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Enfance abandonnée

au maroc
Ampleur,
état des lieux juridique et social,
prise en charge,
vécus.

La Ligue Marocaine
pour la Protection de l’Enfance
Dessins des enfants pris en charge par les crêches de la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance.
Crédit photo couverture : UNICEF/MOR 2007/GIACOMO
Crédit photos intérieur : UNICEF/MOR2010
Crédit photos intérieur : MJB /Mor 2010/MJB
Enfance abandonnée
au maroc
Ampleur,
état des lieux juridique et social,
prise en charge,
vécus.

1
2
Article 7
Tu as le droit à un nom et une nationalité ;

Article 8
Tu as le droit à une identité et à sa préservation ;

Article 19
Tu as le droit à la protection contre la maltraitance et
la négligence ;

Article 21
Tu as le droit à une bonne protection lorsque tu vis avec
une famille adoptive ou dans une institution de protection
des enfants ;

Article 23
Tu as le droit à une protection et à une éducation spécialisée
lorsque tu souffres d’un handicap physique ou mental pour
que tu puisses vivre normalement comme les autres ;

Article 25
Tu as le droit à ce que les responsables concernés s’assurent
que tu vis dans de bonnes conditions lorsque tu vis dans
un autre lieu autre que le domicile de ta famille telles
que les institutions de protection de l’enfance
ou de rééducation ;

Article 39
Tu as le droit à une assistance appropriée lorsque tu es exposé
à la violence, la négligence ou au mauvais traitement ;

Guide des droits de l’enfant


Ministère de la Justice & Unicef

3
Sommaire
Contexte, objectifs et méthodes d’étude...................................................................................................................................6
Introduction ...............................................................................................................................................................................................18

Première partie  : Repères ......................................................................................................................................18


Approche Documentaire ...................................................................................................................................................................22
Conventions internationales, lois ................................................................................................................................................22

Chapitre premier. L’abandon : le droit, les recherches, les programmes ..........................................................22


I-Dispositions juridiques relatives aux enfants abandonnés ........................................................................................22
II-Etudes et recherches ....................................................................................................................................................................26
III-Intervenants, programmes, actions .....................................................................................................................................31

Chapitre second. Données et analyse de l’existant ........................................................................................................40

Chapitre troisième. Etat des lieux, données quantitatives ........................................................................................46


Données régionales

Chapitre quatrième : Synthèse des données régionales, ..........................................................................................74


Mesure d’ampleur

Chapitre cinquième : Justice, actions en chiffres ............................................................................................................82


I- Données exhaustives sur l’abandon .....................................................................................................................................82
II - La Kafala données nationale ....................................................................................................................................................84
III- Rapports à la loi, des acteurs de la prise en charge ...................................................................................................85

Seconde Partie ..............................................................................................................................................................92


Vecus de l’abandon et prise en charge ....................................................................................................................................92
vécus de l’abandon, côté victimes .............................................................................................................................................98
vécus de l’abandon, côté auteurs .............................................................................................................................................112

Chapitre premier : Différents vécus, les uns, les autres ..............................................................................................92


I-Vécus de l’abandon ...........................................................................................................................................................................92
II-Récits .......................................................................................................................................................................................................98
III-Auteur(e) s de l’abandon .........................................................................................................................................................112

Chapitre second : Prise en charge de l’abandon à la naissance ............................................................................124


I-Analyse de l’existant ......................................................................................................................................................................124
II-Structures d’accueil ......................................................................................................................................................................128
III-Contraintes des acteurs ............................................................................................................................................................138

Chapitre troisième : Lutte contre l’abandon ....................................................................................................................144


Conclusions : ....................................................................................................................................................................153
Analyse SWOT de l’abandon et des acteurs, recommandations, actions. ........................................................154
Recommandations Atelier de présentation .........................................................................................................................159

4
5
Contexte
et méthodes

I - Objectifs et périmètre de l’étude Axes majeurs de recherches


Le travail de recherche mené a été initié par la Ligue
Marocaine pour la Protection de l’Enfance (LMPE)avec Afin de répondre à l’ensemble des objectifs, global et
le soutien du Fonds des Nations Unies pour l’Enfance spécifiques, du cahier des charges, l’étude menée a
(«UNICEF»). différencié trois volets principaux :

L’étude réalisée s’inscrit dans le cadre d’une • D’analyse du dispositif juridique national, en
volonté, formulée par la LMPE, visant à identifier les rendant compte des,
caractéristiques majeures de la réalité de l’abandon Stratégies, programmes, élaborés avec les actions
d’enfants à la naissance au Maroc. menées par les départements en charge
de la question.
Conventions relatives aux droits de l’enfant, aux
Un objectif global : discriminations liées au genre, ouvrages, enquêtes
Identifier les modalités actuelles de la problématique traitant de la question de l’abandon (principalement
de l’enfance abandonnée à la naissance, à des niveaux celles menées par la ligue).
d’appréhension, d’ampleur, de type de prise en
• De mesure de l’ampleur du phénomène de
charge, de vécus, d’environnement, social, juridique et
l’abandon au Maroc tenant compte,
institutionnel
Des sources d’informations les plus adéquates -afin
d’éviter un double comptage de l’enfant-,
Des questionnements spécifiques : et des spécificités régionales;
Des données susceptibles d’être recueillies et relatives aux
• La perception relative à l’abandon d’enfants à la
mères, afin d’appréhender les configurations possibles de
naissance, est évaluée comme en progression : quelle
l’abandon (sociologiques, économiques, éducatives…);
réalité ? Quels fondements ?
• De prise en charge, tenant compte,
• Une différenciation est effectuée entre filles et garçons :
Des éléments de vécu des catégories concernées et/ou
le placement en kafala en particulier, est décrit comme
touchées par l’abandon : auteurs, victimes ;
bénéficiant davantage aux filles. Quels critères à l’origine
Des particularités des différents acteurs et de leurs domaines
de cette discrimination
prioritaires (prévention, prise en charge,soutien);
De la stratégie d’intervention et de prise en charge : rôles
Une finalité : et missions des différents acteurs, actions menées,
générales et spécifiques, moyens, attentes.
• L’état des lieux permettra, à partir d’éléments de réalité et
d’une analyse de l’existant,

• De rendre compte de l’opportunité d’une action de plaidoyer


en faveur de l’enfance abandonnée ;

• De fournir les fondamentaux pour un Plan National de Protection


de l’Enfance Abandonnée à la naissance : plan d’intervention,
implication et fédération des acteurs, actions collectives;

• De structurer les thématiques majoritaires d’une stratégie


d’aide et de soutien des acteurs impliqués dans la prise en
charge de l’abandon.

6
II-Approche et méthodologie d’étude

1. Dispositif méthodologique 3. Réaménagements


Le dispositif méthodologique initial prévoyait une 3.1. Méthodologie qualitative
approche mixte, qualitative et quantitative:
Pour une plus grande adaptation aux contraintes évoquées
• Une approche qualitative, réalisée au moyen
d’entretiens (80 au total), à mener en direction des au travers de ces données préalables de terrain, l’étude
acteurs de la prise en charge, institutionnels, auteur(e) qualitative réaménagera le dispositif méthodologique :
s et victimes de l’abandon;
• En usant d’intermédiations susceptibles de permettre
• Une approche quantitative, de mesure d’ampleur l’accès à l’information,
de l’abandon d’enfants à la naissance, à partir de
donnéesfournies sur un échelon national : collecte • En collectant l’information en fonction des contraintes, à
de données chiffrées pour construire un échantillon travers à la fois son expression ‘officielle, formelle’, à travers
avec des paramètres et des variables structurés,
également, son expression ‘non officielle, informelle’.
en vue de fournir des indicateurs de mesure et
de causalités, susceptibles de donner lieu à des • En multipliant les sources d’information afin de valider,
projections.
relativiser ou infirmer, les discours ou données, obtenus.
2. Contraintes de l’existant • En conséquence, et considérant la diversité des cibles
et obstacles à la réalisation susceptibles d’intervenir dans la question de l’abandon, le
de l’étude dispositif qualitatif prévu s’avérera ‘insuffisant’. Aussi :

L’étude globale, a été effectuée dans un contexte de • Des cibles additionnelles seront rencontrées (mères
réticence, le plus souvent fermé à toute divulgation de célibataires, parents adoptifs, intervenants du secteur
données relatives à l’abandon.
hospitalier) ;
• La quasi totalité des intervenants rencontrés, a
• Des entretiens supplémentaires seront menés en vue de
conditionné les échanges et la délivrance de données
chiffrées, à autorisation préalable, (non obtenue) des confronter différents discours des équipes opérationnelles
dirigeants associatifs, des institutionnels et ministères de en charge de l’abandon d’enfants ;
tutelles, ‘Justice, Santé, Sureté Nationale, Intérieur’…
• Les focus groupes initiaux (2) menés, seront multipliés en
• Des intervenants nombreux, impliqués à des niveaux fonction des nécessités de terrain, auprès d’intervenants
variés, de manière directe ou indirecte dans la question de
de la justice (1), d’équipes associatives (4), hospitalières
l’abandon, se sont avérés réfractaires à toute procédure
de formalisation des échanges, susceptible de porter (2). Ces focus regroupaient, en fonction des situations,
une parole officielle sur l’abandon. des effectifs variables, entre 3 à 5 personnes.

Les tableaux suivants présentent une synthèse non exhaustive du dispositif qualitatif réalisé lors de l’étude,
auprès de différents intervenants appréhendés comme ‘cibles’ ou ‘catégories’ :

7
Analyse de l’existant prise en charge, secteur associatif

Tableau 1 Cibles Entretiens Entretiens de groupes ; focus

Membres de comité ;
27
Dirigeants
Membres équipes
15 4
opérationnelles;
Secteur
associatif Assistantes sociales 8

Infirmières 4

Total entretiens 54

Total groupes 4

Analyse de l’existant, prise en charge, secteur hospitalier

Tableau 2 Cibles Entretiens Entretiens de groupes ; focus

Directeurs de régions,
Directeurs de centre 26
hospitaliers ou de Délégations

Assistantes sociales
préfectorales ; de délégations,
29 1
assistants et assistantes
Secteur sociales.
hospitalier Infirmiers, infirmières ; majores
6
de maternité
Médecins, chefs de services,
7
gynécologues ; pédiatres
Autres (statisticiens) 2

Total entretiens
69 1
Total groupes

Etude de vécus

Tableau 3 Cibles Entretiens

Victimes
Adultes
24
Volet vécu de Adolescents
l’abandon ; Enfants
Auteurs, Auteurs/ auteures 23
Victimes
Mères célibataires 9
d’abandon
Mères célibataires
Intermédiaires dans le secteur de l’illégal (‘courtiers’ en matière d’adoption
Parents adoptifs 4
irrégulière).
Intermédiaires
Parents adoptifs 7

Total entretiens 67

Volet documentaire : institutionnels

Tableau 4 Cibles Entretiens focus

Ministère de la justice 4

Volet documentaire
Procureurs du Roi et substituts 5 1

INDH 1

Total entretiens 10
Focus 1

8
3-2- Traitement et analyse de l’information Concernant les acteurs,
qualitative
A la nécessité de porter un regard autre que subjectif,
‘caritatif’, permettant le passage vers la question du
Supports qualitatifs droit de l’enfant, avec les exigences d’une attitude
professionnelle, qualitative et relationnelle, à différents
Des guides d’entretiens (9) ont été préalablement
niveaux de gestion et de prise en charge.
conçus pour être destinés aux différentes catégories
cibles de l’étude, et structurés pour une animation semi Concernant la problématique globale
directive et non directive.
De fournir, décrire et différencier, les éléments d’une
Les entretiens et focus (formels) menés, ont été ‘complexité’ le plus souvent attribuée au phénomène
enregistrés et retranscrits intégralement pour de l’abandon, en abordant avec ‘lucidité’ les thèmes
dépouillement thématique et analyse de contenu. qui fédèrent la collectivité mais aussi en pointant les
questions occultées ou insuffisamment abordées.
Les entretiens et focus informels, échanges, entretiens
téléphoniques menés, ont été consignés par écrit et
exploités avec la même approche. 3.3. Etude quantitative
La collecte des données relatives à l’abandon a
Analyse de l’information  été soumise aux mêmes contraintes que celles
Les moyens utilisés, enregistrement, retranscription, précédemment évoquées :
dépouillement thématique, permettent de contrer toute • Refus et résistances des intervenants ; ‘confidentialité’
attitude subjective pouvant succéder à l’omission de de l’information et nécessité d’autorisation de Ministères
l’information obtenue. Ils permettent par ailleurs une de tutelles (Santé, Justice,…) ou de décideurs associatifs ;
approche qui pointe, reproduit, hiérarchise, les ‘items existence de discours contradictoires relatifs aux
et verbatim’ les plus redondants du discours obtenu, données chiffrées de l’abandon…
qui opère des différenciations de cibles, en termes de
perceptions, d’attitudes ou de positions. Ce processus • Absence d’homogénéité des données relatives à
est préalable à l’analyse du contenu informationnel, l’abandon, avec l’existence chez les uns, de tableaux de
méthode la plus utilisée pour une approche relative au bords simplifiés à l’extrême, à deux variables (entrants,
fonctionnement humain. sortants) chez les autres, des tableaux à trois ou quatre
Un second niveau d’analyse, ‘extérieur à la subjectivité et variables (Kafala, décès, transferts)…., éléments qui
à la prise de position’ (en dehors des fondamentaux des rendront impossible à la fois l’uniformisation des
droits humains, ici droits de l’enfance) visera à interroger données et la synthèse de l’information sur la période
les concepts, idées, représentations admis ou transmis, test de l’étude.
et relatifs à la problématique de l’abandon, tenant Ces obstacles ont également mené à la collecte de
compte à la fois des discours, des ‘résultats d’étude’, données fournies ‘officiellement’ et de manière ‘non
d’expériences et de pratiques cliniques évoquées… officielle’. Les informations ‘non officielles’ nécessiteront
Ces éclairages ambitionnent notamment de susciter le cependant, pour être ‘publiées’, un second temps
débat relatif, de validation au moyen d’intermédiations auprès de
responsables, à travers une procédure d’enquête
Concernant les parents de l’abandon,
téléphonique auprès des délégations provinces, dotées
A la question de la sexualité, avec d’un côté les interdits,
de structures associatives ou hospitalières.
les discriminations de genre, et de l’autre, des évolutions
sociales, l’objectif étant ici de réfléchir à des moyens de L’enquête téléphonique sera également utilisée dès lors
prévention susceptibles de se traduire par une baisse qu’un intervenant, acteur, en provenance d’une localité,
des abandons d’enfants ; région ou institution, refusera, pour des raisons variées,
de souscrire à une démarche d’entretien de face à face.
Concernant les enfants abandonnés,
A la question de la prise en charge, l’objectif étant ici de L’étude quantitative considérera les données fournies,
pointer à la fois les progrès sensibles entrepris par les
• Par le secteur associatif en charge de la gestion de
acteurs, leurs difficultés, attentes, et de les confronter aux
différents vécus des victimes, afin de réfléchir aux éléments l’abandon d’enfants,
d’une adéquation possible entre ‘offre et besoins’. • Par le secteur associatif mené à intervenir dans la
Concernant les parents de l’adoption, prévention de l’abandon,
Au traitement actuel de la question par les acteurs, • Par le secteur hospitalier en charge de la gestion de
en rendant compte à la fois des progrès obtenus, des l’abandon d’enfants,
difficultés du présent, mais aussi en soulevant la question
• Par le Ministère de la Justice,
du secret de l’adoption, et des impacts défavorables au
développement de l’enfant. • Par la Sécurité Nationale.

9
4. Premières données et impacts • L’accès au registre souche est par ailleurs plus ou moins
disponible, en fonction des structures, certaines d’entre
de méthodologie elles disposant de données ‘anciennes’, ‘contenues et
Les premières données relatives à l’abandon d’enfants à la
archivées dans des cartons’ et ‘inaccessibles’.
naissance, indiquent des tendances structurelles avec:
• En fonction des structures, de leur ancienneté dans le
• Une variation des effectifs d’une année sur l’autre, ‘secteur de l’abandon’, et des régions, les informations
variation non caractéristique des naissances ‘normales’ sont consignées à des dates plus ou moins récentes,
qui connaissent une croissance logique ; ne permettant pas d’étudier leur variation sur la période
‘test’ de l’étude ‘ (1998-2008).
• Une mobilité de l’abandon, avec un déplacement des
mères en dehors de leur milieu d’origine. Aussi ‘les • Variables  : elles sont hétérogènes, partielles,
spécificités régionales’ seront-elles à appréhender avec discontinues, rendant impossible la comparaison des
prudence : le plus souvent, ces ‘spécificités’ rendront données et la synthèse de l’information.
compte d’une réalité complexe, avec l’itinérance des
Les différentiels filles/garçons, ne sont pas effectués de
mères auteures d’abandon vers des lieux appréhendés
façon systématique : tout au plus observe-t-on depuis
comme comparativement, moins porteurs de risque
2004, plus clairement depuis 2007, une tendance au
pour l’accouchement et la naissance de l’enfant et ce,
sein de certaines structures en charge de l’abandon, à
tenant compte du contrôle exercé, sur les femmes en
effectuer ce type de segmentation.
particulier, par la famille et de la société.
Les variables relatives au devenir de l’enfant admis
• Une double réalité relative à la question de l’abandon : (‘kafala’, ‘transfert’, ‘repris par ses parents’, ‘décès’)
d’un côté, un abandon visible qui se traduit soit par un ou à son état de santé, s’appréhendent différemment,
placement en milieu institutionnel, soit par un abandon lorsqu’elles existent, en fonction des structures : ici dans
direct effectué ‘chez le juge’ ; de l’autre, un abandon qui un rapport à l’ensemble des pensionnaires, là dans un
se dissimule et se gère en dehors de la légalité.
rapport aux nouvelles admissions (objectif de l’étude), là
Les données fournies et relatives à l’abandon d’enfants encore en fonction des années, avec des informations
à la naissance, indiquent des tendances associées partielles. Une grille à double lecture, qui introduira par
au contexte et à l’environnement  actuel de collecte exemple, un différentiel par sexe, sera encore plus
d’information, au Maroc, difficile à structurer.
• Avec des moyens rudimentaires de consignation des Aussi, seule la variable ‘admissions’ (nouveaux entrants)
données relatives à l’enfance abandonnée et placée : sera-t-elle généralement accessible de manière
l’informatique faisant le plus souvent défaut, ces systématique, et pour certaines provinces, uniquement
informations sont majoritairement consignées dans des pour l’année 2008.
registres réservés à cet effet. En fonction des ‘registres’,
des équipes, (des changements d’équipes), et des 4.1. Sources d’information, relatives
années, les données consignées varient sensiblement. aux abandons à la naissance

• En fonction des structures et des intervenants, les Les premières données d’étude identifieront deux
variables de l’abandon, consignées dans les registres sources d’informations relatives à l’abandon à la
ou synthétisées par les équipes, seront plus ou moins naissance, objet de l’étude :
succinctes  : les variables les plus communément
consignées et considérées par les équipes, sont relatives • La source hospitalière comme premier lieu de passage
aux ‘entrants’, ‘sortants’, et ‘kafala’. D’autres structures ou d’accueil de longue durée de l’enfant abandonné : le
considéreront des données additionnelles qu’elles plus souvent cette source sera la plus ‘complète’ pour
intègreront dans leurs statistiques, ‘décès’, transferts’, refléter une réalité du ‘total abandons nouveaux’, car
lieux d’abandon… (une seule entité permettra d’obtenir avant le transfert de l’enfant vers une autre structure
des informations conformément aux objectifs de l’étude associative, lorsqu’elle existe, des ‘kafalas’ d’enfants
et à la période test ; ici, par ailleurs, l’accès au registre sont possibles;
permettra d’examiner des éléments associés aux
typologies des mères). • La source associative comme lieu d’accueil et de séjour
de l’enfance abandonnée à la naissance. Cette source
• L’accès au registre est plus ou moins contrôlé en reflètera d’autant plus la réalité des ‘nouveaux abandons’
fonction des structures, de leur disponibilité, volonté qu’elle est, dans une ville ou province considérées,
de collaboration, voire de leur niveau de transparence : l’unique structure d’accueil et de recueil de l’enfant
certaines, en dépit de la disponibilité d’une information
abandonné.
plus exhaustive, fourniront ‘leurs statistiques’ sommaires,
sous formes de tableaux, excluant toute investigation En fonction des situations, de la fiabilité de l’information,
approfondie. de son exhaustivité, de la prépondérance des structures

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en charge de l’abandon, de l’existence d’une structure • Lors d’une première étape, d’accéder aux seize
unique, l’une ou l’autre des sources, hospitalière ou Directions régionales de la Santé, d’aller à la rencontre
associative sera considérée dans la collecte des données des deux sources, associatives et hospitalières;
exhaustives : dans certaines régions ou localités où le • Lors d’une seconde étape, de collecter l’information
secteur associatif est absent, seul le secteur hospitalier complémentaire auprès des localités, provinces dotées de
est en mesure de fournir l’information. structures d’accueil de l’enfant abandonné, associatives,
hospitalières.
Dans d’autres régions, la source hospitalière reproduit
plus fidèlement l’effectif des abandons dans la mesure Le tableau1, joint en annexe de ce rapport, indique les
où, comme indiqué plus haut, certains d’entre eux seront sources utilisées en fonction des régions ou structures,
destinés ‘directement à la kafala’ et ne transitent pas avec les modalités dominantes de prise en charge,
assurées par l’un ou l’autre, voire l’un et l’autre, des
vers le secteur associatif.
acteurs, de l’associatif, du secteur de la santé.
Par ailleurs, très souvent, un partenariat existe entre
‘les deux parties’, Ministère de la Santé qui offre le lieu Constats
de vie, et l’associatif qui offre un soutien, quelquefois Au travers de ce tableau récapitulatif de l’offre de prise
total, en matière de gestion et de prise en charge. Ici en charge de l’enfant abandonné à la naissance, on
et généralement, les données se communiquent entre remarque :
les ‘deux parties’. De manière quasi systématique, pour
• Que la prise en charge associative est dominante, avec
la consignation des données, le rôle de l’assistante
un centre dédié et extérieur à l’hôpital, dans 24,5% des
sociale, de l’assistante préfectorale ou de délégation, est
situations rencontrées;
déterminant.
• Que la prise en charge est assurée par le secteur
• Les sources ‘Ministère de la Justice’ et ‘Sécurité associatif, à l’intérieur de l’hôpital, ou dans l’enceinte de
Nationale’ permettront de fournir des données l’hôpital, dans 39% des situations rencontrées.
additionnelles relatives, l’une, aux affaires d’abandon
(inscrits et jugés,) aux ‘kafalas’, (toutes deux au niveau Il est nécessaire de souligner ici, les modalités
global et détaillées par province) d’enfants abandonnés; rencontrées de partenariats, secteur associatif, santé :
l’autre, aux abandons effectués sur la voie publique. ‘La l’une rendant compte d’une prise en charge dominante
source’ Ministère de la Justice posera le problème de la assurée par le secteur associatif, la santé offrant lieu de
définition de l’enfant, ici considéré, conformément aux séjour, un à deux membres du personnel et soins de santé;
définitions en usage, comme mineur jusqu’à l’âge de dix l’autre, rendant compte d’un partenariat ‘plus équilibré’
huit ans, ce qui impactera sur le croisement entre résultats des deux secteurs ; une autre enfin, qui mettra l’accent
d’étude (enfants entrants, essentiellement nourrissons) sur une prise en charge majoritaire de la santé avec une
et données fournies par le Ministère de la Justice. La intervention partielle du secteur associatif.
Sureté Nationale fournira des données partielles, relatives Que la prise en charge est assurée par le secteur
à son ‘secteur’, ses rôles et missions : les abandons de rue de la santé, de manière exclusive, dans 36,5% des
comptabilisés, ne considèrent pas ceux effectués par la situations.
Gendarmerie Royale (en milieu rural) ou par la Protection
Ici aussi il sera nécessaire d’opérer à des différenciations
Civile. Par ailleurs, seront fournis essentiellement ici, les
au niveau de l’offre effectuée en direction de l’enfance
abandons de rue d’enfants en vie.
abandonnée : l’une consistant à l’héberger dans des
lieux spécifiques au sein de services de maternités et de
4.2. Type de collecte de données
pédiatrie, soit avec personnel dédié, soit au moyen du
et segmentation régionale
personnel destiné à l‘ensemble, (malades hospitalisés,
naissances, et enfants abandonnés); l’autre consistant
L’ensemble de ces éléments décrits, mènera à la fois
à l’héberger dans des ‘locaux de fortune’ généralement
à multiplier les informations qualitatives et à orienter
destinés au personnel, et à lui assurer des conditions
l’étude vers un dispositif méthodologique plus lourd, de minimales et précaires d’existence, grâce notamment,
recensement des abandons ‘placés’ à la naissance. Ce à la générosité et/ou l’implication du personnel de la
recensement sera considéré comme une première étape santé.
permettant de constituer un échantillon représentatif à
partir duquel des hypothèses statistiques peuvent être L’on remarquera par ailleurs, pour évaluer à leur mesure,
formulées. les apports différentiels santé secteur, associatif,
Le recensement des données a considéré la segmentation Que la prise en charge associative exclusive, est
en régions du Ministère de la Santé comme moyen et corrélée avec des situations qui rendent compte, le plus
outil d’investigation permettant : souvent, d’effectifs supérieurs, d’enfants abandonnés.

(1) annexe P.17

11
Aussi le secteur associatif gère t-il à la fois 63,5% de la de la naissance à l’âge de cinq-six ans, et là, jusqu’à dix
prise en charge de l’enfance abandonnée à la naissance, huit ans. La difficulté du recoupement tiendra compte
et en même temps, accompagne, à différents niveaux, le par ailleurs, des définitions ou modes d’appréhension
plus grand nombre des enfants abandonnés, ‘nouveaux de l’abandon, celui d’étude, enfants privés de famille,
et anciens’ âgés entre 0-5/6 ans. L’ensemble des celui de l’environnement institutionnel qui quelquefois y
résultats d’étude devra tenir compte, ‘en permanence’ intègre les ‘enfants des rues’.
de cette donnée préalable de contexte, associée à la
• Difficile de comparer les données entre elles, celles des
prise en charge de l’enfance abandonnée.
acteurs de la prise en charge, celles des institutionnels,
• Que la prise en charge hospitalière exclusive est Justice, Intérieur… chacun comptabilisant des données
corrélée avec des situations qui rendent compte, le plus qui rendent compte de son action, de ses apports, en
souvent, d’effectifs réduits, d’enfants abandonnés. fonction de définitions ou d’objectifs spécifiques.

4.3. Le recensement effectué : • Impossible de quantifier dans le présent et en totalité,


le phénomène de l’abandon dans sa réalité illégale :
• Fournit l’essentiel des informations obtenues et
disponibles dans le présent, sur l’abandon d’enfants à la Le réseau de l’illégal ‘s’approche’ au travers d’une
naissance ; démarche qualitative, au moyen d’une intermédiation en
chaîne (chaque interlocuteur est ‘connecté’ à un autre,
• Considère toutes données additionnelles fournies, à
lequel permet l’accès à un autre… qui mènera vers
travers l’accès au registre, ou ‘la transmission’ d’une
synthèse ‘chiffrée’ par les équipes, après accord un intermédiaire). Cette ‘infiltration du réseau’ devra
préalable, quelquefois contrôle, du décideur ; par ailleurs, et à postériori, se traduire par l’extrême
prudence nécessaire à ce type d’investigation, les risques
• Tient compte de la source d’information la plus de menace ayant été palpables au travers d’une ’brève
‘complète’, hôpital ou association, dans une région ou expérience’ pratiquée durant l’étude.
localité donnée ;
Le réseau de l’illégal se déduit partiellement, au travers
• Tient compte de contraintes de disponibilité, formulées d’une analyse des données de réalité : à travers les
par certains intervenants chargés de la transmission des différentiels d’admissions filles/ garçons, à travers
données synthétisées. une analyse qui considère le caractère aléatoire (et
statistiquement injustifié) de l’abandon, à travers enfin
Point forts, points faible du recensement effectué une analyse qui tient compte d’un ‘échantillon constitué
• Le recensement permettra d’avoir une cartographie lors de l’étude,’ de ‘mères célibataires’
exacte de l’existant en matière d’enfants abandonnés à
la naissance au Maroc ;
• Le recensement permettra dans un second temps, III-Eléments préalables, d’analyse
de lire le différentiel filles/garçons et de recourir à de la situation de l’enfance abandonnée
l’extrapolation statistique afin de mesurer et identifier
III-1- Analyse des difficultés rencontrées
‘l’effectif manquant’ de filles abandonnées ;
Les résistances rencontrées lors du déroulement de
• Le recensement fournira les informations relatives aux
l’étude menée, seront considérées comme premiers
enfants abandonnés et recueillis en milieu hospitalier
éléments d’analyse de la problématique. En fonction
ou au sein d’une structure associative : ces données
fournies, de réalité, ne peuvent donner en revanche, de leurs actions, apports, dans la question de l’enfance
qu’une information partielle qui rend compte ou mesure abandonnée, les cibles tendront majoritairement à se
les adoptions illégales, effectuées en dehors du droit, différencier par leurs attitudes et discours :
national et international. • Institutionnels, ‘fonctionnaires’ des Ministères, de
L’ensemble des données d’étude indique qu’il est dans la Santé, de la Justice, de l’Intérieur, Les résistances
le présent, quelle que soit la méthodologie adoptée : rencontrées s’articuleront ici, autour,
De la question de la confidentialité de l’information,
• Très complexe, étant donné l’absence d’information
structurée, homogène, continue, d’appréhender De la sensibilité de la thématique ‘enfance abandonnée.
l’abandon d’enfants à travers l’usage de données
Elles traduiront par ailleurs, un malaise spécifique lié à
chiffrées ;
l’évocation du sujet :
• Difficile - sans soulever au préalable la question de la
D’un côté une problématique réelle, gérée au quotidien
rigueur méthodologique-, d’effectuer des recoupements
par un ensemble d’acteurs,
entre sources (santé/associations et institutionnels
comme la ‘Justice’) étant donné la diversité des définitions De l’autre, une difficulté à la dévoiler à travers une
de l’enfant, considéré ici, pour les besoins de l’étude, parole officielle, au regard des interrogations qu’elle

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suscite, des tabous qu’elle questionne, des fragilités ou réservant une place aux enfants abandonnés aux côtés
contradictions qu’elle révèle, la question de l’abandon des malades, dans les services de pédiatrie, de maternité
d’enfants étant associée à l’existence d’une sexualité ou encore dans des locaux réservés au personnel.
en dehors de la légalité, religieuse et sociale.
Intervenants associatifs
• De manière plus spécifique, les intervenants de la
Les résistances rencontrées au sein d’entités relevant
santé, rendront compte,
de l’associatif, seront à mettre en parallèle à la fois avec
De la perception et du vécu de contrainte, liés à une les difficultés vécues au quotidien, dans le secteur, et
réalité de gestion et de prise en charge durable d’enfants parallèlement aux modes de gestion des structures
abandonnés, non contenue dans leurs fonctions et avec :
missions prioritaires. Cette contrainte vécue sera telle
Concernant la gestion des données relatives à
qu’elle déclenchera généralement lors des premiers
l’abandon,
contacts, une attitude hostile des intervenants à l’égard
de la procédure d’investigation mise en place. Des choix d’items majoritaires guidés généralement
par une activité associative qui recherche des moyens
Ici la gestion de l’abandon est, de manière quasi
financiers pour justifier son implication et ses actions, en
systématique, évoquée comme un ‘fardeau’ porté par comptabilisant et fournissant des données essentielles
‘la santé’, imposé de l’extérieur, à défaut de structures ‘entrées et sorties’ d’enfants.
suffisantes spécialisées.
Des lacunes en matière de gestion qualitative et
Aussi, les uns, sensibles à la problématique, tendront-ils quantitative de l’information disponible, qui se traduiront
à gérer au mieux ‘la contrainte de l’enfant abandonné’ à par des ruptures de traçabilité et de continuité, et
travers la mise en place de ‘structures de fortune’, et la quelquefois, interpelleront par rapport au niveau de
recherche de moyens de financements ; transparence des structures.
Les autres, à travers la recherche de partenariats et de
soutien externe, associatif notamment ; Concernant les modes de gestion et d’appréhension
D’autres encore, ‘plus passifs’, observeront des règles de l’abandon,
minimales liées à leurs rôles et fonctions de soignants, Des ressources, outils, moyens et encadrement

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insuffisants qui rendent difficile un mode de gestion ‘laisser faire’ sans introduire la parole de l’interdit et de la
professionnel du secteur ; loi symbolique. Aussi, à la carence affective, aux troubles
du développement majeurs associés à cette carence
Des décalages fréquents de discours entre les
et aux difficultés inhérentes à l’institutionnalisation,
‘opérationnels et les décideurs’ : des conflits sous jacents
aujourd’hui, les ‘jeunes des maisons de bienfaisance’
se signaleront, au sein de grandes structures notamment,
pour évoquer un malaise relatif aux pratiques et images sont face à une attitude d’adultes, ‘qui ne comprend pas
véhiculées. Elles traduiront parallèlement la ‘tension’ des encore’, ‘n’assimile pas’, ‘n’intègre pas’ (ou ne veut pas
équipes ‘menées à gérer la souffrance de populations et fait semblant) la notion de droit de l’enfant.
vulnérables’ en même temps qu’une absence de support L’après, (notamment pour les plus petits) correspond à
de communication mis en place pour verbaliser autour la prise en charge systématique de l’enfant à un niveau
de l’abandon ; sanitaire qui permet sa survie, dans des conditions le plus
Le plus souvent, les difficultés constatées seront à souvent respectueuses de sa dignité, avec l’observation
associer aux modes actuels de gestion, à la domination d’un nouveau discours qui évoque ‘le droit supérieur de
du subjectif, consécutives aux initiatives individuelles, en l’enfant’ et tient à le considérer.
parallèle à des éléments prioritaires de prise en charge de Cette prise en charge sanitaire sera généralement
l’enfant : les moyens et outils didactiques nécessaires considérée comme un acquis considérable des enfants
à la consignation de données sur l’abandon, apparaîtront abandonnés âgés de moins de cinq/six ans, avec par
de ce fait, et le plus souvent, comme relativement ailleurs, un impact sensible sur la diminution du taux de
secondaires, au regard de contingences matérielles, et de mortalité.
l’urgence formulée dans la quête de moyens permettant
la prise en charge de l’enfant. Ces exigences nouvelles, d’appréhension de la dignité et
du droit de l’enfant, mèneront cependant, quelquefois et
Par ailleurs, certaines institutions, destinées aux enfants chez ‘certains individus’, de recourir à des formes plus
abandonnés plus âgés (rencontrées dans le cadre de insidieuses, masquées, de violences.
l’étude relative aux vécus) à travers un fonctionnement
hiérarchique, administratif, procédural… tendront à user Ces exigences mèneront aussi à la mise en place de
‘d’arguments organisationnels’ pour formuler un malaise ‘nouvelles procédures’ associées à la formalisation de
lié à leur difficulté de gestion de la problématique, procédures informelles dans l’intermédiation des filles
notamment celle relative aux troubles du développement en particulier, les plus demandées.
et aux ‘pathologies de la carence’. Il s’agira ici notamment, Le discours obtenu est en faveur d’une ‘structuration du
de se préserver de critiques éventuelles et conserver le secteur’ de l’informel, à différents niveaux de ‘la chaîne
voile sur une certaine réalité, notamment après quelques d’intervention’ : en devenant majoritairement ‘verrouillé’
scandales dévoilés au grand jour. Un nouveau regard, à l’hôpital, l’abandon se manifestera ainsi, de façon plus
éclairé ‘du droit et de l’humanisme’ sera évoqué, comme silencieuse et ‘professionnelle’, ou plus souvent, se
ayant le plus souvent, contribué de manière effective à déplacera vers la rue, quelquefois juste à la sortie des
l’amélioration des conditions de vie des pensionnaires : maternités.
entre l’avant et l’après, un différentiel majeur au niveau
tant de ‘l’intérêt porté chez les uns et les autres en faveur Ici, il est nécessaire à la fois de rendre compte du rôle
de la cause’, de leurs discours, que de l’environnement majeur du secteur associatif dans le secteur de l’abandon
de prise en charge. et de repérer les redondances de discours relatives à
certaines structures ou personnes, dont les agissements
‘L’avant’ est associé à une insuffisance, voire une absence, décrits soulèvent des questions d’éthique, humaine et
de normes, quelquefois un espace où les ‘fondamentaux professionnelle.
humains’ sont bafoués, avec de la maltraitance, physique,
psychologique, sexuelle, alimentaire, sanitaire… III-2- Organisation du cadre de réflexion,
‘Cet avant’ de violences se décrit comme ‘maîtrisé’
de prise en charge et de coordination
par les responsables à travers une emprise exercée sur
des acteurs
les pensionnaires et qui faisait office de loi. Aujourd’hui De façon quasi systématique, ce sont les individus -non les
dans les institutions de bienfaisance, un télescopage procédures organisationnelles- qui faciliteront ou entraveront
des repères, lié à une ‘nouvelle donne’ avec une au cours de l’étude, l’accès à l’information, avec,
interprétation ‘erronée’ du droit de l’enfant apparaît
• Des niveaux d’implication différentiels entre les acteurs,
parfois. Les ‘décideurs semblent en effet, parasités
tenant compte de positions individuelles relatives à la
par des perceptions multiples, déstabilisés par des
problématique de l’abandon.
représentations plurielles: celle de l’enfant hrami, celle de
la ‘compassion malgré tout pour un pauvre enfant qui n’a • Des différentiels en matière de coordination entre les
rien fait de mal’, et celle (‘incroyable, inconcevable’) d’un divers interlocuteurs amenés à œuvrer dans une région
enfant qui a des droits. Le droit de l’enfant se conçoit ici donnée, en faveur des enfants abandonnés, justice, santé,
comme une abdication de l’adulte avec la nécessité de le associations.

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Aussi la coordination entre les différents corps « Ce n’est pas au ministère de la santé de garder l’enfant
d’intervenants, se traduira t-elle, chez les uns, et ce en abandonné, on est une structure hospitalière, on n’a pas à
dépit des moyens mis à leur disposition et de difficultés s’occuper de l’abandon, on peut soigner mais pas élever »,
plurielles, « C’est un héritage, malheureusement nous sommes le seul
• Par une évolution positive de la situation de l’abandon : pays au monde où les enfants abandonnés vivent à l’hôpital »
stratégies d’action, réflexion dominée par le référentiel « C’est pas notre métier…l’Etat doit créer des structures
droits de l’enfant, organisation du cadre d’intervention, pour enfants abandonnés …« l’Etat se lave les mains…
réseaux de concertation, recherche de moyens, projets, l’Etat est démissionnaire, complètement démissionnaire
optimisation des ressources en faveur de l’enfant et nous fait prendre cette responsabilité…il nous colle
et diminution progressive des effectifs d’enfants l’abandon…c’est un scandale dans notre pays… »
abandonnés « L’une des priorités de la santé, c’est la santé, pas
Chez d’autres, en revanche, se décrivent, l’hébergement… Regardez notre plan d’action… nulle
part il n’y a quelque chose sur les enfants abandonnés ».
• Des ‘défauts de coordination’, ou des ‘défaillances
(Exact : dans ‘la stratégie 2008-2012’ du Ministère de la
au niveau de la chaîne d’intervention’ pointant les
Santé, aucune mention de l’abandon).
responsabilités respectives d’intervenants, de la ‘Justice,
de l’Intérieur, ou de la Santé’, dans une région donnée.
• Des représentations qui mettent l’accent sur des
Ces situations se traduiront, elles, au niveau de
positions associées aux droits humains et à la protection
l’abandon, par des chiffres ‘plus statiques’, et au niveau
de l’enfant…
de la prise en charge de l’enfant, par une amélioration
des conditions de vie, essentiellement associée à des
initiatives individuelles. « Un enfant ne peut pas vivre dans une telle structure,
les risques de contagion…certains restent jusqu’à dix
Dans telle région, dans la gestion de la kafala, tel
huit ans, vous vous rendez compte, à l’école on les
Procureur ‘en conflit avec tel juge’ (ou inversement), sera
appelle les enfants de l’hôpital… toute leur vie ils sont
pointé du doigt : ici l’accent sera mis sur la lenteur de
entre quatre murs, ils ne voient rien d’autre, ils ne voient
l’enquête, là, sur le ‘caractère du personnage, sa rigidité,
pas le ciel, … » « C’est un scandale, j’insiste pour que
son niveau de résistance ou son désintérêt’; ici encore,
vous le spécifiez comme ça…c’est un drame je veux que
se décrivent des attitudes suspicieuses de l’intégrité
vous le disiez dans votre rapport…nous on est prêt à les
de la personne, là, des attitudes de fonctionnaires qui
soigner, à les vacciner, à les prendre en charge sur le plan
dépassent leurs prérogatives en privilégiant tel parent
médical… mais on ne doit pas les garder »
adoptif (‘contre avantage’ financier) ; ici encore ‘chez tel
juge’, des décisions de kafala ‘systématiques’ malgré « les enfants ne doivent pas vivre à l’hôpital c’est pas
des enquêtes négatives relatives aux parents adoptifs, un endroit pour les enfants … …ils peuvent attraper des
là des’ kafala pour VIP’, ‘huilées’, ‘organisées’, au point virus, des maladies, on ne doit pas oublier qu’il y a eu
d’être formalisées, (en accord avec la mère naturelle et des morts…est ce que vous avez vu l’hôpital de Meknès
les institutionnels) à la naissance de l’enfant, antérieures ? les enfants sont parqués au 5ème étage…est ce que ça
à la procédure d’enquête, lancée à posteriori ‘pour la c’est des conditions pour élever des enfants ? »
forme’.
Synthèse
Il est important de noter à ce niveau, que dans la majorité
Au préalable, donc, un positionnement fragile de la
des situations, les dysfonctionnements les plus souvent
‘thématique abandon’ qui indique à la fois :
évoqués, seront mis en relation, non pas avec les
contenus et textes de lois, mais avec leurs modalités et • Au niveau de son identification, comme problématique,
procédures d’application. Une reconnaissance et une gestion de la question par
Dans telle autre région, c’est la direction régionale de la une série d’acteurs, Cette reconnaissance est en même
santé qui sera décrite comme obstacle, et ce -davantage- temps partielle, voilée/dévoilée, fixant souvent au
par désintérêt ou par position. De fait, certaines des préalable, les conditions de son ‘dévoilement’.
personnes décrites seront rencontrées et justifieront
• Au niveau de son mode d’appréhension,
leurs positions par rapport à la question de l’abandon.
Une tendance à recueillir les données qui spécifient la
Deux positions prévalent :
problématique, Cette tendance connaît cependant des
• Des représentations liées aux attributions des uns et des obstacles majeurs, liés à la fois à la priorisation des
autres qui mettent l’accent sur la charge supplémentaire besoins, et à la carence en outils, moyens, encadrement
que constitue la gestion de l’abandon : et ressources.

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Cette tendance connaît par ailleurs des obstacles Du type de coordination entre différents acteurs de la
majeurs, liés à l’absence de procédure d’uniformisation prise en charge,
des données.
Du type de structure en charge de l’enfant
• Au niveau des représentations abandonné, de son expérience, de ses moyens,
outils, de sa taille, de la qualité de son encadrement
Une attitude qui se perçoit en évolution par rapport à un
et de sa vision.
référentiel ‘droits de l’enfant’,
Cette attitude est néanmoins dominée par une tradition Du sexe de l’enfant adopté et de son état de santé,
qui appréhende l’abandon au travers de positions le handicap étant un problème majeur rencontré et
majoritaires émotionnelles, de charité, de pitié et de sur représenté, dans la quasi-totalité des structures
compassion, rencontrées, en charge de l’enfance abandonnée.
Cette attitude est également interrogée au regard de
La situation des enfants en situation de l’handicap
représentations collectives qui actionnent les images
(physique, mental, sensoriel) interpelle à des niveaux
puissantes de l’enfant ‘hrami’ fruit de la relation de
prioritaires de justice, de droit, de droit humain, de droit
l’illicite et de l’interdit.
de l’enfant : malgré ‘toutes les bonnes volontés’ des
• Au niveau de la prise en charge de l’enfant, intervenants impliqués dans le terrain et dans la gestion
du quotidien, pour la très grande majorité de ces enfants,
Une évolution des pratiques, avec assez souvent, une
aucune perspective ne paraît tracée, en dehors d’une
qualité de prise en charge qui assure l’enfant de son
attente inexorable.
droit à la vie, offrant soins de santé, ‘hébergement et
alimentaire’ ; Ces données préalables d’étude mettent l’accent sur :
Pour accéder à un type de prise en charge qui appréhende
• La nécessité d’un organe de supervision destiné à
le développement global de l’enfant et fait barrage à
coordonner, contrôler, structurer, répartir les moyens
la ‘répétition de la vulnérabilité’, cette évolution est
en fonction des besoins, responsabilités, et soutenir
cependant freinée par une carence plurielle : de moyens
les actions prioritaires à mettre en place en faveur de
financiers, de ressources humaines, d’encadrement,
l’enfance abandonnée ;
d’outils et d’environnements de gestion, de conditions
d’hébergement… • La nécessité de gérer la problématique de l’abandon
avec une ‘vision projets’, professionnelle et rationnelle.
Ces freins mèneront dans le présent, à concevoir
un type majoritaire de prise en charge : la gestion de • La nécessité d’appréhender l’enfant au travers d’un
l’urgence, celle des flux d’entrants et de sortants, celle référentiel dominant, voire unique, ‘droits humains’.
de la kafala. • La nécessité de considérer comme majeure dans la
Ces freins mèneront également les structures, ‘malgré réussite de la prise en charge de l’enfant dans la durée,
elles’, à destiner l’enfant non adopté vers d’autres la dimension affective et relationnelle.
lieux de prise en charge, avec les risques de ruptures • La nécessité de (re) définir clairement les missions et
majeures, affectives et relationnelles, qui renforcent le rôles des différents intervenants,
vécu d’abandon.
•La nécessité d’homogénéiser les données de
• Au niveau des discriminations effectuées à l’encontre l’abandon, à travers la mise en place d’un système
des enfants abandonnés, tenant compte du différentiel d’information, contenant des paramètres d’identification
de sexe, masculin/féminin, Une tendance qui se dessine communs, avec des procédures de contrôle, destinés à
en 2006 et se confirme en 2008, de diminution des l’ensemble.
discriminations des kafalas filles/garçons, et qui met
l’accent sur les efforts de sensibilisation des acteurs de Cette homogénéisation des procédures sera d’autant
la prise en charge. plus cruciale qu’elle constituera par ailleurs, et peut
être de manière plus profonde, le premier élément de
Malgré la diminution sensible des discriminations à l’histoire de l’enfant.
l’encontre de l’enfant de sexe masculin, cette tendance
est cependant, dans le présent, la plus représentative Comme le fera apparaître l’étude relative au vécu de
des attitudes de parents adoptifs. l’abandon, la question de l’origine de l’enfant abandonné,
avec la connaissance, même partielle, de son histoire,
Ces freins évoqués, dans leur ensemble, sont en faveur deviendra capitale à un moment donné, nécessitant
de l’institutionnalisation de l’abandon. d’être intégrée dans la prise en charge2 .
• Au niveau de la réponse apportée par l’ensemble des
acteurs,L’abandon est par ailleurs tributaire,D’initiatives
individuelles majoritaires et ‘solidaires de la cause’,
(2) Un projet qualitatif -Arbre de Vie- conçu par l’association ‘Lutins des
Du niveau de mobilisation et d’implication d’acteurs sables’vise la prise en charge du long terme de l’enfant, dans le cadre
institutionnel : à travers la reconstitution écrite d’éléments clés qui
considérés, dans une région ou localité donnée, relatent son vécu, l’enfant dispose d’une histoire qui donne sens
à sa vie.Ce programme est en cours dans certaines structures d’accueil.

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17
Introduction

Première partie : repères

D’un point de vue historique, le phénomène de souvent accompagné les enfants abandonnés des
l’abandon se rencontre à toutes les périodes et résultats de leurs méditations, donnant l’exemple de
dans la quasi-totalité des sociétés du monde : il est leur assistance, invitant à leur intégration positive,
universel, a une place particulière dans les religions les évolutions sociales elles, tendront à l’inverse, et
et traverse les mythes fondateurs de toutes les à travers notamment l’esclavage, à les soumettre
civilisations. à leur arbitraire, en les utilisant comme objets,
souvent fruits de leurs abus et de leurs luxures,
Dans les mythologies, cet abandon est généralement
pour les soumettre à l’échec et à la soumission, les
conséquent à des tensions au sein du groupe, avec
destinant au rejet social, à l’opprobre collective et à
des rivalités de succession et de transmission, de
l’exclusion…
nom, de pouvoir, d’autorité, d’héritage. L’enfant
abandonné menace un ordre, qui se protège en le Dans son appréhension de l’abandon, l’Islam
massacrant, égarant, rejetant, faisant disparaître, reconnaît à l’enfant à la fois sa fonction
à un moment où sa vulnérabilité d’infants - sans fondamentale de sujet, le droit à sa filiation et à
parole ni tonicité - ne lui permet pas de vivre en son identité : l’adoption est préconisée, soumise
dehors d’une assistance adulte. à des règles éthiques, de reconnaissance et de
considération. Si l’erreur, attribuée à l’ignorance ou
Du Dieu Krishna, échappé au massacre organisé
à la méconnaissance, s’excuse, l’intentionnalité du
par son oncle, élevé avec des bouviers, de Moise,
parent adoptif est soumise à l’examen du Divin.
élevé par des pharaons suite à son abandon au
bord du Nil, d’Œdipe, fils de Jocaste et de Laïos,
abandonné par son père et recueilli par le roi de « Il (ALLAH) n’a point fait de vos enfants
Corinthe, jusqu’à Romulus et Remus, abandonnés adoptifs vos propres enfants. Ce sont des
par leur oncle, recueillis par une louve et élevés par propos (qui sortent) de votre bouche…Appelez-
des bergers… il apparaît clair que la perspective de les du nom de leurs pères : c’est plus équitable
se fondre avec la normalité humaine ne s’adapte devant Allah. Mais si vous ne connaissez pas
pas à la situation de l’enfance abandonnée. leurs pères, alors considérez-les comme vos
frères en religion ou vos alliés… Nul blâme
Destin majestueux ou destin tragique apparaissent
sur vous pour ce que vous faites par erreur,
ainsi et dans la perspective mythologique,
mais (vous serez blâmés pour) ce que vos
comme les seules alternatives offertes à l’enfant
cœurs font délibérément. […] » (Sourate 33
échappé au projet mortifère qu’on lui destine. Car
verset 4-5).
dans les paraboles qu’il offre au monde et aux
représentations des individus, l’abandon, est ici,
généralement associé à un grand destin, un destin Qu’en est-il aujourd’hui de ce droit de l’enfant
qui pousse inexorablement à réussir et s’élever au abandonné, à la dignité, à l’identité, à la filiation ?
regard du monde des vivants, pour ne pas essuyer Dans le Maroc du présent et de la réalité, quelle place
et reproduire l’échec. pour l’individu en dehors de son environnement
familial ? Quelle place pour le sujet privé de famille,
Si les principes philosophiques et religieux ont
né dans le contexte d’une sexualité hors normes

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sociales ? Peut-il être reconnu ? Comment est-il la première période, de l’enfance, qui correspond
soutenu? Par qui ? Où ? Dans quel contexte ? Avec souvent à l’étape où il ne connaît rien de lui-même.
quels moyens ? A partir de quel référentiel ? Le Mais ce jour que nous craignons tant arrive, lorsque
droit ou la puissance de l’imaginaire ? nous lui rappelons son origine qui le distingue de
Et quel regard porté sur cet enfant conçu ‘hors nous, et qu’il se réveille à son (absence d’) identité
normes’, dès son arrivée au monde ? Quel regard première que nous avons omis de lui attribuer : nous
peut-on lui accorder considérant ces lois, coutumes percevons alors, un retournement brutal qui nous
et pratiques ? confirmera définitivement dans ce que l’on avait
préalablement et soigneusement tracé, ce que l’on
Peut-être faudrait-il, en préambule, réfléchir sur
avait prévu, grâce à notre discernement.
ce que notre langage contient de violence dans le
statut qu’il lui confère au quotidien, dès lors qu’une Car il se déchainera, car elle errera, il ‘deviendra fou’,
situation nous étonne, exaspère, ou remet en elle deviendra ‘insensée’, dépassant encore les
question, pour le rappeler à nous, de façon réflexe, normes. Ils s’éloigneront de nous à jamais, comme
avec son statut de créature étrange et étrangère, nous l’avons emmagasiné dans notre imaginaire.
en le nommant ‘hrami’.
Il est intéressant (et dramatique à la fois) de faire
Dans le langage courant, au quotidien, quelquefois le parallèle entre ces représentations violentes,
à plusieurs reprises dans une même journée, profondément enfouies dans l’imaginaire collectif,
tout marocain, quel que soit son statut, a, à sa et la position d’appréhension que l’on peut avoir
disposition un mot pour qualifier un individu de par rapport à l’enfant abandonné face à son destin,
traîtrise, de roublardise, de malignité, d’inhumanité, même d’adoption.
et de toutes sortes de vices en mesure de nous
L’on craindra particulièrement le garçon dont la
évoquer sa différence, et son statut d’étranger à la
révolte sera, à un moment donné (qui correspondra
norme collective : nous lui attribuons la qualité d’un
à celui de l’adolescence) sonore, visible ; l’on
‘ould lahram, en référence au comportement de
pardonnera plus à la fille qui divaguera et deviendra
l’enfant du pêché, de la relation illégale, de l’interdit
cloîtrée sur elle-même, mais qui ne nous touchera
religieux et social.
pas, qui se démolira toute seule.
Même pour lui reconnaître des capacités
Mais lui, ‘peut nous attaquer’ dans notre intégrité
d’intelligence, de perspicacité ou de rire, des
physique et mentale, nous faire du mal, peut être
compétences supérieures, même dans la
nous tuer. Aussi, lorsqu’il est abandonné, dans la
plaisanterie et le canular, l’autre est un ‘ould lahram’
rue, en institution, nous le craignons alors même
dès lors qu’il nous dépasse et ‘saisit’.
qu’il n’a pas encore bénéficié de sa première tétée
C’est que le ‘ould lahram’, enfant du péché, fruit de lait. Nous ne lui pardonnons pas d’être né ainsi.
d’une relation non consentie au regard des exigences Même s’il n’est encore que nourisson, dans une
de sa communauté, ne possède que les attributs vulnérabilité totale, nous lui projetons la puissance
associés à l’abus, à l’outrage, à l’empiétement de et cette force de retournement qui définit les ‘ould
ce qu’il est convenu de faire. Il ne peut donc que lahram’.
nous persécuter indéfiniment par la faute qui l’a
L’histoire ‘nous donnera raison’. A un moment
fait naître, et que ‘nous, respectueux des normes’,
donné, lorsqu’il se réveille à cette identité qu’on lui
avons été capables d’éviter. Dès l’instant où on le
attribue depuis la ‘nuit des temps’, tout ce passera
nomme, il s’oppose à nous.
comme prévu : il se déchaînera mais ne nous
Aussi faut-il s’attendre, un jour où l’autre, et de surprendra pas, dans la mesure où son sort était
manière ‘irréfutable’, à ce que le ‘poison contenu fixé d’avance dans nos représentations collectives.
dans ce fruit illégitime’, se répande à nos yeux et
Alors, face à l’abandon, comme première mesure
se démasque avec un nouveau visage, qui rappelle
d’urgence, réfléchir à ce que nous pensons, disons,
l’imaginaire ‘du démon’ : car un ‘ould lehram’ peut
appréhendons ? Déconstruire ce qui est inculqué en
contenir longtemps son ‘jeu pervers’, dissimuler et
nous, profondément ?
puis un jour, se révéler. Le jeu est contenu pendant

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Bannir à jamais, ce terme banal évoqué à toute Car dans la question de l’abandon d’enfants, le frein
occasion, anormale, originale, qui lui trace une majeur, est là, contenu dans nos représentations.
destinée fatale ?
Ils le traduiront eux-mêmes, au cours des rencontres
Ce terme qui le poursuit dans le langage du menées pour échanger autour de leurs vécus, mais
quotidien, que nous lui destinons continuellement en préambule, évoquons leurs droits.
et qui l’exclut du champ de l’humanité ? Peut-on le
réintroduire dans la res publica, la chose publique,
pour échanger avec lui dans la normalité de la
relation?

20
21
Chapitre 1

Approche
documentaire
Enfances privées de famille,
prise en charge, modalités Les principes directeurs de la Convention sont la non-
d’adoption discrimination, la priorité donnée à l’intérêt supérieur de
l’enfant, le droit à la vie, à la survie et au développement
- Au regard des conventions et le droit de participer.
internationales, lois,
La convention relative aux droits de l’enfant comporte
- A travers les études, enquêtes et articles un article concernant directement l’enfant abandonné
de presse
Il s’agit de l’article 20 qui traite de l’enfant privé de son
milieu familial :
I - Dispositions juridiques relatives
aux enfants abandonnés 1. Tout enfant qui est temporairement ou
définitivement privé de son milieu familial, ou qui
Les dispositions juridiques qui concernent les enfants
dans son propre intérêt ne peut être laissé dans
abandonnés se trouvent dans les conventions
ce milieu, a droit à une protection et une aide
internationales relatives aux droits humains ratifiées par
spéciales de l’Etat.
le Maroc, plus précisément dans la Convention relative
aux droits de l’enfant 3 et dans la législation interne, 2. Les Etats parties prévoient pour cet enfant
où plusieurs dispositions législatives et réglementaires une protection de remplacement conforme à leur
concernent cette question 4. législation nationale.
3. Cette protection de remplacement peut
1. L’enfant abandonné dans notamment avoir la forme du placement dans
les instruments internationaux une famille, de la kafalah de droit islamique, de
Le Maroc est partie à de nombreuses conventions relatives l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement
aux droits humains. Par ses ratifications il s’engage à dans un établissement pour enfants approprié.
respecter les droits qu’elles reconnaissent. L’ensemble Dans le choix entre ces solutions, il est dûment
des conventions relatives aux droits humains, ratifiées, tenu compte de la nécessité d’une certaine
s’appliquent aux enfants et les droits qui y figurent les continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que
concernent. Mais l’instrument de référence en ce qui les de son origine ethnique, religieuse, culturelle et
concerne est la convention relative aux droits de l’enfant : linguistique.
elle énonce toute la panoplie des droits de l’homme : civils,
culturels, économiques, politiques et sociaux déclinés Il faut également mentionner l’article 7 de la convention
spécifiquement pour les enfants, car les moins de 18 ans qui certes, concerne tous les enfants mais règle une
ont souvent besoin d’une protection et d’une assistance situation sensible essentiellement pour les enfants
spéciales.
naturels et abandonnés : il s’agit du droit au nom et à la
nationalité :
1.1- La convention relative
aux droits de l’enfant Le fait que le Maroc ait adhéré à ces conventions
internationales présente un réel intérêt concret : en
Adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies en cas de contradiction ou de silence de la loi interne, la
1989, entrée en vigueur le 2 décembre 1990, la convention disposition de la convention internationale doit toujours
relative aux droits de l’enfant, a été ratifiée par le Maroc le être appliquée dès lors qu’elle est publiée au Bulletin
21 juillet 1993 et publiée au Bulletin officiel en 1996 5. officiel.`
(3) (4) (5) Bulletin officiel du 19 décembre 1996, p. 897

22
2 - L’enfant abandonné en droit
interne
Les enfants abandonnés bénéficient strictement des applicable lorsqu’une juridiction de jugement prononce
mêmes droits que tous les autres enfants et ne doivent contre un ascendant, une condamnation pour crime ou
faire l’objet d’aucune discrimination. Les devoirs des délit légalement punissable d’emprisonnement, commis
parents à l’égard de leurs enfants, énumérés par sur la personne d’un de ses enfants mineurs.
l’article 54 du code de la famille, sont transférés à
la personne ou l’organisme qui assure leur garde et Le code pénal ne prévoit ni la durée, ni le suivi de cette
leur représentation légale. Et l’avant dernier alinéa de mesure. Il ne prévoit pas non plus le sort de l’enfant dont
l’article : «Il appartient à l’Etat de prendre les mesures les parents ont été déchus de la puissance paternelle. En
nécessaires en vue d’assurer la protection des enfants, ce qui concerne ce dernier, depuis la promulgation de la
de garantir et préserver leurs droits conformément à la loi sur la kafala, il doit être considéré comme un enfant
loi» les concerne au même titre que tous les enfants. abandonné. Peut-il être confié en kafala ? La loi est muette
2.1 - La définition par la loi de l’enfant sur ce point mais du fait qu’elle ne fait pas de différence
abandonné entre les enfants de parents inconnus ou réellement
abandonné et ceux dont les parents ont perdu la tutelle
La loi relative à la kafala donne, dans son article premier, par décision de justice, il semble qu’il puisse l’être.
une définition de l’enfant abandonné :
Sur ce point la loi se devrait d’être plus claire.
Est considéré comme enfant abandonné tout enfant de
l’un ou l’autre sexe n’ayant pas atteint l’âge de dix huit La séparation prévue par la loi sur la kafala
années grégoriennes révolues lorsqu’il se trouve dans
l’une des situations suivantes : Comme évoqué plus haut, la loi n° 15-01 relative à la
kafala des enfants abandonnés dispose dans son article
être né de parents inconnus ou d’une mère connue
premier, qu’est considéré comme enfant abandonné
qui l’a abandonné de son plein gré ;
tout enfant de moins de 18 ans ayant «des parents
être orphelin ou avoir des parents incapables de subvenir incapables de subvenir à ses besoins ou ne disposant
à ses besoins ou ne disposant pas de moyens légaux de
pas de moyens légaux de subsistance». Est également
subsistance ;
considéré comme abandonné l’enfant ayant «des
avoir des parents de mauvaise conduite n’assumant parents de mauvaise conduite n’assumant pas leur
pas leur responsabilité de protection et d’orientation responsabilité comme lorsque ceux-ci sont déchus
en vue de le conduire dans la bonne voie, comme de la tutelle légale ou que l’un des deux, après le
lorsque ceux-ci sont déchus de la tutelle légale ou
décès ou l’incapacité de l’autre se révèle dévoyé et
que l’un des deux, après le décès ou l’incapacité de
ne s’acquitte pas de son devoir précité à l’égard de
l’autre se révèle dévoyé et ne s’acquitte pas de son
l’enfant......»
devoir précité à l’égard de l’enfant
Les articles suivants prévoient la procédure de prise en
2.2 - L’abandon
charge mais sont muets quant au lien de l’enfant avec
La séparation peut résulter d’un abandon par les parents ; ses père et mère défaillants. Quoiqu’il en soit, le lien
elle peut également être le fait d’une décision de justice. avec les parents n’est pas définitivement rompu puisque
L’abandon par les parents l’article 29 de la loi sur la kafala dispose que les parents
de l’enfant ou l’un d’eux peuvent, après cessation des
Le code pénal punit l’abandon par une incrimination motifs de l’abandon, recouvrer leur tutelle sur l’enfant,
intitulée « exposition et délaissement d’enfant » par décision judiciaire.
(article459 à 467). En simplifiant beaucoup afin de
Le tribunal entend l’enfant qui a atteint l’âge de
faciliter la compréhension, l’on dira que le code punit le
discernement. Si l’enfant refuse de revenir à ses parents
fait d’abandonner un enfant sans se soucier de ce qu’il va
ou à l’un d’eux, le tribunal prend sa décision en tenant
devenir, mais il ne punit pas si l’abandon a lieu auprès de
personnes acceptant de prendre soin de cet enfant. compte de l’intérêt de l’enfant.
La loi sur la kafala ne précise pas l’âge de discernement
La séparation à la suite d’une mesure judiciaire : mais celui-ci est fixé par l’article 214 du code de la famille
la déchéance de puissance paternelle à douze ans révolus.
L’article 88 du code pénal prévoit la déchéance de
puissance paternelle, à titre de mesure de sûreté

23
2.3 - La prise en charge de l’enfant La kafala
abandonné Définition
La déclaration d’abandon C’est l’engagement de prendre en charge la protection,
Le procureur du Roi près le tribunal de 1ère instance du l’éducation et l’entretien d’un enfant abandonné, au
lieu de découverte ou de résidence de l’enfant, de sa même titre que le ferait un père pour son enfant. La kafala
propre initiative ou après avoir été avisé par des tiers, place ne crée pas de lien de filiation avec l’enfant recueilli et ne
provisoirement l’enfant dans un établissement sanitaire confère aucun droit à la succession.
ou dans un centre ou établissement de protection sociale La loi sur la kafala organise la procédure de prise en
s’occupant de l’enfance, relevant de l’Etat, des collectivités charge, définit son contenu, précise les personnes ou
locales ou des organismes, organisations et associations organismes à qui elle peut être confiée, le contrôle de
disposant de moyens matériels et humains suffisants pour son exécution, son inscription sur les registres d’état
assurer la protection de l’enfant abandonné. Il procède à civil. Enfin elle prévoit dans quelle mesure l’opinion de
une enquête au sujet de l’enfant et présente la demande l’enfant peut être prise en considération.
de déclaration d’abandon au tribunal. Il entreprend, le cas
Attribution de la kafala
échéant, les démarches d’inscription à l’état civil.
Le tribunal procède à toutes les enquêtes et expertises La kafala est accordée par une ordonnance du juge des
qu’il juge nécessaires. Si les parents sont inconnus, il tutelles à la personne ou l’organisme désireux de l’assurer
qui en a fait la demande, après une enquête qui a pour objet
prononce un jugement avant dire droit qui sera affiché
de savoir si cette personne (ou cet organisme) remplit les
pendant trois mois, accompagné du portrait et des
conditions fixées par la loi. L’ordonnance désigne la personne
renseignements sur l’enfant dans les bureaux de la
(ou l’organisme) comme tuteur datif de l’enfant. Elle est
collectivité locale et du caïdat du lieu où ce dernier a été
susceptible d’un appel qui est tranché par la cour d’appel
découvert. Si personne ne se présente après ce délai,
en chambre du conseil. L’ordonnance est exécutée par le
le tribunal prononce un jugement par lequel il déclare
tribunal de première instance dans les quinze jours de son
l’enfant abandonné.
prononcé. L’enfant est remis à la personne ou à l’organisme
Le juge des tutelles assure la tutelle des enfants qui le prend en charge, en présence du représentant du
abandonnés, conformément aux dispositions du code de ministère public, de l’autorité locale et de l’assistante sociale
la famille et du code de procédure civile. concernée le cas échéant. Un procès verbal est dressé.

24
La kafala peut être confiée à des époux musulmans Un état civil est donc établi pour l’enfant abandonné à
majeurs n’ayant pas fait l’objet d’une condamnation l’initiative du procureur du Roi. L’enfant possède un état
pour infraction portant atteinte à la morale ou commise à civil semblable à celui de n’importe quel enfant indiquant
l’encontre des enfants, et remplissant les conditions de son nom et son prénom et des noms et prénoms de
moralité, santé et sécurité pour l’enfant.
parents. La mention en marge de la conformité aux
Elle peut enfin être confiée aux «établissements publics dispositions de la loi ne devrait pas lui être préjudiciable.
chargés de la protection de l’enfance ainsi qu’aux En effet le décret pris pour l’application de la loi sur l’état
organismes, organisations et associations à caractère civil prévoit (article 36) que les copies des actes de l’état
social reconnus d’utilité publique et disposant des
civil sont, soit des copies intégrales, soit des extraits.
moyens matériels, des ressources et des compétences
humaines aptes à assurer la protection des enfants, Seule la copie intégrale comporte toutes les mentions de
à leur donner une bonne éducation et à les élever l’acte, y compris les mentions marginales. Les extraits
conformément à l’Islam». d’acte ne comportent pas les mentions marginales mais
En quoi consiste la kafala uniquement le numéro et l’année de l’acte, le prénom le
nom, le sexe, le lieu et la date de naissance de l’intéressé,
Les articles 22 à 24 prévoient les effets de l’ordonnance
qui octroie la kafala. La personne ou l’organisme assurant ainsi que les prénoms et noms des parents.
la kafala est chargée de l’exécution des obligations La nationalité
relatives à l’entretien, à la garde et à la protection de
l’enfant et veille à ce qu’il soit élevé dans une ambiance Le code de la nationalité attribue très clairement la
saine, tout en subvenant à ses besoins essentiels jusqu’à nationalité marocaine à l’enfant abandonné et ceci depuis
ce qu’il atteigne l’âge de la majorité légale (pour les filles sa promulgation en 1958.
jusqu’au mariage), conformément aux dispositions du
code de la famille relatives à la garde et à l’entretien des 2.5 - Conclusion
enfants.
L’étude de la législation concernant les enfants
Le contrôle abandonnés, nous montre des textes qui sont conformes
Le juge des tutelles, dans la circonscription où se situe aux engagements internationaux du Maroc.
le lieu de résidence de la personne assurant la kafala, Certes des critiques peuvent leur être adressées, en
est chargé de suivre et de contrôler la situation de
particulier un manque de cohérence entre les différents
l’enfant et de s’assurer que cette personne honore
textes.
bien les obligations qui lui incombent. Cette disposition
est conforme à la convention relative aux droits de Les dispositions concernant le retrait de puissance
l’enfant dont l’article 25 prévoit l’examen périodique du paternelle figurant dans le code pénal et dans la loi sur la
placement. kafala ne coïncident pas exactement entre elles ni avec
2.4 - Le nom et la nationalité de l’enfant le code de la famille.
abandonné Cela peut s’expliquer par le fait qu’il s’agit de lois adoptées
L’état civil à des époques différentes et dans des conditions et pour
des motifs divers.
La loi n° 37-99 relative à l’état civil, promulguée en 2002
consacre un article à l’état civil de l’enfant né de parents En outre ces textes ont des sources très différentes : le
inconnus ou abandonné après l’accouchement. Il s’agit code pénal est très inspiré du droit pénal français tel qu’il
de l’article 16 qui prévoit que : était en vigueur au moment de sa promulgation (1963)
alors que la loi sur la kafala et le code de la famille tirent
Le procureur du Roi agissant de sa propre initiative leurs sources du droit musulman.
ou à la demande de l’autorité locale ou de toute
partie intéressée procède à la déclaration de Il faut également attirer l’attention sur le fait que l’article
naissance, appuyée par un procès verbal dressé 490 du code pénal qui punit les relations sexuelles
à cet effet et d’un certificat médical déterminant hors mariage risque de pousser la mère célibataire à
approximativement l’âge du nouveau-né. Un accoucher dans le secret et à abandonner son enfant,
nom et un prénom lui sont choisis ainsi que des de peur d’être poursuivie en justice et condamnée à
prénoms de parents ou un prénom de père si la l’emprisonnement. Il semble délicat de recommander la
mère est connue. L’officier de l’état civil indique suppression de cet article. Mais on pourrait préconiser
en marge de l’acte de naissance que les noms et l’instauration d’une impossibilité de poursuites en cas de
prénoms des parents ou du père selon le cas, lui naissance subséquente d’un enfant, ce qui aurait pour
ont été choisis conformément aux dispositions de effet de mettre la mère naturelle à l’abri des poursuites
la présente loi. et l’encouragerait sans doute à renoncer à l’abandon.

25
II. Enfants privés de famille :
études et recherches

Ce travail d’analyse documentaire s’inscrit dans le souci • Avec l’exigence :


d’identifier les principaux référentiels à travers lesquels De définition des populations constituant les enfants
sont positionnées les publications, d’en repérer les abandonnés,
concepts clés, et éventuellement, les points aveugles.
De méthodologie de gestion des approches,
Il s’agira ici, sans être exhaustif, d’indiquer quelques De dynamisation des procédures de placement et
repères par rapport aux évolutions du discours relatif à d’adoption,
la problématique de l’enfance abandonnée, autant sur un De mise en place de structures d’accueil et
plan institutionnel que juridique : ces repères permettront d’accompagnement des mères célibataires, afin qu’elles
de rendre compte, dans une perspective comparative, de puissent recouvrer droit et dignité sociale.
leur adéquation avec des éléments de réalité, tels qu’ils
• Enquête quantitative sur les mères en situation
ont été vécus, vus, perçus et entendus, lors du travail de
d’abandon
terrain.
La lecture des résultats de l’enquête révèle :
Deux sources principales ont fait l’objet de ce travail
d’analyse documentaire : Un ratio femmes d’origine urbaine (75%), plus important
que de femmes d’origine rurale (24%).
Un ensemble de publications, fruit d’une collaboration
Le caractère massif des mères célibataires (80.9%) dans
entre l’UNICEF et diverses entités, publiques et
les effectifs des mères en situation d’abandon.
privées,
Le taux important de mères en situation d’abandon ayant
Une sélection d’articles de journaux et de revues un niveau d’éducation primaire et secondaire (49.6%).
marocaines francophones.
La forte proportion de garçons abandonnés - entre 53%
1 - Colloques et 65 % selon les régions - par rapport à celui des filles.
Le caractère assez homogène en termes d’âges des
Journées de réflexion sur l’Enfant Privé de Famille
mères en situation d’abandon, avec celui des pères
(novembre 1991)
présumés, (identifiés par ailleurs par les mères, confirmant
Le colloque sur l’Enfant Privé de Famille, co-organisé ainsi la grossesse comme étant le plus souvent, fruit
par L’UNICEF et La Ligue Marocaine pour la Protection d’une relation amoureuse et/ou de relations sexuelles
consenties).
de l’Enfance, constitue un travail de référence dans la
mesure où, d’une part, il présente les résultats d’une L’affirmation soutenue de l’insuffisance de ressources,
première étude destinée à quantifier le phénomène de comme motif d’abandon.
l’abandon au Maroc, et où, d’autre part, il identifie, auprès L’abandon d’enfant comme ‘prix à payer’ pour éviter
du Grand Public les perceptions de l’enfant abandonné, un autre ’abandon /exclusion’ pour la femme enceinte
celle des parents adoptants, et pointe les modalités célibataire : celui de sa famille.
juridiques de l’adoption. Le taux anormalement élevé de décès, justifié par les
• Les différentes interventions portent conditions dans lesquelles seraient trouvés les enfants
par la police.
principalement sur :
La nécessité de réaliser des études complémentaires
La montée en puissance du référentiel ‘Droits de
en vue de définir des ‘créneaux’ d’actions.
l’Enfant’.
• Enquête qualitative relative aux perceptions
Le caractère incontournable de la Chariaa islamique, de l’enfance privée de famille auprès du grand
dans le contexte national et maghrébin, avec aussi, la public
nécessaire évolution des textes et la substitution à
Les résultats de l’investigation réalisée auprès du grand
terme, de la Kafala par le Tanzil.
public, permettent d’identifier assez précisément les
Le choix du concept ‘d’Enfant Privé de Famille’, préféré lignes de force de structuration des perceptions attachées
à celui d’enfant abandonné. aux, contexte et motifs de l’abandon :

La coordination entre différents acteurs, publics et privés, La réalité des relations sexuelles hors mariage, qui se heurte,
et la détermination d’une entité gouvernementale de à l’interdit édicté par la Loi, civile ou religieuse :
référence, pour une meilleure efficacité dans la gestion le registre de ‘l’illégal’ dans la relation, conduit à un statut
des actions. d’enfant, positionné dans le champ du ‘Péché’.

26
La contention de la problématique de l’abandon dans le Une prise en charge institutionnelle des enfants
champ strict de la pauvreté et de l’analphabétisme. abandonnés au travers d’unités familiales créées et
susceptibles d’être gérées par des associations, à l’image
La corrélation faite entre un environnement juridique
de ce que fait l’association Kinderdorf International.
répressif et les conditions hostiles du cadre de
l’abandon. Des actions de prévention des naissances hors mariages
Une valorisation d’institutions ayant trouvé un compromis et de l’abandon, à travers la mise en place d’unités
entre la prise en charge institutionnelle et un mode de d’écoute et de guidance, des mères en difficulté et des
fonctionnement de ‘type familial’ : Village SOS Enfants. adolescentes.

Le caractère hégémonique du référentiel religieux dans Les communications présentées par l’Algérie portent
les propos des participants et relatifs à l’adoption : filiation, principalement sur les contextes, les enjeux, les freins,
héritage, positionnement de l’adoption dans le champ de mais aussi, de manière pertinente, sur les bonnes pratiques
la bienfaisance et de la charité. de la prise en charge institutionnelle et professionnalisée
de l’abandon, en insistant particulièrement sur :
L’affirmation que l’adoption d’un enfant répondrait à
un ‘besoin’ du couple, dont la nature serait, soit d’ordre Le positionnement de l’identité et de la filiation comme
psychologique - combler un manque, équilibrer le couple - enjeu social et culturel majeur, posant la question du
soit d’ordre moral - bonne action/charité. statut de l’enfant abandonné, mais aussi celui de ses
Un sentiment partagé, que les formalités d’adoption modalités d’adoption ;
protègent les droits de l’enfant, mais une perception plutôt Le transfert positif de la responsabilité du Ministère de la
négative sur le dispositif supposé interdisant à l’enfant de Santé au profit de celui des Affaires sociales, permettant
porter le nom du père adoptif, et les risques attachés à la une démédicalisation de la question des enfants
succession. abandonnés ;
La ‘conviction absolue’ que l’intégration des filles en La description d’un taux historique ‘catastrophique’ de
famille adoptive, serait plus facile et ce d’autant plus
décès d’enfants, pourtant pris en charge en institutions
qu’elle est précoce, avec une peur évoquée, chez les
et faisant l’objet d’un suivi médical, situation décrite
parents adoptifs, liée au risque que l’enfant soit ‘repris’.
comme la résultante « d’une dynamique mortifère
L’existence possible de troubles de la relation parents projetée sur ces enfants ».
adoptants/enfant adopté, consécutive au malaise engendré
L’affirmation récurrente que l’institution est un ‘mal
par la gestion anxiogène de la question des origines.
nécessaire’ qui doit être temporaire, et que la solution se
Le poids de la famille élargie dans la réussite ou l’échec trouve dans l’accueil dans un cadre familial, à condition
de l’adoption, posant très justement les limites du pouvoir que la loi intervienne pour clarifier le statut de l’enfant,
de décision et d’autonomie du couple dans la société en matière de filiation.
marocaine au regard de la famille au sens large. Ainsi
La communication de la responsable de la pouponnière
l’héritage peut-il être l’occasion d’un repositionnement
d’Alger attire l’attention sur plusieurs points
global de la famille, par rapport à l’enfant adopté.
fondamentaux, comme :
Premier Colloque Maghrébin sur l’Enfant privé Les risques psychologiques attachés à l’hyper
de famille (Octobre 1992) médicalisation de la prise en charge des bébés et jeunes
enfants.
S’inscrivant dans la continuité des Journées de Réflexion
sur l’Enfant Privé de Famille, ce colloque maghrébin initié L’organisation des espaces par tranches d’âge, avec
par la LMPDE et l’UNICEF, est intéressant à plus d’un des effets ‘d’automatisation’ néfastes pour la prise en
titre. charge.
Le choix du personnel en contact avec les enfants :
Les communications présentées par la Tunisie et le Maroc
l’auteur insiste sur les risques inhérents à la prise en
se fixent comme objectifs principaux de repositionner la
problématique de l’abandon et de l’adoption dans son charge d’enfants abandonnés par des mères célibataires,
contexte juridique, et de présenter différents dispositifs en raison des risques de déstabilisation réciproque.
de gestion et de prise en charge des enfants victimes L’emploi de la dénomination de ‘berceuse’ pour
d’abandon dans ces pays. les femmes prenant soin des enfants au sein de la
pouponnière.
Si la communication tunisienne ne permet pas d’identifier
l’ampleur du nombre d’enfants abandonnés en Tunisie, Au final, les auteurs proposent en matière de prise en
les perspectives d’actions présentées mettent l’accent charge institutionnelle - définie comme devant être
sur deux axes principaux : temporaire, pour les enfants abandonnés adoptables -

27
de passer de la culture du geste (médical/ alimentaire) à Les difficultés et résistances rencontrées pour recueillir
celui de la relation (la parole), seule garantie d’une lutte une information fiable sur le fonctionnement des
efficace contre la mortalité précoce, le développement institutions, cause ou conséquence d’un manque de
des carences et celui des troubles de la personnalité. culture de la transparence des responsables de ces
La lecture des conclusions et des recommandations structures, qui apparaissent souvent dans une posture
formulées à l’issue de ce premier Colloque Magrébin défensive.
sur l’Enfant Privé de Famille, renseigne sur l’ampleur Le nombre de 2351 enfants abandonnés, pris en charge
de la problématique et les fortes attentes des différents par les associations en 2005.
acteurs à l’égard des instances étatiques : Une affirmation que la violence subie par les enfants en
Aspects juridiques, institution serait le fait d’adultes /éducateurs, information
Nécessité de la collecte et de la diffusion de partielle au regard du matériel recueilli sur le terrain de
l’information, cette étude, dans les institutions accueillant des enfants
de plus de six ans.
Actions de prévention,
Le rôle incontournable de la société civile et des ONG,
Urgence de réalisations de structures d’accueil.
dans la sensibilisation des Pouvoirs Publics sur la
2 - Etudes et recherches question.
La situation des enfants au Maroc, l’environnement La seconde étude intitulée : la violence à l’egard des
juridique et l’institution comme lieu d’accueil et de prise enfants au maroc7, dresse un tableau général sur les
en charge, temporaire ou durable, des enfants privés de violences subies par les enfants. Le comité des Droits de
famille, sont des sujets importants dans les différents l’enfant, des Nations-Unies, classe en effet, l’abandon
documents présentés. et la non-reconnaissance parentale comme des formes
Alors que la qualité de la prise en charge de l’enfant de violence perpétrées à l’encontre de l’enfant.
privé de famille constitue un aspect essentiel dans De la lecture de cette étude, et en rapport à la
le devenir de l’enfant et sa capacité à développer un problématique de l’abandon, il convient de retenir les
rapport positif au monde, force est de constater la rareté éléments suivants :
des études ou des publications marocaines disponibles
Que la famille adoptive ou la famille d’accueil - tout
relatives à ce sujet. Les pratiques développées restent
comme la famille biologique- peut constituer un cadre
en effet, confinées dans le cadre des institutions, sans
d’exercice de la violence à l’encontre de l’enfant.
que le savoir-faire accumulé et les bonnes pratiques
développées, puissent être vulgarisés et mutualisés. Que les enfants recueillis par les institutions de
bienfaisance subissent des violences physiques et
Il parait intéressant de présenter trois études qui abordent,
psychologiques, sous couvert de méthodes éducatives.
avec des objectifs parfois différents, la problématique
des enfants abandonnés. Que les enfants privés de milieu familial, seraient les plus
exposés aux formes les plus sévères de violence.
Une première étude intitulée : ‘les enfants en institution au
maroc, etude de cas’(6) se fixe comme objectif principal Par ailleurs, l’étude réalisée met en lumière :
d’évaluer la conformité des prises en charge des enfants La prévalence de la population des garçons comme
en institution au Maroc au regard du référentiel constitué victimes des violences traitées en justice, avec comme
par la Convention Internationale relative aux Droits de corollaire - à l’exception des condamnations pour trafic
l’Enfant et des recommandations du Comité des Droits d’enfants - la surreprésentation des hommes comme
de l’Enfant de juin 2003. auteurs de la violence à l’encontre des enfants.
Il conviendra de retenir, eu égard aux objectifs spécifiques La réalité de la violence entre mineurs avec une prévalence
de la présente recherche : forte des garçons comme victimes et auteurs.
L’importance de l’abandon comme forme de violence la
plus déclarée à la Gendarmerie Royale : (867 en 2004,
813 en 2005, soit 50.5% et 49.69% des violences
déclarées).
Le caractère dominant des familles monoparentales
-mères célibataires, veuves, divorcées ou abandonnées
- dont sont issus les enfants victimes de violence pris en
charge par les ONG (79.4%)
Le faible taux de violence déclarée au sein des institutions
de bienfaisance - 0.7% - en décalage avec la réalité
identifiée lors des études (dont celle-ci) : des attitudes
et des pratiques éducatives violentes sont repérées au
niveau du secteur de la prise en charge, de l’enfant âgé
de plus de six ans.

(6) Commanditée en 2005 par le Secrétariat chargé de la Famille, de l’Enfance


et des Personnes Handicapées, par l’Espace Associatif et l’UNICEF (7) Commanditée par le Ministère de la Justice et L’UNICEF en 2006

28
La dernière étude présentée s’intitule : « La situation des • La complexité et la longueur des démarches
enfants au Maroc8 ». Cette étude se fixe comme objectif
Au delà de la présentation de la Kafala et de certaines de
de dresser un tableau de la situation des enfants au
ses ‘limites’, un grand nombre d’articles est consacré aux
Maroc à travers une approche ‘droits humains’, et ce,
difficultés et à la longueur des procédures ‘d’adoption’,
pour la période 2001-2005. sans que les raisons précises de ces longueurs ne soient
Au delà d’une présentation exhaustive de l’ensemble du forcément identifiées ou explicitées. ‘L’urgence absolue’
corpus réglementaire et législatif ayant trait aux droits de de trouver un foyer d’accueil pour un enfant placé
l’enfant, ce document rappelle : en institution, constitue souvent l’argument principal
identifiable des attentes d’accélération de la procédure.
L’importance de l’approche ‘genre’ dans les analyses à
conduire. • L’abandon

Le progrès que représente l’enregistrement des enfants Plusieurs articles abordent la question de l’abandon d’un
abandonnés à la demande du procureur du Roi, sous un point de vue plus général en s’intéressant à l’origine des
nom et un prénom patronymique. enfants, aux raisons ayant conduit à leur abandon, ainsi
qu’au contexte du recueil de l’enfant et de sa prise en
Le caractère défaillant de nombreuses institutions charge en institution.
d’accueil en termes d’encadrement, de compétences
professionnelles et de supervision, en dehors du volet Il convient de relever que si, dans les différents supports,
financier. le traitement de la Kafala renvoie à des perceptions
relativement homogènes, celui de l’enfance abandonnée
Le décalage entre la réalité de l’environnement juridique laisse percevoir des positionnements éditoriaux
et la réalité de terrain. différenciés. Le type d’appréhension réservé à la question
3 - Articles de presse de l’abandon, est varié : recherche du sensationnel, voire
du scandaleux, positionnement réformiste et humaniste,
Au-delà des publications commanditées et réalisées par les choix du pathos de type affectif…
institutions internationales et nationales impliquées dans
la protection de l’enfance, objectif initial de la recherche - L’enfant
documentaire, une investigation complémentaire a été Il fait toujours l’objet de sollicitude et est présenté
réalisée sur le contenu de la presse écrite nationale, comme la victime innocente d’une situation complexe,
afin d’identifier les modalités d’approche, ainsi que les même si souvent, dans une perspective de dénonciation
thématiques les plus fréquemment traitées en matière ou d’information, son ‘statut’ d’enfant du péché dans
d’abandon. l’imaginaire social, est rappelé.
Ce travail d’analyse a porté sur une vingtaine d’articles
parus entre 2005 et 2009 et disponibles sur Internet. - L’auteure de l’abandon

• La kafala La ‘mère célibataire’ est identifiée comme l’auteure


principale de l’abandon : la grossesse est le plus souvent
La présentation du dispositif de la Kafala - sources et cadre associée à une promesse de mariage non tenue, parfois
du Droit, obligations et contraintes, procédures - constitue à des relations imposées, plus rarement à une relation
le thème central de nombreux articles consultés, validant amoureuse. Les principales causes attribuées à l’abandon,
l’efficacité du travail de plaidoyer réalisé par les différents mettent l’accent sur la peur engendrée par les injonctions
acteurs s’intéressant à l’enfance privée de famille. collectives, donc sur le rôle de la famille restreinte et
Dans ce cadre, trois aspects plus particuliers de la loi, élargie. Parallèlement, la sur représentation du garçon en
sont évoqués : milieu d’accueil, se justifierait par des attitudes de mères
qui abandonnent davantage les garçons au détriment
Les limitations souvent décrites comme injustes, de la des filles : perceptions ou réalité ? Ces réflexions évitent
loi relative à la filiation, surtout et au travers des résultats d’étude, d’évoquer
L’absence de droit à l’héritage; même si la possibilité le problème de l’adoption illégale des filles et de ses
offerte de doter l’enfant d’un tiers de l’héritage par un circuits.
acte spécifique est toujours citée,
Par ailleurs, dans les média, l’inceste fait l’objet d’un
L’apport réel que représente la Kafala, et ce, en dépit des traitement spécifique : certains articles iront jusqu’à
limites actuelles observées dans la résolution du problème établir un lien plus ou mois important entre l’inceste et
de la sur représentation des enfants abandonnés au sein l’abandon d’enfants, voire ‘identifier’ un mode de relation
des institutions d’accueil. fréquent dans certaines régions !

(8) Réalisée en 2007, commanditée par l’UNICEF en collaboration


avec le Centre d’étude en droits humains et démocratie.

29
Les lieux de l’abandon

Le contenu des articles relatifs aux lieux d’abandon de La création d’une association regroupant des parents
l’enfant, fait la part belle à la rue : si l’information correspond adoptifs ou en voie de l’être peut être identifiée comme le
à la réalité du présent, certains articles n’hésitent pas à signe des évolutions sociétales du Maroc, et du besoin des
‘forcer le trait’, de l’émotionnel et du sensationnel, en
familles kafil, de disposer un cadre propice au plaidoyer.
omettant généralement l’évolution des abandons directs
opérés chez le juge, en vertu des ‘nouveaux textes’ qui
‘dépénalisent’ certaines formes d’abandon.
Synthèse
La prévention de l’abandon
L’analyse documentaire portant sur les colloques,
Cet aspect essentiel reste le plus souvent dans l’ombre, en publications et recherches relatives à la problématique
raison des implications sociétales inhérentes à la question des enfants abandonnés, met en évidence :
: réalité d’une sexualité hors mariage, information sexuelle
et contraception non adressées spécifiquement aux Le caractère partiel et non homogène des informations
populations célibataires, absence de structures d’accueil disponibles, en termes de données chiffrées et
et d’accompagnement, impossibilité légale d’avortement d’analyses en lien avec l’enfant privé de famille, pour
en cas de viol ou d’inceste… pouvoir répondre avec pertinence aux questions: Qui?
Pourquoi? Comment? Où ?
• Les institutions d’accueil
La montée en puissance de la Convention Internationale
Qu’elles soient destinées à l’accueil des nouveau-nés ou relative au Droits de l’Enfant comme référentiel majeur
des enfants plus grands, les institutions font l’objet de dans les réflexions conduites sur la problématique des
nombreux commentaires dans les articles écrits relatifs à
enfants privés de famille.
l’enfance abandonnée.
Le consensus exprimé sur le caractère positif de la Kafala,
Leur lecture laisse percevoir une ambivalence de non contradictoire avec des attentes d’une évolution
contenus, avec un clivage, assez fréquent, effectué entre souhaitable de certains de ses aspects.
les ‘mauvaises institutions’ -orphelinats- les ‘bonnes
institutions’, étant les structures accueillant les nouveau- Le caractère discret des publications relatives à la prise
en charge des enfants en institution, quel que soit
nés et les très jeunes enfants9.
leur âge, notamment sur le plan comportemental et
Quels que soient la qualité du cadre proposé et le psychologique.
professionnalisme des intervenants, un discours général
Le passage progressif, mais non encore abouti, d’une
peut être identifié sur la non adéquation des institutions
culture de la bienfaisance et de la charité à une culture
en matière d’accueil, à moyen et long termes, pour
plus professionnalisée des institutions prenant en charge
les enfants privés de famille. Par ailleurs, le devenir
les enfants privés de famille.
problématique des enfants ‘handicapés’ et des enfants
non adoptables, est parfois posé. Les enjeux sociétaux sous-jacents à une conceptualisation
plus claire et opérationnelle des problématiques attachées
• Les couples en quête d’enfant à l’abandon.

Les couples souhaitant ‘prendre’ un enfant en kafala, font L’urgence d’une coordination des actions, rendue difficile
l’objet de nombreux commentaires : leur démarche est le par l’absence d’une structure étatique de référence,
plus souvent évaluée de façon très positive, et le désir, permettant de mettre en œuvre une stratégie globale,
avec un pilotage et une coordination des actions.
souvent limité aux ‘couples stériles’. ‘Désir d’enfant’,
‘besoin de combler un manque’ ou’ besoin de donner de Le travail de lecture de la presse écrite nationale permet
l’amour’ sont les motivations le plus souvent identifiées d’affirmer :
chez les couples en demande d’enfants. Aussi, la relation
Que la presse constitue un élément important dans la
établie entre les ‘besoins affectifs’ d’un enfant privé de
construction des perceptions et l’évolution des mentalités
famille et le ‘désir d’enfant’ d’adultes, constitue t-elle de du Grand Public, en participant à une meilleure diffusion et
manière quasi systématique, une justification valable et compréhension du dispositif de la Kafala, en développant
suffisante de la kafala . Seuls les critères cités, de ‘bonne souvent une vision humaniste de la question des enfants
moralité’ du couple, les conditions de ressources et de privés de famille ainsi que des mères célibataires, et en
logement, apparaissent suffisants pour assurer la kafala10 posant avec plus ou moins d’aisance, les questions de
de l’enfant abandonné. société soulevées par cette question.

(9) Seul un des articles consultés fait explicitement référence à une action de justice à l’encontre d’une association accueillant des enfants abandonnés.
(10) A l’exception d’un article qui traite de la nécessité de questionnement du couple en demande de kafala, et d’une possible non adéquation entre la demande
et le potentiel offert à l’enfant, en matière de développement.

30
Que les lacunes ou les insuffisances, voire les 1.1 Acteurs institutionnels
inexactitudes, parfois identifiées dans les articles,
doivent conduire l’ensemble des acteurs impliqués dans
la problématique - acteurs institutionnels et associatifs,
1-1-1 Le Ministère du Développement Social,
professionnels de l’enfance, parents – à poursuivre et de la Famille et de la Solidarité
intensifier le travail de plaidoyer, que ce soit au niveau de En fédérant l’ensemble des activités qui relèvent du
la prévention de l’abandon, de qualité de la prise en charge social en un pôle unique, le Ministère inscrit ses actions,
institutionnelle, ou bien encore, des modalités concrètes conformément à une volonté politique qui appréhende
d’application de la Kafala, voire de son évolution. le développement social avec une vision globale et
intégrée. Par ailleurs, le nouveau pacte social annoncé
dans la déclaration générale du gouvernement, cible les
III - intervenants: programmes, grandes questions : pauvreté, exclusion et précarité,
actions inégalités de genre, travail des enfants, et intégration
(PANE)
des personnes à besoins spécifiques.
« Qui est concerné par ce plan ? … Pour chacun des Le plan stratégique 2008-2012 du MDFS s’inscrit
résultats escomptés, sont mentionnés les acteurs également, dans un contexte marqué par l’Initiative
prioritaires chargés de sa mise en ouvre. De nombreux Nationale pour le Développement Humain, et dans
résultats à atteindre s’adressent à plusieurs acteurs le cadre de l’adhésion du Royaume au respect des
ouvrant dans le domaine des droits de l’enfant. Pour conventions internationales et leur application.
éviter les répétitions, il est à noter que c’est d’abord le Aussi, en relation avec le sujet d’étude, l’on peut
Gouvernement du Maroc qui est habilité à mettre en considérer que le plan stratégique 2008-2012, déployé
ouvre ce Plan d’action. Néanmoins, toutes les institutions par le Ministère en cinq axes, s’intéresse à la fois au volet
publiques et privées, les élus, les ONG’s, les enfants, les enfance, à la thématique de l’exclusion, et aux acteurs
employeurs et les syndicats, les institutions de formation intervenant dans la mobilisation sociale1.
et les médias ainsi que les Organismes Internationaux de
Coopération sont appelés à se mobiliser autour de ce Plan En outre, lors de la tenue en 2002 de l’Assemblée Générale
d’Action National pour l’Enfance pour la promotion des des Nations Unies, le Maroc comme l’ensemble des
droits de l’enfant pour un : ‘ Maroc digne de ses enfants ‘. pays représentés, a adopté une déclaration et un plan
‘Pour un Maroc digne de ses enfants’ d’action « monde digne des enfants » en vue d’ici 2015,
d’améliorer la situation des enfants dans le monde. Le
Ministère du Développement Social a ainsi adopté en
1. Les Intervenants dans la question
2006, un plan d’action national pour l’enfance 2006-2012
d’abandon d’enfants
Les intervenants en charge de l’abandon sont nombreux, « Maroc digne de ses enfants ».
constitués d’institutionnels, et d’ONG. Comme spécifié
dans le Plan d’Action National pour l’Enfance (PANE), le Le PANE vise, globalement, à améliorer les conditions
chef de projet est ‘ le ministère du Développement social, de santé de l’enfant, à lui assurer un enseignement
de la famille et de la solidarité, en tant que département de qualité et à le protéger contre toutes les formes de
chargé de la coordination de l’action sociale en matière de maltraitance, de violence et d’abus. Le PANE, propose 10
protection de l’enfance et coordonateur national du suivi objectifs qui ambitionnent, dans une dynamique collective
et de l’évaluation du PANE, en collaboration avec le comité et concertée, de répondre à cette mission globale 2.
technique composé de 17 département ministériels. Le PANE part d’acquis spécifiques du Maroc relatifs aux
Lors de l’étude, à travers le discours des intervenants enfants abandonnés (loi sur la kafala) des lacunes (en
rencontrés, ou à travers ‘l’observation’, si certains des matière de prévention) des réalisations (actions curatives
Ministères cités ont été évoqués, le programme INDH, la de la LMPE essentiellement) 3, évoque les acquis en
Fondation Mohamed V pour la solidarité, ont été également direction des enfants à besoins spécifiques : (lois, de
identifiés comme intervenants. protection des déficients visuels ; de protection des
enfants handicapés…)et les efforts à entreprendre en
Dans ce chapitre, le choix se portera sur le Ministère du
faveur de l’enfant à besoins spécifiques avec des actions
développement Social de la Famille et de la Solidarité
planifiées, des mesures envisagées, des différentes
(MDFS) : dans la mesure où l’un de ses axes majeurs
responsabilités des intervenants, des indicateurs de
d’intervention, est d’œuvrer directement, à travers
performance et des échéances (un réexamen des textes
l’Entraide Nationale ainsi qu’à travers l’appui aux initiatives
de lois ; actions, de sensibilisation, de prévention, de
des associations ou indirectement en faveur de l’enfance
prise en charge…)
abandonnée (en supervisant et contrôlant par ailleurs, les
structures dédiées, à leur prise en charge), il est apparu (1) l’enfance et la mobilisation des acteurs » et à travers l’axe stratégique 4,
opportun d’étudier l’état d’avancement du Ministère en d’assurer une «politique de développement inclusif des personnes
en situation de handicap»…
matière de réalisation d’actions et programmes. (2) voir annexes P.20 (3) voir annexes P.21

31
De l’ensemble des aspects cités, vision globale, Bilan
stratégies et plans d’actions, programmes et catégories
Le bilan des réalisations de l’année, dressé par le
cibles, la population enfance abandonnée est considérée,
Ministère évoque un programme de formation (10.000
en conséquence, comme une des cibles prioritaires
travailleurs sociaux à l’horizon 2012) et des programmes
visées par le gouvernement. Par ailleurs, le Ministère du
susceptibles de bénéficier davantage aux programmes de
développement est le chef de projet auquel est attribué la
précarité et aux enfants abandonnés âgés de plus de six
mission de concrétisation et de supervision des actions à
ans (appui à l’éducation et à la scolarisation des orphelins
mener autant en faveur de l’enfance abandonnée, qu’en
et enfants issus de familles nécessiteuses, et en matière
direction des populations à besoins spécifiques.
d’assistance et d’aide, de janvier à fin septembre 2008, plus
Concernant le handicap dont l’effectif a été identifié, de 340 opérations de dons issues de saisies douanières).
lors de cette étude, comme surreprésenté au sein Concernant le handicap suite à une convention de
des structures en charge de l’abandon, le Ministère partenariat élaborée en 2004 avec le Ministère de la
a également une stratégie ciblée avec des axes santé, l’équipement en 2008 de chacune des régions,
(coordination de programmes gouvernementaux, projets en salles d’orthophonie, et de psychomotricité.
de lois, plan d’action national pour l’intégration des Le plus souvent, ce bilan ne concerne que très
personnes en situation de handicap4…) partiellement l’enfance abandonnée à la naissance.
L’Entraide Nationale. • Des projets de coopération concrétisés

Si l’action du Ministère n’a pu être particularisée, ou en cours de concrétisation


certaines structures qui relèvent de son autorité, comme En juillet 2009, un protocole administratif du projet
l’Entraide Nationale, ont été toutefois évoquées, (souvent d’appui aux politiques publiques de protection des
sans que des liens soient effectués avec le Ministère mineurs vulnérables, a été signé entre le MDFS et
de tutelle) comme intervenant au sein d’associations l’agence Espagnole de Coopération Internationale
en charge de l’enfance abandonnée à la naissance : ici pour le Développement. Il vise la mise en marche d’un
il s’agira notamment d’une contribution à travers un programme de coopération pour un système intégré de
personnel dédié, généralement jugé insuffisant au regard protection de l’enfance au Maroc, intégrant les services
des besoins évoqués, et de subventions diversement sociaux régionaux de proximité6.
attribuées en fonction des intervenants, mais également
Relation avec la problématique de l’abandon :
considérées comme ‘insuffisantes et inadéquates’.
Si les programmes évoqués ci-dessus sont dans leurs
Ici aussi se poseront des questions soulevées par les ‘balbutiements’, la rencontre du Samu social à Casablanca
interlocuteurs rencontrés, en matière d’adéquation du tend à identifier un lien projeté, sur les moyen et long
personnel, (formation, concordance aux besoins, et termes, en matière de prévention de l’abandon, à travers
‘efficacité’ globale)5. l’assistance et le soutien de mères célibataires et leur
accueil dans une structure dédiée. Cette assistance aux
mères célibataires apparaît en même temps, comme
effectuée à posteriori, elle doit être contenue dans les
objectifs initiaux du Samu social, et donc intégrée dans
le cadre d’une stratégie visant la lutte contre l’abandon.
• Des cellules dédiées à ‘l’écoute’ de la violence,
‘bénéfiques, à posteriori, pour la prévention
de l’abandon’ :
Au cours de l’étude réalisée, les intervenants sociaux
rendront compte, de l’importance des cellules d’accueil
dédiées à la violence, dans la mesure où indirectement,
elles permettent de rencontrer des populations ‘mères
célibataires’, et par conséquent, à travers une orientation,
éviter potentiellement l’acte d’abandon.
Ces cellules sont cependant dans le présent, à la fois
sous-représentées sur un plan régional, et souvent
décrites comme rudimentaires (encadrement, moyens,
compétences).
(6)Coût : deux millions d’euros et engagement budgétaire accordé au secteur,
de 39.282.929 d’euros pour la période 2006 – 2011).
Ce programme inclue la Création d’Unités de Protection de l’Enfance (UPE) et
d’un système public de protection de l’enfance avec ‘ SAMU social’ (service
d’aide mobile d’urgence sociale) dans les régions de Tanger - Tétouan (UPE à
(4) voir annexes P.21-22 Tanger et SAMU social à Martil), Souss-Massa-Draa (UPE à Agadir) et l’Oriental
(5) voir annexes P.23 (UPE et SAMU social à Oujda).

32
Synthèse :

Trois années après la ‘déclaration’ du plan d’action Au niveau de la réalité et du présent, comme il sera
national pour l’enfance 2006-2012, la question se pose par souligné tout au long de l’étude, malgré l’absence de
rapport aux réalisations concrètes en faveur de l’enfance stratégie spécifique dédiée, le Ministère de la Santé
abandonnée, notamment celle, ‘objet’ de l’étude, âgée est apparu comme l’un des acteurs majeurs dans la
de moins de six ans. Par ailleurs, les ‘actions positives’ problématique de l’abandon.
décrites en faveur de la lutte contre l’abandon (cellules
En dépit de la perception de contrainte souvent évoquée
violence, Samu social) seront davantage à appréhender
par ses ‘intervenants internes’, le Ministère de la Santé,
comme des ‘mesures de conjoncture’ ne visant pas à a été identifié comme ‘secteur concerné’ conformément
priori le sujet de l’abandon : elles tendent à l’inverse, aux ‘prescriptions’ du PANE : ici, par ailleurs, une
à refléter une certaine réalité sociale, où la question dynamique et une mobilisation particulières des
de l’abandon se rencontre à ‘différents niveaux, dans intervenants sociaux, visant l’amélioration de l’existant,
l’ensemble des secteurs’ et se gère dans ‘l’après coup’, ont été perçues au sein des différentes structures
non dans le cadre d’une stratégie définie. Aussi, au rencontrées.
travers des résultats d’étude et des attentes d’acteurs,
se dessine la nécessité de réactiver une ‘dynamique Dans la gestion de l’abandon d’enfants, le Ministère
Pane, assoupie’ dans le présent. de la Santé intervient en effet à la fois :

2 - Institutionnels a action majeure • Dans le recueil de l’enfant en situation d’urgence lors


dans l’abandon d’enfants de l’étape première de l’abandon (premiers soins ; tests
de dépistage, et vaccination);
Dans le présent, et dans la question de l’enfance
• Dans l’accueil et la continuité de prise en charge
abandonnée à la naissance, les institutionnels majeurs
d’enfants abandonnés, en l’absence de structures
identifiés sont le Ministère de la Santé Publique, le dédiées ;
Ministère de la Justice et le Ministère de l’Intérieur,
à travers le programme INDH : ces institutionnels • Dans le partenariat avec les structures en charge de
interviennent à des niveaux variables de prise en l’enfance abandonnée : soins médicaux, octroi de, locaux,
charge, en soutien à un secteur associatif à l’apport ressources humaines, prise en charge partielle.
déterminant. Les actions menées par le Ministère de la Santé sont
assez souvent considérées par les acteurs, comme
2.1. Le Ministère de la Santé
effectuées dans le ‘fait accompli’ : en dépit de cela, un
La stratégie du Ministère, ‘Maroc 2008-2012’, ‘ensemble impact majeur en matière de prise en charge sanitaire, et
pour le droit à la santé’, s’inscrit dans le cadre des de diminution de la mortalité.
paramètres mis en place par l’Organisation des Nations Malgré les propos des uns et des autres, le Ministère
Unies, en vue d’assurer pour tous les citoyens un de la Santé est apparu lors de cette étude, comme un
meilleur accès aux soins et aux médicaments. acteur incontournable, dans la question de l’abandon.
Cette stratégie puise sa dynamique dans une approche Ici un paradoxe se perçoit : si la contrainte évoquée à
basée sur la participation et l’implication d’intervenants l’égard ‘de la santé’ diminue, et considérant l’insuffisance
« impliqués dans la question sociale, le partenariat et la des structures de soins, quelles perspectives pour
bonne gouvernance7 ». l’enfance abandonnée ? En même temps cette contrainte
‘exercée’ (ou perçue comme telle) nécessite d’être levée
Si au niveau de ses stratégies et programmes, le
par des échanges, des solutions substitutives, et des
Ministère de la santé ne contient pas explicitement et
engagements spécifiques des différents acteurs.
à un niveau ‘macro’, de plan d’action dédié à l’enfance
2.2. Le Ministère de la Justice
abandonnée, sa stratégie, déployée en quatre axes,
évoque cependant des aspects qui intéressent la santé Le rôle du Ministère de la Justice est primordial dans
du citoyen, dont plus spécifiquement pour les besoins la question de l’abandon : son action se fait sentir à
d’étude, la mère et l’enfant, et rendent compte de la des niveaux variés, en matière de prise en charge, de
nécessité de partenariat public/privé/ONGs, susceptible placement d’enfants (réquisition du Procureur du Roi) de
encore une fois, de bénéficier à la santé de la population prise de décision, de gestion, de régulation de la kafala
enfance8. et de suivi d’enfants ‘kafalés’ sur le long terme.

(7) et (8) : Voir annexes P.23

33
Comme l’étude le soulignera plus loin 9, et à travers L’encadrement de la Gendarmerie Royale -officiers,
les données communiquées, pour rendre compte des assistantes sociales- bénéficie par ailleurs de formations
actions menées par les différents tribunaux de la famille, internes relatives à des ‘modules’ de protection de
se perçoivent les prémices d’une vision qui vise à traduire, l’enfance.
au travers d’indicateurs de performance, les actions de la
justice, générales et spécifiques à l’abandon d’enfants. Les problèmes du présent, concernent notamment
les obstacles de plus en plus fréquents en matière de
2.3 La Sûreté nationale placement d’enfants : certaines structures d’accueil
Ici aussi, la sûreté Nationale est impliquée en amont,
sont en effet ‘saturées’, et d’autres, face à la demande
non pas dans la prise en charge, mais davantage dans
la ‘découverte’, l’orientation et le placement de l’enfant continue ‘sans les moyens qui l’accompagnent’,
abandonné. manifestent de plus en plus de réticences à ‘absorber le
flux des entrants’.
• Il s’agira ici pour les acteurs, de procéder aux mesures
de placement de l’enfant lorsqu’il est découvert, 2.4 Le Ministère de l’intérieur,
‘abandonné à la rue’. avec le programme de l’INDH
Les données fournies par la Sécurité Nationale L’Initiative Nationale pour le Développement Humain,
identifient, pour l’année 2008, un effectif total de 273
programme lancé par Sa Majesté le Roi Mohamed VI, en
enfants abandonnés sur la voie publique.
2005, vise à combattre
Si l’information obtenue reste partielle, spécifiquement
liée aux abandons dans les villes ‘principales’ du royaume
(et vivants), elle validera cependant, non pas la réalité
« … La problématique sociale…défi majeur à relever
exhaustive des ‘abandons de rue’, mais le discours
pour notre projet de société et de développement…»
obtenu auprès des acteurs, et relatif aux dynamiques
particulières de régions. et s’inscrit dans le cadre d’une vision qui nécessite de
«…concevoir un modèle de développement qui, tout en
Les taux d’abandons reportés aux admissions d’enfants,
favorisant une forte croissance économique, -réduise la
sont en effet susceptibles de traduire à la fois le type
pauvreté et les inégalités, -n’engendre pas de nouvelles
de coordination entre acteurs, les politiques d’incitation
offertes aux mères célibataires dans une ville donnée, et exclusions -et soit durable ».
le dynamisme des acteurs associatifs.

En tête des ‘référentiels positifs’, Meknès (taux Il sera nécessaire de retenir, dans le contexte des
d’abandon de rue de 11%), Marrakech, (13%), Beni
objectifs de l’étude, que dans ‘l’approche INDH’,
Mellal (16,5%), et Casablanca (19,5%).
l’enfance abandonnée est considérée comme une
• Par ailleurs, les agents d’autorité sont également population positionnée dans la « précarité extrême » et
présents lors d’un abandon formulé par la mère au sein que les personnes handicapées constituent 5,12% de la
de structures hospitalières. population11.
Ici il s’agira de différencier ceux qui, dans le discours Il faudra également retenir, qu’à travers ses actions,
porté sur leurs actions, se comportent de ‘manière
l’INDH vise à «réduire la pauvreté, la vulnérabilité, la
respectueuse ‘ à l’égard de la mère célibataire, de ceux
précarité et l’exclusion sociale» et à court -moyen
qui (toujours dans le discours des acteurs) adoptent des
propos et une attitude discriminants à son égard. terme, «Instaurer une dynamique pérenne en faveur
du développement humain et du bien-être… renforcer
Néanmoins, dans une perception qualitative globale, et l’inclusion et la cohésion sociale ».
dans une perspective comparative 10, les attitudes ont
été davantage mises en relation avec un changement L’approche, les programmes, stratégies et modalités
sensiblement positif. d’action de l’INDH, puisent dans une démarche qui
• Dans le repérage des abandons de rue, d’autres se veut ‘pragmatique’, une posture professionnelle et
‘départements’ interviennent : la Protection civile et rationnelle, à travers des outils de gestion modernes,
la Gendarmerie Royale (milieu rural) qui contribuent à avec une vision calquée sur le modèle de l’entreprise,
des niveaux d’orientation et de placement de l’enfant des plans d’action, indicateurs de performance, outils
abandonné. d’évaluation, des actions et des résultats.

(9) Voir page 100 à 110.


(10) Comparaison des attitudes évoquées lors de l’étude effectuée (11) Comme l’étude le soulignera plus loin, ce taux sera à mettre en parallèle
en 2002, et relative ‘aux mères célibataires dans le grand Casablanca’. avec celui des enfants abandonnés handicapés qui dépasse 18,5%.

34
• Moyens, actions • Lors de l’étude, 48 structures en charge d’enfants
abandonnés ont été répertoriées : parmi elles, le tiers
Dans son programme 2006-2010, l’INDH dispose d’un
ne bénéficie d’aucune aide ‘visible’ en dehors de celle
budget de 10 milliards de dirhams, et a destiné en 2006,
déployée par l’hôpital, le reste étant géré notamment par
un budget au programme précarité de 902.000 dirhams
les ONGs, par des actions conjuguées de partenariat.
par projet, (427 projets) avec 215 millions de dirhams
destinés au MDSFS. • Certaines de ces ONGs seront décrites par ailleurs, par
les acteurs hospitaliers, comme intervenant à un niveau
Au cours de l’étude menée, des actions relativement
partiel de prise en charge, et inscrites dans un partenariat
nombreuses de l’INDH ont été identifiées et entreprises
‘santé/association’.
en faveur de l’enfance abandonnée, à travers notamment,
la construction et/ou l’aménagement et/ou (plus • Dans près de 25% des situations, les ONGs gèrent
ponctuellement) l’aide au financement, de structures l’abandon de manière exclusive : en fonction des
dédiées à l’accueil et la prise en charge de l’enfant privé situations, les soutiens dont elles bénéficient, ‘toujours
de famille. partiels, insuffisants’, sont plus ou moins constants et
nécessitant le plus souvent, une ‘vive interpellation des
Si certaines critiques ont été ‘adressées à l’INDH’ par des acteurs institutionnels’ pour être formalisés.
interlocuteurs rencontrés, (et relatives à l’inadéquation
de l’offre INDH aux besoins prioritaires) il est apparu • Certaines ONGs bénéficient également d’aides
nécessaire de souligner parallèlement, (comme évoqué des collectivités locales, sans que ce soutien soit lui-
par les acteurs de l’INDH rencontrés) que les demandes même inscrit dans un cadre contractuel. Ici aussi se
émanent des structures elles-mêmes. décrivent des initiatives individuelles des intervenants
associatifs conjuguées à des positions ‘subjectives’ des
Cette ‘insatisfaction relative’ (voire cette ‘attitude institutionnels (sensibilité de certains à la thématique de
ambiguë’) des acteurs de la prise en charge, est à analyser, l’abandon) susceptibles de se traduire par des attitudes
peut-être, comme une attente ‘supplémentaire’ à l’égard ‘positives’ de soutien.
d’un opérateur identifié comme ‘doté d’un potentiel
élevé de participation’. L’attente principale à l’égard de • La prise en charge d’enfants à la naissance, est le plus
cet acteur est généralement une aide au fonctionnement souvent soutenue par des ‘associations spécifiques’, à
l’abandon. D’autres associations, généralistes (locales,
des structures.
régionales, provinciales) ou spécialistes (femmes,
Cette participation de l’INDH à la cause de l’enfance enfants, santé, médecins…) sont susceptibles de
privée de famille, en fait probablement sur un plan contribuer à des niveaux variés, en apportant un soutien
financier, le principal intervenant institutionnel ‘positif’ partiel (ressources, alimentation, soins) aux associations
dont les impacts et les réalisations ‘tangibles’ sont spécialisées dans l’abandon.
mesurables à court terme.
Modalités de soutien et coût de l’enfant
Il est apparu cependant nécessaire ici, de soulever un
questionnement : Ces différentes modalités du soutien dont bénéficient les
associations spécialisées, soulignent elles-mêmes les
Bâtir, aménager des structures, constitue une réponse
difficultés du secteur de l’abandon : pour gérer la prise
en adéquation à des besoins identifiés par les acteurs,
en charge quotidienne de l’enfant, les acteurs associatifs
de créer et multiplier, les centres dédiés à l’enfance
seront menés à gérer la ‘dispersion de l’aide potentielle’,
abandonnée, aptes notamment, à se substituer à la prise
avec le temps, l’énergie, la constance, voire les outils de
en charge hospitalière ;
communication, que cela induit pour y parvenir.
Dans un plus long terme, bâtir, aménager des structures,
essentiellement celles à grande capacité d’accueil, est Aussi, l’aide au secteur associatif est-elle également
soumise à des éléments en rapport avec la notoriété
également susceptible de renforcer l’institutionnalisation
d’une structure donnée, sa crédibilité, le relationnel
de l’abandon, avec les risques majeurs d’exclusion que
de ses membres, leur capacité à communiquer,
cela comporte.
sensibiliser et convaincre…
3 - Secteur associatif Ces critères d’évaluation sont eux-mêmes
susceptibles de bénéficier à certaines structures
Les autres intervenants, non institutionnels, sont dotées de ressources et d’outils de communication,
constitués d’ONG, le plus souvent nationales, quelquefois au détriment d’autres, et en définitive, de créer des
étayées par des coopérations internationales. écarts sensibles de moyens, entre les associations.

35
A travers le discours obtenu lors de l’étude, les ONGs Parmi les acteurs de la prise en charge, la Ligue
se définissent (et se perçoivent) comme l’interlocuteur Marocaine pour la Protection de l’Enfance, est un acteur
principal en matière d’abandon d’enfants. Leurs particulièrement visible.
actions et apports comme les soutiens dont elles
peuvent bénéficier, varient à travers une palette de Son engagement en faveur de l’Enfance abandonnée, la
possibilités de prise en charge : régulière/irrégulière représentativité régionale de ses structures, l’implication
; permanente/ponctuelle ; partielle/totale ; sensible/ en faveur de la cause, des bureaux provinciaux de la Ligue
minime ; contractuelle/non contractuelle ; ‘utile/ même en l’absence de structures dédiées à l’abandon,
superflue’ (au regard des besoins et tenant compte en font un acteur incontournable, à la fois sur un plan
des discours qui l’évaluent)…
historique et dans la réalité quantitative de l’abandon au
Les moyens et ressources déployés par les ONGs présent.
spécialisées dans l’abandon, constituent entre 80 et 100%
de l’ensemble des ressources nécessaires à l’accueil et à • En amont, des ONG internationales, sont susceptibles
la prise en charge des enfants : ces ressources puisent d’aider au financement de structures en charge de
dans l’essentiel, dans le ‘formidable mouvement’ de l’abandon, quelquefois impliquées dans la participation,
solidarité de la société civile. Cette solidarité est elle- partielle ou totale, au fonctionnement de l’activité.
même favorisée par un travail continu d’information
• L’UNICEF, organisme spécifique relevant des Nations
et de sensibilisation, mené par les acteurs associatifs
en charge de l’abandon. Unies, soutient des programmes, actions, projets,
études, ‘états des lieux’, supports… dédiés à ‘ses’ cibles
Ces éléments nécessitent dans leur ensemble, d’intégrer
et domaines d’interventions prioritaires : ‘rural, enfance,
le coût quotidien de prise en charge d’un enfant en milieu
femmes, protection, politique sociale et plaidoyer’.
d’accueil : entre 50 et 70 Dhs par enfant.
L’action de ces ONGs se reflètera au travers de l’approche Cette gestion, toujours effectuée dans une vision projets,
régionale et du recensement menés au cours de cette
avec des stratégies et plans d’actions, est majoritairement
étude, mais d’ores et déjà, se dessine leur rôle majeur,
menée en partenariat avec les institutionnels, comme le
essentiel dans la problématique de l’abandon, même si
dans le présent, parallèlement, les efforts des unes et ‘MDSFS, l’Education, la Santé’…, ou des ONG locales
des autres, ‘ici et là’, semblent avoir ‘atteint le maximum et représentatives comme la Ligue Marocaine pour la
du potentiel’. Protection de l’Enfance.

36
Synthèse
• Certains, plus rares, notamment ‘décideurs’,
Au travers de ces éléments non exhaustifs d’analyse
tendront dans les échanges à ‘poser les repères’ et
des programmes actions des institutionnels en faveur de
l’enfance privée de famille, l’on observera notamment : les référentiels ‘droits humains, droits de l’enfant,
conventions internationales’, ‘PANE’, à partir desquels ils
• Une dynamique naissante de cohésion dans le cadre structureront leurs discours et expliciteront leurs actions
d’une même vision intégrée du ‘développement social’ et programmes en faveur de l’enfance privée de famille.
pouvant à terme, bénéficier à ‘la population’ privée de
famille ; Au sein de la LMPE, le discours s’inscrit dans le cadre
d’une application des stratégies, programmes, actions,
• Une dynamique naissante de connexion des acteurs portant sur les droits de l’enfant, évoquant le respect des
pour une chaîne d’intervention continue ; conventions internationales, avec des référentiels (dont
• Des partenariats et collaborations des différents acteurs le PANE) et des politiques mises en place et élaborées
en cours de formalisation ou de consolidation ; au niveau central, répercutées à un niveau régional,
Cependant, dans le présent, lorsqu’elles existent, des A SOS, le discours est majoritairement axé sur la question
actions concrètes en faveur de l’enfance abandonnée, globale ‘droits de l’enfant’, avec une stratégie évoquée
réellement insuffisantes, au regard des besoins identifiés,
en adéquation,
au regard également des ‘plans et programmes’, des
prévisions, des engagements et des attributions des Au sein de la fondation Rita Zniber, enfin, le discours posera
institutionnels. comme préambule aux échanges, la question des droits de
l’enfant et le respect des conventions internationales ;
Par conséquent, au travers de ces premières informations
relatives au ‘secteur de l’abandon’, des attentes • Pour les autres intervenants rencontrés
majoritaires se dessinent chez les acteurs de la prise en (majoritaires), la question du droit est apparue,
charge:
Chez les uns, ‘diluée’ dans des propos qui évoquent le
• La nécessité pour l’Etat de s’impliquer de manière
‘droit à la vie, à la dignité et au respect’ (propos souvent
‘sensible et conséquente’ ;
été évoqués au sein de structures hospitalières) ;
• La nécessité de formaliser une structure gestionnaire
Chez les autres, nombreux, le discours du droit comme
‘influente et prépondérante’ susceptible à la fois d’œuvrer
référentiel majeur, est relativement absent : ici, il s’agira
directement en faveur de la prévention et de la prise en
davantage de propos qui évoquent les sentiments à
charge des enfants abandonnés, et de fédérer clairement
l’ensemble des intervenants ‘du projet abandon’, de les l’égard des enfants, de compassion, de bienveillance, de
accompagner et de les soutenir. ‘pitié’, avec les ‘attitudes charitables’. Il faut souligner ici
cependant, que ces questions paraissent envahies par
• La nécessité d’apporter un soutien global aux structures, des représentations dominantes qui mettent l’accent
financier, organisationnel, stratégique, avec des moyens
sur les difficultés de réalité et relatives à des ‘questions
humains et didactiques.
prioritaires’ de prise en charge.
En somme, après des ‘phases d’études, de réflexion et
Deux constats, en conséquence
d’organisation’, la nécessité, pour les institutionnels
en charge de l’abandon, d’intervenir à des phases de • Le référentiel clair à la convention des droits de l’enfant
‘concrétisation sensible et tangible’, identifiables est relativement peu présent, davantage spécifique de
par les intervenants de la prise en charge. structures historiquement impliquées de façon active
dans la prise en charge de l’enfant privé de famille.
Ces intervenants de la prise en charge se distinguent
Parallèlement, au sein même de ces structures, ce
par ailleurs par leur contribution, programmes, plans
référentiel est surtout présent dans les propos des
d’actions, moyens,
‘décideurs’.
Ces intervenants de la prise en charge se distinguent
également par leur implication dans la question de • La grande majorité des intervenants de la prise en
l’abandon, les effectifs gérés d’enfants privés de famille, charge, et dans le discours, ne semble pas lier ses
et leurs capacités d’accueil. actions à un cadre global de réflexion, à une politique
d’Etat, institutionnelle, de développement global,
Il faut souligner par ailleurs et enfin, que les référentiels
intégrant les objectifs du PANE dans sa stratégie d’action.
dominants varient en fonction des intervenants associatifs
Méconnaissance ?
rencontrés :

37
En même temps, une tendance semble se dessiner, Sensibilisation et communication des acteurs et de la
avec une dynamique globale, avec des efforts qui ne se population,
perçoivent pas toujours dans les discours, mais qui se En vue d’accélérer le processus d’intégration du discours
traduisent dans les actions, en faveur d’une intégration du droit?
progressive du concept ‘droits de l’enfant’.
Cette intégration progressive est apparue comme
offrant une alternative positive permettant d’abandonner
(sans que les sentiments qui les accompagnent soient
exclus nécessairement) les référentiels subjectifs de la
bienfaisance et de la compassion.

38
39
Chapitre 2

Données et analyse
de l’existant en matière
d’abandon d’enfants
Préambule : apprehension et modalites d’expression
de l’abandon

Les discours restitués au cours de l’étude, par les Ces abandons seront majoritairement décrits comme
auteurs, victimes, acteurs de la prise en charge, et étant sensiblement les plus fréquents, et figurent des
relatifs à l’abandon d’enfants à la naissance, mèneront séparations douloureuses entre la mère et son enfant.
à opérer à des différenciations catégorielles, en rapport
L’abandon ‘déchet’ ou l’indifférence perçue à l’égard
aux expressions du phénomène, à ses manifestations,
de l’enfant : le nourrisson abandonné se figure ici, rejeté
expressions et modalités d’action.
pour ce qu’il représente en tant qu’objet de mépris et de
L’on notera que dans les sens attribués, l’abandon à répulsion. Il est davantage perçu comme représentant
la naissance se percevra différemment avec un lien
pour la mère, un objet hostile, ‘mauvais objet’, une
souvent effectué entre ‘la forme et le fond’. Autrement
menace expulsée et dont il faut se débarrasser sans
dit, le regard porté sur l’abandon variera en fonction des
laisser de trace de la faute commise.
circonstances, en le justifiant ou le condamnant, dans
une échelle graduée. Le plus souvent ces types d’abandons s’effectuent
dans des lieux dangereux pour la survie de l’enfant,
1. Actes d’abandon et intentionnalité poubelles, voie ferrée, lieux hostiles : ils évoquent une
perçue attitude ‘inconséquente’ de la mère qui ‘se débarrasse de
Des sens spécifiques sont attribués aux modalités l’enfant sans se soucier’ de sa valeur en tant que créature
d’abandon de l’enfant : vivante.

Ces types d’abandons, projettent l’enfant objet dans un


L’abandon ‘don’ et la diligence perçue à l’égard de
l’enfant ’: ce type d’abandon a pour caractéristique de projet mortifère : fruit de la faute, ou objet sans désir, il
se percevoir comme effectué dans des circonstances qui ‘doit’ être effacé de la vie.
visent, ‘malgré tout’, la protection de l’enfant, dans la mesure Ces abandons seront décrits par les équipes para médicales
où elles dessinent un projet de vie en dehors de la mère. rencontrées, comme le fait de femmes ‘psychologiquement
Les abandons formulés à l’hôpital, à la porte des mosquées, vulnérables’ (décrites comme perturbées mentalement,
‘pour attirer le regard charitable du croyant’, à la porte de malades) ou ayant, comparativement ‘aux autres’, des
domiciles de personnes aisées ‘qui pourraient préserver contraintes additionnelles qui les mènent à ‘se comporter
l’enfant de la misère’ ou encore d’institutions d’accueil, ainsi’.
sont appréhendés comme ultimes possibilités d’expression
Lors de l’étude réalisée, ces abandons se retrouvent
d’une sollicitude maternelle et uniques remèdes accordés ‘à
également décrits lorsqu’ils sont effectués par les
la femme en faute’.
grands-mères qui ‘expulsent la honte de leur famille’ et
Celle-ci sera appréhendée comme une personne sans dont l’enjeu se représente comme associé à la survie des
recours, contrainte de recourir à l’acte d’abandon, et autres membres de la famille.
majoritairement décrite dans une attitude sacrificielle :
cette attitude est en même temps associée à des En tout état de cause, ces abandons se perçoivent
représentations dominées par la perception du féminin généralement comme effectués dans l’absence de
‘maternel instinctuel’ (comme « une mère ne peut pas discernement ou dans une distanciation affective extrême,
abandonner son enfant »). qui les ‘abandonnent encore, en projetant la mort’.

40
2. Les acteurs dans l’histoire
de l’abandon : solidarités féminines
et enjeux sous jacents
La solidarité des femmes, qu’elles soient sœurs, mères, Dans ce cas, les hommes s’opposeront de nouveau
amies, parentes ou voisines, sera souvent évoquée dans et interviendront, plus spécifiquement, à un autre
les histoires d’abandons, à travers les récits des auteur(e) niveau, pour rétablir ‘le droit d’héritage qui leur revient
s rencontré(e)s dans le cadre de l’étude, à travers naturellement’ en excluant le frère ou la sœur, adoptifs,
également, les récits d’acteurs susceptibles d’être en soudain devenus ‘intrus’. L’enjeu financier deviendra
contact avec les mères. alors, à ce moment particulier, fondamental, au point
d’effacer la mémoire d’une fraternité éprouvée.
Cette solidarité intervient généralement pour décider
du destin de l’enfant, qu’elle exclut de la relation avec 3. Modalités du processus
sa mère. Ce destin se projette en effet, souvent au
préalable, précédant la naissance de l’enfant, et se
d’abandon, sens attribués
dessine notamment par des femmes, ‘grands-mères L’étude réalisée repérera différentes manières
potentielles, tantes, femmes de confiance’, qui se d’abandonner l’enfant. En fonction des situations, les
percevront ‘adultes et avisées’, au regard d’une mère modalités d’abandon peuvent avoir des conséquences sur
‘irresponsable’, ‘fautive’ qu’elles tendent généralement les relations futures entre abandonné et abandonnant.
à infantiliser en l’écartant de leur décision. Placement dans une famille ou chez la nourrice : ici,
Aussi cette solidarité féminine décrite, vise, le plus l’enfant, généralement ‘fruit d’une relation illicite’, est
souvent, non pas réellement la protection de la jeune fille confié à une femme, contre rémunération, avec l’intention
enceinte, mais davantage la préservation d’un certain formulée de le récupérer. La mère, ici, majoritairement
statut d’honorabilité profitable à l’ensemble de la famille, mère célibataire, visite l’enfant et le reprend dès lors que
ses conditions de vie s’améliorent.
et surtout ménageant le couple mère/fille de ‘la colère
des hommes’. Ce placement dans une famille peut se traduire en
abandon réel : pour des raisons diverses, la mère décrite
Cependant si les hommes ne sont pas présentés ici, se trouvera dans l’incapacité de reprendre son enfant,
comme des acteurs déterminants dans l’acte d’abandon, et ne donnera plus signe de vie.
c’est généralement autour de leur présence, puissance,
L’abandon don d’enfant : cette modalité se retrouve,
exigence, ‘violence’, que se justifiera l’abandon dans son expression originelle, dans des habitudes
d’enfants. anciennes de régulation sociale, qui visent à conforter
De fait, si les femmes paraissent envahir le ‘devant un couple stérile, en lui offrant un nouveau né. Le don
de la scène de l’abandon’, c’est le plus souvent dans d’enfant, réel ici, a pour caractéristique d’être le plus
une perspective de prévention, de ruptures de liens, souvent effectué par la proche famille, notamment de la
matrimoniaux, familiaux, sociaux. C’est donc le plus femme, menacée de répudiation et ‘seule responsable
souvent, en prévision de la ‘réaction des hommes’. de la situation’.
Autrement dit, si une mère est susceptible de se En fonction des circonstances, l’enfant élevé plus ou
solidariser de ‘sa fille en faute’, le père lui, s’avérera dans moins loin de ses parents biologiques, connaît ou ignore
l’impossibilité d’accepter la remise en cause profonde la vérité de ses origines…jusqu’à un certain âge.
qu’elle ‘lui inflige’ : à travers la grossesse de sa fille, il L’abandon de femme à femme sans réseau
interceptera en effet et en premier lieu, une atteinte d’intermédiation : deux femmes, dont l’une est
d’image, une perte de statut, d’honorabilité, avec une enceinte, en situation ‘irrégulière’, l’autre, en situation de
remise en cause de l’éducation effectuée en direction légalité et dans le besoin d’enfant, entrent en relation,
de la fille. ‘au hasard’.
Un accord est conclu entre elles : l’enfant sera remis à
Une grossesse ‘hors cadre’, sera ainsi le signe de la
la naissance à la mère adoptive qui lui donne un nom de
défaillance de la mère dans ‘ses rôles prioritaires’, en
père et l’élève dans le secret de sa filiation d’origine.
tant que gardienne des traditions, en tant qu’éducatrice
morale de ‘sa’ fille. Cette mère contrainte par ses rôles, L’ a b a n d o n p a r l e b i a i s d ’ u n r é s e a u i l l é g a l
ne pourra en conséquence, que dissimuler la faute d’intermédiation: ce réseau d’intermédiation est
susceptible de se trouver dans toutes les sphères,
commise par sa fille, et la solutionner à travers un
sociales, professionnelles, relationnelles… mais le plus
abandon ‘salvateur’.
souvent, est lucratif.
Aussi un jour, lorsque l’enfant est, ‘malgré tout’, en vie, Le caractère lucratif varie en fonction des intervenants : un
adopté par un tiers, la révélation de son secret d’abandon intermédiaire considéré comme contribuant ‘à une bonne cause’,
sera majoritairement ‘soufflée’ par les femmes. est récompensé de manière ‘symbolique’ pour sa ‘bonne action’.

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Le réseau lucratif ‘criminel’ se distingue lui, à la fois par la La présence du ‘samsar’ se retrouve favorisée
professionnalisation de l’activité d’intermédiation, les tarifs notamment par la proximité de structures en relation
pratiqués, et la présence d’intermédiaires masculins : ce réseau avec les naissances d’enfants, hôpitaux ou associations
a été décrit comme ayant sévi au sein de structures de mères célibataires.
hospitalières, et constitué majoritairement du corps para Le coût de ces tractations est décrit comme variable en
médical. fonction de la demande, de l’opportunité, de la rareté du
‘produit demandé’ : entre quelques centaines de dirhams et
Dans le présent, cette pratique est décrite en net recul
dizaines de milliers de dirhams ! Le maximum entendu lors de
en raison principalement, de l’implication des médecins
l’étude de terrain, de ‘70.000 Dhs l’enfant’, sera décrit comme
et des menaces formulées à l’encontre des équipes.
correspondant à une demande particulière : petite fille blonde
Lors de l’étude, certains propos d’infirmières rencontrées aux yeux bleus, pouvant au regard, ‘immédiatement’,
évoquent ‘la peur du médecin’ en même temps qu’elles être considérée « comme une fille de riches » « la fille
justifient le déclin de cette pratique : ainsi des personnes de ses parents adoptifs ».
rencontrées, (corps para médical) se trahiront-elles et Ainsi contre rémunération, les demandeurs sont décrits
révéleront, malgré elles, une réalité plus nuancée : comme ayant des niveaux variables d’exigence en
« les mères se retournent contre nous, elles veulent fonction de leurs moyens mais aussi de la puissance de
reprendre leur enfant »…« c’est interdit…il vaut mieux leur besoin d’enfant.
éviter…il y a beaucoup de problèmes avec les mères…
Quelle représentativité de l’informel ?
après elles viennent et elles te font un scandale ».
Les abandons, ‘informels’, ont semble t-il, dans le
Par ailleurs, des intervenants des structures associatives,
présent, et dans une perspective comparative avec le
(associations dédiées aux mères célibataires) mettront l’accent ‘passé’, davantage de difficultés à se formaliser : réalité
sur le différentiel entre structures hospitalières : en fonction ou perception ? En baisse ?
de leur niveau de mobilisation, certaines structures
seront définies comme relativement imperméables à Le différentiel, filles/garçons, (présenté dans le chapitre
suivant) qui se ‘creuse au fil du temps’, semble infirmer
ce genre de pratiques, et d’autres, sensiblement moins
cette hypothèse.
‘préoccupées’, laissant place à d’éventuelles dérives.
Les seules relations établies avec ‘certitude’ en confrontant
Cette pratique en milieu hospitalier est toutefois en
les résultats d’étude, concernent les recours mis en place
déclin, au regard des investigations menées durant le à disposition des mères, pour favoriser la garde de l’enfant
terrain de l’étude, et ce, comparativement à une étude ou son abandon dans le cadre de la légalité.
précédente effectuée en 2002, spécifique aux ‘mères
célibataires’ (où le personnel hospitalier était décrit La possibilité pour la mère d’effectuer aujourd’hui un
abandon sans risque d’incarcération,
comme sensiblement plus impliqué).
La présence immédiate d’assistantes sociales en
Se décrivent en revanche les situations suivantes : provenance de centres d’accueil de mères célibataires,
Les tractations par des tiers, à l’intérieur de l’hôpital : et susceptibles d’offrir un cadre préalable d’écoute,
des femmes ‘inconnues’ sont décrites comme ‘rodant’ Le dynamisme des institutions en charge de la lutte
dans les maternités, ‘à l’affût d’une mère célibataire’, et contre l’abandon,
quelquefois, piégées par les équipes.
Et l’intégration mère enfant, au sein de structures
Ici aussi, en fonction du niveau d’implication du personnel dédiées à leur prise en charge, sont, dans le présent,
des maternités dans la ‘question des mères célibataires’, des éléments favorables soit à l’abandon formel et légal,
en fonction du relationnel établi avec les associations, des soit à une décision de garder l’enfant.
attitudes différentielles sont décrites, entre ‘vigilance’ et Pour étayer cette analyse, l’étude réalisée indique qu’il
‘indifférence’. existe une relation entre structures de guidance
et abandons : lorsque dans une province ou localité
Les tractations en dehors de l’hôpital : elles sont
donnée, il n’existe aucune structure de guidance,
décrites comme étant effectuées ‘par du personnel de
‘l’abandon visible’ a plus de chance de se manifester
ménage de l’hôpital’ et consistent à repérer, dans les dans les centres d’accueil.
maternités, l’expression formulée par une mère, d’un
abandon futur, pour proposer une intermédiation à la Même en dehors de structures dédiées aux mères
sortie de l’hôpital afin ‘d’éviter toute complication’. célibataires, dans les situations où existent des ‘cellules
violence’ (hôpital) ou des centres d’écoute (associations),
Les tractations en dehors des centres d’hébergement les acteurs rendent compte de services effectués,
de futures mères célibataires : au coin d’une rue, à d’orientation et de guidance, en faveur de jeunes filles
l’extérieur des structures d’accueil, un samsar, (agent enceintes ou de ‘mères en détresse’.
intermédiaire) guette la mère désespérée et lui propose Ces éléments indiquent ainsi la forte corrélation qui
ses services. existe, entre abandon et réponses de l’environnement.

42
4 - Pratiques illégales et les niveaux Cette demande élevée de filles peut aller jusqu’à créer
des problèmes retardant la procédure de Kafala pour
d’exigence « un juge qui a jusqu’à vingt demandes pour la même
Dans le ‘secteur de l’illégal’, une échelle d’évaluation fille » et « qui ne sait plus qui il doit choisir » !
existe, qui intègre des paramètres, eux-mêmes Cette demande élevée, est également décrite comme
susceptibles de ‘justifier le coût de l’enchère’ : favorable à des ‘malversations’, ‘des tractations’ entre
parents adoptifs et juges…perceptions ou réalités ?
Premier niveau d’exigence : ‘le genre’. ‘Certains juges, dans certaines régions’ sont attribués de
Ce premier niveau décrit, s’applique au plus grand nombre ces pratiques, par des canaux d’information différents...
et concerne le sexe de l’enfant : la fille, est le plus souvent Second niveau d’exigence : le faciès de l’enfant et
demandée ‘pour sa douceur’ sa ‘malléabilité’, sa fonction son apparence physique.
future ‘d’enfant support’ de ses parents, de sa mère en Ici l’évaluation tient compte d’éléments de conformité
particulier, qualités non projetées pour le garçon, même aux normes ‘communes’, tenant compte d’éléments
à sa naissance. subjectifs et discriminants, de perception collective :
Au garçon en effet, sont projetés des risques majeurs une peau ‘exagérément’ brune, des signes distinctifs
d’inadaptation, de contestation, de virulence et de préjugeant de ‘son origine’, ou d’une ‘santé fragile’,
violence, et ce, conformément à l’imaginaire du ‘hrami’, constitueront ainsi des critères d’exclusion majeurs de
l’enfant proposé.
qui tendent à l’écarter d’un projet d’adoption, justifiant
ainsi sa sur représentation au niveau des institutions. Niveau d’exigence incontournable et préalable :
‘la normalité’
Les images de puissance et de violence sont également
à mettre en relation avec les images, rôles et statut, Le handicap constitue un ‘frein décisif à l’adoption’, une
attribués au ‘masculin’ et donc, en relation avec la violence des raisons qui font qu’il se retrouve, surreprésenté, en
des représentations sociales réservées à l’homme. institution12 .

Dans la mesure où elle intègre des images, fonctions, Ce niveau d’exigence est tel que les institutions excluent
et rôles attribués aux deux sexes, cette perception sera elles-mêmes, au regard de leurs expériences et pratiques
de l’abandon, dans leurs ‘propositions d’adoption’, le
davantage considérée comme une discrimination liée au
handicap.
genre. Quid de cette violence à l’encontre des hommes
dès leur naissance ? Le handicap mental en revanche, et dans la mesure
où il n’est pas visible en bas âge, est susceptible,
Aussi la requête de fille se traduira t-elle à tous les ‘volontairement ou involontairement’ d’être proposé par
niveaux, de la ‘demande’ : les acteurs.
Dans ces cas, le plus souvent13 , l’on assistera à des
A la grossesse : une future mère est repérée par retours d’enfants, autrement dit des renvois et des rejets
des tiers, et mise en relation avec de futurs parents effectués par des parents adoptifs, qui les destinent à
adoptifs. l’institution d’accueil, associative ou hospitalière, que les
L’échographie assurée ‘gracieusement’ par les preneurs enfants intégreront pour le restant de leurs jours.
éventuels est effectuée, pour en cas de confirmation du Ces structures d’accueil, dans leur quasi totalité,
‘bon sexe’, aboutir à un ‘contrat moral’ entre la mère et formuleront quant à elles, leurs difficultés face à la
les adoptants. La future mère est totalement prise en lourdeur de la prise en charge du handicap : l’absence de
charge jusqu’à la naissance de l’enfant (en clinique, à moyens, financiers, techniques, humains, l’inadéquation
l’hôpital, où elle donnera le nom des parents adoptifs) et des environnements et des ressources, rendent
sera, le plus souvent, gratifiée d’un ‘cadeau d’adieu’. généralement leurs actions limitées à la survie de
l’enfant, et par conséquence, inadaptées. La gestion
A l’accouchement : les mères s’entendent, et l’une du handicap par un ‘secteur’ non destiné initialement
échange son nom en sa faveur. (différence à opérer à soutenir ce type de problématique, mènera ainsi les
avec ‘le tanazoul qui s’effectue devant le juge ou à la uns et les autres, à pointer la défection de l’Etat et son
commune). désistement au détriment de structures par ailleurs
absorbées et débordées par l’abandon.
Aussi l’abandon des filles au sein des structures
associatives, sera-t-il sensiblement plus réduit, créant un
second niveau de demande au niveau d’une kafala légale.
« Les filles partent très rapidement de l’orphelinat », (12) L’étude de terrain menée, identifiera un taux de kafala quasiment nul, pour
« elles sont très demandées » « pour les filles il les enfants porteurs de handicap.
(13) Cette remarque est également - et majoritairement- valable pour des
n’y a pas de problèmes ». enfants présentant des troubles divers du développement psychomoteur,
du langage, du comportement, de la personnalité...

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- Eléments de réalité relatifs au handicap des enfants « à mon avis il est plus important que l’abandon légal »...
abandonnés « il doit être au moins équivalent » « ce sont des
traditions, on donne l’enfant, c’est différent de
Les données fournies relatives au handicap seront l’abandon » « c’est culturel, on fait cadeau d’un enfant
considérées comme partielles dans la mesure où elles à son frère ou à sa sœur qui n’en n’ont pas » « une
ne feront pas l’objet d’un recensement effectué a priori mère préfère léguer son enfant à une famille précise
et contenu dans les questionnements des consultants. à un endroit précis plutôt que de lui faire vivre l’enfer
de l’orphelinat »… « quand une mère abandonne son
Le plus souvent en effet, la question du handicap
enfant, elle veut au moins le savoir dans les bras d’une
émergera d’elle-même dans les propos des intervenants
mère et pas de trente six mille mères » « vous savez les
rencontrés. enfants placés dans une institution ne représentent qu’une
Aussi le chiffre évoqué, sera-t-il considéré comme partie de l’iceberg…la réalité est bien différente »…
partiel, ne reflétant pas l’exacte réalité. Malgré cela,
l’effectif comptabilisé est apparu comme problématique Les propos recueillis indiquent une certaine complaisance
dans la mesure où ‘même partiel’ il dépasse largement à l’égard de l’abandon illégal, et assez souvent, tendent
la moyenne nationale évoquée par l’INDH (5,12%). Ici, à se montrer compréhensifs à l’égard des mères dont
‘ajouté à l’abandon’, le handicap représente en effet, l’acte d’abandon est présenté comme ultime recours ou
18,5% de la population recensée. sacrifice.
Cette complaisance se structure à l’origine, à partir de
5 - L’abandon légal, formalisé: perceptions qui puisent dans les images comparatives
modalités et discours des acteurs entre institutions et parentalité. A l’institution sera le plus
Dans cette situation, la mère abandonne l’enfant de souvent associée l’image de la carence affective, et à la
façon manifeste, soit en le ‘cédant’ à une femme ‘qu’elle parentalité, la capacité de la combler.
choisit’ et avec laquelle elle procède à ‘une cession En revanche, les lieux d’abandons déterminent les
d’enfant’ de manière légale (Tanazoul chez le juge ou positions des intervenants rencontrés à l’égard des
bien sous une forme plus simple, nécessitant deux mères : les abandons de rue, les lieux choisis, voie
témoins) soit qu’elle le formule au sein de la structure ferrée, poubelles…sont décriés et rendent leurs
hospitalière, auquel cas une enquête est ouverte : elle mères ‘répréhensibles’, ‘amorales’, nécessitant ‘d’être
reçoit alors la visite d’une assistante sociale et d’un (à jugées’… alors que les ‘abandons de mosquées’,
deux) représentant(s) de l’autorité. ‘hammams’,‘cessions’, placements, et autres adoptions
‘non conformes’, s’associent dans les représentations, à
Les relations décrites sont ‘courtoises’, respectueuses
des ‘circonstances atténuantes’.
de son état et de sa décision : en revanche, la mère est
‘aimablement’ encouragée à garder l’enfant, incitée à 7 - Attitudes à l’égard des mères
entrer en relation avec une structure d’accueil de mères
Les attitudes à l’égard des mères varient entre deux
célibataires. Ici aussi, les liens établis sont décrits comme
perceptions majoritaires :
susceptibles de modifier sa décision.
• ‘Mères fautives et responsables’ nécessitant d’être
L’abandon d’enfant à la naissance, lorsqu’il est formalisé,
‘molestées’, encouragées par une loi ‘devenue trop
peut également se faire après la sortie de l’hôpital, au
souple’ : ce discours existe même au sein de structures
tribunal : dans ce cas, la mère abandonne l’enfant ‘à associatives positionnées dans les droits humains et/
l’Etat’ qui le place en institution. ou le droit des femmes. Les ‘libres mœurs’, ‘le laisser
aller’, ‘la prostitution’, sont ainsi pointés du doigt et mis
6 - Perceptions générales, du formel
en avant, par certains intervenants.
et de l’informel
A travers ce discours décrit, se traduit la volonté de
Ces différentes modalités d’abandon évoquées, sans
‘revenir en arrière’ avec, directement ou indirectement,
être exhaustives, mettent l’accent sur l’existence d’une
la remise en question des acquis du ‘nouveau’ code de
pluralité de situations informelles et interrogent sur leur
la famille.
représentativité réelle.
• ‘Mères contraintes et forcées’, ‘insuffisamment
Les perceptions des différents intervenants et relatives préparées’ (en termes didactiques et professionnels)
à l’informel varient, mais mettent toujours l’accent sur nécessitant un soutien pluriel, éducatif, sanitaire,
l’importance de ce ‘réseau d’adoptions’ sans pouvoir financier et d’insertion professionnelle : ce discours est,
l’évaluer : comparativement, davantage représenté.

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• L’abandon d’enfants sera mis en relation avec une Le plus souvent, les discours institueront ainsi la mère
pluralité de facteurs de vulnérabilité, mais tendra seule,
davantage à évoquer les aspects prioritaires, définis
comme ‘majeurs’, d’éducation, d’éducation sexuelle et de Soit coupable et fautive, soit victime.
prévention. Dans ce discours, à travers la contraception
notamment, l’accent est mis sur le préventif.
Dans la question de l’abandon,
Et les pères ?
Evoquer une responsabilité conjointe sans procès ni
Généralement, les discours occultent le père, comme si
les modalités de la rencontre, le consentement à une culpabilité ?
sexualité ‘non conforme’, le pouvoir de décision, de garde
ou d’abandon de l’enfant, relevaient de la responsabilité Installer les deux partenaires dans une position adulte
de la mère seule. avec un ‘référentiel droits’ dominant ?

45
Chapitre 3

Données quantitatives
Enfance abandonnée Les premiers résultats - caractère disparate et discontinu
des informations, insuffisance des données fournies,
à la naissance au Maroc notamment en région, hétérogénéité des paramètres
d’évaluation 1 en fonction des structures- mèneront
1 - Rappel du périmètre d’étude rapidement à adopter une approche de ‘pointage ou
et méthode recensement’ des abandons de naissance.
• Définition
Cette première étape sera nécessaire dans la mesure
L’étude réalisée porte sur les ‘abandons à la naissance’ : il où elle permettra de visualiser un ensemble de données
s’agira donc, conformément aux objectifs, de répertorier de réalité fournies, afin de construire lors d’un second
principalement, au sein d’une localité, province, ou région temps, des échantillons représentatifs et spécifiques à
donnée, pour une année considérée, les admissions des paramètres d’étude : ceux relatifs aux admissions,
pour abandon.
ceux portant sur la variable sexe, ceux relatifs au devenir
Ces admissions concernent en majorité, une population d’enfants…
de nourrissons, nouveau-nés, abandonnés à la naissance.
Toutefois certains bébés, enfants généralement âgés de Ces échantillons constitués permettront lors d’une étape
moins de cinq ans, sont susceptibles d’être abandonnés finale et à partir d’éléments de réalité :
et de figurer parmi les entrants, au sein des structures
D’effectuer une analyse statistique en mesure de rendre
associatives notamment.
compte de l’évolution de l’abandon visible et d’en étudier
En comptabilisant pour chaque année, les nouvelles les principales composantes.
admissions, cette démarche, (outre qu’elle permet
d’éviter l’écueil du double comptage des abandons sur une D’intégrer des données complémentaires susceptibles
période considérée) est dans le présent, et considérant d’en évaluer l’ampleur, pour enfin et par ailleurs, figurer
les ‘déficits’ identifiés de traçabilité (ou de rétention) de des scénarii susceptibles de rendre compte de la réalité
l’information, seule susceptible de rendre compte de la de l’abandon, en y intégrant notamment, et en partie (en
dynamique (de stabilité, régression ou croissance) de partie seulement) les signaux indicateurs de l’abandon
l’abandon en tant que phénomène visible. ‘invisible’, illégal, effectué en dehors des institutions
Aussi sera-t-il nécessaire, pour les acteurs menés à d’accueil et de prise en charge.
réfléchir et mener des actions de correction ou de
Le premier volet présentera, succinctes, les données
prévention de l’abandon, et afin d’appréhender la
problématique dans sa globalité, de considérer les de réalité spécifiques de régions 2 ; ces données
effectifs généraux des pensionnaires, ceux ayant été enseigneront sur le mouvement de l’abandon visible,
admis les périodes précédentes et toujours résidents au sur les dynamiques institutionnelles qui en réduisent
sein de structures hospitalières ou associatives. l’existence ou accroissent la visibilité.

2 - Approche méthodologique
Les premières données de terrain orienteront vers une (1) Lexique utilisé dans les structures d’accueil. ‘Entrants, admissions’
désignent chez l’ensemble les nouveaux abandons ou abandons de l’année.
collecte d’informations, effectuée en fonction d’une Le vocable ‘sortants’ désigne autant les kafalas de l’année, que les décès,
que les enfants récupérés par leurs familles, ou les transferts. Dans
segmentation du royaume en régions, telle que définie certaines structures, les paramètres sont différenciés et dans d’autres,
par le Ministère de la Santé. Cette segmentation, moyen regroupés sous un même intitulé. Le terme ‘transfert’ est utilisé pour
désigner le passage de l’enfant, du premier lieu d’accueil vers une autre
et non finalité, se justifie elle-même en raison d’une structure, ici généralement les maisons de bienfaisance, orphelinats, ou
donnée de terrain : la santé constitue avec le secteur de moins fréquemment (LMPE ; SOS ; Fondation R.Zniber) vers une structure
d’accueil relevant du ‘même réseau’.
l’associatif, un des ‘lieux source’ d’accueil et/ou de prise
(2) L’ensemble des données obtenues, spécifiques et détaillées de régions,
en charge de l’enfant abandonné. sont présentées en annexe P 23 à 46.

46
Le second volet traduira les tendances statistiques en • Un taux de handicap de 14%.
mesure d’être effectuées dans le présent, considérant
Admissions
les paramètres actuels, d’évaluation de l’abandon, à
travers l’étude des admissions. • Un effectif total d’admissions sur les onze années, de
1097 enfants
• Un effectif annuel d’admissions relativement stable en
I - Région meknès-tafilalet valeur absolue (92 enfants en 1998, et 89 en 2008).
Fondation rita zniber- hôpital Mohamed V • Tenant compte de l’augmentation des naissances dans
Périmètre de couverture : 5 délégations, Meknès,
la région, ce taux d’abandon sera considéré en baisse.
El Hajeb, Ifrane, Khénifra, Errachidia.
• En 2008, une représentativité filles garçons avec deux
1 - Prise en charge de l’abandon fois plus de garçons.
Elle est assurée pour l’essentiel, par la fondation Rita Rapport entrées sorties d’enfants
Zniber à travers deux centres :
• En 1998, un déséquilibre des flux, entrants/ sortants,
La crèche du Nid’, réservée aux abandons à la naissance, en faveur des entrants.
et localisée au 5ème étage de l’hôpital Mohamed V,
• En 2008, un inversement de tendance, avec davantage
Le centre de Bab Jdid, destiné aux enfants plus âgés.
de sorties d’enfants que d’entrées.
La fondation gère l’abandon de la région, principalement
Lieux d’abandon de l’enfant
des villes de Meknès, partiellement Errachidia (dans le
présent ‘Association Amal’ et ‘Lutins des sables’), el • En 1998, 24% des abandons sont effectués sur la
Hajeb. voie publique, et 63% formulés au sein de structures
hospitalières, (le reste relevant de la rubrique ‘inconnu’)
Les abandons d’Ifrane, khenifra, Midelt, sont susceptibles
d’être gardés sur place, au sein de l’hôpital, sans soutien • En 2008, 11% des abandons sont effectués sur la
associatif associé. voie publique et 77% formulés au sein de structures
hospitalières.
A Meknès, il n’existe pas de structure d’aide aux mères
célibataires : en revanche une cellule ‘violence’ à l’hôpital En conséquence, l’identité de l’enfant abandonné,
reçoit des mères et les oriente vers Casablanca.
• Entre 1998 et 2008, une augmentation de 25% des
2 - Exploitation des données enfants dont l’identité est connue,
Données de la fondation disponibles, à jour, ‘complètes’, Devenir de l’enfant abandonné,
communiquées par l’organe central et les équipes du
Nid. Accès au registre et recensement exploité sur Excel • En 1998, 47% des enfants admis sont pris en kafala,
relatif à l’itinéraire de 1097 enfants. 5% repris par leurs parents, 11% décèdent et 36%
restent au sein de l’institution,
Données des provinces communiquées par les
délégations : elles concernent essentiellement les • En 2008, 70% des enfants admis sont pris en kafala,
nouvelles admissions de 2008. 6% retournent à leur famille, 2,5% décèdent et 22,5%
restent à l’hôpital.
3 - Résultats : les données
• Donc une augmentation sensible du taux de kafala
de Meknès indiquent
corrélative d’une diminution de l’institutionnalisation et
3-1- L’enfant d’une diminution significative de la mortalité de l’enfant
abandonné.
Total pensionnaires,
• Entre 1998 et 2008, un effectif annuel du total ‘enfants L’augmentation du taux de kafala concerne ici, autant
abandonnés’, en baisse : 266 en 1998- 103 en 2008. l’effectif global des pensionnaires (de 17,5 à 61%) que
celui des enfants admis (de 52 à 78%).
• Une forte représentativité des garçons, supérieure, La kafala des garçons augmente de 33% et celle des
jusqu’en 2006, de 10 à 12 fois par rapport aux filles. filles de 15%.

47
• Tableau récapitulatif de l’abandon à Meknès

Synthèses 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Garçons 245 301 363 369 406 388 358 359 360 90 81

Filles 21 32 26 43 44 40 36 33 23 25 22

Total 266 333 289 412 450 428 394 392 383 115 103

Entrants 92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89

Sortants(3) 64 60 86 69 62 100 117 84 90 93 91

• Tableau indicateur du devenir de l’enfant entrant

Devenir
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 Total
de l’enfant

Abandons
92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89 1097
nouveaux

Adoptions 45 38 49 46 49 98 111 82 76 75 79 748

Décès 12 10 29 15 11 7 1 4 3 9 2 103

Repris
8 10 8 8 6 7 7 3 7 11 6 81
mères ou parents

3-2 - Données relatives à la mère, auteure d’abandon


Les données indiquent :
• Identité : de plus en plus de mères connues de 63 à • D’une réduction sur la période 1998-2008, de près de
82%, 60% du ‘total abandons’.
• Age : entre 1998 et 2008, une augmentation des mères • D’une diminution très sensible du différentiel filles/
âgées entre 15 et 25 ans garçons abandonnés.
• Origine : ‘inchangée’, même répartition rural/urbain. • D’une amélioration sensible du devenir de l’enfant
abandonné, liée ici, à la fois, à la dynamique associative
• Statut : inchangé, mères célibataires à plus de 90%
et à la qualité de la coordination des acteurs, association,
• Statut professionnel : dominant, sans profession; santé, justice.
augmentation des ouvrières et des femmes de
• D’une augmentation de la kafala d’enfants associée, en
ménages.
partie à une kafala par des étrangers. Cette kafala par les
étrangers bénéficie sensiblement aux garçons.

Synthèse :dynamique de l’abandon visible • D’un niveau spécifique de confiance des mères en
direction des acteurs et qui les mènent (comparativement
L’ensemble des données relatives à la gestion de à la grande majorité des régions), à éviter les abandons
l’abandon dans la ville de Meknès rend compte : de rue.
(3) Les sortants définis intègrent les ‘kafalas’, les ‘décès’, ‘les enfants repris par leurs familles’ et ‘les transferts’ vers une structure d’accueil dédiée à l’enfant âgé
de plus de six ans.

48
4 - Région meknès : II - Région ‘Fes Boulemane’
données complémentaires
Les données additionnelles de la région de Meknès Centre Al Amal- hôpital el ghassani -
concerneront celles des provinces de Khénifra, Midelt, centre El Ouafa
Azrou, Errachidia. Périmètre de couverture : deux délégations, Fès,
Constats Boulemane et Sefrou

• Les enfants abandonnés dans les provinces sont 1- Prise en charge de l’abandon
hébergés en milieu hospitalier, au sein de services de Fès
maternité ou de pédiatrie.
• Centre El amal : structure édifiée au sein de l’hôpital
• Les données de provinces sont considérées comme Ghassani, avec deux bâtiments dont un nouveau
partielles dans la mesure où pour Khénifra, l’information (financement fondation Mohamed V). Le centre gère la
globale sera limitée à des variables ‘entrées, sorties, quasi-totalité des abandons nouveaux. 167 pensionnaires
kafala, décès’ et pour Midelt uniquement limitée aux lors de l’investigation.
admissions. Transferts : Dar El Ouafa, SOS Al Huceima ou Ait Ourir.
• Les données obtenues concerneront ici, la période • Dar el Ouafa : structure habituellement destinée à
2000-2008. des enfants âgés de 4-9 ans, qui reçoit généralement
Données les enfants du centre Amal et exceptionnellement, de
nouveaux abandons. 114 pensionnaires au moment de
• Errachidia : une augmentation de l’effectif des nouveaux l’étude, (dont 15 filles).
abandons : 10 en 2000, et 26 en 2008. Cette augmentation Transferts effectués vers la maison de bienfaisance de
est sensible et progressive, notamment depuis 2005. Guerouawa.
Cette augmentation apparaît liée à l’existence d’une
structure associative. Sefrou

• Khénifra : entre 2000 et 2008, une relative diminution • Absence de structure spécifique dédiée. Les enfants
des nouveaux abandons de 12 à 10. séjournent au sein de l’hôpital, avec un soutien de
• Midelt : entre 2000 et 2008, une diminution des l’association Fatima el Fihria elle-même soutenue par
nouveaux abandons de 7 à 4. ‘Lutins des sables’. Pendant la période d’investigation, le
local abritait 6 enfants.
Transfert : orphelinat Taj Mouti, Fès.
Synthèse, région Meknès Tafilalet
2 - Exploitation des données
• En 2000 un effectif total de nouveaux abandons de 172, Les données, disponibles, exploitées à partir du registre
et de 131 en 2008. des services sociaux, tenus par l’assistante sociale,
• La majorité des abandons de la région s’exprime au renseignent sur le sexe de l’enfant, les circonstances
sein de la fondation Rita Zniber. d’abandon avec quelques indications relatives au devenir
de l’enfant. Trois périodes seront retenues : 1998-2000 ;
• A Errachidia également et relativement, l’abandon est
2004 ; 2007-2008.
rendu visible par l’existence d’une structure de soutien.
3 - Données de région
• Ces abandons dans leur ensemble, sont susceptibles
de traduire des abandons en provenance de régions • FES essentiellement, Sefrou 2008
éloignées, rendant difficile une analyse en mesure 3-1 L’enfant
d’indiquer une spécificité régionale.
Admissions pour abandon
• L’effectif des abandons varie d’une année à l’autre,
avec un caractère aléatoire dominant. Depuis 1998, une stabilité manifeste des nouvelles
admissions pour abandon à Fès/Boulemane: considérant
• Dans la région également, et tenant compte des
données fournies par le Ministère de la Justice, (cumul l’évolution des naissances dans la région, cette stabilité
effectués des données de provinces, Errachidia, khénifra, figure une diminution de l’abandon visible.
Midelt, Meknes), un effectif total des enfants inscrits une augmentation de 18% du taux d’enfants abandonnés
comme abandonnés de 251, et de 243 jugés. handicapés (Fès) ;

49
un différentiel des effectifs, en fonction du sexe de En conséquence, l’identité de l’enfant
l’enfant : avec un taux de garçons supérieur mais
• Une relative augmentation d’enfants dont l’identité
relativement stable entre les deux périodes (57,5% en est connue.
1998 et 59,5% en 2008) Devenir de l’enfant
en 2008, un effectif ‘total région’, de nouveaux • Un taux élevé de mortalité, en baisse cependant de
abandons, de 88 enfants : 94,5% d’entre eux à Fès. 9,5%
Lieux d’abandon de l’enfant • Une baisse relative de 4% du taux de kafala des
• Un taux élevé d’abandons de rue, avec cependant entrants (de 52% à 48%)
entre 1998 et 2008, une baisse de près de 20% (92,5% • Une augmentation de 16% de la kafala des garçons
et 73,5%) avec une diminution de 30% de la kafala des filles.

4 - Tableau récapitulatif des admissions Fès Boulemane




1998 1999 2000 2004 2007 2008

Filles 34 29 29 33 32 32

Garçons 46 56 45 46 53 47

Total 80 85 74 74 85 79 83

Synthèse région
• A Fès, bien que limitée à certaines variables, une Les données de la Justice, rendent compte, dans la
organisation logique des données relatives à l’abandon, région de Fès Boulemane, d’un effectif total d’enfants
(des données à jour, par ailleurs et disponibles) ; inscrits de 31 et de 64 jugés. Ces données sont
• En 2008, la région Fes- Boulemane- Sefrou, compte un apparues comme paradoxales avec celles fournies par
effectif d’abandons nouveaux de 88 enfants ; les ‘acteurs du placement’ : dans la mesure où tous les
• Une dynamique de kafala stable sur 11 annnées. abandons placés sont d’abord inscrits, les données de
la Justice devraient être quantitativement supérieures à
• Un total région, en 2008, de 21 enfants porteurs de
handicaps. celles fournies par les structures d’accueil.

50
III- Région Rabat Zemmour Zaers Données complémentaires, service social du Centre Lalla
Mériem.
Centre Lalla Mériem (LMPE) Les données du centre Lalla Mériem indiquent :
khemisset, hôpital,
Concernent les variables suivantes : admissions, kafalas
Périmètre de couverture : 5 délégations, Rabat, Salé, globales, ‘repris’ transferts, décès. Depuis 2004, une
Temara, Skhirat et Khemisset. nouvelle variable permettant d’établir un différentiel,
1 - Structures en charge de l’abandon filles, garçons. Effectif total des pensionnaires,
Rabat • Entre 2001 et 2008, une réduction de près de 26% de
• L’essentiel des abandons est géré par le Centre Lalla l’effectif global des pensionnaires.
Mériem, affilié à la Ligue Marocaine pour la Protection Admissions
de l’Enfance (Rabat).
• Entre 1998 et 2008, une diminution de près de 24%
Le centre Lalla Meriem recueillait lors de la période de des nouvelles admissions pour abandon.
réalisation d’étude un effectif total, de 200 pensionnaires.
45 enfants sont handicapés. (22,5%) Sexe de l’enfant admis
Transferts : les enfants ‘sains’, non placés et non repris, • Entre 2004 et 2008, un écart sensible entre filles : cet
sont orientés vers le centre de Akari (Rabat), écart se creuse par ailleurs progressivement sur une
vers home Lalla Amina, Benslimane, (LMPE) ou SOS. période de 5 ans, avec en 2004, une représentativité des
filles de 41% et en 2008 de 28,5%.
A Khémisset
Devenir de l’enfant abandonné
Les enfants abandonnés séjournent à l’hôpital, dans la
salle de garde réservée aux sages femmes, sans soutien Kafala
associatif identifié. • Entre 2002 et 2008, une diminution relative du taux de
Depuis 2009, des possibilités de transfert de l’enfant, kafala global (ensemble des pensionnaires) de 22,5% à
vers le centre Lalla Mériem, existent. 19,5%.
Les données fournies ici ne concernent qu’une seule
Réintégration dans la famille naturelle
variable : les admissions.
• En 2001 près de 8% des enfants, en 2008, 3,5%
2 - Exploitation des données (moyenne de 6,5%).
Informations fournies établies par la direction centrale de
Taux de mortalité
la Ligue.
• Entre 2002 et 2008, une réduction sensible du taux de
Les paramètres de l’abandon fournis et pris en
mortalité de 7,5% à 1,5%.
considération
3 - Tableaux récapitulatifs des abandons du centre Lalla Mériem

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Total pensionnaires 341 336 312 275 252 266 253 253

Nouvelles admissions(1) 137 165 180 176 140 139 123 129 123 104 104

Nouvelles admissions filles 33 34 35 25 23

Nouvelles admissions garçons 80 95 88 79 81

Kafalas 73 73 80 71 76 105 112 82 75 67 49

Repris par parents 9 14 25 27 23 30 18 10 19 15 9

Décés 26 25 6 5 2 6 4 4

Transfert de l’enfant 14 26 17 17 15 17 18 5

(1) Si en raison du sujet d’étude, et pour des besoins d’évaluation, l’accent est mis sur les nouveaux abandons, il est nécessaire parallèlement, de considérer
l’ensemble des pensionnaires gérés par le centre Lalla Meriem pour évaluer à sa mesure, le poids réel de la prise en charge de l’abandon. Les admissions
constituent ici, moins de 50% de l’effectif total, nouveaux et anciens pensionnaires. Aussi, après l’institution lalla hasnaa, le Centre Lalla Meriem représente le
second centre en effectifs, d’accueil d’enfants abandonnés, âgés de ‘0’ à 5-6 ans

51
4 - Les données de Khémisset indiquent, IV - Région grand Casablanca
• Entre 2000 et 2007, un effectif total d’admissions Association Al Ihssane des enfants
similaire, 7 enfants abandonnés - institution Lalla Hasnaa
Périmètre de couverture : Casablanca, Mediouna,
Synthèse région (référentiel Centre Lalla Mohamedia et Nouacer.
Mériem) Naissances : en 2007, 43136 accouchements, dont
• L’essentiel des abandons est géré par le Centre Lalla 9377 au CHU ;
Meriem Naissances : en 2008, 45407 accouchements, dont
9612 au CHU.
• Entre 1998 et 2008, un total cumulé des admissions
pour abandon, de 1520 enfants 1 - Structures en charge de l’abandon
• Entre 1998 et 2008, une diminution des admissions de 31%
Seule l’institution Lalla hasnaa, financée pour l’essentiel,
• Différentiel filles garçons (période 2004-2008) : une par l’association Al Ihssane, est en charge
représentativité des filles de 27% en 2004, et de 22%
en 2008. des nouveaux abandons dans la région. Sa capacité
d’accueil est de 300 enfants5
• Kafala (période 2001-2008) : un taux global de kafala en
2001 de 21% et de 19,5% en 2008. Les enfants non adoptés sont transférés, à SOS village
d’enfants, à la ‘maison de Bienfaisance de Ain
• Décès : un taux de mortalité de 7,5% en 2001
sensiblement réduit en 2008, 1,5%. Chock’, à ‘Sidi Bernoussi’ ou en cas de handicap, au
centre Baouafi.
• Un total admissions Rabat et Khémisset en 2008 : de
111 enfants. 2 - Exploitation des données
• Les données fournies par le Ministère de la Justice
• Les données obtenues auprès de l’association, ont été
(cumul des inscriptions pour abandon à Rabat, Témara,
préalablement organisées.
Salé, Rommani, Khémisset) indiquent un effectif total
d’enfants inscrits dans la région, de 193 (142 jugés). • Les paramètres d’identification de l’abandon sont
relatifs à l’enfant, ‘ancien, nouveau’, à travers des
variables entrées, sorties, kafalas, transferts décès.
• Le différentiel, filles garçons est établi à partir de 2007.
• Aucune donnée relative aux modalités d’abandon de
l’enfant, à son identité, à sa mère, n’est disponible.

3 - Les données du grand Casablanca


indiquent :
Effectifs des pensionnaires au sein de l’institution,

• Entre 1998 et 2008, une variation des effectifs du ‘total


pensionnaires’, en fonction des années, qui se situe
entre 7 et 12% ;
• Une gestion des ‘flux entrants sortants’ qui s’accélère
à partir de 2006.

Admissions pour abandon, hausse sensible en 2008, avec,

• Un total admissions entre 98 et 2008, de 1337 enfants

• Entre 1998 et 2007, une variation des entrées qui se


situe entre 1 et 12%
• Avec une augmentation significative en 2008, (84%) du
taux des nouveaux abandons ;
Sexe de l’enfant entrant
• Une représentation sensiblement supérieure des garçons,
76% du total entrants en 2007, et de 72% en 2008

52
Devenir d’enfants abandonnés,
kafala
• Une stabilité du taux global de kafala (moyenne • Une augmentation de l’effectif des enfants repris, de
généralement située entre 18 et 20%) près de 4% en 1998 à 7,5% en 2008.

La kafala des entrants est nettement supérieure, Décès


notamment en 2007 où elle atteint 80% du total
• Un taux de mortalité de près de 2% en 1998 et de
admissions ; en baisse de moitié en 2008. 1,5% en 2008
• Le taux de kafala des garçons connaît en 2007, une Transferts
hausse sensible (taux de 72%), qui diminue en 2008. • Un taux relativement similaire de 10,5% en 1998 et de
Réintégration au sein de la famille naturelle. 11% en 2008.

4 -Tableaux récapitulatifs des abandons dans le grand Casablanca


4 -1- Rapport anciens et nouveaux abandons

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

T Enfants 320 330 343 345 374 365 374 386 397 351 361

Admissions 100 120 114 122 116 111 107 129 126 108 184

Sorties 110 101 120 82 119 98 117 115 154 173 137

4 - 2 - Devenir d’enfants

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Kafala 65 59 75 41 76 61 71 76 81 82 65

Transfert 33 22 32 27 24 17 36 15 51 71 40

Récup familles 12 14 6 10 11 11 6 17 17 15 27

Décès 6 6 7 4 8 9 4 7 5 6 5

Restants 210 229 223 258 254 267 257 271 243 177 224

4 - 3 - kafala des entrants : années 2007-2008

Taux de kafala
T. Admissions filles Taux de kafala filles Total entrants garçons
garçons

2007 26 88,5 82 72

2008 51 37 133 46

53
Synthèse Casablanca V - Région Chaouia Ouardigha
• Une stabilité relative de la quasi-totalité des variables hôpitaux, Benslimane, Settat.
qui définissent l’abandon, Association ‘les amis des bébés’ et hôpital,
• Une croissance ‘inexpliquée’ de l’effectif des entrants khouribga
en 2008 : augmentation conjoncturelle ? Périmètre de couverture : villes ou provinces de Settat,
• En revanche une diminution sensible de la discrimination Ben Hmed, El Gara, Berréchid, Benslimane, Khouribga.
filles/garçons en matière de kafala : cette diminution est 1 - Prise en charge de l’abandon
elle-même associée à la dynamique associative et à la
coordination des acteurs. • A Settat, les enfants sont intégrés au sein du service
pédiatrie dans un local de 9 mètres carrés qui leur est
• Un différentiel d’entrants, garçons/filles, qui tend à dédié, sans soutien associatif. Au moment du travail de
diminuer au cours de l’intervalle 2007-2008 : En 2007 terrain, 6 enfants.
près de 4 fois plus de garçons que de filles ; en 2008, le
rapport est de 2. • Khouribga reçoit tous les abandons de Oued Zem et
de Boujad, à l’hôpital en pédiatrie, avec les malades,
• En 2008, le rapport abandons par rapport aux naissances avec un soutien associatif ‘partiel’ d’une association ‘les
de la région est de 0,4% (184/ 45407) : un abandon amis des bébés’, (pris en charge de façon dominante,
toutes les 250 naissances ? ce rapport est à interroger dans le discours obtenu, par la ‘Santé’). Au moment de
(abandons manifestes, visibles d’enfant ; itinérance des l’investigation : 3 enfants, dont un handicapé.
mères de l’abandon).
• A Benslimane les enfants séjournent à l’hôpital, en
• Des contradictions au niveau des différentiels des pédiatrie, dans des conditions de vie non conformes.
données entre sources : 140 abandons inscrits dans Pas de soutien associatif évoqué. Au cours de la période
la région pour le Ministère de la justice, 184 pour Lalla d’investigation, une fille. Dans le passé des possibilités de
Hasnaa. transfert existaient : dans le présent, difficultés. Solution
trouvée kafala provisoire.
2 - Exploitation des données
• Données de Berréchid et de Settat, communiquées par
le service social de l’hôpital Hassan II (effectif de 6 lors
de la période d’investigation).
• Données de Khouribga, Oued Zem, Boujad...
communiquées par la délégation de khouribga.
• Données de Benslimane communiquées par la
délégation.

3 - Données de région
• Settat
• Un effectif d’admissions pour abandon stable entre
deux périodes 2003 et 2008 (23 enfants)
• Un taux de représentation des filles, de 26%.
• L’essentiel des abandons est effectué dans la rue.
• La grande majorité des entrants séjourne entre 4 et 8
mois au total avant la prise en charge quasi systématique
en kafala. Les enfants restants figurent des difficultés
liées soit au handicap, soit à la gestion administrative de
leurs dossiers.

• Khouribga

• Entre les deux périodes 1998 et 2008, une faible


représentativité de l’abandon, avec une moyenne de 5
abandons par an. Un effectif cumulé de 51 enfants sur la
même période ;

54
• Un rapport filles garçons relativement équilibré dans la • Benslimane
région (filles 45%)
• Au cours de l’intervalle 1998-2008 : 14 admissions pour
L’effectif diminue entre les deux intervalles, 1998 et abandon. (0 en 1998, 2 en 2008) ;
2008 (7 et 2 enfants).
• Pas de différentiel établi filles/garçons
Devenir d’enfants : près de 12% repris par leur famille,
• Devenir d’enfants : près de 42% sont transférés dans
80% placés en kafala, (le reste, décès, 5% et handicap
des structures d’accueil, à Rabat, Settat ou Casablanca.
2%).

4 -Tableau récapitulatif de l’évolution de l’effectif des admissions pour abandon dans la région.

Période 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Admissions 7 6 3 7 10 29 26 38 19 34 27

Benslimane
Khouribga
+ Settat
(2003-2008)

Synthèse
• Une évolution de l’effectif des abandons dans la région, • Les données du Ministère de la Justice indiquent une
en lien avec l’accès à des structures d’accueil. très forte représentativité de l’abandon dans la région.
Les effectifs cumulés pour les provinces citées (settat,
• Le défaut de structures s’accompagne d’attitudes qui
visent à recourir directement au juge, à procéder à la Ben Slimane, Berréchid, Khouribga, Ben Hmed) laissent
kafala provisoire, mais aussi à encourager les adoptions entrevoir 483 inscriptions pour abandon ! réalité de
informelles de l’enfant. l’abandon dans la région ou artefact de définition ?

55
VI - Région Doukkala Abda
Safi. Hôpital
El Jadida :Crêche Du Docteur Sebbar. Aaea
• Réponse des acteurs à travers la création d’une crèche
Périmètre de couverture : Safi et El Jadida, villes ou ‘Docteur Sebbar’, dédiée à l’abandon.
provinces d’Azzemour, Bir Jdid, Sidi Bennour.
• Le handicap est représenté avec un taux de 27%
• Admissions : sur une période de trois années, gestion
1 - Prise en charge de l’abandon
d’un total de 48 enfants.
• A Safi : local du personnel de l’hôpital
• Sexe de l’enfant admis : 100% sont des garçons
• A El Jadida, gestion des abandons d’Azzemour, Bir (confirmation du discours relatif au trafic des filles ;
Jdid, Sidi Bennour. En charge, ‘la Crèche du docteur nécessité ici de redresser l’effectif pour approcher la
Sebbar’ gérée par l’association ‘d’Aide aux Enfants réalité).
Abandonnés et aux Enfants Malades’ (AAEA), soutenue
• Entre 2006 et 2008, évolution des abandons de près
par les Lion’s de Mazagan : centre dédié, mitoyen de
de 27%.
l’hôpital et construction d’un étage par l’INDH . A la
période d’investigation : 11 enfants. • SAFI

2 - Exploitation des données • Nombreuses difficultés liées à la gestion de l’abandon


(structures de prises en charge, soutien, coordination
• El Jadida : données fournies par l’association. Consignées avec les administrations). Conséquence : les abandons
à partir de 2006 ; variable fournie et disponible : différentiel sont gérés ‘de particulier à particulier’, et kafala à 100%.
filles garçons. 6 admissions pour abandon en 2008.
• Safi : seule donnée fournie, admissions de 2006.

3 - Données
Synthèse région
• El JADIDA
• Un total admissions Région en 2008 : 21 enfants
• Nombreuses irrégularités évoquées et relatives à
la gestion passée et présente de l’abandon (secteur • Les données de la Justice (pour Safi, el Jadida, sidi
de l’informel, de l’illégal, de l’intermédiation, secteur Bennour) indiquent pour la même année, un effectif total
associatif) d’abandons inscrits de 86 (dont 85 jugés).

56
VII - Région Tadla Azilal
Beni Mellal Association ’Bab el kheir’
Périmètre de couverture : Fkih Ben Salah, Kasba Tadla, • 30,5% des pensionnaires sont porteurs de handicaps.
Moulay Ismail, Beni mellal, Azila Un centre est en cours de réalisation, en attente d’un
budget de fonctionnement dédié.
1 - Prise en charge de l’abandon
• Un déséquilibre filles garçons qui se renforce, de 40/60
• Les abandons sont orientés vers l’hôpital de Beni en 2004 à 25,5/74,5 en 2008. Ce déséquilibre renforcé
Mellal, au sein du service pédiatrie puis vers un centre est en faveur de ‘pratiques illégales qui s’organisent’.
dédié à l’enfant abandonné, et géré par l’association Bab
El Kheir. • Une attitude des mères, spécifique à la région, qui fait le
choix, majoritairement, de formuler l’intention d’abandon
A la période d’investigation, un effectif total de 49
‘visible’ à la maternité ou à l’association.
enfants.
Spécificité régionale : les abandons de rue sont De ce fait, les abandons de rue sont moins représentatifs
inférieurs aux abandons formulés au sein de structures ici : ces abandons de rue, 36% en 2004, ont diminué par
hospitalières. Les mères sont donc souvent connues. ailleurs de 12% en 2008.

2 - Exploitation des données • Les mères sont connues dans près de 70% des
situations.
• Données fournies par l’assistante préfectorale, et par
l’assistante sociale de l’association Bab el Kheir. • Devenir d’enfants

• Les données de Beni Mellal sont relatives à la période Kafala


2004-2008. • Un taux relativement élevé, en évolution, de 77 à 83%
• Les variables sont relatives aux admissions, sorties en 2008.
(kafalas, transferts, décès), lieux d’abandon, et identité, Décès
connue inconnue.
• Sur les deux périodes 2004 et 2008, un taux de décès
3 - Données de région relatives aux en baisse de 11 à 8,5%. Le taux moyen, enregistré sur
abandons d’enfants l’ensemble des années est cependant particulièrement
• Admissions élevé (20%).

• En cinq années, au total, 218 admissions pour Retour à la famille naturelle


abandon. • Un taux moyen sur l’ensemble des années de
Entre les deux périodes, 2004 et 2008, même effectif 7,5%, avec de nombreuses difficultés administratives
d’enfants abandonnés ; avec une stabilité apparente des évoquées, retardant le retour de l’enfant.
admissions (laquelle reportée sur les naissances, figure
une diminution).

3 - Tableau récapitulatif de l’abandon dans la région : admission et devenir d’enfants

Années 2004 2005 2006 2007 2008

Admissions filles 14 19 14 9 9

Admissions garçons 21 45 37 22 26

Total admissions 35 64 51 31 35

Décés 4 17 11 0 3

Kafala 27 40 34 26 29

Récupérés par famille 4 3 4 3 2

Non spécifié 4 19 12 2 4

57
Synthèse région VIII - Région Chrarda-Kénitra-
• La présence d’une structure associative mène les
Sidi Kacem
abandons visibles à migrer vers Beni Mellal. Ligue Marocaine pour La protection
• Une forte représentativité du handicap dans la région.
de L’enfance. Kénitra
• Des données du Ministère de la Justice qui interpellent :
Crêche De L’hôpital Ibn Zohr Al Ghazi.
l’effectif total des abandons inscrits dans la région (Beni
Ouezzane
Mellal, Azilal, Kasba Tadla, Kfih Ben Salah, Oued Zem, Crêche De L’hôpital Abou Kacem Zahraoui.
Boujad) est de 275. L’effectif des abandons jugés est de Ouezzane


268.
Crêche De L’hôpital. Sidi Kacem
Périmètre de couverture : deux délégations, Sidi Kacem
et Kénitra, villes ou provinces de Souk larbaa, Sidi
slimane, Sidi Yahia el Gharb.
1 - Prise en charge de l’abandon
La majorité des abandons est orientée vers l’hôpital
de Kénitra, pour bilan, puis vers la crèche de l’hôpital,
soutenue par la Ligue Marocaine Pour la Protection de
l’Enfance.
Transferts : vers les maisons de bienfaisance Dar El
Fatayat, Ismailya.
En revanche les abandons de Sidi kacem et de Ouazzane
sont pris en charge, sur place, au sein de structures
hospitalières, sans soutien associatif. Ici la solidarité du
personnel fait office de prise en charge.
Deux hôpitaux à Ouezzane, chacun ayant une crèche pour
enfants abandonnés : Abou kacem Zahraoui (5 enfants
lors de l’investigation) et Zhor Ghazi.
Dans la question de la prise en charge de l’abandon, dans
la région, Kénitra le plus souvent, un discours majoritaire
ici, formulé par différents acteurs : ‘trafic d’enfants,
adoptions illégales, fausses mères’ à l’hôpital. L’informel
représenterait la plus grande part de l’abandon, et les
mots abondent : « trafic, marché noir, commerce illégal… »

2 - Exploitation des données


Les données de la région sont hétérogènes, en fonction
des structures, succinctes, quelquefois limitées à une
année, à une variable, aux deux.
Les premières données quantitatives ont été
communiquées par la délégation de la santé, et
qualitatives, par la LMPE. Le ‘choix de la santé’ se
justifiera ici par la possibilité offerte (très relativement)
d’obtenir des différenciations se rapportant aux variables
de l’abandon (différentiel filles garçons établi en 1998).
La source première des abandons déclarés est l’hôpital.
En revanche les données relatives au devenir d’enfants
ne sont pas disponibles.
Les données complémentaires, de Sidi Kacem et de
Ouazzane seront communiquées par les hôpitaux de
provinces, (délégué de la santé et assistant social hôpital
I K Zahraoui).Elles concernent principalement la variable
admission et une année, 2008.

58
• Kénitra
• La prise en charge de l’abandon est gérée par la LMPE : • Une tendance haussière des admissions, avec en 2008,
au moment de la visite, 16 enfants pris en charge dont 3 fois plus d’admissions.
deux filles.
• Avec les données additionnelles de l’hôpital Z Ghazi,
• Un total admissions sur 11 années, de 342 enfants.
(3 enfants pendant la période d’étude), la province
• Admissions : une évolution des admissions pour comptabilise un effectif total d’admissions en 2008 de
abandon, de 61,5%
19 enfants.
• Différentiel filles/garçons : représentativité des filles,
de 31,5% en 1998 et de 35,5% en 2008. • Kafala : en 2008, 68,5% des admis sont placés en
• Lieu identifié de provenance de l’enfant : origine urbaine kafala.
dominante
• Sidi Kacem
• Ouazzane
• Entre 2002 et 2008, gestion d’un effectif total de • En 2008, un effectif d’admissions pour abandons de 10
pensionnaires de 68 enfants enfants. Tous sont pris en kafala.

Tableau récapitulatif du total admissions pour abandon dans la région.

Admissions 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Kénitra 26 25 29 36 40 25 24 38 27 42 42

Ouazane 1 2 1 4 18 12 14 17

Ouazane 2 13

Sidi Kacem 10

Synthèse des données de région


• En dehors de la prise en charge assurée par la LMPE à
Kénitra, (59% des admissions en 2008) généralement, des
conditions précaires au sein de structures hospitalières,
sans soutien associatif.

• Discours redondant relatif à la présence ‘massive’ de


l’informel dans la région

• Un effectif total d’admissions pour abandon en 2008,


de 82.

• Les données comparatives de la Justice pour les


provinces de Kénitra, Sidi Slimane, souk Larbaa, Sidi
Kacem et Ouezzane, indiquent un effectif d’abandons
inscrits en 2008, de 88. L’effectif d’abandons jugés est
de 40.

59
IX- Région Marrakech-
Tensift- El Haouz
Ligue Marocaine pour la protection de L’enfance 3 - Données de région
Créche D’issil/Hopital Zhor • Essaouira
Enfance Espoir/Hôpital I. Nafiss A
Association Darna, Essaouira . • Admissions : en 7 mois d’existence (mai à décembre
Chichaouia. Hôpital 2008) un effectif d’enfants admis de 52
Kella Seraghna, • Un différentiel sensible de la représentativité filles
Association Mehd El Amal/Hôpital Salama garçons : 24% de filles
Périmètre de couverture : 5 délégations, villes ou • Kafala : 17,5% ont été pris en kafala
provinces d’El kelaa Sraghna, Marrakech, Al haouz, • Famille naturelle : près de 4% ont été récupérés par
Chichaouia, Essaouira, Ben Guérir, Immentanount, leur famille
El youssoufia. • Marrakech
• Entre 1998 et 2008, un total admissions pour abandon
1 - Prise en charge de l’abandon de 995.
• A Marrakech deux structures dédiées à l’abandon : crèche • En 2008, un total de 158 pensionnaires à Marrakech
d’Issil à l’hôpital Zhor, gérée par la Ligue Marocaine pour (dont 64 filles)
la Protection de l’Enfance ; crèche de l’hôpital Ibn Nafiss • Admissions : sur la période 98-2008, évolution de 146%
gérée par l’association’ Enfance Espoir’. des admissions pour abandons

• A Essaouira, une structure dédiée et gérée par • Différentiel filles garçons en baisse : en 1998, une
représentativité des filles de 30% ; en 2008, de 40,5%.
l’association Darna. 51 pensionnaires, au moment de
l’investigation (35 garçons, 16 filles). Les transferts de • Une large majorité des abandons, effectués sur la voie
garçons, sont susceptibles d’être effectués vers Dar Talib. publique, qui se renforce.
Aucune structure de transfert n’existe pour les filles. Données relatives aux conditions d’admissions
de l’enfant (source ‘Enfance Espoir 2006-2007)
• A Chichaoua, les enfants sont susceptibles d’être
transférés à Marrakech ou de séjourner au sein de • En 2006, une durée moyenne de séjour de 175,5 jours ;
l’hôpital de province, en service de pédiatrie pour une • A l’entrée, près des 64% des nourrissons sont âgés de
kafala ‘sur place’. En 2008, aucun abandon. Actuellement 1 jour à une semaine.
un garçon ‘sur place’. • 59 % des nourrissons séjournent pendant une durée
• A Kelaa Sraghna les enfants sont installés dans une supérieure à 5 mois.
salle qui leur est réservée, au sein du service pédiatrie • En 2007 : une durée moyenne de 164 jours
du CHP Salama. Soutien partiel de l’association Mehd El
• Une représentativité des garçons de 81%.
Amal. Un enfant IMC.
• A l’entrée, près de 40% des nourrissons sont âgés de
2 - Exploitation des données 1 jour à une semaine.
• 60,5 % des nourrissons ont une durée de séjour avant
• Marrakech : données quantitatives recueillies fournies kafala, supérieure à 5 mois.
par l’assistante préfectorale de la région, (en possession
Devenir d’enfants
des données régionales jusqu’en 2006) par l’assistante
sociale de l’hôpital Zhor, par la crèche d’Issil, relevant de Kafala
Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance et par • Une diminution du taux de kafala des admis avec, en
l’association Enfance Espoir. 1998, 86,5% et en 2006, 78,5%

• Essaouira : données fournies par la directrice du centre • Entre 1998 et 2006, une stabilité des kafalas effectuées
par des étrangers
de l’association Darna, créée en 2008. Les abandons
comptabilisés ici, sont ceux correspondant aux enfants Retour à la famille
recueillis à partir du mois de Mai de la même année. • Un taux global sur l’intervalle 1998-2008, de près de 4%

60
4 - Tableau récapitulatif des admissions dans la région

Période 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

T. admissions
Marrakech 43 69 81 79 84 88 105 109 103 128 106
T. admis
K.Sraghna 20 12 18 4 5 10 9 14 6 8
T. admis
Essaouira 52

Synthèse région
• Sur l’intervalle 1998-2008, une évolution très sensible • A Marrakech identification par les acteurs d’une
des admissions pour abandons. coordination entre institutionnels et intervenants de la
prise en charge.
• Sources d’information plurielles relatives à l’abandon :
• Dans la région, pour 2008, un effectif total d’admissions
chacune ayant des données partielles, relatives à une
pour abandon, de 166.
période considérée, et des paramètres particuliers
• Dans la région, les données du Ministère de la justice
d’évaluation. Information disponible néanmoins et
indiquent un effectif total d’abandons inscrits de 549 et
nécessitant d’être regroupée jugés de 595.

61
X - Région Souss Massa Draa • Admissions annuelles : en 2008, 80 nouvelles
admissions.
Agadir. Association Tazanine des enfants • 35 enfants porteurs de handicaps, soit près de 44%
abandonnés, des pensionnaires.
Créche de L’hôpital Hassan II • Répartition par sexe : inégalité de la représentativité
Taroudant. Maison D’enfants Lalla Amina. filles garçons avec une moyenne de représentativité des
Ouarzazate. Association Basma. filles sur les 9 années, de 30%. Nécessité cependant
Créche de L’hôpital d’intégrer la fluctuation du taux de représentativité des
Tiznit Hôpital, Service de pédiatrie. filles en fonction des années, de 12 à 40% du total
Association les amis du centre hôspitalier admissions.

Périmètre de couverture : 7 délégations, villes ou Devenir d’enfants


provinces, d’Agadir, Inzegane, Taroudant, Zagora, Tiznit, Kafala
Ouarzazate et Chtouka.
• Pas de différentiel établi entre kafala filles/garçons
1 - Prise en charge de l’abandon
• Sur les neuf années un taux moyen de kafala de 51%.
Agadir, enfants admis au sein de la crèche de l’hôpital
• Le taux de kafala progresse cependant, entre 2000
Hassan II, pris en charge par l’association Tazanine des
(36,5%) et 2007 (64,5%), de 28%, ‘pour connaître’ une
enfants abandonnés : lors de la période d’investigation,
baisse sensible en 2008 (50%).
un effectif de 80 pensionnaires dont certains âgés de 20
ans. Réintégration de la famille naturelle
Taroudant, enfants pris en charge par la Maison d’enfants • Un taux moyen sur 9 ans, de 6,5%
Lalla Amina, affiliée à la ligue Marocaine pour la Protection
• Une évolution du taux de réintégration sur la période
de l’enfance dans un cadre propice au développement de
2000-2007, de près 4%
l’enfant. 67 enfants à la période d’investigation.
Décès
Ouarzazate, enfants admis à l’hôpital et pris en charge
par l’association Basma (soutien de ‘Lutins des sables’). • Un taux moyen de décès de 8%
17 pensionnaires à la période d’investigation.
• Sur la période 2000-2007, une diminution progressive
Zagora, admission et transferts vers Ouarzazate. et sensible du taux de décès de 28% (32% en 2000 ;
Tiznit : admissions à l’hôpital, soutien d’une association, 3,75% en 20008)
‘Les amis du centre hospitalier’. Un ‘total pensionnaires’, Transferts (orphelinat, SOS)
à la période d’investigation de 11 enfants.
• Un taux moyen de transfert sur les 9 années, de 6,5%
SOS village d’enfants récemment implanté dans la
• Fluctuation du taux en fonction des années, de 5 à
région.
40%
2 - Exploitation des données • Taroudant, home Lalla Amina
Agadir : données fournies par l’assistante préfectorale
Spécificité : prise en charge de l’enfant dans la durée,
(données jusqu’à 2000) et association Tazanine des
maternage, scolarité.
Enfants abandonnés.
Cadre et environnement calqués sur le modèle de la
Taroudant : données fournies par l’organe central de la
famille, avec une mère de référence, et un home de 6 à
Ligue et par le home Lalla Amina.
7 enfants. Conditions de vie propices au développement
Zagora : données fournies par l’assistante sociale de harmonieux de l’enfant.
l’hôpital.
Admissions d’enfants
3 - Données de région • Sur la période 1998-2008, prise en charge d’un effectif
• Agadir (2000-2008) total de 601 enfants : taux moyen annuel de 55.
• Sur l’intervalle 2000-2008, un effectif total d’admissions • Une évolution des admissions sur la même période,
de 570 (moyenne annuelle de 64 enfants). de près de 112%.
• Total admissions : entre 2000 et 2008, évolution de • Handicap : 15% des pensionnaires présents (en 2009)
60% des admissions pour abandons. sont porteurs de handicap.

62
Devenir d’enfants • Ouarzazate
Kafala : • Admissions 2008 : 21
• Un taux moyen de kafala sur la période 1998-2008, de
• Différentiel filles/ garçons : 33% de filles
25,5%
• Kafala : 100%
• Un taux différentiel entre 1998 (40%) et 2008 (26%),
avec une baisse de 14% justifiée par les possibilités • Tiznit
offertes de prise en charge durable.
• Admissions 2008 : 14
Décès
• 50% de filles
• un taux moyen de décès (période 98-2008) de 1%.
(Relation entre modalités de prise en charge de l’enfant •Un enfant porteur de handicap (effectif 11
et taux de décès ?) pensionnaires)

4 - Evolution d’effectifs des nouveaux abandons dans la région

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Agadir 50 67 56 50 61 78 66 62 80

Taroudant 32 34 49 53 59 62 58 58 62 64 70

Ouarzazate 21

Tiznit 14

Synthèse région
• Admissions 2008 : un total de 185 enfants. • Des moyens insuffisants

• Une évolution des admissions dans la région sur la • Un différentiel entre les villes ou provinces, relatif au
période 1998-2008 type de coordination entre les différents intervenants de
• La présence d’une structure de prise en charge permet la prise en charge (institutionnels et secteur associatif).
d’augmenter la visibilité de l’abandon, • Les données du Ministère de la Justice, relatives aux
• Un différentiel entre les structures en charge de abandons dans les mêmes localités et provinces (Agadir,
l’enfant : données disponibles, prise en charge, devenir Inzeggane, Tiznit, Zagora, Taroudant, Ouarzazate) indiquent
d’enfants, ‘politique de kafala’. un effectif d’abandons inscrits en 2008, de 710. L’effectif
des abandons jugés est de 624.
• Une représentativité élevée du handicap (23%)

63
XI - Région Guelmim Smara
Hôpitaux de Tan Tan. Guelmim. Assa Zag, Tata, Données relatives à l’abandon
Smara
Présence de la Goutte de lait, • Tan Tan
Actions en faveur de L’enfance abandonnée
Données à partir de 2006
Solidarité de la ligue et des projets
de L’indh Admissions : entre 2006 et 2008, un total admissions de
23 enfants.
Périmètre de couverture : six délégations, villes ou
provinces de Guelmim, Smara, Tan Tan, Assa Zag, Tata Sur la même période, une évolution des admissions pour
et Smara. abandon de 22,5%
Transferts : 2 enfants (malades) vers Agadir
1 - Prise en charge de l’abandon
Elle est essentiellement effectuée au sein de structures • Guelmim
hospitalières, assurée au moyen de solidarités diverses,
du corps médical ou d’ONG locales. • Données fournies : admissions de 2007 à 2008

La prise en charge des enfants est généralement précaire : • Total admissions sur la période 2007-2008 : 13
des actions associatives sont décrites, effectuées par ‘La • Stabilité des admissions sur les deux années
‘goutte de Lait’ ou des membres de bureaux provinciaux
de la LMPE (Tan Tan, Guélmim) avec des projets en cours • Taux global de kafala : 69%
de réalisation. • Taux de mortalité : 4%
Aussi les abandons restent-ils dans le présent (et dans
le discours des acteurs) dominés par la présence de • Assa Zag
l’informel ou par des abandons effectués directement
chez le juge (cette dernière information n’est pas validée • Donnée fournie : admissions de 2008
par les données du Ministère de la justice). • 1 admission (fille)
La carence en structure est décrite comme ayant • 1 kafala
favorisé (Guélmim notamment), l’existence de réseaux
d’exploitation et de trafic mères enfants. Ici ‘le regard de • Smara
la Ligue’ permet de dénoncer certaines pratiques en vue
de sensibiliser les autorités, voire de les solutionner. • Donnée fournie : admissions 2008
Dans la région, un sentiment général est exprimé, d’être
écarté des champs d’intérêt prioritaires. Des membres de • Une admission, transférée à Layoune (LMPE)
bureaux provinciaux de la LMPE sont à l’origine de projets
en cours, d’aménagement de structures en direction de • Tata
l’enfance abandonnée (soutien de l’INDH en matière de
construction). Des centres sont aménagés (Tan Tan ; • Donnée fournie : admissions 2008
Guelmim) dans l’attente d’un budget de fonctionnement
qui leur permettrait d’être opérationnels). Les abandons • Admissions 2008 : 3
de Tata sont transférés à Layoune (LMPE). Les abandons • Kafala : 1
de Assa Zag, étaient transférés à Agadir. Dans le présent
• Transfert (Agadir) : 1
une ‘restriction d’Agadir’ liée à l’effectif des enfants pris
en charge. • Restant : 1

2 - Exploitation des données


Les données recueillies sont ‘pauvres’, partielles,
hétérogènes, non exhaustives et leur obtention
complexe.
Ces données partielles ont été fournies par des
acteurs multiples du secteur hospitalier, et leur collecte
généralement soutenue par des membres de bureaux
provinciaux la LMPE.

64
3 - Tableau récapitulatif des admissions pour abandon dans la région

Admissions dans la région 2006 2007 2008

Tan Tan 4 6 13

Guelmim 7 6

Smara (1)

Tata 2(1)

Assa Zag 1

T. admis non transférés 4 13 22

Synthèse région :
• Données exhaustives insuffisantes • Dans le discours présence de pratiques informelles et
illégales.
• Prise en charge de l’enfant dans des conditions et des
environnements inadaptés à son développement • Evolution des admissions pour abandon
• Prise en charge associative en cours de concrétisation. • Les données du ministère de la Justice, indiquent, pour
les mêmes provinces (Tan Tan, Guelmim, Smara, Tata) un
• Solidarité de la Ligue et de la goutte de Lait
effectif total d’enfants inscrits de 32 et de 22 jugés.

65
XII - Région Oued Dahab - Lagouira
Hôpital De Dakhla/ Tribunal • LAGOUIRA, AOUSERD, SIDI GUENDOUZ : aucune
structure dédiée, pas d’abandons déclarés.
Périmètre de couverture : délégations de Oued Eddahab,
Aouserd, Lagouira et Dakhla. 2 - Exploitation des données
1 - Prise en charge de l’abandon • Les abandons de Dakhla ne sont pas recensés. Données
• Dakhla partielles. (risque d’erreur)

Dans le discours relatif à l’abandon, un effectif important • Données fournies par l’assistante sociale de l’hôpital
de mères célibataires formulant le désir d’abandon
d’enfants. Considérant l’absence de structures de prise
3 - Données de région
en charge, et le refus par les intervenants de la santé, • Un effectif partiel d’abandons est enregistré par
de gestion de l’abandon, les enfants sont susceptibles l’assistante sociale de l’hôpital : en 2008, 28 admissions
de séjourner un à deux jours, et les mères invitées à pour abandon.
solutionner ‘leurs problèmes’. Aussi tendent-elles, à
l’accouchement à se présenter en compagnie des mères • Les données du Ministère de la Justice indiquent pour
adoptives qu’elles ont choisies. la région de Oued Dahab un effectif d’abandons inscrits
de 14. L’effectif des abandons jugés la même année est
Dans la région, la Ligue, en partenariat avec l’INDH, est de 17.
notamment représentée par Dar el Hadana. En l’absence
de soutien à Dakhla, les enfants sont généralement
refusés, confiés par ailleurs dans le cadre de kafala à des
parents qui ne s’inscrivent pas à priori (selon la loi) dans
le profil des parents adoptifs « même quand ce sont des
familles pauvres, on leur donne ».

66
I - Region De Layoune Boujdour 3 - Données de région
Ligue Marocaine pour La protection
• En 9 années, 150 admissions pour abandon
de l’enfance. Hôpital de Layoune
Périmètre de couverture : Layoune, Boujdour • Différentiel filles garçons : une représentativité
globale des filles de 31,5%
1 - Prise en charge de l’abandon
• Sur la période 2000-2008 une diminution progressive
La quasi totalité des abandons de la région est adressée de la représentativité des filles.
à la Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance,
laquelle, dans la région, offre un cadre propice à l’accueil • Sur la même période, une évolution des admissions
de l’enfant : accueil, environnement, conditions de de 150%
développement.
2 - Exploitation des données
Les données communiquées ici, sont celles de l’hôpital,
la principale source identifiée qui centralise les abandons
dans la région. Les données ci-jointes (période 2000-
2008) ont été fournies par l’assistante sociale de l‘hôpital
(qui gère en même temps, les dossiers de la Ligue).

4 - Tableau récapitulatif des abandons dans la région LAYOUNE BOUJDOUR; différenciation par sexe : période 2000-2008

Période 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Filles 2 1 4 9 5 3 5 13 5

Garçons 4 6 7 14 11 17 18 16 10

Total 6 7 11 23 16 20 23 29 15

Synthèse région
Dynamique de prise en charge durable
Fluctuation des abandons d’une année sur l’autre, liée en
partie aux admissions des filles.
Coordination entre acteurs de la prise en charge
En 2008, un effectif total d’admissions de 15 enfants.
Les données du Ministère de la Justice indiquent pour
l’année 2008, dans la province de Layoune, un effectif
d’abandons inscrits de 18. L’effectif des abandons jugés
la même année est de 28.

67
II - Région Tanger Tetouan
hôpital kortobi. crêche de l’hôpital 3 - Données de région
et association ‘la crêche de Tanger’
Chefchaouen crêche de l’hopital • Tanger
Lalla Mériem Admissions : sur la période 2005-2008, un effectif total
Tetouan crêche de l’hôpital saniat armel d’admissions de 345 enfants.
et association Mehd El Baraa
Tetouan association Amal El Atfal Sur la même période, une évolution des admissions pour
Larache crêche Al Hanane abandon de 94,5%

Périmètre de couverture : Tanger, Tétouan, Larache, Devenir d’enfants


Chefchaouen, Assilah, Fahs Anira. Kafala
1 - Prise en charge de l’abandon Un taux moyen de kafala sur la même période de 15,5%
dans la région
Entre 2005 et 2008 une baisse très significative du taux
Dans la région cinq structures identifiées en charge de de kafala des entrants (30,5% en 2005 ; 2% en 2008).
l’abandon à la naissance.
La kafala d’enfants effectuée par des marocains
• A Tanger : les enfants sont accueillis à l’hôpital Kortobi représente 59%.
et pris en charge par l’association ‘Crèche de Tanger’
qui gère l’effectif le plus important des abandons de la Pratiques passées qui diminuent: kafala provisoire et
région. ‘kafala étrangère’.
• A Chefchaouen un centre crée en 2005, dédié au Décès
sein de l’hôpital Lala Mériem : les enfants sont pris
Sur la période 2005-2006, un taux moyen de décès de
en charge par l’association Dar Rahma, soutenue par
une ONG espagnole (‘el bueno samaritano)’. A la date 2%
d’investigation, un effectif de 10 pensionnaires. Ici, se A partir de 2007, un taux 0 de mortalité.
décrivent des conditions positives tant au développement
de l’enfant admis (effectif réduit d’enfants, absence de • Chefchaouen
difficultés financières, effectif de personnel important)
Sur la période 2005-2008, un total admissions de 39
qu’au niveau de la dynamique des acteurs (coordination
enfants
des intervenants, rapidité de gestion de la kafala, cellule
violence susceptible de prévenir l’abandon). Une diminution de 57% des admissions (lien établi
• A Tétouan deux structures : l’une au sein de l’hôpital avec cellule de violence, en matière de détection et
civil de Tétouan, soutenue partiellement par l’association d’orientation des mères célibataires).
‘Mehd El Barra’ (effectif de pensionnaires à date
d’investigation : 41) ; l’autre située en dehors de l’hôpital, Devenir d’enfants
gérée essentiellement par l’association ‘Dari’.
kafala
• A Larache, dans le présent, un centre indépendant,
destiné à l’abandon. La crèche est gérée par l’association Un taux global de kafala de 82%
‘AL hanane’ (17 pensionnaires à date d’investigation). Décès

2 - Exploitation des données Un taux de mortalité de 0%

• La quasi totalité des données fournies de région, est Transferts


relative à la période 2005-2008.
Un taux de transfert de 5%
• La majorité des données intègre les variables
• Tetouan
d’admissions et celles relatives au devenir d’enfants
(kafala, décès, transferts). Cumul des données des deux structures en charge de
l’abandon
• Les données ont été fournies par les structures
associatives et par les assistantes sociales (ou Total admissions 2005-2008 : 169 enfants (une moyenne
préfectorale) du secteur de la santé. de 42 admissions/an)

68
Evolution des admissions : diminution relative des Récupération par la famille
admissions de 2%.
Sur la période 2005-2008, un taux moyen de 8%
Différentiel filles/garçons : représentativité moyenne des
• Larache
filles, de 38%, variable entre 35 et 40%, en fonction des
années. Nouvelle structure créée en charge de l’abandon à la
6,5% des enfants sont porteurs de handicaps ; naissance
En 2008, un total admissions de 15 enfants
Devenir d’enfants
Différentiel filles/garçons : un taux de représentativité
Kafala
des filles de 33%
Pratique de deux types de kafala, provisoire et
Handicap : taux de 6,5%
définitive.
Un taux moyen de Kafala de 52% Devenir d’enfants

Sur les quatre années une diminution sensible du taux Kafala


de kafala de 64 en 2005, à 31% en 2008. Un taux de 93,5%
Décès Décès - 0%
Sur la période 2005-2008, un taux moyen de mortalité de
5%. 0% en 2008

4 - Tableau récapitulatif des abandons dans la région : admissions et devenir d’enfants

Famille
Année Admissions Kafala Décès
naturelle

2005 113 55 7 7

2006 119 67 1 4

2007 163 32 5 0

2008 173 34 4 0

Total 568 188 17 11

Synthèse région
Présence de données relativement exhaustives, Un différentiel entre les structures en matière de moyens
différentiel filles/garçons, non systématique à l’ensemble et de modalités de prise en charge
des structures ; Entre 2005 et 2008, un total admissions dans la région
de 568 enfants.
Présence d’une cellule violence (Tétouan) et de
deux centres dédiés aux mères célibataires (Tanger ; En 2008, un effectif de 173 admissions.
Chefchaouen) : impact visible (qualitativement), sur les Les données du Ministère de la Justice indiquent pour
admissions pour abandon. l’année 2008, dans les mêmes provinces, (Tanger,
Assilah, Larache, Ksar lekbir, Tétouan, Chefchaouen)
Un différentiel entre villes ou provinces, à des niveaux de un effectif d’abandons inscrits de 170. L’effectif des
coordination entre intervenants de la prise en charge : le abandons jugés est de 190.
changement de ‘personnes’ dans la justice s’accompagne 0 décès en 2007 et 2008
d’une diminution de la kafala. Un taux de handicap de 7,5%

69
III - Région ‘oriental’
Oujda . Ligue Marocaine pour la protection Entre 2004 et 2007, une croissance des admissions de
de l’enfance. 43% ; avec en 2008, une tendance à ‘la baisse’.
hôpital Farabi
Nador. hôpital. association Yassamine Différentiel des admissions filles garçons : en cinq ans,
une représentativité moyenne des filles de 38% (avec
Périmètre de couverture : Oujda, Berkane, Jerada, une variation sensible allant de 27 à 46%)
Figuig, Taourirt, Nador.
L’écart filles garçons se creuse progressivement.
1 - Prise en charge de l’abandon
Devenir d’enfants
• A Figuig, Bouarfa, Taourirt, Berkane : absence
Kafala
de structures dédiées. En conséquence, gestion de
l’abandon par la justice pour kafala ou transfert. (Taourirt Sur la période 2004-2005, un taux moyen de kafala de
et Berkane transfert possible vers La LMPE à Oujda) 72,5% (en hausse de 5% depuis 2004)

• A Nador, les enfants sont pris en charge au sein de Un taux de kafala des garçons supérieur à celui des
l’unité de pédiatrie de l’hôpital, par le personnel de filles
la santé, soutenus par l’association Yassamine et par
diverses actions de solidarité et de collecte. Récupération par la famille

• A Oujda, l’abandon est géré par la Ligue Marocaine Un taux global sur les cinq années de 7,5%
pour la Protection de l’Enfance et les structures de
Décès
la santé: un local aménagé ‘aux normes de qualité de
vie de l’enfant’, mitoyen de l’hôpital, construit sur deux Un taux moyen de mortalité de 6,5%, en baisse de 3%
niveaux, est dédié aux enfants abandonnés. Ces enfants en 2008.
sont répartis en fonction de leurs âges respectifs ‘grands,
nourrissons, bébés’. A la date d’investigation, 18 enfants • Nador
présents : 12 garçons, 6 filles.
Données fournies à partir de 1998.
2 - Exploitation des données Paramètres : admissions, kafalas, décès
• Oujda : données fournies par l’organe central de la Un total admissions sur la période 1998-2008, de 164
LMPE, par l’assistante sociale de l’hôpital d’Oujda.
enfants, soit une moyenne de 15 abandons/an.
Données exhaustives disponibles relatives à la période
Devenir d’enfants
2004-2008 ;
Paramètres d’identification : admissions, différentiel filles kafala
garçons, devenir d’enfants (kafala, transferts, décès).
Un effectif de kafalas supérieur aux admissions : ici
• Nador : données fournies par le délégué régional et
l’effectif comptabilisé tient compte des enquêtes
l’assistant social de l’hôpital.
assurées par l’assistante sociale et sollicitées par le juge.
3 - Données de région Les kafalas incluent ici celles relatives aux abandons
• Oujda formalisés chez le juge.

Sur la période 2004-2008, un effectif total de pensionnaires Décès


de 468 Un taux moyen de décès, élevé, de 11% (lien effectué
Sur la même période 383 admissions pour abandon avec les conditions de prise en charge de l’enfant).

70
4 - Tableau récapitulatif des admissions de région depuis 2004

Total Région 2004 2005 2006 2007 2008 Total

Admissions 94 76 85 115 80 450

Décès 8 7 1 5 4 25

Synthèse
En région, de 2004 à 2007, tendance haussière des Données disponibles en région, mais différentiel au
admissions pour abandon niveau des paramètres d’identification de l’abandon.
En 2008, une diminution des effectifs, avec un ‘total Un différentiel entre les deux structures en matière de
région’, de 80 admissions pour abandon. prise en charge : conditions et environnement, type de
Ces données fournies ne sont pas compatibles avec soutien, encadrement, expérience…
celles fournies par Le Ministère de la Justice et relatives
aux mêmes villes et provinces (Nador, Oujda, Berkane,
Figuig) : 955 abandons inscrits ; 1013 jugés.

71
IV - Région Al Huceima Taza
Taounat hôpital et association Bait Errahma 3 - Données
Taza hôpital et Association Rahma • Taounat
Al Huceima, hôpital
En 2008, 16 admissions pour abandon
Périmètre de couverture : Al Huceima, Taza, Taounat. • Al huceima

1 - Prise en charge de l’abandon Période 2006-2008 : un total admissions pour abandon,


de 43
• Taounat : prise en charge au sein de l’hôpital. Soutien d’une
association spécifique ‘ Bait Errahma’. Centre construit et Un taux global de kafala entre 87 et 90%
aménagé par l’INDH en attente pour cause de financement du Mortalité : 9,5%
fonctionnement. Aides diverses : Entraide nationale, ‘majliss
Handicap : 7%
Iklimi’, impulsion du gouverneur.
• Taza
• Al Huceima : enfants pris en charge par l’hôpital.
Service de pédiatrie, avec les malades. Soutien en Admissions 2008 : 27
provenance des ‘sœurs espagnoles’ et de bienfaiteurs, Différentiel filles garçons : représentativité des filles de
occasionnellement. 44,5%
• Taza : enfants hébergés dans un centre ‘conforme Kafala : 92,5%
aux normes’ financé par l’INDH. Soutien et gestion de
Handicap : 7,5%
la prise en charge : association ‘Rahma’. Partenariats :
Santé (soins, alimentaire, hygiène…), INDH, Conseil
Communal. Conseil Municipal.
Synthèse région
2 - Exploitation des données
Dans la région, en 2008, un total admissions pour abandon
Données fournies généralement par la ‘Santé’ : délégués de 53 enfants
de régions, assistants sociaux.
Données ‘incompatibles’ avec celles fournies par le
Paramètres d’identification de l’abandon : partiels, Ministère de la Justice (Al Huceima, Taounat, Taza,
insuffisants. Dénominateur commun : admissions 2008. Guercif) qui indiquent 26 abandons inscrits ; 54 jugés.

72
73
Chapitre 4

Synthèse des données de régions.


mesure d’ampleur et estimations

Synthèse des données régionales


Les effectifs répertoriés correspondent aux abandons En dépit de leur disponibilité, certaines données ne sont
déclarés et placés en institution, hospitalière ou pas fournies (résistances, données considérées comme
associative, permettant leur recensement. confidentielles, manque de personnel ou de temps pour
Les paramètres d’identification de l’abandon fournis, consigner les donnée...)
sont hétérogènes, partiels, insuffisants. La seule donnée fournie, commune à l’ensemble des
Une amélioration de l’identification des paramètres est structures, est relative aux admissions de 2008. A ces
admissions seront additionnées celles de SOS village
visible depuis 2005 dans certaines structures.
d’enfants relatives aux enfants directement placés
(généralement nourrissons, bébés) lors de l’année 2008.

1 - Effectifs des admissions pour abandon en 2008. 16 régions (découpage du M. de la Santé).


Effectifs Enfants Placés. Recensement 2008.
Régions
Sources Associatives Et Hospitalières

Casablanca 184

Rabat 111

Fes 88

Meknes 131

Chaouia Ouardigha 27

Doukkala Abda 21

Tadla Azilal 35

Chrarda 82

Tensift El Haouz 166

Souss Massa Draa 185

Guelmim Tantan 22

Oued Eddahab Lagouira 28

Layoune Boujdour 15

Tanger Tetouan 173

Oriental 80

Taza Al Huceima 53

Village SOS 18

Total 1419

74
Ce tableau récapitulatif des abandons placés en structure Que l’abandon se trouve représenté de façon ‘modérée
d’accueil, indique : à très modérée’ au sein de régions évoquées dans le
discours, comme conservatrices, mais ceci ne signifie
Qu’il existe une disparité régionale au niveau des pas qu’il se manifeste ailleurs, dans le mouvement déjà
abandons déclarés et placés ; évoqué, de migration.
Que cette disparité n’est pas toujours associée à la
densité de population de la région ;
2 - Différentiel filles, garçons
Dans la mesure où l’ensemble des données ne
Il indique par ailleurs :
permettra pas d’établir une comparaison basée sur une
Que l’abandon se déclare dans les régions dotées de différenciation, filles garçons, le comparatif portera sur
structures d’accueil, et d’une dynamique associative. six régions représentatives : Meknès, Fès, Casablanca,
Rabat, l’Oriental, Marrakech. (Dans ces régions, l’on
Que l’abandon s’exprime et se déclare davantage dans
soustraira les données de certaines provinces qui ne
les régions frontalières ou touristiques.
permettent pas d’établir ce différentiel)

Régions Garçons Filles

Casablanca 133 19

Rabat 81 23

Fes 47 32

Meknes 81 22

Oriental 49 29

Marrakech 94 64

T. 663 153 510

Représentation des filles : 23%


Représentation des garçons : 77%

Aussi :

Considérant que la répartition normale de la population Soit un ‘total abandons’, en 2008, estimé à 1888.
marocaine des enfants de 0 à 6 ans est de 49% pour
les filles, et de 51% pour les garçons, on perçoit un • Ce total correspond aux abandons recensés et à ceux,
différentiel de 33%. Aussi cette représentation anormale statistiquement ‘visibles’ et ‘lisibles’.
filles garçons nécessite-t-elle un redressement de 33% et
• Ce total ne peut, en aucun cas, intégrer le reste de
ce, qu’elles que soient les modalités légales ou illégales,
l’illégal et des abandons faisant l’objet d’une kafala
qui justifient leur absence des statistiques disponibles.
directe, d’une kafala provisoire, ou d’un acte de tanazoul,
Le redressement statistique de l’abandon des filles, opérés au tribunal ne transitant pas par les structures
(663X33%) permet d’obtenir un effectif de 882 enfants, hospitalières ou associatives.
d’une part ;
Le redressement statistique pour le reste de l’effectif obtenu
et recensé (756), permet d’obtenir un effectif de 1006.

75
3 - Evolution de l’abandon visible : en baisse ? en hausse ?
Le tableau ci-joint, cumule les données de 9 régions ou provinces à partir desquelles, la comparaison
est possible sur les onze années (données disponibles et/ou fournies).

Année 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Meknès 92 127 143 119 114 78 83 91 72 91 89

Ifrane 6 3 3 0 4 0 0 1 2 1 2

Rabat 137 165 180 176 140 139 123 129 123 104 104

Casablanca 100 120 114 122 116 111 107 129 126 108 184

Khouribga 7 6 2 3 8 5 4 9 3 2 2

Kénitra 26 25 29 36 40 25 24 38 27 42 42

Marrakech 43 69 81 79 84 88 105 109 103 128 106

Taourirt 32 34 49 53 59 62 58 58 62 64 70

Nador 10 17 17 15 19 18 22 12 9 12 13

Total admissions 453 566 618 603 584 526 526 576 527 552 612

Ce tableau indique

• Qu’il n’y a pas de logique manifeste de l’abandon visible : il • Le taux annuel de variation de l’abandon visible sur la
est susceptible de progresser ou de baisser, d’une année période 1998-2008 se situe dans un intervalle qui va de
à l‘autre, dans une région donnée. -10 à 25%.

• Ce développement aléatoire ne caractérise pas • En revanche, le plus souvent, les tendances haussières
les naissances enregistrées au niveau national qui ou baissières pendant une période donnée, tendent à se
connaissent une courbe ‘logique de croissance’. répercuter au niveau d’une majorité de régions.

76
Le comportement ‘irrationnel de l’abandon visible’ : variation pour cinq régions sur l’intervalle 98-2008

200
180
160
140
Meknès
120
Rabat
100
Casa
80
60 Marrakech

40 Souss

20
0
1998 1999 20002001 2002 2003 2004 2005 2006 20072008

4 - Eléments de réponse 5-Comparaison 1998-2008 des principaux


indicateurs du devenir de l’enfant1
• Incidence du taux de variation filles/garçons, sur les
effectifs d’abandons visibles. 5 -1 Kafala des nouveaux abandons
L’analyse des données relatives aux fluctuations du rapport
• En 1998 le taux moyen ‘national’ de kafala est de 34,5%.
filles/garçons dans l’intervalle 1998-2008, indique :
Pour 1998 : un différentiel avec une représentativité • En 2008 le taux moyen ‘national’ de kafala est de 53,5%.
des filles de 34,5%
Pour 2008 : un différentiel avec une représentativité des 5-2 Décès :
filles de 29%
• En 1998 le taux moyen ‘national’ de décès est de 10%.
Entre ces deux périodes, il est susceptible de
fluctuer de 23 à 34,5% (seuil significatif) • En 2008, le taux moyen ‘national’ de décès d’enfants
• Incidence de l’abandon illégal : tractations silencieuses, abandonnés est de 5%2.
adoptions de particuliers à particulier, réseau illégal
d’adoption et corruption. 5-3 Récupération par la famille
• Traçabilité de l’information : défaut ou absence totale de • En 1998 : 8% d’enfants sont récupérés par leur famille
données, notamment dans les provinces, pour l’intervalle naturelle.
choisi.
• En dépit de ces paramètres, l’évolution des abandons • En 2008 : 8% d’enfants sont récupérés par leur famille
visibles connaît une croissance légère, voire une stabilité. d’origine.
Ces paramètres indiquent que la croissance réelle de
l’abandon bénéficie à l’informel.

(1) Les données partielles, éparses récoltées et/ou fournies mènent à construire des échantillons spécifiques à la fois aux années et aux indicateurs, avec pour :
La Kafala 1998 : un échantillon de 567 et en 2008, de 633.
Le décès 1998 un échantillon de 400 enfants et en 2008 de 687.
La récupération par la famille : en 1998 un échantillon de 618 enfants et en 2008, de 712.
(2) Ce taux de 5% ne rend pas compte de la baisse réelle du taux d’abandon : l’impact du taux de décès, particulièrement élevé dans certaines structures
spécifiques ou régions, augmente ‘la moyenne nationale’

77
Synthèse : En 2008, Des Tendances, Au Niveau National

Un enfant abandonné à la naissance ( et placé)


sur 2 est pris en charge dans le cadre d’une kafala

8 enfants sur 100 sont récupérés par leur famille

8 enfants sur 100 décèdent

37 enfants sur 100 restent au sein de l’institution


d’accueil, durant l’année en cours

6 - Mesure d’ampleur de l’abandon


Hypothèses

• La tendance de l’abandon théorique est soumise aux • L’absence de chiffres sur une région donnée ne
mêmes conditions que la tendance des naissances au signifie pas l’absence de l’abandon.
Maroc.
• Le nombre maximal d’abandons, observé sur une
• L’abandon théorique3 = mères épargnées par les année, est celui qui est le plus proche de la réalité.
actions de prévention + admissions pour abandon
d’enfants au sein de structures associatives et
hospitalières + abandons directs chez le juge + abandon
illégal.

Estimation d’une Taux d’abandon


partie de l’illégal Théorique estimé
Abandon Abandon
déduit sur la base au Maroc :
Théorique 2008 : Théorique 2007 : des chiffres 1,9 à 2%
6480 5883 recensés en 2007 du ‘Total naissance’

667

(3) Calcul de l’abandon théorique : l’échantillon constitué, est réalisé au moyen d’ un redressement statistique des abandons directs opérés chez le juge tenant
compte, d’une part, des inscrits en provenance des structures associatives, et d’autre part, des différentiels de définition entre ‘justice et associations. Il intègre
par ailleurs un échantillon de mères célibataires, recensé lors de l’étude de terrain et ‘redressé’.

78
Le Futur ?

Un Taux d’abandons qui évolue à la hausse de façon


sensible.

Une amélioration de la traçabilité permettra d’éclairer


progressivement, sur les abandons informels
des années précédentes.

Le Présent

Abandons réels : abandons jugés + l’illégal déduit

Estimation la plus faible de l’abandon 2008


4554 nouveaux enfants

Taux d’abandon réel au Maroc : 1,3%

Taux corrigé
(actions de correction de l’abandon, mères célibataires) : 0,7%

79
Synthèse

2 enfants sur 100 sont théoriquement


abandonnés

1 enfants sur 3 échappe à l’abandon théorique


(correction de l’abandon).

13 enfants sur 1000 sont abandonnés de manière


visible au Maroc

• La traçabilité : plus la traçabilité relative à l’itinéraire • Par la mise en place de structures dédiées aux
de l’enfant est précise, exhaustive, plus elle permettra mères célibataires et à leurs enfants : l’abandon virtuel,
théorique, est corrigé par une action qui mène à la garde
de chiffrer l’illégal réel, des années précédentes, et en
de l’enfant.
conséquence, rendre compte de son poids véritable dans
le phénomène dans sa globalité. • Par la mise en place et la multiplication de structures
dédiées à l’accueil de l’enfant abandonné et qui lui
• L’abandon réel continuera d’évoluer de manière permettent de bénéficier, une fois sur deux, de la kafala.
indépendante car il relève d’une donnée structurelle,
• Par l’élaboration d’une stratégie qui agrémenterait des
l’interdit des relations sexuelles hors mariage avec parents et les inciterait à se proposer comme familles
leur potentiel de transgression. Ce potentiel évolue d’accueil.
inévitablement avec l’évolution de la société.
La prévention de l’abandon est celle qui vise à le réduire
AUSSI, en tant que phénomène ‘structurel’ : il s’agit ici, d’anticiper
et prévenir son occurrence par des actions profondes
• D’un point de vue statistique, effectuées en amont.
Deux définitions différentielles de l’abandon, Les représentations sociales des relations hommes
femmes avec une culture de l’égalité et du droit.
avec en conséquence,
La lutte contre les discriminations, des hommes à
En matière de prise en charge, l’encontre des femmes, des femmes à l’encontre des
hommes.
Deux domaines d’intervention nécessaires.
L’éducation hommes femmes.
Correction et lutte ou contre l’abandon L’éducation sexuelle hommes femmes.
La correction de l’abandon est celle effectuée : La contraception hommes femmes.

80
81
Chapitre 5

La justice
Les actions, en chiffres,
le discours sur les actions, les exigences
Donnees exhaustives de la justice

I-Affaires relatives à l’abandon d’enfants


Les données ci jointes, relatives aux ‘affaires’ d’abandon • Une dynamique nouvelle d’analyse statistique des
et de Kafala d’enfants abandonnés, ont été recueillies informations et d’évaluation des actions à travers la
auprès du Ministère de la Justice. création d’un service dédié à la statistique,
On relèvera tout d’abord : • Mais aussi, des données cumulées, synthétiques, qui
rendent difficile la segmentation des données et l’analyse
• Une organisation des informations exhaustives, reçues
approfondie de l’information.
en provenance des tribunaux de la famille, attribuée à
l’avènement de la ‘Moudouwana’,
1 - ‘Affaires’ relatives à la situation de l’abandon d’enfants : Données nationales
4123 enfants abandonnés en 2008

2005 2006 2007 2008

Total affaires 3236 2934 4929 5722

Nouveaux dossiers 2642 2418 3268 4123

Affaires jugées 2176 2062 3311 3978

Reste 1060 872

Spécificité des données de la Justice

• La définition de l’enfant abandonné, est spécifiée dans âgés et les ‘enfants des rues’ avec des difficultés de
le texte de loi, évoqué dans ce rapport. comparaison entre le nourisson, totalement vulnérable,
et le mineur dont l’âge peut aller jusqu’à 18 ans.
• L’enfant reçoit le statut de mineur jusqu’à l’âge de 18
ans. Analyse de l’information
• Les données intègrent le plus souvent les abandons • Sur la période 2005-2009, une évolution de 150% des
d’enfants ‘en bas âge’ dont ceux effectués directement nouveaux cas d’abandons inscrits.
chez le juge.
• Un taux de jugement des ‘dossiers’ d’abandon, de 67%
• Elles intègrent dans certains cas, les enfants plus en 2005, et de 70% en 2008.

82
Le différentiel de traitement des ‘dossiers’ est Ces données confrontées à celles établies lors de l’étude
majoritairement attribué à des éléments en relation avec permettent d’une part, d’identifier un écart au niveau
l’identité de l’enfant et/ou de ses parents biologiques : si le des données, plus ou moins important en fonction des
législateur retarde ce type de jugements, ne se prononce régions et, d’autre part, d’analyser l’information, en
pas, et le justifie, les acteurs impliqués dans la prise fonction de paramètres inhérents à la situation actuelle
en charge, eux, soulèvent les difficultés des enfants de l’abandon. Aussi observe t-on:
ayant des parents connus. L’existence d’un parent
• Des écarts susceptibles de se justifier par l’accès
biologique est ainsi présentée par ces intervenants, et
direct au juge : abandon d’enfant au profit d’une tierce
paradoxalement, comme une ‘source de problèmes’.
personne déjà connue. Jusqu’à un certain niveau, l’écart
La mère célibataire connue notamment, semble par ailleurs, entre abandon en institution et abandon chez le juge,
susciter des réactions de peur chez les parents adoptifs peut se justifier.
éventuels dont la préférence s’exprime majoritairement en
faveur du ‘sous X’( !). Ces réactions sont soutenues par • Des écarts ‘difficiles à justifier’ uniquement par l’attitude
de nombreux intervenants associatifs, dominés par le majoritaire du ‘recours direct au juge’, comme observé
souci de ‘sortir l’enfant le plus vite possible’ : « la mère dans les régions de l’Oriental, du Souss Massa draa, de
de l’enfant, un problème ». Tadla Azilal. Ici il est nécessaire de se demander ce qui
se définit comme abandons.
1-2 - ‘Affaires’ relatives à la situation d’abandon
de l’enfant : spécificités régionales • Des écarts d’autant plus inexpliqués que les abandons
Les données détaillées et fournies par le Ministère de la recensés au sein de structures associatives ou
Justice1 (données synthétisées des 65 tribunaux de la famille) hospitalières, sont supérieurs à ceux inscrits auprès de
indiquent une variation sensible des ‘affaires pour abandon’. la justice. (Casablanca, Fès..)

Effectifs Enfants placés. Effectifs Ministère de la Enfants


Régions recensement 2008 Sources inscrits en vue du jugement
associatives et hospitalières d’abandon. Source : Justice.

Casablanca 184 140

Rabat 111 193

Fès 88 31

Meknes 131 251

Chaouia Ouardigha 27 275

Doukkala Abda 21 86

Tadla Azilal 35 483

Chrarda 82 88

Tensift Haouz 166 549

Souss Massa Draa 185 710

Guelmim Tan Tan 22 31

Oued Eddahab Lagouira 28 14

Layoune Boujdour 15 18

Tanger Tetouan 173 170

Oriental 80 955

Taza Al Huceima 53 56

Villages SOS 18 73 («autres»)

Total 1419 4123

(1) Voir données détaillées annexes, P.46-47. Ces données ont été cumulées de manière à faire correspondre les régions, des Ministères de la Justice et de la Santé.

83
En tout état de cause : En dehors de SOS village d’enfants, seule organisation
pour enfants en bas âge habilitée à solliciter la kafala,
• L’effectif des abandons déclarés et recensés dans les
les autres structures impliquées dans l’accueil d’enfants
structures d’accueil de l’enfant représente 34,5% des
abandonnés, ne sont pas dotées de l’aptitude de
abandons inscrits la même année au tribunal.
Kafala.
• Par ailleurs, l’analyse des données différentielles de
Elles peuvent en revanche, participer activement à la
régions, permet d’apprécier, indirectement, la ‘célérité’
‘promotion’ de la kafala, dans l’accueil, l’orientation et
avec laquelle se font les jugements au sein d’un tribunal
la mise en relation des demandeurs potentiels parents
considéré. Des tribunaux de la famille comme celui de
adoptifs. Si l’ensemble des structures visitées lors de
Casablanca, de Marrakech, Meknès, Tanger, Tétouan …
l’étude adopte un discours qui privilégie par-dessus tout
-identifiés par les intervenants lors de l’étude de terrain,
la Kafala, considérée comme la meilleure option pour
comme ‘sensibles’ à la problématique et entretenant
l’enfant, leurs interventions en la matière, sont apparues
des ‘relations coordonnées, de qualité’ avec l’ensemble
comme différentes en fonction des orientations de
des acteurs impliqués dans la question de l’abandon-
l’organisation, avec :
ont agit en 2008, sur l’ensemble des affaires, celles
des l’année en cours mais aussi sur celles restées en • Des structures impliquées de façon active dans la
suspens précédemment… ‘promotion’ de la kafala : communication, sensibilisation,
accueil, orientation, suivi, assistance sociale, quelquefois
II- La Kafala : données nationales entretien psychologique préliminaire en direction de
parents adoptifs.
Pour rappel, la procédure de demande de Kafala, n’est
susceptible de se déclencher qu’à partir du moment où, • Des structures impliquées de façon ‘passive’ dans la
à la suite d’un jugement, il y a confirmation d’abandon gestion de la kafala : l’organisation accueille le demandeur qui
d’enfant, ou à la suite d’un acte de Tanazzoul, permettant a préalablement déposé sa requête au tribunal, et en fonction
de solliciter la kalala. des situations, accompagne, oriente et présente l’enfant.

1 - Affaires traitées par la Justice


Le tableau ci-joint récapitule pour la période, 2005-2008, les actions entreprises par les tribunaux de la famille,
en matière de kafala.

Demandes Ordonnances Mesures


adressées relatives de suivi
Rejets Affaires jugées
aux juges à l’octroi de l’enfant pris
des mineurs de la kafala en charge

2005 1661 1131 104 1033 299

2006 2010 1321 58 405

2007 2176 1440 118 1211 698

2008 2261 1640 68 1262 986

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Ces données, identifiées par ailleurs dans le discours des des affaires traitées par le tribunal de la famille.
intervenants de la prise en charge, permettent de rendre Ces données doivent tenir compte des différentes
compte des éléments suivants : situations de kafala :
• D’une augmentation sensible des demandes de kafala • Le don à parent : l’enfant est donné par son parent
adressées au juge des mineurs ; biologique à un membre de sa famille. Cette procédure de
kafala familiale, traitée directement par le juge, n’est pas
• D’une augmentation des ordonnances en faveur de la
considérée comme étant une kafala d’enfant abandonné.
kafala, avec par conséquence, une baisse des décisions
(même si dans le cadre de l’intérêt supérieur de l’enfant,
de rejet ;
et considérant les impacts en termes de vécu chez les
• D’une augmentation des mesures de suivi de l’enfant enfants donnés par leurs parents, la question interpelle
pris en charge. vivement)
• Considérant ‘le total abandons’ jugés : un taux de • En 2006, l’effectif total Maroc, de kafala d’enfants non
demandes de kafala de 57% ; un taux de kafalas jugées, abandonnés est de 2486, et de 2537 en 2007.
de 32%.
Cette kafala familiale est décrite comme étant ‘largement
• En revanche les mesures de suivi, -ici représentatives utilisée’ par les ressortissants marocains vivant à l’étranger,
de l’ensemble des kafala d’enfants, celles relatives à ce qui n’est pas sans poser de problème, dans la mesure où
l’année en cours mais aussi celles restées en suspens à l’âge de dix huit ans, l’enfant devenu adulte est susceptible
les années précédentes- ont été considérées, malgré d’être menacé d’exclusion, (à moins d’avoir bénéficié ‘entre
une hausse très sensible des indicateurs, comme peu temps’, d’une adoption plénière dans son pays d’accueil !).
représentatives des besoins, non adaptées aux exigences Par ailleurs, sous la terminologie ‘enfants non abandonnés’
de suivi, insuffisantes. peuvent être appréhendées les kafalas d’enfants élevés
Sur un autre plan, ces données permettent ‘d’apprécier’ par leurs mères célibataires.
la réalité de la rapidité de traitement des dossiers au • Le don de particulier à particulier : il se fait chez le
sein d’un tribunal considéré, en même temps qu’elles adoul, ou chez le juge, à travers un acte de tanazoul.
renseignent sur le type de réponse apporté par le juge : Cette décharge peut ou non, précéder une demande de
• En 2005, avec un taux de rejet relativement faible (6%), kafala judiciaire.
celui des ordonnances du juge en faveur de la kafala • La kafala successive à une réquisition du Procureur
s’élève à 68%, et le taux de jugement à 62%. avec jugement d’abandon : après enquête, le juge décide
• En 2008, malgré un taux de rejet en baisse, 3%, un d’attribuer la kafala à un demandeur qui répond aux
taux d’ordonnancement du juge de 75%, avec un taux exigences de la loi et à celles additionnelles, qu’il peut
de jugement de 56%, avec une baisse relativement solliciter, à la vertu de son autorité de juge.
significative.
• Ces données semblent confirmer les propos tenus par
différents acteurs de la prise en charge : ‘la réaction’ III - Rapports à la loi des acteurs
du tribunal est jugée trop lente, notamment identifiée de la prise en charge
comme spécifique à des régions, tributaire du type de Discours, perceptions et vecus
relation et de coordination entre les différents acteurs. des intervenants
• Chez les acteurs associatifs, un traitement ‘efficace’, Les rencontres réalisées auprès des divers intervenants
‘rapide’ des dossiers de kafala est mis en relation avec la permettent d’identifier un discours différent en fonction
‘compétence et la bonne disposition’ du Juge et/ou du de leur appartenance aux structures institutionnelles ou
Procureur : « on a de la chance » « le juge est un homme très associatives.
bien » « la substitut est très compétente »… un autre type
Ces appartenances, si elles visent toutes deux à gérer
de comportement, qui fait obstacle au désir des acteurs
au mieux les situations d’abandon d’enfants, (ici enfants
associatifs s’accompagne souvent de perceptions
négatives, du juge, et/ou du procureur, mettant en cause, âgés de 1 jour à 5/6 ans, ou 8 ans, en fonction des
l’idéologie, la motivation, la subjectivité, la compétence, structures, avec une réalité qui permet de rendre compte
l’intégrité.. de l’un ou l’autre. de l’existence de ‘mineurs’ de 20 ans !) expriment des
priorités liées au contexte.
• En conséquence des questionnements : ‘du côté’ du
tribunal la réactivité est-elle conséquente à des contraintes 1- Acteurs de la prise en charge
objectives (moyens, outils, ressources) ou subjectives ? secteurs associatif et hôspitalier
Les deux ? en fonction des situations ?
Les centres d’accueil gèrent dès l’entrée de l’enfant, des
La baisse de 2008 serait-elle en relation avec le nombre aspects qui relèvent en premier lieu de sa survie : cet enfant
élevé des dossiers à traiter ? Pour rappel, la ‘gestion des est pris en charge sur des plans sanitaire, alimentaire et
affaires d’abandons’ n’est qu’un aspect de l’ensemble de nursing.

85
• Ces exigences nécessitent des moyens, humains, En tout état de cause, dans la gestion de la kafala,
matériels, des ressources. s’exprime aussi, au sein du secteur associatif, une
difficulté à penser l’enfant dans la durée de la prise
• Ces exigences nécessitent à la fois de tenir compte de
en charge, en dehors d’une assistance externe. Cette
l’effectif et du mouvement des enfants -les ‘entrants’,
les ‘sortants’, les ‘restants’- des capacités d’accueil difficulté est principalement associée aux moyens,
des structures associatives, avec les moyens dont ils mais aussi à une conception quelquefois idyllique de la
disposent, humains, matériels et ‘didactiques’. parentalité au ‘secours de l’enfance abandonnée’. ‘Le
mythe de l’enfant sauveur/sauvé’
• L’ensemble de ces exigences mène à répondre dans
le présent, par un type de prise en charge, considéré I-3-Attitudes et positions différentielles
comme le plus adapté au contexte et aux difficultés de des acteurs de la prise en charge
gestion quotidienne de l’enfance abandonnée. I-3-1- Attitudes générales
1-1- La kafala, une sortie de l’enfant Les aspects évoqués précédemment, moyens disponibles,
En raison de difficultés nombreuses associées à ce type conception, outils de réflexion et d’échanges, rendent
d’exigences, en vue de favoriser le mouvement des souvent difficile la relation avec le corps législatif. Les
‘sortants’ pour gérer les ‘entrants’ et les ‘restants’, le acteurs de la prise en charge adopteront majoritairement
secteur associatif est dans le présent, essentiellement un discours qui rendra compte du type de relation
orienté vers la solution de la kafala. Dans le contexte décrit entretenu ‘avec les représentants de la justice’ et des
- moyens, outils et organisation actuelle des structures attitudes immuables qu’il est susceptible de générer :
d’accueil - la kafala apparaît prioritaire car correspondant ‘avec nous, ou contre nous’.
à une manière optimale de ‘gérer le stock’. • Dès lors que le juge, ou le législateur, retarde la procédure,
Cette priorité tient compte d’une histoire de l’abandon pour des raisons qui interrogent sur sa ‘subjectivité, sa
au Maroc avec laquelle elle voudrait rompre, d’un passif qualité de juge’ mais aussi, il faut le souligner, sa fonction
négatif en matière de prise en charge : décès en grand de juge, son autonomie souveraine, il est quelquefois
nombre, enfants vivant dans des conditions d’hygiène rapidement classé, comme un opposant à la kafala, donc
et de salubrité inadaptées, insuffisance alimentaire, ennemi des structures d’accueil, et par conséquent, de
pathologies hospitalières, carences affectives, l’enfant.
dépressions de nourrissons, négligences, maltraitance,
• A l’inverse, dès lors que son travail sera attribué
directe ou indirecte.
des ‘vertus de la rapidité’, il tendra lui-même à être
Aussi il est nécessaire de considérer cette pression représenté, encore une fois, au risque de travestir la
exercée en permanence sur les équipes en charge réalité, à travers des qualités positives, d’efficacité, de
de la gestion de l’abandon, pour saisir l’ensemble du conscience professionnelle, d’intégrité…
contenu du discours porté sur la kafala et les attitudes
des différents acteurs, dès lors qu’une difficulté se I-3-2- L’attente prioritaire des acteurs :
présente, retardant la sortie de l’enfant. la gestion du temps
Dans le discours des acteurs, des ‘récriminations’
1-2- La kafala, la famille et le bien-être
nombreuses, redondantes, relatives, essentiellement à
La kafala est également appréhendée, comme la meilleure la gestion du temps de la kafala d’enfants pris en charge
solution pour le bien être de l’enfant : la ‘chaleur familiale’, et en rapport avec :
la sécurité, l’aptitude de bénéficier de liens d’affect
Les jugements d’abandons,
durables et favorables au développement psychologique
de l’enfant, sont des arguments avancés pour justifier le La durée des enquêtes,
désir de plus en plus soutenu des structures d’accueil, La multiplicité des institutionnels, les doublons, les
en faveur de cette solution ‘idéale’. requêtes ‘inutiles’ comme la preuve de l’appartenance
Aussi les réflexions ou attitudes d’incitation en faveur de religieuse à l’Islam…
la kafala puiseront-elles de manière relativement rapide, « il est devant toi, il s’appelle Mohamed ould fatna et
quelquefois excessive, dans le discours du bien-être : la toi tu lui demandes qu’il t’amène un papier qui dit qu’il
kafala, seule garante de l’avenir de l’enfant ? est musulman »

La question mérite d’être posée, au regard d’une réalité Mais aussi, selon les propos obtenus auprès de parents
plus nuancée, au regard essentiellement, du vécu des adoptifs, dans un même tribunal, des exigences
enfants ayant été pris en kafala justement, et rencontrés différentes, en fonction du demandeur de kafala (deux
lors de l’étude mais aussi, d’une manière générale lors personnes peuvent être menées à faire des démarches
de pratiques cliniques. différentes).

86
• Le défaut ou le manque de coordination entre • Les retours d’enfants, les ‘enfants refoulés’ suite à des
les différents acteurs impliqués dans le processus ‘revirements de parents adoptifs’, ont été perçus (‘à juste
décisionnel : ‘affaires islamiques’, ‘intérieur’, ‘justice’… titre’, si l’on considère les vécus entendus lors de l’étude),
avec des retards de l’un ou l’autre des départements, comme des problèmes sur lesquels il est important
décrits comme susceptibles de bloquer le processus et de se pencher. Quel statut de l’enfant ? Quels rôles et
décourageant certains parents. obligations parentales ?

• Le défaut ou le manque de coordination entre les • L’âge de déchéance, de la prise en charge et de la kafala,
différents intervenants de l’abandon : santé, associations, pointé comme problématique : ‘18 ans, insuffisant’, au
justice… regard de la qualité de la prise en charge en institution,
une prise en charge qui n’éduque pas l’enfant dans le
I-3-3- Attitudes spécifiques sens de l’autonomie ; au regard aussi, des spécificités de
De manière plus spécifique, les assistantes sociales, ‘l’éducation normale’ dans ‘l’environnement Maroc’ où
chez l’individu, ‘l’adulte’ émerge difficilement.
impliquées dans un travail de terrain, pointeront, pour
la plupart, (avec le risque de se positionner comme Cette kafala arrêtée à 18 ans, présenterait un risque pour
‘adversaires’ de la rapidité de gestion de la kafala) des l’enfant abandonné, vulnérable à différents niveaux, par
obstacles qui rendent difficile leurs interventions : conséquent, sujet à de nouveaux abandons possibles
dès lors que le contrat de prise en charge est interrompu.
• La question des moyens, ressources pour mener à bien
Ce discours sera également corroboré dans le cadre de
leurs missions, et d’une absence de légitimité pour les
l’étude menée et relative aux vécus de l’abandon.
solliciter. La question du statut de l’assistant, assistante
social (e), ‘projet en cours’, ‘éternellement en cours’, • Enfin si la durée ‘trop longue’ des jugements d’abandon
revient inlassablement dans le discours. est pointée au sein des structures associatives, les
assistants sociaux tendront généralement, quant à eux,
Les difficultés évoquées apparaissent d’autant plus à se positionner majoritairement, du côté de l’intérêt de
problématiques que les intervenants sociaux ont été l’enfant et de sa parentalité biologique.
identifiés comme des acteurs incontournables, majeurs, • Certaines décisions de jugements en faveur de la
à tous les niveaux : de recherche d’informations kafala malgré les enquêtes négatives de l’assistant(e)
relatives aux parents de l’enfant, de mise en relation, de social(e). Ces décisions, évoquées à plusieurs reprises,
sensibilisation et d’incitation à la garde d’enfant chez seront associées, dans le discours des intervenants, en
les mères célibataires, d’enquêtes sociales, de suivi de fonction des situations,
l’enfant pris en charge.
A une ‘difficulté de discernement’ attribuée au
De nombreux acteurs sociaux rencontrés rendront
‘législateur’,
compte, d’une connaissance approfondie de la réalité de
la situation de l’enfant, assez souvent celle de sa parenté A une attitude majoritaire de ‘désinvolture’, qui ne conçoit
biologique, d’une implication et mobilisation élevées, pas le ‘poids réel’ de la décision de kafala et son impact
en faveur du respect des droits de l’enfant. Si certains sur le devenir de l’enfant,
décideurs des structures d’accueil peuvent ‘fermer les A un souci de répondre à une pression exercée ‘d’en
yeux’ sur des éléments potentiellement contradictoires haut’ (associations, institutionnels) pour ‘désengorger
avec la décision de kafala, les intervenants sociaux se l’abandon’,
percevront comme les plus farouches défenseurs de
A des positions subjectives dominées par ‘l’arbitraire’
la mère et de l’enfant, et pour la prise en kafala, des
ou ‘l’idéologie ultra conservatrice et discriminante’ (« je
enquêteurs avisés, tant en amont, dans le ‘diagnostic’,
n’ai pas de temps pour les ‘oulad lahram’, les enfants du
qu’en aval, dans le suivi. Des kafala ‘mal gérées’, ‘trop
péché », « les enfants des p… », « vous encouragez le
rapides’ seront associées à des situations évoquées par
péché »),
les intervenants sociaux, où l’enfant pris en charge sera
plus tard appréhendé dans la rue en situation d’errance, A des attitudes qui remettent en question la conscience
ou dans son environnement d’adoption, professionnelle de certains juges : affinité, ‘de statut
socio économique’, de proximité relationnelle, ‘intérêt
objet de maltraitance, par négligence, par actes de financier’ clairement exprimé, ‘monnayant’ la kafala
violence directe, ou par exploitation. d’enfants, de filles en particulier, évitant à certains
• La question de l’âge du kafil reviendra par ailleurs, parents, une attente jugée trop longue.
de façon redondante dans le discours des intervenants Par ailleurs, la ‘kafala VIP’, ‘pas nécessairement
sociaux : comment accepter qu’un parent âgé de soixante monnayable’, est également citée, pour éviter à certains
dix ans puisse adopter un enfant ? Quel avenir pour parents ‘chanceux’, ‘intelligents’ ‘malins’ « de faire la
l’enfant ? Quelle attente du parent kafil ? queue comme les autres ».

87
(Dans les commentaires sarcastiques de certains Pour ‘faire table rase de l’origine de l’enfant’, de ses
intervenants, plusieurs types de kafala avec des conditions d’adoption, se décrivent chez de nombreux
‘définitions’ différentielles : parents adoptifs, des situations de déplacement, de
déménagement, de fuite, qui rompent définitivement
La ‘kafala cocotte minute’ qui consisterait pour un parent
avec le suivi de l’enfant.
adoptif, de suivre la mère lorsque son ventre est ‘déjà
bombé’, ‘prêt à cuire’ et de l’aider à ‘ouvrir la marmite’ Questionnement : ce kafil qui a fourni ‘tant de
pour ‘vite aller présenter le festin’ au juge ‘qui le goûte coordonnées, d’indications, de garanties à la justice’, à la
avant de vous laisser le déguster’. Sécurité Nationale’, peut-il se volatiliser aussi facilement ?
Quelle compétence de l’assistante sociale, quel statut,
La ‘kafala express’ qui repèrerait l’enfant à la naissance
pour persévérer dans sa mission d’effectuer un suivi de
et réussirait ‘l’exploit’ d’obtenir un jugement ‘instantané’ l’enfant, dans un rôle véritable d’assistance et de veille
antérieur aux enquêtes. préservant ses droits ?
La ‘kafala lucrative’ qui consisterait à payer ‘ici et là,
celui-ci et celui-là’, en dédommagement pour ‘services
2 - Acteurs institutionnels
rendus’. Le discours engagé par les intervenants institutionnels,
autant à un niveau de représentation de l’Etat (Ministère)
La kafala VIP, précédemment évoquée.
qu’au niveau de l’opérationnel (tribunaux), permet
Et -enfin !- la kafala normale, ordinaire, légale.
d’identifier des attitudes majoritaires :
Certaines kafala auraient ‘la vertu’ d’intégrer plusieurs
2-1- A un niveau de représentation de l’Etat
définitions à la fois, en dehors de la dernière.
2-1-1.Le droit de l’enfant
Cet ‘arbitraire’ évoqué, dans la gestion de la kafala est
paradoxalement, le plus souvent éludé par les acteurs Le discours engagé est dominé par le référentiel de la
associatifs, pressés de résoudre le problème du réforme générale de la Justice, avec la nécessité de se
surpeuplement des structures : certains d’entre eux conformer aux conventions du droit de l’enfant, de tenir
néanmoins, seront eux-mêmes aux yeux des équipes compte en priorité, de l’intérêt supérieur de l’enfant.
de gestion, ‘déclarés coupables’, quelquefois décrits Ce discours porté, à ce niveau, par l’ensemble des
comme impliqués d’une manière ou d’une autre, dans intervenants rencontrés, appréhende l’enfant abandonné
cette question, avec en dehors de l’intérêt lucratif, des comme personne vulnérable, par conséquent nécessitant
‘traitements VIP’ et des ‘traitements inégaux dans la protection et suivi.
relation aux parents demandeurs, faisant de certains Ce discours évoque également le rôle attribué au parquet :
d’entre eux, des ‘objets de discrimination’ présentant des • Effectuer le suivi des associations en charge de l’enfant
obstacles divers à différents niveaux (accueil, rencontre abandonné, (loi 15 01)
avec l’enfant, choix, sorties…).
• Assurer le suivi de la prise en charge de l’enfant et
Cet ‘arbitraire’ décrit, dans la gestion de la kafala, sera également d’identifier, parmi les acteurs, ceux qui ne satisfont pas
rapidement éludé par les parents adoptifs rencontrés « oui ça aux critères de prise en charge : ce suivi traite par ailleurs
c’est normal, c’est le Maroc »… « vous savez au Maroc… » « l’ensemble des plaintes (maltraitance de l’enfant, toutes
oui… mais ça c’est pas un problème » ( !) « si ça vous permet violences).
de gagner du temps ».
• Mettre en place des mécanismes de suivi de la kafala :
• Des obstacles majeurs au niveau du suivi de l’enfant la loi prévoit le suivi de tout enfant ‘kafalé’, principe qui
pris en charge : concerne même l’enfant pris en charge à l’étranger, avec
des difficultés identifiées de réalisation.
Ces obstacles sont associés au défaut de statut des
assistantes et assistants sociaux, dans la mesure où Ici se poseront notamment les questions suivantes, non
elles, ils, assurent assez souvent un suivi ‘hors soulevées par les ‘institutionnels’ mais identifiées lors
de l’étude de terrain :
procédure’, de lors propre initiative, avec leurs propres
moyens et ressources, ce qui ne leur permet pas de La question de la définition de la prise en charge de
signaler, intervenir, parler au nom du droit, dès lors que l’enfant abandonné, rôles, missions, fonctions, moyens,
le risque pour l’enfant est perçu. résultats ;
Des critères d’attribution qui homologuent les différents
Ces difficultés sont également signalées lors du suivi
niveaux possibles de la qualité de prise en charge,
de l’enfant, dans la durée : les positions des parents
adoptifs, si elles sont définies comme majoritairement Des modalités de mise en œuvre du suivi associatif,
conciliantes dans un premier temps, se décrivent comme Mais aussi et (surtout) de la position ‘paradoxale’,
plus tard, lors de la concrétisation de la kafala, dominées ‘inconfortable’ de l’Etat quand d’une part, il ne s’implique
par des attitudes de défiance, de résistance et de refus. pas de manière représentative dans la prise en charge

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de l’enfance abandonnée, ‘laissant’ la question gérée par forme ‘d’héritage’ (contenu dans les textes de loi). Cette
des initiatives individuelles, et que d’autre part, il oblige attitude lui permet, indirectement, d’évaluer la disposition
à une qualité de prise en charge qu’il contrôle ‘dans le du parent kafil, en même temps qu’elle exclue de
principe’: quelles aptitudes ‘réelles’ dans le présent ? nombreuses possibilités d’exploitation de l’enfant pris
quels moyens ? en charge.

2-1-2- La flexibilité • Chez ‘tel autre juge ou substitut’, le parent kafil se


perçoit comme une ‘chance venue à la rencontre de
La flexibilité de ‘la justice’ s’exprimera à deux niveaux : l’enfant’, chance qu’il se doit de favoriser en lui facilitant
• De mobilité possible de la loi. la procédure, au risque de prendre une décision opposée
à l’enquête menée. Chez ‘tel autre’…l’intérêt de l’enfant
Les intervenants de la ‘Justice’ mettront l’accent sur se perçoit dans l’attention accordée au temps nécessaire
le potentiel de mobilité des textes de lois, dès lors au déroulement des différentes étapes exigées avant la
qu’ils émanent de la société et se conçoivent comme prise de décision.
nécessités.
• Chez d’autres intervenants en revanche, des positions
Ainsi la loi est attribuée d’un potentiel de flexibilité, subjectives, rendues possibles par l’autorité supérieure
de mobilité, de réactivation… possible à partir d’un qui leur est conférée, sont susceptibles de rendre les
diagnostic établi qui repère, de manière consensuelle, relations aux parents kafil essentiellement arbitraires, aux
des dysfonctionnements. Le discours de la justice laisse limites de la normalité : « j’ai eu un parent qui est venu
donc entrevoir la possibilité d’améliorer la qualité de la sans sa femme et qui m’a dit qu’il voulait seulement lui
prise en charge de l’enfant abandonné. faire plaisir…je lui ai dit tu peux courir…je ne suis pas un
homme si je te donne cet enfant…il est venu au moins
Cette flexibilité évoquée tient compte toutefois de cent fois…il me suppliait…un jour il est tombé à mes
considérations qui ne remettent pas en cause les genoux…des mois et des mois..il venait et restait en
questions ‘fondamentales’ dans un contexte et une train d’attendre…sa femme a du lui faire un souk…je lui
période donnés: ici en relation avec l’abandon d’enfants, ai fait payer ses propos… il n’a eu l’enfant qu’au bout
la question de l’avortement sera appréhendée comme d’une année »… (ou) « une mère est venue récupérer
une solution non envisageable dans le court terme, objet son enfant…que j’ai fait adopter…elle est revenue,
de résistances et de contestations possibles, autant voulait voir l’enfant…je lui ai dit si tu ne pars pas d’ici, si
religieuses que sociales. je te revoie encore une fois, je t’envoie direct au poste…
elle est partie en courant… »
• De la question, ‘résolue’, de l’enfant né hors mariage
Par ailleurs pour certains juges, même autorisé par la
Depuis les changements de loi, le parquet bénéficie loi, le droit d’une femme célibataire à l’adoption, est
de plus grande souplesse et flexibilité à l’égard de la malmené par les représentations subjectives et des a
‘mère abandonnante’ : la mère n’est plus pénalisée, et priori : « c’est clair si j’ai un couple marié et une femme
les relations extra conjugales sont ainsi indirectement célibataire je le donne au couple, même si elle est capable
reconnues. Cette souplesse, (confirmée par l’ensemble financièrement et intellectuellement de lui permettre une
des acteurs, et par les populations cibles elles mêmes) est vie propre, c’est comme ça .. ; je ne suis pas le seul vous
encouragée à travers des supports (circulaires) adressés n’avez qu’à demander…si c’est des étrangers aussi, je
à l’ensemble des tribunaux de la famille. Le ministère refuse…même musulmans ».
‘invite’ par ailleurs, son encadrement, à ‘davantage de
coordination’ avec l’ensemble des intervenants impliqués
Synthèse
dans la question, et, ce afin de faciliter notamment, les
procédures de kafala. • A travers le discours, l’ensemble de la problématique
de l’abandon semble se résumer chez les uns et les
2-2- A un niveau opérationnel autres, dans le présent, à la question de la kafala.
Au niveau des tribunaux l’intérêt supérieur de l’enfant est Vision ‘candide’ de la réalité, déni des difficultés ou
également évoqué : en fonction des intervenants, juges, contraintes liées aux limites de moyens ? Une solution
substituts…, de leur conception et niveau d’implication institutionnelle aux contingences sociales ?
dans la question de l’abandon d’enfants, dans la décision • A travers le discours, se perçoivent les contraintes
de kafala, les attitudes de protection de son intérêt, se des uns et des autres, désorientés par rapport à la
confirmeront ou pas, et se traduiront par des attitudes problématique de l’abandon et ce, d’autant plus que les
spécifiques aux individus : moyens mis en œuvre sont insuffisants.
• Chez ‘tel juge, dans telle région’ par exemple, la • A travers le discours porté par les uns et les autres, des
protection de l’enfant visera à conditionner de manière difficultés qui pointent la prépondérance du subjectif tant
systématique, la décision de kafala à un acte de tanzil dans la gestion de la prise en charge de l’enfant abandonné,
en faveur du ‘kafalé’, visant à défendre son droit à une que dans les modalités de mise en œuvre de la kafala.

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• Des paradoxes de relations, entre ‘Etat et structures Il apparaît nécessaire également de prévoir une politique
associatives’ : l’Etat se perçoit comme financièrement de gestion de la kafala qui soit conforme au droit supérieur
absent et potentiellement contraignant. Ce type de relation de l’enfant, conformément aux dispositions, ratifiées par
est susceptible en retour, d’établir des liens réactionnels, le Maroc, de la Convention Internationale de la Haye.
de contraintes venues cette fois-ci du secteur de la prise
en charge. Ces relations compromettent la décision du • De l’intérêt supérieur de l’enfant
juge sur lequel pèse la pression de la ‘gestion de la Viser l’intérêt supérieur de l’enfant, nécessite d’adopter
fluidité’. Rapports d’aliénation ? une attitude de droit, avec une distanciation qui permet
• Une carence en moyens humains, en ressources, de décider des solutions et choix appropriés :
en outils de gestion et de réflexion, tant au niveau Les chiffres soulignent et traduisent une évolution :
institutionnel que de prise en charge, avec des impacts à les efforts des intervenants institutionnels (juges…)
des niveaux de prise en charge et de décision de justice.
sont palpables et se perçoivent aussi, dans le sens de
Cette carence tient compte au sein des structures
l’efficacité, de la célérité (ou de la contrainte).
d’accueil, de la nécessité de procéder au plus vite à
des sorties d’enfants, au risque de les ‘échouer’, et ne Cette évolution nécessite un intervalle d’action situé en
considérer comme prise en charge, que la gestion de la dehors de toute pression externe (même émanant des
kafala. centres d’accueil) : ‘faire vite’, céder aux pressions, des
uns et des autres, ou ‘être dans l’ère du temps’, souscrire
• Des difficultés de relation et de coordination entre les
systématiquement au discours de la nécessité de kafala
intervenants : ces difficultés ne sont pas systématiques,
pour le ‘bien-être de l’enfant’, à son ‘urgence’, sont des
mais rendent compte de spécificités associées à une
région ou un tribunal donnés. attitudes susceptibles d’influer ou de s’opposer au droit
de l’enfant, et à l’indépendance et à la distanciation
• Des approches différentes de l’intérêt supérieur de nécessaires contenues dans les fonctions du juge.
l’enfant, avec d’un côté ‘le droit’, et de l’autre son ‘bien-
être’ (surinvesti et idéalisé par ailleurs) ; Ces attitudes pourraient en effet s’avérer nuisibles à
l’intérêt supérieur de l’enfant, en même temps qu’elles
• A côté de cela sont soulignés des problèmes
peuvent concourir à provoquer la rupture du lien avec sa
spécifiques, liés au choix du parent kafil, et au suivi
mère biologique.
de l’enfant, aussi bien au niveau des institutions qu’au
niveau de son ‘adoption’. Aussi, il apparaît nécessaire, de tenir compte de la
globalité du réel de l’abandon dans le présent:
Par ailleurs, le non respect du droit supérieur de l’enfant
se perçoit lorsque : Avec,
Certaines personnes chargées d’accueillir l’enfant et • Les difficultés et contraintes du secteur en charge - sans
d’en prendre soin, peuvent, sans que la loi s’applique, les moyens nécessaires- de la gestion de l’abandon.
l’abandonner dans des structures d’assistance ;
• Les difficultés entre intervenants de relation, de
Certaines personnes, peuvent, également sans que la loi communication, de coordination, avec la contrainte pour
s’applique, encourager (les parents, la mère en général), les acteurs de la prise en charge, de ‘souffrir’ certaines
à l’abandon, et structurer une intermédiation lucrative pratiques et attitudes ‘non conformes’, d’institutionnels;
en vue de satisfaire une autre partie.
Et en même temps,
De l’ensemble de ces positions respectives, formulées
par les uns et les autres, il est apparu nécessaire de • Les risques inhérents à l’urgence de ‘précipiter les
contrer le subjectif, d’user de moyens professionnels, décisions de kafala’ : lorsqu’il s’agit de déterminer
rationnels, objectifs, de mettre en place des procédures le devenir d’enfants, les postures habituellement
claires et définitives traçant les missions et fonctions des attendues du juge, relèvent d’un exercice de conscience
différents intervenants impliqués dans l’abandon. et d’intégrité professionnelles.

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Chapitre 1

Seconde partie :
Vécus de l’abadon
Prise en charge

Différents vécus, les uns, les autres de l’abandon autant chez les ‘auteurs’ que chez les
‘victimes’  : il s’agira de restituer ’le contenu d’une
Préambule réalité psychique’, de rendre compte de ce qui se
construit, se fixe ou se réaménage chez les individus,
Comme évoqué précédemment dans ce rapport, si au pour soit les immobiliser dans des ‘pulsions de mort’, ou
Maroc, l’abandon a été abondamment traité, fait l’objet les projeter vers des choix de vie.
‘d’études, colloques séminaires’, c’est souvent en tant
que cause et phénomène : paradoxalement, la question,
1- Vécus de l’abandon
centrale, du vécu des sujets en situation d’abandon, est 1-1- Constats préalables
de façon quasi systématique, évacuée du champ des
questionnements. Evoquer le vécu est susceptible en A travers les entrevues menées auprès des victimes,
effet de pointer des dysfonctionnements majeurs de prise d’emblée se posera la question d’impact de l’abandon
en charge, d’identifier des décalages, parfois abyssaux, sur les capacités de développement d’individus :
entre l’offre des uns et les besoins des autres. • Pour certains, l’on repérera la notion de trauma,
Aussi cette partie d’étude ambitionne de rétablir la place avec une mémoire exigeante, qui reconduit et répète
‘inlassablement’ de ce qui a fait trauma.
du sujet, en traitant de l’abandon, non plus en tant que
phénomène statistique ‘problématique’, mais en tant que • Pour d’autres, l’on identifiera ce qui a rendu possible,
réalité appréhendée et/ou vécue, et comme les récits ‘malgré tout’, la construction de l’identité, avec des liens
le souligneront, souffrance considérable, impactante d’affect, avec une capacité de projection dans un avenir
à des niveaux de transmission générationnelle, sur les possible, avec ses différentes expressions, à des niveau
individus, ‘porteurs du handicap’ de l’abandon. familial, relationnel, conjugal, professionnel.
Réalisée au moyen de la méthodologie et des outils • Pour la plupart et à posteriori, il s’agira aussi,
d’investigation qualitative, elle abordera deux volets. d’identifier la profonde blessure causée par l’abandon
et d’évaluer l’existence de mécanismes de réparation :
Le premier est destiné à identifier les différents vécus si la blessure persiste, béante pour certains, elle peut
de l’abandon, auprès de deux populations cibles, aussi être ‘colmatée’, pour prendre place, à l’instar
‘d’abandonnants’ et d’abandonnés. Les entretiens des ‘circonstances de la normalité’, à côté des ‘autres
réalisés auprès des ‘auteurs et victimes’, ont été manques d’humanité’.
menés par deux professionnelles de la relation, ayant
une expérience institutionnelle, et une pratique de la • Pour la quasi-totalité, la rupture et le vécu d’abandon se
‘victimologie’. répètent en institution à travers une discontinuité de la
prise en charge, une modification des modalités de prise
Le second traite des caractéristiques principales de la en charge, avec un changement brutal d’environnement
prise en charge de l’enfant dans les centres d’accueil, et des visages qui lui sont associés  : généralement,
relevant des structures associatives et hospitalières et l’enfant lorsqu’il n’est pas pris en kafala, transite au
destinées à l’abandon à la naissance. Les entretiens, moins par deux structures.
échanges, observations, ont été effectués par des
Il décrira ces événements qu’il traduit comme des
consultants, parallèlement à l’étude régionale menée,
fractures mentales et affectives : ruptures de liens avec
où des structures d’accueil ont été visitées, de manière
les premiers objets d’amour, quelquefois une séparation
formelle et informelle, et où des acteurs de la prise en
avec le frère ou la sœur - voire toute une fratrie
charge ont été rencontrés.
abandonnée et dispersée-, perte de ses premières
L’objectif ici, est d’évoquer les vécus et ressentis des relations, et se révèlera en difficulté pour se constituer
personnes rencontrées, d’identifier des impacts des substituts de figures parentales.

92
1-2.Le vécu, les représentations et réponses parent adoptif qui efface la mémoire biologique de
de l’environnement l’enfant, qui procède au déni de son histoire, l’installera
dans une identité tronquée, qui se souvient à un niveau
Vécus de souffrance liés aux modalités infra verbal, de son cordon manquant, de sa mémoire
de gestion de l’abandon d’abandon.
Les expériences évoquées par les uns et les autres,
Dès lors que cette mémoire se confirme dans la réalité du
permettront de cerner des blessures, les mettre
vécu, le contenu de la brèche colmatée déferle, pour laisser
en parallèle avec les réponses de la société, celles
place à l’errance, à la délinquance, à la déstructuration de
souvent violentes, à différents niveaux, vécues au sein
l’univers psychique, allant jusqu’à la pathologie mentale
d’institutions : à l’origine, les représentations, le regard
et aux troubles psychiatriques majeurs.
porté sur l’abandon, la carence de vision et d’outils
professionnels, avec une domination du subjectif dans le Le secret de l’adoption est d’autant plus problématique,
traitement de la question. dramatique, qu’il constitue ici l’attitude majoritaire du
Les structures ; ‘gérées par des cœurs compatissants’, parent kafil : par le détournement de la loi, par des moyens
signent l’implication d’une société sensible et solidaire, divers, tout adulte est en mesure de saisir l’opportunité
menée à combattre la précarité et l’exclusion à travers, ‘d’une mère célibataire’ pour négocier le rapt symbolique
essentiellement des actions bénévoles. de l’enfant, en s’instituant parent biologique.

La quête incessante de moyens financiers rend cependant Malgré les attitudes acquises ici par l’expérience,
difficile, une vision pérenne de la prise en charge. d’effacer, des années durant, tout élément susceptible de
dévoiler le secret de l’abandon (tractations silencieuses
Par ailleurs certaines structures livrées à elles-mêmes,
et ‘sures’, nom du parent adoptif donné à l’enfant,
sont susceptibles d’arbitraires, de conflits de pouvoir et
changement de lieu, de ville…) un jour, d’exaspération,
de désaccords d’individus, avec des impacts visibles en
de colère, d’inquiétude, ou de deuil, l’enfant/adolescent
matière de prise en charge.
ou jeune adulte, recevra brutalement son secret d’enfant
Les représentations de l’adoption abandonné, qui le livrera à un autre lui-même.
Les représentations de l’adoption – ‘le bien’, ‘l’action Les récits souligneront l’impact générationnel de ce qui
charitable’, ‘le substitut du manque’- entravent les sera vécu comme une ‘explosion dans la tête’ dans le
conditions de construction de l’identité de l’enfant. secret de l’abandon.
L’enfant adopté répond le plus souvent à une attente • Chez les garçons, la traduction de la déflagration se
particulière et préalable, mais lorsqu’il est ‘enfant chose’, fera d’une manière bruyante, sonore, visible, à travers
substitut d’un manque, réponse à la blessure narcissique l’agir, le passage à l’acte violent, les actes de ‘destruction
de ‘parents défaillants dans leur fonctionnement massive’, de soi, de l’autre, la délinquance, la toxicomanie,
biologique’, il est susceptible à tout moment, de basculer l’alcoolisme…
dans la précarité du lien, dès lors qu’il se révèle, ne serait-
ce que temporairement, ‘décevant’, en décalage avec • Chez les filles, (‘choisies justement pour leur silence’)
l’image idéalisée de l’enfant manquant. contrairement aux représentations, un ressenti tout
aussi violent, perturbé, qui puisera dans ‘la soumission
La précarité du lien en situation d’adoption
et la passivité féminines’ pour se manifester le plus
Elle se vit souvent et se renouvelle, dès lors qu’au sein de souvent de manière ‘inaudible’, ‘intérieure’, adoptant
familles d’adoption, une vérité contenue éclate au grand généralement une tonalité dépressive, des conduites
jour, ou qu’un décès de parent kafil, survient, mettant en suicidaires, d’errance, de déviances, présentant le
péril ‘l’adopté’ : ici, les enjeux financiers, économiques, risque de découvrir des troubles psychiatriques, majeurs
prévalent sur l’histoire du lien que l’enfant a constitué, également.
allant jusqu’à anéantir le processus de construction de son
identité. ‘Tout’ s’effacera alors de l’image positive qu’il a Chez les deux, un risque élevé, de reconduire l’échec,
pu construire : il se percevra à la mesure du discours de à des niveaux variés, une histoire de rejet, d’exclusion…
l’autre, qui l’instituera comme ‘déchet’, comme ‘fruit de et d’abandon.
la honte et non de la dignité’, enfant du péché, objet de
Des représentations violentes qui différencient
mépris, définitivement exclu.
les genres
Les drames du secret de l’adoption La docilité est attribuée aux filles adoptées, et la violence
Ils se révèleront des plus destructeurs pour la personnalité projetée pour les garçons adoptés : ces images puisent
de l’enfant, et ce, dans l’histoire des individus, à des majoritairement, et à l’origine, dans les modes les plus
niveaux de transmission générationnelle: le désir de fréquents de décompensation évoqués dans l’abandon,
‘l’enfant à soi et à nul autre’, la peur considérable du et ‘spécifiques’ aux sexes.

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Ces décompensations ne surviennent toutefois que La puissance des représentations collectives
lorsque le parent adoptif a failli lui-même, à son devoir (de l’échec) de ‘l’adoption’
premier, de reconnaître l’enfant comme sujet, lorsqu’il a
L’idée de l’échec de ‘l’adoption’ (ici kafala) prévaut
failli dans sa relation à l’enfant, en manifestant de manière dans les représentations, (se confirme souvent dans la
insidieuse, ‘irrationnelle’ directe ou indirecte, régulière, réalité parce que les représentations le prescrivent de
d’autres préférences’, ‘sa déception’, sa méfiance, sa manière machinale et puissante), freine les élans de
‘peur’ …d’un enfant qui ‘lui est étranger’. parents potentiels, et met en échec une société pourtant
éprouvée en matière de solidarité sociale et familiale.
Les attitudes de parents kafil
En conséquence la nécessité pour les parents
Elles sont, complexes et diversifiées, avec des affects
kafil d’apprendre à aimer l’enfant de l’autre,
contradictoires, ambivalents, pouvant fonctionner sur
en maîtrisant les peurs, en ‘travaillant’
des registres divers :
les représentations.
De culpabilité (d’emporter un enfant qui a été porté,
En adoptant un enfant, tout parent futur est amené à
prendre l’enfant de l’autre) avec les attitudes corollaires gérer à la fois ses peurs profondes, ‘irrationnelles’, des
d’agressivité (crainte permanente d’une intrusion représentations ancrées dans l’imaginaire individuel et
hypothétique des parents biologiques) et des mécanismes sociétal, et sa capacité de distanciation, afin de laisser
de défenses pouvant entraver la mise en place d’une place à ‘l’enfant de l’autre’, avec une identité propre qui
relation saine à l’enfant, allant jusqu’à la pathologie ; lui permettra de se concevoir lui-même en premier lieu,
Des conduites d’évitement malgré un respect du ‘devoir avant de devenir ‘enfant à soi’.
d’information sur les origines’  : une ‘conscience’ de En pointant quelques unes des difficultés de la parenté
forme, est susceptible, parallèlement, d’imposer l’idée non biologique, (identifiées lors de l’étude de terrain) il
inverse, d’un enfant sans histoire pour prendre place de s’agira ici, non pas de la remettre en question, ou de
parent unique. ‘persévérer dans le registre de la peur’, mais de réfléchir
sur des modalités minimales d’adoption susceptibles
La caricature  : dans le souci de bien faire, certains
de conditionner sa réussite. Ces conditions ne sont pas
parents répéteront ‘à l’infini’ l’histoire de l’enfant, la
remplies dans le présent.
rendant idyllique, courant le risque d’être saisi comme
parent ‘insuffisant’ au regard du parent du mythe, donc Les exigences associées à ce type de
perdre place et déstabiliser les capacités d’adaptation de problématique mènent, pour le secteur de la prise
l’enfant. en charge, à réfléchir sur la mise en place de cadre
d’accompagnement, de discussion et d’échanges,
L’enfant de l’autre : cette idée existe chez la majorité des permettant aux parents kafil de recourir à la distanciation.
parents adoptifs. Elle se manifestera dès lors que l’enfant Ce cadre est susceptible de favoriser l’établissement des
se conduit d’une manière ‘inadéquate’, ‘décevante’. modalités premières de leurs contrats, (claires dans la
Si tout enfant est susceptible de susciter ce genre définition juridique de la kafala), recueil, prise en charge et
d’attitude parentale, plus que tout autre, l’enfant protection de l’enfant. Il permettra aussi de leur donner
abandonné est ‘toujours’ attendu au niveau d’une erreur les moyens de déconstruire des représentations solides,
profondément ancrées dans l’imaginaire social, rétablir
qu’il pourrait commettre, et le comportement, ‘disséqué’
la confiance qui innocentera un nourrisson attendu et
(une parole, une attitude une provocation, inhabituelles,
redouté à la fois, de construire les liens qui plus tard,
des résultats scolaires insuffisants, opposeront ‘l’enfant
les institueront, dans le regard de leur enfant, comme
du rêve à celui de la réalité’, et deviendront rapidement
parents, de la rencontre, du choix.
inquiétantes, étranges, étrangers).
Amina, mariée, n’a pas eu d’enfant. Des membres de sa
L’enfant ‘étrange’ sera alors susceptible de basculer dans famille décident de faire un enfant pour le ‘lui donner’.
le registre de ‘l’étranger’, avec toutes les conséquences, Une petite fille naîtra. Amina est prise de panique,
de rejet, d’exclusion et d’échec. mais finit par accepter d’assumer son adoption. Amina
Dans certains récits, les parents adoptifs feront preuve de est à ‘l’affût des signes qui la culpabilisent vis-à-vis de
maltraitance véritable, avec une violence psychologique l’enfant’, et se souvient que l’une des sœurs de Lina, est
dominante, allant jusqu’au sadisme. L’enfant du rejet fait tombée malade lors de la séparation. « Elle allait mourir
l’objet, dans ces situations, d’un harcèlement qui peut de douleur, pleurait…accusait ses parents…».
perdurer des années jusqu’au moment où il décidera Dans le présent, Amina dit vivre dans la hantise du
du départ de son domicile ‘parental’, à moins d’être lendemain, et exprime de nombreuses inquiétudes par
exclu avant qu’il ne le choisisse. C’est probablement, rapport au devenir de ses relations à l’enfant : quand elle
en grande partie, cette attitude parentale réflexe qui saura, qu’est ce qui va se passer ? Comment réagira
fera dire aux adultes adoptés rencontrés ici : « je l’ai su t-elle vis-à-vis de ses sœurs ? De ses parents ? Peut-être
depuis toujours », « je sentais quelque chose »… le lui diront-elles un jour, elles mêmes  ? «  Va-t-elle me

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reprocher de l’avoir privée de mère ? Va-t-elle reprocher D’enjeux financiers de l’héritage, où les hommes
à sa mère de l’avoir donnée, elle ? » A est plongée dans défendent des intérêts acquis ;
le malaise de la complexité de ce type de don/ adoption, D’une absence de stratégie de prise en charge,
refuse de révéler la vérité à l’enfant, « trop jeune, qui ne
D’une faible implication de l’Etat …
comprend rien » dira t-elle, ne peut vivre le présent tant
le futur est obscur et menaçant à ses yeux. Entre les deux, l’enfant, lui, n’a pas choisi.

Khadija, célibataire, a adopté une fille à la naissance Aussi, la défense du droit et de l’intérêt supérieur
et conçoit cette kafala comme une action charitable de l’enfant, nécessite une attitude professionnelle qui
effectuée ‘à l’appréciation du Tout Puissant’  : ayant appréhende la problématique dans sa globalité avec des
rencontré une mère célibataire qui voulait abandonner réponses appropriées  : ici se dessinent les limites du
l’enfant à l’orphelinat, sensibilisée à la cause par la nature secteur ‘bénévole’ et la nécessité d’implication de l’Etat,
de son travail, mais aussi désireuse ‘d’avoir un but dans avec une définition de missions et d’actions, pour une
la vie et une présence’, Khadija a fait le pas. Un accord gestion améliorée à la fois de la kafala, et de la prise en
sera conclu entre les deux à travers un acte de tanazoul charge durable, de l’enfant abandonné qui n’a pas eu la
dans la ‘moukataa’. possibilité d’être ‘choisi’ mais pouvant bénéficier d’une
prise en charge structurante, ‘malgré l’abandon’.
Deux ans plus tard, la mère reviendra en vue de
récupérer l’enfant et insiste: Khadija ‘sort ses cartes’ et En même temps l’institutionnalisation de l’enfant se
piège la mère naturelle en lui demandant une rétribution traduit par des dysfonctionnements majeurs  : lors
financière élevée ‘pour services rendus’, ce qui la fera de l’étude menée, la rencontre d’enfants très jeunes,
fléchir. Khadija avouera que cette incursion de la mère d’adolescents et de jeunes adultes, placés en institution,
posera, dans certaines situations, la question de la non-
dans sa vie, l’a troublée au point de voir ses rapports à la
assistance à personnes en danger, de la non- assistance
fille modifiés… « je me pose beaucoup de questions, je
à générations en danger.
ne sais plus si je vais continuer à épuiser ma santé pour
que demain sa mère la récupère dans la rue et lui dise la 1-3- L’enfant, le vécu et les institutions
vérité. Je suis sure qu’elle choisira un jour sa vraie mère
conclut-t-elle. «  Ils sont souvent ingrats, ces enfants, Cette étude permettra par ailleurs d’identifier, au niveau
vous savez, oublient très vite le bien ». des victimes de l’abandon, des différences sensibles de
vécu en fonction de l’institution :
L’absence d’alternative : en parallèle, des acteurs
Les visions, outils, programmes et moyens des
associatifs, ‘dépassés’, ‘sous pression’, avec
structures SOS permettent davantage, et dans une
comme solution, la kafala
optique comparative, de favoriser au mieux l’évolution
A défaut de structures de prise en charge, à défaut de de l’enfant tenant compte de la nécessité de réparation
moyens, mais aussi de plateformes de discussions, de de la blessure de l’abandon  : ici ce ne sont pas tant
réflexions et d’échanges, les acteurs sont contraints à les conditions de confort -souvent présentées comme
la kafala : ils craindront particulièrement de répéter une idéales par les acteurs- mais l’expérience cumulée
histoire récente de décès d’enfants abandonnés, ou de d’une prise en charge de l’enfant dans la durée avec
se voir obligés de les transférer, selon la formule utilisée, des questionnements consécutifs aux échecs, des
dans ‘les camps…’, et n’entrevoient dans le présent, que réflexions, et la mise en place, toujours renouvelée,
le moyen de la kafala comme solution possible, même d’actions correctives qui visent à améliorer la qualité de
lorsque se posent, des questions non résolues dans le développement de l’enfant.
présent, de protection de l’enfant dans la durée.
A travers le discours des enfants et adolescents rencontrés,
Les conditions de réussite de la kafala apparaissent des droits mais aussi des devoirs, avec des règles de
alors en même temps que les modalités de son fonctionnement, avec une loi structurante, existent,
échec. pour ‘inculquer la normalité’ et limiter les débordements
éventuels. Des ‘adultes empathiques mais structurants’,
Entre les deux, l’enfant plusieurs fois victime au cours de
‘puissants’, sont présents, ‘momentanément absents’,
son existence,
préparant les enfants, - à l’instar de parents aimants -, à
À la fois de faits de conjonctures qui ont rendu ses l’autonomie, à la séparation, à la vie d’adulte.
parents biologiques défaillants, Les ‘crises’ d’adolescence, habituelles d’un statut de
D’archaïsmes qui le rendent indésirable car témoin vivant normalité, ici cependant exacerbées dans les ‘cas’ ayant
d’une sexualité collectivement refoulée, vécu des ruptures répétées, des ‘attaques majeures’,
Des représentations sociales et familiales, de la peur seront perçues comme les périodes ‘à plus haut risque’
qu’elles engendrent, pour l’évolution future de l’enfant.
De malversations, et de tractations commerciales, En effet, si en leur permettant de s’opposer à leurs
identifiées à tous les niveaux, qui en font un objet de parents, cette période structure les ‘enfants de la
troc et de trafic, normalité’, les remises en cause de ‘l’adolescent

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abandonné’, sont souvent radicales : ils renoueront avec • Les ‘plus de six ans’
les conflits non résolus de l’enfance, et remettront en Au niveau des institutions rencontrées de prise en
question la question, ici, réelle, de la filiation. charge des ‘plus de six ans’, la réalité de l’enfant, de
A travers ce discours ‘d’enfants SOS’, se perçoivent aussi l’adolescent, sera considérée comme dramatique  :
les éléments d’une réflexion approfondie de l’intérêt plus que la problématique du nourrisson ou du bébé
supérieur de l’enfant, avec un travail qui ambitionne de abandonné, celle des enfants plus âgés, nécessite des
les rattacher à sa filiation, soit par l’histoire, soit lorsque mesures d’urgences.
leur famille existe, par l’établissement du lien. Ici aussi, Si de nombreux enfants âgés de six/douze ans ont
un moment à risque, où l’enfant sera mené à traduire été perçus vivant un état de choc, les plus âgés, ayant
sa déception par rapport au ‘parent du mythe’ qu’il s’est fait l’apprentissage de la ‘survie en milieu hostile’,
construit avant de signer le passage vers l’acceptation formuleront, eux, plus clairement leurs malaises, leurs
de l’histoire individuelle. souffrances, avec une ébullition dans leurs propos, qui
augure d’une évolution à haut risque d’inadaptation.
Par ailleurs, pour favoriser le passage des ‘intervalles à
risque’, pour permettre de verbaliser autour de difficultés L’environnement décrit par les pensionnaires -
éventuelles, des cadres de discussion sont mis en place, ‘la jungle’,’ l’enfer,’ ‘le Vietnam’ en référence à une ‘guerre
institutionnels et individuels, avec des accompagnateurs, ‘interminable’- et les comportements de violences,
dominent, entravant toute possibilité de construction/
éducateurs, professionnels de la relation, évoqués
reconstruction de l’enfant, formant, selon la formule
spontanément dans le discours, et appréhendés comme
maintes fois utilisée par les acteurs, ‘des bombes’, de
‘supports’ indissociables de la prise en charge globale.
rancune, de carences, de manques.
A travers les récits des enfants et adultes ayant été La consultante sera témoin ici de scènes de violences ‘on
élevés à SOS, aucune allusion à la violence institutionnelle live’, où ‘l’agir de la rage’ est dominant, où l’encadrement
(dans l’un des récits, un jeune évoquera la violence d’un est dominé par la peur, aux abois, ‘dépassé’, en abdication,
éducateur  : une plainte à été ‘déposée’ et l’éducateur en dépression, privé de ‘toute aptitude’ de stabilité, en
licencié). matière de décision, d’élaboration ou de distanciation.
Ici enfin, un élément majeur d’éducation et de prise en L’encadrement est en même temps, décrit comme
charge, qui se devine dans les propos des jeunes adultes soumis à des injonctions paradoxales :
rencontrés  : dans les récits, les relations hommes/
Sévir, au risque de maltraitance,
femmes sont représentées comme étant basées sur
Négocier, gérer, pactiser, au risque de perdre une
l’égalité des droits.
compétence.
Pour les autres institutions de ‘bienfaisance’ contactées L’adolescent et l’adulte jeune, en particulier, saisissent
lors de l’étude, des comportements différents par rapport le plus souvent cette ouverture qui leur est donnée,
à la requête de la consultante, mais dominés globalement de disqualifier la loi en permanence, adoptant des
par la ‘peur du regard de l’autre’, ‘du discernement de comportements qui les instituent en tant que loi et
l’autre’ : cette attitude s’exprimera à travers, des refus génèrent la terreur  : l’encadrement cède, immobilisé
clairs, catégoriques (dont certains deviendront possibles par la peur du regard extérieur, des media à scandales,
au moyen encore une fois, de l’intermédiation) mais aussi de pressions venues ‘d’en haut’, de celle, des instances
à travers un ‘accueil en fanfare’, qui a précédemment veillé dirigeantes qui opèrent à des intrusions permanentes.
à ‘tout apprêter’, dans une mise en scène ‘caricaturale’. Mais surtout, à l’analyse, par une conception du droit de
l’enfant mal assimilée, donc non intégrée.
Cette mise en scène enseignera ici sur l’importance de
la forme : la volonté de déguiser le réel ira jusqu’à opérer Certaines instances dirigeantes seront décrites comme
à un choix d’enfants lesquels, en préambule, répèteront des ‘figures’, qui ‘sabotent’ le travail de terrain et de
consciencieusement -et étrangement- la leçon acquise, la réalité, ‘construisent et agissent leurs fantasmes’,
à travers un ‘orphelinat’, qu’ils conçoivent souvent
« je ne suis pas frappé, ici le personnel est gentil, on
comme leurs entreprises, qui, le temps d’une visite,
ne nous bat pas, on mange bien, on va à l’école, on
sont susceptibles, l’un, l’autre, de donner des directives
travaille bien, ils nous suivent, ils nous éduquent, on
contraires, se montrer conciliants avec les ‘chefs de
nous soigne quand on est malade, on s’occupe bien de bandes’ auxquels, ‘pour éviter les débordements’, ils
nous, on va à la piscine, ils nous achètent ce qu’on veut, confient les ‘rennes du pouvoir’, contribuant, sans le
personne n’est frappé ici …». Avec un questionnement : savoir, à constituer des ‘clans’… ici, selon la formule
quelle aptitude pour ces enfants qui soulignent tant de attribuée par un pensionnaire adulte à un président
distance par la négative, à toute violence physique, de d’association, il s’agira «  de donner à manger à ces
rendre compte, directement, de celle qui se manifeste ordures, de leur donner ce qu’ils veulent, l’essentiel
dans leurs propos, qui va jusqu’à les empêcher de choisir (étant) qu’ils se taisent, qu’ils nous laissent tranquilles…
comment dire ce qu’ils vivent ? et ( ) qu’ils fassent ce qu’ils veulent… ».

96
Ces attitudes décrites bénéficient en même temps Ces enfants transitent d’un univers quasi exclusivement
à des pensionnaires à la fois satisfaits des bénéfices féminin, tout puissant par ailleurs (où les hommes sont
secondaires qu’ils ont obtenus, mais déroutés par la majoritairement confinés à des rôles de coursiers,
confusion qui règne et l’absence de cadre, homogène, gardiens, chauffeurs !) vers un univers masculin dominant
structurant, contenant et pérenne. et menaçant,
L’image du directeur qui a un impact considérable dans
Dans ces univers, les petits expriment leur terreur face
le discours des ‘victimes’ rencontrées, est par ailleurs
aux grands, violents à différents niveaux,
décrite comme soumise à arbitraire : il s’agira, soit d’un
directeur ‘dépendant’, qui ‘obéit aux ordres’ et n’a pas Dans ces univers, les grands expriment leur animosité à
de fonction véritable, soit d’un directeur autonome, l’encontre des petits, ‘mieux traités’, (comparativement)
qui protège, garantit, met en place des modalités
plus ‘choyés’,
contractuelles et une ligne de conduite, remises en
cause ‘au moindre incident’ et qui le font partir. Dans ces univers, au fur et à mesure qu’il grandit, chez
La mobilité fréquente du directeur dans ces structures l’enfant, le sentiment d’abandon augmente  : aussi, le
décrites, entrave à son tour, la perception d’une départ de l’institution, considérée comme unique rempart
continuité, d’une cohérence et d’une stabilité chez les à ce sentiment envahissant, sera-t-il perçu comme
pensionnaires. Par ailleurs, l’encadrement spécialisé, une confirmation de l’abandon premier contre lequel
lorsqu’il existe, ‘va et vient, au gré des circonstances’, il lutte en permanence, justifiant le comportement de
sans réflexion effectuée en amont, sur les impacts certains adultes qui revendiqueront alors une demande
potentiels vécus par les pensionnaires, au travers de d’assistance ‘à vie’.
‘nouvelles relations abandonnantes’.
Comment les préparer à l’autonomie, à la séparation s’ils
Les formations prodiguées à l’encadrement seront
expérimentent de telles ruptures ?
décrites comme étant surtout une ‘consommation de
savoir plaqué’, sans relais permettant de faire vivre Comment rétablir une confiance plusieurs fois ‘trahie’ ?
le contenu de ce savoir, sans moyen mis en place
permettant d’élaborer autour de ce savoir et de le relier Comment les structurer sans l’existence de limites, de
à la pratique. repères, de loi ?

Le besoin identifié ici, est celui d’un encadrement qui Les agents d’autorité, eux-mêmes, interpellés à diverses
travaille au niveau de la relation, et qui existe déjà : si de occasions, semblent ‘traiter prudemment’ ce problème
nombreux ‘encadrants’ ont été perçus comme ‘engagés’, épineux de l’abandon  ! (décidant, assez souvent, sauf
positifs dans leurs relations, assurant leurs rôles, la incident très grave, de ‘détaler’ …)
méconnaissance de leur apport, la non reconnaissance
de leurs métiers, la dévalorisation de leur travail, leur Dans ces univers, où le ‘mineur’ peut atteindre 50
absence de protection face à ‘l’arbitraire des dirigeants’, ans, voire plus, des ‘clans’, des ‘bandes organisées’,
est apparue comme problématique, et encore une fois, qui font la loi, saccagent, qui sont craints de ceux-là
constituant une entrave à la prise en charge de l’enfant, même qui sont chargés d’un rôle d’éducation, ’ceux-là’
de l’adolescent et du jeune adulte. qui ‘dépassés’, les prennent quelquefois à partie pour
(Nul besoin, pour cet encadrement qui travaille légiférer, contribuant ainsi à renforcer leurs conduites de
dans la relation, d’avoir des ‘diplômes supérieurs’, déviance, qui leur répercutent l’impossibilité de concevoir
‘impressionnants’, ‘un statut’… qui le rendent crédibles une loi symbolique, qui leur fait tant défaut.
au regard de tiers soucieux de la forme, mais surtout
d’aptitudes d’empathie, d’écoute et de distanciation. Les Des ‘leaders’ de clans ont été rencontrés ici  : si leurs
équipes nécessitent d’être surtout soutenues par des récits enseignent sur les impacts liés à leurs vécus,
relais professionnels qui les ‘accompagnent et les aident leurs attitudes réactionnelles seront des exemples qui
à accompagner’). instruisent sur les ‘agencements de modèles pervers’.
• Un questionnement : quel avenir pour ces bébés qui Dans ces univers enfin, un clivage dominant entre deux
deviennent enfants, qui transitent par des associations, mondes distincts, non communicants, masculins et
lesquelles, tant bien que mal, tentent de préserver leur féminins. Quelles relations futures ?
intégrité en leur prodiguant les premiers soins et les
seules caresses de leur enfance, mais lesquelles des Pour les ‘petits’, une rupture considérable !
fois aussi, sont contraintes au déchirement, qu’elles
expriment, de les placer dans cet univers adulte et Avec le sentiment de revivre l’abandon et la répétition
terrifiant ? d’un cataclysme.

97
Récits, histoires et vécus de victimes
de l’abandon
Ces récits, rendus partiels, réaménagés dans un souci leur demandes excessives à la fois de haine et d’amour,
de clarté et de confidentialité, ont quelquefois duré leur colère, leurs blessures en direction d’une société
plusieurs heures, autant du côté auteurs que de celui dont ils se sentent exclus en majorité, et ‘qui n’oublie
des victimes  : le contenu sera dominé par l’affect, pas à l’occasion’, de leur rappeler leur statut d’enfant
tant à travers l’émotion qu’ils susciteront chez leur(s) illégitime, à l’école, au travail, en famille d’accueil. Leurs
auditrice(s), qu’à travers celle qui les envahira et qu’ils attentes : prendre place d’individus, sans être attribués
exprimeront, chacun, de manière différente, en fonction des ‘qualités du pauvre’, ni des ‘handicaps du hrami’.
de leurs, âge, sexe, aptitudes à verbaliser, capacités de
Qui sait  ? Ces témoignages, même tronqués par une
réparation et de sublimation.
exigence de synthèse, (restitués pour la plupart, en
L’expression manifeste des personnes rencontrées, annexe de ce rapport et ce justement, afin de ne pas
enfants, adolescents, adultes, dominée par un contenu évacuer encore une fois, la question fondamentale du
émotionnel, laissera entendre les véritables difficultés vécu) mèneront peut-être, à envisager des actions plus
vécues par les uns et les autres, avec leurs souvenirs concrètes, réfléchies dans le cadre d’une vision projet,
précis des ‘premières fois’, leur quête d’identité, du court, moyen et long terme.

98
1-Fatima et le choc des origines
Agée de 46 ans, F est caissière dans un café : tous les une prostituée très gentille…,» F ira travailler à l’étranger
jours, en dehors d’un dimanche sur deux, elle travaille pendant 4 ans, exerçant comme nurse, puis face à une
de 6 heures du matin à minuit. Aussi, dira-elle…plus de menace de viol de son patron ‘alcoolisé’, quitte son
temps pour penser à l’existence. «  Je vis comme une
emploi, et retourne au pays. Elle travaille, erre, et
hachara (insecte) mais je crois qu’elle vit mieux que moi »
dit-elle, en introduction, « je travaille…, je dors, à peine retrouvera sa mère à la mort du père, pleure dans ses
le temps de manger…après je reprends. Les vacances ? bras puis repart, jusqu’à ce qu’elle apprenne le ‘cancer de
Jamais… sa mère’…Elle l’accompagne pour ces derniers jours, à
l’image d’une fille aimante, la porte dans ses bras : avant
Tout commence pour elle le jour de la révélation du secret de décéder à son tour, sa mère lui léguera ‘son or, ses
d’adoption, révélé à l’âge de 28 ans. Elle saura tout en
meubles, son salon…’ à travers un acte chez le adoul.
même temps -qu’elle a été trouvée dans les décombres,
Mais la mort déclenchera la rivalité et les sentiments
que ses frères, cousins…le savaient depuis toujours,
d’hostilité de sa fratrie masculine. Elle quitte de nouveau
le disaient aux autres en cachette – et fait des liens
un foyer familial ‘cossu’ pour se retrouver dans une
instantanés, pour justifier le comportement de chacun de
chambre louée dans un quartier populaire, proche de son
ses parents à son égard, l’échec scolaire, le différentiel de
traitement avec ses frères ‘plus choyés’…puis se révolte emploi de café. Depuis, elle se perçoit «comme vivante
contre sa mère. Elle décrit le moment de rupture : je lui ai et morte à la fois  » ne se suicide pas parce que c’est
dit : « je sais tout, je ne te pardonnerai jamais de m’avoir ‘hram’, refuse de penser aux hommes « les hommes ?
caché ça, je m’en vais…, je ne peux pas vous décrire ce Pourquoi voulez-vous que je rencontre un homme  ? Si
que je ressentais ce jour là et les autres…j’étais une folle j’étais la fille d’un homme, un vrai avec des moustaches,
lâchée dans les rues de Casa…j’avais envie de mordre… vous croyez que j’aurai été une bent lehram ? » (une fille
de faire du mal à tout le monde…j’ai dormi à côté d’une du péché)…Fatima parlera d’une voix haute, où tout au
mosquée pendant trois nuits… j’ai rencontré une fille qui long des échanges, la colère domine. Le travail semble
m’a logée chez elle pendant quelques semaines… constituer le seul élément du réel auquel elle s’attache.

99
2-Karima, 24 ans, adoptée également
dans le secret, vendue
k a été élevée le jour de sa naissance par des parents âgés avec l’échec, dans sa vie affective, dans ses relations,
aux côtés d’un frère biologique (âgé de trente ans), d’une dans ses investissements.
sœur (également adoptée mais qui le savait entretenant
Au cours de son errance, K transitera d’un refuge à un
des relations régulières avec sa famille). Inscrite dès le
autre, sa sœur adoptive d’abord, des amies, une voisine,
premier jour dans le livret de famille, elle ignorera jusqu’à
une famille qui l’exploite contre l’offre du gite et du
l’âge de quinze ans la réalité de ses origines, annoncée
couvert… tant d’autres espaces… se rebellera, vivant
brutalement par un frère ‘rival menaçant et violent depuis
toujours l’exclusion, même sur un plan professionnel,
toujours à son égard’, devenu progressivement terrifiant.
renouant toujours avec le sentiment profond de rejet.
La rivalité du frère sera attribuée à la nature de la relation
entretenue avec la mère, décrite comme protectrice et K sera alors invitée à trouver une solution dans la
aimante. Les enjeux financiers liés à l’héritage, rendront rencontre avec sa propre mère et ira à la quête de ses
l’atmosphère ‘infernale’ au sein de la famille, si bien que origines. Elle apprendra qu’elle a été ‘vendue’, que les
la mère décide lorsque la vérité éclate au grand jour, de la infirmières de l’hôpital qui ont procédé à l’intermédiation,
protéger juridiquement, en vue de lui léguer ses biens.. étaient mécontentes du résultat de la vente…que sa
mais K sera jugée trop jeune par le adoul contacté. Le mère était contrainte de la laisser ‘à cause de ses frères’,
jour de la vérité des origines, révélée à l’âge de quinze qu’elle était ‘issue’ d’une relation hors mariage, que sa
ans, confirmera un ressenti enfoui par K, à l’origine d’un mère était venue implorer une femme, qu’elle avait
débordement incontrôlé, à l’origine d’une errance non demandé à la voir de loin…mais ne parviendra jamais à la
achevée dans le présent. Malgré son acharnement, rencontrer. Pour K, dans le présent, la quête n’est ‘plus
son ambition, son intérêt à l’égard des études (qui lui d’actualité’, n’offre plus d’intérêt. Quelques propos de
permettra d’avoir un diplôme universitaire) K renoue son vécu, d’une ‘longue histoire’ (en annexe).

100
3-Imane, 17 ans, pensionnaire à SOS
Imane a été placée depuis l’âge de neuf ans suite au pour la 1ere fois…(et à ton avis, qu’est ce qui c’est
départ de sa mère. Malgré l’intervalle qui la sépare de passé pour que tu sois ici ?) (Pleurs) premièrement, ils
l’abandon, elle garde une trace vivace des premiers avaient beaucoup de problèmes…mais moi je ne crois
temps, ‘de la perte de confiance’ qu’elle décrira au cours personne… un jour ma mère nous a amenés à l’école et
d’un entretien entrecoupé de pleurs…serait-ce parce
au retour, elle a ramassé ses affaires… on a commencé
que ses parents sont en vie ? I est scolarisée et parlera
à chercher ma mère… X nous a dit qu’elle était partie
en français… Elle sera considérée comme en besoin
en voyage, qu’elle allait revenir…on a attendu (pleurs)
de parler, verbalisant également une problématique
d’adolescente qui se fixe aux figures parentales qu’elle une semaine…un mois… mon petit frère, je m’occupais
‘peut’ véritablement remettre en question, du fait qu’ils de lui, j’étais sa mère…moi je voulais savoir une seule
l’ont abandonnée, non plus dans le fantasme mais dans chose  : comment une maman peut abandonner sa
le réel. A la vertu de sa liberté, elle interroge le passé, un [Kabda ] (son foie)… je n’arrive pas à le faire rentrer dans
passé douloureux, attaque une fois le parent réel, l’autre ma tête… même si mon mari me fait quelque chose, je
fois, le parent de substitution, sans pouvoir se fixer sur prends avec moi mes enfants, je travaille comme une
une image positive. En même temps, cependant, elle bonne pour les éduquer et je les laisserais pas avec leur
laisse entrevoir un potentiel de sublimation avec une père… à chaque fois qu’elle va dormir elle va avoir de
aptitude à élaborer un projet d’avenir  : elle envisage, la peine, se poser la question de savoir si ces enfants
comme de nombreuses populations qui se vivent sont malades, s’ils ont mangé, s’ils sont couverts, s’ils
victimes, de défendre le droit.
dorment, s’ils sont bien (pleurs) …pourquoi ne pas
«  j’habitais chez mes parents biologiques…ils ont réfléchir avant ? …elle n’avait pas les moyens ? Quand je
divorcé et après mon père n’avait pas les moyens… il suis partie la voir…elle n’est plus pauvre comme avant…
nous a amenés au village…nous sommes (plusieurs)… alors pourquoi elle nous a abandonnés ? Si on était partis
j’ai grandi avec mes parents…je me souviens…on était avec elle, on aurait vécu avec elle, pas souffrir comme ça
en route pour venir ici, je ne voulais pas venir…c’est très (pleurs, silence)… (Souffrir ?) Oui, la 1ere fois quand tu
dur, en route moi et mes frères, on pleurait tout le temps,
vas à l’école, on te dit : écris le nom de ta mère, de ton
on n’arrivait pas à nous séparer de notre père…il nous
père, l’adresse et tout (pleurs)…moi j’ai la tête qui tourne,
traitait bien… j’avais neuf ans…(Que sais-tu à propos de
je ne sais pas si je dois écrire mes parents biologiques
tes parents ?) ici au village…ils ne te disent pas tout… ils
te disent ce qu’ils veulent pour te faire taire, pour ne plus ou les parents SOS… je mets point d’interrogation…
réfléchir, pour ne pas pleurer… dernièrement mon grand et je la leur donne…tes parents  ? Ils sont morts, ça y
frère a commencé à me raconter la vérité… je ne les est… (et ton papa, tu es en contact avec lui ?) Oui.. c’est
crois pas… mon père avait beaucoup de problèmes avec bien … lui est resté avec nous .. Personne d’autre n’est
ma mère et elle, elle ne pouvait pas résister et elle est resté avec nous (pleurs)…c’est lui qui faisait le linge et
partie… (ici) ils n’ont pas le temps pour nous et question nous préparait à manger (pleurs)… (L’avenir pour toi, une
d’affection, mon père (SOS) travaille toujours,…mais idée ?) Oui, je vais faire le droit (pleurs)… ( ?) Avocat…
comment il va faire  ? il a 100 enfants… pour donner (Sur le plan affectif, une famille, des enfants ?) Oui, je ne
à chacun sa part d’affection…alors c’est le rôle de la voudrais pas refaire la même chose comme ce qu’à fait
mère… mais elle te dit, j’ai beaucoup de choses à faire.. avec moi mes parents… ( ? ) je ne vais pas abandonner
(la vie en institution  pour un enfant  ?) il doit toujours mes enfants… , ils vont souffrir…le soir les gens vont
se sentir, qu’il est loin de sa famille…comme un point
dormir, tranquilles et eux vont pleurer, souffrir (pleurs)…
d’interrogation sur sa vie…Moi je dis ce sont pas
moi, je les sauve…(par rapport à ta mère  ?) (pleurs) je
mes parents… pourquoi je vais les écouter, parce que
c’est l’âge de l’adolescence, toujours tu as des points ne l’aime plus, je la déteste…ce n’est pas une mère,
d’interrogation dans la tête…une mère ce qu’elle mange la première fois quand je suis partie la voir, moi et mon
elle te le donne, (as-tu des contacts avec ta mère ?) oui, frère je l’ai serrée dans mes bras, je n’ai rien ressenti
je l’ai vue il y a… semaines… envers elle (pleurs)… (Merci) merci à vous…

101
4-Othman, 6 ans, résidant à SOS village
d’enfants
O, arrivé ‘bébé’, parlera à la manière d’un enfant de je sors à l’extérieur pour jouer…Des amis… à l’école
son âge, avec les préoccupations liées à son âge, les et au village…(Et les grands qui s’occupent de vous  ?)
bagarres, les copains, l’école, les moniteurs. O a des le père (baba) Mustapha, la maîtresse, ce sont eux qui
repères, connaît la loi, les limites fixées par les grands. commandent.. ils sont ici, (quelqu’un d’autre ?) oui R…
Son histoire ‘d’abandon’ ne semble pas, dans le présent, si on se dispute, il essaye de nous séparer…il y a aussi
avoir un impact visible sur son comportement. Beaucoup A…il fait la même chose que R..ceux sont eux qui
de choses lui paraissent ‘impeccables’ ‘top’. Il restituera s’occupent de nous.. et B, s’occupe du village…Moi je
des éléments qui indiquent qu’il connaît ‘la vérité globale’ vis avec ma mère… j’ai deux mères, une qui m’a élevé
de ses origines faisant le différentiel ‘vraie mère’, mère et l’autre ma vraie maman… veux tu changer quelque
SOS… «  J’ai deux mères, une qui m’a élevé et l’autre chose à ta vie ? non…tout est bien.. ; (As-tu des amies
ma vraie maman… moi, je connais son nom… ils sont filles ?) les filles ? (sourire) …je n’ai pas d’amie…mais je
en train de la chercher… et je les aime, les deux… ma
parle aux filles… une différence dans la façon de vivre
vraie maman n’est pas à Casablanca…. celle avec qui je
entre les garçons et les filles ? non, c’est pareil… (Des
vis, c’est elle qui m’a élevé ». Il a un souvenir restitué du
choses qui te gênent  ?) je n’aime pas que les grands
‘premier jour’ « je suis arrivé quand j’étais bébé, dira t-il
me frappent… ils me disent les gros mots… (quoi  ?)
… et plus loin, dira ne se rappeler que de ce qu’il ‘a vécu’
je ne peux pas le dire… que fais-tu alors  ? je dis à ma
ses études….son maître..  ; ses souvenirs récents. Il
déroule sa journée quotidienne « Je me réveille, me lave mère ce qui se passe et elle leur parle directement…
le visage…après, voir la télévision. Puis, je vais prendre Penses-tu parfois à tes parents ? oui …je pense à mon
mon petit déjeuner…. les études… je vais à l’école quand père et à ma mère… (quand tu seras grand, qu’est ce
c’est l’heure…grande maternelle… l’année prochaine, que tu ferais ?) j’irai chez elle,… Je ne pourrai pas vivre
en première année primaire… j’aime les études… rester sans eux…(qui eux ?) ma vraie mère, mon père et mon
avec mes amis… il y a le cahier…les activités… le frère… (un travail ?) je ne sais pas…une famille ? oui…
dessin…pendant la récréation nous faisons la gym…les des enfants  ? oui..  ; penses- tu que tu vas t’entendre
grandes vacances…la forêt… je lis un peu… avec tes enfants ? oui, oui, Je m’entendrai bien…

102
5-Témoignage de Camilia adolescente,
pensionnaire depuis huit ans dans un
village SOS
Fruit de la vengeance entre deux hommes, dont l’un à travers ‘l’opportunité du village’ cette possibilité
proche parent de sa mère, C, se trouve exclue à sa existe pour C qui décrit une stabilité progressive malgré
naissance. Sa mère sera contrainte de la cacher dans un les ruptures qu’elle a connues. Elle se souvient de
espace réservé aux animaux pendant plus de trois années. son arrivée «  tout était vert…j’ai beaucoup aimé  » des
C se souvient encore des visites furtives de sa mère qui difficultés d’intégration «  au début, j’étais perdue…
venait la nourrir. Un second essai pour la réintroduire pas aimée…j’ai même pensé à m’enfuir… maintenant,
au sein de la famille sera freiné avec menaces de mort je suis satisfaite…on m’a montré, il y a des choses que
pour la mère et l’enfant. Aussi ira-t-elle à l’hôpital pour nous devons faire et des choses que nous ne devons pas
la placer, trouvera une mère d’accueil pour quelques faire…  » et du bénéfice psychologique qu’elle en tire
années, au cours desquelles, C se remémore ‘du bon « cet établissement m’a beaucoup protégée… sinon, je me
et du mauvais’, éducation, prise en charge, mais aussi retrouvais dans la rue, j’ai eu l’opportunité d’étudier, je ne
maltraitance. De nouveau à l‘hôpital, elle y séjournera,
savais rien… » de confort « j’ai ma chambre privée…je fais
ne se souvenant que des coups, avant d’être orientée
tout ce que je veux…j’ai mon lit… » de prise en charge
au village SOS. A l’égard de sa mère d’adoption, malgré
« nous étudions… il y a du personnel qui s’occupe de nous,
tout, de la reconnaissance. En revanche, accepter
et surtout, nous aide dans nos études…les vrais parents
sa mère biologique lui paraît dans le présent encore
sont peut être toujours occupés…rentrent le soir…n’ont
impossible : envers elle, du ressentiment, de la rancune,
pas le temps pour leurs enfants ». Le directeur s’appelle
«  un sentiment étrange à l’intérieur…quand elle me
prend dans ses bras, je ne sens pas de l’affection mais ‘baba’ « il est marié, a sa famille… parfois  vient manger
de la haine…je n’oublierai jamais qu’elle m’a laissée à avec nous… ou la télé… va à l’école pour savoir où est ce
l’hôpital qu’elle a demandé à des gens de me prendre qu’on est dans les études...règle les problèmes entre les
comme une marchandise …  » Quant au père, C le mères et les enfants »… «  j’aime ma mère… elle qui m’a
nie simplement. Elle semble mettre une barrière pour éduquée… quand je tombe malade, elle passe des nuits
épancher la blessure et pour se reconstruire : blanches pour me surveiller.. »

103
7-A, élevée dans une institution
de bienfaisance
A, aujourd’hui âgée de 41 ans et mère d’un garçon de Durant l’entretien, A tiendra à raconter son histoire du
neuf ans, a été abandonnée à la naissance. Tout au long début ‘à la fin’, répondant brièvement aux questions
de l’entretien, elle évoquera la blessure profonde de posées pour reprendre le fil… son récit, dont voici
l’abandon, se concentrant particulièrement sur un vécu quelques extraits, durera plusieurs heures, ponctué
de violences. Les violences décrites sont multiples de ‘je n’oublierai jamais’ et ‘revenons à l’orphelinat’…
et davantage focalisées sur les modalités de prise en (annexes)
charge institutionnelles, qui seront attribuées d’un
«  Moi on m’a laissée à l’hôpital…je me rappelle, on
impact puissant se reproduisant à des niveaux affectif,
m’avait laissée à  l’Orphelinat Lalla Hasna, je n’oublierai
relationnel, social et économique. Chez Aziza la notion
jamais…à l’âge de 3 ans… la responsable nous traitait
de trauma est visible, palpable à travers une tentative
mal… les bienfaiteurs nous ramenaient de jolis vêtements
de suicide et plus tard à travers une hospitalisation en et quand ils s’en allaient, elle nous prenait nos choses….
psychiatrie….ce qui ne l’empêche pas de tenir à son Je n’oublierai jamais qu’elle me donnait du lait froid
enfant, refusant de lui faire revivre le même de ce qu’elle dans le biberon… après, je suis allée à l’orphelinat   2
a ‘subi’ allant jusqu’à sacrifier son corps pour l’élever. mars  où j’ai beaucoup souffert. L’école était très loin…
L’exclusion de l’orphelinat la conduira à l’errance, à la nous marchions pieds nus, presque sans vêtements…
grossesse, et plus tard, à la prostitution, unique solution on faisait   pipi dans nos vêtements, parce qu’on avait
entrevue par A, activité exercée dans le secret pour peur. Ils nous demandaient de ramasser les ordures
préserver son fils, est en même temps, la principale en contrôlant combien nous en avions ramassé…celui
tâche noire du présent. Son rêve : travailler, élever son qui ne ramassait pas beaucoup d’ordures recevait des
fils, faire face à ses besoins. Malgré un vécu d’abandon coups de pieds partout…. nous ne mangions jamais
l’enfant est ici investi d’une position de totalité : bien le matin…nous pleurions beaucoup car nous
le fils est tout, le lien, la famille, la réparation affective du avions toujours faim… la formatrice et l’institutrice, et la
passé, le projet du futur, le lien puissant à la vie. surveillante de nuit. … » 

104
Témoignage de K,
abandonné à 4 ans, aujourd’hui âgé de 31 ans, et ayant Ici aussi le parent de la réalité, lorsqu’il se découvre,
passé 27 ans en institution, permet de rendre compte d’un s’oppose au parent du mythe que l’enfant se construit
vécu qui pointe un différentiel sensible, entre le passé et généralement… la découverte ou la rencontre du parent
le présent, en matière de prise en charge institutionnelle deviendra alors un moment à risque…
de l’enfance abandonnée  : de la maltraitance plurielle, Cette histoire rend compte également d’un moment
physique, psychologique, affective, alimentaire…vers où l’enfant devenu adolescent ou jeune adulte se met
un traitement sensiblement amélioré à des niveaux de en quête pour rencontrer sa vérité, une vérité d’autant
confort, de salubrité, d’hygiène et d’alimentation… Par plus problématique sur un plan de la reconstruction de
ailleurs, ce témoignage confirme la perception observée l’identité, qu’elle rencontre de nombreux non dits, de
chez les uns et les autres, de l’institution : une institution nombreux mensonges…eux-mêmes attribués à la peur
‘clivée’, à la fois bonne et mauvaise, hostile par le de divulguer la vérité. Ainsi certains mensonges, utilisés
traitement qu’elle réserve aux enfants, et en même ‘pour faire moins mal’, réveillent la douleur….
temps seul rempart contre les dérives de délinquance «  …31 ans…toute cette période, je l’ai vécue privé de
et de violence, seul lien qui fait barrière à l’abandon et mes parents….à 4 ans, je me suis perdu dans le souk
au sentiment d’abandon. Cette institution décriée est les policiers m’ont trouvé et m’ont emmené à Lalla
paradoxalement la seule vers laquelle se tournera l’enfant Hasnaa…je ne savais pas d’où je venais, ni où j’habitais,
devenu adulte dès lors qu’un obstacle se présente  : ni qui étaient mes parents… 2 ans dans cette structure..
il lui ‘demandera’ alors, dans une quête permanente à 6 ans, je suis allé à Dar el Banat de lalla hasnaa,
d’assistance de ‘continuer’ sa prise en charge. ensuite deux ans après, affecté à Ain Chock…là bas,
L’entrevue réalisée permet enfin de rendre compte de la j’ai eu l’impression que j’étais dans une prison, après 2
difficulté de l’enfant abandonné lorsque ses parents sont jours je me suis senti mal et je voulais m’enfuir… j’étais
en vie  : ici, comme chez l’ensemble des abandonnés scolarisé, mais ils me battaient…tout se faisait avec des
dotés de parents, se décrit un deuil impossible et une coups, chaque professeur là bas était reconnu pour son
grande difficulté à se projeter dans le lien durable. grade, un grade à frapper.. »

105
9-Salim, 6ans, pensionnaire
à l’orphelinat de…
L’histoire de Salim questionne à différents niveaux : âgé il citera le nom des éducatrices A, H, F, M qui lavent le linge
de six ans, il a déjà connu une première institution où sale, rangent les affaires…mais constate « qu’un enfant
il semble avoir été placé par ses parents biologiques, a fait caca ici par terre… qu’un autre est puni quand il fait
pour des raisons qu’il n’identifiera pas, évitant lors de des bêtises, qu’il est frappé avec un bâton », avant de
l’entretien, d’évoquer ce qui touche à son placement, signaler que lui aussi ça lui arrive… il décrira sa journée :
traduisant cependant un malaise dès lors que la question «  le matin, je me lave le visage, je bois un peu, je me
se pose (j’ai mal dira t-il à chaque fois - oui il a mal-). Il est brosse les dents, je prends son petit déjeuner et puis je
également apparu comme un enfant instable, angoissé, reste assis …des fois je joue et je me repose »…
et des questions se posent par rapport à sa relation
aux grands qu’il déteste, comme souvent évoqué dans S se surprend à entendre la sonnerie qui lui laisse
ces institutions où ‘la rivalité entre petits et grands fait supposer que le repas est prêt… il s’excite…formule le
rage’, mais avec d’autres interrogations qui subsistent à désir de voir, dit qu’il a faim… se rassure puis revient…
travers des propos répétés relatifs au corps, aux grands il continue…  « je sors quelquefois »… puis change de
et au sommeil…Un sommeil dont il décrira par ailleurs, propos… « si quelqu’un vole on l’emmène à la police…
le déroulement perturbé. je pars quelquefois à la plage… au camping mais les
toilettes étaient remplies de cafards…  » il n’aime pas
Il décrit une protection le jour, mais la nuit, il semble livré
les filles parce qu’elles sont ‘capables de le contaminer’
à des peurs d’un enfant de son âge, à celle d’un enfant
(les poux)… n’aime pas les garçons, pas tous, car ils
qui a bénéficié auparavant d’un cadre (relativement)
lui ont tout volé… ses affaires dans la classe… « mais
plus clément et rassurant, à celles d’un enfant placé
la maternelle pue…ils ont tout nettoyé à l’eau de javel
alors que sa mère est en vie, alors que sa sœur vit à ses
maintenant c’est propre…les éducatrices trouvent des
côtés. A-t-il le sentiment d’avoir été puni ? Mais ici, en
difficultés avec les enfants » mais pas avec lui…»
rapport avec les questionnements de cette recherche,
l’on pointera davantage le différentiel qui se perçoit dans Quand aux grands, qui ont leur propre éducatrice… « il
son discours, dans le changement d’environnement les voit… il ne les insulte pas, mais eux l’insultent  »…
et le choc puissant, traduit à travers les propos  relatifs cependant les éducatrices veillent, prennent soin des
au vol de ses affaires, de ses friandises, à l’hygiène, petits et leur achètent des choses grâce à l’argent donné
des personnes et de l’environnement, aux coups, et à par F… il compte devenir policier trouver des voleurs
l’alimentaire. L’alimentaire surtout, prendra une part et les tuer…lui se sent seul quand il dort… car il rêve,
considérable dans l’échange réalisé auprès de l’enfant : fait des cauchemars… il met alors les mains sur son
craint-il de voir sa part volée ? de rester affamé ? visage pour se protéger… S entend soudain une sirène
Salim ne sait pas depuis quand il vit à l’orphelinat de … d’ambulance..; quelqu’un est mort !
beaucoup dira t-il… il sait qu’il a une mère et une sœur
Ses parents ? il peut dire leurs noms, sa sœur s’appelle
qui n’habitent pas avec lui…que lui était à ‘Lalla hasna ‘
m et sa mère f… qu’il voit parce que parfois il vit à
quand il était petit, avec ‘des éducateurs, beaucoup
l’orphelinat et parfois chez lui…pourquoi ? J’ai mal…..…
de chambres, beaucoup d’enfants’, qu’il dormait ‘dans
le dernier lit au fond,’ qu’on lui donnait à manger, qu’il Futur  ? «  si je trouve quelqu’un aveugle, je l’aide…si
restait jouer l’après midi et ne dormait pas…que c’était une femme me demande de l’argent je lui en donne, si
agréable… que chaque éducatrice avait ses enfants. je trouve quelqu’un en voiture en panne je l’aide, et si
Et puis un jour il est monté dans un car jaune qu’il l’a je trouve quelqu’un sale je l’aide à se nettoyer avec du
mené ici…Le premier jour où il est arrivé, il retient kleenex. Si je trouve des gens comme ça, je les aide pour
qu’il a été ‘questionné’ qu’on lui a «  montré la cuisine que Dieu ne me châtie pas et que je devienne policier et
et où on mange, et la salle des jeux… (ici) les grands je rentre au paradis et Dieu ne me châtie pas et que Dieu
enfants sentent très mauvais… je les déteste… ils sont me donne une voiture… »
horribles…je préfère les hommes et les enfants qui n’ont Une famille  ? «  oui quand je grandirais…je veux avoir
pas beaucoup grandi… » une maison, une fille, une femme, une sœur c’est tout…
Il va à l’école, étudier, traverse la route à l’aide de je veux avoir une famille, et que je devienne policier. Le
l’éducatrice… est content de ses résultats « Le professeur policier n’a pas de famille ? je baiserai la tête et les mains
m’a donné 5/ 5, super » de ma mère c’est tout… »

106
107
10-Karim, 18 ans, même établissement
Karim, abandonné dès sa naissance, tiendra dès le début elle nous appelait chaque samedi et dimanche et les
à se différencier de la population avec laquelle il vit grandes vacances….… elle nous envoyait son mari,
depuis huit ans. Placé dans une première institution il se il nous emmenait avec choisissait 4 ou 6 enfants, et
remémore ses premières amours, ses premiers liens et j’étais toujours parmi les enfants… le week-end et les
le cataclysme lié au ‘changement de décor’. vacances lui… je me rappelle beaucoup d’elle depuis ma
Son histoire témoigne de l’importance des gestes de tendre enfance… je n’imaginais pas ce tournant dans ma
tendresse, de l’empathie que peuvent offrir certaines vie… il y avait la rentrée des bébés… pas de places pour
figures qui construisent les premiers liens. L’univers qu’il nous… ici il y a énormément de cas, des cas sociaux…
décrit est tout simplement dominé par l’anarchie. moi, j’ai vécu l’expérience complète, je me rappelle très
Rien d’étonnant à ce que le petit Salim dont le récit a été bien d’une femme qui m’a toujours porté entre ses bras
évoqué précédemment, soit aussi instable et angoissé. et qui me donnait le biberon… prenait toujours soin
de moi… je la considérais comme ma mère, je croyais
Karim lui, grâce à une figure maternelle puissante,
qu’elle était ma mère, dans une maison avec ma mère,
salvatrice, grâce aussi aux éducatrices et à leurs
mais quand j’ai commencé a grandir, j’ai compris ma place
premières caresses, a probablement reçu un minimum
qui lui permet aujourd’hui, à défaut de vivre, de tenir, … les meilleures années, je les ai passées à Meknès…
en s’endurcissant de l’intérieur. Comme de nombreux ils ne nous battaient pas, chaque chose en son temps,
rescapés de ces institutions, rencontrés dans le cadre l’école, les sorties, les samedis et dimanches… très
de ce travail, K semble avoir opéré à une séparation grande différence avec ici..
‘salutaire’ de son univers mental en le clivant. La dureté Ici, les uns partent au travail, les autres restent, font du
de l’intérieur apparaît comme un moyen de faire face aux
bruit, du vandalisme…les éducatrices chacune de son
agressions incessantes de l’extérieur. Pour ne pas voir
coté…pas d’organisation, rien, pas de surveillance…
ce qui se passe en lui, croire dans sa différence, seule
ni du coté du ‘cadrage’, ni du responsable…, ni du
identité possible à ses yeux, pour se vivre distinct et ne
pas se laisser atteindre, K décrit tout ce qui lui permettra directeur…les enfants s’adonnent à beaucoup de
de vivre les autres comme des étrangers. choses maintenant, ils vendent même leurs vêtements
pour la drogue… il y a aussi la menace sexuelle entre
Au début, on était a Meknès, à l’association de madame les enfants….cet orphelinat c’est comme la jungle, le
Zniber…je n’ai pas de famille, aucune trace…j’ai été
grand mange le petit… Je me rappelle d’un directeur,
trouvé devant une mosquée…j’y ai vécu jusqu’à un
A, un homme magnifique…comme un père…un
certain âge… elle était obligée de prendre 10 enfants
nouveau a repris sa place, il n’a pas su diriger…d’autres
et de les disperser dans divers établissements… j’étais
préoccupations… rechercher des fonds…il laissait les
l’un des 10… depuis que j’ai ouvert mes yeux,entre les
mains des éducatrices… ce sont elles qui m’ont aidé, enfants errer, leur donnait énormément d’argent…un jour,
éduqué…je ne connais aucun membre de ma famille ils m’a fait venir à son bureau pour un truc insignifiant, il
ni mes parents.. je me rappelle de tout, de la forme a commencé à me maltraiter, à me tabasser, j’ai même
de l’établissement, des ‘encadreurs’, des jours que j’ai saigné…il m’a dit qu’il ne m’aimait pas… il est parti, un
passés avec madame Z… nouveau directeur… »

108
11- Mahmoud âgé de douze ans, même
institution
Ancien pensionnaire de Lalla Hasna, abandonné à la L’un d’entre eux, a frappé un enfant avec un bâton en
naissance, Mahmoud sera pris en kafala à l’âge de bois, le bâton d’une karrata et il a saigné… moi aussi,
trois ans, avant d’être (pour des raisons attribuées au je suis battu comme ça…je n’y peux rien, je supporte
travail de ses parents adoptifs !) ‘refoulé’ comme une personne ici ne veut nous rendre heureux… » et « moi
marchandise, vers cette institution de bienfaisance…… je dors très mal »
une tonalité dépressive dans le discours, un sentiment Les petits semblent constituer ici l’exutoire qui permet
de vacuité  : «  ils sont venus ils m’ont pris…ils m’ont l’expression du sadisme, autant celui de certains
ramené…je ne suis rien…je ne suis rien dans cette ‘encadrants’, que celui des grands auxquels est déléguée
société » dira t-il en préambule… Son discours confirmera la compétence de corriger, ce qui permet en même
celui des précédents : ici, on prend la « pire fessée du temps, de négocier et gérer la peur qu’ils engendrent :
monde, que même en prison on ne peut pas donner… « 3 personnes viennent…le premier te ferme la bouche
ils prennent le tuyau madame, et commencent à nous pour ne pas crier, le deuxième t’immobilise les pieds
frapper de façon aléatoire.. après ils se mettent à frapper… »

109
Synthèse
Malgré les ‘amputations’ effectuées dans la restitution En revanche, les expressions du corps, les kinesthésies,
des récits, et l’impossibilité de relater l’ensemble des le niveau de concentration, et des investissements (jeux,
témoignages, se perçoivent ici, scolarité, relations) sont susceptibles de renseigner sur
les problématiques d’enfants.
• Les vécus de l’abandon, avec de façon quasi
systématique, une blessure profonde à partir d’un Ici, chez les jeunes enfants rencontrés - à côté d’un
certain âge, avec l’adolescence comme période à risque discours spontané relatif à l’hygiène, à l’alimentaire, aux
majeur. fréquentes relations de rivalité au sein de l’institution -
l’instabilité, l’hyperactivité ou à l’inverse la passivité, et
• Les vécus inhérents aux différentes modalités
le discours relatif à la qualité du sommeil, ont été les
d’abandon  : ceux consécutifs à un abandon de rue,
indicateurs les plus fréquemment utilisés pour rendre
ceux attribués aux conditions socio économiques de compte de la souffrance de l’enfant.
parents en vie, ceux consécutifs aux drames familiaux,
dislocation de la famille, couple en situation de violence Ces comportements existent majoritairement, chez les
ou de rupture…et non reconnaissance de l’enfant par le jeunes qui ont été séparés de leur premier environnement
père. et qui connaissent un choc brutal dans la rencontre avec
un environnement hostile.
• Les vécus associés au placement,
Le passage, de la crèche vers l’orphelinat.
• Aux différentes formes de placement : L’institution de la première enfance - avec ses gestes de
• ‘La kafala du secret révélé’  : l’ensemble des récits tendresse, de sollicitude, d’assistance et de réconfort,
indiquera que ‘plus que l’abandon’, ce type de modalité quelles que soient par ailleurs ‘les qualités objectives’ de
entraîne un risque majeur pour la psychologie du sujet, la prise en charge -, devint positive dès lors que l’enfant
enfant, adolescent, adulte. fait l’expérience d’un environnement qui le réveille
brutalement. Il décrira souvent ce passage comme une
• Le placement dans une institution d’enfants en bas transition vers un ‘monde animalier’.
âge, avec un différentiel signalé en matière de prise en
charge, et, en fonction des structures, des possibilités Ces structures, signent l’entrée dans ’une seconde
de nursing et de transmission d’affects. Ces possibilités étape’ clairement identifiée. Cette seconde étape, qui
‘même brèves, partielles’ sont susceptibles de ‘sauver’ peut s’accompagner d’une troisième et d’une quatrième,
l’enfant de la pathologie dépressive. est toujours présentée comme une rupture.

• Et le passage vers l’institution de la ‘maturité de six Si l’enfant en bas âge se révèle en difficulté pour
ans’, avec des différenciations attribuées en fonction traduire son ressenti lors de ‘la séparation’, tout adulte
de l’environnement, ‘hard’,’soft’  : dans le présent, et ayant connu ce type d’expérience, l’identifiera comme
considérant les structures visitées, une profonde remise un bouleversement de son champ de représentations,
en question est nécessaire. une fracture véritable, une ‘déflagration qui résonnera
souvent toute une vie’ laissant des traces puissantes, à
• A travers les histoires de vécus, la blessure de des niveaux de structuration identitaire, de relations et
l’abandon, a été commune à l’ensemble des interlocuteurs d’investissements. (Ces ruptures réveillent la souvenance
rencontrés, quel que soit leur âge, l’institution qui les a de la première, renouant avec la question du trauma).
recueillis, ou la famille adoptive ‘qui les a trahis’.
Ces fractures sont d’autant majeures que l’environnement
Cette blessure ‘toujours présente’, est différemment d’accueil, est violent, à différents niveaux, menaçant
formulée, diversement gérée, en fonction des âges, pour l’intégrité psychique et physique de l’enfant.
des circonstances et des moyens utilisés, humains,
Dès l’âge de six ans, le plus souvent sans préparation,
relationnels et affectifs principalement, pour la rendre
l’enfant se décrit comme saisi tel un objet, déplacé vers
plus ou moins ‘supportable, vivable’ ou plus ou moins
un environnement inconnu, peuplé d’individus ‘hostiles’,
‘infernale’. Les ‘filles’, davantage que les ‘garçons’
sensiblement ‘moins attentionnés’ et mené malgré lui, à
‘s’adresseront’ à leurs mères naturelles auxquelles
développer une autonomie de survie. Ce déplacement ne
‘elles ne pardonnent pas’. Les garçons tendent à la
concernerait pas tous les enfants : certains d’entre eux,
rechercher.
pour des raisons essentiellement subjectives, resteront
La blessure est relativement peu perceptible dans le des années durant, dans leur univers protecteur de la
langage, chez les populations jeunes. première enfance.
Celles-ci fonctionnent encore sur un mode opératoire de En tout état de cause, le ‘malchanceux’, se vivra seul,
la pensée qui ne leur permet pas réellement de formuler livré à lui-même, nécessitant dans cette autonomie
leurs difficultés ou ressentis, dans un langage audible. de survie, de développer des aptitudes de défense et
Ce langage là pour être ‘entendu’, nécessitera souvent d’attaque, des réponses à des violences sexuelles et à la
d’être décodé et interprété. maltraitance institutionnelle.

110
Si à travers les récits, une différence très sensible est C’est justement contre cette impression d’être rien pour
identifiée, entre l’avant et l’après des institutions du l’autre, que l’enfant, l’adolescent, l’adulte abandonnés, luttent
premier âge, celles du second âge sont encore aujourd’hui en permanence.
et généralement, présentées comme violentes et
L’exemple de la prise en charge SOS est apparu comme le
‘terrifiantes’.
plus structurant, le plus respectueux de l’enfant, et de ses
En fonction des structures, dans le présent, et au travers du droits.
vécu, une série de difficultés présentées comme entraves Ici également les ruptures existent, d’un village à l’autre, d’une
au bien-être, et au développement des personnes : mère à l’autre :
Carences affectives et insuffisance alimentaire ; L’institution prend en charge cependant, l’enfant, dans la
Hygiène et salubrité défaillantes ; durée, jusqu’à l‘âge adulte. Dans les récits restitués, aucun
vécu de maltraitance ni de violence institutionnelle n’ont été
Violences sexuelles, entre pensionnaires ; signalés.
Violences physiques entre pensionnaires : ‘les grands’ Au travers des récits, se dessinent les exigences attendues
Violences psychologiques entre pensionnaires  : la peur en matière de prise en charge institutionnelle de l’enfance
des grands ; abandonnée :

Maltraitance par les équipes pédagogiques et/ou • En vue de leur assurer dignité, protection et conditions
l’encadrement : la maltraitance revêt par ailleurs différentes de développement, une urgence en termes de vision,
formes, par négligence, par absence de compétence, par d’organisation et d’environnement des structures en charge
exercice de violence… de l’enfant et de l’adolescent.

Certaines structures décrites, pêchent par ailleurs, comme • Au sein des structures, de nombreuses dérives sont
indiqué plus haut dans ce rapport, essentiellement par identifiées, liées à des mécanismes d’aliénation, à des
défaut de loi et de continuité. Les moyens financiers ne difficultés de penser la prise en charge de l’enfant, à des
insuffisances de moyens, outils, encadrement, mais aussi à
font pas souvent défaut  : les centres sont décrits, côté
des types de gestion, à des attitudes formelles et à la crainte
victimes, comme fonctionnant avec des aides diverses,
du regard extérieur.
et les bienfaiteurs abondamment cités. Des bienfaiteurs
auxquels par ailleurs, l’institution pour traduire sa gratitude, Dans sa fonction d’autorité supérieure, l’Etat est ‘attendu’,
réserverait un accueil décrit comme artificiel, cherchant à afin d’organiser, planifier, conduire, diriger et contrôler la
camoufler les dysfonctionnements véritables et organisant prise en charge.
des mises en scène, en utilisant les pensionnaires, ‘soudain • L’élaboration d’une politique avec une vision projets
investis’. -programmes, objectifs, moyens, outils, indicateurs de
Malgré cela, chez les instances dirigeantes, le souci de performances- l’accompagnement des structures d’accueil,
satisfaire les pensionnaires se laisse deviner : ‘aux jeunes, la mise en place de cadres structurants pour des populations
les institutions offrent soutien scolaire, choix d’écoles, à risque, la mise à disposition de supports de régulation et
des activités, répond à des demandes spécifiques de d’échanges, sont nécessaires pour préserver le droit de
pensionnaires, aux grands’, ‘aux aînés’, elle offre aide l’enfant, le protéger de l’exclusion et de la dérive, sociale et
financière, aide à l’insertion professionnelle… une série psychologique.
de moyens, quelquefois ‘trop’ de moyens, en vue de les • Au sein des structures d’accueil de l’enfance abandonnée, il
satisfaire (et probablement dans une vision candide de la est par ailleurs, nécessaire de mettre en place des mécanismes
réparation) pour compenser le trauma. de supervision, visant à différencier les apports des uns et
Si dans le vécu de ces jeunes et adultes rencontrés, des autres des acteurs, ceux de l’opérationnel et ceux de la
technostructure.
privés de familles, orphelins, ou ‘mal adoptés’, la
grande blessure puise, • Il est fondamental enfin, qu’à travers ces histoires de
vécus, se perçoivent les besoins formulés par l’ensemble
au centre,
des personnes rencontrées : des espasces d’expression et
Dans la question de l’abandon et de la vérité des
d’accompagnement ; des intervenants internes stables, des
origines
figures externes susceptibles de faire fonction de substitut
A la périphérie, pour la maintenir et la renforcer, affectif, de les porter dans une dynamique qui projette
Les institutions jouent un rôle fondamental ‘l’inclusion, en réponse à tous ces déterminismes identifiés,
de l’exclusion.
La question des changements institutionnels ‘pour désengorger’,
laisser place aux entrants, fait de l’enfant, une chose déplaçable Mettre en place une dynamique qui conçoit aussi pour
en vue de ‘gérer le stock’, un objet interchangeable. l’enfant institutionnalisé, l’existence de familles d’accueil.

111
Auteur (e) s de l’abandon 3-2-Préalables à l’abandon, des attitudes
associées à l’environnement
3-1-Préambule
3-2-1-Les deux protagonistes de l’abandon
Les récits obtenus lors de l’étude, réalisés au hasard
et leurs contraintes
des intermédiations, compteront à la fois des abandons
anciens, datant de vingt ans et plus, et des abandons • Les attitudes et discours, masculins, féminins, et la
relativement récents. Ces rencontres ont même pu réalité ‘du sexuel’
permettre de surprendre ‘un abandon du jour’, ‘un
abandon probable’, un ‘abandon incertain’, et rendre Directement ou indirectement, le discours sur les
compte de la vulnérabilité de la mère, dont l’intentionnalité hommes ou formulé par les hommes ‘responsables’ de
reste majoritairement et au ‘moment des faits’, associée l’abandon, pointera un différentiel de perception, entre
à des éléments de contexte et d’environnement. les représentations qui les définissent majoritairement –
‘le monstre’, ‘le violeur’, ‘le violent’, le ‘manipulateur’, ‘le
Cette répartition opérée au hasard des contacts,
lâche’ – et leurs propres perceptions et vécus.
permettra de rendre compte en définitive, de différents
temps d’abandon avec leurs vécus. Ces vécus conduiront Tout comme les femmes, les hommes sont d’abord
à repérer, et ce, quelle que soit la période d’abandon, confrontés à une réalité première, celle de la difficulté
des éléments contraignants majeurs, ou perçus comme de reconnaissance d’une légitimité, du désir naturel,
tels, qui rendent difficile l’existence d’un couple parents/ de l’attrait sexuel dans la rencontre avec un partenaire de
enfant, ou mère/enfant. sexe opposé : l’interdit social, religieux, porté sur toute
relation sexuelle en dehors des liens du mariage, génère
Ces récits ont permis également, malgré l’appréhension
une série d’attitudes et de contre attitudes, servant à
initiale de la consultante préoccupée par le caractère
contrecarrer ‘cet obstacle’, dominées cependant par la
‘violent’ de sa demande, de percevoir qu’en dépit de la
peur et la culpabilité.
douleur exprimée par les unes et les autres des femmes
rencontrées, l’entretien a été considéré comme un Chez l’un, l’autre, le corps est avant tout un corps
moyen de verbaliser et d’élaborer pour la première fois social qu’il est difficile de s’approprier en totalité. Le
autour de l’épreuve solitaire de l’abandon. L’écoute sera corps ‘biologique’ est soumis à des règles : en disposer
considérée comme bénéfique pour la plupart de ces librement, l’écouter dans ses moments ‘d’enthousiasme,
femmes qui le formuleront ouvertement : « ça m’a fait d’affolement et d’amour’ ne peut se faire que dans le
du bien d’en parler, vous ne pouvez pas vous imaginer respect de ces règles, ou par la transgression.
combien » ; « merci, j’ai porté ça toute ma vie, sans jamais
Cette transgression est elle-même codifiée, soumise
en parler à personne » « je n’ai jamais parlé comme je l’ai
à des règles de discrétion, de dissimulation, ‘connues
fait avec vous, ça m’a fait beaucoup de bien » « c’était
de tous’, cependant masquées dans le respect des
un poids pour moi, j’avais l’impression que personne ne
convenances et de la forme.
pouvait me comprendre » « j’en parle pour la première
fois… la société ne vous épargne pas…  » «  les gens • Les attitudes et discours, masculins, féminins, et la
pensent que vous faites ça (l’abandon) comme bonjour » réalité de la grossesse
(facilement).
La situation de grossesse est une étape de révélation
Quant aux (rares) hommes rencontrés, ils formuleront qui confronte les protagonistes au choc de la vérité,
différemment leur sentiment, par du soulagement, avec avec confirmation de ‘passage à l’acte sexuel’ et de
une gratitude à l’égard d’un ‘regard nouveau’ porté sur transgression, ce qui les mène le plus souvent, à adopter
eux, non culpabilisant. des attitudes défensives qui les disculpent, les menant
Les contacts avec les hommes ‘auteurs d’abandons’, ont à cette étape, généralement, à s’opposer pour ‘survivre
été en effet, quasi impossibles à réaliser : ceux qui ont pu séparément’.
être rencontrés seront justement ceux qui ont pu ‘résoudre’ • Chez les hommes, pour faire face à cette révélation de
dans un second temps, un conflit avec la mère de l’enfant, la transgression, des comportements dominants :
à travers une solution administrative ou juridique. Le déni, la récusation, l’accusation, la fuite.

112
Chez les hommes aussi, la situation de grossesse les avancées’ : le problème qui sera soulevé ici, différenciant
confronte à la question de la liberté  : ‘un acte banal’, les sociétés entre elles, est relatif aux discriminations,
‘ordinaire, inhérent à la condition de l’humanité dans son aux questions du droit et de l’application de la loi.
ensemble’, se traduit par une réalité qui fait obligation,
De même la misère sociale, économique, qui conduit la
car dans le regard du corps social, seul le mariage
petite fille à travailler dès son plus jeune âge, ou à se
est considéré réellement comme une réparation, un
diriger vers la prostitution, est susceptible de changer
moyen de masquer le scandale de la transgression. De
de visage dès lors que le droit oblige à la scolarité de
conséquence possible, normale, d’une relation sexuelle
l’enfant jusqu’à un certain âge, et statue clairement, en
non protégée, -et ‘non responsable’- la grossesse
appliquant la législation sur le travail des mineurs, en
devient un affront à la vertu de la femme, à l’honneur
interdisant formellement le travail de la petite fille …
de sa famille, au corps social, et l’homme pointé comme
et du petit garçon, en gérant les conséquences sur la
responsable…
famille nécessiteuse, de ce type de dispositions.
La répartition ‘naturelle’ des rôles, fera que l’homme
Dans la grande majorité des situations, la question du
portera de plus en plus la responsabilité de la grossesse,
corps sera centrale  : un corps qui se maîtrise, qui se
pendant que la femme en portera les conséquences.
connaît, qui gère le compromis entre le désir sexuel et la
Cette responsabilité qui lui est conférée, grandira au réalité de la grossesse, en mettant en place des moyens
cours du temps, pour l’instituer dans une position qu’il a auparavant acquis, en matière d’éducation sexuelle,
négative dominante. Dans ces statuts négociés ‘en de contraception…ou d’interruption de grossesse.
amont’, il deviendra coupable tout en se libérant des
Ces structures évoquées, d’aide aux mères et enfants
conséquences, et la femme, toujours victime, en les
en détresse, sont cependant et dans le présent, les
portant.
seules modalités offertes qui rendent possible un
• Chez les femmes, la grossesse est le signe d’une compromis social entre la réalité et la prescription,
infraction flagrante à tous les codes  : si chez les qui rendent envisageable, la vie de dizaines de
hommes, la sexualité en dehors du mariage, est milliers de mères et d’enfants.
tacitement consentie, sa manifestation flagrante chez
En même temps, à travers la gestion de cette
la femme, est susceptible de changer le cours de son
problématique ‘superposable’, enfants abandonnés,
existence. La femme est en effet - dans un rapport
mères célibataires, se perçoivent aussi les évolutions
incomparable à celui de l’homme – soumise à l’opprobre
sensibles d’une société qui les reconnaît en leur offrant
collective, familiale et sociale, menacée d’exclusion, et
un cadre qui les abrite.
dans sa recherche d’issues, subordonnée à son statut,
économique, sociologique, didactique. Ainsi, les générations sacrifiées d’hier ont-elles permis
à celles d’aujourd’hui, de bénéficier d’une protection
Chez la femme malgré tout, des possibilités de déni de progressive, d’une reconnaissance partielle. Demain,
la sexualité consentie, offertes, encore une fois, par le peut-être davantage ?
corps social, à travers un statut de victime. Ce compromis
Il ‘faudra’ pour cela, qu’évoluent les représentations
lui permet aujourd’hui, de vivre une identité et un statut
qui définissent les conditions de la sexualité et de la
‘avancés’ -sinon respectables du moins viables-, en tant
normalité.
que mère célibataire.
Il faudra aussi que se mettent en place des mécanismes
Elle ira trouver refuge, hébergement ou prise en charge,
de contrôle qui visent à respecter l’application de la loi.
dans des structures dédiées en définitive - en proposant
une alternative, en usant d’arguments qui justifient Dans le présent, les deux sujets de la rencontre, homme,
‘l’erreur de grossesse’- à confirmer le diktat social. femme, sont toujours amenés à se conduire par rapport
à la question de la sexualité, conformément au destin
La femme basculera d’un environnement clos vers un
tracé dans les représentations sociales.
autre, transitera ainsi d’un ‘régime de pensée totalitaire
à un autre’, mais pour pénétrer et s’enfermer dans le • Premier vecteur d’abandon : la question du cadre
second, elle devra confirmer un discours qui l’institue légal, d’expression de la sexualité
en tant que victime, niant toute attitude éventuelle de Aussi, en dehors des situations identifiées, de fragilité
consentement, niant tout sentiment de plaisir et de mentale et de pathologie psychiatrique, de contraintes
désir. Certaines de ces structures qu’elle intégrera financières majeures menant les parents à placer leur(s)
lui confirmeront en effet, indirectement, la nécessité enfant(s), le rapport de dénégation de la sexualité,
de s’inscrire dans le discours indispensable de la de l’amour, sera considéré comme premier vecteur et
culpabilité. mécanisme d’abandon d’enfants :
Conséquences de problématiques affectives et En ne permettant pas à la femme, à l’homme, de se
d’histoires spécifiques d’individus, le viol, l’inceste reconnaître comme partenaires dans le désir, dans leur
existent en effet, représentés de la même manière dans sexualité, il tronque tous les rapports ultérieurs qu’ils
la société marocaine comme dans les sociétés les ‘plus sont susceptibles d’entretenir.

113
Il les mènera à se méfier l’un de l’autre, à se décevoir, à Avec sa censure et ses résistances aux lois,
se piéger mutuellement, à interpréter des rôles qui les
Avec ses représentations solides et ses discriminations,
protègent de l’exclusion, à s’exercer dans les sphères
qui installent la domination des hommes, la subordination
de pouvoir qui leur sont attribuées, à se violenter
et la terreur des femmes,
quelquefois…en laissant des traces que les récits
obtenus ici, traduiront de manière éloquente. Ce corps social veille, au risque de perpétrer et de voir
évoluer l’abandon qu’il abordera alors, par culpabilité ou
Ce rapport à la sexualité est tel qu’il entrave une
contrainte, avec un regard ‘compatissant et charitable’.
perception positive de la contraception  : prévenir la
grossesse confirme le délit de sexualité, institue la L’abandon d’enfants, devient alors le prix à payer pour
femme fautive, prostituée, et pérennise l’immaturité des éviter la remise en cause des institutions où la sexualité
relations sexuelles. se vit, un jour comme un interdit majeur, et l’autre,
‘Tomber’ enceinte, abandonner l’enfant, devient alors comme une offrande, objet d’une consécration collective
possible quand rien n’est plus possible. sacralisée.
Abandonner l’enfant devient possible aussi, quand dans 3-3- Récits d’auteures d’abandon
son histoire affective, relationnelle et sociale, tout a été
agencé pour que cela soit possible. Les histoires relatées ici, d’auteur (e)s d’abandon sont
Abandonner l’enfant devient enfin possible, lorsque tout succinctes, cependant susceptibles de rendre compte
se mêle, les histoires, de l’un, de l’autre, leurs peurs, leurs à la fois de vécus, de causalités premières, mais aussi
supports familiaux et sociaux, leurs moyens didactiques des réponses de l’environnement, familial et social, face
et financiers, les solutions qui leur sont offertes. à la situation de grossesse d’une jeune fille/ femme en
En tout état de cause, le corps social veille, faute.

114
Fathia et la peur des hommes
Dans cette région où l’événement a eu lieu, ‘au La justice s’en mêle, en même temps que père et frères de
moment des faits’, il y a ‘longtemps’, filles et garçons, F. La mère est répudiée ‘avec ses filles’ et ‘déménage’…
‘ne pouvaient pas se rencontrer’. Aussi les rencontres l’enfant placé en orphelinat, puis rapidement, ‘grâce à
étaient-elles clandestines, ‘opérées dans des refuges’, une intervention’ ‘muté’ vers une famille d’adoption. Le
à l’abri du regard d’autrui, mais favorables cependant
scandale sera rapidement étouffé par le père lui-même,
à ‘plus d’intimité’, avec les risques qui en découlaient.
soucieux de sa réputation, qui ‘a le bras long’ et ‘des
C’est ainsi que Fathia a débuté son aventure d’abandon.
Une relation avec le fils des voisins, âgé de trente ans, frères dans l’administration’.
aboutira à une grossesse vécue alors comme ‘effrayante Aujourd’hui âgée de 36 ans, F n’a plus eu des nouvelles
et dramatique’ alors qu’elle était âgée de 16 ans : d’un enfant rejeté avant sa naissance et dont le sort
par-dessus tout, elle craignait les représailles de son avait été réglé par la grand-mère. Fautive, responsable
père et de ses frères. Informé de l’état de grossesse de du ‘déshonneur qu’elle a provoqué’, F n’avait, dit-elle, eu
sa partenaire, comme souvent repéré lors des récits, le ni le loisir de le sentir pendant la phase de grossesse, ni
père de l’enfant prend peur, promet, puis rapidement, celui de le regarder à la naissance. Elle évoquera surtout
fuit la région « pour ne plus y retourner ». A cinq mois lors de l’entretien, la terreur des hommes de la maison,
de grossesse, F finit par se confier à sa mère, puis à
les violences de son père, à l’encontre de sa mère,
ses sœurs, lesquelles, ‘après le choc’, et les tentatives
celles de ses frères à son encontre, comme conditions
d’avortement traditionnelles, deviennent complices
malgré elles. Elles contribueront ainsi à camoufler la qui l’ont poussée, naïvement dit-elle, à rencontrer un
grossesse pour permettre à F de rester auprès d’elles… homme «  plus doux  », susceptible de lui donner «  un
mais ‘très tôt’, projettent l’abandon. peu d’affection », une affection qu’elle « n’avait jamais
connue ».
F accouche à l’abri des regards, et le jour même de
la naissance de l’enfant, ‘les femmes’ sortiront la nuit Elle semble dans le présent, avoir dressé un mur d’affect
pour abandonner le nourrisson dans une poubelle entre elle et l’enfant qu’elle a porté, l’excluant de son
en prenant soin de le couvrir des restes du repas du champ de représentations, mais depuis, en revanche, se
midi. L’intentionnalité exprimée par les femmes est décrit dans une culpabilité constante par rapport à sa mère
mortifère : ‘l’enfant fruit du pêché et de la honte’, enduit
et à ses sœurs, dont aujourd’hui encore, comme ‘ouvrière
de semoule, aiguisera l’appétit des chiens et disparaîtra
gradée’, elle assure la charge pour se racheter. « Mon but
en même temps que le secret de sa naissance. Mais les
dans la vie est de me faire pardonner …je resterais avec
chiens se rueront sur la semoule et épargneront le petit
garçon qui se découvre. Le lendemain matin, repéré par ma mère jusqu’à la fin… je travaille dur…moi ? moi, j’ai
des personnes qui appellent les agents d’autorité, il fait fait une croix sur tous les hommes…aucun d’eux ne m’a
l’objet d’une enquête. épargnée », conclura t-elle, le visage fermé.

115
Safia une abandonnée abandonnante ‘suite’
à la vérité de ses origines.
Safia met en avant son statut de victime de violence Elle se marie une seconde fois et récidive, abandonnant
conjugale mais très rapidement, bascule pour enfant et mari violent.
reconstruire son itinéraire, avec le ‘choc des origines’, Aujourd’hui mariée pour la troisième fois, elle évoque
alors qu’elle avait vécu au sein d’une famille dont elle de nouveau la violence conjugale dont elle fait l’objet.
pensait qu’elle était la sienne. Safia n’apprendra la vérité Dans le récit, elle décrit une enfance ‘normale’ et le
que lorsque sa mère adoptive est décédée et que ses ‘cataclysme’, avec une impression de vide ‘sidéral’ après
frères entreprennent de la déshériter en amenant des la découverte de ses origines.
adouls et douze témoins. Safia ‘hurle, pleure, s’évanouit’
et depuis ce jour, à certains moments, perd son contrôle, Pour justifier cette violence chronique qu’elle subit,
‘convulse’ et sort errer… comme pour se punir elle-même, à chaque mariage, pour
justifier aussi, les séries de ruptures qu’elle déclenche,
Safia, ‘sans défense’, sera par la suite ‘victime d’un viol’, tout sera lié dans son discours, ‘au choc’. La connaissance
suivi de grossesse. tardive de l’abandon, qu’elle répète elle-même de
Elle accouchera avec la complicité de sa tante d’adoption ‘manière compulsive’, est vécue comme un événement
à laquelle elle abandonnera l’enfant. « c’est ma tante qui qui l’a dépourvue de confiance et de défenses, et laissée
s’est occupée de tout dit-elle, je ne voulais rien savoir ». s’abandonner à son tour, à la violence.
Plus tard Safia se marie, est ‘victime de maltraitance’, Safia laisse couler des larmes silencieuses tout au long
accouche d’un fils qu’elle abandonne à une femme en de l’entretien. A travers ses propos la douleur exprimée
demande d’enfant, puis divorce. mêle les abandons.

116
4-Jamila et la transmission de l’abandon
Jamila se décrit comme la fille d’un père abandonné, La protagoniste rencontrée, Jamila, se marie à son tour
devenu violent, et elle-même comme mère abandonnante. avec un mari décrit comme violent : elle justifie ainsi à la
Agée d’une trentaine d’années, ouvrière dans le textile, fois son divorce d’un ‘homme qui lui faisait peur dès qu’il
J a abandonné sa fille à la naissance, en vue, dit-elle, apparaissait’, et l’abandon de sa fille à la naissance : « tu
de ‘l’épargner du pire’ mais suivant les associations ne peux rien attendre d’un homme, ni père, ni mari, tous
qu’elle effectue elle-même, pour évoquer son itinéraire pareils…et ta fille, il vaut mieux la donner à quelqu’un
et justifier cet abandon qu’elle évoque comme un don. qui va bien s’en occuper, plutôt que de la faire souffrir
Le père de Jamila, M…est un enfant placé à l’origine : sa comme toi tu as souffert …  bien sur je pense à elle, il
mère ‘maltraitée par le père’, divorce de celui-ci, et part n’y a pas un jour où je ne pense pas à elle, mais quand
avec son fils, alors bébé. Le bébé est rejeté par la famille je l’ai abandonnée, j’ai pensé à elle plus qu’à moi  …je
maternelle qui consent à récupérer la mère à condition ne pouvais pas la malmener avec moi…la laisser traîner
qu’elle ‘se débarrasse’ de l’enfant. Le père le refuse à son chez des gens pour mendier ou pour faire le ménage…je
tour. Il grandira auprès d’une famille d’adoption, gardant ne l’ai pas jetée dans la rue, je l’ai laissée chez des gens
des contacts très sporadiques avec sa mère biologique. riches avec une très grande maison qui allaient lui donner
Plus tard, à l’âge adulte, ayant appris le décès de sa mère un avenir meilleur… ils ont déménagé… plus eu de leurs
biologique, il renoue avec sa famille maternelle, se marie nouvelles.. moi, j’ai perdu ma fille définitivement mais
à son tour, et répudie ‘rapidement’ sa première femme elle est heureuse, j’en suis sure… un jour elle deviendra
auprès de laquelle il se montre violent. Il se marie de quelqu’un d’important…peut-être médecin…c’est ça
nouveau, ‘bat sa seconde femme jusqu’au sang’ et sera qui me soulage…des fois, j’imagine que moi c’est elle
décrit par sa fille, Jamila, née de ce second mariage, et elle c’est moi… j’imagine qu’elle fait des choses à
comme un père très dur, «  parce qu’il a été rejeté par ma place… ce que moi je n’ai pas pu faire…c’est comme
son père et par sa mère…parce que lui-même n’a pas quelque chose de frais qui me soulage dans ma poitrine ».
connu la tendresse de ses parents ». (du baume au cœur)…

117
5-Samira et la violence domestique.
Samira est la sixième et dernière enfant de sa famille. Un jour, faute de moyens, dit-elle, S disparaît, laissant
Elle décrit un vécu de double violence, celle de la mère l’enfant dans sa famille ‘d’accueil forcé’.
à l’encontre des enfants, comportement qui dit elle, la (Elle apprendra par la suite, que l’enfant y restera mais
faisait uriner debout, terrorisée, et la violence du père à sera maltraité et plus tard, ‘tournera mal’).
l’encontre de sa mère. « toute mon enfance, j’ai eu peur,
et je me souviens que pendant la nuit, je tremblais de « je n’avais plus rien à lui donner, je n’avais pas d’argent,
tous mes membres et je pleurais…je mettais un coussin pas d’avenir…un moment j’ai même dormi dans la rue,
pour ne pas entendre mon père frapper ma mère… j’ai comme une chienne…. »
tout vu, les couteaux, les haches, le fouet, le sang couler, Samira, la trentaine, est à présent mariée depuis quatre
les fractures…chaque fois qu’il la frappait je tremblais ans mais ne parvient pas à avoir d’enfants. « Dieu m’a
parce que je savais qu’elle allait nous frapper ». punie depuis ma naissance en me donnant des parents
Sitôt adolescente, sous prétexte d’un apprentissage,, comme les miens et aujourd’hui il me punit pour mes
Samira fuit de plus en plus une vie familiale décrite fautes…j’ai abandonné un garçon…je ne mérite pas
comme insoutenable, puis au fur et à mesure de ses d’avoir des enfants….le chercher ? le récupérer ? ça veut
sorties, connaît des hommes auxquels elle ‘s’offre dire que je dois tout révéler à mon mari….si au moins
gratuitement’, «  pour se venger d’eux  », dit-elle. A la c’était une fille ! c’est plus facile pour un mari d’accepter
suite d’une aventure, elle tombe enceinte, dissimule une fille …je ne veux plus me retrouver dans la rue…
son ventre, accouche d’un garçon qu’elle place chez une je n’ai pas de formation, pas de métier…je ne veux pas
nourrice contre rémunération. C’est une femme que j’ai faire les choses [hram]…on m’a dit que mon fils était
rencontrée au hammam qui me l’a indiquée…elle l’a fait devenu un voyou…s’il me voit, il risque de me tuer pour
pour faire une hassana [une bonne action]… se venger ». Samira sanglote tout au long de l’entretien.

118
3-3-1- Facteurs de l’abandon
A la recherche des causalités de l’abandon
L’ensemble des récits restitués mène à considérer d’une Ces éléments précurseurs d’abandon décrits évoquent
part, donc, la conjonction de facteurs fondamentaux :
• L’existence d’une sexualité entre partenaires, • Ceux, liés à l’environnement religieux, sociétal, à
souvent consentie, quelquefois cependant favorisée ses contraintes mais aussi à ses représentations et
par la puissance de l’expression du désir masculin, qui, ses discriminations.
pour ‘satisfaire ce qui le domine’, utilise de moyens de
A travers ces contraintes en effet, émerge la question
persuasion efficaces, avec la promesse de mariage.
centrale de la place de la femme en société, enjeu de
Cette promesse se percevra également comme
attente majoritaire de femmes. Aussi, comme indiqué pouvoir entre ‘les hommes et les institutions’, objet et
auparavant, généralement, il s’agit de ‘passage à l’acte soutien de la tradition morale.
sexuel’ dans un cadre qui relève de l’interdit religieux, Ceux, liés à la construction de l’identité de
familial, social : le premier vecteur de l’abandon est donc l’individu : avec des facteurs ‘internes’ de causalité, qui
lié à l’environnement ‘d’exercice de la sexualité’. agissent principalement au niveau de l’édification de la
Par ailleurs, l’interdit qui frappe la sexualité favorise personnalité, une personnalité évoquée comme ‘fragile’,
non seulement l’abandon, mais aussi des modalités ‘vulnérable’ ou en attente de ‘compensation’ affective.
d’expression fortement représentatives, qui relèvent
de l’informel et exigent le soutien, direct ou indirect, • D’autres éléments de causalités se décrivent : en
de complicités féminines. Ces complicités sont elles- fonction des situations, ils seront singuliers, ou associés
mêmes ‘exigées’ implicitement par l’environnement. aux autres facteurs de causalité. Ces éléments se
perçoivent comme additionnels dans la mesure où seuls,
• L’existence d’éléments historiques récurrents,
ils ne pourront pas ‘fonctionner’ en justifiant l’abandon.
majeurs, qui relèvent des anamnèses familiales,
affectives et psychologiques  : des faits d’histoires, Le niveau d’éducation de la femme,
identifient en effet,
Le statut socio professionnel (femme de ménage,
• Des carences affectives vécues dans le milieu familial ouvrière),
ou engendrées par l’éloignement de ce milieu. ‘Les récits’
évoqués par ‘les petites bonnes’ notamment, indiquent Le statut socio économique de la famille d’origine,
davantage que les conditions socio économiques dans Les incidents de parcours comme l’incarcération de l’un
lesquelles elles se trouvent, des vécus de carences ou l’autre des conjoints. L’abandon s’accompagne ici, le
attribués à la ‘perte de leurs figures parentales’, à la plus souvent de placement en institution d’accueil, avec
carence affective subie au travers de cette perte. La des modalités plus ou moins transitoires.
rencontre à l’homme sera considérée comme un moyen
de combler un manque, compenser un besoin d’affect. Les pathologies psychiatriques de parents, la mère le plus
souvent, sont susceptibles de se traduire en abandons
• Des histoires d’abandon, vecus et / ou ‘générationnelles’,
et susceptibles de conduire au placement de l’enfant.
qui impactent sur l’individu, le rendent vulnérables, et
‘mené’ à répéter un fait vécu comme trauma. La prostitution  : l’exercice de la prostitution, ‘non
professionnelle’ essentiellement, peut également se
De façon plus transversale, et inhérente à l’ensemble
traduire par l’abandon de l’enfant.
des populations abandonnantes, des incidents liés à
une erreur de discernement quant aux conséquences Les mères ‘auteures d’abandons’ rencontrées, évoquent
de la sexualité. L’éducation, l’éducation sexuelle, se le plus souvent,
perçoivent ici en fonction des circonstances soit comme
• La culpabilité à l’égard de l’enfant abandonné, avec
‘défectueux’, ou absents, soit non assumés et non
intégrés en raison de la culpabilité qu’ils engendrent. des sentiments de ‘faute et de pêché’ dominants, qui
semblent soit les accompagner de manière ‘solitaire’
Les moyens de prévention font le plus souvent défaut au cours de leur existence, soit ‘impacter’ de façon
essentiellement parce qu’ils rappellent la ‘faute manifeste, sur leur projet de vie.
commise’. Lorsque les moyens financiers le permettent,
le recours à l’avortement, traditionnel ou ‘professionnel’ Chez la plupart des mères, le ‘trauma de l’abandon’
est abondamment utilisé, à des niveaux de représentation semble d’autant plus difficile à évoquer, qu’il nécessitera
informels, avec les risques majeurs que cela comporte d’être ‘secret’, enfoui dans les souvenirs individuels, et
sur la santé de la mère et de l’enfant. ‘non formulable’.

119
3-3-2 : De l’analogie mères célibataires,
auteures d’abandon.
Parmi d’autres histoires relatées, celle de Narjiss, 18 Les autres, assurées d’une prise en charge effective à
ans, rencontrée dans une structure dédiée à l’accueil différents niveaux, sont susceptibles de faire barrière à
des mères célibataires, et mère d’un garçon de 9 la répétition.
jours, est édifiante  : elle enseigne sur la complexité
• Ces éléments soulignent l’importance fondamentale
de la problématique de l’abandon, le croisement des
de la prise en charge de la femme enceinte, dans
facteurs de causalités, et en même temps, relativise
ces cas là, future mère abandonnante ou future mère
les ‘typologies sociologiques dominantes’ qui tendent à
célibataire. Une prise en charge globale et efficace de
‘associer un fait à une cause’.
la femme pendant la période de grossesse est apparue
Poignante sur un plan émotionnel, car rencontrée le jour comme susceptible à elle seule, de faire barrière à
de l’abandon, le moment de ‘la dernière’ tétée donnée ces ‘déterminismes’ précédemment évoqués, psycho
à l’enfant, une tétée entrecoupée de sanglots qui fera affectifs, économiques, sociaux, et de faire face aux
tressauter le bébé à chaque instant, cette histoire représentations familiales. En même temps, les acteurs
indique que Narjiss, fille d’un notable, éduquée en milieu de la prise en charge le confirmeront, le combat contre
‘bourgeois’ est, aussi, contrainte à l’abandon. les déterminismes, (internes notamment) est difficile,
nécessitant du temps, et le risque d’abandon palpable
L’abandon décrit, malgré le refus et la douleur de la jeune
‘un certain temps, un temps certain’.
mère, sera soumis aux contraintes familiales et sociales,
de moralité et de statut, exigées par les adultes, mère et 3-3-3 : Les pères de l’abandon.
sœur ainée et qui ont ‘déjà’ pris contact avec la famille
d’adoption. Les pères de l’abandon - en raison d’une difficulté
‘d’approche’ elle-même attribuée à des représentations
La jeune mère évoquera en même temps que son histoire qui condamnent les pères ‘abandonnants’ et les mènent
d’abandon, celle de son père, récente, et laquelle sera à se dissimuler -, auront été, au cours de cette étude,
décrite comme ‘son élément de causalité majeur’. et comparativement, très difficiles ‘à aborder’. (Trois
Un ‘père adoré’ avec lequel des liens de complicité et hommes rencontrés au total).
d’échange se décrivent comme importants, quitte la S’il est délicat d’établir ‘des diagnostics’ considérant le
maison, à un âge où Narjiss est susceptible de rencontrer faible effectif des ‘auteurs masculins’, il est néanmoins
des hommes. frappant de constater des attitudes systématiques  et
Sitôt la perte vécue, elle se précipitera en effet dans préalables, défensives, avant de formuler progressivement
les bras d’un homme, se ‘laisse violer’, en réalité se un profond malaise, et un vécu de souffrance.
livre sans défenses ni discernement, comme ‘guidée Ici aussi, une conjonction de facteurs internes et de
machinalement’. facteurs d’environnements,
L’homme décrit ‘ne correspond en aucun cas’, à ses attentes, Ici se perçoivent les exigences sociales à l’égard des
à son éducation, inadapté à ‘tout ce qu’elle a prévu’. hommes, avec des niveaux de préparation en relation
Partie à la recherche d’un homme qui lui fera revivre avec les moyens financiers, avec le statut et l’autonomie
l’abandon du père ? parentale.

• Mères de l’abandon et mères célibataires se • Il est nécessaire de rendre compte des pressions
ressemblent de ‘manière étrange’ par rapport notamment exercées ici en permanence sur les hommes et ce
aux facteurs internes de causalités : dès leur plus jeune âge  : les hommes sont menés à
se positionner en société, accéder à un statut avant de
ce qui distinguera l’une l’autre, c’est la ‘pratique de penser au mariage.
l’éloignement du milieu’ (ainsi retrouve t-on souvent des
femmes de ménages et/ou ouvrières déjà séparées de • Par ailleurs, préalablement, le plus souvent, un homme
leur milieu d’origine) une autonomie déjà expérimentée nécessite de confirmer ce statut d’adulte, à l’égard de ses
bien que relative, la force de conviction nécessaire qui leur parents en premier lieu, sa mère particulièrement : pour
permet d’accepter l’exclusion familiale et, naturellement assumer son statut d’homme adulte sans culpabilité, il
la présence de structures susceptibles de permettre une s’agira en effet, et au préalable, d’une manière ou d’une
vie mère enfant. autre, de ‘payer sa dette’ à l’égard de sa parenté.

Les unes, livrées à elles-mêmes, exclues de leur milieu Aussi ‘une grossesse non prévue, ‘non autorisée’ vient-
et de la société, sans structure susceptible de leur venir elle contrecarrer et bouleverser un programme et des
en aide à divers niveaux de prise en charge, économique prévisions établis depuis l’enfance.
et psychologique, sont ‘destinées’ à répéter une histoire
d’exclusion et s’inscrire ‘inévitablement’ dans leur • Par ailleurs, les chocs’ les ‘trahisons’, ‘les retournements’,
‘appartenance typologique’. ‘les mensonges’ évoqués par les femmes, lors de la

120
grossesse, mettant en cause la responsabilité exclusive • Conséquences de vulnérabilité  : violences,
des hommes sont à entendre, aussi, comme des vécus délinquance, fragilité psychologique, ruptures
d’échec par rapport à des attentes féminines. Si les viols affectives et rapports problématiques à l’autre sexe,
‘véritables’ existent, si certains partenaires ‘déménagent
répétition de la perte ou de l’abandon.
sans laisser d’adresse’, si d’autres promettent des
lendemains de mariage’, il est cependant ‘étonnant’ de Toutefois il est nécessaire de souligner que
rencontrer ces arguments de manière aussi systématique. ces éléments décrits de causalité, dans leur
Ils sont les seuls cependant, audibles dans le présent,
ensemble, ne sont pas déterminants, figés ‘une
pour permettre aux femmes de trouver place dans un
fois pour toutes’, en situation de réelle prise en
environnement qui par ailleurs ‘identifie ses paradoxes
internes’, en connaît les impacts potentiels, et ‘n’attend charge comme indiqué à travers l’exemple des mères
que ça’, pour s’autoriser à leur venir en aide. célibataires  : ‘même pauvres’, ‘petites bonnes’,
‘ouvrières’, analphabètes’, ayant vécu carences,
pertes et abandons, elles peuvent lorsqu’elles
sont accompagnées de manière professionnelle,
Synthèse :pour une approche causale, durable, déjouer les engrenages de leurs histoires
qualitative et globale de l’abandon respectives.
A travers des données statiques, des faits peuvent être
Le schéma de l’abandon, présenté ci dessous,
rapidement appréhendés comme causalités premières, et
constituer ‘les typologies d’abandon’ : précarité financière, indique un croisement dynamique d’éléments
analphabétisme, exploitation professionnelle… historiques, spécifiques à l’individu, internes,
externes, et d’éléments de conjonctures rencontrés
Considérés isolément, ces faits sont insuffisants, voire
par ce même individu dans un environnement
erronés, au regard du discours des auteurs et des
victimes de l’abandon  : des préalables existent, qui donné.
agencent la vulnérabilité première favorable à l’abandon. L’on signalera que ce schéma se retrouve dans de
L’étude menée permet d’identifier la pertinence d’une nombreuses problématiques qui ‘prennent naissance
approche qui aborde la thématique de l’abandon davantage dans la vulnérabilité et le plus souvent, conduisent à
à travers sa dynamique, son processus d’interférences, la vulnérabilité’1. Aussi, et à des fins de prévention,
son potentiel de consolidation, l’évaluation de son risque, sera-t-il nécessaire d’appréhender ce schéma
qu’à travers l’étude linéaire des conditions associées.
comme un chemin le plus fréquemment observé
La rencontre des auteurs comme des victimes, dessine qui conduit à différentes formes de ‘déviances par
dans la grande majorité des situations, l’existence rapport aux normes’, dont l’abandon. Les facteurs
nécessaire de conditions de vulnérabilité, l’existence
décrits, se renforcent les uns les autres, dans une
fréquente de conséquences de vulnérabilité.
chaîne signifiante pour l’individu qui les ‘reçoit et les
• Conditions de vulnérabilité familiale : violences vécues, interprète dans une attitude résignée qui le mène à
pertes des figures parentales, abandon, exploitation,
‘revivre sa fatalité’. Aussi majoritairement, le travail
culture du droit et discriminations ‘hommes femmes,
femmes hommes’. Ces conditions ont un effet sur le de prise en charge consistera t-il à s’inscrire dans
développement psycho affectif et fragilisent le une attitude qui ‘déjoue et contrecarre la fatalité de
‘moi’ de l’individu. la vulnérabilité’.

(1) Ce schéma identifié ici et spécifique à des situations d’abandons, a été


rencontré, similaire, lors d’une pratique clinique de la violence conjugale, des
populations carcérales, de la population mères célibataires, de la prostitution...

121
Facteurs internes Internalises

Dans l’histoire de l’individu, auteur d’abandon, Dans l’histoire du groupe, des éléments partagés
qui deviennent structurels et actionnent les attitudes
des faits se retrouvent de manière récurrente.
collectives.
Le cadre social et religieux prescrit la norme
Abandon,
de la relation à l’autre sexe et définit le caractère
Violence conjugale,
légal ou illégal, de la relation sexuelle.
Carences affectives, ‘pertes’
Action : impacts puissants et durables, de ce type
Maltraitance, négligence.
de prescription sur un ensemble de relations hommes
femmes. Ici, sur les attitudes en situation de grossesse.
Conditions d’impacts : ces faits deviennent
surdéterminés lorsqu’ils sont vécus comme tels
Force d’impact : puissante
par la personne qui les subit. Traduction : la transgression du cadre se fait de manière
informelle et en même temps, ne s’assume pas.
Mode d’action : ces faits fragilisent le moi de l’individu Culpabilité majeure avec impacts sur les modalités
et le rendent vulnérable à toute agression de prévention de la grossesse. les moyens
de l’environnement. de prévention sont appréhendés comme une preuve
du passage à l’acte de transgression.

Force d’impact : majeure. Spécificité des facteurs internalisés : un vecteur


puissant (et non facteur) d’abandon.Il entetient
durablement l’abandon.
Spécificité : ils ont une puissance qui leur permet
d’être autonomes, non associés d’autres facteurs. L’abandon appartient ici au registre de l’interdit :
il est conséquence de la peur, des hommes,
L’abandon appartient ici au registre du trauma. de la famille, du regard de l’autre.

L’abandon : un faisceau
de causalités internes, externes

Externes Conjoncturels

Facteurs d’evironnement. qui entretiennent des liens Facteurs liés aux capacités d’adaptation des individus
en société et/ou aux moyens dont ils disposent
fréquents avec l’abandon mais ne le déterminent pas.
pour y parvenir.
L’abandon est ici une conséquence directe associée
Niveau d’éducation
aux conditions de la personne. Il peut étre décidé
Niveau d’éducation sexuelle par la Loi, de manière transitoire ou durable
Statut professionnel dans l’intérêt de l’enfant.
Incidents de parcours comme la délinquance ou
Action : ces facteurs interviennent pour renforcer l’incarcération du parent qui conduit à l’abandon.

les facteurs internes et internalisés. Drames individuels : viol, inceste


Troubles psychiatriques majeurs
Puissance d’impact : consolidation Troubles de l’attachement
Prostitution

Spécificité : dépendants, auxiliaires. Handicap de l’enfant


Décés d’un ou des deux parents.
A eux seuls, ils ne peuvent favoriser l’abandon mais
Puissance d’impact : aléatoire, dépend des liens
le soutiennent au moment des faits.
entretenus avec les facteurs internes.

122
123
Chapitre 2

Prise en charge
de l’abandon
à la naissance
I - Analyse de l’éxistant
L’étude menée - au travers des visites de structures, Son futur sera par ailleurs déterminé par son état de
rencontres, échanges avec des acteurs impliqués santé : sain, il est susceptible d’être transféré plus tard,
dans la prise en charge - vise à rendre compte des à l’orphelinat ; handicapé, il est potentiellement destiné à
caractéristiques principales de l’offre effectuée en un séjour ‘illimité’.
direction de l’enfant, des conditions et moyens dont elle
dispose dans le présent, pour assurer la prise en charge • Le recueil de l’enfant dans une structure indépendante,
de l’enfant abandonné à la naissance. essentiellement gérée par le secteur associatif.
Différentes modalités de recueil existent dans le présent : Cette modalité d’accueil de l’enfant se différencie des
ces modalités justifieront en grande partie, à la fois les autres, dans la mesure où elle se destine de façon
discours des intervenants et les logiques dominantes de spécifique, autonome, solidaire et ‘sans contrainte vécue’,
prise en charge. à l’enfant abandonné. L’abandon est ici, ‘une spécialité
de l’association’ qui met en place une dynamique
I-1- Modalités de recueil de l’enfant particulière en faveur de solidarités qui bénéficient à la
en situation d’abandon prise en charge de l’abandon de nourrissons et bébés.
• Le recueil durable au sein des structures hospitalières
I-2- impacts des modalités d’accueil
Si dès l’abandon déclaré de l’enfant, l’hospitalisation sur la prise en charge de l’enfant
s’effectue de façon quasi systématique, au sein des
maternités (mères célibataires) ou de services de 1-2-1- Prise en charge en milieu hospitalier
pédiatrie (l’ensemble des enfants), c’est en premier La prise en charge hospitalière est sensiblement
lieu à des fins de prise en charge sanitaire d’urgence, et différente en fonction des différents moyens offerts en
d’investigation. matière d’accompagnement :
Cet accueil est cependant susceptible de se transformer • Structures, sans soutien, établies dans la nécessité
en séjour et lieu de vie, et en fonction des mesures et la contrainte
adoptées, de se traduire par une prise en charge plus
ou moins contestée par les équipes de soins, plus ou L’enfant est ici placé sur décision du Procureur du Roi, et
moins adaptée aux conditions minimales de protection ce, dès les premières heures de découverte de l’abandon,
de l’enfant. en pédiatrie, en maternité, à des fins ‘d’assistance à
personne à danger’.
• L’hospitalisation suivie d’une orientation vers une
structure de prise en charge au sein même du cadre Cet enfant en danger aura une place spécifique, dans la
hospitalier. mesure où il s’intègre à un environnement non attribué du
rôle d’hébergement, mais qui est ‘sommé’ de l’accueillir,
A un niveau de représentation territoriale, cette modalité
soigner et nourrir, pour une durée non déterminée. Ici le
d’accueil est apparue comme la plus fréquente. Ici,
sentiment de contrainte domine chez les acteurs.
l’enfant abandonné réside dans un local -ou une pièce- qui
lui est ‘réservé’ non plus à des fins sanitaires d’urgence, Une difficulté additionnelle ici  : les structures ne
mais de séjour, à durée plus ou moins longue, en fonction bénéficient d’aucun soutien pour répondre à des besoins
des capacités ‘qu’il offre, à être kafalé’. prioritaires et ‘vitaux’. Les dirigeants hospitaliers puisent
Un bébé handicapé, ou portant le nom de sa mère, ou plus ou moins profondément dans les moyens financiers
jugé disgracieux, ou présentant pour des raisons variées, attribués à la ‘santé’ et plus généralement, font appel à la
un obstacle à la kafala, risquera de séjourner dans son solidarité quotidienne des équipes. Il s’agit ici, d’assurer
environnement d’accueil pendant une période à ‘durée une prise en charge qui se concentre essentiellement
indéterminée’. sur la nécessité de survie de l’enfant.

124
Le réel de ces situations permettra de comprendre Aussi, en dépit de la solidarité du personnel, il ‘n’est pas
a posteriori les ‘positions hostiles’ de nombreux question’ ici de prise en charge réelle : au quotidien, la
intervenants de la santé, sollicités pour parler de priorité est accordée à la quête du financement ‘des
l’abandon, leurs mouvements d’irritation ou de colère couches, du lait’  ; l’usage du stock de vêtements des
‘franche’. Cette colère est généralement dirigée enfants des uns et des autres, servant à habiller les
‘contre ceux qui vous obligent, vous promettent, mais enfants.
ne vous donnent rien’. Elle s’associe également dans La mobilisation des acteurs, le type d’encadrement, le
le discours par la perception de gérer un problème qui potentiel de solidarité, mais aussi l’ampleur des tâches
relève du MDFS. Enfin, la contrainte est exacerbée par à assumer dans le cadre des missions et rôles attribués
la question de la responsabilité  : ‘sujet épineux’, objet à la santé, sont susceptibles de bénéficier à l’enfant, en
d’enjeux divers, l’abandon nécessite et au regard de la lui assurant soit des conditions générales d’existence,
loi, une ‘certaine vigilance’ des responsables au risque relativement ‘correctes’, ou en le considérant ‘sujet non
de les ‘interpeller officiellement’ comme observé lors désirable’, objet de soins minimaux, d’hygiène, de santé
de l’étude  : dans une structure visitée en région, en et de nourriture.
conséquence de ‘cette contrainte’, des enfants ont été
En conséquence des impacts prévisibles sur le
vus enfermés dans une pièce de 9 mètres carrés, dans un
développement de l’enfant  : enfants privés de famille,
local insalubre, et la clé détenue par le pédiatre, servant privés de langage, privés d’attentions et de marques de
à ouvrir la pièce uniquement pour changer et nourrir des prévenance.
enfants, dépourvus de toute stimulation sensorielle et de
nursing. L’un d’entre eux ayant séjourné pendant quatre Le bien-être de l’enfant, les stimulations sensorielles de
ans, sera décrit comme n’ayant pas accédé à la parole l’environnement, la parole qui fait lien avec la gestuelle
durant son séjour. de soin à laquelle elle donne sens, paraissent ici des
concepts théoriques.
L’urgence et la mission prioritaire ‘auto attribuée’ de
« Ce n’est pas le problème de la santé…je n’ai rien
manière consciente ou inconsciente par les intervenants
à vous dire…c’est pas moi qu’il faut voir mais Mme
est de prévenir la mortalité de l’enfant. La seule
Skalli…nous on soigne mais on n’héberge pas…
perspective de vie offerte à l’enfant, est encore une fois,
c’est grave…c’est un immense problème... l’Etat
la prise en charge en kafala.
nous colle l’abandon, ça ne relève pas de notre
ministère mais des affaires sociales…  » • Structures, sans soutien, établies dans la nécessité,
qui font face à la contraint
Une infirmière du service pédiatrie, « moi je règle ça
à la base, quand une mère célibataire vient et veut Risques humanitaire, sanitaire, psychologique
abandonner son enfant…je lui dis non prends ton Ces structures sont dominantes, et se retrouvent
fils, je n’ai pas d’endroit pour lui…fais en ce que tu représentées dans l’ensemble du territoire. L’enfant est
veux mais ne me le laisse pas »(! ) placé sur réquisition du Procureur du Roi, au sein d’une
unité hospitalière, (pédiatrie ou maternité) et après les
« ils vous disent prenez le on va trouver une solution,
soins intensifs d’urgence, systématiques, orienté vers
et après ils t’oublient, à toi de te débrouiller pour
une structure qui ‘lui est dédiée’, à l’intérieur même des
leur donner à manger » « ils te promettent des tas de
unités de soins. Il est susceptible aussi, de façon moins
trucs quand toi tu leur dis je ne peux pas, et après,
fréquente, de résider dans un environnement qui lui est
toi… va chercher le lait, va mendier, va supplier…tu
dédié, toujours à l’hôpital, mais externe, dans un autre
perds ton temps à pleurer alors qu’il faut s’occuper
bâtiment, ou local, réservés ‘aux enfants abandonnés’.
de l’enfant, l’aider quand même à bien grandir dans
ce milieu » « quand ils veulent placer l’enfant, ils Ici les acteurs tendent à reproduire les mêmes
te promettent un budget, ils te disent ceci et cela, représentations que précédemment (missions prioritaires
après… ils ne se souviennent même pas de ton de la Santé) mais se différencient, en évoquant davantage
existence ». la question du risque pour l’enfant : risque humanitaire
(incompatible avec le respect du droit de l’enfant au bien-
être, environnement inadapté à son évolution) risque
• Conséquences sur la prise en charge de l’enfant sanitaire (contagions, épidémies…) risque psychologique
Ce type de structure hospitalière, (inhospitalière) s’il et sensoriel, autant au niveau du cadre d’accueil de
n’est pas fréquent, existe ici et là, moins dramatique l’enfant, qu’au niveau des limites qu’il connaît dans
cependant, lorsqu’il n’existe pas de concours associatif ses modalités de relations, et modes d’appréhension
susceptible de prendre le relais d’une ‘Santé’ mise à de l’environnement. Ici donc, c’est davantage le cadre
mal par rapport à ses missions prioritaires (urgence, qui sera perçu comme hostile, souvent attribué d’une
soins, prise en charge médicale) et menée à prendre contenance globale invalidante pour le développement
seule ici, la responsabilité de l’enfant abandonné. de l’enfant (blouses blanches, sonorités inquiétantes,

125
‘hurlements de femmes qui accouchent’ notamment ‘3X8’, selon les structures), afin d’assurer une prise
au voisinage des maternités, et qui ‘font sursauter en charge permanente, posant donc le problème de
les enfants’, cacophonies lors des visites suivies de la rémunération du personnel, partie intégrante du
silences. fonctionnement d’une association, et ‘gros morceau’. En
réponse, comme solution et préoccupation majeure, la
Ces ‘résonances hostiles’ du milieu externe seront
sortie de l’enfant à travers la kafala.
perçues comme d’autant plus problématiques qu’elles
ne sont pas accompagnées de parole. Comme réponse, Au sein de ces structures également, les effectifs
assez souvent : « que voulez vous qu’on leur dise, ils sont d’enfants porteurs de handicaps, s’accumulent au cours
encore petits, les pauvres, ils ne comprennent rien ». des années et contribuent à un sentiment souvent
formulé, de débordement.
Conséquences sur la prise en charge de l’enfant
Le soutien associatif est (très) réducteur de tensions et 1-2-2-Structures associatives indépendantes
de perception de contrainte : ici le ‘discours hospitalier’ des centres hospitaliers.
évoquera le partenariat de deux entités, un partage de A proximité ou éloignées des hôpitaux, ces structures
‘responsabilités’, l’un des intervenants fournissant le se distinguent entre elles, par leurs, capacité d’accueil,
local, détachant un à deux ‘techniciens’, l’autre assurant notoriété, histoire dans l’abandon… et se différencient
le ‘reste’ du fonctionnement, gérant le quotidien, des autres, par la nature de la relation établie avec le
(l’essentiel) la nourriture du premier âge (les enfants secteur hospitalier  : celle-ci concerne majoritairement
plus âgés bénéficient assez souvent de l’alimentation la prise en charge d’urgence effectuée à l’abandon,
de l’hôpital) la prise en charge de l’enfant à travers un pour réanimation, pour établissement de bilans, et
personnel dédié, recruté et rémunéré par l’association. ponctuellement pour vaccination et certains examens
La prise en charge associative soulage les équipes et a gratuits.
donc comme premier impact, de changer le regard sur
Si tout enfant abandonné, est dans le présent,
l’enfant.
systématiquement pris en charge sur le plan médical,
Dans ces situations, le corps hospitalier se détache du à la naissance, ou en situation de souffrance et de
quotidien et de la prise en charge effective de l’enfant demande de soins, les examens spécialisés, bilans,
abandonné, mais assez souvent, la question du local prises en charge spécifiques d’enfants en difficulté ou
(lorsqu’il est grand notamment) se pose  : une prise en handicapés, sont, en revanche, généralement assurés
charge de l’enfant en dehors de l’hôpital est susceptible par les associations.
de ‘vider l’espace’, permettre aux structures hospitalières
Ces prises en charge associatives sont coûteuses  : le
de réaliser des projets en suspens et ‘d’occuper leur
temps d’exposition lors des abandons de rue, les lieux
territoire’.
et modalités d’abandon (poubelles, gares, endroits
La prise en charge de l’enfant par les structures protégés ou exposés) se traduiront le plus souvent,
associatives, est ici dépendante des moyens de par des dysfonctionnements divers (souffrances
l’association, de son dynamisme, du niveau d’implication respiratoires, dermatoses sévères, déshydratation,
de ses membres, mais aussi de l’effectif des enfants carences..) susceptibles de provoquer des handicaps
recueillis et de la réponse des institutionnels dans la (souffrances cérébrales avec séquelles). Si les procédures
gestion de la kafala. de réanimation d’urgence avec une hospitalisation de
• En fonction de ces différents aspects, les réponses longue durée sont réalisées par le secteur de la santé,
associatives en matière de prise en charge varient de le handicap, lui sera géré essentiellement par les
manière sensible et le discours plus ou moins dominé associations.
par le ‘stress’. Cette gestion est d’autant plus lourde, qu’elle est
Dans cette gestion du stress, les structures de petites coûteuse, ne relève pas des ‘compétences du secteur’,
tailles, à effectif réduit, dotées de moyens, de personnel, et ne bénéficie généralement pas d’une aide des
sont apparues comme les mieux protégées. institutionnels en charge du handicap, à la mesure des
exigences.
A l’inverse, les structures à grande taille, à capacité
Les structures associatives mobilisent des acteurs de
d’accueil importante, seront, elles, généralement
la société civile, actionnent la solidarité de personnes
dominées par la tension liée à leur potentiel de réponse
privées et d’institutionnels, pour contribuer à la prise en
à l’ensemble des difficultés qui se posent au quotidien,
charge de l’enfant abandonné.
avec la nécessité de ritualiser la prise en charge.
Leurs, implication et dynamisme, se traduisent à des
Ici se poseront les questions prioritaires, d’alimentation
niveaux variables de prise en charge :
de l’enfant (‘les couches et le lait’ reviennent redondants,
dans l’ensemble des discours), les rituels de soins • Le choix d’exercer au service de la cause : l’enfant n’est
et d’hygiène, avec du personnel quantitativement plus une ‘contrainte’ exercée ‘par des tiers’, mais un sujet
représenté, mais fonctionnant en équipes, ( ‘2X12’ ou que des individus choisissent d’accueillir et accompagner.

126
• L’investissement principal de l’abandon, avec un Le premier type de prise en charge assuré et les premiers
potentiel des ‘membres’ des structures d’accueil, à se gestes, médicaux, s’adressent au corps de l’enfant : ce
percevoir parents symboliques de l’enfant, défenseurs type de dispositif sera lui-même identifié comme une
de son existence et nourriciers. Cet investissement avancée considérable en matière de prise en charge de
(d’impacts ‘positifs et négatifs’) se traduit, l’abandon.
Indicateurs :
Par un ‘projet de vie à l’égard d’un enfant projeté de
mort’, La diminution sensible du taux de mortalité, (‘sauf
exceptions de régions’) ‘relativement similaire’ aux taux
Par une quête incessante de moyens en mesure de lui observés chez les enfants non abandonnés, est l’un des
assurer la vie, principaux indicateurs du progrès réalisé.
Par des avancées considérables en matière de La prise en charge alimentaire  : dans le présent, les
préservation de la vie de l’enfant, enfants ‘sont assurés de l’alimentaire’ ;
L’hygiène corporelle de l’enfant et celle de son
Par des revendications entendues par les institutionnels
environnement d’accueil sont le souvent conformes aux
et abouties,
normes.
Cet investissement impactera également sur leurs Une grande majorité de structures visitées indique que
capacités de distance et les relations qu’ils sont ce premier niveau de prise en charge, est ‘maîtrisé’.
susceptibles d’entretenir avec l’extérieur, notamment :
Cette maîtrise devra cependant tenir compte de la
Une tendance à transférer la pression qui s’exerce sur précarité consécutive aux moyens des structures en
eux en permanence, en vue de sauver l’enfant (aussi la charge de l’abandon : comme observé durant l’étude, il
kafala est-elle ici signe de réussite par rapport à l’objectif est toujours possible, qu’en dépit de ses, notoriété et
de vie ‘pensé’ en faveur de l’enfant) ; dynamisme, une structure soit en situation de rupture de
Une tendance à récuser tout regard susceptible de lait et/ou de couches avec les impacts rapides que cela
questionner les pratiques et prises en charge proposées peut avoir au niveau de l’enfant.
à l’enfant : distance et questionnements se percevront • Le nursing
majoritairement comme ‘remises en cause, accusations,
attaques, annulations des efforts fournis’… destitution En fonction des structures de leur taille, des partenariats
de leur fonction choisie de ‘parents symboliques’. et des conventions avec le Ministère de la santé, et/
ou de l’entraide Nationale, sont établis pour détacher
Aussi habituellement le manque de lait ou de couches, le un personnel dédié au sein même des structures
décès d’enfants, interpelleront les acteurs très impliqués, associatives.
dans ‘leurs capacités à être bons parents’, ce qui
quelquefois les mènera à adopter une ‘certaine pudeur’, Ce personnel est susceptible dans certaines structures
jusqu’à dissimuler l’insuffisance alimentaire, la carence hospitalières, de bénéficier à l’ensemble des enfants
affective et les troubles, fréquents, du développement malades, ‘au détriment de la population prioritaire’.
chez l’enfant. Ce personnel -notamment pour les structures à grande
Le secteur associatif de l’abandon, et considérant capacité d’accueil- est cependant toujours insuffisant.
ses nombreuses contraintes est sans cesse mené à Aussi les exigences de nursing sont-elles apparues
lutter contre l’échec, et en conséquence, contre ‘sa comme qualitativement et quantitativement peu
dépression’. représentées, tributaires à la fois des effectifs de
personnel et d’enfants résidents en institution.
1 - Types dominants de prise en charge
Ces deux types de prise en charge, sont effectués,
L’hôpital reçoit l’enfant sur réquisition du Procureur du
le plus souvent, dans un cadre qui conçoit l’enfant en
Roi pour soins d’urgence, bilan et placement ‘provisoire’.
situation de transit et en conséquence, ne prévoit pas sa
Lorsque les conditions le permettent, il est par la suite
prise en charge dans la durée.
orienté vers une structure d’accueil et de prise en
charge. L’enfant, muni de son certificat de santé, est Ce cadre visera donc à gérer également la prise en charge
accompagné de la surveillante générale de l’hôpital (ou de l’enfant, à un niveau administratif.
faisant fonction) et de la police. • La déclaration d’abandon ou l’étape administrative
• La protection du corps Munie du dossier médical, et de la réquisition, l’assistante
Aussi au recueil de l’enfant, les premiers gestes, sociale entame les procédures d’inscription de l’enfant
viseront-ils à vérifier d’une part, le niveau de résistance (nom prénom…) rédige une demande au juge. Le juge
ou de vulnérabilité du corps au trauma de l’abandon, des mineurs établit que l’enfant est abandonné, joint au
et d’autre part à identifier l’existence de pathologies à dossier l’original de la réquisition de police et transmet le
risque (hépatite, sida…). dossier au Procureur.

127
Pour l’enfant trouvé sur la voie publique, une annonce La nécessité notamment pour les grandes structures, à
est affichée dans l’arrondissement où il a été découvert. opérer à une gestion quantitative de l’enfant, avec une
Il s’agira ici de vérifier notamment si l’enfant n’est prise en charge qui acquiert et pratique la ‘gestuelle
pas perdu, n’a pas été kidnappé, voire de permettre robotique’ : les nurses sont menées à ‘passer’ pour les
aux parents de revenir sur leur décision d’abandon. tétées, pour les changes, pour les soins, d’un bébé à
Cette étape d’annonce et d’affichage n’est elle-même l’autre, sans disposer des moyens, du temps et des cadres
possible que lorsqu’il y a un PV de police établissant les qui interrogent sur le caractère potentiellement agressif
circonstances d’abandon passant par l’arrondissement, pour l’enfant, de ce genre de gestuelle machinale.
la wilaya de la sureté Nationale et le tribunal. Les nurses en particulier, appelées assez souvent
Si les conditions sont requises, la période d’affichage mamans sans disposer du temps et de la stabilité de prise
durera trois mois, au terme desquels, si personne ne en charge nécessaires pour justifier cette appellation,
réclame l’enfant, le jugement d’abandon est prononcé. sont amenées à gérer chacune, un nombre allant de 2
(exceptionnel) à 22 (ou rare 40) enfants..
L’assistante sociale tient les registres sociaux où sont
consignés, un numéro d’identification, le sexe de Sur elles s’exerceront alors toutes les pressions et
l’enfant, les circonstances et lieux où il a été découvert, contraintes identifiées en amont, portées par les uns
(hôpital, voie publique, tribunal), et d’autres informations et les autres des intervenants : si ‘d’en haut’ se conçoit
‘qualitatives’ où il s’agira de tracer l’itinéraire de l’enfant un rituel de ‘prise en charge’, elles seront attribuées
placé en institution (repris par la mère, décédé, kafala, généralement, quant à elles, de ‘l’exécution sans
transfert vers d’autres structures). discussion’.

La procédure de kafala, nécessite la réalisation de quatre Ces nurses le plus souvent mal ou insuffisamment,
enquêtes (assistante sociale, police, autorités locales, rémunérées, gèrent par ailleurs plusieurs pressions à la
fois : celles des membres d’associations (ou responsables
affaires islamiques) sur lesquelles, isolément, le juge
hospitaliers), celles liées à leur statut, celles liées aux
des mineurs formule son avis. Par la suite il sera le
exigences de leur fonction, et celles liées aux ruptures
seul habilité à divulguer l’information relative aux noms,
consécutives au départ de l’enfant en kafala.
coordonnées des parents adoptifs.
Ainsi au travers de ces premiers éléments de spécification
du recueil de l’enfant abandonné, il est apparu important
de souligner les conditions préalables organisées autour II- Structures impliquées
de son arrivée. dans la prise en charge de l’abandon
2-1 Contraintes des acteurs dans la prise Comme mentionné lors de l’étude de recensement
en charge quotidienne de l’abandon de l’abandon, de nombreuses structures associatives,
d’aide et de soutien de l’enfant abandonné, ont été
Intervenants de la santé  : contrainte liée au recueil répertoriées. Celles-ci comme indiqué dans le chapitre
de l’enfant, et, souvent, ‘la peur de défaillir’ dans son précédent, varient, par leur taille, capacités d’accueil,
maintien en vie, moyens et potentiel perçu à se projeter dans le futur de
Secteur associatif : davantage de tensions, consécutives la prise en charge.
au prolongement de sa présence, et peur de l’échec Aussi l’histoire de la prise en charge de la question
consécutif à sa garde prolongée. de l’abandon, paraît elle importante à souligner  :
Ces contraintes vécues et attitudes s’analysent au des associations historiquement interpellées par
regard la problématique se sont structurées en réseaux,
élargissant leur intervention, les unes, à des niveaux
Des moyens de financements du quotidien du de représentativité territoriale, les autres, visant une
fonctionnement des structures (alimentation, entretien, extension de la capacité de prise en charge de l’enfant,
encadrement) ; en vue d’assurer une continuité qui se conçoit comme
Des soutiens ‘négligeables’ des institutionnels, indispensable au travers de la pratique.
De la nature ‘rudimentaire’ de l’organisation de gestion
des structures et de l’encadrement mis à disposition ou Ces structures ont généralement bénéficié du temps
‘recruté’. nécessaire pour acquérir de la notoriété, s’organiser,
élaborer des plans d’actions, des programmes
2-2 Impacts des contraintes d’intervention, des outils de communication et un certain
sur les modalités de prise en charge savoir dans la ‘gestion des entrants’.
Une prise en charge qui vise essentiellement à préserver L’on évoquera particulièrement, les ‘méga structures’,
le corps de l’enfant en vue de le faire sortir physiquement par leur ampleur, comme SOS village d’enfants, et La
sain, pour accueillir d’autres enfants en situation de ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, ou par
grande vulnérabilité et encore ‘les apprêter’. leur taille et les effectifs recueillis d’enfants abandonnés,

128
comme Fondation Rita Zniber et l’association Al Ihssane SOS Village d’enfants
des enfants abandonnés.
Ainsi deux ‘méga structures’ existent, représentées dans Affilié au réseau international SOS, présent dans le
différentes régions du royaume : monde depuis 60 ans, agissant de manière privilégiée
en faveur de l’enfant orphelin ou abandonné, SOS village
SOS village d’enfants, spécialisé dans l’enfance
d’enfants Maroc, est représenté depuis 25 ans, dans
abandonnée et dans une prise en charge de longue
les villes ou provinces de Casablanca à Dar Bouazza, EL
durée,
Jadida, Agadir, Ait Ourir, Imzouren et plus récemment,
Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance, amenée Marrakech. Pour assurer un fonctionnement décrit
au cours de ses missions d’aide aux enfants et mères en comme coûteux, SOS bénéficie de l’apport de SOS
situation de précarité, à œuvrer en faveur de la prise en international (65%) et de donateurs marocains, privés et
charge de l’abandon à la naissance, et dans la continuité institutionnels.
de prise en charge, à travers deux de ses structures, à
Les particularités de SOS Maroc s’identifient à travers
Benslimane et à Taroudant.
différents volets de prise en charge de l’enfant abandonné
ou orphelin.

1- Le recueil et l’accueil d’enfants


L’enfant est pris en charge en institution à un âge
inférieur à cinq ans en vue de lui permettre une meilleure
possibilité d’intégration. Le recrutement d’un enfant
SOS obéit à des règles de parité sexuelle, observées
en société, d’âge, et de potentiel de développement
physique et mental
SOS reçoit des demandes d’intégration en provenance
de structures associatives menées à envisager le futur
de leurs pensionnaires âgés de plus de quatre ans
et non pris en kafala, ou procède à un ‘recrutement
direct’ d’enfants choisis au sein de crèches de milieux
hospitaliers ou associatifs.

SOS prend majoritairement des enfants ‘inscrits’ et


répertoriés comme abandonnés.

Au recrutement, SOS souscrit à des configurations d’âge


(de 0-5 ans), en vue de respecter celles de la famille, avec
une fratrie de divers âges, comptant éventuellement un
(seul) nourrisson ou bébé.

Avant l’accueil au village, une période de rencontres


formalisées, d’une durée de six mois qui permet à
l’enfant de connaitre ses futurs parents adoptifs, et à
travers des allers retours, ici et là, de s’acclimater à son
environnement d’accueil. Cette procédure résulte d’une
expérience acquise sur le terrain, qui a identifié, malgré
le ‘cadre positif, sensiblement meilleur’ au premier
environnement d’accueil de l’enfant, des difficultés
d’adaptation possibles de celui-ci, habitué à son cadre et
à ses figures parentales de substitution.

Le discours SOS pointera,


Les représentations relatives aux perceptions de forme :
malgré l’image perçue de l’extérieur, ‘SOS les moyens’,
‘les infrastructures’, ‘le personnel’, ‘la formation’,
persistent encore aujourd’hui des problèmes au niveau de
l’accueil de l’enfant, mené à changer d’environnement,
et portant le risque de rencontrer des difficultés à des
niveaux variés, de socialisation, d’éducation, de formation
et d’insertion professionnelle et à la vie active. La forme

129
du milieu d’accueil, susceptible de conforter l’enfant 3 - Le discours du droit, la gestion
dans un sentiment de dignité, n’est importante que si professionnelle de la relation
elle s’accompagne d’une prise en charge qualitative en
mesure de répondre à la profonde blessure laissée par La compassion ou la charité, la faute et la culpabilité, sont
l’abandon. considérées comme des entraves au développement
de l’enfant. Ici, seul le discours du droit se reçoit et
Ici en préambule, se perçoivent, l’approche d’une
se conçoit. Ce discours SOS, confronté à des vécus
institution qui procède à la remise en cause, qui considère
d’enfants rencontrés sera validé : malgré la blessure de
incontournable, dans la prise en charge de l’abandon, la
dimension psychologique, et le travail immense que l’abandon, les enfants rencontrés restitueront le discours
l’institution est amenée à assumer. du droit de l’enfant, du droit de tous, avec le respect
mutuel adultes, enfants.
Les enfants ‘récupérés’ des orphelinats sont décrits
généralement en mauvaise santé, avec des difficultés Des attitudes qui pointent une appréhension
plurielles de langage, d’expression, des retards professionnelle de la relation à l’abandon  : formation,
psychomoteurs : malgré tout, le lien avec leurs origines verbalisation de difficultés rencontrées avec l’enfant
se décrit comme nécessaire. dans des cadres d’échanges réguliers, sont organisés
et offerts à l’ensemble des intervenants directs, mères
Si pour une grande majorité des intervenants rencontrés, SOS, encadrement, éducateurs.
‘le rêve’ est de ressembler à SOS ou d’envoyer ‘ses’
enfants à SOS, la réalité évoquée à travers ce discours L’ensemble des actions décrit vise, essentiellement à
fondé sur la pratique, tend cependant, à nuancer le éduquer l’enfant dans la ‘normalité’ de la relation, de lui
rêve. offrir les moyens de son développement, lui permettre
l’autonomie, et de le protéger du risque d’exclusion ou
Un enfant issu de l’orphelinat n’est pas ‘forcément réjoui’ de la ‘répétition du même qu’il a vécu’.
au moment où il intègre SOS, impressionné par les ‘jeux,
le confort, les fêtes, la chambre individuelle alors qu’il Cette réflexion globale SOS émane de la pratique et
pouvait ‘dormir à même le sol’  : il a besoin de temps, d’une expérience de plusieurs années, qui lui permettront
d’intégration, et d’aller retours nombreux avant de se de progresser dans la conception même de la prise en
concevoir dans un autre espace. Il est indispensable de charge. Une confrontation des pratiques des uns et
ne pas le renier en reniant d’où il vient. des autres des parents SOS et une remise en cause
permanente de la question de la prise en charge de
2 - La kafala de l’enfant, la mère SOS, l’abandon, sont évoquées…
un environnement familial, une fratrie,
un foyer Prise en charge de l’abandon, des difficultés et des défis
à relever
Dès l’intégration de l’enfant, la structure prend fonction
juridique de kafil et l’enfant, élevé jusqu’à sa majorité, Des difficultés sont encore relatées, relatives ici, à la
par sa parenté institutionnelle adoptive. Il habite dans prise en charge de l’abandon 
une maison, avec une maman stable, des frères et
sœurs de tous âges, grands et petits, à l’instar d’une Les représentations puissantes, ‘ancrées profondément
famille naturelle, vit, entre et sort, joue, va à l’école, fait dans les têtes’, des intervenants impliqués directement
ses devoirs, aide à la maison, ou ‘s’enferme dans sa dans la prise en charge. 
chambre et conteste’… Les troubles psychologiques allant jusqu’à la pathologie
Si la mère SOS fait fonction de substitut parental, une mentale de certains enfants, de sexe masculin
figure symbolique du père est représentée à travers notamment.
le chef du village, mais aussi, en fonction du choix
L’étude ‘des vécus’ a pointé la relation entre ces troubles
de l’enfant, à travers différentes figures masculines
évoqués et l’existence des ruptures à répétition dans les
présentes au sein de l’institution.
premières années de la vie de l’enfant.
Freins évoqués
Aujourd’hui SOS s’investit dans une démarche qui vise à
La mère SOS est au centre : en fonction de ses propres favoriser autant que possible le lien avec les origines. Un
représentations elle est susceptible de porter un regard travail est mené afin d’aller à la recherche de la parentalité
‘misérabiliste’ sur l’enfant abandonné (le pauvre) ou
biologique de l’enfant -lorsque cela est possible - et afin
de lui restituer la faute de l’enfant hrami, fils du péché.
de permettre une meilleure acceptation de l’enfant de
Ces deux attitudes moralistes constituent une entrave
ses origines (souvent contradictoires avec l’imaginaire
majeure au développement de l’enfant, et seront
décrites ici, comme ayant nécessité un travail de ‘longue qu’il s’est construit) une aide matérielle est accordée à la
haleine’. famille naturelle, en vue de favoriser les nouveaux liens.

130
«  quand il y a une famille connue…on établit une Aujourd’hui SOS s’implique en amont de l’abandon dans
convention avec elle…elle a le droit de venir passer la prise en charge des mères célibataires avec enfants,
1 jour au village tous les 3 mois quand l’enfant est dans le cadre d’un projet de partenariat avec la fondation
tout petit… quand il devient adolescent… il peut Oum Kaltoum (Sidi el Bernoussi, Casablanca).
aller passer une semaine, 10 jours de vacances dans
sa famille… à ce moment là des échanges se font… L’encadrement SOS,
et on a même des enfants qui ont fait des études..
A l’initiative des échecs, des remises en cause et des
Ils sont repartis loger dans leur famille…puis là il y
réussites, le personnel est, il faut le souligner, assuré de
a une vie qui reprend on aide l’accompagnement
ses droits  : statut légal, droits, à la dignité, au respect,
de la santé… on aide la famille on peut les aider
pour meubler les chambres…pour les fournitures à une formation qui lui permet de progresser dans ses
scolaires…on continue à soutenir l’enfant (le frère, la attitudes et ses réponses à l’égard de l’enfant. Ces
sœur) à aller à l’école parce que ça c’est vraiment droits favorisent à leur tour, l’établissement de relations
très très important pour nous »… contractuelles claires, profitables à la prise en charge de
l’enfant.

Cette dernière expérience signe le niveau de maturité de SOS à travers les chiffres, quelques repères
prise en charge de l’institution : le contrat est clair entre 450 enfants vivent dans les 6 villages ;
le ‘parent adoptif, l’enfant et le parent biologique, avec
une priorité accordée à l’intérêt supérieur de l’enfant, la 177 jeunes poursuivent leurs études ou font une
priorité étant de lui reconnaître le droit à son origine et formation professionnelle ;
plus tard le droit de choisir…un exemple à suivre ?
32 jeunes bénéficient d’une prise en charge dans le lieu
Ce niveau de maturité ne sera pas identifié au sein de vie pour personnes à besoins spécifiques ;
d’autres structures  : en majorité, elles sont impliquées
dans la prise en charge du court terme, et dans la gestion 800 enfants résidant au voisinage des écoles SOS, sont
des entrées et des sorties’. Ici, nécessairement l’enfant scolarisés avec les enfants ;
ne peut pas se penser dans la mesure où il doit sortir 200 femmes et enfants bénéficiaires des programmes
physiquement sain, destiné à des parents toujours de renforcement ;
perçus, comme étant la meilleure chance. Les ‘enfants
de l’échec’, ‘de la malchance’, ceux qui n’ont pas été Dans les maisons SOS des différents villages, 197 filles
‘pris’ ou encore ceux qui ont été ‘refoulés par des parents et 208 garçons  : 250 sont abandonnés, 90 ayant une
adoptifs insatisfaits du produit’ sont ainsi susceptibles famille monoparentale, 39 ayant une famille biologique
de le vivre dans la réalité. en vie, 21 orphelins…

131
Ligue Marocaine pour la Protection La LMPE est à l’initiative de nombreuses études,
de l’Enfance interventions, rencontres, visant à réfléchir autour de
thématiques en relation avec ses domaines d’intervention
1-Apport global, pour une population prioritaires  : aussi, la LMPE sera considérée comme
mère enfant un acteur, également engagé en faveur du plaidoyer, à
Représentée aujourd’hui dans 30 provinces du royaume, l’origine de nombreuses réalisations.
La ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance est
Lors de l’étude de terrain, l’action globalisante de ‘la Ligue’
une association, reconnue d’utilité publique, créée
apparaîtra notamment, dans les régions ‘enclavées’
depuis 1957, dans le but de mener des actions dédiées à
ou éloignées des centres décisionnels, lorsqu’elle se
la solidarité en faveur des couches les plus démunies.
distingue comme l’unique partenaire associatif, ici dans
La situation particulière des mères et enfants en situation la question de l’abandon, mais aussi dans l’éducation et
de vulnérabilité, a mené la Ligue à s’investir dans la lutte la question du développement social des ‘minorités’.
contre l’analphabétisme, l’éducation non formelle, et
surtout, l’éducation de la petite enfance démunie. Dans les provinces du Sud notamment, ‘la Ligue’ sera
appréhendée comme l’unique ‘opérateur crédible’ dans le
L’association sera ainsi la première structure au Maroc, à
soutien de la problématique de l’abandon, avec au niveau
implanter dès les années soixante dix, des crèches afin
de permettre aux mamans en difficulté économique, des provinces, des initiatives individuelles de comités de
d’exercer une activité professionnelle tout en laissant la LMPE, particulièrement dynamiques, à l’origine (ici,
leurs enfants dans une structure adaptée. dans la problématique de l’abandon) de la mobilisation
d’institutionnels pour la création de nouveaux centres,
Offre globale de la LMPE
opérationnels ou en cours de finalisation.
L’enfant bénéficie dans la journée d’une prise en charge
Organisation
(en crèche puis en garderie et en jardin d’enfants, jusqu’à
l’âge de sa scolarisation) qui comprend une fois sur La Ligue est dotée d’un centre de documentation ‘mères
deux, la restauration, (nutrition et diététique contrôlées) enfants’, a une administration centrale qui développe
sa prise en charge sanitaire, (de jour mais aussi dans les stratégies régionales, et des bureaux régionaux qui
certaines régions, le soir), à travers la mise en place de fonctionnent de manière autonome, avec leurs propres
structures d’urgences hospitalières en partenariat avec comités et bureaux, mais qui s’inscrivent dans le cadre
le Ministère de la Santé.
des missions prioritaires de l’organisation centrale,
Cette offre de prise en charge, de la Ligue en direction de
Si la LMPE s’est investie en priorité dans des actions
‘ses populations cibles’, contre rémunération symbolique
qui visent le développement de crèches, de garderies,
(10 dirhams) visant à préserver un sentiment de dignité,
se donne un objectif double  : favoriser le travail de la de jardins d’enfants, de clubs d’enfants et de centres
mère mais aussi inciter à la scolarisation de l’enfant, en médicaux, destinés aux populations démunies et péri
favorisant des automatismes, en créant des réflexes urbaines, elle a été également menée, dans le cadre de
susceptibles de lutter contre l’analphabétisme. son expérience du terrain et de la réalité, à ‘travailler’ sur
l’abandon.
Financement et partenariats
La Ligue entretient des relations avec de nombreuses 2 - La Ligue et l’abandon
ONG internationales, assure des responsabilités au S’il est difficile dans le cadre de ce travail, de rendre
niveau des comités décisionnels, maintient des relations compte des différents champs de ‘la Ligue’, et tenant
de coopération avec l’Unicef plus particulièrement,
compte d’une expertise particulière développée
organisme avec lequel elle élabore des plans d’action
dans l’implantation de crèches, dans la question de
annuels en direction du champ humanitaire en général,
et de la problématique mère-enfant, populations l’abandon, elle est également apparue comme un
vulnérables, en particulier. acteur incontournable, gérant directement un effectif
sensiblement représentatif et intervenant par ailleurs,
La LMPE bénéficie de partenariats et de conventions, indirectement, dans le soutien à différentes structures.
avec différents ministères, de la Santé, de l’Education
Nationale, de la Prévision économique et du plan… Ancienne ‘goutte de lait’, géré précédemment par les
structures d’Etat, ONGs. Par rapport à la question de sœurs, puis par l’Entraide Nationale, le Centre Lalla
l’abandon, des conventions sont établies particulièrement Meriem à Rabat, sera repris par la LMPE, à un moment
avec les Ministères, de la Santé, de l’Entraide Nationale, où ni l’enfant abandonné, ni la mère célibataire n’avaient,
avec des engagements qui se traduisent notamment, dans la parole sociale et collective, un droit d’existence.
par l’attribution de ressources humaines. Plus tard, afin de déplacer l’enfant dans une structure
La grande partie du financement de la Ligue, reste comparativement (aux orphelinats) mieux adaptée à son
toutefois attribuée à la solidarité de particuliers ou évolution, le centre de Benslimane, dédié à l’enfant de
d’institutionnels privés marocains. plus de 3-4 ans verra le jour.

132
Afin de répondre à un besoin identifié à différents lieux, en charge de la mère célibataire, mais de prévenir le
La ligue déploiera progressivement de centres dans processus d’abandon d’enfants. Aujourd’hui cependant,
les régions  : Kénitra Marrakech, Oujda, Taroudant, à travers une formation prodiguée en direction des
Layoune. mères, à travers aussi, un nouveau partenariat entre
ONGs (SOS) des perspectives plurielles de réinsertion
Aussi au sein de la ligue, trois types d’offres en faveur
et donc de prise en charge, mère enfant, assurées par
de l’enfance abandonnée.
Basma.
Une offre majoritaire destinée à l’accueil des enfants de
0 à 3/4/5 ans  : Rabat, Taroudant, Marrakech (capacité 3 - La ligue et la prise en charge
d’accueil de 85 enfants), Kénitra, Layoune (capacité de l’abandon d’enfants
d’accueil de 100 à 120 enfants), Oujda. Comme dans la majorité des structures associatives, la
Ligue est amenée à gérer les difficultés d’une prise en
Une offre destinée aux plus âgés  : à Benslimane et
charge à ‘deux vitesses’ : celle du court terme, accueil,
Taroudant, où à côté de l’offre ‘premier âge’, une seconde
prise en charge sanitaire et gestion administrative en
s’est déployée sur le modèle familial, avec des foyers
vue de sa sortie, et celle, ‘initialement non prévue’, de la
et des mères assurant une prise en charge durable de
prise en charge dans la durée. Au sein de la LMPE des
l’enfant jusqu’à 15-16 ans - voire plus en cas d’études et
procédures générales sont mises en place pour l’accueil
de formation professionnelle - et donc tenant compte de de l’enfant, des modalités de prise en charge, (normes
sa stabilité psycho affective. administratives, comptabilisation des données, normes,
Une autre offre qui se traduira par des actions de alimentaires, d’hygiène…) ‘répercutées’ au niveau des
soutien de la Ligue à des structures hospitalières ou sept structures : aussi les centres d’accueil de la Ligue,
associatives, dédiées à l’enfance abandonnée. Ici, il n’y sont-ils à la fois ‘tenus’ par des règles collectives, et
a pas de centres fonctionnant au nom de la Ligue, mais autonomes.
‘une veille’, des ‘gestes et des actions’ qui visent le Le recueil de l’enfant abandonné à la naissance 
renforcement d’autres structures en charge de l’abandon
Le recueil de l’enfant est soumis ici à autorisation du
(comme Fès, Tan Tan, Guelmim…).
parquet et accueilli sur réquisition du procureur du Roi.
Le concept et le regard de la LMPE Les différentes structures sont responsables de l’accueil
de l’enfant, avec une première étape médicale, sanitaire
La Ligue a été amenée à ‘abandonner l’appellation enfant
et alimentaire. Ici les éléments en relation avec le devenir
abandonné’, pour prendre position et désigner l’enfant
de l’enfant, kafala essentiellement, sont attribués au
en situation d’abandon, d’abord sous une appellation,
juge. L’enfant est accueilli par la responsable du centre,
‘enfant en situation précaire ou en situation difficile’, l’assistante sociale et une monitrice à laquelle il est
pour se fixer au terme ‘privé de famille’, perçu comme confié.
étant moins accablant pour l’enfant, plus respectueux,
‘moins misérabiliste’. L’objectif prioritaire sera donc accordé aux soins du
premier âge, dans l’attente de kafala  : ici la Kafala se
S’il est apparu difficile de ‘trancher’, au regard du vécu conçoit comme un respect de la convention des droits
porté par la population cible, entre ‘abandonné’ (avec un de l’enfant, qui veut que l’enfant soit élevé dans un
vécu qui renvoie ‘la faute à l’autre’) et ‘privé’ (avec un vécu ‘milieu naturel’.
qui interroge l’individu par rapport à ‘la faute qu’il aurait
Dans l’attente de la kafala, le bébé, l’enfant, sont
commise’ pour être abandonné) il est en même temps,
susceptibles de bénéficier des compétences des
apparu nécessaire d’échanger autour de la question, à
différentes structures de la LMPE, crèches garderies, et
un niveau national, et surtout de prendre une position
plus âgés, orientés vers un enseignement scolaire privé,
commune qui permette de porter un regard homogène favorisé par des actions de solidarité.
sur l’appellation même du sujet.
En fonction de la taille des structures, de l’effectif,
Les actions parallèles de la LMPE d’enfants accueillis, les tensions liées à la gestion du
Des actions parallèles sont menées en vue de lutter nombre seront sont plus ou mois formulées en fonctions
contre les différentes formes d’exploitation de l’enfant, des intervenants.
actions de plaidoyer, actions de sensibilisation, et lutte Si la kafala est appréhendée ici comme l’un des
contre l’abandon. axes prioritaires consécutifs au recueil de l’enfant,
Par rapport à la lutte contre l’abandon, la Ligue a été comparativement à d’autres structures de prise en charge,
amenée à créer, une structure, Basma, destinée à les taux de kafala seront ici, perçus comme relativement
‘moyens’. ‘Qualité ou défaut’ ? La question reste posée,
prévenir le geste de l’abandon d’enfant, chez la mère
considérant notamment le droit de la mère naturelle et
célibataire.
de l’enfant, considérant les ‘attitudes précipitées’ (liées
En favorisant l’accueil et l’hébergement à une catégorie majoritairement à la nécessité de gérer le flux au sein
de mères en situation de première grossesse, l’objectif des grandes structures) observées lors de l’étude, pour
prioritaire évoqué ici, est non pas d’assurer la prise inciter la kafala.

133
La réalité des vécus de sujets ‘kafalés’ sans ‘garde- La ligue, l’abandon et les chiffres
fous’, sans respect de leurs histoires et identités, En 1998 trois structures d’accueil Rabat Marrakech
tendra à considérer positive l’attitude de modération, et Taroudant
volontaire ou non, de la Ligue par rapport à cette Total nouvelles admissions : 198
question de la kafala. Bien entendu, le principe de
Total kafala : 136
réalité, avec les difficultés consécutives à cette
Total pensionnaires : 509 (405 au sein des structures
représentation, à des niveaux de gestion quotidienne,
0-5 ans ; 104 enfants, plus âgés (Benslimane).
de fonctionnement des structures, et de prise en
charge, n’échappera pas aux intervenants. En 2007 sept structures d’accueil Benslimane,
Oujda, Layoune, kénitra, Rabat, Marrakech,
La Ligue et la prise en charge durable de l’enfant Taroudant
privé de famille Total nouvelles admissions : 382
Total pensionnaires : 1020 (727 au sein des structures
Elle s’impose lorsque l’enfant, pour des raisons 0-5 ans ; 93 enfants, plus âgés)
variées, n’a pas bénéficié d’une kafala : aussi, en vue
Entre 1998-2008 
de continuer une prise en charge de l’enfant conforme
Une augmentation globale de l’effectif des entrants,
à son environnement premier, en termes ‘d’éducation, nouveaux enfants abandonnés au sein des différentes
d’hygiène et de confort’, l’enfant est orienté, dans la structures de la LMPE,
mesure du possible, vers le Centre de Benslimane, Une progression du taux global de kafala,
ou de Taroudant, mais aussi vers des structures Une diminution sensible du taux global de décès.
‘sélectionnées’ de l’Entraide Nationale. Total nouvelles admissions 2008  : 358. Soit près
de 25% de l’effectif total des abandons recensés lors
Ici aussi, l’enfant est intégré dans le milieu scolaire, de l’étude. Pour refléter la réalité de la gestion de
lorsqu’il ne pose pas de problèmes d’insertion et l’abandon au sein des différentes structures de la Ligue,
d’adaptation. Les garçons notamment adolescents, il est nécessaire par ailleurs, de considérer l’effectif des
nouveaux abandons comme reflet lui-même ‘d’un tiers
seront évoqués comme ‘difficiles à gérer’.
de la globalité’ des pensionnaires pris en charge.
Le problème du handicap Ces différentes données, indiquent que la Ligue
Marocaine pour la Protection de l’Enfance, est la première
Comme de nombreuses structures associatives, la structure en effectifs et en réseau, d’accueil des enfants
Ligue fait face au handicap de l’enfant abandonné, de abandonnés, âgés de moins de six ans.
l’inadaptation de l’environnement à ses besoins, et Ces données chiffrées ne rendent pas compte des
du coût élevé de sa prise en charge. Le centre Lalla actions de veille, de solidarité, d’accompagnement et
Mériem de Rabat, sera parmi les principales structures de plaidoyer, engagées -généralement en faveur de
l’enfance, de la femme, de la lutte contre la précarité- ici,
où l’effectif des porteurs de handicap dépasse 40 spécifiquement, dans le contexte d’étude, en faveur de
enfants. l’enfance abandonnée.

134
Fondation Rita Zniber : D’accueil, d’orientation et d’assistance, des postulants
un aperçu des axes prioritaires de pour la Kafala après un entretien probatoire.
prise en charge De mise en place de moyens à la disposition de la
A l’origine, un constat global de carence fondation, susceptibles de faciliter les démarches
administratives portant sur la Kafala, le Tanzil, le passeport
Si elle est, depuis 1996, reconnue d’utilité publique, la et le visa le cas échéant, pour les familles résidant à
fondation Rita Zniber, intervient à partir de 1982, dans l’Etranger.
la question de l’enfance abandonnée, notamment
après un passage à la maternité de l’Hôpital de Meknès D’amélioration des conditions de prise en charge de
de celle qui deviendra la Présidente de l’association, l’enfant non adopté. Pour cela un projet  : réaliser et
créée officiellement en 1992. Le constat ‘qualifié de assurer la prise en charge d’un Home d’enfants, afin
dramatique’, relatif à l’état des nourrissons interpellera de remédier au problème de la prise en charge des
la fondatrice de l’association : ‘conditions d’hygiène et enfants sains en milieu hospitalier. Un terrain est mis à
de soins défectueuses, déficits en lait, en alimentation la disposition de l’association par les domaines privés de
et en vêtements, enfants ‘couverts d’escarres’, et l’Etat. En revanche, à ce jour, le financement fait encore
lorsqu’ils n’étaient pas adoptés dans les trois semaines, défaut.
‘mourraient des suites de leurs multiples carences’. Indicateurs
Aussi, plus tard, deux centres en charge de l’enfance Depuis 1992 et à fin 2008, la fondation Rita Zniber a
abandonnée, seront-ils successivement crées : en 1988, recueilli au Nid 1681 enfants : 1003 ont été adoptés dans
‘Le Nid’ au sein de l’hôpital Mohamed V de Meknès au le même intervalle, 101 ont été repris par leur mère, 246
5ème étage, à destination des nourrissons, bébés, (122 sont décédés, et 10 transférés à l’annexe du Nid. Le taux
dont 29 handicapés), et une annexe servant de relève, de décès des enfants est passé de 22,5 à 2%
créée en 2007 en partenariat avec les autorités locales,
Observations de terrain
d’accueil des enfants de 6 à 20 ans (257 enfants et
adolescents scolarisés dans le présent), A des niveaux de gestion et d’organisation, la fondation
est structurée comme une entité privée, avec au niveau
Pour cela, hormis le personnel de l’administration de
de l’administration, un encadrement spécialisé par rôles et
la fondation, ‘au Nid’ un personnel de 95 ‘volontaires’
missions : financières, juridiques, de relations publiques,
rémunérés par la fondation et de 10 ‘détachés’ (des
d’achats, de coordination, et au niveau des centres, en
Ministères de la santé et de l’entraide Nationale) et à
métiers, ceux destinés à l’enfant et ceux destinés au
‘l’annexe du Nid’, un effectif de 60 ‘volontaires’ de
fonctionnement de la structure, avec des puéricultrices,
la fondation, éducatrices, enseignants, animateurs,
éducatrices, infirmières, assistantes sociales,
personnel de surveillance et d’entretien…et de 8
‘détachés’. L’action de l’association mettra en valeur son dynamisme
à plusieurs niveaux :
1-Prise en charge de l’abandon
De coordination : l’association sera décrite et reconnue
L’association intervient à différents niveaux de prise par les différents intervenants rencontrés comme étant
en charge : recueil des enfants abandonnés sur la voie à l’origine de l’impulsion créée dans la région en faveur
publique ou à l’hôpital, prise en charge du nourrisson, du de l’enfance abandonnée. Aussi, malgré certaines
bébé et de l’enfant, -tant au centre du Nid qu’au niveau difficultés non spécifiques à la région, mais identifiées
de l’annexe-, veille à la scolarisation et à l’intégration pour ‘l’ensemble du territoire’ lors de cette étude, la
dans les secteurs publics ou privés. coordination entre les différents protagonistes impliqués
L’Association collabore en outre, avec l’ensemble des de fait dans la question de l’abandon, police, justice,
départements concernés par l’Enfance Privée de hôpital association est-elle décrite de manière positive.
Famille (Parquet, Tribunal, Juge des Tutelles, Autorités D’administration : avec différents pôles de gestion et de
Locales différents Ministères, Centres d’accouchement compétences, administratives, financières, techniques.
et Hôpitaux publics, Services Sociaux, Services de
De dynamique relationnelle : un ensemble de moyens
l’Etat Civil, Consulats et Ambassades, Départements
sont mis en place à la fois pour favoriser la collecte de
gouvernementaux étrangers traitant de l’Adoption
dons, mais aussi pour favoriser la prise en charge en
Internationale)… à différents niveaux de prise en charge :
kafala de l’enfant, au Maroc, à l’étranger, ou pour assurer
De veille à l’optimisation des délais des procédures son parrainage.
administratives relatives aux déclarations de naissances
Ainsi la fondation RZ s’implique t-elle ouvertement dans
et aux jugements d’abandon.
la recherche de ‘kafilins’ et parrains d’enfants : incitation,
De recherche, dans le cadre de l’application de la loi de sensibilisation, relations avec divers organismes, accueil
la Kafala, de Familles d’accueil, au Maroc ou à l’Etranger, des postulants, mise en relation avec l’enfant, assistance
susceptibles de prendre en charge l’enfant dans les sociale, administrative et juridique…sont des services
meilleures conditions, morales et matérielles. fournis par l’association pour encourager l’adoption.

135
Principaux freins et dysfonctionnements Association AL Ihssane des enfants
abandonnés
Le cadre d’accueil de l’enfant, l’environnement d’accueil,
et l’espace géographique au sein desquels évolue 1 - Actions et évolution
l’enfant : malgré des conditions d’hygiène et de soins de L’association Al Ihssane des enfants abandonnés, est
‘qualité’, malgré la vigilance et l’attention d’une équipe en charge depuis 1989, de la maison d’enfants Lalla
d’intervenants nombreux, diversifiés et mobilisés, les hasnaa, unique structure dédiée dans la Wilaya du grand
enfants réunis par tranche d’âge dans différentes pièces Casablanca à l’accueil de l’enfant abandonné de 0 à 5
du 5ème étage de l’hôpital Mohamed V, cohabitent dans ans.
un espace ‘non-conforme’, clos, quasi carcéral, inadapté
à une évolution saine d’enfant. Déclarée d’utilité publique, sous tutelle du Ministère de la
Santé, l’association constituée de membres bénévoles,
Raison pour laquelle, ici, le taux de kafala augmente
aidée d’acteurs institutionnels, a sensiblement contribué
d’année en année ?
à améliorer les conditions d’hébergement et de prise en
Par ailleurs, les salarié(e)s de l’association, nommées charge de l’enfant, notamment par rapport à une histoire
‘bénévoles’, sont rémunérées selon des modalités qui où l’enfant vivait dans des conditions inadaptées à son
ne s’inscrivent pas dans le droit du travail. développement.
Ici aussi une convention avec le Ministère de la santé
a permis de bénéficier de ressources humaines
notamment, impliquées dans la prise en charge.
Recueil de l’enfant, dynamique de kafala
et coordination des acteurs
Le recueil de l’enfant est présenté en outre comme
s’inscrivant dans le respect du cadre légal, (réquisition
du Procureur), avec dès l’entrée, une prise en charge
sanitaire d’urgence (premiers soins, bilans effectuées
sur place par des médecins détachés de la commune ou
du ministère de la santé) avant le déclenchement des
procédures administratives à l’accueil de l’enfant.
Après les mesures d’accueil d’urgence, et dans le cadre
de l’objectif prioritaire de sa kafala, (une kafala rendue
facile ici par une collaboration décrite comme positive
entre intervenants de la justice et l’association) l’enfant
est pris en charge sur des plans alimentaire, sanitaire et
de veille. La sensibilité des acteurs institutionnels, police,
justice est ici perçue comme largement facilitatrice de la
procédure de kafala.

2- Difficultés et contraintes
En dehors des difficultés liées au fonctionnement de
la structure, à la lourdeur institutionnelle, les difficultés
évoquées sont davantage associées.
A la nature de l’abandon (un ‘sous X’ entrainant une
kafala ‘fluide’, ‘soft’, pendant que le nom de la mère est
un obstacle à la fois pour ‘l’administration’ et les parents
adoptifs  ; où encore un enfant dont les parents sont
vivants, malades, ou ayant divers problèmes)
Au savoir-faire des parents adoptifs, et leur connaissance
des ‘rouages’ administratifs.
La maîtrise de ces ‘rouages’ est également visible au sein
de l’association avec un suivi du dossier et son dépôt de
‘main à main’ chez les autorités compétentes (et non par
courrier).

136
A la durée de prise en charge de l’enfant entrant, L’enfant plus âgé est également orienté vers des
Au type de prise en charge, à deux vitesses, inhérent à la institutions scolaires privées et solidaires.
situation de l’abandon : Des intervenants professionnels externes sont
• celle de l’accueil des nouveaux entrants destinés, également susceptibles de contribuer bénévolement au
destinés, sauf complications, ‘au court séjour’ sein de l’association : une psychologue, dans le présent,
intervient une fois par semaine, dans le cadre de
• et celle plus difficile des enfants ‘restants’ qui viennent
s’ajouter aux précédents, et lesquels le plus souvent discussions avec les équipes de soins, ou de difficultés
sont destinés au transfert vers les orphelinats de la ville. spécifiques à l’enfant.
Ici le décalage entre les ‘deux univers’, en matière de
soin, d’attention et de confort, se craint, se prévoit, mais
ne se gère pas pour des raisons essentielles liées aux
moyens de financement. Synthèse
Frein majeur de prise en charge : l’institutionnalisation Ces structures décrites SOS, Ligue, Fondation Rita
de l’abandon Zniber, Association Lalla Hasnaa se distinguent des
Au moment de l’étude de terrain, le centre Lalla Hasna autres entités rencontrées lors de l’étude de terrain, par
avait en effet atteint sa capacité d’accueil maximale, de leur capacité d’accueil mais aussi par leur histoire dans la
trois cent pensionnaires, avec un ‘risque de transfert gestion de l’abandon au Maroc.
associé à l’âge des anciens pour prévenir l’arrivée des
nouveaux’, avec aussi les difficultés de prise en charge Structures ‘rodées’ mais aussi structures ‘lourdes’, en
associées à la lourdeur de la structure. capacité d’accueil, en charge d’effectifs, en besoins de
financements, elles ont les difficultés spécifiques à leur
3 - Intervenants dans la prise en charge taille et à leur poids, problèmes d’autant plus difficiles
L’association compte un effectif de personnel de plus à gérer que la population (nourrissons, bébés, enfants
de 200 intervenants salariés rémunérés ‘conformément vulnérables) nécessite une prise en charge particulière.
au droit du travail’, dont 120 mamans ou jardinières
Si au sein des centres d’accueil SOS, cette prise en
qui changent toutes les 8 heures, fonctionnant en
charge est possible au moyen d’une stratégie et de
équipes de 3X8 (trois pour cinq chambres) donc au total
40 jardinières pour 300 enfants. La rémunération du supports mis en place (maisons, mamans),
personnel constitue l’essentiel du financement (400 000 Si également certaines structures de la LMPE, plus
dirhams/mois). légères ou instituées sur le modèle de la famille (Home
Le budget nécessaire au fonctionnement de l’association Lalla Amina, Taroudant) permettent davantage de
est de 6 millions de dirhams/an et le coût moyen de proximité avec l’enfant, et un travail qualitatif,
l’enfant à 70 dirhams/jour.
Les autres, centre ‘Lalla Meriem’, ‘Lalla Hasnaa’, ou ‘Le
La contribution de l’état représente entre 12 à 20% du Nid’ sont de véritables entreprises, ‘usines à bébés’, qui
total budget  : ‘un chèque de l’Entraide Nationale’, une nécessitent une vigilance accrue à tous les niveaux.
contribution du Ministère de la santé (local et personnel
détaché) la mairie, l’INDH. D’autres structures associatives, nombreuses, à taille
plus ou moins ‘gérable’ ont été rencontrées lors de
L’INDH a notamment contribué dans la construction
l’étude de terrain : il est difficile d’évoquer toutes celles
d’un centre pour enfants handicapés, localisé à l’hôpital
Baouafi et contribué à l’amélioration des locaux de qui interviennent, solidaires et dynamiques, en faveur de
l’association. la cause de l’abandon d’enfants ; certaines cependant se
définissent ou se perçoivent comme,
L’essentiel du fonctionnement de la structure est assuré
par l’association (dons privés particuliers et d’entreprises, Plus favorables à une gestion qualitative de la prise en
parrainages, manifestations annuelles, kermesses, charge de l’abandon,
tournois de bridge…)
D’autres, ‘désavantagées’ par les contraintes d’effectif
4 - La prise en charge de l’enfant globaux des pensionnaires ;
Au-delà des aspects de soins, d’alimentation et de La quasi-totalité des intervenants cependant, est
surveillance, et en fonction des disponibilités, l’enfant conduite à reproduire le même discours, car vivant
est susceptible de bénéficier de la crèche adjacente aux des difficultés similaires dans la gestion quotidienne
locaux du centre Lalla Hasnaa et relevant de la Ligue. de l’abandon.

137
III - Positions, discours, attitudes Des bébés en dépression, des bébés qui ‘dorment tout le
et contraintes des acteurs temps’, des bébés en manque de stimulation, des bébés
de la prise en charge qui se balancent, des bébés au regard éteint, des bébés qui
scrutent en spectateurs et interrogent leurs interlocuteurs,
1- Dans l’ensemble, dans le présent, des manifestations psychosomatiques du nourrisson, des
des réflexes systématiques dermatoses sévères, ont été observés ci et là, interprétés
comme des signes de souffrance et d’angoisse.
La nécessité au recueil, de l’enfant de la prise
en charge médicale La psychologie de l’enfant : thème majeur, souvent
absent de la prise en charge. Comment s’étonner alors
Les conditions de vulnérabilité de l’enfant à son recueil
des troubles de la personnalité fréquents, observés chez
mènent les acteurs à le gérer en priorité d’urgence, sur
les plus âgés ?
un plan médical. .
Par ailleurs, le soin au corps, tenant compte des effectifs 2 - Dans l’ensemble un même discours :
quelquefois très élevés, de la promiscuité, correspond le respect des modalités de recueil
à une gestion du risque de décompensation, ou de de l’enfant
mortalité de l’enfant. Dans les propos des ‘décideurs’, la procédure de recueil
La question du corps, de l’entretien du corps, de de l’enfant est systématiquement respectée : tout enfant
l’entretien de l’environnement du corps est susceptible est accompagné d’une réquisition du procureur.
toutefois, de traduire des difficultés de prise en charge de Les échanges menés auprès des intervenants sociaux
l’enfant : en focalisant les actions d’intervenants sur une permettent de nuancer ces propos.
gestion corporelle qui devient centrale et dominante, elle
se conçoit non pas comme élément de prise en charge L’enfant est aussi, quelquefois, (des fois par nécessité
mais comme finalité. comme dans les abandons de nuit) accueilli dans une
structure donnée ‘’non muni’ d’une réquisition du
Des paradoxes de comportements observés lors du procureur : les intervenants sociaux souligneront ici,
terrain d’étude peuvent laisser perplexe : d’un côté, un le risque de dérive possible lié à un placement non
environnement ‘idéal’, un cadre aseptisé, une hygiène consigné, avec l’existence de tractations directes non
implacable et de l’autre, des enfants attachés aux enregistrées’.
barreaux de leur lit par les pieds !
3 - Dans l’ensemble une même vision :
Dans d’autres lieux, la même préoccupation ‘obsédante’ la kafala, seule issue à l’abandon d’enfants
de l’hygiène, de l’alimentation et du corps de l’enfant
se justifie et se formule comme l’expression claire d’un Pour l’ensemble des intervenants la kafala est la réponse
désarroi : idoine à l’abandon, dans la mesure où elle permet à l’enfant
de bénéficier d’un environnement familial. En revanche,
les conséquences d’une kafala non respectueuse de
« vous savez on nettoie, on frotte, on lave, on ne sait l’intérêt de l’enfant, au regard des difficultés que connaît
rien faire d’autre, on est perdus » ou « comme on ne sait le secteur, ont été souvent perçues comme éludées ou
pas quoi faire, on est dans le lait et dans les couches » ; « ignorées.
on est coincés par les problèmes matériels, aujourd’hui
on est complètement dépassés » Critères de la rencontre parents enfants
Dans les premiers contacts, parents adoptifs/enfant, les
La mécanisation des gestes, la robotisation de la prise attitudes divergent, en fonction des situations, à la fois
en charge corporelle, ‘contraintes du milieu institutionnel’ des structures associatives et des modalités d’octroi
peuvent se traduire comme agressions pour l’enfant : ainsi effectuées par le juge : certains intervenants soucieux
des liens peuvent être effectués entre environnement de de favoriser la rencontre, laissent une marge de liberté
prise en charge, gestuelle de soins et taux de mortalité de au parent adoptif dans le choix de l’enfant ; d’autres en
l’enfant. Le taux de mortalité de l’enfant peut à lui seul, revanche, adopteront une procédure, perçue comme
‘mesurer les réponses de l’enfant,’ à son environnement ‘rigide’ par certains intervenants, dans le sens où elle
de prise en charge : lors de l’étude, des rapprochements impose le choix d’un enfant à un parent.
seront établis entre mortalité élevée et ‘prise en charge Entre le ‘supermarché’ et la rigidité dans la relation aux
aseptisée’. Il est par conséquent utile de souligner ici, la parents adoptifs, …des compromis sont-ils possibles?
nécessité pour les équipes en charge de l’abandon, qui Les acteurs soulignent l’importance du choix, susceptible
ont réussi l’étape de la survie de l’enfant, de ‘passer à la de venir, par ailleurs, de l’enfant lui-même (dans certaines
seconde’, introduire et faire circuler la parole, accompagner situations, l’enfant vient spontanément vers ‘son futur
la gestuelle par le langage qui lui donne sens, et donc, parent’ lui prendre la main). La rencontre se conçoit le
appréhender le développement psychologique de plus souvent comme un élément essentiel d’acceptation
l’enfant, ‘principale tâche noire du présent’. ou de rejet de l’enfant.

138
Quelle marge laissée à un parent adoptif, d’aimer ‘cet En revanche dès lors qu’il y a un problème à un niveau
enfant là’ si on lui impose ‘un numéro’ à aller recueillir considéré, le ‘stress de la kafala’ monte et focalise
dans une structure associative ? Quelle marge laissée l’attention des responsables : une ‘kafala non réglée’,
aux pères adoptifs habituellement circonspects voire paralyse à la fois les intervenants sociaux menés à suivre
récalcitrants, par rapport à l’adoption ? le dossier ici et là, ‘expliquer à l’un, à l’autre’, ‘monter et
descendre au tribunal’, et les responsables des structures,
Ici aussi, les intervenants sociaux le souligneront, la
menés à faire face au défi de la gestion du ‘flux des
demande peut émerger de la femme seule, et le père
entrants’, sans perspective établie pour les sortants.
à la fois, assez souvent réticent et mené ‘pour faire
plaisir à son épouse en forte demande d’enfant’, à Ce ‘stress de la kafala’ est d’autant plus important que la
l’accompagner. majorité des structures sont majoritairement préparées
à assurer le transit d’enfants, pendant une période allant
Ici, des entretiens préalables sont assurés par quelques
jusqu’à un an : au-delà, les problèmes associés à la prise
-rares- structures afin d’éviter les risques de rejet :
en charge émergent, avec leur coût de fonctionnement
l’accent est sur la nature de la demande et le consensus
dominent.
préalable, fait autour de l’enfant, par sa future famille
adoptive. Ce stress est, comme évoqué plus haut, à la fois interne
et externe,
L’âge de l’enfant : une demande élevée pour le
nourrisson, un intérêt relatif pour ‘les autres’, Interne quand il est lié au sein d’un centre d’accueil
donné, à la pression exercée par la ‘gestion des flux,
(« On n’a plus rien » diront généralement nos
entrants/sortants’, par une carence de moyens, et par le
interlocuteurs, « ils sont tous partis »).
souci lié, au maintien de l’enfant en bonne santé ;
Aussi, le problème se pose très rapidement, dès lors
Externe quand il est lié aux difficultés, dans une région
que l’enfant dépasse une année. A partir de deux
ou localité donnée, de coordination entre les différents
ans, les chances d’adoption sont décrites comme
institutionnels menés à gérer l’abandon ou la kafala :
progressivement et considérablement diminuées.
Sensibilisation ? enquêtes de police, avec un retard dans la remise
du dépôt du procès verbal, ce qui ne permet pas le
Le sexe de l’enfant : de façon systématique, les filles sont
déclenchement de la procédure d’affichage d’abandon
préférées aux garçons, perceptions souvent non remises
de l’enfant ; enregistrement de l’enfant à l’Etat, retards
en cause (fondamentalement) par les intervenants eux-
de dépôt de dossier liés à la lenteur des différentes
mêmes.
enquêtes, ‘police, affaires islamiques, administration’…
Une fille se préfère, est douce, docile ; un garçon s’évite et enfin, lenteur de la prise de décision du juge, lorsque
parce qu’il est susceptible de provoquer des tensions pour un même enfant, il prend le temps de choisir entre
au sein de sa famille adoptive et d’avoir des problèmes 6 à 10 parents avant de trancher.
d’adaptation. Généralement, ces perceptions ne sont
Le discours des intervenants sociaux, outre qu’il opère
pas interrogées dans leur sens profond mais tendent à
à des distinctions entre les différentes difficultés
être validées ici et là.
rencontrées (celles des différentes administrations de
Cependant, en 2008, certaines structures ont eu pour celles de ‘la justice’) reste, comparativement au discours
stratégie justement, de pousser à l’adoption de garçons : ‘une de ‘décideurs’ plus mesuré dans cette ‘question de la
stratégie qui marche’, au regard des chiffres obtenus. kafala’. La nécessité de procéder à des contrôles, à tous
Une sensibilisation de l’ensemble ? les niveaux d’intervention est en revanche soulignée :
Enfin le problème, assez souvent évoqué du retour de ils évoqueront les ‘dérives’ (trafic et vente d’enfants,
l’enfant : quels ‘garde fous’ à mettre en place pour éviter corruption) susceptibles de voir le jour en cas de
de considérer l’enfant comme un objet que ‘l’on peut précipitation.
prendre et jeter à volonté’ ?
«ce sont des enfants, ce ne sont pas des choses » moi
4 - Modalités d’octroi de la kafala
je suis d’accord avec le juge, il faut attendre, pas faire
Chez la majorité des interlocuteurs, le débat relatif vite, vite… » « les associations, on ne les contrôle pas »
aux modalités d’octroi de la kafala prendra une place « n’importe qui peut faire une association, sans qu’il y
importante dans les échanges : dans ces débats tout se ait d’enquête poussée » « ici ils ont arrêté la kafala avec
mêle, la lenteur des procédures d’inscription de l’enfant, les étrangers ils se sont aperçus qu’il y avait beaucoup
l’enquête de police, le certificat d’abandon, le jugement d’argent qui circulait »… » « ils se régalent avec les
d’abandon, l’idéologie du juge, sa disposition en faveur étrangers » « n’importe quel parent peut prendre un
de l’abandon, mais aussi et surtout, le défaut de enfant, s’il donne de l’argent » « moi je suis d’accord avec
coordination entre les principaux intervenants…Lorsque la procédure je la trouve normale »….... « il faut avoir
le circuit est rodé (Casablanca, Marrakech…) la ‘tension’ plus d’informations sur la personne c’est un problème »
des intervenants baisse considérablement.

139
Dans les difficultés ‘externes’ de gestion de la kafala, et « moi j’ai pas besoin de peinture vert et bleu, moi
par ailleurs, différentes situations sont possibles : j’ai besoin de lait et de couches » ; « moi je veux
qu’on m’aide régulièrement, que l’INDH me paye
Liées au statut de l’enfant (parents connus, mères mes salaires ». l’INDH, je ne considère pas que c’est
malades mentales, parents emprisonnés) un budget ils ont peint le mur moi si je n’ai pas les
moyens je ne peints pas le mur, je préfère lui acheter à
Liées à la lourdeur institutionnelle,
manger mais comme eux n’achètent pas le quotidien
Liées à la ‘subjectivité du juge’, ni se chargent du personnel… ça c’est passager moi
ce que je veux c’est mes salaires » « moi je dépense
Liées enfin, à l’absence de coordination et/ou de 31000 dirhams en salaires, si l’indh les prend en
communication entre acteurs. charge, je serai l’homme le plus heureux du monde
» « on va pas passer le temps à fabriquer des portes
5 - Chez l’ensemble des acteurs, un constat
…l’INDH, c’est équipement et aménagement, c’est
redondant : ‘l’autre abandon’ ou la faible pas le salaire, c’est pas le pain quotidien »…
implication de l’Etat.
Le débat relatif au fonctionnement des structures, autant En revanche, des petites structures qui ont bénéficié
notamment, d’un aménagement rendu possible par le
associatives qu’hospitalières, sera majeur dans les
biais de l’INDH expriment leur gratitude, et ce d’autant
interventions des uns et des autres, des interlocuteurs
plus que les enfants ont été placés dans des lieux
rencontrés. inadaptés au sein de l’hôpital (mêlés aux malades). Par
Si l’aide des institutionnels est décrite comme ailleurs l’action de l’INDH est (plus rarement) associée
à des ‘tractations politiques’ des élus locaux qui
privilégiant, comparativement, les grandes structures,
obtiendraient un budget X, et n’en feraient bénéficier
tous s’accorderont à identifier ‘l’attitude de l’Etat’ que partiellement les demandeurs.
comme elle-même une expression de l’abandon de cette
Lors de l’étude de terrain, les aménagements de
population vulnérable.
l’INDH, finalisés ou en cours de finalisation ont été
Dans cette aide relative de l’Etat, certaines grandes remarqués, ‘ici et là’, et le niveau d’implication perçu
structures sont susceptibles de bénéficier de comme sensiblement supérieur à celui des ‘autres ‘
institutionnels, (en dehors de la ‘Santé’, impliquée par
subventions, de l’Entraide Nationale, de la mairie, de la
la ‘force des choses’). Aussi dans le présent, émerge
commune, du Ministère de la santé (traduite en soins, une nouvelle tendance, qui projette un futur où l’INDH,
mais aussi en personnel et par l’octroi de locaux au sein ‘sera’ partenaire essentiel dans la problématique de
des structures hospitalières, maternités et de pédiatrie). l’abandon.
Ces subventions sont susceptibles de varier ici de 10 à Quelles que soient les structures, leur taille, leur effectif
12% pour atteindre exceptionnellement, 20 %. et leurs moyens, l’attitude de l’Etat à l’égard de la
problématique de l’abandon sera pointée du doigt :
• Les petites structures en revanche, se décriront,
lorsqu’elles sont dynamiques, comme contraintes au
« l’Etat est complètement démissionnaire » « l’Etat est
circuit du relationnel ou de ‘l’informel’, de faire appel à des aux abonnés absents » « l’Etat il te dépose l’enfant et
connaissances pour solliciter ‘X ou Y’ des institutionnels il s’en va » « l’Etat doit aider, c’est sa responsabilité…
pour leur venir en aide. Cette aide est définie elle-même son devoir, c’est dans la convention des droits de
comme peu substantielle, irrégulière et circonscrite dans l’enfant », « l’Etat nous laisse nous débrouiller avec
l’abandon, c’est un scandale » « nous on peut aider
le temps, non contractuelle.
mais pas prendre toute la responsabilité » « moi je
Plus récemment, l’action de l’INDH se fait ‘sentir’, vous demande une chose, dites-moi où est l’Etat ,
notamment dans les aménagements. Les positions s’il vous plait, qu’est ce qu’il fait pour ces enfants»
des intervenants (grandes structures notamment) « c’est simple, c’est l’abandon de l’abandon, ils sont
plusieurs fois abandonnés ces enfants, la société les
par rapport à ces aménagements, ont été identifiées
regarde comme s’ils étaient des parias, l’Etat n’est pas
comme ambigües : d’une part, identifiées comme des
là et nous on mendie chaque jour » « l’Etat il te dit
demandes émanant des structures elles-mêmes, et en débrouille toi » « il faut que l’Etat nous aide, c’est
même temps, évoquées comme ne correspondant pas devenu urgent, la situation est grave, ça doit être
aux attentes prioritaires. l’une des priorités de l’Etat »…

140
6 - Chez l’ensemble des acteurs, I - Differentiels entre structures
le handicap, un problème majeur d’accueil
Les enfants porteurs de handicap sont sur représentés L’appréhension de la prise en charge de l’abandon, devra
en institution : au cours de cette l’étude menée, bien que tenir compte également des modalités mises en œuvre
ne faisant pas à priori partie des objectifs de recherche, au sein des structures, soit pour invoquer l’abandon,
un effectif (partiel) de 263 enfants porteurs de handicap soit pour le réparer : ces modalités peuvent se révéler
ont été recensés. Il est rare, en effet, de ne pas constater différentes, en fonction des structures d’accueil.
l’existence, même dans la plus petite structure, d’enfants
handicapés. Les enfants

Ce problème est évoqué comme d’autant plus dramatique Répartis par âges (0 à 12 mois ; 12 mois à 2 ans…) en
pour les intervenants, qu’aucune structure d’accueil fonction des structures, des capacités d’accueil et de la
n’est susceptible d’accepter leur prise en charge. (En taille du local, les enfants sont susceptibles de se trouver
dehors d’un centre à Casablanca, d’un autre en projet réunis dans une même pièce de la grandeur d’une cellule
à Layoune, et à Meknès, destinés en premier lieu à (dans une région du sud trois nourrissons dans un même
l’accueil des ‘handicapés’ généralement en provenance berceau) et de ne jamais bénéficier de la lumière du jour.
de leur structures). Il y a lieu de signaler que le centre de Ici se pose le problème, au sein de certaines structures
Meknès a été redéployé en complexe social « Ibtissama » hospitalières, de l’enfermement des enfants, et de
regroupant des services sociaux de proximité suivant le l’absence de stimulation de l’environnement :
système référentiel intégré et qui assurent le circuit de
Dans ces situations, en dehors des blouses blanches,
prise en charge des population cibles.
comme stimuli visuels, en dehors des cris qui émanent
Ces enfants porteurs de handicaps manquent de soins, des accouchées, des bruits de pas de visiteurs en guise de
nécessitent des prises en charge spécialisées, que les stimuli auditifs, rien ne figure la normalité, rien n’anticipe
associations ne peuvent que très rarement leur offrir. le développement harmonieux de l’enfant. Tout est
Par ailleurs tout se mélange dans le discours des susceptible, à l’inverse, de générer l’angoisse du nourrisson
équipes dans l’appellation handicap, sans différentiel et ce d’autant plus que ‘traditionnellement’ la parole ne
entre le handicap lourd, l’infirmité, le handicap léger et s’échange pas avec ‘un petit qui ne comprend rien’.
le trouble d’une fonction donnée…, avec les impacts Les outils :
possibles et des interférences sur le regard porté par les
Certaines structures, en vue de promouvoir leur activité,
uns et les autres, sur l’enfant, avec les conséquences
sont en possession de supports de présentation, avec
d’invalidations préalables, projetées sur lui : ‘un pied bot,’
des références, mentionnant leurs objectifs, leurs
’un bec de lièvre’ et ‘un hydrocéphale’ ou ‘un infirme
moyens et partenariats.
moteur cérébral’, un enfant qui a un retard de langage,
un trouble de la parole, ou des difficultés relationnelles, D’autres structures, de petites tailles notamment,
nommé autiste…la liste est longue. associatives ou hospitalières, ne possèderont en
revanche, aucun support susceptible de rendre compte
de leur activité et de les aider dans leur recherche de
financement ou de partenariat.
L’environnement et la vision:
• Certains cadres d’accueil de l’enfant sont apparus, sur
le plan de l’organisation, de l’aménagement, du confort,
de l’hygiène, des moyens, comme des structures idéales
pour son développement.
Quelquefois cependant, certains cadres se percevront
comme exclusivement dominés par la forme :
Des locaux flambant neufs ‘mais froids’, des jouets
en grande quantité, exposés comme dans une vitrine,
cependant inaccessibles à l’enfant auxquels ils se
destinent ; des salles de psychomotricité sans personnel
spécialisé, des programmes affichés mais démentis par
des intervenants du personnel…
Ce confort idéal confronté avec la réalité, ne permettra
pas de le voir, par ailleurs, traduit ni dans le regard, ni
dans le dynamisme de l’enfant pris en charge.

141
• D’autres cadres, ‘plus modestes’, sont susceptibles, 1- Les acteurs et le discours sur l’abandon
à l’inverse, de ‘mieux’ représenter le bien être de
Dans un discours général, l’abandon est le plus souvent
l’enfant : yeux grands ouverts, sourires, dynamisme,
appréhendé comme étant un problème social ‘compliqué’ , lié
bruits, vacarmes d’enfants, ‘hygiène vestimentaire
aux conditions économiques, éducatives, à l’ignorance,
contestable’…et d’autres signes davantage compatibles
à l’absence d’éducation sexuelle, de prévention, à
avec la vie et la normalité.
la naïveté … ‘tellement complexe’, auquel il faudrait
Ces éléments repérés, - au travers de différentes apporter ‘des solutions de tous les côtés’, en définitive
visites et observations -, doivent nécessairement être si ‘enchevêtré’ et inextricable’ qu’il impose une attitude
appréhendés comme expression des difficultés de défaitiste.
nombreuses structures, ‘livrées à elles-mêmes’, sans
Les cibles prépondérantes, auteures d’abandon,
appui, sans possibilités d’échanges sur les expériences
davantage identifiées et connues des intervenants
et les pratiques…et amenées à concevoir le meilleur
sociaux, sont les mères célibataires, issues généralement
pour l’enfant en fonction de représentations collectives
de régions éloignées de leurs lieux d’origine, lesquelles,
et subjectives.
lorsqu’elles accouchent à l’hôpital, évoquent la peur
L’investissement du confort de l’enfant, la présentation de la famille, des membres masculins notamment, et
de cadres perçus comme idéaux de prise en charge, contraintes au geste d’abandon.
seront davantage à appréhender comme des signes
qui témoignent de l’effort, considérable quelquefois, de Les abandons à l’hôpital se décrivent liés aux dispositifs
certaines structures en vue d’offrir un environnement généraux mis en place dans une région donnée, et à
conforme à la dignité de l’enfant. l’homogénéité des attitudes des différents acteurs :
comportement des forces de l’ordre qui accompagnent
L’encadrement les mères, dispositif hospitalier, homogénéité des
Le problème de l’encadrement sera évoqué comme étant attitudes des différents intervenants,
des plus problématiques dans la question de la prise Ces attitudes sont décrites comme connues des mères,
en charge. Comme évoqué, sur les nurses s’exercent orientant les unes et les autres, soit vers une structure
souvent toutes sortes de tensions. Présentées assez particulière susceptible des les accueillir ‘sans procès’,
souvent comme ayant un profil de femmes de ménages, soit les mener à l’abandon de rue, encore fréquent
et ‘heureuses d’avoir le statut de nurses’, elles sont, en et dominant, comme observé lors de l’étude (hors
échange d’une rémunération non respectueuse du droit Casablanca, Beni Mellal, Meknès).
du travail, menées à exercer un ensemble de fonctions,
allant du soin, à l’hygiène des personnes et du cadre, au • Si l’essentiel des abandons est attribué aux mères
nursing… célibataires, il est également constaté chez une catégorie
habituellement nommée les ‘femmes psychiques’,
(Sur l’ensemble des structures rencontrées seules trois femmes souffrant de pathologies mentales, menées soit
-quatre ?- rémunèrent leurs nurses conformément au d’elles mêmes à abandonner l’enfant, soit sur décision
droit du travail). de justice en cas d’hospitalisation.
Les échanges menés avec les nurses, laissent émerger • Les abandons sont également possibles lorsque dans
une forte demande de formation pratique, en rapport
le couple, l’un des conjoints, (plus rarement les deux) est
avec la relation établie avec les nourrissons et bébés,
incarcéré, menant au placement de l’enfant, sur décision
mais aussi en rapport avec leurs ‘entrées et départs’. Les
de justice également.
attachements aux uns aux autres, et les deuils successifs
à la kafala, les amènent souvent, à être en difficulté par • La prostitution de ‘misère’, affective et financière
rapport au caractère éphémère de la relation à l’enfant. (non professionnelle) est enfin attribuée d’un potentiel
(Avec un potentiel d’impact en termes d’investissement, d’abandon d’enfant.
sur ‘l’autre enfant’, ‘le suivant’). • Certaines mères sont menées cependant à reproduire
Par rapport à l’encadrement, par ailleurs, des structures l‘abandon, sans être attribuées de troubles psychiatriques :
sont dotées de personnel, aidées par le Ministère de la une catégorie de mères, non évoquée, en désir d’enfant.
Santé ou de l’Entraide Nationale, -qui détachent leurs Ces mères se mettent de façon inconsciente en
fonctionnaires et dans le cadre de ‘nouvelles dispositions’ condition de maternité et peuvent récidiver. Les unes
de ‘dirigeants’ de structures, détachés par l’Etat-, et incompétentes lorsqu’il s’agira d’assumer ce désir,
d’autres, amenées à assurer la charge de l’ensemble du abandonnent l’enfant et d’autres le gardent. Parmi elles,
personnel recruté. certaines rodées aux techniques de prise en charge :

142
L…est âgée de 28 ans ; lors de sa première • L’inceste et le viol se percevront en revanche, dans
grossesse, elle a bénéficié d’une prise en charge à un consensus collectif, comme dans le présent,
Solidarité féminine q u i l u i a p e r m i s d e v i v r e susceptibles d’être intégrés dans le champ de l’exigence
a v e c s o n e n f a n t … une deuxième grossesse la d’avortement, avec la clarification des textes de loi, sur
mènera à migrer vers Tanger pour encore une fois ces deux problèmes majeurs.
,bénéficier de la prise en charge d’une association
Synthèse des propositions d’acteurs
de soutien qui lui permet de garder son enfant.
Structures pour mères célibataires… ou abandon et
kafala
2 - Solutions entrevues par les acteurs
• De fait, dans le discours, l’abandon ne connait dans le
• Structures d’aide et de soutien aux mères présent, comme issue, qu’une solution de compromis
célibataires, centres d’écoute, structures d’aide à la qui cadre et trouve solution à l’interdit.
réinsertion professionnelle, se décrivent comme étant
• Les parents qui adoptent, sont le plus souvent présentés
les solutions les plus acceptables dans une attitude
comme des personnes en attente et permettant en
préalable qui évoque le malaise par rapport à l’interdit
quelque sorte l’équilibre :
d’une sexualité hors mariage.
• Avortement : si les équipes médicales et paramédicales
« Dieu a fait des abandonnés et des parents stériles »
se montrent les plus ‘téméraires’ en posant la question de
« Dieu fait bien les choses, il y a des familles qui
la solution de l’avortement, elles tendent généralement
n’ont pas d’enfants, et d’autres qui ne peuvent pas
à s’exprimer en privé, dans une attitude qui appréhende les élever ».
le regard de l’autre : si ‘tel médecin’, directeur de région,
pourra ‘en aparté’, entrevoir la ‘solution définitive’ en
la justifiant ‘haut et fort’, la présence d’une assistante Au travers du discours des intervenants domine de
préfectorale, de délégation ou d’un membre du personnel manière sensible, la perception que les parents adoptifs
hospitalier, le mène souvent à adopter ‘la casquette sont des sauveurs, qui apportent, d’une certaine manière,
‘une réponse équitable’ à la question ‘épineuse de la
officielle’.
sexualité en dehors du mariage’.
Cette attitude est elle même indicatrice du niveau
En même temps ces parents adoptifs, dès lors qu’ils ont
de mobilisation des individus, et de la société, encore
permis de concrétiser cet ‘équilibre’ paraissent oubliés
insuffisamment préparés à céder à la nécessité du par rapport à ce qui pourrait se jouer dans la question,
compromis social. ‘épineuse elle aussi’, de la relation à l’enfant, tenant
L’avortement comme solution à l’abandon apparaît ainsi compte de sa filiation, de son identité, de son adoption.
plus souvent, malgré quelques ‘défenseurs féroces’, Certaines réponses associatives interpellent le débat:
(relativement peu représentatifs de l’ensemble)
présenté comme encore inaccessible à cette étape « Dites lui que sa maman avait beaucoup d’enfants
de l’évolution des mentalités. Indirectement, et en et qu’elle a vu que vous n’en aviez pas…alors elle
dehors de problématiques spécifiques, l’abandon est a décidé de vous faire un cadeau » « dites lui que
majoritairement associé aux représentations collectives vous étiez une amie de sa maman et que vous
qui freinent le droit à toute sexualité ‘non opérée dans le l’avez adopté quand elle est morte » « dites lui que
champ du consensus’. ses parents sont morts » !

143
Chapitre 3

Lutte contre l’abandon


La gestion du risque
par les structures associatives
dédiees aux mères célibataires
1-L’abandon se constate, se vit,
se prévient et se corrige
L’abandon d’enfants, s’il ne peut être éradiqué dans son Terre des hommes apporte aujourd’hui encore, assistance
intégralité, n’est pas non plus une fatalité. Des moyens technique à des entités qui ont repris ses projets, et
existent pour réduire considérablement son évolution. aide au renforcement institutionnel des associations.
Ces moyens nécessitent cependant d’être intégrés Si la contribution de Terre des hommes reste à l’abri de
dans le cadre d’une réflexion qui vise à le faire fléchir, la médiatisation, son apport dans ce domaine est jugé
d’une stratégie spécifique, avec des plans d’actions, des considérable.
outils, des structures dédiées, des modalités d’actions,
et des ressources, humaines, financières. La volonté, la • Par ailleurs, la Ligue Marocaine pour la Protection
mobilisation collective sont, bien entendu, préliminaires de l’enfance, d’une autre manière et précédemment,
à toute action. a œuvré dans le cadre d’une intégration plus globale
Au Maroc, la principale initiative de lutte contre l’abandon visant la relation mère enfant, et favorisant, à un niveau
a été la création de structures de mères célibataires. La de représentativité territoriale, tant sur le travail de la
rencontre avec la ‘population mères célibataires’, a été mère, que la garde de l’enfant dès son plus jeune âge,
opérée en deux temps : contribuant ainsi à créer des’ réflexes’ en faveur de la
scolarisation de l’enfant.
Un premier temps où certaines structures sont
intervenues depuis les années soixante à des niveaux Cette intégration globale, si elle ne vise pas directement
variés, en offrant des services susceptibles de permettre la prévention de l’abandon, offre cependant à la mère les
à la mère de travailler tout en gardant l’enfant. Du fait moyens de persévérer dans la continuité de sa relation à
de la sensibilité et des représentations liées au thème l’enfant, par un soutien à différents niveaux.
‘maternité et célibat’, l’essentiel du travail de prévention
Plus tard, la ‘Ligue’ abordera plus directement le volet de
sera mené dans l’ombre.
l’abandon et sera menée à réfléchir puis créer en 2001,
• Précurseur en matière de prévention d’abandon une structure spécifique, d’aide aux enfants et mères en
d’enfant au Maroc, Terre des hommes notamment, détresse, le centre Basma à Casablanca.
ONG confrontée, au Maroc, à des réalités de terrain,
sensibilisée à la problématique, a été la première structure Si le centre Basma a hébergé 15 femmes en 2001, les
intervenant en faveur de la mère seule. L’association a données de l’association, indiquent une augmentation
longtemps œuvré, en offrant des structures adaptées très sensible et progressive de l’effectif des pensionnaires
de garde d’enfants, des services de soins associés, avec en 2008, un effectif de 104 femmes hébergées, en
à favoriser le travail de la mère, l’encourageant ainsi à cours de grossesse ou accouchées. Au total et depuis
assurer des besoins fondamentaux qui lui permettaient le début de l’activité du centre, 682 bénéficiaires ont
de vivre avec l’enfant. transité par l’association.

144
Données de Basma : évolution de l’effectif de mères prises en charge

Basma 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008

Effectifs 15 65 92 80 101 115 110 104

Le second temps de la gestion de la ‘problématique même temps que le souci de privilégier une gestion
mères célibataires’, correspondra au tournant à partir qualitative de la problématique ‘mères célibataires’, à
duquel le phénomène est nommé, exposé au regard une ‘exhibition de résultats chiffrés’.
de la société, au moyen notamment, de supports de
Aussi, en direction de la mère, une nouvelle relation, de
médiatisation.
maturité, un nouveau discours, de réalité « tu es adulte,
• Ce temps correspondra à l’action de Solidarité féminine, tu fais tes choix ».
qui interviendra en 1985, dans un environnement encore
A Solidarité féminine, l’on pointe également un différentiel
très résistant. Confrontée au départ à la question de
de perception, d’appréhension, de la société civile à
l’urgence, l’association s’exercera progressivement à
l’égard de la population ‘mères célibataires’ :
travers la pratique de la ‘population mères célibataires’,
à envisager les solutions susceptibles de favoriser le Un regard différent, plus ‘tolérant’ - attribué notamment
lien mères enfants. L’association se lancera notamment aux catégories moyennes et populaires, atteintes par
dans des projets d’insertion professionnelle de la mère les media- qui se traduira dans le réel par une meilleure
accouchée, en lui offrant hébergement, garde d’enfant réceptivité de la société, à des actions de médiation, de
et formation pratique en vue de promouvoir à la fois ses réconciliation familiale et conjugale.
aptitudes à l’emploi, et d’améliorer ses conditions de En matière d’abandon d’enfant, l’association est
rémunération. claire dans le contrat qu’elle établit dès le premier
L’association interviendra par ailleurs, en amont, dans des contact, avec la mère : intégrer l’association implique,
actions de sensibilisation, et en aval d’intermédiation, de automatiquement, que la mère n’envisage comme issue
réconciliation familiale, et/ou ‘conjugale’. Entre les deux, que la garde de son enfant, avec des exigences liées au
le premier contact avec la mère célibataire : écoute, déroulement de l’accouchement et à la garde d’enfant
accompagnement juridique, administratif… aujourd’hui
sur une année, 1000 femmes sont reçues dont 50% (« tu ne donneras pas un faux nom », « tu ne donneras
sont mères célibataires. pas l’enfant »).

En 2008, 437 bénéficiaires mères (217) et enfants


Aussi en dehors de situations, relativement
(220) ont bénéficié d’une prise en charge totale, et ont
exceptionnelles, d’inceste, où l’association ne se
été intégrés aux programmes de ‘réhabilitation socio
prononce pas, une évaluation fournie par l’association
économique et crèche’, pour une durée pouvant aller
est révélatrice :
jusqu’à trois ans.
sur 300 mères prises en charge, 1% d’abandons, après
La rencontre avec l’encadrement de l’association,
établissement de contrat et accouchement.
soulignera comme majeure, l’évolution de l’appréhension
même, du ‘phénomène mères célibataires’ avec • D’autres structures d’aide aux mères en détresse
dans le présent, une réflexion sur un ensemble de existent à Casablanca : les ‘sœurs de la congrégation
représentations, qui lui sont associées : l’image et le de la charité’ -dont l’apport est également jugé,
discours de la ‘faute commise’, reproduite dans un autant par les acteurs que par les utilisatrices, comme
premier temps, en milieu d’accueil ; la question de la qualitativement et quantitativement, ‘assez considérable’
prostitution, abordée initialement sous l’angle du délit et dans la gestion globale de la problématique mère enfant-,
de l’infraction au code pénal, la nécessité de formuler interviennent dans le domaine de la lutte contre l’abandon
un ‘discours politiquement correct’, pouvant sinon d’enfants.
pardonner la grossesse, du moins la justifier, au regard Ici aussi, la prise en charge est effectuée, lors de la
de l’autre, ‘par la misère’. grossesse, et vise en premier lieu, la ‘prévention’ de
Ce nouveau regard, qui interroge de manière différente l’abandon. D’autres services sont offerts à la mère,
les représentations, les référentiels, qui les déconstruit, visant à lui permettre, en définitive, d’assumer la charge
est attribué en grande partie à un cadre mis en place au de l’enfant dans la durée.
sein de l’association, d’accompagnement régulier, avec • SOS auparavant ‘spécialisé’ dans la prise en charge de
des discussions, échanges et réflexions sur la pratique. longue durée d’enfants abandonnés, a également investi
Dans le présent, la différence du discours se décrit, en le ‘champ de la lutte contre l’abandon’, en partenariat

145
avec des privés (fondation Oum Kaltoum) : SOS reçoit des •INSA F
mères venues spontanément ou en provenance d’autres
L’association Insaf a été créée en 1999 avec l’objectif de
associations (comme Basma), assure notamment
réinsérer des mères célibataires en société :
formation professionnelle, garde d’enfant, avec une
spécificité, d’aide matérielle : octroi d’une rémunération Un premier centre d’hébergement est mis en place,
régulière dans un cadre contractuel, aide au logement, destiné au couple mère/enfant, et la même année,
aide en nature, ( couches…). Ici le travail vise ‘l’après un nouvel objectif est visé, de lutte contre le travail
accouchement’ afin, essentiellement, d’assurer la garde domestique des petites filles. Un centre sera ouvert
de l’enfant. en 2006, qui concentrera les activités d’hébergement,
d’accompagnement médico social et les formations
• Aujourd’hui également, le Samu social, association
professionnelles destinées aux ‘populations cibles’.
créée en 2005, fruit d’une coopération entre le Samu
social international et le Ministère du développement, L’association a développé un réseau de partenariats,
gagne une place progressive dans le champ global publics et privés, d’ONG, d’institutionnels, et de
d’intervention de la problématique ‘mères célibataires’, compétences, qui lui permettent aujourd’hui de
l’un de ses axes d’intervention. A l’égard de cette contribuer, aux côtés d’autres acteurs, de manière
population, le dispositif comprend un centre d’accueil sensible et en amont, à la correction de l’abandon, à
et d’hébergement d’urgence : si au départ, il s’agissait travers un vaste programme. INSAF soutient la mère
de recueillir notamment des filles repérées dans la rue célibataire à des niveaux d’intervention directe, mais
qui se découvriront enceintes, (lors de la visite médicale aussi de sensibilisation, de plaidoyer et de prévention.
assurée par le centre), aujourd’hui, spontanément, de
Chaque année, l’association assure ‘écoute multiple’ et
‘toutes parts’, des femmes ou jeunes filles enceintes,
orientation à un effectif de 400 à 500 futures mamans ;
viennent demander une aide, et recourir, dans le cadre
d’une intervention ‘en ambulatoire’, aux services du Un travail est effectué en parallèle, de soutien
Samu social. psychologique, pour favoriser les liens, mère enfant,
‘travailler’ sur le sentiment d’exclusion, renforcer le
Par ailleurs à Casablanca, le Samu social devient
processus décisionnel,
progressivement un interlocuteur principal des équipes
de la maternité de l’hôpital Moulay Youssef situé dans Un travail d’accompagnement juridique et administratif
la même zone géographique. En 2004, sur l’ensemble est assuré (registre d’état civil, CIN, nom de la mère…)
des naissances au sein de l’hôpital, un taux de 2,2% avec un soutien à différents niveaux de prise en charge,
d’enfants nés de mères célibataires et en 2008, de 1,5% financière, administrative…
des naissances. L’association offre en outre l’hébergement, aux mères
Pour le Samu social, le suivi de l’accouchée consistera ou aux femmes en situation de grossesse (dans le
ici à apporter un soutien de ‘réconfort et de présence’ présent, à partir du sixième mois pour gérer davantage
à travers des visites régulières de l’assistante sociale, le risque d’abandon), des possibilités de réinsertion
mais aussi une assistance matérielle, alimentaire, professionnelle à travers une formation, la garde de
vestimentaire d’urgence. Après ‘accouchement, les l’enfant en crèche, et dans la mesure du possible, dans
femmes sont orientées vers d’autres structures d’aide un processus de réintégration familiale en initiant des
aux mères et enfants. contacts, à la fois avec le père biologique de l’enfant, et
la famille de la mère.
Deux constats1 :
De nombreux services complémentaires sont offerts aux
L’ensemble de ces structures de prévention décrites
mamans : sensibilisation, au droit, à la santé, éducation
intervient à Casablanca ;
sanitaire, dépistage de maladies, soins et suivi médical
Des actions ciblées, des modalités spécifiques et des ‘du couple mère enfant’.
niveaux variés de lutte contre l’abandon.
INSAF contribue enfin, à a gestion du ‘passage délicat’
d’une vie protégée vers l’autonomie de la mère, en
Pour rendre compte d’une action globale, ‘intégrée’ qui
l’accompagnant dans la recherche d’emploi, la négociation
vise à repérer en amont le risque l’abandon, (correction et
des conditions de rémunération respectueuses du droit
prévention partielle) deux expériences seront évoquées :
du travail, afin de lui permettre de vivre dans la dignité.
INSAF et Oum al Banine.
Cet accompagnement des bénéficiaires se retrouve, au
niveau du logement, des frais de fonctionnement du
nouveau foyer, où l’association participe financièrement
‘jusqu’au bout’ pour soutenir la mère. Mère et enfant sont
suivis pendant une période de deux années, bénéficiant
encore pendant cette période, de certains services.
(1) Réduction des effectifs des mères célibataires ou diminution liée au choix
majoritaire effectué par celles-ci, de migrer vers le CHU de Casablanca, plus
connu mais aussi ‘mieux préparé et largement sensibilisé’?

146
Quelques indicateurs des réalisations
de l’association
En huit années de pratique, Insaf a procédé : appartenances, économique, sociale, professionnelle
• A l’accueil, l’écoute et l’orientation de 4078 femmes. et de statut. Ces données sont apparues intéressantes
600 dans la mesure où, croisées avec les informations
Chaque année le nombre des femmes est en évolution : relatives aux ‘mères de l’abandon’, elles renseignent
aussi en 2008, cet effectif s’élève à 779 mamans. sur la similarité des configurations sociales et socio
• A 1515 enregistrements à l’état civil économiques, notamment.
400
Ces mères sont le plus souvent célibataires, analphabètes
• A l’hébergement, dans le foyer de l’association, de 756
ou ayant un niveau d’enseignement primaire, femmes
mamans avec leurs bébés ;
de ménage ou ouvrières, et leur état de grossesse décrit
• A200
la formation professionnelle de 776 mamans ; généralement comme ‘conséquent’ à une promesse de
mariage.
• A la réinsertion familiale de 247 mamans en compagnie
de leurs bébés ; Contrairement aux divers propos entendus lors de
0 l’étude et relatifs au ‘changement de populations de
• A l’insertion professionnelle de 188 mamans ;
mères célibataires’, les données ci- dessous confrontées
• A la reconnaissance par le père de 181 enfants : à celles de 2002 (‘étude mères célibataires’) rendent
• A 73 mariages de mamans, au père de l’enfant… compte d’une similarité de typologies : mêmes
arguments pour rendre compte de la grossesse, même
Indicateurs des typologies sociologiques de mères, en tranches d’âge à risque, mêmes statuts professionnels…
2008 ici cependant, les données statistiques n’opéreront pas
Proximité des profils socio économiques, mères à une distinction majeure du statut professionnel entre
‘abandonnantes’, ‘mères célibataires’. ‘l’avant et l’après’.
Les données d’INSAF, relatives aux 778 mères En tout état de cause, en termes de configurations
rencontrées au cours de l’année 2008, rendent compte sociale, et économique, le profil de l’abandon se
de variables dominantes, indicatrices de leur âge, devine ici.

Statut : mère célibataire, dominanant


600

500

400

300
Total 778
200

100

0
Célibataire Célibataire Mariée Divorcée Veuve NC
avec enfants

Age : 21 - 30 ans dominant


600

400

Total 778

200

0
Moins 15-18 21-30 31-40 41-50 plus de 50 Non
de 15 ans ans ans ans ans ans Com

147
50

Niveau d’éducation : analphabète, éducation primaire, dominants


350

300

250

200
Total 778
150

100

50

Primaire Secondaire Universitaire Sans NC

Motifs attribués à l’état de grossesse : promesses de mariage non tenues


350
350
300
300
250
250
200
200 Total 778
150
150
100
100
50
50
0
0 Promesse Prostitution Concubinage Relation Relation Viol Inceste NC
de mariage ameureuse passagére

Statut Socio professionnel : femme de ménage, sans emploi ou ouvrière, dominant


250
250

200
200

150
150

100
100
Total 778
50
50

00
Femme de Ouvrière Sans Etudiante Prostituée Autre NC
ménage

148
350
350
Au-delà des chiffres, le discours, Au sein de structures hospitalières, la gestion de la
problématique ‘mères célibataires’ est décrite comme
Les mères sont décrites pour la grande majorité d’entre
inégale, (information également corroborée lors de
elles, comme projetant dans une première étape, de
l’étude) : si au CHU la formalisation de conventions avec
connaissance de leur état, d’abandonner l’enfant.
l’association, permet une bonne coordination entre les
• Les priorités de prise en charge des 400 à 500 mères différents intervenants, d’autres maternités semblent
célibataires, conçoivent des critères de sélection des encore relativement peu sensibilisées, et par conséquent,
candidates à l’hébergement : priorité aux femmes sans plus enclines à favoriser d’une manière directe ou
ressources, coupées de leur foyer, sans logement, issues indirecte, l’abandon, des filles notamment, et les mères,
du rural, ce qui partiellement, enseigne sur la proportion plus ou moins considérées comme des prostituées, (mais
significative des femmes de ménage. également, sources de problèmes dans la mesure où les
maternités sont ‘investies’ par des agents d’autorité). Ici,
• La prise en charge précoce (6ème au lieu du 8ème
la solidarité du réseau d’intermédiation se décrit comme
mois) avec des impacts observés sur le différentiel filles
puissante, ‘unie’ et étanche, en faveur d’une ‘seule et
garçons.
même cause’.

« Quand il s’agit de fille par exemple toutes les


« Il y a un autre phénomène c’est qu’il y a dans
femmes qui veulent abandonner…quand elles sont
certaines hôpitaux… h… quand elle y va, en général,
enceintes, vont faire l’échographie avec bien sur
elle va vers la major de service pour lui dire : montrez
l’aide de la famille qui va adopter éventuellement le
moi les mères célibataires qui viennent d’arriver
bébé… et après quand ils s’aperçoivent que c’est un
aujourd’hui, parce qu’elle ne peut pas savoir ce qu’il
garçon, ils l’abandonnent…
y a dans une salle… mais des fois quand il y a une
« Quand on a commencé à prendre en charge femme qui a une fille on le lui cache on ne lui dit pas
les femmes enceintes à partir du 6eme mois de que ça c’est une mère célibataire qui a accouché »
grossesse… à la crèche il y a autant de filles que de
« dans l’hôpital par exemple quand la femme accouche
garçons… à un certain moment en 2006 et 2005… il
d’une fille on la menace : tiens, il y a une association
n’y avait que des garçons… on avait une, deux filles… »
qui arrive, fais attention ils vont prendre le bébé, c’est
mieux de l’abandonner maintenant …vite…quand il
Les risques d’abandon : les périodes à haut potentiel s’agit d’une fille, vite…ça s’agite »…« je sais qu’il y a
beaucoup d’enjeux autour de l’abandon… là- bas, les
Des étapes déterminantes au travers de la synthèse
infirmières, les visiteurs, on le sent dès qu’on arrive
des discours : la connaissance de l’état de grossesse,
qu’on n’est pas les bienvenues »
l’accouchement, l’âge de 2 à 3 ans.
• Le risque d’abandon à l’accouchement, cette volonté
d’abandon est décrite comme encouragée par les visiteurs Ce discours a été corroboré (Casablanca) dans la
au sein de l’hôpital : les représentations, les discours des rencontre avec certains éléments du corps hospitalier,
uns |maskina] (la pauvre), et les propositions des autres hors CHU : des infirmières, sages femmes, rencontrées,
(comment vas-tu faire ? je connais une voisine…). Au se montreront suspicieuses, sur la défensive, tout au
sein de l’hôpital certains, parfois les mêmes, d’autres long des entrevues réalisées, procédant cependant à des
fois en groupes, sont décrits comme venus spécialement lapsus très révélateurs comme
pour prospecter les mères célibataires… ces propos
recueillis auprès de Insaf, confortent le discours entendu « Elles -les mères- viennent nous voir après et faire
par ailleurs au niveau d’autres intervenants rencontrés un scandale » ou « il faut faire très attention, la mère
lors de cette étude. Par ailleurs, la complicité visible du peut venir après et te faire un souk » « …c’est pas
personnel hospitalier, est décrite comme sensiblement comme avant tu pouvais aider la mère, l’orienter,
plus réduite, mais l’intermédiation, encore possible, par faire des contacts…une hassana » !)
une série d’acteurs : femmes de ménage, gardiens,
infirmières.
Afin de confronter les discours relatifs, à l’informel des
contacts ont été initiés par la consultante au moyen
« Ils ont peur mais ils essayent toujours de détourner… d’intermédiations (ville de Casablanca). Une famille
de faire les choses par exemple autrement… qui ‘abrite les mères célibataires’ a été visitée ; une
maintenant ils attendent la maman à la sortie de ‘clinique’ tenue par une sage femme, ‘spécialisée’ dans
l’hôpital parce qu’avec l’intervention d’INSAF on l’avortement et l’intermédiation d’adoption ; une ‘semsara
appelle la police les autorités » et un semsar’.

149
A proximité d’un centre d’accueil, un ‘semsar’ Ce rôle assuré par l’association met en évidence la pluralité
(courtier) rode dans les parages, ‘faisant les cent pas’, des actions susceptibles de prévenir l’abandon : l’écoute
attendant l’aubaine d’une mère célibataire. et l’accompagnement des femmes à plusieurs niveaux
Il sera contacté par la consultante ‘à des fins (administratif, juridique, psychologique), le soutien et
d’adoption pour une parente très proche’, ‘sans
le réconfort, mais aussi un travail visant à modifier les
enfant et désespérée’ pour laquelle ‘elle prospecte’:
perceptions de la mère et la mener à ses mobiliser en
au premier abord, étonnement, grande méfiance,
demande ‘le pourquoi, le comment’, se renseigne sur faveur de la vie avec l’enfant.
le ‘contact du contact’… • L’abandon d’enfants
Ensuite l’appât du gain se confirmera, l’emportant
sur la prudence : « une fille ou un garçon ? » (Non Ici aussi, l’abandon d’enfants, n’est toléré ou favorisé par
une fille… et s’il vous plaît, je ne conteste pas la l’association, que dans des situations extrêmes,
forme des créatures de Dieu, mais j’aimerai autant
de pathologie psychiatrique de la mère, ou encore
que possible qu’elle nous ressemble)…il se touche le
front, réfléchit devant la difficulté de la mission, puis d’inceste avéré.
lance un « je vais voir ce que je peux faire, il faut que L’accompagnement de la mère, dans la durée, permet
je vois la mère…elle habite où » ? (Un quartier chic de
parallèlement d’évaluer le risque d’abandon d’enfant.
la ville)… « Laissez-moi votre numéro de téléphone et
le sien…je vais voir, vous me demandez de chercher Le rejet de l’enfant, est fortement associé à des raisons
un poisson dans la mer » ! subjectives et individuelles. Deux mères de même âge,
issues de milieux similaires, avec des conditions sociales
• Le risque d’abandon à l’âge de 2/3 ans : ici le risque équivalentes, réagiront de manière différentielle en
perçu est d’autant plus élevé que la mère est sans fonction de leurs vécus :
emploi, exclue de son milieu familial et affectif.
L’une oublie dès la naissance son projet d’abandon ;
L’enfant-placé chez la nourrice ou vivant avec sa mère- l’autre, plus vulnérable, formule directement son rejet,
se conçoit comme un frein, avec, à partir de deux ans, un
ou le manifeste par de la maltraitance.
autre type d’exigence, de surveillance ou de scolarisation,
de soins… d’autant plus difficiles à réaliser que la prise L’abandon de contrainte, majoritaire. Il est lié
en charge associative se réduit pour se limiter à des exclusivement à la pression familiale et sociale :
actions ponctuelles. Aussi quelquefois, malgré la volonté
de la mère, l’abandon de l’enfant à l’âge de 2/3 ans, Dans ces cas, la mère abandonne l’enfant en vue de se
semble tenir à ‘un fil’ : la présence d’une crèche gratuite, faire pardonner pour la ‘faute commise’. La mère est ici
(La ligue, souvent citée par les associations dans ce devant un dilemme : abandonner ou être abandonnée.
contexte d’aide à la scolarisation de l’enfant) à proximité
du logement, peut se révéler cruciale, à un moment Pour cette catégorie de mères, l’intermédiation auprès
donné. du milieu d’origine, la réconciliation familiale, mais aussi
Ces différents aspects évoqués rendent compte de la médiation avec le père présumé de l’enfant, sont
l’importance de l’action de dépistage, dans la lutte décrits comme étant des facteurs clés de réussite.
contre l’abandon au sein des structures, tant associatives
Les reconnaissances de paternités ont néanmoins
qu’hospitalières.
connu une évolution sensible :
Dans la mesure où ses assistantes sociales se déplacent
dans les centres d’accouchement, Insaf est perçue par En 2008, sur 500 mamans célibataires accompagnées
les acteurs, comme ‘attribuée d’une plus value’, en à un niveau juridique, il y a eu 113 reconnaissances de
matière de lutte contre l’abandon. paternité.

150
• Oum Al Banine1
En amont, dans la région et jusqu’à 2000, Terre des Evolution de l’effectif des mères prises en charges de 75
hommes, a œuvré en faveur de la prévention de en 2001, à 102 en 2008 ;
l’abandon. INSAF prendra la relève pendant deux années,
au terme desquelles elle se retire. Ces deux associations Augmentation sensible des ‘mères de passage’ de 35 à 141 ;
‘reviendront sous une autre forme’, en soutenant une
Multiplication par deux du nombre d’enfants au sein de
nouvelle association du Souss, Oum Al Banine, créée
dans la ville d’Agadir, pour venir en aide aux mères et la crèche ;
enfants en détresse. Multiplication par 8 de l’effectif des actions de
Aujourd’hui avec un effectif de 13 salariés, Oum Al banine réconciliation ;
gère une crèche et un foyer d’hébergement destiné aux
mères et à leurs enfants, dans l’objectif premier de lutter Le discours de l’association laisse entrevoir les éléments
contre l’abandon d’enfants. d’une dynamique associative, gérée avec des outils
Des modalités multiples de soutien et d’accompagnement professionnels, dotée de ressources humaines qualifiées
sont mises en œuvre, d’assistance de mères en détresse, et rémunérées, mobilisée en faveur d’une évolution
d’aide à la réinsertion professionnelle et familiale, de future et d’une amélioration de ses prestations.
sensibilisation.
Dans son programme d’action, Oum Al Banine
Dans le quotidien de ses activités, l’association ambitionne, dans la question de prévention de l’abandon,
Apporte accueil, écoute, soutien psychologique, appui de prolonger la durée de la prise en charge des enfants
médical, juridique et administratif ; à 4 ans. Ici aussi, au travers de la pratique, la prise
Héberge les mères, leur apporte aide financière en charge de l’enfant jusqu’à l’âge de deux ans a été
et matérielle, leur offre, sensibilisation, formation considérée comme insuffisante.
professionnelle accélérée, et accompagnement pour
une recherche d’emploi ; La troisième phase critique, évaluée à l’âge de 5-6 ans
-scolarisation- signe véritablement la sortie du risque
Procède au suivi des enfants pendant une durée de deux
années, garde au sein de la crèche ou par l’intermédiaire d’abandon. Au-delà de cette étape, l’enfant, scolarisé, a
de nourrices agrées par l’association ; comparativement plus de moyens de défendre le droit
Par ailleurs, à l’égard des mères célibataires, mais aussi à sa mère, mais aussi a ancré une relation suffisante à
de la population, avec l’appui de Global Rights, Oum Al sa mère pour que le problème de l’abandon ne se pose
Banine procède à l’alphabétisation juridique de femmes plus, sauf ‘cas’ exceptionnels’.
et de jeunes filles à risque : sensibilisation au droit,
prévention de l’infanticide, démarches administratives et La mise en place par La LMPE, de structures dédiées
juridiques. à promouvoir la scolarisation de l’enfant, est encore
une fois, soulignée : la gratuité offerte aux populations
Indicateurs des réalisations de l’1association
démunies, la présence de crèches, les services associés
Au total, sur une période allant de 2001 à 2008, les
(repas du midi, goûters, aide alimentaire à la mère)
données de l’association indiquent une évolution de
l’ensemble des actions de soutien et d’accompagnement souligneront là aussi, la nécessité de mener des actions
des mères : conjointes en vue de réussir la stratégie de prévention.

(1) Association du Souss pour la solidarité avec les mères et enfants


en détresse. Agadir. Région de Souss Massa Darâa

151
Synthèse : avancées, besoins identifiés,
en matière de lutte contre l’abandon
L’étude menée auprès des structures en charge de la Elle identifie également, des attentes majoritaires,
lutte contre l’abandon indique une évolution sensible
• Une implication sensible de l’Etat en matière de lutte
du travail de prise en charge, mais aussi des défis à
contre l’abandon, quantitative et qualitative ;
relever.
L’étude menée pointe en effet, • Une multiplication des structures d’aide aux mères en
détresse ;
• L’importance de la stratégie de lutte contre l’abandon
au travers de résultats tangibles. • Une aide au fonctionnement des structures en place ;
• L’importance d’une action de dépistage, effectuée en • Un déploiement de structures dans les régions pour
amont, au sein des structures hospitalières. ‘corriger les inégalités’ et mieux lutter contre l’abandon.
• La difficulté de prise en charge d’une population qui
Mais aussi, à l’analyse de l’ensemble des résultats
le plus souvent, cumule les facteurs de vulnérabilité,
d’étude,
avec la nécessité, à la fois de conjuguer les actions, et de
les entreprendre dans la durée. • La nécessité d’une plus grande coordination des
• Les risques d’abandon majoritaires à la grossesse, à structures impliquées, avec des transferts, de savoir
l’accouchement, à l’âge de 2/3 ans, plus rarement à l’âge faire, de réflexions, et d’expériences ;
de 5 ans.
• Une cohésion des acteurs, avec une homogénéisation
• Le poids puissant des représentations collectives, des procédures et des approches,
son impact psychologique sur les ‘mères en faute’, sur
l’éducation de l’enfant, et les projections d’avenir de la • La nécessité de tenir compte des évolutions sociales
mère célibataire. et des populations mères célibataires ;

• L’importance considérable du besoin d’intégration • La nécessité d’appréhender un type de prise en


familiale, son impact sur l’ensemble du projet de lutte charge non exclusivement basé sur la quantification des
contre l’abandon. actions.

152
Conclusions, Recommandations
L’abandon d’enfants,
• Obéit à des contingences psychologiques, liées aux • De la culture du droit et de l’égalité,
histoires d’individus ;
•De la lutte contre les discriminations hommes/femmes,
• Obéit à des contingences socio religieuses liées aux femmes/hommes,
interdits qui censurent les individus, les femmes en
particulier, dans leur rapport au sexuel et les rendent • De l’éducation des femmes et des hommes,
coupables ; • De l’éducation sexuelle des femmes et des hommes,
• Obéit à des contingences sociales, familiales et • De la sensibilisation de l’ensemble et des ‘populations
économiques, liées aux moyens des individus et à risque’,
aux possibilités qui leur sont offertes au sein de leur
environnement d’origine ; • De la communication,

• Obéit à des contingences éducatives, liées aux outils • De la dénonciation des pratiques informelles.
à disposition des individus pour le prévenir en adoptant
Il se corrige au moyen d’une stratégie qui vise à
des attitudes appropriées
maintenir dans la mesure du possible, le lien mère enfant
• Obéit à des contingences géographiques associées à conformément à la Convention de la Haye.
la fois aux comportements des individus en matière de
sexualité dans un lieu donné, (possibilités de rencontres • Par l’écoute, l’orientation et l’accompagnement de
mais aussi de prévention) et aux possibilités offertes à futures mères,
travers les structures offertes ‘pour abandonner’. • Par l’insertion économique et familiale des mères,
• Obéit aux poids des représentations qui discriminent • Par la mise en place de structures d’hébergement
filles et garçons et fournissent aux contingences de
mères enfants,
l’informel et du trafic, des filles en particulier, la possibilité
de s’exprimer et de se déployer de façon croissante, dans • Par la généralisation de la politique à l’ensemble du
la régularité, en dehors de la légalité. territoire,
Il se combat en profondeur et en tant que phénomène, • Par la mise en place de cellules de soutien des jeunes,
au moyen,
• Par l’intégration des pères, dans la logique de prise en
• De la déconstruction de schèmes de représentations charge de l’enfant,
hostiles à l’équilibre des relations hommes/femmes ;
femmes/hommes, • Il se corrige aussi par la kafala de l’enfant.

153
Analyse swot du phénoméne de l’abandon

1- Analyse interne : abandon, une double identité formelle et informelle

Forces Faiblesses

• Phénomène global
Reflet réel des paradoxes de la société. Contraint à se dissimuler pour
exercer
Malaise général à l’évoquer,
Soutenu par l’interdit sexuel hors mariage,
Soutenu par les représentations collectives de la faute (enfant ‘hrami’),
Soutenu par les représentations hommes/femmes,
Soutenu par toutes les formes de vulnérabilité qui impactent sur la construction
de la personnalité : la violence domestique, les carences affectives, les
histoires d’abandon vécues, les troubles psychiatriques,
Renforcé par les facteurs de vulnérabilité liés à l’environnement : conditions
socio économiques, niveaux d’éducation, scolaire et sexuelle, délinquance.

• Abandon informel
Tout puissant, ‘sauvage’, fonctionne en dehors des lois, institutionnelles, Manifestation aléatoire au profit
sociales et religieuses, de l’informel et de la discrimination
filles garçons.
Non identifiable, échappe aux individus, ‘marche’ dans l’ombre,
Logique de croissance haussière non contrôlable dans le présent, Processus de traçabilité déficitaire,
Traçabilité relative, faible dans les
Lucratif avec des enjeux financiers, provinces,
Des professionnels qui le gèrent,
Des ‘free lance’ qui le soutiennent,
Saisit toutes les opportunités et les opportunismes, avec des complicités à
‘tous les niveaux’,
Soutenu par une politique de prévention insuffisante,
Soutenu par une certaine complaisance liée à la tradition et aux compromis
sociaux,
Procédures insuffisantes pour le contrôler,
Absence de stratégie destinée à le combattre.

• Abandon Formel
Choisit ses cibles, discrimine les filles et les garçons, Faible niveau de prévention
Choisit de s’exprimer de façon aléatoire,
Complice de l’informel, s’exprime quand il ‘veut, où il veut’,
De manière dominante, choisit la rue pour se manifester,
Est alimenté par la peur,
S’appuie sur des complicités féminines.

154
1-1-Analyse externe du Phénomène de l’abandon

Menaces Opportunites

• Abandon, phénomène global L’attitude des institutionnels en matière de dénonciation,


en matière de restriction de l’information, d’accès à
L’évolution du droit,
l’information et de transparence.
L’évolution du droit des femmes,
L’environnement, culturel, social, juridique.
L’évolution des mentalités,
La structuration en cours du secteur, Le paradoxe sociétal en matière de gestion des
(L’intérêt des commanditaires de cette étude). relations sexuelles : dissimulation et culpabilité.

Les contraintes morales exercées sur les femmes,

Les violences à l’encontre des femmes,

La violence des représentations à l’encontre des


hommes,

Les contraintes de statut qui pèsent sur les hommes.

• Abandon informel Sa politique d’incitation de la discrimination filles


garçons : avec un écart qui se creuse de plus en plus
Visibilité du formel et lui permet de faire des prévisions d’avenir,

• Abandon formel Sa complicité avec l’informel avec le choix d’une


Solidarité sociale puissante qui lutte pour le transformer politique qui segmente le marché : laissant la cible
en adoption, féminine à l’informel.

Mobilisation élevée d’acteurs associatifs

Potentiel de correction par la kafala,

Potentiel élevé de correction par les structures d’accueil


aux mères célibataires,

Identification et visibilité en cours,

Traçabilité en cours.

155
2 - Analyse Swot des acteurs de la prise en charge

2-1- Analyse interne


Forces Faiblesses
• Secteur associatif • Secteur associatif
Très forte mobilisation des acteurs : énergie, temps, moyens, Insuffisance de moyens financiers,
Bénévolat et solidarités individuelles, Insuffisance de moyens, d’outils et d’encadrement ;
Implication sensible du secteur privé, Données et paramètres de l’abandon, hétérogènes,
Déploiement des structures d’accueil de l’enfant, partielles, discontinues ;

Actions positives sur la visibilité de l’abandon, Une représentation géographique dans les provinces, limitée ;

Lutte contre l’institutionnalisation de l’abandon, Déficit de coordination des actions de la prise en charge ;

Efforts soutenus pour transformer l’abandon en kafala, Déficit de communication entre acteurs : relations
dominées par des considérations subjectives ;
Efforts en vue d’organiser les données d’identification de l’abandon,
Différentiel en matière de soutien en provenance
Efforts de sensibilisation des acteurs institutionnels,
des institutionnels ;
Des structures fortement impliquées dans l’action de plaidoyer (LMPDE)
Prises en charge le plus souvent guidées par l’affect
Une représentation géographique dans les grandes villes, et ‘l’intuition’ des acteurs ;
Lutte contre la mortalité de l’enfant Absence de réflexion sur les pratiques de prise en
Lutte contre les discriminations filles garçons charge, remise en cause difficile ;

• Prise en charge • Prise en charge


Amélioration des conditions et de l’environnement d’accueil, Alimentaire et sanitaire maîtrisée mais précaire ;
Progrès sensibles de prise en charge : santé, entretien, hygiène, scolarisation Gestion autoritaire de l’encadrement, dominante ;
de l’enfant de 2 ans (apports LMPDE),
Rémunération de l’encadrement majoritairement
Parents en forte demande de kafala, insuffisante, non conforme au droit du travail ;
Accueil et prise en charge de l’enfant dans la durée, Stress de la kafala : impact sur le type de prise en
Création de structures dédiées à la prise en charge de l’enfant de plus de charge ; risques sur les moyen et long termes ;
six ans (LMPDE)
Absence de réflexion sur les problèmes potentiels et
Existence de structures constituées sur le modèle de la famille (SOS, LMPDE). consécutifs à la kafala d’enfants ;

Enfants de plus de six ans non adoptés et transférés


dans les maisons de bienfaisance: potentiel très fort
de souffrance et de déviances ;

Taux de handicap très élevé ;

Existence d’intermédiations en faveur de l’informel ;


• Santé • Santé
Forte implication en matière de gestion de l’abandon : accueil, soins, prise Quelques structures menaçantes pour l’évolution de
en charge l’enfant, non conformes au droit de l’enfant.

Structures d’accueil au sein des hôpitaux de provinces ; Un milieu généralement hostile au développement
de l’enfant,
Mobilisation d’acteurs en vue de favoriser la prise en charge de l’enfant,
Risque sanitaire et psychologique,
Très forte implication des intervenants sociaux et équipes opérationnelles
en faveur de l’enfant, Implication forcée et perception dominante de
contrainte : impacts sur la prise en charge de l’enfant.
Contribution notable à la diminution de la mortalité de l’enfant,
En l’absence de soutien associatif, le type de prise
Etablissement de partenariats avec le secteur associatif ;
en charge dominant vise le respect de normes
Amélioration sensible des procédures d’accueil et des attitudes à l’égard essentiellement sanitaires.
des mères célibataires (grandes villes) ;
Existence d’intermédiations en faveur
Cellules d’accueil violence : orientation des mères célibataires et impacts de l’informel.

156
2-2 - Analyse externe du secteur de la prise en charge

Menaces Opportunités

• La tendance haussière de l’abandon, Aucune dans le présent, mais

• L’institutionnalisation des structures, Un plaidoyer est susceptible de bénéficier à une


meilleure maîtrise de la problématique globale
• Des risques accrus d’inadaptation entre l’offre
et les besoins, Système d’information.

• Le handicap, Lois.

• L’insuffisance de données et de paramètres d’identification, Financement et implication de l’Etat.

• Les ‘conflits d’acteurs’ : pas de consensus ; en faveur du Coordination des acteurs.


désordre et de la confusion.
Prise en charge.
• La précarité.
La gestion du projet par un institutionnel impliqué
• Les impacts sur des phénomènes de société : violence, de façon concrète.
délinquance, abandon, exclusion, vulnérabilité sociale et
économique.

157
3 - Analyse interne d’acteurs institutionnels

Forces Faiblesses

• Justice • Justice
Mobilisation en cours en faveur du respect du droit Des attitudes évoquées, au niveau des tribunaux, de non
de l’enfant ; discours qui évoque l’intérêt supérieur de respect des procédures de loi
l’enfant
Resistances d’individus, représentations subjectives
Progrès sensibles en vue d’une organisation de
Défaut de synthèse et d’analyse en matière de données
l’information au niveau des tribunaux de la famille,
relatives à l’abandon,
Données disponibles, les plus représentatives de
Dans certaines régions définitions de l’abandon d’enfants
l’abandon formel ;
qui intègrent les enfants des rues et les populations
Confiance croissante des mères célibataires dans la vulnérables : impacts sur les données.
justice : abandon direct pour kafala, tanazzoul ;
Une coordination souvent liée à des affinités relationnelles ;
Retards dans le traitement des dossiers de kafalas,
Très faible niveau de suivi des parents kafil
Resistances de certains juges : défavorables aux femmes
célibataires ; aux étrangers ; impacts sur kafala

• INDH • INDH

Vision projets, avec indicateurs de performance Tendance à favoriser la construction de grandes


structures, ‘de luxe’ ;
Dynamisme et implication en faveur des populations
vulnérables Taille des structures en faveur du risque de
l’institutionnalisation de l’abandon.
Projets nombreux de construction des structures dédiées
à l’accueil et à la prise en charge ; Offre quelquefois perçue comme inadaptée.
Participation active à l’aménagement de structures Offre quelquefois perçue comme bénéficiant à certains
d’accueil dans l’ensemble du territoire acteurs au détriment d’autres acteurs.
Interventions dans des régions enclavées, à fort besoin
Aide financière occasionnelle,

• Ministère du développement, de la famille • Ministère du développement, de la famille


et de la solidarité et de la solidarité

Chef de projet dans la mise en place du PANE; Un niveau d’implication insuffisant, décrié par les
acteurs.
Supervise l’Entraide Nationale
Offres insuffisantes en matière d’encadrement, à défaut
de statut des travailleurs sociaux
Aide insuffisante majoritairement attribuée aux
institutions de bienfaisance ;
Aide minime en direction des structures d’accueil des
moins de 6 ans.

158
Recommandations
Des priorités et des urgences 3 - Retrait de l’enfant des structures
1 - L’engagement moral et financier de l’état,
hospitalières,
2 - Formalisation du processus d’identification de Des unités d’accueil à proximité de ‘la santé’,
l’abandon d’enfants,
Préparer le retrait progressif de l’enfant ‘hospitalisé’,
3 - Retrait de l’enfant des structures hospitalières,
S’adosser sur les structures associatives existantes
4 - Coordination de l’ensemble des acteurs, ‘soutenues par l’Etat’.
5 - Lutte contre l’abandon, axe correction, 4 - Coordination de l’ensemble des acteurs,
6 - Lutte contre l’abandon, axe prévention, Entre acteurs de la prise en charge associative et
7 - Gestion du handicap. hospitalière : cohésion du discours, des attentes,
Pour un plaidoyer en faveur du droit supérieur de l’enfant, consensus et propositions d’actions majoritaires,
favorable, Entre acteurs de la prise en charge institutionnelle :
En premier lieu, au droit à sa famille naturelle, cohésion du discours, consensus et suggestion d’actions
majoritaires,
En second lieu, à sa kafala par une famille d’adoption,
Passerelles de collaboration entre les acteurs, de la prise
En troisième lieu, à son intégration en famille d’accueil,
en charge et de l’Etat.
En dernier lieu, à son placement dans des structures
d’accueil adaptées à son développement global, calquées 5 - Lutte contre l’abandon, axe correction,
sur le modèle de la famille. Aide au fonctionnement des structures,
1 - L’engagement financier et moral Déploiement de centres spécialisés d’accompagnement
de l’état,
et d’hébergement ‘mères enfants’,
Aide conséquente au fonctionnement des structures
Accompagnement de la mère célibataire, en matière de
d’accueil de l’enfant,
réinsertion socio professionnelle et familiale,
Déploiement de structures à ‘taille humaine’ dans les
régions, Cohésion des acteurs pour homogénéiser les discours,
les pratiques et les actions,
Déploiement de structures calquées sur le modèle de la
famille, Passerelles de discussion et d’échanges sur les savoirs
Soutien et aide au fonctionnement des programmes de faire,
correction, Renforcement des programmes de la LMPE en matière
Soutien et aide aux programmes de prévention, de scolarisation,

Déploiement de structures dédiées à la prise en charge Communication grand public et sensibilisation de


mères enfants, populations : média, radio et télévision (débats,
Déploiement de cellules d’écoutes dédiées aux jeunes. documentaires, informations).

2 - Formalisation du processus 6 - Lutte contre l’abandon, axe prévention,


d’identification de l’abandon d’enfants, Education sexuelle en milieu scolaire,
Un système d’information ‘verrouillé’ qui trace sur le Cellules d’accueil en milieu scolaire,
long terme, l’itinéraire de l’enfant depuis son recueil
par les forces de l’ordre, et procède à son suivi chez Sensibilisation en milieu étudiant : campagnes de
l’ensemble des acteurs (santé, structure d’accueil, prévention, média,
justice, kafala…),
Contraception : campagnes de sensibilisation, catégories
Des paramètres d’identification intégrés par l’ensemble à risque,
des acteurs avec une homogénéisation des définitions,
Une formation des acteurs, Travail sur les impacts des représentations associées
aux genres, féminins, masculins,
Une cellule spécialisée, qui centralise l’information,
procède à l’analyse de l’abandon et communique ses Coordination des actions, des acteurs de la correction et
résultats annuels à l’ensemble des acteurs. des acteurs de la prévention.

159
7 - Gestion du handicap chez l’enfance
abandonnée.
Mise à disposition des structures en charge de l’abandon, Des circuits de coordination formalisés, connus de tous,
de personnel spécialisé, d’équipement et de subventions
afin de contrer les arbitraires d’individus.
supplémentaires, en vue de favoriser le bien-être de
l’enfant, Les moyens
Nécessité de déployer des structures spécialisées en L’engagement financier de l’Etat
faveur des populations à besoins spécifiques : lieux
de vie, moyens, outils, plans d’actions, ressources Des structures susceptibles d’accueillir et de prendre en
humaines. charge dans la durée, l’enfant non pris en kafala, dans le
respect du droit et de la dignité de l’enfant ;

Des ressources attribuées aux acteurs de prise en charge


Pistes de réflexion, actions et aux défenseurs du droit de l’enfance abandonnée ;

La Loi La définition des rôles, fonctions et missions des


Renforcer l’enfance abandonnée dans les textes différents acteurs ;

de loi : La valorisation du statut de l’assistant(e) social(e) ;

Kafala La valorisation du statut des intervenants en charge


Protéger l’enfant : inciter le parent adoptif en faveur du du nourrisson, et du mineur abandonné, et ce, dans le
tanzil, respect du droit du travail ;
Âge de déchéance de la kafala, (à reconsidérer ?) Des moyens humains avec davantage d’acteurs en
Âge du kafil, (à limiter ?) charge de la kafala : enquêtes, diagnostics, suivis.
Mise en place de procédures visant à assurer Les outils
l’engagement du kafil ;
Des outils professionnels, homogènes de prise en
Suivi de la kafala
charge de l’abandon : encadrement, formation,
Mise en place de procédures visant à contrecarrer le accompagnement des équipes opérationnelles.
secret de l’adoption ;
Des outils de gestion et d’évaluation de performance
Dans le suivi de l’enfant, des engagements du parent
kafil ; des uns et des autres ;

Fixer formellement les droits des parents naturels de Un système d’information susceptible de rendre compte
l’enfant abandonné ; et de consigner les données de manière objective, afin
L’abandon informel : lutte contre la pègre de l’abandon, d’étudier l’évolution de la problématique de l’abandon,
condamnations exemplaires et médiatisation dans sa réalité, dans ses différentes expressions et dans
Les procédures sa complexité.

Un maître d’œuvre chargé de la supervision de Les actions


l’ensemble des dispositions, des réflexions et des
Problèmes de l’adoption et du secret de l’abandon :
structures en charge de l’abandon ;
actions de sensibilisation ;
Concevoir des dispositions qui engagent la responsabilité
claire de l’Etat en matière d’abandon, ainsi que les Kafala, lumière sur les contraintes et les moyens de leur
modalités de collaboration, possibles, de la société civile ; dépassement ;
Examiner les actions à mener dans le suivi et le contrôle Adoptions illégales… sensibilisation ;
des différents acteurs qui interviennent directement
dans la question de l’abandon ; Lumière sur les violences, les représentations sociales,
Des mécanismes, des dispositifs, et des moyens pour les discriminations filles/garçons, et les déterminismes
faciliter le suivi de l’enfant abandonné ; historiques, sociaux qui mènent à l’abandon.

160
Journee de présentation
des résultats d’étude
Les principaux résultats d’étude ont été présentés contiennent des figures parentales stables (un couple
en présence d’acteurs, institutionnels, associatifs, à ‘réel’ a été proposé pour tenir compte des spécificités
la direction de la Ligue Marocaine pour la Protection
de l’environnement social) et une fratrie. Les modalités
de l’Enfance. A la présentation des résultats et au
du ‘fonctionnement de la famille’, de l’encadrement, et
débat, ont succédé des ateliers visant l’élaboration de
du suivi, feront l’objet d’un travail de réflexion futur.
recommandations par les participants.

Trois ateliers ont été réalisés et animés par les consultants 3 - Pour une gestion améliorée
du bureau: ateliers, ‘prise en charge’ ; ‘loi’ et ‘prévention de l’existant.
de l’abandon’. Nécessité d’envisager des modalités professionnelles
Atelier 1 : prise en charge de gestion pour les structures associatives en charge
de l’accueil de l’enfant, avec la séparation des domaines
Thématiques abordées et questionnements d’intervention et des compétences des intervenants,
Quelles modalités pour une prise en charge globale de membres de comités, équipes opérationnelles..
l’enfant ?
Il s’agira ici de réfléchir à des conditions ‘saines’
Environnement, encadrement, outils, vision. d’environnement de gestion et d’encadrement,
Quel processus et paramètres d’identification de susceptibles d’assurer une continuité de prise en charge
l’abandon d’enfants ? de l’enfant de ‘0 à 18 ans’ : des procédures qui différencient
les rôles, fonctions et missions des intervenants, ceux
Quels dispositifs pour assurer le retrait de l’enfant des
investis dans la cause, qui accompagnent et soutiennent,
structures hospitalières ?
de ceux qui travaillent et entretiennent.
Quels dispositifs pour assurer une coordination des
acteurs ? Une définition claire du statut du dirigeant opérationnel,
de l’établissement est fortement souhaitée.
Quelles propositions pour la gestion du handicap ?
4 - La gestion de l’existant : formation
du personnel de la prise en charge,
formation continue, valorisation de statut.
Recommandations des participants Il s’agira ici d’élaborer une stratégie qui vise la
1 - Pour un protocole unifié de prise en charge professionnalisation du mode d’appréhension,
de l’enfant abandonné à la naissance. d’intervention et de relation de l’ensemble des
intervenants : l’objectif est d’assurer une gestion
Ce protocole dont le contenu devrait faire l’objet d’un qualitative des actions menées en direction des
travail de réflexion futur, ambitionne de formaliser des
‘catégories de populations victimes de l’abandon et
normes de conduites et de procédures de prise en
placées’, de différents âges.
charge afin de permettre les modalités d’une gestion
qualitative de la relation à l’enfant. Ce protocole contient Un référentiel ‘droits humains’ dominant, dans un cadre
par ailleurs, l’harmonisation du process d’identification d’exercice, conforme au droit du travail est fortement
de l’abandon, à travers la définition de variables clés souhaité.
communes à l’ensemble des intervenants et acteurs de
la gestion de l’abandon : ces variables doivent rendre 5 - La gestion de l’existant : la parité
compte de la traçabilité de l’abandon, à travers la mise en sexuelle au sein des structures d’accueil.
place d’un process d’informatisation et d’uniformisation
des données. Il s’agira ici de contrer les attitudes favorables à la
répétition à la fois des représentations hommes/femmes
Un chef de projet : le Ministère du Développement social et des ‘discriminations’ opérées en milieu d’accueil au
de la famille et de la solidarité.
niveau des équipes et de leurs rôles : mettre en place des
2 - Pour un développement harmonieux de dispositions qui favorisent une intégration des figures
l’enfant en milieu d’accueil. parentales de substitution, toutes deux nécessaires au
développement de l’enfant.
La mise en place d’une stratégie nationale qualitative de
recueil et d’accueil de l’enfance abandonnée : avec des Aujourd’hui, dans les structures de prise en charge de
structures de petites tailles et à faible capacité d’accueil l’enfant de moins de 5/6 ans, la nécessité de recruter
ou ‘maisons familles’. Ces maisons familles des hommes..

161
Conclusions : 2 - Recommandations relatives
La gestion du handicap et l’accueil durable de l’enfant en
aux modifications à apporter à la loi
situation d’abandon au sein de structures hospitalières,
sur la kafala :
sont apparues comme des recommandations Ajouter un article qui prévoit une procédure d’agrément
transversales qui nécessitent une réflexion et des actions pour les personnes désireuses de recueillir un enfant
de l’Etat. en kafala (et son texte d’application). Pour les résidents
à l’étranger, l’agrément des services sociaux de leur
Les recommandations effectuées sont appréhendées
pays d’origine, doit figurer dans les pièces à fournir
comme prioritaires et nécessitant une programmation
obligatoirement. Cela pourrait d’ores et déjà, être ajouté
‘urgente’ à un niveau de réflexion, susceptible de se aux conditions énumérées par l’article 9.
traduire en actions sur les court et moyen termes.
Article 2 : Compléter la phrase de l’article 2 « ....au
Atelier 2 : loi même titre que le ferait un père pour son enfant... » de
Pour un plaidoyer en faveur du droit supérieur de l’enfant, la manière suivante : « ....au même titre que le ferait un
favorable, père ou une mère pour son enfant... ».

En premier lieu, au droit à sa famille naturelle, Article 6 : Cet article prévoit un délai de trois mois à
respecter pour, après publicité, permettre aux parents de
En second lieu, à sa kafala par une famille d’adoption, l’enfant de se faire connaître, avant le jugement déclarant
Thématiques abordées et questionnements l’abandon. Certains participants proposent de réduire ou
supprimer ce délai. Mais l’unanimité n’a pas été atteinte
Comment renforcer l’enfance abandonnée dans les sur ce point. La question pourrait être soumise à la
textes de loi commission visée en 1. Les résultats de l’étude menée
Le tanzil ? et le droit supérieur de l’enfant ne sont pas favorables à
cette recommandation..
L’âge de déchéance de la kafala, (à reconsidérer ?)
Article 9 : Fixer un âge maximum pour la mère qui
Âge du kafil, (à limiter ?) désire recueillir un enfant. L’atelier propose 48 ans pour
Des procédures visant à assurer l’engagement du kafil ? un nouveau né. On peut ajouter à cet âge, le nombre
d’années de l’enfant au jour d’attribution de la kafala.
Comment optimiser le suivi de la kafala ?
Article 16 : Modifier la composition de la commission :
Que faire pour contrecarrer le secret de l’adoption ? supprimer le « représentant de l’autorité locale et du
Quels engagements possibles du parent kafil pour éviter Ministère des Affaires Islamiques » et ajouter « un
le retour de l’enfant en institution ? représentant de la structure qui a recueilli l’enfant ».
Préciser que la commission prend sa décision après avoir
Quels droits formels et définitifs donnés aux parents consulté l’enquête de police et l’enquête sociale.
naturels ?
Article 24 : Prévoir un texte d’application organisant le
Quels droits formels et définitifs des parents adoptifs ? suivi de la kafala lorsque les personnes qui l’assurent,
Des moyens juridiques pour lutter contre l’abandon partent à l’étranger.
informel ? Article 25 : Permettre aux personnes assurant la kafala,
Quels mécanismes de suivi pour l’enfance abandonnée ? d’organiser, avec l’assentiment du juge des tutelles,
le sort de l’enfant au cas où ils décéderaient avant la
Quels dispositifs pour contrer les arbitraires d’individus ? majorité de l’enfant.
Les recommandations résultant des travaux de l’atelier Améliorer la rédaction de l’alinéa 4 pour que l’homme
peuvent être regroupées sous trois rubriques : puisse conserver la kafala en cas de décès de son
1 - Recommandation relative à la constitution épouse.
d’une commission interministérielle à laquelle Article 26 : Réécrire l’article en renvoyant ‘purement et
seront adjoints des représentants des ONG qui aura une simplement’ au code de la famille.
double mission :
Article 29 : Cet article concerne le retour de l’enfant
Elaborer un guide pratique décrivant précisément les confié en kafala à sa famille naturelle. Il n’est ni clair, ni
procédures à suivre pour l’attribution de la kafala dans le suffisant pour régler un problème d’une telle importance.
but d’uniformiser ces procédures. Une réflexion approfondie doit être menée sur ce point et
pourrait être confiée à la commission prévue en1.Lors de
Faire des propositions de modifications pour les articles la plénière de restitution, il a été proposé de compléter
de la loi sur la kafala ‘peu clairs’ ou posant des problèmes, l’article 22 en prévoyant que le Kafil devra remplir ses
en particulier les articles 6 et 29. engagements à l’égard de l’enfant, même en cas de
renoncement ou de déchéance. Dans ce cas le kafil,

162
devrait être tenu de pourvoir aux besoins de l’enfant. réduit d’intervenants, non impliqués par ailleurs dans les
Mais cette proposition n’a pas recueilli l’assentiment de actions de correction et de prévention de l’abandon.
toutes les personnes présentes. Les axes majeurs évoqués concerneront essentiellement
des actions de prévention globale.
3 - Recommandations d’ordre général :
Vulgariser le texte de la loi sur la kafala et le porter à la 1 - Un axe information, formation,
connaissance de tous les intervenants dans le domaine sensibilisation
de l’enfance. Il porte sur la mise en place d’une stratégie de prévention
Mettre au point un système d’information sur le effectuée en direction des populations jeunes en milieu
déroulement concret de la procédure d’attribution de la scolaire. Objectif : éducation sexuelle.
kafala. Il porte également sur la nécessité d’élargir le domaine
Elaborer un statut de l’assistante sociale. de prévention aux jeunes non scolarisés : recherche de
sources appropriées, diversification des sources et des
Prévoir un comité de suivi pour l’exécution des supports.
recommandations ci-dessus.
2 - Un axe orientation des jeunes filles
Atelier 3 : lutte et correction de l’abandon en situation de grossesse
Lutte contre l’abandon, axe correction, Mise en place de structures d’accueil dédiées aux jeunes,
écoute, accompagnement des jeunes, orientation des
Thématiques abordées et questionnements jeunes filles en situation de grossesse.
Identification des acteurs de la prévention, de la Déploiement de structures en régions.
correction
3 - Un axe contraception
Quelle politique à mettre en place pour la lutte contre
l’abandon ? Nécessité de développer une stratégie de prévention qui
inclue les jeunes.
Une insertion globale ?
Nécessité d’offrir aux jeunes, des possibilités d’usage
Une insertion différenciée, par spécialité ? Hébergement, de la contraception qui tiennent compte de la proximité
insertion professionnelle… du centre de santé, comme frein d’usage : offrir la
Des spécialités par association ? possibilité aux jeunes, d’accéder à la contraception en
milieu hospitalier dans des lieux éloignés des lieux de
Quels circuits de coordination dans le présent résidence et ce afin ‘d’échapper au contrôle social’.
Quels indicateurs ? quelles définitions ? 4 - Avortement
Homogénéité des discours et des pratiques de prise en La question de l’avortement ‘total’ soulevée par deux
charge ? intervenants a rencontré des résistances majeures chez
Quels transferts de savoir faire ? d’autres.

Quelle politique de communication pour sensibiliser les En revanche, les situations jugées ‘exceptionnelles’
populations ? seront attribuées par l’ensemble, d’une ‘nécessité vitale
d’avortement’ : aussi l’unanimité s’est-elle portée sur la
Lutte contre l’abandon, axe prévention, possibilité d’avortement en cas de viol et d’inceste.
Identification des acteurs
5 - Multiplication des structures d’accueil
Quelles actions en faveur de l’éducation sexuelle en destinées aux mères célibataires et à leurs
milieu scolaire ; enfants et déploiement en régions.
Quelle politique de coordination avec les cellules d’accueil Un numéro vert est préconisé afin d’orienter les jeunes en
en milieu scolaire ; situation de grossesse vers les structures appropriées.
Quelle politique de sensibilisation en milieu étudiant ?
6 - Médiatisation
La contraception : quelle politique globale ? quelle
politique en direction des catégories à risque ; Usage des media comme vecteur de sensibilisation des
populations :
Quel type de coordination des acteurs de la prévention ?
La presse, la radio, la télévision, devraient servir de
Quel travail effectué ou à effectuer sur les impacts supports d’échanges, de discussion et de communication
des représentations associées aux genres, féminins, pour évoquer les thèmes de la grossesse, de l’abandon,
masculins ? Quels acteurs prioritaires ? quelles actions ? ; pour indiquer l’existence de structures d’accueil mais
Quelle coordination dans le présent entre actions, aussi pour parler de la nécessité de prévention et du
acteurs, correction/prévention ?. contrôle des grossesses.
L’atelier ‘correction et prévention’ a regroupé un effectif

163
Fonds des Nations Unies pour l’Enfance Ligue Marocaine pour la Protection de l’Enfance
Bureau du Maroc
Rue Mellouza - Avenue Oued Akrach
1, rue Bani Bouayache Hay Ennahda II
Angle Avenue Mohammed VI Rabat ( Maroc )
Rabat (Maroc) Tél. : +212 537 759 675
Tél. : +212 537 75 97 41 Fax : +212 537 759 680
Fax : +212 537 75 97 60 www.lmpe-maroc.org
www.unicef.org/maroc

La Ligue Marocaine
pour la Protection de l’Enfance

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