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Rarement une œuvre n’aura autant
imprimé sa marque. Identifiable par
tous, reconnaissable au premier coup
d’œil, celle du Hollandais Piet Mon-
drian (1872-1944) est devenue un lo-
go planétaire. Ses trois couleurs pri-
maires nous sont familières – bleu,
rouge et jaune purs –, encadrées de
lignes noires, elles symbolisent l’in-
vention de la modernité. Déclinées à
l’infini, elles constituent un vocabu-
laire esthétique intemporel, une
sorte d’espéranto visuel doté d’une
incroyable efficacité. Elles marquent, Ordre, rigueur et angles droits. Les compositions de
on les remarque. C’est pourquoi on
les retrouve sur quantité de produits
Mondrian sont devenues des évidences tant elles font partie
de consommation, meubles, vête- de notre paysage. Parcours d’un artiste sans concession.
ments ; les adolescents les associent
à leur tube de gel pour cheveux, Yves pour l’homme moderne. Mort aux dial, que l’artiste élabore son langage
Saint Laurent les a transcendées en Etats-Unis en 1944, Mondrian n’a pas nouveau, un art débarrassé de toute
robes sublimes, Bernard Hinault les connu cette mondialisation-là, mais forme de représentation tradition-
a portées sur son maillot. Mondrian, en a sûrement pressenti l’inéluctable nelle, le « néoplasticisme ».
symbole de la modernité mondiali- évolution, dans un monde où tout est Cette peinture abstraite nous paraît
sée ? L’idée ne l’aurait pas complète- à refaire. Car c’est durant la première aujourd’hui évidente – même si on
ment révulsé, lui qui voulait inventer moitié du XXe siècle, entre deux ne la comprend pas forcément –, car
avec sa peinture un langage universel guerres bouleversant l’ordre mon- elle fait partie de notre environne-

46 TÉLÉRAMA 3176 | 24 NOVEMBRE 2010


Le peintre Piet mondrian le tour d’une œuvre

ment naturel, comme si elle avait s’appuient sur les lignes invisibles de A voir atelier de la rue du Départ, à Mont­
toujours existé. Elle ne s’est pour­ l’horizontal et du vertical, symboles Mondrian/De Stijl, parnasse, lieu mythique immortalisé
du 1er décembre
tant pas soustraite en un jour aux du masculin et du féminin, du spiri­ 2010 au 21 mars
par les photos d’André Kertész, se
règles intangibles de la figuration, tuel ou du matériel, et sur le poids 2011 au musée transforme en terrain d’expérimen­
base de l’enseignement artistique des couleurs et leur intensité. national d’Art tation. Ascétique, vivant chichement,
moderne, centre
depuis des siècles. Tout comme Œuvres parfois aussi solennelles et Pompidou, Paris 4e. sortant peu, visité par de nombreux
Kandinsky et Malevitch, ses confrè­ empruntées que ses écrits, où il af­ Tél. : 01-44-78-12-33. disciples (les jeunes artistes Gorin,
res pionniers en abstraction, la révo­ fûte sa recherche, mais essentielles Catalogue Domela, Vantongerloo…), Mondrian
Mondrian
lution picturale de Piet Mondrian dans l’élaboration de sa pensée. Ed. Centre le solitaire vit dans ses propres ta­
est le fruit d’une longue maturation. En 1912, Mondrian s’installe à Paris, Pompidou, 360 p., bleaux, dont il a élargi le champ. Ses
49,90 €.
Son parcours, méthodique et obsti­ attiré par les cubistes, dont il a vu les Catalogue De Stijl
ateliers successifs, à Paris, puis
né, reflète plus un travail acharné œuvres en Hollande. Il en adopte la 1917-1931 Ed. Londres et enfin New York, jusqu’à
qu’une soudaine révélation. méthode quasi mécanique de dé­ Centre Pompidou, sa mort en 1944, préfigurent le
360 p., 49,90 €.
Van Gogh est mort depuis seule­ structuration de la forme. Mais www. « white cube », cette norme spatiale
ment deux ans lorsque Pieter Corne­ contrairement à Braque et à Picasso centrepompidou.fr du musée ou de la galerie d’art mo­
lis Mondriaan (avec deux « a ») in­ qu’il admire, recomposer l’objet derne, espace purifié sans aucun ob­
tègre l’Académie des beaux-arts « fragmenté », qui conserve son al­ jet parasite. Il y a placé un mobilier
d’Amsterdam, en 1892. Ses œuvres lure et son relief malgré l’éparpille­ minimum fabriqué par ses soins – lit,
de jeunesse oscillent entre classi­ ment, ne l’intéresse pas. Il cherche chaise, table –, souvent fait avec des
cisme de formation et admiration par ce morcellement à restituer l’es­ objets de récupération. Tout est peint
pour son compatriote suicidé. prit de l’objet et non sa forme, les en blanc, seules ses propres toiles sur
Scènes de la campagne aux horizons lignes de tension qui le constituent et les murs, et les cartons de couleur
terreux, lignes enchevêtrées des non qui le dessinent. Tableaux su­ qu’il y épingle et déplace au gré de
arbres en hiver, masses imposantes perbes aux couleurs atones, ca­ son inspiration, scandent cet envi­
des moulins, des fermes et des maïeux cloisonnés dans un vitrail ronnement immuable, où président
nuages, qui se colorent au fur et à souple, ses toiles s’aplanissent, leurs l’ordre, la rigueur, la ligne et surtout
mesure des découvertes de la pein­ sujets se consument dans le maillage l’angle droit, bientôt élevé au rang de
ture fauve ou expressionniste. Dans encore lâche des lignes noires, dont religion, véritable pierre angulaire de
la première décennie du XXe siècle, la grille va bientôt se « géométriser ». son système géométrique, fondé sur
Mondrian fréquente les cercles de Coincé en Hollande durant la les rapports entre les lignes et les
l’avant-garde néerlandaise – dont guerre, Mondrian s’affranchit défi­ couleurs. En 1924, il se brouillera
Jan Toorop, figure de proue du sym­ nitivement de toute influence avec avec van Doesburg quand ce dernier
bolisme hollandais –, se passionne cet « exil » de quatre ans sur sa terre introduira la diagonale dans ses
pour la théosophie, très en vogue natale. Il forge sa propre abstraction, toiles. Mondrian quitte alors De Stijl.
dans les milieux artistiques et intel­ qu’il nomme « art concret » ou L’homme est intransigeant avec
lectuels. Elaborée par Helena Bla­ « plastique nouvelle », dont il par­ les autres comme avec lui-même. A
vatsky, une Russe aux allures de gou­ tage la vision avec le jeune artiste l’image de ses compositions sans
rou, cette doctrine prône la vérité de Theo van Doesburg, puis les archi­ concession, où le blanc a envahi l’es­
l’homme et la fraternité, piochant tectes Rietveld et J.J.P. Oud. Ils mili­ pace, que traversent des lignes noires
dans les religions et les philosophies tent ensemble pour un art global. En en tension où s’insèrent des nappes
orientales ou occidentales pour éla­ 1917, ils créent la revue De Stijl, dans de couleurs en aplats. Nappes de
borer un syncrétisme visant à un laquelle sera publié le premier ma­ rouge, de bleu, de jaune purs qui tan­
2010 MONDRIAN/HOLTZMAN TRUST c/o HCR INTERNATIONAL VIRGINIA USA

nouvel équilibre social universel. nifeste de Mondrian : « L’art va de- tôt se posent au centre et y font
On ne mesure plus aujourd’hui l’im­ venir le produit d’une autre dualité en converger tout leur poids, tantôt
pact de ce courant, qui fut énorme. l’homme : le produit d’une extériorité s’écartent sur les bords et semblent
Né dans une famille calviniste très cultivée et d’une intériorité plus en jaillir. Leur dynamisme les pro­
conservatrice, Mondrian trouve consciente, approfondie. Comme pure pulse hors du cadre. Fondées sur le
dans cet humanisme respectueux et représentation de l’esprit humain, Hors-série principe de la série, sur la cadence
ascétique – préfiguration du new l’art s’exprimera dans une forme pu- Télérama autonome de chacun et le rythme de
Des couleurs
age – un écho primordial à ses inter­ rifiée, c’est-à-dire abstraite. » primaires, l’ensemble, apparemment austères,
rogations existentielles. Ses œuvres Mondrian a 47 ans lorsqu’il revient à des carrés et voire arides à qui les regarde rapide­
des rectangles pris
d’alors, qui semblent à mille lieues Paris, en 1919. ll laisse derrière lui les dans un jeu ment, les œuvres de Mondrian
de ce qui deviendra ultérieurement deux tiers de son œuvre – tableaux de lignes droites : créent dans leurs infinies déclinai­
sa marque de fabrique, en sont les figuratifs ou symbolistes –, et aban­ le résultat pourrait sons, telles des variations musicales,
être austère, il est
transpositions. Femmes en prière donne son nom de famille néerlan­ poétique. Télérama une vibration intense, une sorte de
mystique, tournesols mourants, dais (c’est l’époque où il opte pour consacre un hors-­ « rayon vert » de la perception (bien
série au peintre
moulins tournant comme des man­ Mondrian avec un seul « a »). Il s’en­ féru de théosophie,
qu’il détestât cette couleur !) d’où
dalas, églises dressées dans des gage alors dans une entreprise radi­ au fou de jazz naît un point d’équilibre parfait.
cieux roses, ces allégories théoso­ cale, cette abstraction de plus en plus aussi, dont les Limpides, universelles, elles sont au­
notes finiront par
phiques constituent le point de dé­ rigoureuse qui influencera toute la rythmer les œuvres. jourd’hui consubstantielles de notre
part de son vocabulaire futur. Elles création artistique du XXe siècle. Son En kiosque, 7,90 € regard moderne p Sophie Cachon

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