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écrivain colombien
de renommée mondiale.
Son chef-d’œuvre, Cent
Ans de solitude, s’est
vendu à vingt millions
d’exemplaires.
“VIVRE POUR son passé, il revisitait avec l’aide des témoins, de ses
proches, les étapes d’un fabuleux parcours qui a mené
LA RACONTER”. l’enfant pauvre né à Aracataca, dans l’Etat de Magda-
lena, en Colombie, à la renommée mondiale, certifiée
par le prix Nobel de littérature en 1982. La parution des
mémoires de García Márquez, c’est un événement qui
a été souvent annoncé, toujours retardé. Ses éditeurs 2
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Télérama no 2805 – 15 octobre 2003
Gabriel García Márquez
2 caine. Les grands écrivains de l’époque réagissent
comme un seul homme. « García Marquez apporte [...]
une nouvelle preuve de la façon dont l’imagination en
sa puissance créatrice la plus haute a fait irruption irré-
versiblement dans le roman sud-américain », écrit l’Ar- Bogotá et Carthagène des Indes, se dit « costeño ». Il est
gentin Julio Cortázar, auquel fait écho le Mexicain Carlos homme de la côte caraïbe, rien à voir avec le Colom-
Fuentes qui voit Macondo « se métamorphoser en un bien de l’intérieur, ni par sa culture, ni par sa vision du
territoire universel ». Le Péruvien Mario Vargas Llosa, monde. « Nous les costeños, nous sommes les gens les
enthousiaste, salue, lui, « une prose brillante, une tech- plus tristes du monde », explique-t-il. Puis, évoquant les
nique d’envoûtement infaillible, une imagination lucifé- « bals du tonnerre de sa jeunesse », il ajoute : « Je me rap-
rienne qui ont rendu possible cet exploit narratif ». pelle qu’au milieu d’une rumba, nous abandonnions
Après beaucoup de tâtonnements, d’essais plus ou notre partenaire et allions nous asseoir dans un coin pour
moins aboutis et l’écriture avortée d’un roman, La Casa, dévider [...] le film infini de la littérature, pour terminer
Márquez a trouvé enfin les mots, le ton, la musique, le taca-taca-taca-taca, en récitant de la poésie. Ce genre
rythme fou, celui, en un mot du « réalisme magique » qui de chose ne se guérit jamais : c’est un vice. » (2)
EL ESPECTADOR
sera pour toujours associé à son œuvre. Trente-six ans La poésie se déclame, se chante, se partage entre
et quelque vingt millions d’exemplaires plus tard, les lec- amis. Le roman suppose la solitude. La passion roma-
teurs seront probablement frappés de retrouver, dans nesque, chez Márquez, a été plus tardive. Il lit tout ce
les mémoires de García Márquez, non seulement l’at- qui lui tombe sous la main, partout, dans les bistrots, les
mosphère et les images du roman mais aussi des “Gabo” le magnifique. chambres d’hôtel miteux, et même dans un certain tram-
phrases entières de Cent Ans de solitude. C’est que L’époque des reportages way de Bogotá où il fait des voyages en boucle, plongé
Gabo a toujours senti que la réalité pouvait nourrir les pour El Espectador, dans les livres qu’on lui prête. C’est à cette époque qu’il
rêves les plus fous de la fiction. avant de devenir découvre Faulkner. Rencontre éminemment décisive :
Cette rare alchimie romanesque n’a pas été engen- écrivain, à 40 ans. Macondo, lieu à la fois réel et imaginaire où s’enracine
drée par la seule mémoire. García Márquez nous pro- Cent Ans de solitude, est très proche, dans sa concep-
mène avec un égal bonheur dans le labyrinthe de sa jeu- tion, de Yoknapatawpha, le comté mythique créé par
nesse et dans celui de ses lectures. Pour lui, lire c’est l’auteur du Bruit et la Fureur...
vivre, dépasser la réalité médiocre d’une existence C’est avec une infinie tendresse, une touche de
constamment chahutée par la pauvreté. Au menu, des complaisance et un rien d’ironie, que Márquez le Nobel
poètes, encore des poètes, toujours des poètes. regarde aujourd’hui Gabo le plumitif avide de savoir,
García Márquez a longtemps flirté avec des groupes plus habillé comme un clochard, cheveux et moustache en
ou moins d’avant-garde en quête d’une esthétique neuve bataille. Dans son entourage, on raconte qu’à Stockholm,
entre la poésie savante, le lyrisme et la chanson popu- pour recevoir le prix, il avait revêtu le costume tradition-
AP/JOSE GOITIA
taire du Parti communiste soviétique est plus petit que Installé entre Mexico (où il réside), Bogotá et Los
moi ») au pape Jean-Paul II, de Yasser Arafat à François Angeles (où il se soigne), García Márquez écrit chaque
Mitterrand qui l’a fait commandeur de la Légion d’hon- jour, s’imposant « des horaires d’employé de bureau ». Il
neur, il y a une faille de taille : son soutien incondition- laisse venir à lui les souvenirs, les images. Il dit continuer
nel à Fidel Castro. Il était encore la cible des attaques à ne rien inventer. Il affirme même « retranscrire » ce qui
au printemps dernier quand une terrible répression remonte du passé comme dans un reportage. Ainsi a-t-
s’abattait sur les intellectuels cubains sans qu’il pro- il fini par écrire Chronique d’une mort annoncée, en 1981,
teste. Incompréhensible silence. Dans ce premier volu- dont le point de départ est l’histoire vraie d’un assassi-
nat qui l’avait frappé dans sa jeunesse. Il a attendu trente
Bibliographie ans que la mère de la victime disparaisse, respectant
ainsi la promesse faite à sa propre mère, qui était son
Des romans amie. De même, c’est quand ses parents sont arrivés
Ses trois premiers récits, Des feuilles dans la bourrasque, Pas de lettre pour au crépuscule de leur vie qu’il a entrepris le récit de leurs
le colonel et La Mala Hora (traduits par Claude Couffon, éd. Grasset), sont parus amours contrariées, et finalement triomphantes, qui sert
en France après Cent Ans de solitude. On y retrouve l’univers troublant d’un pays de trame à L’Amour au temps du choléra.
caraïbe où le réel flirte avec la magie. Entre le journalisme et la littérature, García Márquez
Cent Ans de solitude (traduit par Claude et Carmen Durand, éd. du Seuil, n’a jamais distingué que des degrés d’écriture différents.
1968) : LE chef-d’œuvre. Un seul credo : laisser parler la réalité, car la réalité, en
L’Automne du patriarche (traduit par Claude Couffon, éd. Grasset, 1977), la revisitant, en la décalant, en la sublimant, reste incom-
plus difficile que Cent Ans..., plus baroque, ce poème lyrique en prose parable. Evoquant sa grand-mère Mina devenue
est une variation sur le thème très latino-américain des dictateurs. aveugle, et qu’on venait d’opérer, il raconte une très
Chronique d’une mort annoncée (traduit par Claude Couffon, éd. Grasset, 1981). tendre histoire. « Lorsqu’on lui ôta ses pansements, ma
Surprenant de sobriété, ce court roman, qui raconte la mort d’un jeune homme grand-mère [...] ouvrit les yeux radieux de sa nouvelle
poursuivi et qui ne peut se réfugier chez lui, est un modèle de virtuosité narrative. jeunesse, son visage s’illumina et elle résuma sa joie
L’Amour au temps du choléra (traduit par Annie Morvan, éd. Grasset, 1987) en un seul mot : “Je vois.” Le chirurgien voulut savoir ce
est un superbe roman d’amour et une méditation sur la vieillesse. Inspiré de qu’elle voyait si bien, et elle balaya la pièce de son regard
l’histoire de ses parents, c’est le grand livre de la maturité de García Márquez. renaissant, désignant chaque chose avec une précision
admirable. Le médecin fut interloqué de l’entendre nom-
Des nouvelles
mer des objets dont aucun ne se trouvait dans sa
Nouvelliste militant – il place le « cuento » (nouvelle) au-dessus du roman –
chambre d’hôpital. Moi seul savais qu’elle décrivait ceux
García Márquez a écrit deux recueils majeurs : Les Funérailles de la Grande
de sa chambre à Aracataca. » Quelle plus belle méta-
Mémé et L’Incroyable et Triste Histoire de la candide Erendira et de sa grand-
phore pouvait résumer la magie de la littérature selon
mère diabolique (traduits par Claude Couffon, éd. Grasset, 1977). La nouvelle-
Gabriel García Márquez ? Michèle Gazier
titre du deuxième volume a été portée à l’écran par le Brésilien Ruy Guerra.
(1) Entretien avec Hector Bianciotti, Le Nouvel Observateur, janv. 1982.
On y retrouve cette sensualité particulière dans l’évocation des femmes
(2) A la rencontre de García Márquez de Juan Gustavo Cobo Borda,
et de l’étrange volupté des relations amoureuses et vénales. traduit de l’espagnol par Georges Lomné. Ed. Espaces 34.
Une enquête
Journal d’un enlèvement, traduit par Annie Morvan (éd. Grasset, 1997). Efficace
enquête sur des enlèvements en Colombie. Márquez fait coïncider ici ses deux
écritures, journalistique et littéraire, pour dénoncer la situation politique du pays.
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