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HispanismeS

Revue de la Société des Hispanistes Français 


18 | 2021
Murs, barrières, obstacles dans les mondes
hispaniques II

Poétique des murs traversés entre Málaga et


Larache dans Sombras en sepia de Sergio Barce
Gallardo, 2006
Poetics of the Walls crossed between Málaga and Larache in Sombras en sepia
by Sergio Barce Gallardo, 2006
Poética de los muros cruzados entre Málaga y Larache en Sombras en sepia de
Sergio Barce Gallardo, 2006

Lydie Royer

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/hispanismes/14007
DOI : 10.4000/hispanismes.14007
ISSN : 2270-0765

Éditeur
Société des Hispanistes Français
 

Référence électronique
Lydie Royer, « Poétique des murs traversés entre Málaga et Larache dans Sombras en sepia de Sergio
Barce Gallardo, 2006 », HispanismeS [En ligne], 18 | 2021, mis en ligne le 31 décembre 2021, consulté
le 30 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/hispanismes/14007  ; DOI : https://doi.org/
10.4000/hispanismes.14007

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Poétique des murs traversés entre Málaga et Larache dans Sombras en sepia de ... 1

Poétique des murs traversés entre


Málaga et Larache dans Sombras en
sepia de Sergio Barce Gallardo, 2006
Poetics of the Walls crossed between Málaga and Larache in Sombras en sepia
by Sergio Barce Gallardo, 2006
Poética de los muros cruzados entre Málaga y Larache en Sombras en sepia de
Sergio Barce Gallardo, 2006

Lydie Royer

Introduction
« L'un à l'autre est ce qu'est la couleur à l'ombre,
l'or du fruit mûr à l'or de la feuille sèche. »
Yves Bonnefoy (1923-2016)
1 Le roman espagnol Sombras en sepia1, publié par Sergio Barce Gallardo en 2006 raconte
l'aventure d’un homme Abel Egea qui découvre Nadja, une jeune Marocaine de dix-sept
ans et son fils arrivés clandestinement sur une plage de Cádiz. Une rencontre
bouleversante qui se fait derrière un petit mur, mot récurrent aux connotations
doubles, associant, dans ce roman, présent et passé, réel et imaginaire, désir et
frustration, dehors et dedans, corps et âme, lumière et ombre. Autant de facettes du
mur que nous analyserons d’abord dans le déplacement du personnage principal, puis à
travers les chronotopes2 et les discours qui interrogent, dans sa complexité, la
construction imaginaire et politique de la barrière entre l’Espagne et le Maroc. Nous
étudierons ensuite le mur dans sa dimension métaphorique en nous appuyant sur
l’opacité définie dans la Poétique d’Édouard Glissant comme les profondeurs 3 que
l’homme porte en lui ou les ombres épaisses qui s'opposent au passage d'une chose.

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1. La traversée du Détroit de Gibraltar


2 Le protagoniste, Abel Egea, un veuf espagnol, retraité, est le double de l'écrivain qui
avait émigré au Maroc avec sa famille, au début du XXe siècle avant de retourner en
Espagne à la fin du Franquisme. Les deux mots du titre illustrent donc le cheminement
de l’écrivain en quête des ombres de son passé. Le roman s’ouvre sur le mouvement
lent du personnage, envahi par la solitude, et qui marche sur une plage andalouse,
attiré par un mur. Les caractéristiques du mur « petit et agonisant » qu’il observe de
loin, préfigurent la scène de détresse qu’il découvre derrière les décombres d’une
buvette calcinée :
Abel Egea se acercó y miró detrás del muro agonizante, un alambre oxidado le rozó
la mano. Justo detrás de ese pequeño muro, una chica desharrapada, sostenía en el
regazo un bebé dormido. Luego recordaría que no fue ese niño que le llamó la
atención sino los ojos almendrados [...].Unos ojos de cervatillo, agitados y temerosos
[...] que le hicieron dar un paso atrás, como si hubiese visto al mismísimo duende de
Salma4.
3 Les yeux de la jeune marocaine déclenchent le mouvement brusque du personnage qui
se souvient d’abord du regard envoûtant de Salma, son amour de jeunesse puis de sa
femme, Carlota, d’origine marocaine, décédée depuis dix ans. Dès les premières pages,
la représentation du corps à travers l’enchâssement des regards, installe le lecteur dans
la rencontre magique avec l'Autre et fonde la construction du récit entre rêve et réalité
et dans le jeu discontinu de l'absent et du présent. Abel héberge ensuite, chez lui, Nadja
qui lui apprend qu’elle est originaire de Tlata de Reixana, un petit village au nord-ouest
du Maroc situé à peu de kilomètres du village de son enfance. Ses deux amis David
Benasuly et Lidia Andrade l’aident à régulariser la situation de la jeune mère après
avoir entendu le récit de sa découverte : « –Que son inmigrantes ilegales. Que han
venido en patera. Que no tienen donde caerse muertos … que están solos … que no
tienen familia »5. Nadja raconte dans un espagnol approximatif comment les passeurs
l'ont laissée sur la plage en lui disant qu’elle trouverait du travail en Espagne. Elle sera
placée, pendant quelques mois, sous la tutelle d’Abel qui fera tout pour l’accepter 6 et
l’habituer à la ville, mais sans prévenir, elle repart un jour au Maroc avec le père de son
enfant venu la rejoindre. Un retour mystérieux qui informe non seulement de la
circulation migratoire autour de cette frontière mais aussi de la figure des nouveaux
migrants, des jeunes femmes mineures, enceintes ou avec enfants qui prennent le
risque de traverser, la nuit, les dangereuses vagues du Détroit de la Mer méditerranée
considérée comme le cimetière de l’Europe. Le Détroit de Gibraltar, petit cordon
ombilical de la Méditerranée, séparé de l'Espagne de seulement quatorze kilomètres est
la voie de passage maritime la plus fréquentée par les migrants clandestins pour
contourner, à l’ouest, le système de surveillance très perfectionné des deux enclaves
espagnoles7, Ceuta, la plus proche du continent et Melilla plus à l'Est, unique frontière
terrestre entre l’Afrique et l’Europe. Abel veut les retrouver et se rend d’abord à la
Sous-préfecture de Málaga en charge du contrôle d'identité dans l'espace Schengen des
immigrés clandestins désœuvrés et massés contre les abords des zones portuaires de la
ville. Il se heurte au mur de plomb du vieil édifice où sont bloqués des migrants de
toute nationalité :
Entró en el viejo edificio de paredes plomizas donde se ubica la Subdelegación del
Gobierno.[...]A medida que subía los escalones, de escasa altura pero numerosos,
Abel se vio obligado a detenerse[...]. La primera planta estaba atestada de gente. La

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mayoría eran marroquíes que se apiñaban en una de las puertas acristaladas, el


resto se repartía entre negros africanos y algunos sudamericanos, todos ellos de
diferentes países, sentados en silencio en los informales sillones negros de trazas
modernistas y en los escalones que conducían a la segunda planta 8.
4 Sans aucune trace de Nadja, Abel décide de sortir de Málaga pour se rendre au village
de son enfance en voiture accompagné de son ami David. L’élaboration de la poétique
des murs s'inscrit d’abord dans le déplacement du personnage qui franchit, sans
obstacles, l'autre rive mais, à son arrivée, il est surpris par le dénuement du paysage
qu’il découvre de l’autre côté du mur :
Veía a la mayoría de las mujeres con sus chilabas y sus jaiques y a los hombres con
ropas gastadas y pasadas de moda. Los muros de la casa Raisuni estaban cubiertos
de enredaderas y las plantas disimulaban las grietas inmisericordes y las manchas
que los sucesivos inviernos se habían encargado de enhebrar en sus ladrillos 9.
5 En effet, les fissures des murs qu’il observe sur la route reflètent la misère des classes
sociales qui vivent aux abords des villes marocaines. À Larache, il est confronté ensuite
aux murs de la vieille Medina où il recherche, péniblement, photo en main, dans les
sinistres chambres qu’il visite, la jeune femme qui aurait été vue dans son village natal
et avec sa famille. Partout, s'entassent devant lui, comme « des déchets et des âmes
perdues », des Sénégalais, des Mauritaniens, des Marocains et des exilés de l’Afrique
subsaharienne :
Allí alrededor, en habitaciones abiertas, dormitaba una treintena de personas, en su
mayoría de raza negra, junto a los que se reconocían también a los marroquíes más
olvidados. Todos se hacinaban igual que desperdicios o que despojos, la escoria de la
que nadie quería saber nada de nada; mejor muertos que ociosos, mucho mejor
lejos, en países desarrollados que pudieran explotarlos a gusto que delinquiendo en
su propia tierra. Formaban un buen cuadro de almas perdidas 10.
6 Il croise, ensuite, près de la plage, d’autres migrants clandestins perdus, des survivants
aux histoires multiples, sans doute victimes de passeurs sans scrupules, et qui errent
chaque jour, dans l’attente d’un bateau pour atteindre l'Espagne. Un spectacle qui
soulève en lui un sentiment mêlé de compassion et d'impuissance et qui lui fait
mesurer le changement de la ville au XXIe siècle. Larache, située à plus de 100
kilomètres de la côte espagnole, est devenue la nouvelle plate-forme empruntée par les
passeurs, plus à l’ouest, pour la traversée de la Méditerranée en deux jours, dans des
embarcations de fortune, afin de contourner les nouveaux dispositifs de contrôle des
forces de sécurité autour de la frontière. En effet, depuis la tragédie de 2005 11 qui avait
fait le tour du monde, une troisième barrière s’est érigée, et les murs relevés à plus de
six mètres de hauteur puis renforcés par des kilomètres de clôtures de barbelés scellent
hermétiquement la frontière à l’extérieur des points de contrôle réguliers. Selon
Claude Quétel, les migrants « ne peuvent plus passer par cette voie ni par l’Atlantique
où le flux migratoire clandestin a été jugulé par Frontex, l’agence européenne de
protection des frontières de Schengen »12. Aussi de nombreux clandestins refoulés de
Ceuta qui n’ont pas réussi à escalader les grillages reculent et se réfugient à l'abri des
caméras de surveillance, aux abords de Tanger, Nador, ou Tétouan où ils construisent
eux-mêmes, des campements délabrés considérés comme « une troisième nation ou une
salle d’attente »13. À part Larache, ces petits refuges provisoires et invisibles, à
l’extérieur de Ceuta et Melilla, contribuent à isoler ces deux enclaves des villes
marocaines les plus proches et confrontent le personnage à la difficulté de traverser le
mur du côté marocain. Le mur est à la fois un espace de circulation et de transit, de plus

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en plus déplacé au XXIe siècle avec la mondialisation trépidante qui donne lieu à des
récits et discours critiques sur l’Histoire entre l’Espagne et son ancienne colonie.

2. Récits historiques et Discours critique sur les murs


entre le Maroc et l'Espagne
7 L'écriture bascule vers le passé et fait surgir d'autres ombres encore enfouies dans la
mémoire du protagoniste quand le Maroc était alors territoire d'accueil pour de
nombreux Espagnols, durant le Protectorat (1912-1956). Abel se souvient de Larache,
premier lieu au Nord-ouest du Maroc du débarquement des troupes espagnoles en 1912,
port de pêche et terre de ressources agricoles où vivaient ensemble, à son arrivée en
1931, avec les Marocains, des Espagnols et d'autres étrangers : Anglais, Français,
Portugais et Juifs. Le narrateur convoque alors les souvenirs de son enfance qu’il
redécouvre à travers les murs lézardés de l’ancienne maison de l’Espagne, pilier du
pouvoir économique des familles espagnoles qui s’y étaient établis. Il retrouve, chez
Samir, le guide marocain qui l’accueille à Larache, la même hospitalité et le même
sentiment de solidarité qu’il avait connu auparavant, quand son père Abelardo, le
chrétien, accueillait chez lui, avec les chansons de Noël, Mustapha Ben Laabi, le
musulman et Jacobi Cohen, le juif, symbole de l'entente conviviale entre les trois
cultures, un rappel de l’héritage culturel de l’Andalousie avant l'expulsion des Maures
en1492. Le mur entre passé et présent s’abolit pour lui dans cette ville où s’affirme sa
double identité rhizome de larachense et de malaguéen, sans barrière entre l’une et
l’autre :
Vengo de Málaga, pero viví aquí muchos años. No sé si me creerá, pero siempre digo
que soy de Larache. Aquí es donde fui realmente feliz. Cuando llegué, tenía siete
años así que me crié en estas calles14.
8 La répétition du « je » est une réappropriation du territoire de son enfance, lieu
d'identité et d'altérité où il a été heureux et d’où il fut brutalement arraché par les
circonstances de l’Histoire. Son rapport à cette terre du Maroc est imprégné de ce passé
et oriente l’écriture comme un parcours vers la quête de paternité. Abel Egea se
souvient aussi du départ progressif des populations étrangères à la fin du Protectorat
en 1956 jusqu'au départ définitif des Espagnols en 1975, avec la Marche Verte
convoquée par le roi du Maroc, Hassan II qui avait incité son peuple à récupérer le
Sahara occidental espagnol. Il raconte à Samir l'expérience personnelle encore
douloureuse de l'expatriation de sa famille hors du Maroc, en 1971. Les points de
suspension matérialisent le caractère fragmentaire de la mémoire du sujet qui retient
la période vécue comme un double déracinement, ne se sentant pas reconnu par le
Maroc ni par l'Espagne :
He vivido en un permanente desarraigo.[…] Los que nacieron en Marruecos y nada
tenían que ver con el Ejército.[…]. Nosotros éramos felices en Larache. Muy felices...
Pero llegó la marroquinización y no se nos permitió la doble nacionalidad, se nos
exigía permiso de residencia. […]
De pronto éramos extranjeros. Insensatos, creímos que, por consiguiente, éramos
españoles... Allí,tampoco nos querían. Cuando llegamos a España, nos decían que
íbamos a robarles los puestos de trabajo… Así de pronto no éramos españoles pero
tampoco marroquíes…Y después de explicarte todo esto, ¿cómo explicarte que
Larache es mi única bandera ? Mis padres están enterrados aquí 15.

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9 Cette intra histoire16 évoque, à travers le « je et le nous », l'exode de milliers


d'Espagnols du Maroc, techniciens, et administratifs, arrivés en Espagne entre les
années 1971 à 1976 et considérés comme une menace par leurs propres compatriotes.
Au récit d’Abel, s'enchaîne celui de son ami David, originaire de Cádiz qui, après son
exil en 1936 avec toute sa famille, fut, lui aussi, rapatrié à Madrid en 1975. David
compare la situation de Nadja, jeune immigrée clandestine à la sienne quand il avait
émigré à Tanger comme des milliers d'Andalous qui s'étaient réfugiés pendant la
guerre civile au Maroc. L’articulation entre récit individuel et histoire collective plonge
le lecteur au cœur du parcours migratoire des Espagnols qui a toujours existé vers le
pays voisin depuis le XXIe siècle, pour des motifs politiques et économiques. Le récit
laisse place ensuite au discours de David sur une autre période émouvante de l'Histoire,
celle de l’émigration massive, vers le Maroc et vers l’Europe, de nombreux Espagnols
fuyant le Franquisme et ses maux entre 1950 et 1973. La juxtaposition des deux voix
enchâssées dans le roman confère à la narration du mur, des tonalités variées et
dynamiques, mettant en lumière le paradoxe entre ceux qui sont refoulés du mauvais
côté du mur et ceux qui sont du bon côté et qui continuent à venir s’installer encore à
Larache au XXIe siècle depuis la crise de 2008. Le discours virulent de David résonne,
dans le texte, comme un cri contre la mémoire courte des Espagnols, anciens émigrés
au Maroc, qui oublient l'Histoire et considèrent la venue de l’immigré comme une
perpétuelle menace de la perte de leur identité :
La puta gente de este país ha olvidado demasiado pronto que nosotros éramos los
emigrantes que llenábamos los muelles de Argentina y de Marruecos, las estaciones
de Alemania, los campos de refugiados de Francia… Eramos de cuarta, joder. Y
ahora vamos por ahí con ese aire de gallitos prepotentes mirando los sudacas por
encima del hombro y a los moros con el rabillo del ojo, desconfiando de ellos como
si fuesen a cortarnos el cuello como los miserables cabrones que soltó Franco por
los campos enemigos17.
10 Un discours critique qui fait allusion au traitement réservé aux Marocains que dénonce
également le romancier espagnol Andrés Sorel dans son roman Las voces del Estrecho
(2000) cité dans l’article d’Irene Andrés Suárez18. Le mur de la Méditerranée ne reflète
plus seulement le contraste Nord-Sud. C'est un espace asymétrique, de plus en plus
complexe qui acquiert une dimension politique et sociale et se définit, alors, dans le
contexte de la mondialisation comme le lieu de tensions et de conflits permanents et de
remises en question de négociations de projets culturels et économiques signés entre
l'Espagne et le Maroc depuis 2000. Les contrats temporaires signés tous les ans entre
l’Andalousie et le Maroc et les principes généraux du traité de Lisbonne de bon
voisinage et de coopération signé en 2007 sont autant de faits politiques qui interrogent
l’existence du mur et des barrières19 entre les deux pays. Des procédures qui font écho
aux propos de Glissant et Chamoiseau dans l’essai publié en 2007, Quand les murs
tombent : « Ce n’est pas l’immigration qui menace ou appauvrit, c’est la raideur du mur
et la clôture de soi »20. Abel dénonce la vacuité des frontières et l’européanisation des
clôtures de Ceuta et Melilla qui perpétue l'esprit colonial opposant les dominants aux
dominés :
Fue en sa misma habitación, donde Abel comprendió la vacuidad de nuestras
fronteras, la artificiosidad de nuestras diferencias, esa impostura instalada en el
poder que nos conduce a ciegas a seguir a unos líderes, manipuladores y ególatras 21.
11 Un discours humaniste qui englobe dans le présent, le passé et le futur et interpelle le
lecteur sur le sens de la frontière commune entre les deux pays tout au long de

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l’Histoire. Abel exhorte les Espagnols à réfléchir sur le sort futur de leurs petits enfants
qui pourraient un jour quitter involontairement l'Espagne à leur tour :
Todos somos emigrantes. Créame. Ahora gozamos de una buena racha, pero nadie
puede asegurarnos que dentro de cuarenta años, no estarán nuestros nietos
cruzando el mar para buscarse su futuro. El mundo es redondo y da muchas
vueltas22.
12 Le croisement des pronoms personnels « je/nous » dans la phrase Nous sommes tous des
émigrés, révèle son souhait d’abolir les tiroirs identitaires au profit d’une humanité
plurielle qui défend la valeur universelle de la perception de l’Autre. Les différentes
perspectives temporelles qui fragmentent le roman, la superposition des récits et
l’imbrication des discours subversifs l'un dans l'autre, sont autant de résonances de la
complexité du mur, à la fois dans ses ruptures et dans la continuité de ses constructions
imaginaires et politiques au fil de l'Histoire. Des modalités d’écritures du mur qui
contiennent des messages politiques et qui corroborent la définition que donne
l’historien Claude Quétel de la fonction du mur : Ce sont des constructions qui font de la
politique, qui disent quelque chose »23. La vision politique du romancier informe de la
difficile gestion pour l’Espagne du Détroit24, d’un côté, le désespoir des immigrants
bloqués au Maroc et de l'autre, la logique sécuritaire de l'Europe forteresse et ses
mesures de protection contre l'immigration, le terrorisme, et les trafics illicites de
drogue et d'êtres humains. Tous ces facteurs contribuent au XXIe siècle à rendre compte
des discussions controversées qui, en permanence, bouleversent le sens de ce mur du
Sud qui ne finit pas de déborder, de s’allonger avec l’arrivée massive de migrants à la
merci de passeurs trafiquants qui inventent de nouvelles stratégies migratoires au
rythme de l’avancée des réseaux sociaux.
13 Au terme de son séjour à Larache, il croise sur la route, Nadja heureuse en compagnie
du père de son enfant, mais ne s'arrête pas, et au fur et à mesure qu'il les perdait de vue
dans le rétroviseur, leurs silhouettes s’y reflétaient comme des ombres pâlies. Une
scène qui illustre les deux côtés du mur, à la fois, la réalité de l’échec des projets des
jeunes migrants marocains qui n’ont pas réussi à franchir le mur de l’Europe et
l'imaginaire du déplacement, avec la mise en abyme ou la petite fenêtre ouverte sur
Nadja, sorte de pont vers les anciennes ombres du protagoniste de retour à Málaga :
Cuando cruzó el puente que salva el río Lükus, el corazón le dio un repentino
vuelco […] al borde de la carretera, una chica caminaba con un niño a la cintura […]
a su lado, con una cesta de mimbre en la mano, un hombre alto […]. Los dos reían.
[…] A medida que los perdía en el espejo retrovisor, la carretera se fue oscuriendo,
hasta que Abel Egea no tuvo más remedio que encender las luces cortas[…].Trató de
descubrirlos forzando la vista, pero en el espejo ya sólo se reflejaba un escenario de
sombras enmustiadas25.
14 Les allers et retours entre les deux rives du Détroit constituent le trait d’union entre les
trois personnages malgré l’échec de Nadja et enrichissent la fonction du mur dans son
rapport au temps comme le chronotope bakhtinien : espace discursif, points de vue
politiques, lieu de rencontres avec d’autres langages et cultures diverses, lieu de
mémoire historique, lieu de mémoire familiale et d’expériences affectives vécues qui
imprègnent la poétique de l’entre-deux et met en lumière le rôle dynamique du mur
dans la relation avec l’Autre.

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3. De la relation avec Nadja


15 Le mouvement du personnage principal est en effet une expérience temporelle. Il
aspire comme tout déraciné à revenir à son point de départ. Abel, nom d'origine
biblique, incarne aussi la figure de l’homme pieux et juste dont la condition itinérante
de pasteur nomade implique la spiritualité et la relation à l’Autre. L'écriture du mur est
indissociable de l'imaginaire de la quête intime de soi inscrite dans la charge poétique
des sibilantes du titre : Sombras en sepia. Le personnage, double de l'auteur, retrouve
une certaine sérénité en plongeant dans le monde de son enfance méditerranéenne. Les
premières ombres successives qui surgissent dans sa mémoire, sont celles de trois
figures avec leurs valises, dans un couloir, avec son père, sa mère Nuria, portant dans
ses bras, sa sœur, Lucia, et lui, à l’âge de sept ans, arrivant pour la première fois à
Larache. Le souvenir de ce moment intime et nostalgique de l’enfance est enchâssé telle
une mise en abyme dans l'image d’une photo en noir et blanc, jaunie avec le temps,
couleur sépia qu’Abel a gardée depuis cinquante ans. Il s’agit du souvenir de Salma, un
amour de jeunesse, ravivé par la puissance du regard perçant de Nadja :
Su forma de hablar seguía atrapando a Abel. Al escucharla le invadía un sentimiento
de amparo,de refugio, de cariño. Era como si ahora supiese cuál era el sentido de
cada día. […] Volvió a observarla con entusiasmo. Había algo en Nadja que a Abel le
parecía distinto, embaucador, irremediablemente atrayente. Se confundían en su
cabeza el acento cándido de sus palabras en español con los movimientos de sus
brazos y de la cabeza, herederos del más ancestral arte de la seducción, […] con el
embrujo de sus ojos aceitunos […] con la delicadeza de sus largos dedos y con la
ineludible tentación de sus labios amaestrados26.
16 Les cinq sens élémentaires (goût, odorat, toucher, vue, ouïe) sont convoqués pour
décrire le désir et l’émotion d’Abel fasciné par le charme oriental du corps et
l’expression gestuelle de Nadja. Il garde en mémoire les odeurs de thé, de fleur
d'oranger, des épices des petits plats d’agneau qu'elle lui préparait à Málaga pendant la
brève période de son séjour chez lui. Des saveurs de son enfance qui stimulent son
imagination et éveillent en lui des désirs passionnés de sa jeunesse. Elles constituent
aussi la part dynamique de son identité inscrite dans la relation à l'Autre décrite par
Glissant dans Poétique de la Relation : « La relation à l’Autre (à tout l’Autre, dans ses
présences animales, végétales et culturelles et par conséquent humaines) nous indique
la part la plus haute, la plus honorable, la plus enrichissante de nous-mêmes. Que
tombent les murs »27.
17 Au contact de Nadja, son corps remobilisé, s’anime et devient le lieu des rêveries
érotiques qu’il avait connues avec Salma et Carlota. Il se sent l'homme le plus heureux
au monde et rêve de fonder une famille. Il rêve qu’ils sont nus tous deux au lit et les
frissons qu’il ressent de la sensualité des doigts de la jeune fille, réveillent les souvenirs
endormis de son corps au point de lui faire revivre les secrets de ses premiers émois
sexuels :
Notó también cómo se decubría su manta y que Nadja se deslizaba junto a él. […].
Pero ella se apretó contra él y lo abrazó por la espalda. La boca se le secó como si
llevara días sin beber una gota. […] ¿Qué estás haciendo? balbuceó al fin. Pero su
pregunta carecía de autoridad. […] Finalmente, se dejó hacer. La chica lo desvistió
entre las sábanas mojadas cuando hubo acabado, volvió a pegar su suave cuerpo al
de Abel. El sintió unos senos erectos en su espalda28.
18 Le mur intérieur du personnage se fissure pour délivrer cette part primitive, opaque,
qui lui fait oublier la monotonie de son existence et surtout la solitude du présent.

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L’imagination érotique donne lieu à une écriture du corps qui exsude toutes ses
humeurs illustrant l’intensité des émotions du sujet, que l'écrivain communique au
lecteur comme la passion décrite par Roland Barthes dans Poétique du récit qui est
« celle du sens, c'est-à-dire d'un ordre supérieur de la relation, qui possède, lui aussi,
ses émotions, ses espoirs, ses menaces, ses triomphes » 29. Le narrateur révèle comment
Abel assailli par le désir, transgresse les barrières de son âge et sort, pendant un
moment, des « murs d'une solitude forcée » mais cette étreinte érotique est
interrompue brusquement par le réveil du petit Zacarías :
Un impulso natural, masculino, lo lanzaba sin demora sobre el cuerpo apetecible de
la chica. […]. Sentía los dedos de Nadja asiendo con impaciencia toda su
masculinidad, con una emergencia que sólo reconocen los que viven entre
recuerdos o entre las paredes de una soledad obligada. Abel no era capaz de darse la
vuelta […]. Su boca sedienta de la boca de Nadja, sólo fue capaz de masticar un
remordimiento acuciante […] cuando Zacarías rompió a llorar en el otro
dormitorio30.
19 Le réveil de l’enfant interrompt la transgression du désir sexuel qui suppose la ligne
symbolique à ne pas franchir, obligeant Abel à sortir brutalement du lit et à se réfugier
dans la salle de bain. La confrontation avec son double dans le miroir est une autre mise
en scène de la perception des limites de son corps réel ; il s’interroge tout en observant
les moustaches blanchesqui le ramènent à la raison : il ne peut pas faire l'amour avec
une jeune fille de dix-sept ans :
Abel había dado un salto en la cama y se refugió en el cuarto de baño […]. La luz del
baño lo deslumbró unos segundos y luego se vio reflejado en el espejo sin
reconocerse. Tenía enfrente un hombre de piel blancuza, de hombros caídos, […] el
pequeño bigote salteado de canas y la papada cada día más proeminente sólo
acentuaban la sensación de estar cruzando una difusa frontera tras la que temía
encontrarse de un momento a otro. […]. No era capaz de hacer el amor con Nadja.
Todo se reducía a eso31.
20 Le personnage, sans doute par pudeur, réfrène ses pulsions et accepte ses limites :
« Abel añoró su juventud y aceptó el hecho de que jamás podría ser el hombre que ella
necesitaba ni el que, pobablemente, había estado soñando » 32. L’image de
l’effondrement des murs de la maison sur sa tête, l’obscurité et l’image du
recueillement dans le mausolée, constituent l'une des visions les plus poétiques de la
fin de la rêverie érotique du personnage. L’ombre grise qui l’enveloppe et l’odeur de la
naphtaline illustrent les profondeurs de l’être encore englouti dans son passé et
confronté à ses absences :
Las paredes de la casa se inclinaron sobre su cabeza, como si el techo se viniese
abajo muy lentamente, y la cristalera se oscureció con una sombra siniestra y
gris.Toda la casa se transformó en un máusoleo que olía a naftalina. Abel pensó en
marcharse, pero se limitó a sentarse en el sillón33.
21 L’articulation de l’intérieur et l’extérieur du corps fait écho aux deux côtés du mur, sa
part d’invisible et de visible. L'expérience bouleversante d’Abel est l’épreuve de tout
être humain qui rencontre l'altérité à travers le rêve d’une belle histoire d’amour.
L’insistance sur cet état vague et diffus où se loge l’ombre à l’intérieur du corps de
l’homme nous confronte tous à nos propres limites, à nos silences intérieurs, à notre
manière de transgresser l’interdit et de gérer nos distances avec l’Autre. Cette
expérience intérieure et imaginaire du sujet ouvre des perspectives encore plus larges
pour aborder la définition du mur. Ne serait-elle pas identique à celle des migrants

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bloqués ou dans l’attente, qui, devant le mur infranchissable, rêvent aussi de s’épanouir
et d’un ailleurs paradisiaque34 loin de leur espace d’origine ?
22 Le mur semble être catalyseur de désir et ne disparaît jamais totalement. Il protège
certes, mais le traverser, c’est oser dépasser les ou ses limites et entrer en Relation avec
l’Autre.
23 À la fin de l’aventure, la prégnance du temps est indissociable de la clôture du
personnage qui réintègre l’espace d’origine où il s'était dépouillé de ses cendres, détail
symbolique sans doute de sa renaissance. Les nuages se dissipent progressivement et
laissent place à la lumière. Ses ombres se sont dissipées dans les lumières du territoire
de son enfance, lieux de ces « patries intimes », dans la pensée du dehors, composant
aussi, selon Édouard Glissant, la pensée du rapport de l’écrivain à son œuvre, renvoyant
à cette valeur métaphorique de l'opacité comme « lenteur, accumulation, durée » 35. Il
n’est pas vain de citer Roland Barthes qui évoque le terme d’opacité pour dire le style
ou « le secret et le souvenir enfermé dans le corps de l'écrivain » 36.
24 Le narrateur convoque le même jeu de double, de clair-obscur, de lumière et d’ombre
inscrit dans le titre du roman, pour révéler au lecteur le personnage qui revient au lieu
de départ et enrichi d’une énergie relationnelle :
Ya no están. Se han marchado para siempre-consiguió decir al fin. […]. Las nubes
grises iban quedando atrás y, a cada metro que avanzaba, el día se hacía más
celeste. Abel no podía pensar, seguía noqueado, con la sangre corriendo sin orden
por sus venas.Lo único que sabía con absoluta certeza era que su viejo compañero
de carretera lo llevaba a una playa de Barbate donde una noche Abel había dejado
restos de sus propias cenizas37.
25 Le retour à la plage, lieu de la rencontre magique, lieu aussi de l'Éternel Retour est,
selon Mircea Eliade, celui de la Création38, pour l'écrivain.
26 Au terme de cette réflexion, les mises en perspectives à la fois spatiales et temporelles
du texte renforcent la dimension polysémique du mur. Murs physiques, murs
terrestres, murs maritimes, murs du corps, tous sont traversés par la rencontre du
personnage avec l'Autre. Plus qu’un espace géographique, le mur est un espace-temps,
à la fois clôture et ouverture, nomadisme et migration, lien entre le même et l’Autre,
termes que suggèrent la définition proposée par Glissant dans la Poétique de la Relation :
« La poétique ? Précisément cette double portée, d’une théorie qui tâche de conclure,
d’une présence qui ne conclut (…) de rien. Non point l’une sans l’autre. C’est par là que
l’instant et la durée nous confortent. Toute la poétique est un palliatif d’éternité » 39.

Conclusion
27 L’écriture explore la traversée des murs comme une mise en relation des deux espaces
inséparables à travers le corps et le mouvement circulaire du personnage combinant
vision politique et dimension poétique. Toute l’aventure d’Abel révèle combien le mur
est un sujet infini et fécond dans la littérature, territoire absolu de liberté qui nourrit
l’imaginaire et offre la possibilité d’interroger le monde et se recomposer avec l'Autre.
Sergio Barce, écrivain nomade, fait, à l’instar de Blanchot, le saut 40 de l'autre côté vers
un espace ouvert par le mouvement d’écrire, un voyage qui abolit le mur, et qui l’ouvre
vers d'autres rêves, d’autres lignes d'écriture qui fécondent tout l'univers fictionnel de
ses romans écrits depuis 2003. Il obtient en 2006 le Prix Murcia des trois cultures. Jean

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Genêt (1910-1986), écrivain et poète français et Juan Goytisolo 41 (1931-2017), romancier


espagnol de la Génération 50 sont enterrés à Larache.

BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Sergio BARCE GALLARDO, Sombras en sepia, Valencia, Pre-Textos, 2006.
2. « temps-espace » : la corrélation essentielle des rapports spatio-temporels, telle qu’elle a été
assimilée par la littérature. Mikhaïl BAKHTINE, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard,
1978, p. 237.
3. « Poétique des profondeurs. […]. Extension vertigineuse, non pas sur le monde, mais vers les
abîmes que l’homme porte en lui », Édouard GLISSANT, Poétique de la Relation, Gallimard, 1990, p. 36.
4. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 10.
5. Ibid., p. 31.
6. « Accepter l’opacité de l’Autre, tout l’Autre, l’imprévisibilité de ses choix, de sa nature réelle,
c’est déjà renoncer à dominer l’Autre, à dominer tout autre et par là à dominer le monde ».
Patrick CHAMOISEAU, Frères migrants, Paris, Seuil, 2017, p. 88.
7. Ceuta et Melilla sont sous contrôle espagnol, Melilla depuis 1497 et Ceuta depuis 1668.
8. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 89-90.
9. Ibid., p. 39.
10. Ibid., p. 131-132.
11. En 2005, cinq clandestins sont morts et plusieurs ont été blessés après avoir franchi
illégalement la barrière de l'enclave espagnole de Ceuta. Cf. « L’assaut d’immigrants sur l’enclave
espagnole de Ceuta a fait cinq morts », Le Monde (29/05/2005) [consulté le 3 mars 2021] <URL :
https://www.lemonde.fr/international/article/2005/09/29/l-assaut-d-immigrants-sur-l-enclave-
espagnole-de-ceuta-a-fait-cinq-morts_694052_3210.html>.
12. « Après avoir condamné le mur de Bush, l’Union européenne a financé dix ans plus tard le
premier mur contre l’immigration illégale à Ceuta et Melilla, deux enclaves espagnoles situées au
nord du Maroc. C’est le premier mur de l’espace Schengen, des barrières métalliques d’autant
plus efficaces que l’espace est très restreint. Frontex est le bras armé de l’UE sur les frontières
extérieures de l’espace Schengen ». Entretien avec Claude QUÉTEL, « Les murs font de la
politique », Question 4, Octobre 2015 < URL : https://le1hebdo.fr/journal/migrants-la-politique-
des-barbeles/77/article/les-murs-font-de-la-politique-1228.html>
13. « Un grand nombre d’immigrants irréguliers qui n’ont pas réussi à entrer en Europe ou ne
veulent pas courir le risque d’y aller construisent sur le territoire marocain, près de Ceuta et de
Melilla, des implantations provisoires considérées comme « une troisième nation » ou « une salle
d’attente », où ils ne peuvent ni atteindre leur Eldorado, ni retourner dans leurs pays d’origine ».
Saïd SADIKKI, « Les clôtures de Ceuta et de Melilla. Une frontière européenne
multidimensionnelle », revue Études internationales [on-line], Éd. Institut québécois des hautes
études internationales, vol. 43, no 1 (2012), p. 49-65 [consulté le 3 mars 2021] <URL : https://
www.erudit.org/fr/revues/ei/2012-v43-n1-ei5009237/1009139ar.pdf>.
14. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 49.
15. Ibid., p. 56.

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16. L’« intra histoire » que l’on peut définir comme ce qui fait l’essence du vécu de ses acteurs à
l’intérieur de ce que Ortega y Gasset appelait leur « circunstancia ». Pierre MINICONI, « Unamuno,
entre histoire et littérature », Acta fabula, vol. 6, no 2 (2005), [consulté le 8 mars 2021] <URL :
https://www.fabula.org/acta/document918.php>.
17. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 116.
18. « El escritor nos recuerda que el desarrollo económico actual ha vuelto a los españoles
arrogantes e insensibles a los problemas de esos inmigrantes que llegan en busca de un mínimo
de bienestar, también les ha hecho olvidar que hace apenas unas décadas muchos de los nuestros
se vieron obligados a emprender el éxodo por los mismos motivos », Irene ANDRES SUÁREZ,
« Inmigración y Literatura española actual : Las Voces del Estrecho » [on-line]. Revista de literatura
y cultura, Neufchâtel, 2004, p. 19 [consulté le 8 mars 2021] <URL: https://kb.osu.edu/handle/
1811/77517?show=full>.
19. « Depuis deux décennies, la Méditerranée regorge d’une multitude de projets de coopération
culturelle et économique, mais de nouveaux murs matériels et virtuels, destinés à réaliser « la
forteresse Europe », s’y sont également édifiés ». Said SADIKKI, op. cit., p. 1.
20. Édouard GLISSANT et Patrick CHAMOISEAU, Quand les murs tombent : l’Identité nationale hors la loi ?,
Paris, Galaade, 2007, p. 24.
21. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit ., p. 136.
22. Ibid., p. 98.
23. Claude QUÉTEL (oct.2015), « Les murs font de la politique ». Migrants, la politique des barbelés,
no 77 [consulté en mars 2021] < URL : https://le1hebdo.fr/journal/migrants-la-politique-des-
barbeles/77/article/les-murs-font-de-la-politique-1228.html>.
24. « El caso de los acuerdos firmados entre España y Marruecos en materia pesquera: un sector
que, al combinar los recursos naturales con las fronteras marítimas nacionales, ha constituido
tradicionalmente un capítulo de especial relevancia en las relaciones entre ambos países desde la
independencia marroquí del Protectorado español. Aunque no faltos de retos, estos tratados
siempre habían sido de naturaleza bilateral, beneficiando a ambas partes. Sin embargo, la
admisión de España en la Comunidad Económica Europea rompió el equilibrio de poder que
existía ». Alberto MONTEAGUDO CANALES, « Pateras Z: La zombificación de la inmigración
norteafricana en Las Voces del Estrecho », LL Journal, New York, vol. 13, n o 2 (2018), p. 5.
25. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 200-201.
26. Ibid., p. 183-184.
27. Édouard GLISSANT, Patrick CHAMOISEAU, op. cit., p. 25.
28. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 187-188.
29. Roland BARTHES, Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977, p. 52.
30. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 189-190.
31. Ibid., p. 190.
32. Ibid., p. 216.
33. Id.
34. « Las voces que llenan este libro […] hablan de unos personajes que se han extraviado por el
camino en su búsqueda del Paraíso, sorprendidos por espejismos sórdidos y caprichosos »,
Andrés SUÁREZ, op. cit., p. 22.
35. Édouard GLISSANT, L’intention poétique, Paris, Seuil, 1969, p. 182.
36. Roland BARTHES, Le degré zéro de l'écriture, Paris, Seuil, 1972, p. 17.
37. Sergio BARCE GALLARDO, op. cit., p. 240.
38. Mircea ELIADE, Le mythe de l’Eternel retour, Paris, Gallimard, 1969, p. 85-86.
39. Édouard GLISSANT, Poétique de la Relation, Paris, Gallimard, 1990, p. 197.
40. « Le saut est la forme ou le mouvement de l’inspiration », Maurice BLANCHOT, L'espace littéraire,
Paris, Gallimard, 1955, p. 233.

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41. Son roman España y sus ejidos (2003) aborde le thème de l’émigration en Andalousie et
dénonce les conditions de vie infrahumaines des travailleurs Marocains dans les serres de El Ejido
au Sud de l’Espagne.

RÉSUMÉS
Sombras en sepia raconte l'aventure d'un vieil homme, Abel, qui découvre sur une plage
andalouse, une jeune marocaine Nadja, accompagnée de son fils. Cette rencontre bouleversante
lui rappelle les souvenirs les plus intimes de sa jeunesse à Larache, un village du nord-ouest du
Maroc qu'il décide de revisiter avec un ami. Le déplacement de Málaga à Larache interroge
autant la complexité des récentes barrières construites à la frontière Sud pour freiner les
migrants que les relations tissées entre l'Espagne et son ancien protectorat depuis 1912. Dans le
voyage circulaire du protagoniste, le mur s'annule dans la Relation à l’Autre, entre réel et rêve,
nomadisme et migration, les deux faces de l’univers esthétique des romans de Sergio Barce
Gallardo écrits depuis 2003.

Sombras en Sepia narrates the adventures of an old man, Abel, starting on an Andalusian beach
where he discovers Nadja, a young Moroccan girl with her son. This encounter reminds him of
many intimate childhood memories in Larache, in the northwestern part of Morocco, and
motivates him to revisit with a friend this city. His move from Málaga to Larache questions both
the complexity of the barriers recently built on the southern Spanish border to curb migration,
as well as the evolution of the relationship between Spain and her former colony since 1912. In
this round trip in which the protagonist uncovers, the border slowly fades between reality and
dream, nomadism and migration, the two facets of the aesthetic universe created by Sergio Barce
Gallardo in his novels since 2003.

INDEX
Keywords : 21st century, novel, Spain, migration, border, identity, alterity
Mots-clés : roman, xxie siècle, Espagne, migration, mur, identité, altérité

AUTEUR
LYDIE ROYER
Université de Reims Champagne Ardennes

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