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COLLISION
DELON-PASCAUD
POUR «DANCING MACHINE »
"MON ANGE,
VOUS NE
COMPRENEZ
RIEN!”
Enfin, il acceptait interview. Fabienne Pascaud en avait-elle
mesuré les risques ? Elle est partie au front, essuyant les tirs croisés
dun Delon impitoyable. Beau métier, celui de journaliste.
soir, 6 uneprojecton és
privée de Dancing Machine
‘erganisée par son ami Jack
Lang, it movait dit dans un
sourire lointain: « Oui.
Peut-étre.... Télephonez-
moi...» Je n’en revencis pas | Tont d'on-
inées qu'on cherchaité lerencontrer | est
oi qu'entro Monsiour Klein (1976) etNou-
velle Vague, nous n‘avions quer aimé ses
éternelsrées de fl, de battant, de justcier.
‘Mois, ce soir, oprés le film et pencant
le diner, fovais découvert un Alain Delon
inattendu. Souront, affable, décontracté ;
qui serait li-méme ses invités & table, qui
voit apporemment aissé au vestoire ses
méchoies serrées et son regard dacer
«Une interview... Oui... Peut-étre »,
‘movaitl encore répéié. Je commencais 6
yeroire. le calvaire débutai.
Diabord, trois semaines durant, il follt
harceler av téléphone une charmante et
patienle secrétaire @ laquelle le maitre
Confirmait vaguernent sa promesse sans
rien voubir préciser. Voyage au Japon,
vente aux enchéres de so collection de
fableoux, sortie de Dancing Machine
Alain Delon, derrére ses lignes de télé
phone, semblait partculérement débordé,
Enfin,ilyeutce rendez-vous 18 h, dont
fe leu ne devait m’éire communiqué que
peu avant lentretien. Je m’apprétas dee a
iy rendre dans une limousine aux vires
feiniées et avec un bandeau sur les yeux,
lorsque la rencontre, in extremis, fut encore
covancée de deux heures. Au studio de
Boulogne, je attends dans une caléiério
cdsserie. Son gorde du corps est mont |
pprévenir. Costume sombre et pull vert bi
lard, lentementil descend me chercher.
— Ehbien, dites-donc, vous rencontrer,
quelle affcire | Il faut en avoir rudement
envie !
— Vous nen avez pas envie ? Moi,
encore moins, mon ange | Un article de
plus ou de moins oprés quaire-vinats films
eltrente-cing ans de corriere,qu’est-ce que
apeut me oire | D'autont que vous n’écr-
vez tous que des conneries! Je n’ci
coccepié que parce que je vous lavas pro-
mms, et Delon est fidéle & ses promesses.
‘OX. ? Mais on peut arréier a, si vous vou-
lez. Delon s'en fiche.
= Diaccord. Au revoir.
a commence mal. I! fout dire qu'une
consceur vient dépingler méchamment
Dancing Machine dans son journal, Voc
feur ne sien remet pos. Tout de méme, i
doigne me rattroper. Fos roncuniére, je le
suis dans une loge géante aux profonds
canapés blancs. S'y étolent des ouvroges
sur Mourice Denis et Léonard de Vinc, des
piles de photos, des paquets cadeaux et
méme un scénario du Guépard.
Delon ne s‘ossied pas. I! marche &
gronds pos. Il ouvre ses paquets, les jette
Violemment et déchire quelques pope-
‘Avec un sourire idiot, ‘évoque la vente
de sa collection qui n’a pas aitent les prix
espérés... Borborygmes du fauve. Incons-
Giente, fenchoine,
— Le nom de votre personnage dons
Dancing Machine n’est-il pas taillé sur
‘mesure : Alan Wolf, Alain Loup...
= Vous me demandez des choses
cabsurdes | Certone a éctt le scénario en
ppensont & mci, Cest vrai, mois je ne suis
Finstigateurde rien. Jene suis pos mégalo
mmettez-vous been ga dans la téte. Ca n'est
pas ga, Delon, OK @
— Ce n'est pas étre mégalo que parler Pe
mans revo 2D
euseaMa ne 2035-12— Mois vous n’o-
vez done rien com
pris! Si je dis « De
lon», cest, ou
conkoire, por humi-
ling, por’ simplicité
pour éviler le « je » et
le «moi» quiutiisent
en permanence les
nombreux mythoma-
nes de notre méfier |
Seviement, il y 0
toujours eu une co-
bale contre moi. Je
dérange parce que je
dis ce que je pense,
parce que je m’as-
sumeet queje voisou
bout de mes respon-
sobiités, Si tout le
monde faisatcomme
moi, ily aurait octvel-
lement un peu plusde
moraité en France. Si
le président de la
République et Roy.
mond Barre sont av-
dessus des partis,
Delon lui,estau-des-
sus des paris-pris.
— Est-ce que
homme fort que
vous étes resemble
@ l'adolescent que
vous étiez ?
Vous croyez
peut-étre qu’on de-
Vient soltoire du jour
au lendemain? De-
fon, sa solitude, il fa
froin depuis age de
quatreans |,J'élois un
enfant de I'cmour,
beau et tragique
comme seuls sont les
enfants de lamour.
Mes parents ne
vivaient pas en
semble. II m’o fallu
supporter un beou-
ppere choreutier et ma
mere, irés vite, m’o
mis en nourrice chez des gardiens de prison
i Fresnes. Un de mes premiers souvenis,
Ces le brit des salves lors de l'exécution
deLoval
‘Aprés, fai été pensionnaite chez les
Fréres des écoles chrétiennes. J’étcis tur
bulent, un jeune figre ; on m’o finalement
placé en opprentissage & lo charcuterie
des quatorze ans. J'ai bien tenté de m’évo:
der, un beau matin, pour Chicago avec un
ccopoin, mais Ga. lamentablement échous.
— Vous étiez un petit dur ?
Pluidt un pauvre gosse de la bantieue
de Sceaux, une fleur du pavé, sans avenir,
sans envie, qui deja crevait d'ennui. Ma
seule sorte étoit, le jeudi, d’aller voir avec
‘mon pére les actualités aux Cinéac-Mont-
pomasse. Si les jeunes d'oviourd’hui
BO stutsane ne 2105-12 oecenant 1980
«Delon
ne travaille pas,
mon ange.
Il est.»
savoient 6 quel point était plus dure, plus
desespéranie, la vie des jeunes zonards de
‘mon époque, Sorementils fercient moins les
— Cresta. ce moment-la que vous déci
ddez de vous engager et de partir pour!'In-
dochine ?
— Oui. Jovais w une belle affiche en
couleurs dans le métro. Méme incul, fo:
mois beaucoup les
couleurs... Et puis, ily
avait une prime &
engagement. Mes
parents se sont donc
dépéchés de me
signer une dispense
je rvovais que dix
sept ans. Expédier
son gamin en pleine
guerre, ilfalaitioutde
méme oser | Méme si
ce fut la plus belle
période de ma vie,
meme si cst lé-bas
que foi appris la dis-
ipline, la rigueur, le
respect de soi, de
autre et du chef, ci
eu du mal é leur par-
donner.
— Vous - méme,
jes-vous un bon
pére?
Voilé une ques
fion que je ne me per-
mettrois de poser &
personne !
— Eh bien moi,
ose.
I est 16, debout
devant moi, plus so:
moura‘quenature. Je
ne bronche pos. le
moindre ricius “me
— Et vous, étes-
vous une bonne mé-
ree
— Sessaie.
ifessaie d’étre un bon
pere |
Par délicatesse,
(évite de roppeler
qu'on le renvoya
d'Indochine en 56,
pour ovoir emprunté
tune jeep sans autori-
sation et avoir ba:
loncé par mégarde
dans une riziére... I
débarque & Fors, un
premier mai lla vingt
‘etun ans, lest beau,
et bistrots, de Pigalle
lesait, ethante les
& Saint-Germain, Bieni6t, par hosard, bi
Viennent les premiers les.
— Le cinéma, je m’en foutais pas mal. Je
rvavais vu que deux fms : Les Justcies du
For-West & Bourg-la-Reine, quand [étais
peli, et Touchez pas au grisbié Saigon... En
57, {i fcit mon premier fim, Quand Jo
femme s’en méle ; en 59: pal! Delon
devient une star avec Pein Sol
— Vous aver irés vite toumé avec les
plus grands : Clément, Visconti, Anto-
nioni. Quelles traces ontils eujourd’hui
laissées en vous ?
— Vous saver, Delon a toujours été 6 la
recherche d'un pére. Clément, Visconti,
Me¥vile ou méme Raymond Barre... On
rexplique pas les relations avec son pereDisons quiis mont appris & devenir un
homme, & oser me moniter tel que je suis
dons toutes mes contradictions, mes désirs
Delon n’est pos un hypociite, Delon r’est
pas un lache.
— Alors, pourquoi Delon o-til cessé,
apres Monsieur Klein, d'avoir des ambi-
tions artistiques ? Pourquoi s‘est-il
contenté de jouer les redresseurs de torts
cu front bute ?
— Mais onne ma rien proposé d'autre |
Porce que je représentais ie cinéma « clo
sique » des années 50, /ai d'obord raié la
Nowvelle Vague. Aprés, ni Sautet, ni Res:
rai, ni Piola, ni Polanski ne mont jamais
offert de le. Pourtont, je suis ouvert & tous.
Voyez comme je me sus précipité surle fim
de Godard, 'an passé
= Vous tauriez produit ?
— Sorement pas Je serois devenu fou |
Godard, sur un tournage, s‘aréte tout &
coup 6 trois heures de Vaprés-midi, parce
quil ne «sent » plus la scéne, Pour les
acteurs, c/est stimulant, pour un producteur,
Cest more! |
— Peut-étre votre réputation de vouloir
tout diriger sur un platecu décourage-t-
elle certains cinéastes ?
— Mais est foux | Je ne prends la direc:
tion des opérations que lorsque je me
trouve face & des nus. A ce moment-6,
ce sont les producteurs eux-mémes qui me
supplientde prendre les commandes. C’est
artivé a deuxreprises. Ei combien de fos a:
je do, aussi supeniser les montages |
— Comment travaille Delon ?
=i ne travaile pas, mon ange : i
«est». Ilo apps sur le tas. Il se laisse
envahir par le personnage, il se fait
confiance.
Un seul conseii ma vroiment influence,
celui de Fresnay, avec quia fait un disque
sur les letires diomour de Napoléon &
Joséphine. « La coméra, cest une mat
tess, Regordela comme su li faa
fomour. »
En fai le cinéma, cest juste le reflet de la
Vie qui va. La société evolve, pas lui i suit
(On a ayjourdthui les fms qu'on méfite. Je
mly sens un peu poumé. Je n’ci plus de
repére. Mois, peu imporie : rien ne ma
jomais omusé. Ei, 6 cinquante ans, seule la
passion mintéresse.
— Cinquante ons ? Euh ? Vraiment..
— Etvous ?
— Ben, vingt ans de moins que vous,
tout de méme : vous avez bien cinquante-
<éing ans !
Furieux, Delon se précipite vers mon
conapé pour examiner le contour de mes
yeux
— Vous étes d'un galant !
— Ma chére Anne Pascaud
—Non, Fabienne, mon cher Gérard
Delon !
—Ma chére Anne, disois-je, on me
reproche dla fois d’étre Delon et de ne pas
tre Delon. Que faire 2 Je sais simplement
{ue sito un comédien dons la ve, je ne
rais pas aussi bon & I'écran. Je suis sin
cére. Mais personne ne me connait
ment. Vous ne voyer tous que la partie
émergée de iceberg
Quant & vous, je vois savoir bientot si
‘ous étes comme les autres. i, dans votre
orfce, vous cognez, comme toutle monde,
sur Delon, cest que vous n’étes pas intel
genie, Cest que vous ne comprene rien
Mais, aprés tout, Delon s‘en fout, En
France il est devenu une légende et taper
sur les legendes se retoune toujours contre
Ficonodlaste : on n'a pas le droit de s‘atio-
quer ila France.
Pourla premiére fois, Delon sour @
Propos rece par
FABIENNE PASCAUD,
SORTIE
DANCING MACHINE
Frongois (1 h 50). Réo.: Giles Béhat; avec Ain
Delon, Patrick Dupond, Gude Brose Tonya
Kinainger
Uinspecteur Eparvier est
intrigué par une série de morts
bizorres... Toutes les victimes
sont des femmes, éléves d'un
cours de danse diigé por un
homme sombre et inquiétant, Alan Wot
Wolfest une ancenne étole de opera.
2.d0 quiterla scéne oprés un accident de
moto qui a codté la vie 6 Melissa, une
donseuse. Artive Daphné, la sceur de
Melissa, qui entreprend de séduire Wolk
La jambe raide, les yeux cemés, le
visage mal rasé, Wolf, c'est Alain Delon
Vetu de noir il laudique appuyé sur une
anne, en jetant des regards funbonds sur
Patrick Dupond, qui incame son assistant.
| Tous deux semblent vraiment les seuls &
| croire en cee histoire abracadobbrante.
Récemment, tout le monde salvait le
courage de Delon pour s'étre laissé dic-
ger par Jean-Luc Godard dans Nouvelle
Vague. Ic il semble tout heureux de jouer
é nouveau les démiurges et de s‘entourer
de foite-voloir. Mais e scénario (de Poul-
Loup Suitzer, diaprés une idée du musi-
en disco Cerrone |} est inexistant. Les
diclogues (de Didier Decoin) sont ridi-
cules. Et Claude Brasseura bien dumérile
jouer ceflc solitaire, quivit avec un mai-
nate (allusion ou Samouraide Melvile 2)
et fait le guet en lsant Le Cantique des
antiques |
Dans la scéne finale, Wolf-Delon
pleure en gros plon parce quil a trente
‘ans de plus que sa belle, Dans ia salle, on
est fout génés, comme devant Narcisse
vielissant qui voudrait nous faire croire
queso vie est un long colvaire... @
BERNARD GENIN
Vass
ad
Si bien que j’ai tout
Re
lu d’une traite jusqu’a la
Te x eS
A me
rm a
Ce
on ee ed
AN aD
TT ee
ee ee
Tea
ema CC a
leur somme... Lisez le
a
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Ce eed ae
LT Ln ec
Mere eR LL
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ET
32 pages de photos.
Ler aria
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