² 19. Son inauguration est prévue pour
2013.

18 INOUE Mitsuo, L'espace dans l'architecture japonaise, in Anthologie critique de la théorie


architecturale japonaise : le regard du milieu p.313
19 Cela représente le double de la superficie de la médiathèque de Sendai qui est de 21600m².
20 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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4 5
cu e d

1. Opéra de Taichung 2. Opéra de Taichung


do col

Le principe structurel consiste à séparer deux La maquette à grande échelle montre


plaques sur lesquelles est fixé un tissu en l'adaptation du principe structurel aux différents
É

certains points alternés. types d'espaces.

3. Opéra de Taichung
Parcours aléatoire et relations visuelles
changeantes. Niveau R+6.

4. Opéra de Taichung 5. Opéra de Taichung


La caverne du son: la structure spatiale en ruban Une structure spatiale spongieuse continue.
continu délimite un espace A et son négatif B.
L'espace A "du son" est consacré aux espaces de
musique.
Le projet comme milieu 21

Il y a l’idée d’une nature comme changement perpétuel, tout est en constante


mutation. L’idée japonaise de mutation permanente et les mouvements tournants
des espaces de l’architecture japonaise peut être expliqué en partie par la
condition géographique, le Japon ayant des changements de saison très distincts
et des formes de territoires complexes.

Le philosophe Henri Bergson (1859-1941), dans L’Evolution créatrice, associe


l’image des tourbillons et de la mutation permanente pour décrire la condition

e
llé
des formes vivantes et semble ainsi saisir la sensibilité japonaise et plus

a
particulièrement celle de l’architecture de Toyo Ito quand il dit :

-V
« Comme des tourbillons de poussière soulevés par le vent qui passe, les vivants

-la
tournent sur eux-mêmes, suspendus au grand souffle de la vie […], oubliant que

ne
la permanence même de leur forme n’est que le dessin d’un mouvement. Parfois

ar
cependant se matérialise à nos yeux, dans une fugitive apparition, le souffle

M
invisible qui les porte. » H. Bergson.20

à
s
Comme l’explique Fuhimiko Maki21, quand il s’agit de construire le territoire, on

ire
peut distinguer l’attitude occidentale qui aurait été influencée par « les cultures
to
du désert », de l’attitude japonaise. La fondation du territoire en Occident est
rri

basée sur la notion de « centre-démarcation », c’est-à-dire la constitution d’un


te

centre, un pivot cosmique qui articule un territoire étendu avec les Eléments,
eu es

complété par l’édification de murs de démarcation pour délimiter un espace qui


ut d

s’étend à perte de vue. Les japonais, conscients de la finitude de leur territoire,


r
'a &

riche en contrastes, bâtissent selon le principe « oku-enveloppe », qui associe la


t d lle

notion japonaise d’oku, qui peut être décrite succinctement comme le sens de la
oi vi

profondeur, et l’idée d’envelopper le territoire de façon symbolique à travers le


tracé sinueux des voies plutôt que physique à travers des murs. L’oku est décrit
dr la

comme l’espace le plus intérieur, la dernière des couches spatiales du territoire à


au de

l’image des différentes couches d’un oignon.


is e
m tur

« Dans son livre l’Eloge de l’Ombre, Junichiro Tanizaki évoque un faisceau de


ou ec

lumière transmis dans la « profondeur » de l’espace à travers de multiples


t s hit

réflexions. Est-il possible de dessiner une architecture dans laquelle on puisse


en rc

ressentir une telle subtilité non seulement à travers la lumière mais à travers le
m 'a

flux d’air ? Je crois que l’architecture conçue de nos jours changera si on


cu e d

commence simplement à penser à de telles images » Toyo Ito.


do col
É

20 BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.603-604.


21 NUSSAUME Yann, Anthologie critique de la théorie architecturale japonaise : le regard du milieu, Ousia,
2004, p.405. « L’espace de la ville japonaise et le concept d’ « oku », 1978.
É
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RDC
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Coupe

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Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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Le projet comme milieu 23

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1. Opéra de Taichung 2. Opéra de Taichung


r

Schémas analytiques en rapport aux plans des Plan d'insertion du rez-de-chausée.


'a &

différents niveaux et coupe. Bien que le périmètre fermé du bâtiment soit


t d lle

1- opéra de 2011 places conçu comme une ligne de coupe, le dessin


2- salle philarmonique de 800 places paysager pénètre à l'intérieur notamment par
oi vi

3- boîte noire de 200 places un cours d'eau tout en reprenant le motif des
dr la

ovoïdes.
L'analyse de la coupe nous montre la
au de

combinaison de deux systèmes: celui des murs


porteurs en ruban de béton courbes et continus
is e

sur toute la hauteur du bâtiment et celui des


m tur

planchers métalliques qui viennent remplir


en certains endroits les vides de la structure
ou ec

porteuse.
t s hit

L'analyse spatiale des différents niveaux montre


en rc

que le principe si clair en coupe d'alterner les


m 'a

espaces de son A et les espaces B se traduit en


cu e d

plan par des salles aux contours improbables. Ce


cloisonnement libre est permis par le système
structurel, l'intérieur des tubes servant le plus
do col

souvent aux circulations verticales.


É
24 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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1. Parc Grin Grin 2. Parc Grin Grin


La végétation devrait bientôt recouvrir la coque Un parcours est aménagé sur la toiture, le sol et
ut d

et celle-ci ne faire qu'un avec la topographie. la toiture semblent ne faire qu'un.


r
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3. Parc Grin Grin


Coupe transversale de l'une des serres. La
oi vi

structure et le sol se courbent pour se fondre


dans le paysage.
dr la
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É
Le projet comme milieu 25

1.6Une dissolution des limites entre dedans et dehors,


blurring architecture

La question des limites est une question délicate pour Toyo Ito.
Par blurring architecture, Ito entend une architecture caractérisée par une
interpénétration et une continuité entre l'intérieur et l'exterieur, il s'agit de rendre
la frontière entre l’architecture et la ville ambiguë, de la rendre floue.
Mais comme il le dit lui-même:

e
llé
« La situation parfaite serait qu’il n’y ait pas d’extérieur, mais c’est impossible, alors

a
j’ai toujours des difficultés pour exprimer l’extérieur. Il arrive un moment où je

-V
coupe la condition d’expansion intérieure et je me persuade que ceci n’est pas

-la
l’extérieur mais une simple coupe tranversale. » entretien avec Sou Fujimoto.22

ne
Il parle par la suite de limite fractale pour permettre un nouveau dégré de

ar
souplesse au bâtiment:

M
« Nous réfléchissons à l’idée de limite fractale, ce qui pourrait assouplir les
relations avec le milieu environnant. »23

à
s
Prenons l'exemple de l'opéra de Taichung, le périmètre de l’édifice est tel une

ire
ligne de coupe, c'est une façade quasi immatérielle qui vient sectionner le
to
bâtiment. Le mur devient écran. Ce qui pose la question de la matérialité :
rri

Si la façade est tel un écran et n’a pas d’épaisseur, ne nie-t-elle pas sa matérialité ?
te
eu es

Encore selon Bergson, les « choses » ne seraient qu’une coupe dans le flux du
ut d

mouvement : « Choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le
r
'a &

devenir. Il n’y a pas de choses, il n’y a que des actions. […] Les choses se
t d lle

constituent par la coupe instantanée que l’entendement pratique, à un moment


oi vi

donné, dans un flux. » 24


L’Opéra de Taichung est un bâtiment qui semble avoir été congelé dans un état de
dr la

métamorphose.
au de
is e

Le Parc Grin Grin est un autre exemple de dissolution des limites.


m tur

Inauguré en 2005, le parc Grin Grin se situe sur une plateforme artificielle de 15ha
ou ec

dans la baie d’Hakata à Fukuoka au Japon. On s’intéresse à la serre de 5000m² qui


t s hit

forme un paysage construit. L’architecture se fond avec les ondulations de la


en rc

topographie. Les constructions émergent telles des collines.


m 'a
cu e d

1.7 La densité de l’espace


do col

« Le Pavillon de Barcelone de Mies ressort comme le bâtiment le plus significatif


É

de tout le XXe siècle. Ceci est particulièrement vrai, y compris si on le compare à la


totalité des œuvres projetés ensuite par le même architecte. Dans aucune autre
œuvre on ne retrouve un espace aussi plein de « fluidité »… Cet espace ne produit
pas la sensation de la légèreté de l’air qui passe, sinon celle d’une densité de la

22 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
23 FUJIMOTO Sou, op.cit.
24 BERGSON Henri, L’Evolution créatrice, éditions A. Robinet, in Oeuvres, 1907, p.755.
26 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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1. 2. 3. Parc Grin Grin 4. Opéra de Taichung


en rc

Plans du rez-de-chaussée: topographie (1) et Un système de grille comparé à la coupe de


m 'a

limites (2). l'opéra de Taichung.


cu e d

Le volume fermé des serres se fond dans la


topographie en ménageant des percées.
do col
É
Le projet comme milieu 27

matière fondue, liquide… L’espace composé par des plans vitrés n’a pas de
structure précise sinon qu’il s’élève telle une colonne de glace qui commencerait à
fondre dans l’air. » Toyo Ito, 200425.

L'expérience d'un milieu est une expérience phénoménologique.


Etre dans un milieu est une expérience phénoménologique, que relate Merleau-
Ponty, l’auteur de La Phénoménologie de la perception, dans l’Œil et l’Esprit
(1960), parlant de l’englobement du sujet dans l’espace : « L’espace n’est plus (…)

e
llé
réseau de relations entre objets, tel que le verrait un tiers témoin de ma vision, ou

a
un géomètre qui la reconstruit et la survole, c’est un espace compté à partir de

-V
moi comme point ou degré zéro de la spatialité. Je ne le vois pas selon son

-la
enveloppe extérieure, je le vis du dedans, j’y suis englobé. Après tout, le monde

ne
est autour de moi, non devant moi » (…) L’expérience d’un milieu est celle d’un

ar
continuum, d’une « substance » dans laquelle les formes ne sont pas perceptibles

M
comme si elles étaient géométriquement pures et régulières, comme si elles
résultaient d’une stéréotomie. », 26

à
s
Bergson, lui, pense l’intuition comme une connaissance immanente au

ire
mouvement qu’elle observe. Elle « adhère à son objet ». to
C’est une façon de connaître non par « survol » et par distance, mais par
rri

« inhérence », il s’agit de « chercher le profond dans l’apparence et l’absolu sous


te

nos yeux ».
eu es

Si on transpose cette idée à l’œuvre de Toyo Ito, il s’agirait de « faire corps » avec
ut d

l’architecture. Dans l’opéra de Taichung, l’expérience corporelle est celle d’une


r
'a &

série de cavités qui nous englobent. Elles forment une séquence continue que
t d lle

l’on peut appréhender par le mouvement.


oi vi

« C’est une connaissance par images, à conditions que ces images soient
dr la

entendues comme des choses à la fois singulières et fluides : fluides, parce que
au de

capables de se mouler, de se couler dans l’interstice de chaque mouvement


is e

exécuté par la matière (corps ou milieux). » 27


m tur

La fluidité de l’architecture de Toyo Ito est celle du vide mais aussi celle du plein et
ou ec

des limites. Le thème de la densité de l'espace nous conduit à aborder celui de la


t s hit

consistance matérielle et de la corporalité dans le chapitre suivant.


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25 CORTES Juan Antonio, « Au-delà du mouvement moderne, au-delà de Sendaï / Toyo Ito et la
recherche d’une nouvelle architecture organique », El Croquis, n°123, 2005, p.16-42.
26 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.
27 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey,
photographe des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 264.
29

2. Le projet comme corps

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L’architecture de Toyo Ito fait preuve d’une empathie inhérente entre le corps

M
humain et les tensions expressives dans les éléments des bâtiments. Ces formes

à
organiques traduisent au-delà d'une volonté esthétique, une recherche sur la

s
corporalité de l'architecture. Il s'agit de prendre en compte le corps humain dans
l'espace et l'architecture comme un corps. ire
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Le corps dans l’espace, un espace habité :


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2.1
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L’espace de Toyo Ito est un espace habité. C’est un espace à parcourir, où les
ut d

éléments structurels jouent souvent un rôle spatial, ils polarisent et englobent


r
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l’espace. C’est un espace intérieur, où l’on peut se sentir contenu par des formes
t d lle

courbes qui viennent recréer la spatialité de grottes. Cette interprétation


oi vi

contemporaine de la grotte appelle à des sensations corporelles primitives. On


dr la

peut introduire ici la distinction que fait l’architecte Akihisa Hirata entre l’animal
au de

(dimension directe, physique ou pulsionnelle) et l’humain (culturel)28. Ito prétend


réveiller cette dimension animale de l’homme. Il élabore une comparaison entre
is e
m tur

un Tarzan nu et vulnérable et la figure de l’homme moderne pour évoquer la


nécessité de notre participation haptique et sensorielle au monde.
ou ec

« Certains architectes ont essayé de trouver un langage pour cette nouvelle


t s hit

génération, avec des espaces très minimalistes. Je suis à la recherche de quelque


en rc

chose de plus primitif, une sorte d’abstraction qui aurait encore un sens du
m 'a

corps. » Toyo Ito.


cu e d

Il y a un dialogue entre un ordre sophistiqué sur le plan technologique et sur le


do col

plan formel à travers l’abstraction, et un certain archaïsme. Il est à la recherche


d’une qualité plus rude, plus primitive et terreuse de l’architecture. Il y a là un
É

désir d’immédiateté de l’expérience basée sur nos sensations viscérales et


instinctives.
On peut envisager de rattacher l’architecture de Toyo Ito à la philosophie
existentialiste de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961). Merleau-Ponty rattache la

28 HIRATA Akihisa, « Considering the City and Architecture from the perspective of
contextualism and Algorithms: Yoshiharu Tsukamoto x Akihisa Hirata», Japan Architect, n°77,
2010, p.5.
30 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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1. Maison O au Chili, Toyo Ito


Expérience de l'espace englobant.
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photo Joan Sidawy


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Le projet comme corps 31

philosophie au réel, l’homme est au monde, le monde est habité.29 Elle s’oppose à
la philosophie traditionnelle qui se détache du monde pour l’appréhender, qui est
en quelque sorte hors du réel.
Le thème de la corporalité est une notion-clé de cette philosophie. L’homme n’est
pas une pure conscience, il a un corps et c’est ce corps qui l’inscrit dans le réel.
« Mon corps est le médiateur du monde perçu, seul réel, et non le négateur d’un
prétendu monde en soi », dans L’Œil et l’Esprit.30
Par analogie, la spatialité japonaise évoque cette idée d’un espace « vécu » qu’on

e
llé
appréhende avec le corps et l’esprit plutôt qu’un espace « à lire » qui ne parle qu’à

a
l’esprit, dont il s’agit de comprendre la géométrie et les proportions.

-V
-la
2.2Les deux ordres de Henri Bergson, l’identité géométrique

ne
face à la ressemblance vitale

ar
M
La philosophie de la connaissance par l’intuition d’Henri Bergson (1859-1941)
peut nous permettre d’approfondir ce sujet. En effet, dans L’Evolution créatrice,

à
s
Bergson substitue aux apories philosophiques de l’ordre et du désordre, l’idée

ire
qu’il y a deux espèces d’ordre. to
Il y a un ordre par « détermination réciproque nécessaire des éléments
rri

extériorisés les uns par rapport aux autres » ; c’est un ordre par juxtaposition
te

d’éléments rendus isolables au moyen de quelque artifice ou appareillage de


eu es

l’intelligence. Et puis, il y a l’ordre par « progrès sous forme de tension », un ordre


ut d

par « création continue » ; c’est-à-dire par interpénétration d’éléments considérés


r
'a &

comme formant un tout indémêlable. Le premier ordre est « automatique », fondé


t d lle

sur la possibilité de prévision ; le second est « vital », donc imprévisible. Dans l’un,
oi vi

le temps est schématisé selon l’homogénéité spatiale, autrement dit il est nié.
Dans l’autre, « une irrétrécissable durée fait corps » avec tout et « rend la
dr la

succession, ou continuité d’interpénétration dans le temps, irréductible à une


au de

simple juxtaposition instantanée dans l’espace ».31


is e

Bergson situe le premier « ordre » du côté de l’identité « géométrique », et le


m tur

second du côté de la ressemblance « vitale ».


ou ec

En tant qu’architecture, les constructions de Toyo Ito n’échappent pas à l’ordre


t s hit

géométrique. Mais c’est une géométrie particulière, qui tient plus de la logique
en rc

géométrique que de la répétition d’un élément isolable. Le second ordre de


m 'a

Bergson semble plus à même de décrire les bâtiments d’Ito. En effet, les surfaces
cu e d

continues et l’interpénétration des formes de l’opéra de Taichung, la coque


continue du parc Grin Grin, et la spatialité homogène de la Médiathèque Sendai
do col

matérialisent le concept de ressemblance vitale car ils forment une totalité


É

indissociable plutôt qu’un collage d’éléments isolables. Ce sont des formes qui
évoquent une sorte de vitalité naturelle plutôt qu’un artifice. Chez les
Métabolistes, la nature est appréhendée comme “changement”, ils cherchaient à

29 "L'homme est au monde. C'est dans le monde qu'il se connaît."


MERLEAU-PONTY Maurice, La Phénoménologie de la Perception, Gallimard, 1945, p.11.
30 MERLEAU-PONTY Maurice, L’Œil et l’Esprit, 1960.
31 DIDI-HUBERMAN Georges, MANNONI Laurent, Mouvements de l’air : Etienne-Jules Marey, photographe
des fluides, Paris, Editions Gallimard, 2004, p. 260-261.
32 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

e
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1 2

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3 4
te
eu es

1. Opéra de Taichung 2. Opéra de Taichung


Vue intérieure d'une grille orthonormée. Vue intérieure d'une grille déformée en
ut d

arrondissant les coins.


r
'a &

3. Exposition une Nouvelle Réalité 4. Exposition une Nouvelle Réalité


t d lle

Les visiteurs circulent entre les maquettes à Maquette en taille réelle du moule de la toiture
oi vi

grande échelle sur un sol ondulé fait de buttes et courbe du crématorium de Kakamigahara.
de creux où se reposer.
dr la
au de
is e
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ou ec
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en rc
m 'a
cu e d
do col
É
Le projet comme corps 33

déterminer des principes de mutation, un processus vital. La conception et la


technologie doivent être une dénotation de la vitalité humaine.

2.3 Assouplir la grille des modernes

« Ce que j’essaie d’imaginer maintenant c’est une sorte d’hétérogénéité qui


dépasserait l’homogénéité. C’est ce que j’essaie de dire par la «distorsion de
l’homogénéité». Vu sous un angle social, je pense que l’accent général mis sur

e
llé
l’homogénéité a tendance à endormir les gens dans une espèce d’état

a
catatonique. Ma propre position est radicalement opposée à cela. »

-V
Il s’agit de « créer des espaces plus organiquement complexes par ce que j’appelle

-la
la «grille émergente. » Toyo Ito.

ne
Trois scientifiques japonais ont remporté en 2008 le prix Nobel de physique pour

ar
leurs recherches sur la symétrie brisée dans la physique subatomique. Les

M
particules subatomiques que l’ont croyait jusqu’alors parfaitement symétriques
sont en réalité des symétries brisées. Il est maintenant prouvé que ces « brisures »

à
s
viennent à créer des fluctuations et une richesse qui contribuent à différents

ire
phénomènes de la nature. to
Par analogie, Toyo Ito est en quête d’un ordre qui viendrait briser la grille
rri

orthogonale des modernes et il évoque l’intérêt qu’il y aurait à découvrir de


te

nouvelles règles qui correspondent au mouvement de ces particules


eu es

subatomiques.
ut d

« Ceci est corroboré par le fait que l’interaction de la symétrie et l’asymétrie


r
'a &

génère la relation entre la forme et le mouvement des organismes du monde


t d lle

naturel. », Toyo Ito, 1995.32


oi vi

Le milieu peut être comparé à l'espace liquide.


dr la

Comme le souligne Jacques Lucan, l’idée de milieu se substitue à celle d’espace.


au de

On est comme dans un aquarium. Ce qui est primordial est la sensation de fluidité
is e

dans une lumière homogène.33


m tur
ou ec

2.4 Assouplir le plan du sol


t s hit
en rc

Toyo Ito cherche à assouplir le plan du sol dans une architecture où le plan du sol
m 'a

et celui de la toiture viennent parfois se confondre comme dans le parc Grin Grin.
cu e d

Coupe des serres du parc Grin Grin.


« En fin de compte, la différence entre les arbres et l’architecture réside tout
do col

simplement dans la présence d’un plancher horizontal. »34


É

Construire un sol à rez-de-chaussée en formes de buttes pose la question de


l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite. Mais plus qu’aux limites de telles
recherches formelles, on doit s’intéresser à leur portée innovante. Comme le dit
Ito :

32 ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect n°19, 1995, p.77.
33 LUCAN Jacques, Composition, non-composition, Lausanne, Presses Polytechniques et
universitaires romandes, 2009, p.574-575.
34 FUJIMOTO Sou, « Espace liquide et espace fractal », El Croquis, n°147, 2009, p.6-20.
34 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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en rc
m 'a

1. Centre d'arts scéniques de Matsumoto,


cu e d

2004
La recherche d'une continuité organique:
le mobilier du Centre d’arts scéniques de
do col

Matsumoto illustre la recherche d’une fusion


organique des éléments de l’architecture à
É

travers des formes plastiques tridimensionnelles,


et préfigure la structure de l’Opéra Métropolitain
de Taichung.
Ici, la fusion s’exprime notamment par la
blancheur du banc qui semble irradier la
moquette.

2. Prototype de la structure de l’opéra de


Taichung
Une structure courbe en béton armé.
Le projet comme corps 35

« Je pense que le sol horizontal crée une tension chez les gens. (...) Je pense que
l’ordonnance de l’espace est ce qui introduit une tension chez les gens et c’est
pour cela que je veux rendre les limites du sol imprécises. Je suis très intéressé par
les situations où les limites se dissolvent. »35

« Nouvelle Réalité » comme catalyseur pour engager et renforcer la relation des


utilisateurs avec le bâtiment.36
Mais peut-on imaginer des sols courbes sur plusieurs étages ? Dans l’opéra de

e
llé
Taichung, les planchers sont horizontaux mais comme les murs structurels sont

a
courbes, on a l’effet d’assouplissement du plan du sol.

-V
-la
2.5Recherche d’une continuité organique, intégration espace-

ne
structure, fusion des surfaces

ar
M
Les constructions récentes de Toyo Ito se caractérisent par leurs formes
organiques. Cette liberté formelle peut sembler gratuite mais elle s’appuie sur une

à
s
réflexion structurelle. Ainsi, l’expression organique passe par une recherche de

ire
continuité structurelle. La création de formes continues nouvelles est utilisée pour
to
leur potentiel formel et paysager. On observe notamment que la structure devient
rri

surface. Chez Ito, cela se traduit par un vocabulaire de rubans en béton armé
te

comme dans les projets du Parc Grin Grin et de l’opéra de Taichung et de maille
eu es

métallique comme dans la médiathèque de Sendai.


ut d

Dans le Style international, une structure autonome perfore un espace librement


r
'a &

découpé, qu’elle ponctue plutôt qu’elle ne le définit. Dans les projets de Toyo Ito,
t d lle

c’est une architecture structurelle continue, la structure elle-même produisant


oi vi

l’espace.
Le projet de l’opéra de Taichung, conçu avec l’ingénieur Cecil Balmond, sera le
dr la

premier projet de structure continue superposant plusieurs planchers.


au de

Ce sont de nouvelles structures globales. En tant que solution structurelle globale,


is e

l’architecture et la structure sont fusionnés.


m tur

Ces projets de structures sont conçus grâce à l’étude de formes géométriques


ou ec

tirant parti de leurs qualités intrinsèques. Toyo Ito se pose contre le mouvement
t s hit

de formalisation qui recherche un ordre rigidement fixe et stable tout en


en rc

appuyant ses formes organiques sur une vérité structurelle. Il y a une exigence
m 'a

« organique » d’intégration de l’espace et de la structure : en concrétisant cette


cu e d

exigence, l’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par lui-
même.
do col

Les éléments de construction s’intègrent dans une forme unique élémentaire.


É

L’architecture se veut à la fois intégrée dans son environnement et intégratrice


dans sa formalisation.
L’Opéra Métropolitain de Taichung parvient par la répétition d’un motif
géométrique (la demi-tore) à atteindre un degré d’organicité qui évoque le corps
humain et la géologie. La forme de l’opéra de Taichung est celle d’une bouche ou

35 FUJIMOTO Sou, op. cit., 2009.


36 ITO Toyo, The New « Real » in Architecture, http://www.operacity.jp, site internet de l’exposition
réalisée à la Tokyo Opera City Art Gallery, 2006.
36 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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3 4
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1. De la maison Domino à l'opéra de Taichung


au de

Vers une fusion des éléments verticaux et


horizontaux.
is e
m tur

2. Projet Vestbanen, Oslo, 2002


ou ec

Un bloc creusé de vides.


t s hit

3. Projet Vestbanen
Maquette conceptuelle: un réseau de lignes
en rc

remplit le volume sans le rendre solide.


m 'a
cu e d

4. Projet Vestbanen, Oslo, 2002


Un réseau de lignes se solidifie pour former
do col

des tubes structurels qui imitent des formes


cristallographiques.
É
Le projet comme corps 37

d’une oreille.
Il s’agit de trouver ce moule élémentaire, qui par sa répétition, puisse définir et
supporter par lui-même l’étendue spatiale, configurer et supporter de manière
équivalente les espaces situés de part et d’autre de celui-ci, de sorte que les
espaces soient tout deux positifs. Pour que cela se réalise, les deux parties du
moule doivent être identiques - la forme et la contreforme qu’il délimite - et celui-
ci doit se matérialiser à la fois comme enveloppe et structure. Volume, structure et
espace se fondent en une même forme.

e
llé
C’est un réseau flexible de vases communicants qui a été tranché sur les quatre

a
côtés pour former une boîte rectangulaire. On retrouve le thème de la corporalité

-V
naturelle de l’architecture : sorte de tissu, la structure induit la nature.

-la
« L’effet structurant » se confond avec « l’effet enveloppant ».

ne
Inverser la tradition de situer l’architecture dans la nature. Au lieu de cela, l’œuvre

ar
d’Ito cherche à « induire la nature dans la forme construite ».

M
Système formel intégrateur

à
2.6

s
ire
La géométrie, la structure et le volume sont intégrés au sein d’un système formel
to
dit intégrateur. Cela n’empêche pas la liberté et l’aléatoire dans le développement
rri

concret de ces éléments.


te
eu es

D’après l’ingénieur Mutsuro Sasaki, la médiathèque de Sendai est une


ut d

réinterprétation de la maison Domino de Le Corbusier où les colonnes sont


r
'a &

remplacées par des tubes organiques. Mais l’indépendance des éléments pose
t d lle

problème, deux logiques s’opposent : d’un côté, il y a la logique des plateaux


oi vi

horizontaux hérités de Le Corbusier et de l’autre celle des colonnes organiques.


Cette contradiction est surmontée dans l’Opéra Métropolitain par la fusion des
dr la

planchers avec la structure dans une même forme organique.


au de

Volume, structure et espace se fondent dans une même forme.


is e

Projet Vestbanen à Oslo :


m tur

Ce projet de médiathèque à Oslo en Norvège de 2002 n’a pas été construit.


ou ec

Des lignes sans épaisseur acquièrent une consistance structurelle en


t s hit

s’entrelassant et en se triangulant, alliant légèreté et rigidité, pour former une


en rc

version plus aboutie des tubes de Sendai, cette fois liée à l’image de la
m 'a

cristallographie. C’est une structure polyédrique ouverte.


cu e d

C’est un système structurel dynamique et non linéaire qui consiste en une


superposition de plateaux qui s’appuient sur des vides en verre (un système
do col

d’arbres vertical) placés de manière aléatoire.


É

L’édifice devient un objet qui se suffit à lui-même et s’explique par lui-même. D’où
le sentiment d’évidence que l’on peut ressentir lorsqu’on regarde les images du
magasin Tod’s ou de l’Opéra Métropolitain de Taichung.
On peut s’interroger sur l’épaisseur minimale des matériaux, sur la question de la
matérialité.

Que ce soit dans la médiathèque de Sendai ou l’opéra de Taichung, des tubes


perforent le cube comme des veines qui irriguent le bâtiment.
39

3. Le projet comme processus

e
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-la
ne
ar
L’œuvre récente de Toyo Ito envisage la nature comme processus que ce soit à

M
travers le modèle architectural de l’arbre qu’en tant qu’outil de travail.

à
s
Synthèse entre la dynamique générative et l’abstraction
ire
3.1
to
« Il s’agit d’une aspiration très différente de celle de l’Expressionisme qui imitait
rri

les formes de l’organique. Je veux arriver à l’organique comme méthode de travail.


te

J’ai parlé d’une aire où se mélangent l’homme et la nature. Si je me paraphrase,


eu es

celle-ci est une aire où s’opère une synthèse entre la dynamique générative et
ut d

l’abstraction. » Toyo Ito, 2004.37


r
'a &
t d lle

Ito est en quête d’une « nouvelle abstraction » qui inclurait les sens du toucher, de
oi vi

l’odorat, de l’ouïe et la vue, au lieu d’une simple abstraction visuelle propre à


dr la

l’architecture du XXe siècle. L’abstraction est celle d’une forme naturelle mais aussi
au de

une abstraction pragmatique pour transcender la logique structurelle.


On ne peut que s’interroger en voyant les images de la médiathèque de Sendai,
is e
m tur

du projet de Vestbanen ou de l’opéra de Taichung sur la récurrence de la forme


prismatique. En effet, la nature est à chaque fois contenue dans un cube. La forme
ou ec

cubique est-elle un héritage de la tradition moderniste occidentale ou une


t s hit

manière d’échapper au formalisme ? Il semblerait que la réponse à cette question


en rc

repose dans l’idée qu’Ito envisage son architecture comme une condition
m 'a

d’expansion intérieure et que pour contenir cette expansion dans un volume


cu e d

chauffé il se voit obligé de le trancher en ses extrémités. Le cube n’étant qu’une


do col

forme rationnelle pour fermer l’expansion intérieure du bâtiment, on peut aussi


considérer que c’est le processus de croissance intérieure qui l’emporte sur la
É

capacité de l’architecte à concevoir une forme extérieure. Celui-ci en arrivant


même à désirer un idéal où il n’y aurait pas d’extérieur.
Le thème de l’abstraction d’une forme naturelle se retrouve dans la structure de la
façade en forme d’arbre du magasin Tod’s et dans la structure caverneuse de
l’opéra de Taichung. On retrouve l’idée de solutions structurelles globales et
continues en opposition avec l’idée d’assemblage.

37 TAKI Koji, « A conversation with Toyo Ito », El Croquis, n°123, 2005, p.6-15.
40 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

1° Déterminé au fil du processus du temps


2° Déterminé selon des relations relatives
3° Déterminé selon des règles simples
4° Ouvert à son environnement
5° Système fractal

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4
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1. L'arbre comme modèle architectural


Croquis de Toyo Ito.
en rc

source : Recent Projects.


m 'a
cu e d

2. Centre de conventions au Qatar, Arata 3. Auvent à Barcelone, Arata Isozaki


Isozaki Une structure arborescente devant le Forum
do col

Une structure en tronc d'arbre élaborée avec Caixa.


Mutsuro Sasaki, l'ingénieur du Parc Grin Grin.
É

4. Parc Grin Grin


Maquette de la structure en ruban.
Le projet comme processus 41

3.2 Ordre génératif : l’arbre comme modèle architectural

Ito rêve de pouvoir créer des arbres. Les arbres représentent un idéal qui, naissant
d'une simple graine, vient croître de manière harmonieuse dans son
environnement. Cette harmonie de la forme vivante est due à sa croissance
continue dans le temps et tient à des relations relatives entre les parties.

L'arbre représente au même titre que la forêt un modèle à imiter.

e
llé
«C’est une manière assez métaphorique de le dire, mais la création de bâtiments a

a
souvent été pour moi une façon de recréer des forêts. Je pense les bâtiments pas

-V
tant comme des constructions mais comme des choses naturelles comme les

-la
jardins, les bois, les forêts et les cours d’eau.» Toyo Ito, 199538.

ne
Le modèle architectural et structurel de l’arbre est aussi utilisé par le japonais

ar
Isozaki dans ses productions les plus récentes comme le centre de conventions au

M
Qatar.

à
La logique derrière les décisions formelles

s
3.3

ire
to
La collaboration avec les ingénieurs Mutsuro Sasaki, Cecil Balmond et Masato
rri

Araya est essentielle dans la conception et la réalisation des différents projets de


te

Toyo Ito.
eu es

La liberté acquise par Ito est permise par les procédés actuels de génération de la
ut d

forme. Elle se base sur de nouvelles géométries et des structures continues.


r
'a &

Ce sont des géométries qui bien qu’euclidiennes sont de type non-linéaire, parfois
t d lle

en « spirale » ou bien une « connexion de réseau ». L’opéra de Taichung, malgré


oi vi

son apparente complexité, consiste en un empilement de demi-tores.


L'organique est développé comme méthode, avec l'utilisation de règles
dr la

géométriques.
au de
is e

Prenons l'exemple du parc Grin Grin, il s’agit d’une structure en ruban.


m tur

«La technique de design qui rend possible cette structure est totalement unique,
ou ec

appelée la méthode d’analyse de forme. D’abord, une forme est choisie, dont les
t s hit

variations sont simulées à l’ordinateur de manière à ce que la charge de torsion,


en rc

énergie de tension et distorsion soit minimale. Ensuite une forme


m 'a

structurellement optimale est donnée comme forme évoluée. Des rétro


cu e d

alimentations à ce processus sont inter changées plusieurs fois entre les designs
architecturaux et structurels. Finalement, on obtient une architecture avec une
do col

coque de 40 cm de béton armé.»39


É

La méthode d’analyse de forme renverse l’analyse structurelle traditionnelle qui


admet une grille de poteau et poutres comme condition préalable sur laquelle on
calcule les déformations.
Cela ouvre d'amples perspectives formelles puisque l'on peut maintenant
optimiser une forme en apparence libre pour la rendre efficace structurellement.

38 ITO Toyo, « Transparent (the) Urban Forest », Japan Architect, n°19, 1995, p.76.
39 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.
42 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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3 4
do col

1. Parc Grin Grin


É

Etapes successives de la méthode d'analyse de


forme.

2. Musée Teshima, Ryue Nishizawa (SANAA)


en collaboration avec Mutsuro Sasaki.

4. Objet fractal, Benoît Mandelbrot, 1975 3. Magasin Tod's, 2004


Géométrie fractale qui rappelle la façade du L'enveloppe devient structure et reprend le motif
magasin Tod's de Ito. des branches d'un arbre qui s'entrelassent.
source : Composition, non-composition
Le projet comme processus 43

C'est une suggestion à la réalisation d’espaces dynamiques, déformés,


topologiques qui seront emblématiques du XXIème siècle.
Comme le dit Sasaki, cette méthode ne saurait se limiter à une architecture de
coques en béton armé, il s'agit de « créer des environnements touchés par la
grâce de la nature organique. Ceci est maintenant à un stade initial de traiter des
éléments essentiellement primitifs à l’aide de coques surfaciques librement
courbées »
Sasaki développe une seconde méthode de calcul structurel qu'il appelle la

e
llé
méthode d’optimisation structurelle évolutive étendue tridimensionnelle (3D

a
Extended Evolutionary Structural Optimisation) qui utilise les principes

-V
d’évolution et d’auto-organisation des êtres vivants. Ceux-ci sont adaptés d’un

-la
point de vue technique, pour générer des formes structurelles rationnelles par le

ne
biais d’un ordinateur.

ar
Ces nouvelles méthodes de conception sont de nature à créer un nouveau

M
paradigme qui supplanterait le mouvement moderne.
« Une série de projets que j’ai commencé à qualifier de structures de «flux». J’en

à
s
viens de plus en plus à penser que ce type d’architecture, avec une structure qui

ire
coule et se fond, est en passe de devenir une méthode importante, au-delà
to
modernisme et de la pratique contemporaine. », Mutsuro Sasaki.40
rri

Dans cette collaboration étroite avec les ingénieurs, Ito apparaît comme le poète
te

de la forme, dans le sens où il donne une âme à ces méthodes de conception.


eu es

« J’imagine toujours des choses lisses et soyeuses, comme les nuages qui n’ont
ut d

pas une forme évidente. Et ce qui est en jeu n’est pas de leur donner directement
r
'a &

une forme, mais plutôt d’amener la géométrie sur ce terrain. »


t d lle
oi vi

Dans l'opéra de Taichung, bon nombre des effets sont le résultat d’un léger
déplacement de la grille des espaces circulaires du bâtiment entre les différents
dr la

étages. Les surfaces courbes relient les zones circulaires irrégulières entre les
au de

niveaux et créent des espaces définis.


is e

La clé semble être la tolérance, qui permet que les lignes d’un bâtiment soient
m tur

légèrement inclinées au lieu de droites, sans s’effondrer.


ou ec

Il s'agit de créer une structure qui intègre des niveaux extrêmement subtils de
t s hit

tolérance, pour un maximum d’effet visuel. L'inspiration qu'évoque Sasaki pour


en rc

illustrer ce propos est l'architecture de Gaudi.


m 'a

Ce nouveau courant organique s'appuie donc sur une logique structurelle comme
cu e d

le faisait Gaudi avec ses structures caténaires La structure se veut positivement


rationnelle.
do col
É

Les développements récents portent sur l'architecture fractale.


Le parc de la Gavia à Madrid en est un exemple. Ce parc dont le projet date de
2003 occupe 39 hectares. La nature devient ici un outil de travail. Il y a un
processus d’abstraction à partir d’éléments naturels comme les arbres pour
obtenir un modèle de formalisation basé sur la géométrie fractale, une géométrie
qui a émergé comme on le sait pour étudier la forme très irrégulière ou
interrompue de certains éléments naturels.

40 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007, 111 p.


44 Un nouveau chapitre de l’oeuvre de Toyo Ito · Joan Sidawy

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3 4
au de

1. Projet pour le parc de la Gavia, Madrid


is e

Une abstraction du dessin d'un arbre en plan


m tur

répétée pour créer un système topographique


d'épuration de l'eau.
ou ec
t s hit

2. Projet pour l'Université Nationale de


Taïwan, 2006
en rc

Système de croissance algorthmique en double


m 'a

spirale pour disposer les poteaux champignons


cu e d

de la bibliothèque.
do col

4. Johnson Wax, Frank Lloyd Wright, 1939 3. Projet pour l'Université Nationale de
Vue intérieure de l'espace de travail et ses Taïwan, 2006
É

poteaux champignons. Vue intérieure de l'espace de la bibliothèque.


Le projet comme processus 45

3.4 La croissance algorithmique

En 2010, Toyo Ito écrit un article intitulé : « les algorithmes ne sont rien de plus
qu’une opportunité pour créer une architecture qui respire. ».
Le bâtiment est vu comme un organisme vivant. Les formes plastiques organiques
sont dessinées non pas comme imitation de la nature mais comme résultat d’un
processus de croissance. Le terme processus désigne ici l’utilisation de règles
génératives définies à partir d’algorithmes qui développent des géométries plus

e
llé
ou moins complexes.

a
Par définition, l’algorithme est une suite finie de règles opératoires à appliquer

-V
dans un ordre déterminé à un nombre fini de données afin d’effectuer un calcul

-la
numérique en un nombre fini d’étapes. Le terme d’« algorithme » en lui-même ne

ne
se limite pas à la génération de la forme par un ordinateur autonome ; ça a le sens

ar
plus large de « processus logique ».

M
Comme le dit Akihisa Hirata: « Je crois qu’un bâtiment peut être considéré de la
même manière qu’une plante qui pousse d’une graine. L’algorithme étant un

à
s
principe générateur qui détermine comment cette graine va croître. »

ire
Il s'agit alors d'établir des valeurs initiales pour les critères de conception.
to
rri

Comme le dit Ito: « Pour générer de la complexité, je regarde un ordre comme


te

celui des plantes, où s’appliquent quelques règles simples pour révéler la


eu es

complexité. Je trouve ce type d’ordre fascinant. »


ut d

Les algorithmes ont donné des compositions spatiales fondées sur des grilles non
r
'a &

orthogonales. C'est le cas du projet pour l'université nationale de Taiwan qui


t d lle

ressemble à si méprendre à la Johnson Wax de Frank Lloyd Wright..


oi vi

Les colonnes sont arrangées selon un algorithme de double spirale dit naturel car
on le retrouve dans la nature.
dr la

Il s'agit de s’étendre à partir de règles locales, sans contrôle du haut vers le bas à
au de

l'image des géométries fractales ou de la structure d'un arbre.


is e
m tur

On voit donc qu'une architecture contemporaine qui utilise les technologies les
ou ec

plus avancées peut avoir une certaine naturalité.


t s hit

« La nouvelle technologie n’est pas opposée à la nature mais elle est, au contraire,
en rc

en train de créer un nouveau type de nature artificielle qui pourrait se dénommer


m 'a

virtuelle. » El Croquis, n°123.


cu e d
do col
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47

Conclusion

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-V
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ne
ar
Inspiré par la culture japonaise qui recherche une symbiose avec la nature, Toyo

M
Ito interprète la notion de nature de manière contemporaine à travers des formes

à
architecturales organiques.

s
L'environnement est appréhendé comme un continuum qui pénètre dans le
ire
bâtiment, l'enveloppe se fait la plus mince possible. L'idéal étant de développer
to
dans l'avenir une architecture qui respire, à travers une peau qui aurait une
rri

fonction métabolique, où s'effectuerait un processus d'échange énergétique


te

continu avec le monde extérieur.


eu es

« Maintenant, mon intérêt se porte sur l’architecture qui ressemble aux formes
ut d

vivantes et trouver comment la faire respirer comme elle le devrait. »41


r
'a &
t d lle

A travers les oeuvres d'Ito, la nature est interprétée comme condition spatiale
oi vi

mais aussi comme corporalité par le biais d'une architecture structurelle où


dr la

fusionnent espace, structure et enveloppe.


au de

Cette architecture, par ses formes aux références naturelles, aspire à reconnecter
l'homme avec des sensations corporelles primitives.
is e
m tur

Enfin, la nature est interprétée comme un processus de croissance dont il s'agit


d'imiter les règles. Mais là où de nombreux architectes s'intéressent aujourd'hui
ou ec

aux règles de la nature d'un point de vue purement scientifique, Ito se démarque
t s hit

par son approche holistique quasi poétique du sujet.


en rc

La mimésis ressort comme un thème permanent de cette étude sur le rapport du


m 'a

travail de Toyo Ito à la nature.


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Ito a lui-même influencé la nouvelle génération d’architectes. Kazuo Sejima a


travaillé chez lui avant de fonder SANAA, bien que dans son cas le travail sur la
É

forme et l'enveloppe privilégie l'esthétique minimaliste aux dépends de la


recherche sur le rapport entre l'homme et la nature.
La démarche d'Ito ouvre de nouvelles pistes à explorer dans le dépassement des
mouvements moderne et post-moderne à travers un nouveau paradigme basé
sur la fluidité de la nature.

41 ITO Toyo, « Algorithms Are Nothing More Than an Opportunity to Create Architecture that
Respires », Japan Architect, n°77, 2010, p.36.
49

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to
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rri

ITO Toyo, « Algorithms Are Nothing More Than an Opportunity to Create Architecture that
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Respires », Japan Architect, n°77, 2010.


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m tur

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Mémoire de master Joan SIdawy
Décembre 2011
Un nouveau chapitre dans l'œuvre
Directeurs de mémoire de Toyo Ito
Jean-François Blassel Induire la nature dans la forme
Guillemette Morel-Journel construite

e
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Résumé

ne
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Toyo Ito, architecte japonais né en 1941, développe depuis ses débuts une

M
architecture sensible à son environnement à travers des thèmes comme la

à
fluidité, l’éphémère ou l’immatérialité.

s
ire
Mais au-delà de ces thèmes, il semble que la clé de son architecture soit la notion
de nature. Ito revendique vouloir recréer des environnements naturels, des forêts,
to
ou alors de construire des édifices à l’image des arbres.
rri

Ainsi, parmi ses premières réalisations, il y a la Hutte d’Argent, une réinterprétation


te

du mythe de la hutte primitive. La tour des vents, elle, s’illumine différemment au


eu es

gré des conditions météorologiques. Quant au musée de Yatsushiro de 1992, il est


ut d

à moitié enterré pour se fondre dans le paysage, la partie émergente étant faite
r
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de voûtes légères qui semblent prêtes à s’envoler.


t d lle

Mais sa réalisation la plus remarquée est la médiathèque de Sendai, construite en


oi vi

2001, caractérisée par sa structure organique dans un cube de verre.


dr la

Cette étude prend comme postulat que cette réalisation est un tournant non
au de

seulement dans la carrière de Toyo Ito mais surtout dans sa manière de concevoir
l’architecture.
is e
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On se propose d’étudier ses projets les plus récents, en particulier le projet


de médiathèque à Oslo, le parc Grin Grin à Fukuoka et l’opéra métropolitain
ou ec

de Taichung à Taïwan. La problématique qui se pose est en quoi la démarche


t s hit

architecturale de Toyo Ito propose-t-elle une interprétation contemporaine de la


en rc

notion de nature.
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Le développement fait apparaître trois approches projectuelles : le projet comme


cu e d

milieu, le projet comme corps et le projet comme processus.


do col

Le projet comme milieu regarde l’approche spatiale, le milieu désignant le


É

continuum spatial qui englobe le bâtiment et son environnement. On fait resurgir


la quête d’un espace fluide et une conception japonaise de l’espace qui s’appuie
sur une symbiose avec la nature. Le milieu se caractérise par une dissolution des
limites entre dedans et dehors et ce qu’on appellera une densité de l’espace.
On aboutit à l’approche phénoménologique de l’espace inspirée par Maurice
Merleau-Ponty.
Le projet comme corps aborde le thème de la corporalité de l’architecture qui se
traduit chez Ito par l’intégration entre structure et espace.
J’introduis la philosophie d’Henri Bergson qui distingue l’ordre par identité
géométrique de celui par ressemblance vitale auquel j’essaierai de rattacher Ito.
Le projet comme processus reprend cette idée d’ordre vital mais à travers la
recherche de règles de croissance naturelle. On s’intéresse aux algorithmes et aux
nouvelles méthodes d’analyse de la forme qui naissent de la collaboration avec
les ingénieurs et notamment Mutsuro Sasaki.
Ces nouvelles méthodes sont d’ordre à créer un nouveau paradigme de nature
à supplanter les mouvements moderne et post-moderne. Ce paradigme se

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llé
fonde sur la notion de nature qu’il s’agit d’imiter non pas seulement à travers des

a
formes organiques mais par le biais d’une conception holistique qui intègre des

-V
considérations spatiales et structurelles.

-la
La structure inédite de Sendai apparaît finalement comme la naissance de ce

ne
paradigme sur lequel se base maintenant la démarche d’Ito. Celle-ci tend vers une

ar
nouvelle liberté formelle toujours plus proche des formes vivantes à travers ce

M
qu’il appelle une architecture qui respire.

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