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accompagnés marocains
Avril 2018
L’équipe
L’équipe est constituée d’Alexandre Le Clève et d’Olivier Peyroux. Juriste et
sociologue de formation, ils travaillent depuis plus de 10 ans sur cette thématique au
sein d’associations et d’organismes publics en France et à l’étranger.
Des interprètes en arabe et en espagnol ont également participé à cette recherche.
1
La recherche-action est une méthode qui permet, à partir d’un recueil de données collectées auprès
d’une population, de mobiliser les dynamiques internes (propres au groupe étudié) et d’élaborer des
outils d’accompagnement afin de dynamiser le changement social.
2
Mineurs Non Accompagnés. La loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant a
rappelé la notion de « mineur privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille »
au sein de l’article L. 221-2-2 du code de l’action sociale et des familles (CASF).
3
A partir de 10 ans
4
Les autorités locales avancent le chiffre de 60% de consommateurs réguliers parmi ces jeunes.
5
“¡Solo valiente!” Los menores que migran solos de Marruecos a Cataluña. Empez Vidal, Núria
6
Le mode de consommation le plus courant consiste à verser quelques gouttes du produit dans un sac de
plastique puis placer le contour de l'embouchure du sac sur la bouche et sur le nez pour en inhaler les émanations
(vapeurs).
7
A partir de 10 ans
8
Des jeunes marocains ont pu être pris en charge par le Conseil Départemental du Finistère
9
Arabe dialectal parlée au Maroc. Quelques jeunes ont pu s’exprimer en français ou en espagnol.
I/ Historique du phénomène
Afin d’appréhender le phénomène des mineurs non accompagnés marocains en
Europe, il est tout d’abord nécessaire de revenir sur l’histoire récente de la migration
marocaine.
L’arrivée de travailleurs marocains en Europe est ancienne. Elle survient il y a plus
d’un siècle, principalement en raison des déficits de main d’œuvre causés par la
première guerre mondiale. Le nombre de personnes concernées reste cependant
relativement limité. Mais au cours des années soixante, l’essor industriel de l’Europe
de l’Ouest et les tensions politiques entre la France et l’Algérie, indépendante en
1962, vont décider plusieurs États européens à privilégier le recrutement de
travailleurs marocains au détriment des Algériens. Dès 1963, la France et
l’Allemagne de l’Ouest signent des accords de recrutement de main d’œuvre avec le
Maroc. En 1964, ce sera au tour de la Belgique puis des Pays-Bas, en 1969. Avec
les différentes politiques de regroupement familial, l’immigration marocaine change
de nature, d’une migration de travail perçue comme temporaire, elle se transforme
en une migration d’installation avec une présence familiale forte. Au début des
années 90, dans ces 4 pays (France, Belgique, Allemagne, Pays-Bas) elle atteint un
pic. Elle passe de 400 000 personnes en 1975 à 1 million en 1992. La fin des trente
glorieuses pousse les États d’Europe de l’Ouest à fermer leurs frontières et à
multiplier les contrôles. Le chômage et les difficultés de régularisation créent un
mouvement de retour vers le Maroc. Ainsi, entre 1985 et 1995 plus de 300 000
marocains quittent l’Europe de l’Ouest 10.
10
Cette statistique concerne uniquement la France, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas, elle
figure dans le rapport de Mohamed Beriane, Marocains de l’extérieur, Fondation Hassan II pour les
Marocains vivant à l’étranger, Rabat, 2013.
11
Graphique tiré de l’étude de Mohamed Beriane, Marocains de l’extérieur, Fondation Hassan II pour
les Marocains vivant à l’étranger, Rabat, 2013
12
Carte provenant du document : « La Région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima Monographie
générale » Royaume du Maroc Ministère de l’Intérieur Direction Générale des Collectivités Locales,
2015.
D’autres industries, encore plus précaires et toujours très féminisées, comme celle
du décorticage de crevettes, y sont aussi très développées. A la différence des
ouvrières du textile qui travaillent à l’heure, les personnes sont désormais
journalières et payées au poids.
Ce mouvement de délocalisation reposant sur une main d’œuvre à bas coût aux
frontières de l’Europe va continuer de s’amplifier les années suivantes. Le port en
eaux profondes Tanger Med, récemment construit et situé sur un axe commercial
stratégique, s’accompagne de la future création d’une mégalopole de l’industrie
manufacturière. Le groupe chinois Haite a déjà exprimé sa volonté d’installer une
partie de sa production dans ce futur pôle industriel. Si, à long terme, la concurrence
entre entreprises offrira, peut-être, des meilleures conditions aux salariés, à moyen
terme, les conséquences sociales sont nombreuses et inquiétantes. L’émigration des
mineurs marocains en Europe sans véritable perspective en est l’un des symptômes.
Femmes précarisées, enfants délaissés
Cette irruption de la mondialisation dans une société conservatrice et patriarcale
rend particulièrement difficile la situation des femmes et de leurs enfants. Beaucoup
de ces ouvrières proviennent de familles rurales où le mariage se décide tôt (entre
13
Amal Baba Ali, « le Maroc, Atelier géant d’INDITEX » In Les Eco.ma, 5 mai 2016
Les cas de divorces, de remariage ou d’enfants nés hors mariage sont conséquents,
alors que sur le plan législatif, l’avortement demeure interdit.
14
La majorité de MNA marocains originaires de Fès proviennent des quartiers de sidi Boujida, Sarij
Gnawa, Bab Ftouh et de la médina voir le rapport María Antúnez Álvarez Nora Driss Cotilla Rosa
García Rodríguez Sara Olcina Vilaplana De niños en peligro a niños peligrosos: una visión sobre la
situación actual de los menores extranjeros no acompañados en Melilla, Mellila, 2016.
15
Ces quartiers périphériques étaient auparavant des bidonvilles.
Rêve d’Europe
Dans ces nouveaux quartiers, les équipements en faveur de la jeunesse sont peu
développés par rapport aux besoins. Quelques efforts ont été entrepris par les
autorités avec la création de centres sociaux, cependant leur capacité d’accueil reste
très limitée. Les constats sont les mêmes concernant les équipements sportifs, les
transports publics, les espaces culturels, etc.
Livrés à eux-mêmes la majorité du temps, ces jeunes se retrouvent en petits groupes
sur des parkings ou des terrains vagues. Beaucoup consomment des stupéfiants,
comme nous l’ont indiqué les autorités locales, avançant même le chiffre de 60% de
consommateurs réguliers parmi ces jeunes. Le soir, ils descendent en groupe au port
de Tanger ville pour tenter de passer en Europe en se cachant dans un camion ou
un camping-car.
S’agissant des autres grandes villes du Maroc, des phénomènes similaires de
groupes de jeunes sont observés. Ils se déplacent de ville en ville. Certains décident
au bout d’un moment de tenter leur chance en Europe.
Pour les jeunes des localités rurales, la problématique n’est pas forcément très
différente même si les conduites à risque sont moins nombreuses. Eux aussi
cherchent, pour échapper à un avenir jugé déterminé, à tenter le riski 16.
Cette appétence des jeunes pour l’Europe, quels que soient leur profil, s’explique par
leur perception d’un avenir au pays qu’ils jugent bouché mais aussi d’un désir
d’accéder à un statut social mis en scène quotidiennement sur les réseaux sociaux
par leurs amis et connaissances partis en Europe 17.
16
Expression utilisée par ces adolescents provenant de l’anglais risky synonyme d’aventure, de
voyage initiatique voire de passage vers l’âge adulte.
17
“¡Solo valiente!” Los menores que migran solos de Marruecos a Cataluña. Empez Vidal, Núria
18
María Antúnez Álvarez Nora Driss Cotilla Rosa García Rodríguez Sara Olcina Vilaplana De niños
en peligro a niños peligrosos: una visión sobre la situación actual de los menores extranjeros no
acompañados en Melilla, Melila, 2016.
19
El cuestionario se ha realizado a 91 niños que se encuentran viviendo en las calles de Melilla. Este
cuestionario se realizó en dos fases. Primero se llevaron a cabo 46 entrevistas en los meses de
marzo a abril de 2015. Y, posteriormente, en las fechas de noviembre a diciembre del 2015, las otras
45.
20
La Purísima, el lugar del que huyen los niños en Melilla, el dirao.es, 4 août 2016
21
Ibid. P.45
22
La Purísima, el lugar del que huyen los niños en Melilla, el dirao.es, 4 août 2016
23
Cette distribution est assurée par des bénévoles, surtout des journalistes, regroupés autour de José
Palazon, journaliste et militant très engagé.
24
Ibid. Dans l’étude menée par Haranga, 35% des jeunes interrogés sont resté entre un et 6 mois à Melilla et
38% entre un et trois ans. P39.
Des relations existent entre les jeunes restés au centre et ceux qui ont fui. Ils
peuvent se retrouver dans des parcs de la ville pour consommer de l’alcool et de la
drogue. Lors de notre mission, nous avons pu constater l’état dans lequel se trouvent
certains jeunes. C’est à Melilla que beaucoup de jeunes consomment pour la
première fois de l’alcool, notamment de la vodka. Les filles se retrouvent aussi dans
ces lieux. Elles sont prises en charge par le centre et resteraient dans l’enclave de
Melilla pensant ainsi obtenir plus facilement un titre de séjour que les garçons 25.
Selon plusieurs témoignages, des formes d’emprise peuvent s’exercer. Des adultes
marocains les inciteraient à commettre des vols de portables dans le casino de
Melilla contre de l’argent et de la drogue (colle, cannabis…).
Pour ceux qui ont pu embarquer clandestinement sur un navire, ils arrivent à Malaga,
Almeria, ou encore à Motril (à côté de Grenade), destinations des liaisons maritimes
en provenance de Melilla.
25
Témoignage de deux jeunes filles recueillies lors de la mission à Melilla
Passage de la frontière entre le Maroc et Ceuta à pied / Mission Trajectoires Février 2017
Une fois entrés à Ceuta, la majorité des mineurs sont mis à l’abri. Cependant
l’absence de perspectives à Ceuta, fait que ces jeunes se retrouvent la journée ou le
soir pour tenter de passer. Cette période peut durer plusieurs semaines ou plusieurs
mois avant de réussir à passer caché dans un camion pour embarquer dans un
bateau. Ce passage est devenu de plus en plus difficile depuis l’apparition de
nouvelles barrières de sécurité. Le continent européen étant à quelques kilomètres
certains tentent le passage en patera.
En dehors de Ceuta les autres possibilités d’entrée sur le continent européen sont :
- le port de Tanger Ville notamment lorsque des touristes en camping-car vont
de Tarifa à Tanger ;
- le port de Tanger Med situé à 40 km de la ville de Tanger : c’est actuellement
l’entrée la plus empruntée. Le port fait 8 Km de long, les possibilités
d’infiltrations sont nombreuses et les côtes espagnoles ne sont qu’à quelques
kilomètres.
26
Il faut alors soudoyer les gardes frontaliers (environ 1500 euros)
27
Les prix nous ont été communiqués par les autorités espagnoles et sont concordants avec les
entretiens des jeunes.
28
Il convient d’être prudent sur ces chiffres car il s’agit de recoupements, des doublons sont donc
possibles
Centre d'accueil de mineurs en Catalogne/Moncada Les mineurs dorment dans des dortoirs
Mission trajectoires Mars 2018
29
En Espagne, les mineurs qui ont été intégrés dans le dispositif de protection de l’enfance peuvent le
réintégrer même après plusieurs fugues. Est compétente la communauté autonome qui l’a pris en
charge la première fois
30
Article 35 http://noticias.juridicas.com/base_datos/Admin/lo4-2000.html
31
Entretiens avec la juriste de la DGAIA et un avocat spécialisé en droits des mineurs
32
Il doit présenter un passeport ou à défaut un acte prouvant son identité, délivré par le consulat du
Maroc. A Barcelone, il semble que le consulat n’oppose pas d’obstacles à ce type de démarche,
contrairement à Malaga
33
Plusieurs mineurs nous ont confirmés cette « croyance » dans l’obtention d’un titre de séjour alors
même qu’ils ont vécu dans d’autres pays européens.
34
Daniel Senovilla Hernandez, rapport PUCAFREU « Promouvoir les droits des mineurs non
accompagnés et sans protection en Europe » disponible sur le site http://migrinter.labo.univ-
poitiers.fr/programmes-de-recherche/pucafreu/
2,7%
1,5%
Sexe N %
Noi 1875 95,8% Noi
Noia 53 2,7%
Noia
No consta a sini@ 30 1,5%
Total 1958 100% No consta a sini@
font: sini@
95,8%
40,0% 37,8%
Grup d'edat* N % 35,0%
Menys de 12 12 0,6%
12 anys 19 1,0% 30,0%
25,8%
13 anys 66 3,4%
25,0%
14 anys 176 9,0%
19,0%
15 anys 506 25,8% 20,0%
16 anys 740 37,8%
15,0%
17 anys 372 19,0%
18 o més 39 2,0% 10,0%
9,0%
No consta a sini@ 28 1,4%
5,0% 3,4%
Total 1958 100% 1,0% 2,0% 1,4%
0,6%
font: sini@ 0,0%
* edat actual (segons data naixement informada a sini@) Menys 12 anys 13 anys 14 anys 15 anys 16 anys 17 anys 18 o No
de 12 més consta a
sini@
Evolució anual Àfrica subsah. Magreb (excl. Marroc) Marroc Altra nacionalitat No consta TOTAL
gener 46 42 435 44 6 573
febrer 51 47 477 49 15 639
març 59 50 520 55 39 723
abril 65 50 552 65 62 794
maig 77 53 610 72 76 888
juny 83 57 659 81 81 961
juliol 99 63 762 89 93 1106
agost 107 77 858 100 110 1252
setembre 120 81 962 103 133 1399
octubre 137 93 1099 106 146 1581
novembre 154 108 1250 116 175 1803
desembre 164 122 1337 125 210 1958
2500
2000
1500
1000
500
0
gener febrer març abril maig juny juliol agost setembre octubre novembre desembre
Madrid
Quand les mineurs arrivent à Madrid, ils sont placés en fonction de leur âge dans un
centre d’accueil d’urgence pour une durée de 3 mois. Les deux principaux centres
sont saturés. Ainsi celui pour les 15 – 17 ans dispose de 25 places d’accueil et 9
V/ La situation en Suède
Tentatives d’adaptation contrastées
Les premiers mineurs marocains arrivés en Suède ont fait leur apparition en 2013
dans différentes villes : Stockholm, Malmö et Göteborg. D’après nos entretiens, leur
venue pourrait s’expliquer par les difficultés rencontrées avec les autorités policières
pour ceux venant de Berlin et avec la diaspora marocaine pour ceux de Bruxelles.
35
Entretiens avec des jeunes passés par le pays Basque
36
Certains de moins de 12 ans
37
On retrouve la même conception en Norvège
38
Le terme utilisé par le passé était gentleman agreement c’est à dire un accord diplomatique informel.
39
La législation espagnole renouvelle le titre de séjour quasi-automatiquement quand un ressortissant extra-
communautaire présente son contrat de travail et démontre que les charges sociales pour l’année écoulée ont
été payées.
40
Concept de repentance (tiré d’un passage de la Bible) développé par les églises néo-protestantes pour
justifier les conversions vers leurs mouvements. Ce concept est depuis utilisé par divers mouvements
fondamentalistes de toutes obédiences. Grâce au pouvoir de Dieu la personne à la révélation de sa mission sur
Terre c’est en ça qu’elle « renaît ».
Montpellier
C’est en 2015 que la PJJ voit apparaître quelques mineurs marocains avec un profil
très particulier (toxicomanie, ancrage dans la délinquance, etc.). Six de ces jeunes
sont alors incarcérés. En 2016, une cinquantaine est placée en détention. En 2017,
les chiffres sont en légère augmentation par rapport à 2016. Du côté de l’ASE, en
2016 près de 200 MNA marocains ont été admis dans le cadre d’une mise à l’abri.
En 2017, ce nombre aurait doublé. Ces mineurs sont le plus souvent hébergés dans
des hôtels autour de la gare. La durée de la prise en charge est variable, allant de
quelques jours à plusieurs mois.
Comme dans d’autres villes en France, ces mineurs sont en lien avec de petits
groupes criminels locaux (implantés dans les quartiers de Plan cabane et de
Figuerolle), qui leur sous-traitent une partie de la délinquance et du risque pénal. Les
types de délits sont les mêmes qu’à Paris et dans les autres régions observées: vol
de téléphones portables, vol à l’arraché, cambriolages à Montpellier et dans les villes
dans un périmètre allant de Nîmes à Perpignan. Les jeunes présents à Montpellier
45
Les parquets des mineurs de Bordeaux et de Bayonne ont alors mis en place une politique de déferrement très
ferme.
46
Ces mineurs utilisant de nombreux alias, leur nombre réel demeure difficile à déterminer car
lorsqu’un mineur est suivi par plusieurs associations il existe un doute si oui ou non il s’agit de deux
jeunes différents ou du même jeune.
47
Le mode de consommation le plus courant consiste à verser quelques gouttes du produit dans un
sac de plastique puis, placer le contour de l'embouchure du sac sur la bouche et sur le nez pour en
inhaler les émanations (vapeurs).
Pour ce faire, fin décembre 2017, le CASP (Centre d’Action Sociale Protestant), a
proposé un projet d’accompagnement de ces jeunes, en lien avec d’autres
partenaires associatifs (acteurs du travail de rue connaissant ces jeunes,
notamment l’association Aux captifs la Libération et l’association Trajectoires). Il a
ainsi mis en place une maraude et mène un travail très conséquent pour l’accroche
de ces jeunes. Des mises à l’abri la nuit leurs sont proposées encadrées par une
équipe spécialisée. D’importants progrès lors du repas du soir et des nuits
concernant le respect du cadre ont été observés. Cependant, la très grande mobilité
de ces jeunes rend compliqué la mise en place d’un suivi à moyen terme et
l’adhésion à des propositions éducatives de droit commun.
Ce programme de prise en charge a été doublé d’un partenariat spécifique avec
AMESIP, association Marocaine d’aide aux Enfants en situation précaire, qui est
venue à plusieurs reprises à Paris afin d’aider les acteurs publics à poser un
diagnostic et établir un contact avec les enfants, sera mis en place afin de construire
des projets en commun et de bénéficier de sa connaissance de l’environnement
d’origine des jeunes et des problématiques liées à l’errance des rues.
Par ailleurs, un partenariat avec le Centre Babel, centre ressource européen et
clinique transculturelle et le Professeur Moro, ethnopsychiatre, a été mis en place
afin d’assurer une supervision de l’équipe et assurer le fonctionnement du dispositif.
Enfin, l’engagement de la Ville de Paris a depuis le départ été envisagé en
partenariat étroit avec la Préfecture de Police, ainsi que les services du ministère de
la Justice, des mesures plus contraignantes pouvant être prises pour une partie du
public visé.
Le groupe présent depuis plus d’un an est surtout composé de majeurs de Fès dont
certains continuent à se déclarer mineurs, davantage ancrés dans la délinquance et
qui gèrent mieux leur consommation de produits stupéfiants. Ils vivent dans des
squats du 18ème et du 19ème arrondissement de Paris. D’après les entretiens, ils sont
surtout spécialisés dans les cambriolages et utiliseraient probablement des plus
jeunes pour entrer dans des pavillons de banlieue. Ces éléments déclaratifs, peuvent
être recoupés avec des interpellations policières, depuis près d’un an, pour des
cambriolages effectués par des jeunes marocains à Paris et en région parisienne
(77, 78, 91 et 94). Ces « équipes » sont souvent désignées par la presse locale
comme appartenant aux « gangs des bledards » 48. Le même modus operandi est
utilisé :
- utilisation de mineurs très jeunes (à partir de 9 ans déclaré) ;
- effraction simple en brisant une porte vitrée ou une fenêtre ;
- vol d’appareils multimédia, d’argent liquide et de bijoux ;
- consommation des denrées alimentaires et d’alcool trouvés sur place, voire
installation in situ pour quelques jours.
Bien que ces éléments soient très partiels, ce type de vols nécessite une
organisation allant du repérage des maisons jusqu’au recel des produits volés. Cela
démontre a minima que ces mineurs ne sont pas totalement indépendants et que
leurs activités ne se limitent pas à de la délinquance de subsistance.
Les profils des jeunes de passage à Paris pour quelques semaines ou qui pratiquent
des allers-retours avec d’autres villes françaises ou d’autres pays sont variés. Ils
proviennent de différentes villes du Maroc avec une proportion importante de
mineurs originaires de Tanger, de Fès et de Casablanca, issus des quartiers
48
https://actu.fr/ile-de-france/thorigny-sur-marne_77464/thorigny-sur-marne-quatre-membres-gang-
bledards-interpelles_13302996.html
Sur la base des observations réalisées 49, nous pouvons estimer la répartition des
mineurs passés par Paris selon leurs profils sociologiques de la manière suivante :
- 40% proviennent de familles rurales et néo-urbaines pauvres (avec ou non de la
famille en Europe) ;
- 40% sont issus de familles présentant des problématiques de rejet de leur enfant
lié à un remariage ou autres (violences intrafamiliales, etc.) ;
- 10% présentent un long parcours d’errance au Maroc avec des comportements
d’enfants des rues ;
- 10 % proviennent de familles appartenant aux classes moyennes.
Derrière l’étiquette « MNA marocains » se cache de fortes disparités entre les jeunes
sur le plan scolaire, sur les liens qu’ils entretiennent avec leur famille, sur la présence
ou non de proches en Europe. En fonction de l’âge de départ, des traumatismes
vécus sur la route (violence, abus sexuels), du niveau de consommation de produits
stupéfiants, leur capacité à évoquer leur situation actuelle et passée est très variable,
tout comme celle à se projeter dans l’avenir. Les mêmes éléments affectent leurs
ressources psycho-sociales, les exposant à des difficultés à respecter des règles et à
se socialiser. La grande majorité de ces jeunes n’ont pas de projet migratoire précis.
49
En lien avec les observations de Mercedes G. Jiménez-Álvarez.
Les travaux 51 de Maria won Bredow portant sur 4 monographies de jeunes sur une
période de 3 ans démontrent une mobilité extrême en Europe :
51
Maria won Bredow”De kan alltid hitta mig” Studie om människohandel och utsatta barngruppers
livsvillkor, Länsstyrelsen i Stockholm, 2018 accessible en suédois sur
http://www.lansstyrelsen.se/Stockholm/SiteCollectionDocuments/Sv/publikationer/2018/R2018-03-De-
kan-alltid-hitta-mig-WEBB.pdf
Comme nous l’avons expliqué, ces mineurs oscillent entre actes contraints, sous-
traitance de délinquance et opportunisme. Si la question de la traite des êtres
humains doit se poser, en l’absence d’une organisation criminelle unique, elle
demeure difficile à prouver. Ces mineurs semblent connaître des exploitations
temporaires davantage que continues. Ces formes d’exploitation (contrainte au vol et
à la vente de drogue) ne sont pas toujours connues par les policiers (en charge de
l’identification des victimes en France) car les jeunes ne donnent aucune information
par peur de représailles ou parce qu’ils ne souhaitent pas bénéficier d’une protection
en France. De manière générale, dans l’Union européenne à l’exception du
Royaume Uni, les enfants victimes ne sont que très peu identifiés. En Espagne, lors
du 1er cycle d’évaluation du GRETA (groupe d’experts du conseil de l’Europe) en
Cas 1 : Le jeune D., placé depuis 3 ans en Suède dans une famille d’accueil, est
parti du jour au lendemain. Il a expliqué avant son départ que sa famille était
menacée et qu’il devait leur envoyer 3000 euros sans donner plus d’informations.
D’après différents recoupements, cette dette serait liée à une demande de rançon.
Le petit frère de D. après avoir réussi à passer clandestinement en Espagne aurait
été kidnappé près de Grenade par des compatriotes. Une demande de rançon de
3000 euros a alors été faite à sa famille. Pour trouver cette somme, ce jeune est parti
à Paris en espérant pouvoir réunir l’argent très rapidement en commettant des vols.
Lors d’une visite de terrain des Suédois à Paris, le jeune D a pu être repéré et
finalement protégé en Suède.
En raison des différentes définitions concernant la traite des êtres humains et des
pratiques judicaires et policières, ce jeune n’aurait probablement pas été considéré
comme à risque de TEH en Espagne, en France ou en Allemagne.
Cas 2 : Le jeune M, arrivé à Stockholm, est amené par un copain qu’il connaît du
Maroc dans un appartement où des majeurs algériens lui confisquent ses papiers et
le menacent. Pour récupérer ses documents, ils lui demandent de revenir dans une
semaine avec 4500 euros. Incapable de réunir cette somme, M se retrouve ensuite
52
Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la
traite des êtres humains par la France DEUXIÈME CYCLE D’ÉVALUATION Adopté le 31 mars 2017
Publié le 6 juillet 2017, Conseil de l’Europe, Strasbourg. Accessible sur https://rm.coe.int/rapport-
concernant-la-mise-en-oeuvre-de-la-convention-du-conseil-de-l-/168073c728
53
Maria won Bredow ”De kan alltid hitta mig” Studie om människohandel och utsatta barngruppers
livsvillkor, Länsstyrelsen i Stockholm, 2018
María Antúnez Álvarez Nora Driss Cotilla Rosa García Rodríguez Sara Olcina
Vilaplana De niños en peligro a niños peligrosos: una visión sobre la situación actual
de los menores extranjeros no acompañados en Melilla, Melila, 2016.
Maria won Bredow, De kan alltid hitta mig” Studie om människohandel och utsatta
barngruppers livsvillkor, Länsstyrelsen i Stockholm, Stockholm 2018
Laurence Boutreux « A Melilla la nuit, des enfants font le "riski" vers l'Europe » In
AFP, 08 juin 2017
Empez Vidal, Núria ,"¡Solo valiente!" Los menores que migran solos de Marruecos
a Cataluña , Thèse de Doctorat, Université Autonome de Barcelone, 2015.
Annexe : Liste des personnes avec qui nous nous sommes entretenues
France
Rennes :
· 2 représentants du renseignement départemental et 1 de la direction
départementale de la sécurité publique (Ministère de l’Intérieur)
· Le responsable et des éducateurs(3) du Service au Pôle Précarité Insertion
(Ville de Rennes)
· La permanence de la cellule Mineurs Non Accompagnés (Conseil
Départemental d’Ille et Vilaine) 3 éducateurs et la responsable
· M. Morvan, ancien responsable de la cellule MNA
· Le procureur de la République de Rennes
· Équipe PJJ) (éducateurs, psychologue, responsable)
· 2 travailleurs sociaux d’Optima (acteur qui intervient dans le champ de la
médiation sociale) et échanges téléphoniques avec le responsable
· Des entretiens ont pu être menés auprès de 3 mineurs marocains et 1
mineur algérien dans la rue
· Des entretiens auprès de 2 mineurs pris en charge
· Des entretiens auprès de 10 jeunes majeurs (Puzzle, République)
· Grégoire Kotras, ancien responsable du Service Prévention de la
Délinquance – Médiation (Ville de Rennes) et de la Mission Prévention
Spécialisée (Rennes Métropole) et Sandrine Landais, Chargée de mission -
Prévention de la Délinquance et Médiation – Ville de Rennes
Référente "Occupation illicites de l'espace public" / Référente territorial des
quartiers Centre et Ouest.
Brest :
Nantes :
- Maxime Boidin, Directeur Enfance Familles, Département de Loire-Atlantique
- Équipe de la cellule MNA Association Saint Benoit Labre
Espagne
Melilla
- Save the children.
- Irène, journaliste, El Faro
- José Palacon, journaliste et activiste
- 6 jeunes marocains dont deux filles
Ceuta
- Centre d’accueil de jour pour les mineurs
- Journalistes, éducateurs et activistes (souhaitant garder l’anonymat)
- Entretiens avec 7 jeunes
Madrid
- Violeta Assiego, Sociologue
- Laurence Boutreux, journaliste
- Maria Segurado, Caritas Madrid
- 4 mineurs et 2 majeurs
- Foyer de l’enfance, Hortaleza
Barcelone
- Nuria Empez, anthropologue
- Susana Feran, éducatrice
- Albert Parés i Casanova, avocat
- Olga Felis Prósper, juriste DGAIA
- Éducateurs de l’association Gedi
- 2 jeunes majeurs, de retour d’Europe
- 2 mineurs marocains
Maroc
Tanger
Remerciements