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Les enjeux géopolitiques

contemporains

Mai 2022 8
1
Revue NejMaroc

Directeur:
Dr. Mohamed Badine El Yattioui

Comité Éditorial :
Yassine El Yattioui
Nicolas Klingelschmit

Chargée de création des supports


graphiques : Think Tank NejMaroc
Beatriz Andrea Lara García

Social media manager & Community


Manager: Président:
Mohssin Datssi Dr. Mohamed Badine El Yattioui

Conseil Scientifique: Vice-président:


Dr. Claudia Barona Castaneda, Dr. Claudia Barona Castañeda
UDLAP, Mexique
Dr. Roman Lopez Villicana,
UDLAP, Mexique
Secrétaire Général:
Dr. Farid Zafrane
Yassine El Yattioui

2
SOMMAIRE

Éditorial 4

M’hammed Belarbi, Des velléités nationalistes et leaders-


hip dans une configuration géopolitique en mutation: Re- 5
tour sur les enjeux de la régénération régionale du Maroc

Farid Zafrane, La Polémologie En Méditerranée: Les enjeux 16


des confrontations militaires internationales

Yassine El Yattioui, L’évaluation du plan d’action de l’ONU-


durant la crise sanitaire du covid-19 41

Ghofrane Hammami, Les enjeux énergétiques contempo-


rains 48

Mohamed Badine El Yattioui, Les espaces maritimes et aé-


riens entre le Maroc et l´Espagne et leurs enjeux stratégi- 63
ques

Auteurs
67

Réseaux sociaux
70

3
Éditorial

NEJMAROC, à savoir le Centre Marocain de


Recherche sur la Globalisation, a pour objectif,
chaque semestre, de contribuer à promouvoir
les questions internationales à l’intérieur du
Royaume. Notre structure ambitionne de par-
ticiper à l’ouverture du pays à la globalisation,
en menant des réflexions de fond. Les activités
de notre centre sont citées dans la presse ma-
rocaine (MAP, Le Matin, Maroc Diplomatique,
Tel Quel, Libération).

La revue NEJMAROC a la même volonté: en-


richir les débats. Avec deux numéros par an,
nous tentons d´aborder une grande variété
de sujets avec des auteurs internationaux. Ce
septième numéro est consacré aux questions
regionales. Elles sont analysées sous différents
angles.

Je tiens à remercier les auteurs pour la qua-


lité de leurs articles. Ghofrane Hammami,
M´hammed Belarbi, Farid Zafrane, et Yassi-
ne El Yattioui. Une chercheuse tunisienne, un
chercheur français et deux universitaires ma-
rocains. Tout cela demontre, une fois encore, le
caractère international de notre revue.
N’oubliez pas de consulter notre site internet.
Vous trouverez le lien à la fin de ce numéro. Un
site trilingue (anglais, français, espagnol) où
vous trouverez de nombreuses informations
nous concernant. Je tiens à remercier chaleu-
reusement toute l´équipe, pour le soutien et le
travail fourni.

Bonne lecture!

Dr. Mohamed Badine El Yattioui

Président de NejMaroc, CMRG


Professeur au CSGS, American University
in the Emirates, Dubai
4
Des velléités nationalistes et leadership dans une configuration
géopolitique en mutation: Retour sur les enjeux de la
régénération régionale du Maroc
M’HAMMED BELARBI

Introduction Dans cette optique, à bien des égards,


l’actuelle crise pandémique a fait explo-
Depuis les grands bouleverse- ser presque partout les pratiques na-
ments internationaux du tournant des tionalistes2: ‘’guerres’’ des masques, des
années 1990, les évolutions géopoliti- tests, des vaccins… La fermeture des
ques dans le monde se sont de plus en frontières, les pénuries de marchandi-
plus complexifiées1 . Avec la mondialisa- ses et la montée du nationalisme com-
tion, les rapports de force et les règles mercial ont réduit la taille de nombreu-
du jeu international se sont modifiés, de ses chaînes d’approvisionnement, ce
la sorte que les conflits sont devenus ex- qui a également rogné les échanges
trêmement complexes et difficiles à sai- économiques.
sir, avec à la fois une multiplication des
acteurs locaux, souvent en lutte les uns En effet, l’évolution des facteurs de puis-
contre les autres, et le jeu des ingéren- sance est telle que la messe n’est pas
ces étrangères, comme l’illustrent très dite, et que chaque pays déployant une
bien les drames syrien et libyen. Sans politique de puissance assumée a toute
parler des crises à dimension transna- la capacité d’imposer actuellement, et
tionale, voire internationale, telles que plus que jamais, ses propres choix pour
les vagues migratoires, le terrorisme, le son avenir. La puissance est donc une
réchauffement climatique et mainte- notion qui évolue dans le temps et dans
nant la pandémie de la Covid-19. À quoi l’espace et qui n’est en rien une réalité
s’ajoutent les conséquences de la révo- statique, ni garantie.
lution numérique, des méga-données,
l’intelligence artificielle et la cyber-sé- Les travaux des théoriciens des rela-
curité. tions internationales, ont précisé les cri-
tères de puissance internationale d’un
État, comprise dans sa relation avec les
autres puissances à l’échelle mondiale.
Ceux-ci, reposent sur des facteurs, des

5
leviers et des attributs, en partie hérités A titre illustratif, engagée dans la cons-
et en partie construits 3 truction d’un statut de puissance la
Chine émerge en tant que « nouvel ac-
Dès lors, la prééminence de la concep- teur » régional et global, mêlant multi-
tion réaliste a longtemps cadenassé le latéralisme et realpolitik, coopération et
champ d’étude de cette notion centrale nationalisme, consensus des partenai-
en Relations Internationales aujourd’hui res et rapports de force4. Dans cet ordre
fortement contestée. L’étude de l’éme- d’idées, quelles dynamiques de puis-
rgence de “nouvelles puissances”, telles sance pour le Maroc dans un monde in-
que la Chine, le Brésil ou l’Inde, est à cet certain et fragmenté ?
égard éclairante et riche d’enseigne-
ments. Leur développement économi- D’emblée, le Royaume du Maroc nourrit
que et l’affirmation de leur poids sur la d’immenses ambitions économiques
scène internationale s’accompagnant et géopolitiques. Révélateur d’un début
d’un discours de responsabilisation et de prise de conscience, dans la région,
de légitimation (multi-polarisation du de ce que recouvre la notion même de
monde, coopération Sud-Sud, etc.), puissance, la récente dynamique diplo-
l’efficience de leur stratégie de projec- matique du Maroc puise dans un impor-
tion internationale ne dépend pas seu- tant réservoir historique et culturel. Au-
lement de leurs ressources (matérielles tant, à la fois réaliste et constructiviste,
et immatérielles) ainsi que de leur apti- la stratégie marocaine de déploiement
tude à les mobiliser adéquatement. de puissance s’efforce de dépasser les
clivages idéologiques pour défendre de
Elle tient également à la perception de façon plus rationnelle et pragmatique
leur “statut” par les autres acteurs du un certain nombre de ses intérêts na-
système international, dont au premier tionaux5 et en même temps un ancra-
chef, leurs pairs et les puissances occi- ge de ses initiatives dans le cadre de la
dentales. coopération Sud-Sud.

1 Des acteurs importants- Chine et Russie notamment- contestent l’ordre mondial et le cadre de référence qui prévalent depuis plu-
sieurs décennies. Au cœur même du bloc occidental, les engagements n’ont plus leur fiabilité d’antan. Non seulement l’ex-président
américain Donald Trump (2016-2021) est revenu sur l’Accord de Vienne avec l’Iran (nucléaire), ceux de Paris (climat), s’est retiré de l’Or-
ganisation mondiale de la santé (OMS), a coupé les crédits américains à l’Unesco, à l’Office de secours et de travaux des Nations unies
pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et contribué ainsi à affaiblir une ONU déjà paralysée.

2 A vraie dire, la fibre nationaliste est déjà amorcée bien avant l’arrivée du Covid-19 : on pense ici à Donald Trump et son « America first
», Vladimir Poutine et sa Sainte Mère la Russie, le Turc Erdogan et son nationalisme à la visibilité croissante et à l’agressivité patente,
la Chine et son nationalisme retrouvé et exprimé, projeté dans ses routes de la soie, le Royaume-Uni et son Brexit ultranationaliste, la
Pologne, la Hongrie, l’Iran, le Brésil, le Mali, l’Inde… Un nombre croissant de pays retrouvent le chemin de leur « nation » et trouvent les
personnages emblématiques pour les y conduire.

3 La puissance est une notion centrale et structurante des relations internationales, qui a marqué pendant des siècles, sous des formes
diverses (militaire, territoriale, géostratégique, géoéconomique commerciale, techno-culturelle), l’équilibre des forces entre nations.
Il s’agit donc à la fois pour un État de pouvoir garantir sa liberté d’action, et d’être capable de peser sur le comportement des autres
dans le sens de ses intérêts.

4 Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance, Paris, Fayard, 2004

5 Fernández-Molina Irene, Moroccan Foreign Policy under Mohammed VI (1999–2014), Oxon/New York, Routledge, 2016 .
6
On évoque ainsi une nouvelle ère de comme la Chine, tout en focalisant l’at-
la diplomatie marocaine, marquée par tention sur les horizons d’un Maroc afri-
des préoccupations économiques et cain. En deuxièmement, il s’agit de me-
sécuritaire et d’un certain nombre de ttre le point sur ses récentes pratiques
prises de positions autour des accords nationalistes, alimentées par les calculs
de libre-échange, la sécurité au Sahel géopolitiques et géostratégiques d’un
ou encore l’immigration. voisinage difficile et hostile.

Aussi, la politique africaine du Maroc I-Réalités géopolitiques et horizons


marque une redéfinition décisive de la marocains d’un leadership africain
géopolitique régionale et continentale.
En bref, la reformulation de la stratégie L’observation de la conduite extérieure
diplomatique marocaine a indéniable- du Maroc durant les deux dernières dé-
ment porté ses fruits aussi bien dans cennies permet de constater en effet,
son entourage africain que dans d’au- que celle-ci se concentre principale-
tres parties du globe. Donner du sens ment sur un noyau composé de quatre
à ces différentes orientations revient à axes fondamentaux, eux-mêmes hiéra-
identifier les intérêts nationaux du Ma- rchisés. Ils traduisent une certaine con-
roc en termes de puissance. ception des intérêts fondamentaux du
Maroc : i- la défense de la marocanité du
Fort de ses nombreux atouts, sa géo- Sahara ; ii-les partenariats stratégiques ;
graphie, sa profondeur historique, sa iii- la reconquête de l’Afrique ; iv-les ac-
stabilité politique et sociale, le Maroc cords de libre-échange. Ces choix déli-
est à un tournant de son histoire, à un bérés sont aussi bien des héritages que
point d’inflexion très sensible. Désor- des contraintes liées à la géographie, à
mais, par son activisme et sa détermi- la taille du Maroc et à l’environnement
nation à élaborer puis à déployer une mondial et régional6.
politique de puissance, le cas marocain
passerait même pour des cas d’école Alors que le Maroc a connu de profondes
en cette période charnière des relations transformations, ses relations internatio-
internationales. Nous examinons cet- nales se sont diversifiées ces dernières
te dynamique à travers une analyse en années, tant au niveau des acteurs qu’à
deux étapes qui, premièrement, déter- celui des orientations stratégiques de sa
mine les schémas de la politique étran- politique étrangère. Au-delà d’entretenir
gère du Maroc à l’égard de ses alliés tra- des relations stratégiques avec les pays
ditionnels et ses relations croissantes qui lui sont historiquement ou géogra-
avec des partenaires non traditionnels phiquement proches, le Royaume s’in-

6 Abdelouhab Maalmi, « La politique extérieure de Mohamed VI, dix ans après », in Droit et mutations sociales et politiques au Maroc et
au Maghreb, Publisud, 2012, p.781-830.

7
vestit dans le tissage des nouveaux liens Dans cette optique, le retour du Maroc
avec les États qui, jusqu’à présent, sem- au sein de l’Union africaine en 2017 et
blaient loin de sa zone d’influence7. l’appui croissant des États africains à la
reconnaissance de la marocanité du Sa-
Si les échanges commerciaux et les flux hara10 ont suscité un éveil des conscien-
d’investissements du Maroc sont enco- ces sur une dynamique de l’intégration
re très importants avec ses partenaires du Maroc au sein du continent et de son
traditionnels d’Europe (France, Espag- déploiement en tant que puissance afri-
ne), cette prépondérance tend à baisser, caine, tant dans son identité propre que
au profit de la Chine notamment pour dans son espace de projectio11 . La recon-
qui le Maroc représente de nombreux naissance diplomatique de l’intégrité te-
intérêts8. rritoriale marocaine n’était toutefois pas
La tendance des investissements est le seul leitmotiv de cette politique afri-
éclairante : outre les infrastructures, la caine.
santé, l’éducation et la transition éner-
gétique font l’objet d’appels d’offres in- La présence économique marocaine
ternationaux où la Chine tente de se s’est dès lors affirmée dans différents
positionner. L’équation de la politique secteurs en Afrique, parmi lesquels les
étrangère du Maroc semble donc être industries minières, les infrastructures,
profondément marquée tant par le poids les banques et assurances, l’agriculture
des déterminants géopolitique, géoéco- et l’agroalimentaire, les télécommuni-
nomique, géostratégique et géocultu- cations et les finances. Dès le milieu des
rel9. En autres, l’offensive diplomatique années 2010, le royaume devenait ainsi
que mène le Maroc dans le monde en- le premier investisseur africain en Afri-
tier relative au dossier du Sahara se ma- que de l’Ouest et le deuxième à l’échelle
nifeste nettement en Amérique latine et continentale, après l’Afrique du Sud
dans les Caraïbes.

7 Adriana Sniadowska, « la politique étrangère marocaine, la nouvelle stratégie internationale du Royaume », centre des relations
internationales, commentaire, 2017.

8 La Chine est en bonne position sur le plan des importations marocaines : elle représente 10% du total en 2019, tout de même derrière
l’Espagne (15%) et la France (12%).

9 Rachid El Houdaïgui, « La politique étrangère de Mohamed VI ou la renaissance d’une ‘’puissance relationelle’’ » in Une décennie de
réformes au Maroc (1999 – 2009), Centre D’études Internationales, edition Karthala, 2010.

10 Au niveau de la ville de Laâyoune, c’est l’Union des Comores, le Gabon, la République centrafricaine, Sao Tomé-et-Principe, le
Burundi, la Côte d’Ivoire, l’Eswatini, la Zambie et le Malawi qui ont ouvert leurs représentations diplomatiques. Dans la ville de Dakhla,
la Gambie, la Guinée, la République de Djibouti, la République du Liberia, le Burkina Faso, la République de Guinée Bissau, la Ré-
publique de Guinée Équatoriale et la République d’Haïti ainsi que la République Démocratique du Congo ont inauguré aussi leurs
représentations.

11 Yousra Abourabi, La politique Africaine du Maroc : Identité de rôle et projection de puissance, Brill, 2020.

8
En 2013, une nouvelle politique migratoi- En contribuant à l’élargissement des ba-
re a été instituée de façon à faciliter la ré- ses industrielles des pays de la CEDEAO,
gularisation et l’intégration des migrants le Maroc fera non seulement œuvre utile
subsahariens. Quelques années plus en matière de co-émergence, mais sera
tard, en 2018, la demande d’adhésion du en mesure également d’élargir son pro-
Maroc à la Conférence des chefs d’Etat pre marché.
et de gouvernement de la Communau- De même, en s’appuyant sur la zone
té économique des Etats de l’Afrique de d’intégration économique qu’est la CE-
l’Ouest (CEDEAO), est susceptible bâtir DEAO, le Gazoduc Nigéria-Maroc pou-
une Union économique de l’Afrique de rrait voir son impact décuplé.
l’Ouest, et ne pourrait qu’accélérer l’inté-
gration africaine qui est l’objectif straté- Plus globalement, au cours des quinze
gique de l’Union africaine12. dernières années, le Maroc s’est imposé
graduellement comme le hub africain
Aujourd’hui, le Maroc est considéré en Afrique : multiplication des liaisons
comme un acteur régional majeur dans aériennes à travers le continent ; déve-
les chaînes de valeur mondiales de l’au- loppement de la zone portuaire Tanger
tomobile, de l’aéronautique, ou encore Med ; développement de Casablanca
de l’offshoring. Dès lors, l’adhésion du Finance City ; expansion africaine des
Royaume à cette organisation sous-ré- grands groupes et de certaines PME… Il
gionale entraînera une meilleure inté- s’agit d’une opportunité historique d’an-
gration des tissus industriels de l’Afrique crer davantage ce positionnement qui
de l’Ouest et de l’Europe, à travers les s’offre au Royaume, pour utiliser à bon
investissements directs étrangers et les escient le levier technologique pour de-
délocalisations industrielles. venir une digitale nation de référence
sur le continent13.
Les mêmes mouvements pourront être
observés en provenance des pays du
Golfe persique très présents dans l’espa-
ce nord-africain et marocain.

12 Certes, l’entrée du Maroc dans la CEDEAO engendrera tout à la fois des défis et des opportunités pour les Etats actuellement mem-
bres de l’Organisation. Il leur faudra anticiper sur cette mutation et maximiser les gains qu’ils peuvent en tirer, tout en gérant, autant
que possible, les défis qu’elle pose. Sachant qu’avec la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf),
celle-ci va ouvrir les frontières africaines aux marchandises made in Africa sans droits de douane.

13 « Le Maroc, la future «Digital Nation» Africaine ? », La Tribune Afrique en partenariat avec Mazars, Policy Paper 2019.

9
Aujourd’hui le Maroc est en pleine né- dérer la prééminence économique des
gociation de son virage numérique qui pays développés et instaure un nouvel
offre de multiples opportunités pour le équilibre des forces, dans lequel le ro-
pays : le développement d’offres inno- yaume du Maroc tente de jouer un rôle
vantes, de capacités entrepreneuriales, prépondérant. Si le Maroc a fait preuve
de nouvelles compétences (analyse de de bonnes intentions vis-à-vis de ses
données massives, du cloud, de l’intelli- partenaires africains (partage du sa-
gence artificielle ou de la cyber sécuri- voir-faire technologique dans quelques
té), de capacités d’agilité institutionnelle secteurs stratégiques, régularisation de
et de transformation du secteur public, la situation de centaines migrants sub-
l’adaptation aux attentes des nouvelles sahariens, dons, formation des imams,
générations et le renforcement des ca- accords bilatéraux, investissements et
pacités industrielles et de recherche du projets sociaux etc.), il est aussi partie
Maroc au plan régional, continental et prenante dans un certain nombre de
international, source de soft power. grands dossiers régionaux, notamment
la Libye et le Sahel, dans leurs ses as-
Par ailleurs, ayant rapidement tiré les pects diplomatiques et sécuritaires.
leçons de la gravité de la crise du Covid19,
les autorités marocaines ont pris des En prônant une nouvelle approche des
mesures à caractère normatif et institu- relations régionales, en particulier de
tionnel pour encadrer l’état d’urgence la coopération Sud-Sud, l’ambition ma-
sanitaire, des mesures à caractère sécu- rocaine représente l’affirmation d’une
ritaire, et des mesures d’ordre socioé- autonomie de décision du Maroc. Et évi-
conomique pour remédier autant que demment, cette conduite marocaine ne
possible aux conséquences de la baisse va pas arranger les relations avec ses voi-
de production et de consommation. Ces sins du nord et de l’est, ce qui va renfor-
mesures ont été bien accueillies au ni- cer de part et d’autres, les thématiques
veau national et appréciées, à l’échelle nationalistes.
nationale et internationale, par un grand
nombre d’institutions officielles et de
médias.

En somme, le début du troisième mi-


llénaire a connu une redistribution des
forces et une mutation perceptible au
niveau des centres de prise de décision,
stratégique, économique et politique au
niveau mondial. L’irruption remarquable
des pays émergents permet de reconsi-
10
II-La quête de la puissance relation- géopolitique au Maghreb inscrit le Ma-
nelle à travers la diversification des roc et l’Algérie dans une logique antago-
alliances du Maroc niste marquée par une compétition tous
azimuts.
Le Maroc est au cœur des intérêts régio-
naux et internationaux, notamment par- La méfiance et la défiance structurent
ce qu’il est un carrefour pour les échan- donc les relations bilatérales et don-
ges vers l’Europe comme vers l’Afrique. ne lieu à une rivalité de puissances. En
Se trouvant à la croisée des chemins effet, au moment où le Maroc a multi-
entre le monde arabe, l’Europe et l’Afri- plié les initiatives pour apaiser les rela-
que subsaharienne, le Maroc jouit d’une tions avec son voisin de l’Est, l’Algérie a
position géopolitique avantageuse, opté pour l’escalade et la tension. Alors
comparée à ses faibles ressources na- que dans plusieurs de ses discours, le roi
turelles. Cependant, ses frontières sont Mohamed VI a tendu la main à l’Algérie
menacées et représentent une source pour discuter et régler le contentieux bi-
de fragilité : au nord, l’Espagne possè- latéral, le régime algérien a répondu par
de encore deux enclaves situées sur le la rupture des relations diplomatiques
territoire marocain, Ceuta et Melilla, et avec le Maroc le 24 Août 202115.
plusieurs différends territoriaux conti-
nuent d’affecter les relations entre les Dans la foulée, les relations entre le Ma-
deux pays. Les ressources de l’océan At- roc et les pays de l’Amérique latine con-
lantique qui bordent le Maroc, comme naissent une dynamique soutenue, qui
le poisson ou les hydrocarbures, attisent ne cesse de se renforcer à la faveur de
les convoitises de l’Espagne, soutenue la volonté des deux parties de mettre
par l’Union européenne. toutes leurs potentialités au service du
co-développement, de la coopération
A l’est, les frontières avec l’Algérie sont multidimensionnelle et d’une meilleure
toujours fermées, ce qui n’est que la par- coordination au sein des forums interna-
tie visible de problèmes diplomatiques tionaux 16.
plus complexes et une illustration de
la difficulté à développer des relations
dans un Maghreb en léthargie14. Le jeu

14 Parler de l’Union du Maghreb arabe, c’est se rendre à l’évidence d’un « non-Maghreb » dont les échanges commerciaux sont in-
signifiants et l’intégration régionale est de nos jours un échec. La course au leadership régional et continental structure les relations
bilatérales, mettant sous tension toute la région, au détriment de l’intégration maghrébine.

15 Quelques temps après, le 22 Septembre 202, il a également annoncé la fermeture immédiate de son espace aérien à tous les avions
civils et militaires marocains. Enfin, le 31 Octobre 2021, le Président algérien ordonne la rupture du contrat du gazoduc passant par le
territoire marocain. La position de l’Algérie reste donc un obstacle majeur à l’intégration maghrébine.

16 Le Maroc est aujourd’hui membre observateur dans pas moins de cinq organisations, à savoir l’Association des États de la Caraïbe
(AEC), la Communauté andine (CAN), l’Organisation des États américains (OEA), le Secrétariat général ibéro-américain (SEGIB) et le
Système d’intégration centraméricain (SICA).

11
Si les opérateurs économiques sont in- Quoi qu’il en soit, la stratégie marocai-
fluents et déterminants dans les orien- ne en Afrique trouve tout son intérêt en
tations prises par la diplomatie, la parti- permettant de diversifier les partenai-
cularité de la stratégie marocaine réside res du Maroc, de réduire sa vulnérabili-
toutefois dans la subordination de l’ou- té face aux turbulences européennes et
til économique aux impératifs politi- méditerranéennes et elle lui permet de
ques. Dans le contexte international de s’ouvrir sur un nouvel espace17. Ceci est
l’affaiblissement des États au profit de la d’autant plus utile que les espaces au
montée en puissance des firmes multi- nord et à l’est semblent moins promet-
nationales, cette subordination qui n’est teurs aujourd’hui.
pas toujours aisée, même si elle permet A tire illustratif, en plus, de la position de
d’assurer la cohérence et la continuité l’Algérie qui reste un obstacle majeur à
de la nouvelle politique étrangère du l’intégration maghrébine, les crises di-
Maroc, notamment en Afrique. Ce fai- plomatiques frappant les relations ma-
sant, les projections partenariales et la roco-espagnoles18 ou maroco-alleman-
coopération entreprises par le Maroc en des19, ces derniers mois, ont mis à nu la
direction de l’Afrique, mais également fragilité et les limites du partenariat ma-
de l’espace méditerranéen ou ailleurs roco-europeen, exacerbé par le principe
recouvrent l’ensemble des initiatives, de la solidarité des membres de l’Union
engagements et relations d’ordres éco- européen.
nomique, politique et sécuritaire.
Certes, la politique de fermeté du ro-
Toutefois, la situation géopolitique en yaume adoptée vis-à-vis de ces deux
Europe (crise européenne et crise mi- derniers pays, a permis de modifier en
gratoire) et dans les pays arabes (gue- faveur du Maroc leur position sur le Sa-
rres civiles en Libye et Syrie, terrorisme hara.
en Egypte et Tunisie) ne semble pas ou-
vrir des opportunités de consolidation
de l’espace méditerranéen.

17 Sur le plan économique, la France ne fait plus le poids devant la Chine. Les investissements chinois en Afrique ont non seulement
dépassé ceux de la France, mais ils dépassent désormais ceux de tous les pays européens réunis.

18 Les relations du Maroc avec l’Espagne ont été perturbées du fait de l’accueil le 18 Avril 2021 par le gouvernement de Madrid de
Brahim Ghali, secrétaire général du Polisario, sous une fausse identité alors qu’il est recherché par la justice espagnole. Brahim Ghali a
reçu des soins médicaux dans un hôpital espagnol, a été entendu par un juge espagnol, et a regagné l’Algérie le 2 Juin 2021. L’Espagne
a tenté d’impliquer l’Union européenne dans ce conflit bilatéral suite au passage d’un grand nombre d’immigrés du Maroc à Sebta.

19 Du fait de l’ambiguïté de ses positions sur l’affaire du Sahara, les relations du Maroc avec la fédération Allemande ont été également
perturbées en 2021. En effet, le Représentant de l’Allemagne aux Nations-Unies à New York a demandé la réunion urgente du Conseil
de sécurité pour examiner la décision américaine de reconnaître la marocanité du Sahara. En outre, le Maroc n’a pas été invité à la
première conférence de Berlin sur la Libye, alors qu’il a joué un grand rôle pour la formation des institutions. Quelques mois après, la
tension est de nouveau montée suite à la divulgation d’un rapport des renseignements allemands mettant en garde contre l’émergen-
ce d’une « nouvelle Turquie en Méditerranée » en visant le Maroc, qui a rappelé son ambassadrice à Berlin.

12
Néanmoins, les crises politiques et di- Subséquemment, il semble impor-
plomatiques qui ont pesé récemment tant de souligner que les divergences
sur les relations entre le Maroc et des d’appréciation intra-européennes sur
pays européens garderaient certaine- la posture géostratégique marocaine
ment des traces indélébiles dans l’histoi- montrent l’absence d’un équilibre stra-
re des relations communes et condition- tégique entre les pays membres de l’UE
neraient inévitablement les rapports de dont les fragmentations intérieures et
force de l’avenir de leurs relations. propres à chaque État déterminent l’or-
dre des priorités dans les politiques na-
Dans cette optique, l’actuel ministre des tionales.
affaires étrangères du Maroc ne mêche
pas ces mots lorsqu’il avance que « Le Pour la stabilité de l’environnement stra-
Maroc n’est plus disposé à un ‘’parte- tégique européen, c’est au niveau poli-
nariat à la carte ‘’, guidé par les intérêts tico-stratégique que se jouera une rela-
exclusifs de l’Europe (migration ou de tion pérenne et solide entre le Maroc et
terrorisme)…Alors, le Maroc est en droit, l’UE.
lorsqu’il s’agit de ses intérêts stratégi- En ce sens, le Maroc est ainsi en train
ques, de ne plus vouloir être traité com- de définir, consciemment ou incons-
me un simple point à l’ordre du jour des ciemment, une politique de puissance
réunions de l’UE. À travers les accords en assumée. Les avancées significatives
cours de négociation, le Maroc est dans enregistrées ces derniers mois, telles
une interpellation géostratégique de que ses récents succès diplomatiques
l’UE. Nous ne faisons pas partie de l’Eu- (reconnaissance par les États-Unis de
rope, ni institutionnellement ni géogra- sa souveraineté sur le Sahara, reprise
phiquement. Mais nous faisons partie, des relations diplomatiques avec Israël,
avec l’Europe, de la même aire géostra- arbitrage du dialogue libyen) et écono-
tégique. Et ¬l’Europe serait myope géo- miques (développement du gazoduc
politiquement si elle considérait que ses Maroc-Nigeria21), s’inscrivent dans cette
frontières s’arrêtent en Espagne. Au- dynamique.
jourd’hui, ces frontières ont été repous-
sées à la zone sahélo-saharienne20».

20 https://www.jeuneafrique.com/mag/559310/politique/maroc-nasser-bourita-notre-diplomatie-est-globale-autonome-et-responsa-
ble/, consulté, 18/02/2022.

21 Ce gazoduc de 5 660 Km qui traverse 14 pays africains, est susceptible d’amorcer une intégration régionale et continentale. Il est
porteur d’une restructuration géopolitique et géo-énergétique dont les influences pourraient avoir des dimensions sur les partenariats
transatlantiques et transpacifiques.

13
A vrai dire, la question de la dimension attendre de sa politique de libre échan-
atlantique est aujourd’hui primordiale et ge ne sont pas en mesure de booster son
stratégique pour la politique étrangère commerce extérieur structurellement
du Maroc. Au niveau global, le poids de déficitaire. Ces faiblesses retardent ainsi
l’Atlantique dans les équilibres géostra- l’accession du Maroc au statut de nou-
tégiques mondiaux est désormais re- vel émergent et rendent le pays sensible
connu et présente de nouveaux défis. aux aléas du voisinage.
Un potentiel de coopération au sein de
cet espace apparaît clairement, et doit Néanmoins, fort, précisément de son
être mobilisé. Davantage que le Maroc partenariat stratégique avec les USA et
possède les atouts nécessaires et est un de l’ascension de ses relations économi-
acteur incontournable pour contribuer ques avec la Chine, le Royaume est bien
au développement de cette coopération placé pour devenir un élément central,
atlantique22. voire le pivot de l’ensemble régional qui
se dessine. Eu égard aux développe-
En somme, les orientations stratégiques ments géopolitiques récents, le Royau-
peuvent être multiples et non exclusi- me du Maroc est aujourd’hui, un État-
ves, même si, les choix fondamentaux Nation d’influence aussi bien en Afrique
de l’inclusion économique et sociale, de qu’à la méditerranée et même au Pro-
souveraineté géostratégique, sont dé- che Orient.
terminants dans une vision de stratégie
économique et politique aux lointains Les redimensionnements des rapports
horizons. Au-delà du devoir de solidarité, de force et des paramètres de la puissan-
l’Afrique qui occupe une place de choix ce en cours dans ces trois régions géos-
dictée avant tout par la rivalité avec l’Al- tratégiquement important, interpellent
gérie et la crainte de l’isolement, l’ait le leadership du Maroc dans cette zone
également pour des motivations éco- d’influence stratégique. La reconnais-
nomiques et commerciales. En fait, par sance américaine de la marocanité du
rapport aux ambitions qu’il se donne en Sahara, avec l’ouverture de plusieurs
politique extérieure, le Maroc manque à consulats de pays amis (arabes, africains
l’évidence de ressources financières et et des Caraïbes), sont les premiers jalons
stratégiques lui permettant de s’assurer d’une stratégie globale qui fera gagner
une influence qui soit à la hauteur de ses le Maroc en termes d’influence et de
ambitions africaines ou ailleurs. Vu les li- souveraineté.
mites de son économie et de l’étroitesse
de son marché, les avantages qu’il peut

22 Mohammed Tawfik Mouline, « La dimension atlantique de la politique étrangère du Maroc », Géoéconomie, vol. 79, no. 2, 2016, pp.
111-122

14
Dans cet ensemble en pleine muta-
tion, où les équilibres sont précaires, le
Maroc veut s’imposer comme un parte-
naire stratégique. Dès lors, la récente vi-
sion stratégique et nationaliste impose
donc la maîtrise des objectifs souhaités
à atteindre et l’engagement irrévocable
de la mise en œuvre des moyens pour
y parvenir, avec la lucidité et la connais-
sance parfaite des capacités économi-
ques réelles d’aujourd’hui et de demain.

15
LA POLEMOLOGIE EN MEDITERRANEE: LES ENJEUX DES CONFRONTA-
TIONS MILITAIRES INTERNATIONALES

FARID ZAFRANE
Apprendre sans réfléchir et vain. Réfléchir sans apprendre
est dangereux.
Confucius

Résumé Introduction

Longtemps considéré comme l’épicen- La Méditerranée a marqué l’histoire du


tre du Vieux Monde, le bassin méditerra- monde en s’affirmant comme l’espace
néen n’est certes plus un pôle majeur de commun aux trois continents qui lui sont
puissance. Depuis l’ouverture du canal riverains: l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Il
de Suez en 1869, permettant aux Britan- s’est ainsi constitué autour du mare nos-
niques de consolider alors la primauté trum1 une aire de symbiose et d’affron-
de leur réseau maritime. Elle se poursuit tements qui ont généré échanges de
aujourd’hui avec les flux conséquents culture mais aussi stratégies de défense,
qui relient par Suez et Gibraltar les faça- de conquête ou de victoire. Les fortifica-
des maritimes d’Asie orientale, d’Europe tions et les ensembles qu’elles enserrent
et d’Afrique. « Penser la Méditerranée » apparaissent à la fois comme les signes
en Europe s’est traduit par une approche de rivalités fructueuses et d’échanges
résolument optimiste, partant du postu- techniques paradoxaux qu’elles con-
lat que ces espaces avaient vocation à tribuent à générer. C’est sans doute au
s’intégrer à une dynamique européen- Moyen et au Proche-Orient anciens que
ne de développement en ne tenant pas nous parvenons à saisir les prodromes2
réellement compte des aspirations de la d’une architecture militaire et les formes
rive Sud de la Méditerranée. urbanistiques naissantes que l’Asie lè-
guera au monde méditerranéen.

1 Mare nostrum est une expression latine qui, traduite littéralement, signifie « notre mer » en évoquant la mer Méditerranée.

2 Ce qui annonce un événement. Les prodromes d’une guerre.

16
Fernand Braudel3 disait : « La Méditerra- Dans le contexte mondial contempora-
née n’est pas une frontière, mais un lieu in, la Méditerranée n’est plus au cœur
d’échange ». La zone méditerranéenne, d’enjeux stratégiques majeurs et ce
berceau de grandes civilisations et des malgré quelques épisodes importants
trois religions monothéistes, est le par- au XXe siècle, comme la crise de Suez en
fait témoin de plusieurs réalités univer- 1956, la guerre d’Algérie, le conflit au Mo-
selles. yen-Orient, la guerre en Lybie en 2021.

Penser la géopolitique de la Méditerra- Elle demeure cependant un espace sous


née, c’est en reconnaître la cohérence tension. Esquisser une géopolitique de
historique et culturelle pour proposer la Méditerranée n’est donc pas sans in-
une grille de lecture variable en fonction térêt. Pour l’entreprendre, il faut renver-
des échelles de plan (locale, régionale, ser l’approche classique, qui en faisait
globale) et ainsi avoir conscience des un centre, et interroger son caractère
lignes de divergences politiques, démo- périphérique. La géopolitique de la Mé-
graphiques ou culturelles. diterranée peut apparaître alors com-
me l’une des questions emblématiques
Des risques de confrontations aux pers- d’une époque où, pour comprendre le
pectives économiques en passant par monde, il faut regarder du côté des es-
l’analyse des modes de vie, la Médite- paces marginaux.
rranée est à la fois porteuse d’un idéal
commun mais aussi de la peur de l’au- La géopolitique méditerranéenne
tre. Cette « mer au milieu des terres » ne sous trois aspects
représente pas un espace cohérent et
unitaire. Il est d’ailleurs difficile de la dé- Les tensions historiques: l’histoire est
finir précisément. souvent un écrit à sens unique. L’histoire
des uns n’est pas celle des autres. Ainsi
Elle peut se caractériser comme une ré- l’histoire de Carthage est écrite par les
gion du monde, que l’on pourrait nom- Romains, celle des
mer l’Europe du Sud, l’Afrique du Nord, « Berbères » est nommée par les Grecs («
ou le Moyen-Orient. Quelle que soit sa barbaros » signifie qui ne parle pas grec)
dénomination, la Méditerranée est con- et écrite par les Arabes puis les Ottomans,
sidérée comme le berceau de la civili-
sation mondiale, un carrefour majeur
d’échanges économiques, diplomati

3 Fernand Paul Achille Braudel, né le 24 août 1902 à Luméville-en-Ornois (Meuse) et mort le 27 no-
vembre 1985 à Cluses (Haute-Savoie), est un historien français

17
celle de la colonisation est écrite par les Les tensions sémantiques : la Médi-
Européens… Mais les mondes et l’écritu- terranée, mer du milieu ou au milieu
re de ces mondes ont changé. L’illusion des terres ?
d’une continuité des phénomènes peut
amener à une lecture univoque ou erro- L’historien Fernand Braudel présen-
née des enjeux contemporains. Or en te dans sa thèse de 1949 (remaniée en
Méditerranée l’injonction historique est 1966) une théorie d’unité des espaces et
presque systématique, alors qu’il ne faut du temps autour de cette mer. Il en re-
pas toujours chercher des phénomènes prend le nom romain (mediterraneus : «
très anciens pour expliquer des enjeux au milieu des terres ») et en fait un espa-
actuels. ce central (mer du milieu). Or l’idée de
Méditerranée comme « lac intérieur » et
Les tensions géographiques : une ou point de repère central, n’est que l’une
des Méditerranées ? des formes et l’un des noms de cet espa-
ce complexe.
Il y a en effet une illusion géographique,
qui est celle de la continuité maritime Pour les Égyptiens, la Méditerranée
des s’appelle la « grande verte », ou la « gran-
« mers » qui constituent l’ensemble mé- de mer », et elle constitue plus une limi-
diterranéen. Or il n’y a pas une Médite- te qu’un centre. La Méditerranée s’appe-
rranée, mais des « espaces maritimes » lle la mer de l’Ouest pour les Grecs ou
très différenciés, à commencer par trois les Hébreux, la « mer Blanche » pour les
grands bassins : la mer Noire, le bassin Arabes puis pour les Turcs (à cause des
oriental et le bassin occidental, avec des couleurs cardinales, le blanc représen-
géographies et des histoires très diffé- tant l’Ouest). Selon son nom, elle est un
rentes. On trouve ensuite des mers dans espace intérieur,
ces bassins avec leurs propres relations,
comme celles de la mer Egée entre la un espace de lien, une limite ou une
Grèce et la Turquie. Il n’y a donc pas une, zone de séparation, une frontière, un
mais des Méditerranées, et si l’on simpli- mythe ou peu de chose. Cela signifie
fie cet espace à l’excès, on ne peut pas que nous ne pouvons pas utiliser com-
l’interroger correctement, ni le com- me seul paradigme la vision romaine ou
prendre objectivement. la thèse Braudélienne pour interroger
cet espace, alors même que son nom
nous y invite en permanence. Nous de-
vons plutôt la penser comme une limite,
une périphérie et un horizon4.

4 La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II est un ouvrage de l’historien français Fernand Braudel, publié
en 1949.

18
La périphéricité n’est pas sans enjeu le Monténégro, l’Albanie, la Grèce, la Tur-
géopolitique, bien au contraire. Dans un quie, Malte et Chypre ; au Sud : le Maroc,
espace périphérique se nouent les ques- l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, Is-
tions majeures qui travaillent le monde raël, la Palestine, le Liban et la Syrie.
contemporain: la gestion de la margina- Le monde méditerranéen est à la fois
lité et des asymétries, la délimitation et complexe et compliqué et traversé par
les métissages, c’est à dire les intégra- de multiples zones de fractures, politi-
tions et les identités des peuples. que, économique, sociale, culturelle et
religieuse. Il s’agit de penser la Médite-
Il est de ce fait important de mettre en rranée au cœur des Etats et des hom-
exergue les différentes histoires de la mes, là où se nouent les mécanismes qui
méditerranée à travers le temps, pour se produisent et nourrissent la violence.
faire nous allons dans un premier temps
parlé de la méditerranée comme un es- La question qui peut également se poser
pace de conflits ancestraux(A), puis me- c’est : La Méditerranée a-t-elle été une
ttre en avant son caractère stratégique, mer de paix ? Cette interrogation pose
géopolitique (B), pour ensuite étudier la d’emblée la problématique de l’existen-
méditerranée d’aujourd’hui (C). ce d’un espace suffisamment homogè-
ne pour être désigné par le terme de
A) La Méditerranée : un espace de Méditerranée au singulier. Pourtant, lor-
conflits ancestraux sque la problématique des conflits et des
guerres rencontre le vocable de Médite-
« Si les gens savaient à propos de la gue- rranée, les incertitudes sont multiples.
rre, elle serait arrêté de suite, mais les De quelle Méditerranée parle-t-on ? A
gens ne savent pas et ne peuvent pas cette question, il semble qu’on ne puisse
savoir5 » répondre qu’en prenant acte d’une sin-
gulière complexité et d’une ambivalen-
L’espace méditerranéen fût pendant ce fondamentale. Il faut d’abord définir
longtemps un lieu d’échange, depuis de quelle Méditerranée veut-on parler
l’antiquité jusqu’au grandes découver- ? Nous pouvons distinguer trois formes
tes du 15ème siècle. Aujourd’hui, il y a de Méditerranées. Il y a l’Afrique du Nord
une réelle fracture de la ligne Nord et la et le continent Européen. Il y a aussi la
rive Sud. La Méditerranée, c’est 21 pays Méditerranée que l’on nomme comme
riverains recensés sont : au Nord : l’Es- le pays des Balkans, puis, il y a le proche
pagne, la France, Monaco, l’Italie, la Slo- Orient.
vénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine,

5 LLoyd Georges premier ministre du royaume uni de 1916 à 1922

19
Nous pouvons dès lors clairement cons- 1) Les différentes formes de conflits
tater qu’en fonction de la zone Médite-
rranéenne choisit, l’histoire raconté ne Pendant longtemps, le monde s’organi-
sera pas du même acabit que des deux sait autour de la mer Méditerranée. Dans
autres. la Méditerranée est à la fois l’Antiquité, la mer Méditerranée est un
cette mer calme et cette mer des tem- espace de navigation de biens et de per-
pêtes, celle des flottes de guerre et des sonnes, de batailles navales, d’explora-
combats. Ce balancement continu entre tion et de découvertes. Des peuples aux
des extrêmes, entre douceur et violen- coutumes et organisations politiques
ce, se retrouve dans tous les domaines. différentes vivent sur le pourtour médi-
«Exceptionnelle» pour Braudel, «pays terranéen, mais les contacts politiques
de l’articulation» selon la formule d’An- et culturels sont nombreux et vont en
dré Siegfried, la Méditerranée est aussi s’intensifiant au cours des siècles. L’uni-
pour Edgar Morin «une ligne sismique té du monde méditerranéen prend fin
(qui), partant du Caucase et s’avançant au début du Moyen Âge6. Le monde ro-
en Méditerranée, concentre en elle de main se rétracte sur sa partie orientale
façon virulente l’affrontement de tout ce et prend le nom d’Empire byzantin, tan-
qui s’oppose dans la planète : Occident dis que plusieurs royaumes catholiques
et Orient, Nord et Sud, islam et christia- naissent en
nisme, laïcité et religion, archaïsme et 6 Elle débute en 476 avec la chute de
modernisme, richesse et pauvreté». l’Empire romain et prend fin en 1492, an-
née de la découverte de l’Amérique par
Certes, le constat doit être nuancé, mais Christophe Colomb.
la lumière et les couleurs, la vigne et l’oli-
vier, la mer turquoise et les villes char- Occident. À partir du VIIe siècle, les mu-
gées d’histoire, le brassage des popu- sulmans commencent la conquête des
lations et le métissage des cultures ne rives Sud et Est de la Méditerranée. Pour
font pas oublier que la Méditerranée est accroître leur puissance ou pour des mo-
aussi une zone de tensions et d’affronte- tifs religieux, les souverains de ces trois
ments entre les hommes et les Etats. Elle grands ensembles luttent régulièrement
est dans sa configuration géopolitique pour le contrôle de la mer et de ses rives.
passée et présente un espace déchiré, Malgré les tensions, les marchandises et
un foyer de multiples conflits, un miroir les hommes circulent continuellement
des inégalités nord-sud, une frontière dans la Méditerranée médiévale et, avec
au statut incertain entre des hommes et eux, les savoirs et les idées7.
des Etats qui tantôt s’affrontent et tan-
tôt s’ignorent.

6 Elle débute en 476 avec la chute de l’Empire romain et prend fin en 1492, année de la découverte de l’Amérique par Christophe Co-
lomb.
7 La Méditerranée : L’espace et l’histoire de Fernand Braudel ; Catégorie: Sciences humaines
20
Les conflits religieux En Occident, à partir du XIIe siècle, l’Égli-
Plusieurs conflits marquent l’espace mé- se est confrontée à des hérésies, c’est-à-
diterranéen médiéval. Certains sont in- dire des croyances différentes des sien-
ternes aux différentes religions. Ainsi, au nes, comme celle des cathares dans le
sein de l’Islam, une fracture religieuse et sud de la France, ou des vaudois, dans la
politique intervient dès 658 au sujet de la vallée du Rhône.
succession du Prophète en tant que ca-
life. Après plusieurs batailles, un schisme Les conflits civilisationnels
intervient entre les partisans d’Ali, gen-
dre et cousin du Prophète, et ceux des Les conflits existent également entre
Omeyyades, les compagnons d’armes civilisations. Entre chrétiens d’Orient et
de Mohamed. Les premiers sont quali- chrétiens d’Occident, plusieurs facteurs
fiés de chiites8, les seconds de sunnites9. de division existent. Les Byzantins ne re-
Si les califes omeyyades puis abbassides connaissent pas le fait que le pape puis-
sont sunnites, on voit apparaître ensui- se nommer un empereur en Occident.
te certains États dirigés par les chiites, En 1054, le schisme d’Orient consomme
comme l’Égypte, où la dynastie fatimide la rupture entre l’Église orthodoxe et
est au pouvoir de 969 à 1171. l’Église catholique.

La chrétienté d’Orient, quant à elle, est Entre l’Islam et les deux civilisations
déchirée de 726 à 843 par la crise icono- chrétiennes, les conflits commencent
claste10. Une partie des orthodoxes con- avec la conquête menée par Mohamed
sidère en effet que le culte des images et ses successeurs. Dès le VIIe siècle, les
n’est pas fondé, alors que pour une au- musulmans, au nom de la guerre sainte
tre l’image est acceptée non comme servant à propager l’islam, conquièrent
une idole mais comme une icône, sim- de vastes territoires dépendant de l’Em-
ple reflet de la réalité spirituelle qu’elle pire byzantin, comme la Syrie et l’Égypte,
représente. L’affaire devient politique et et de la chrétienté occidentale, comme
conduit à une situation de guerre civile. l’Afrique du Nord, la Sicile et l’Espagne.
La crise s’achève par la victoire des parti-
sans des icônes. À partir de la fin du XIe siècle, les croi-
sades créent un nouveau type de conflit
en Méditerranée. En 1009, le calife Al-Ha-
kim fait raser les églises de Jérusalem.
En 1078, il est interdit aux pèlerins chré-

8Les Chiites désignent Ali, gendre et cousin de Mahomet, au nom des liens du sang

9 Sunnites, majoritaires, choisissent Abou Bakr, un compagnon du prophète.

10 Qualifie une personne qui détruisait les images saintes au VIIIème siècle, qui pratiquait l’iconoclasme

21
tiens de venir se recueillir dans la ville, Entre la fin du XIIIe siècle et 1492, un seul
considérée comme sainte à la fois par les royaume musulman demeure en Es-
juifs, les chrétiens et les musulmans. En pagne, celui de Grenade12.
Occident, en 1095, le pape Urbain II prê-
che la croisade : une expédition militai- Les croisades ont également été mar-
re pour prendre Jérusalem, accordant la quées par des affrontements entre chré-
rémission des péchés à ses participants, tiens. En effet, avant la conquête mu-
appelés « croisés ». En 1099, Jérusalem sulmane, les territoires occupés par les
est prise. Les croisés établissent sur les États latins appartenaient à l’Empire by-
rives orientales de la Méditerranée des zantin. L’empereur de Byzance se méfie
États latins, dirigés par des seigneurs des ambitions territoriales des chrétiens
venus d’Occident et adoptant le systè- d’Occident.
me féodal. Huit croisades se succèdent
jusqu’en 1270. En 1182, les Occidentaux présents à Cons-
tantinople sont massacrés lors d’une
En 1147, la deuxième croisade est prê- émeute. En 1204, la quatrième croisade,
chée par Bernard de Clairvaux, un moi- qui aurait dû aller reprendre Jérusalem
ne fondateur de l’ordre cistercien, un aux musulmans, pille Constantinople.
des plus rigoureux et ascétique. Cette Un empereur latin est installé sur le trô-
croisade est un échec, les croisés ne par- ne et la république de Venise prend le
venant pas à prendre Damas. En 1187, Jé- contrôle économique de l’Empire. Tou-
rusalem est reprise par les musulmans tefois, en 1261, les Byzantins13 rétablis-
commandés par Saladin11, mais les chré- sent un pouvoir orthodoxe. Mais l’Empi-
tiens obtiennent la garantie du libre ac- re, affaibli, est désormais fragile face à la
cès au pèlerinage sur les lieux saints. La menace turque.
dynamique des croisades nourrit égale-
ment la reconquête de l’Espagne entre-
prise par les États chrétiens du nord de
la péninsule face aux États musulmans
installés au VIIIe siècle. En 1212, la bataille
de Las Navas de Tolosa permet aux chré-
tiens de l’emporter.

11 Saladin, vizir d’Égypte de 1169 à 1193, est l’un des héros du monde arabe au Moyen Âge. La guerre sainte qu’il mène contre les croisés
pour rendre Jérusalem aux musulmans constitue l’apogée de son règne. Issu d’une famille kurde, Saladin est le fils d’Ayyub, gouverneur
de Tikrit.

12 Le royaume de Grenade est le dernier nom d’une entité territoriale espagnole fondée comme taïfa en 1073 par une branche d’une
dynastie berbère, les Zirides.

13 Empire romain d’Orient (fin ive s.-1453).

22
2) Les fractures de l’Histoire où se manifeste l’antagonisme exaspéré
entre une chrétienté menée par l’Espag-
Les fractures héritées de l’histoire, les ne et l’Islam ottoman expansionniste.
jeux des grandes puissances, l’enche- La bataille de Lépante15, qui n’a pas pu
vêtrement des ethnies et des religions, arrêté la pénétration ottomane dans le
les profondes disparités économiques, sud-est de l’Europe, a permis pour un
les déséquilibres démographiques, les temps de délimiter deux zones d’in-
évolutions internes désastreuses des fluences : la Méditerranée occidentale
Etats Berbéro-romano-arabo-médite- et septentrionale est dominée par les
rranéens, placent «la mère de la civili- Espagnols, tandis que la Méditerranée
sation et des mondes14» au cœur des orientale et méridionale est contrôlée
conflits et des tensions géopolitiques les par la Porte16 et ses vassaux. Dès lors,
plus fortes. la Méditerranée est livrée aux corsaires
barbaresques, aux galères de Malte ou
A l’époque moderne, l’établissement de aux escadres expédiées par l’Angleterre
l’hégémonie ottomane sur la Méditerra- de Cromwell17 et la France de Louis XIV.
née orientale, la conquête du royaume
Berbéro-arabe de Grenade par les Es- Mais la décadence de la puissance es-
pagnols, la découverte des routes océa- pagnole, puis le déclin de l’Empire otto-
niques vers les Amériques et les fabuleu- man, l’intérêt croissant de la Grande-Bre-
ses contrées à épices d’Extrême-Orient tagne pour ce «ventre de l’Europe», et
bouleversent les relations politiques, cet axe de transit entre l’Océan Indien
économiques et culturelles entre les et les deux rives de l’Atlantique, font pé-
deux rives de la Méditerranée. Celle-ci nétrer la Méditerranée dans la trame
perd peu à peu son rôle de carrefour en- compliquée du grand jeu européen. La
tre les mondes africain, asiatique et eu- Grande-Bretagne élabore une politi-
ropéen. que méditerranéenne qui, par Gibraltar,
la conduira ensuite à Malte et jusqu’au
La Méditerranée devient alors un champ Proche-Orient. La France, de son côté,
clos, où s’affrontent les ambitions hégé- s’installe en Corse, contrôle l’Ordre de
moniques françaises et espagnoles et Malte et convoite de s’installer en Egyp-

14 Le berceau de la civilisation est une expression faisant référence à des régions du monde où l’on considère que les premières civi-
lisations humaines virent le jour. La théorie dominante est qu’il n’y a pas qu’un seul berceau, mais que plusieurs civilisations se sont
développées de manière indépendante. Celles du Croissant fertile, de la période d’Obeïd en Mésopotamie et de la culture de Nagada
en Égypte, sont considérées comme les plus anciennes

15 La bataille de Lépante est une bataille navale qui s’est déroulée le 7 octobre 1571 dans le golfe de Patras, sur la côte occidentale de la
Grèce

16 Fraternité Sacerdotale de l’Eglise d’Orient

17 Homme politique anglais, principal ministre du roi Henri VIII d’Angleterre de 1532 à 1540, et l’un des principaux acteurs de la Réforme
en Angleterre

23
te. Bonaparte réalisera pour un temps le de la dévolution des possessions ottoma-
projet. Enfin, l’Autriche et la Russie, deuxnes. La Grande-Bretagne juge en effet
puissances déterminées et ambitieuses, indispensable de contrôler la Méditerra-
rivalisent dans les Balkans et en Médite- née orientale pour assurer aussi bien la
rranée orientale. sécurité des liaisons dans l’empire britan-
nique que le ravitaillement en pétrole de
A la fin du XVIIIème siècle, le poids éco- sa flotte.
nomique et culturel de la Méditerranée
est certes inférieur à celui de la façade Elle finit par laisser à la France le mandat
atlantique de l’Europe, mais l’espace sur la Syrie et le Liban, mais s’assure ce-
méditerranéen redevient «le pays de l’ar- lui de la Palestine, de la Transjordanie et
ticulation». L’installation de l’Angleterre de l’Irak. La Méditerranée devient ainsi,
en Inde confère aux routes qui y mènent notamment entre les deux guerres mon-
une importance considérable. diales le prolongement géopolitique de
l’Europe.
La Russie et l’Autriche s’étendent aux
dépens de l’Empire ottoman. D’où
l’acuité croissante au XIXème siècle de B) La Méditerranée : Un espace
la question d’Orient, du problème de la stratégique.
Méditerranée orientale et de ses confins.
La Méditerranée est alors une des prin- La méditerranée a joué un rôle majeur
cipales zones d’affrontement entre les durant des siècles et notamment durant
impérialismes britannique et français, les deux grands conflits mondiaux du
le centre des rivalités internationales 20ème siècle, en fournissant des soldats
avec la montée des ambitions italien- pendant la 1ère et 2ème guerre mondia-
nes, la vocation maritime de l’Autriche le à la France et l’Angleterre notamment
et la poussée de la Russie. Vient ensui- par le biais de leurs empires coloniaux.
te le temps du partage de l’Orient et de On pourrait évoquer une sorte de conti-
la rive sud entre Anglais (Egypte, Malte), nuité par la guerre dans le bassin médi-
Français (Algérie, Tunisie, Maroc), Ita- terranéen, et ainsi sous-entendre que la
liens (Libye, Dodécanèse18) et Espagnols guerre serait ancrée dans cette région
(Rif marocain). telle un mode de vie, en ferait un compo-
sant d’une aire culturelle.
Et une fois, la menace allemande dis-
parue, la Russie écartée, l’antagonisme En somme, existerait-il une spécificité
franco-britannique se ranime à propos des guerres que l’on pourrait ramener à

18 Le Dodécanèse est un archipel de la mer Égée regroupant plus de 160 iles et ilots, pour la plupart inhabités.

24
des sociétés méditerranéennes et à une Plus précisément, c’est la sortie de guerre
culture méditerranéenne qui leur se- qui pose problème encore aujourd’hui.
rait associée et de quelles guerres faut-il Précisons que la guerre d’Algérie a été
alors parler ? la plus longue guerre du 20ème siècle
(1954-1962).
Sur la liste des nombreuses guerres qui
ont marqué le bassin méditerranéen au Toujours dans cette zone de grande ten-
XXe siècle (guerres balkaniques, guerre sion où est localisé une autre guerre qui
de 14-18, guerre 39-45, guerre gréco-tur- dure depuis des décennies mais que
que, guerres coloniales, la guerre d’Es- beaucoup refuse de nommer, l’un des
pagne. La guerre d’Algérie est sans dou- plus dangereux foyers de guerre de la
te l’une des guerres récentes qui évoque planète, où un territoire, la Palestine, ce-
le plus la barbarie, la « sale guerre », la lle d’avant 1947, a été l’exemple même
pratique de masse de la torture, l’exode, d’une partition réalisée sur des bases «
les exécutions sommaires. Elle n’est re- ethniques » dans les années de « guerre
connue officiellement comme guerre froide », l’événement serait l’existence
que depuis 1999. Auparavant, elle n’était d’un processus démocratique condui-
qu’une opération de « maintien de l’or- sant à une « Palestine » où
dre » ou bien était nommée « les événe- 19 Gouvernement provisoire de la répu-
ments d’Algérie ». Néanmoins, en fixant blique Algérienne
au 5 décembre la date de commémo-
ration de cette guerre, date sans signi- pourraient coexister pacifiquement Is-
fication aucune, la France veut non pas raéliens et Palestiniens. Une condition
décréter l’amnistie ou l’oubli, mais de en serait que la guerre, l’antagonisme
fait, efface la guerre puisqu’il n’y a plus porté à son extrême, ne soit plus conçu
de fin de guerre, c’est-à-dire le cessez- comme le centre de la politique. Cela su-
le-feu du 19 mars 1962 conclu entre le ppose de formuler une autre politique,
GPRA19 et la République française. Cer- plus juste et plus équitable. Une nouvelle
tes, la France reconnaît qu’il y a eu une vision de la situation en tenant compte
guerre, mais la guerre n’est pas termi- des injustices que subissent les palesti-
née puisqu’on adjoint, de fait, d’autres niens et en tenant compte du droit d’un
événements (la question des Harkis et Etat israélien. Il faudrait mettre en place
des rapatriés), sans doute liés à la guerre un vrai processus de paix et non pas des
mais pas aux opérations de guerre. solutions proposées qui comme tout le
monde (acteurs en présence) sait, elles
sont vouées à l’échec avant même d’être

19 Gouvernement provisoire de la république Algérienne

25
proposées car trop injustes et ne tien- C’est juste une mission qui paraît impos-
nent aucunement compte des accords sible. C’est un non-sens de vouloir soi-di-
précédents (historiques). sant y apporter la paix, sans consulter les
Au carrefour de trois continents, la Médi- Etats principalement concernés.
terranée est depuis toujours un espace
sous tension, qui a longtemps été investi 3) La Méditerranée est-elle enco-
d’enjeux stratégiques importants : con- re pour ces puissances un espace
frontation entre les africains du Nord stratégique de premier plan ?
et Européens, rivalité entre puissances,
colonisation, contrôle des détroits et du Afin de répondre à cette question, il faut
canal de Suez. Elle reste un espace de placer la Méditerranée dans le contexte
confrontation entre grandes puissan- mondial actuel. En termes géostraté-
ces, on l’a vu avec la question Palesti- giques, les caractéristiques de la Médi-
nienne, Syrienne ou des puissances loin- terranée actuelle s’approcheraient de
taines (États-Unis, Russie) continuent celles d’un espace périphérique qu’on
de s’y investir, y compris de nouveaux peut qualifier de complexe. On peut
venus comme la Chine. Ces nations veu- d’abord le considérer comme un sim-
lent soi-disant résoudre les conflits dans ple théâtre d’opération, dans un contex-
cette zone du monde sans tenir comp- te où aujourd’hui comme au temps de
te des acteurs sur place et en voulant à la Guerre froide, il est hors de question,
tout prix mettre en avant d’abord leurs pour des puissances régionales de se
propres intérêts. heurter de front sur leur propre territoi-
re. Mais cet espace est aussi un point-
Prenons comme exemple, la question névralgique animé par des tensions lo-
syrienne, en fonction des nations inter- cales dont l’impact est parfois mondial,
venant au sein de ce conflit, les moti- notamment sous la forme du terrorisme
vations sont totalement différentes, la ou autour de « zones de tensions» géo-
France veut sauver les Kurdes, la Russie politiques comme au Proche- Orient au
veut soutenir le président Assad et tout sein du conflit Israël/Iran/Syrie ou Liban…
le monde se bat contre Daech20 en ac-
cusant l’Iran. Ceux-ci en négligeant les La multiplicité des enjeux et des repré-
pays de la région comme l’Afghanistan, sentations contribue ainsi à faire de la
le Pakistan, la Turquie ou l’Irak, pour ne Méditerranée un espace à part. C’est un
citer que les plus influents de la zone. axe de passage entre l’Orient et l’Occi-
dent, caractérisé par une fragmentation
économique, sociale et politique majeu-

20 Organisation ultra-radicale sunnite, le groupe Daech ou État islamique (EI) a connu un essor fulgurant en 2014, proclamant un
“califat”, en Irak et en Syrie.

26
re, facteur de crises, de déstabilisations mondiale.
régionales et de menaces transnationa-
les (par une interpénétration des trafics A cela, pouvait certainement s’ajouter, la
mafieux comme la drogue, l’argent, les coexistence en Europe de pays aux ré-
commerces illicites d’armements, le te- gimes politiques très différents et anta-
rrorisme). Les puissances qui intervien- gonistes sur la géopolitique mondiale à
nent dans la région le font via des États venir. Certains pays ou Empire comme
« clients », dont elles soutiennent la sta- la France et l’Angleterre ont beaucoup à
bilité politique ou qu’elles assistent mili- perdre politiquement, les autres nations
tairement. L’intervention franco-britan- comme l’Allemagne, l’Italie ou le Japon
nique en Libye en 2011 a par exemple été ont tout à gagner tant sur le plan poli-
un puissant facteur de déstabilisation tique, économique ou territorial. Car, La
de toute la zone. présence à la tête de l’Allemagne d’Adolf
Hitler qui est arrivé au pouvoir démocra-
Alors que l’affaire syrienne, dans sa con- tiquement, n’est nullement anodine.
fusion même, souligne plutôt un retour
à la normalité d’avant conflit, avec des C’est le résultat d’un échec de la classe
Russes qui tiennent solidement la ligne dirigeante avant lui. Il suit un projet te-
traditionnelle (le soutien sans faille à un rritorial précis qui est la conquête d’un
client), des Américains qui ne s’engagent « espace vital » européen pour construi-
pas plus avant dans la confrontation, et re une Europe allemande. Il veut aussi
des Européens (Français et Britanniques effacer toute trace du Traité de Versailles
au premier chef) incapables de jouer un (1919).
rôle de premier plan. En même temps
comment peut-on demander à des pays Autre cause souvent oubliée ou négli-
qui sont membres du conseil de sécuri- gée sont les accords Sykes-Picot de 1916.
té et ayant déclenché la seconde guerre On ne peut comprendre la situation de
mondiale de pouvoir réguler l’avenir du la méditerranée aujourd’hui si on refu-
monde et de la vie internationale ? se de prendre en compte cette vérité
Rappelons que l’une des causes princi- historique. Précisons que les accords
pale de la seconde guerre mondiale est Sykes-Picot sont des accords secrets
à chercher dans le diktat imposé par le signés le 16 mai 1916, après négociation
traité de Versailles de 1919. Les vainqueu- de novembre 1915 et mars 1916, entre la
rs ont voulu humilier l’Allemagne. No- France et le Royaume-Uni, prévoyant le
tamment à cause de l’expansionnisme partage du Proche-Orient en catimini
de plus en plus affiché des puissances afin de dépecer l’Empire Ottoman21 do-
de l’Axe (Allemagne, Italie et Japon) et cument qui va redéfinir les frontières du
l’échec de la Société des Nations sont les Moyen-Orient actuel.
principales causes de la seconde guerre Malgré les promesses d’indépendance
27
faites aux Etats de la région, la France et population, ses potentialités économi-
la Grande- Bretagne découpent ainsi le ques, ses possibilités d’accès à la mer,
Moyen-Orient : une zone rouge formée l’identité de ses voisins.
par la Mésopotamie22 est sous adminis-
tration directe de la Grande-Bretagne Un siècle plus tard, la région est plongée
tandis que la France s’approprie une dans un chaos total, posant la question
zone bleue comprenant le Mont-Liban, d’une refonte des frontières devenues
la côte syrienne et la Cilicie23. plus instables que jamais.

La Palestine est pour sa part internatio- Ces causes sont d’une grande diversité,
nalisée, Jérusalem étant une ville sainte et ne sont pas à négliger dans la genèse
pour les trois monothéismes. Pour le res- de l’apparition d’une guerre : avantages
te, les Etats arabes indépendants gérés géopolitiques, protection de biens es-
par les Hachémites24 sont partagés en sentiels (pétroles, terres), expansion te-
deux zones d’influence et de tutelle : la rritoriale, accroissement ou maintien du
zone A au nord revient à la France et la pouvoir en place, profit, problème dé-
zone B, au sud, à la Grande-Bretagne. mographiques, dégradation économi-
Cent ans plus tard, à l’exception de la que. Ce sont les causes de la deuxième
Palestine et de la Transjordanie devenue guerre mondiale.
Jordanie (la déclaration Balfour de no-
vembre 1917 prévoyant la création d’un Le conflit de 1939-1945 amènera des con-
Foyer national juif), les lignes créées par séquences inattendues, comme l’éme-
les accords Sykes-Picot sont toujours en rgence de deux puissances, les États-
place, tant bien que mal. Unis et l’URSS, ouvrant la voie à la guerre
froide. L’Europe, largement détruite, est
Ces découpages territoriaux ont été à genoux, et ses empires coloniaux se
d’une importance capitale puisqu’ils ont délitent. Enfin, l’une des conséquences
déterminé arbitrairement pour chacun de la seconde guerre mondiale est la te-
de ces Etats sa superficie, sa configu- nue de procès soumis au droit interna-
ration géographique, la structure de sa tional grâce à l’émergence de l’ONU.

22 La Mésopotamie est une région historique du Moyen-Orient située entre le Tigre et l’Euphrate. Elle correspond pour sa plus grande
part à l’Irak actuel.

23 La Cilicie est une région historique d’Anatolie méridionale et une ancienne province romaine située aujourd’hui en Turquie

24 La famille dite des Hachémites, qui se réclame des Hachémite via Al-Hassan ibn Ali, a longtemps été la gardienne de la ville sainte
de La Mecque et est aujourd’hui la famille royale régnant en Jordanie, et a régné sur le Royaume d’Irak jusqu’à la révolution républicai-
ne de 1958.

28
4) Est-on sorti de la période post- un enjeu géostratégique pour l’appro-
coloniale ? visionnement en matières premières,
pour le commerce international mais
La Méditerranée véhicule un imaginaire aussi pour la sécurité du jeune État d’Is-
puissant. De Casablanca à Istanbul en raël. Cette idée américaine se retrouve-
passant par Barcelone, Marseille, Naples, ra par la suite dans le discours de Geor-
Athènes, Alger, Tunis, Le Caire et Beyrou- ges W. Bush du « Greater Middle East26
th des repères communs, matériels et » allant de Casablanca à Kaboul, dans la
immatériels, font que celui qui voyage continuité de la théorie de S. Hunting-
ne se sent jamais totalement dépaysé. ton du « choc des civilisations27 ».
Au-delà des différences culturelles et
religieuses, une grammaire commune, La Méditerranée, frontière Sud de
construite au fil des échanges et des l’Europe
contacts des peuples, unifie les deux ri-
ves. La disparition de l’URSS va constituer un
moment important de regain d’intérêt
La fin de la colonisation et l’indépendan- pour la Méditerranée. L’Union européen-
ce des États riverains de la Méditerra- ne perçoit dans la fin du communisme
née, nord africains obligent à penser un le moment propice pour influencer et
nouveau rôle pour la Méditerranée. Alors diffuser des normes et des valeurs par
que la Guerre froide trouve ses premiers le commerce et les coopérations éco-
terrains d’affrontement en Grèce et en nomiques. Comme à l’Est, elle cherche
Turquie en 1945, l’idée méditerranéenne à construire au Sud une zone de stabi-
est abandonnée et emprisonnée dans lité. Du point de vue sécuritaire, l’OTAN
la rivalité Est-Ouest. Des deux côtés, les développe une doctrine militaire pour
États doivent choisir leur camp. le « flanc Sud » de l’Alliance et définit
les contours de la nouvelle menace te-
La vision américaine de la Méditerranée rroriste. A l’initiative de l’Espagne et de
apparaît dans les années 1960 et 1970, l’Italie tout d’abord, puis de la France, se
elle va progressivement s’imposer à tra- mettent en place des espaces de discus-
vers l’OTAN25 qui déploie dans le bas- sions multilatéraux comme le dialogue
sin la 6e flotte et perçoit la stabilité de la « 5+5 » institutionnalisé en 1990 pour la
mer et le contrôle de son accès comme Méditerranée occidentale28.

25 Organisation du traité de l’Atlantique Nord, créé le 4 avril 1949, le siège est à Bruxelles

26 Le grand Moyen-Orient

27 The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order ; 1996

28 Le Dialogue 5+5 est le plus ancien cadre de rencontre entre pays du bassin méditerranéen. Il regroupe les pays de la Méditerranée
occidentale, et a été instauré en 1990 à l’issue d’une réunion des ministres des Affaires étrangères tenue à Rome1, avec l’objectif d’en-
gager un processus de coopération régionale en Méditerranée occidentale entre les dix pays suivants : l’Italie, la France, l’Espagne, le
Portugal ainsi que Malte pour la rive Nord, et les cinq pays de l’Union du Maghreb arabe pour la rive sud.
29
En 1995, le processus de Barcelone dimension néocoloniale. Au-delà des
aboutit à la signature du Partenariat Etats les populations, sur les deux rives,
Euro- Méditerranéen. Le processus de restent marquées par une histoire en-
Barcelone se fondait sur trois piliers: un core très présente avec une certaine in-
espace de dialogue pour la paix et la sé- compréhension des deux côtés de cette
curité, des aides financières contre des région du monde. La colonisation a créé
réformes structurelles et un volet socié- des liens paradoxaux d’amour, de haine,
tal de promotion des valeurs démocrati- de passion, de fusion, de rejet, entre les
ques et libérales. Le processus de Barce- différents territoires de la méditerranée.
lone se veut alors multilatéral, inclusif et Le projet colonial a été fondé sur un sys-
équilibré entre l’Europe et les pays de la tème asymétrique multiple : asymétrie
rive sud. militaire, technologique, économique,
démographique et juridique. Après les
La décolonisation est inséparable de guerres de décolonisations, l’essentiel
l’histoire globale, des deux guerres mon- de cette asymétrie est encore en place,
diales, de la guerre froide. Les nationalis- et avec elle, les symbol ou les représen-
mes qu’elle révèle, empruntent leurs dis- tations de la période coloniale restent vi-
cours et leurs formes aux mouvements vaces. Il y a un réel travail à faire des deux
issu de la Révolution française mais aus- côtés de la Méditerranée.
si à la longe durée des antagonismes qui
ont fracturé et qui balafrent encore l’es- C) La méditerranée Aujourd’hui
pace méditerranéen. Il y a de grandes
incohérences dans la posture européen- Au XXIe siècle, les révolutions d’Afrique
ne vis-à-vis de la Méditerranée, souvent du Nord (Algérie, Tunisie, Lybie, Egyp-
brouillée par une lecture historique am- te, Maroc) et la percée des groupes te-
bivalente. Ainsi la Méditerranée est-elle rroristes au Sahel, rebattent les cartes
vue comme un espace européen sym- de la géopolitique méditerranéenne.
bolique (histoire), administratif (avec les De même, la dynamique internationale
archipels méditerranéens français, es- favorable à la reconnaissance de l’État
pagnols, italiens, grecs), ou stratégique palestinien, l’accord sur le nucléaire ira-
(Gibraltar, enclaves espagnoles au Ma- nien, il y a également la guerre en Syrie,
roc, partenariats et alliances avec les an- la Turquie, l’ex-yougoslavie ou guerre des
ciennes colonies). Balkans (encore instable), le Liban. Tout
ceci témoigne d’un contexte en cons-
Les Etats issus de la décolonisation sont tante mutation, dont il faut tenir compte
de leur côté marqués par leurs propres et saisir les évolutions et la complexité.
incohérences, entre réaffirmation de
souveraineté et entretien de liens de
coopérations où affleure souvent une
30
Pour comprendre cette géopolitique, nialisme30 n’est plus de mise. Certains
on ne peut se limiter au seul cadre mé- conflits, comme entre Israël et la Palesti-
diterranéen. Il faut de ce fait prendre en ne, entre le Maroc et l’Algérie au sujet du
compte les conflits qui se jouent autour Sahara, entre Chypre et la Turquie ont
de la Méditerranée car ils débordent sur considérablement freiné la possibilité
le continent européen et ont un impact d’accords régionaux d’envergure.
jusqu’au niveau mondial. Comme l’ont
montré les évènements du 11 septembre 5) Un méditerranée en pleine mu-
de 2001, l’agenda sécuritaire va prendre tation
le dessus. L’objectif premier de l’Europe
dans l’espace méditerranéen est d’assu- La Deuxième Guerre mondiale et ses
rer la stabilité des régimes dans la lutte conséquences modifient totalement
internationale contre le terrorisme et de les structures de la Méditerranée. L’effa-
favoriser l’externalisation de ses fron- cement des puissances européennes,
tières pour faire face aux flux migratoires l’installation en force de la puissance
en croissance. américaine, puis de la flotte soviétique,
l’indépendance des territoires coloniaux,
La perspective d’un « choc des civilisa- la montée de l’arabisme, les découvertes
tions» couplée aux enjeux migratoires et l’exploitation des gisements pétroliers
et terroristes vont finir de transformer la ont compliqué les règles du jeu. C’est sur
Méditerranée en une frontière à survei- ce fond de transformations structurelles
ller et à fermer. Jamais dans l’histoire le des sociétés et des économies médite-
monde ne se sera autant rétréci, jamais rranéennes que s’est inscrite la stratégie
les deux rives n’auront été aussi éloig- des puissances.
nées.
Aux graves distorsions entre Nord et Sud
La Méditerranée après 2011, un im- s’ajoutent les conflits hérités de l’histoi-
pensé politique majeur re, aiguisés jusqu’à une période récente
par les affrontements idéologiques. De
Les révoltes en Afrique du Nord, au multiples conflits et guerres civiles (Al-
printemps 2011, constituent un tournant gérie) où s’entremêlent les questions
historique majeur. Le paradigme de la ethniques et religieuses (les Balkans), les
« stabilité » des régimes autocratiques intérêts stratégiques liés au pétrole et à
soutenus par les anciens empires colo- l’eau, les problèmes de délimitation des
niaux pour certains d’entre eux, pouvant frontières (Maroc et Algérie) ont lourde-
permettre d’assurer la sécurité et les in- ment pesé sur les équilibres régionaux.
térêts européens a volé en éclat. Ce que Mais depuis les années 1990, la disloca-
l’on appelle le néo-colonialisme29 qui tion de l’Union Soviétique a posé en ter-
est totalement différent du post-colo- mes nouveaux les problèmes méditerra-

31
néens. C’est désormais l’ordre américain gère commune, et l’existence de contra-
qui s’impose comme «une forme régu- dictions entre les membres de l’Union
lée du désordre» (R.Leveau31). La politi- Européenne.
que américaine a en effet défini les rè-
gles du jeu en fonction de sa vision et de Le sud est tout aussi fragmenté ; il est
ses intérêts propres. Ce qui mobilise aus- dans l’incapacité de se concerter et
si l’intérêt américain, c’est le rapport en- d’identifier des intérêts communs. Les
tre Israéliens et Palestiniens. Une terre pays du sud sont incapables de déve-
pour deux peuples ramène à cette pé- lopper des échanges transversaux. Il
rennité de la Méditerranée, berceau de existe entre eux un sentiment de mé-
civilisations et des barbaries fratricides. fiance, de rivalité. L’Union du Maghreb
C’est de toute évidence le conflit le plus arabe est une simple fiction. De plus, de
grave aujourd’hui. Parce que le conflit is- nombreux conflits fragilisent la Médite-
raélo-palestinien est toujours une plaie rranée. Certains différends sont circons-
ouverte, il continue à exacerber les an- crits, comme celui concernant Chypre.
tagonismes, à nourrir le ressentiment et D’autres ont été mis sous silence et sont
l’esprit de vengeance de part et d’autres. gelés, comme celui du Sahara occiden-
tal ou les conflits balkaniques, dont s’est
La Méditerranée souffre de faiblesses de ajouté le problème du Kosovo. Il existe
nature structurelle, reflétées par sa frag- enfin des conflits ouverts non maîtri-
mentation, ses différends et ses conflits sés, dont le principal est celui qui oppo-
qui l’agitent de manière chronique. Le se Israël à la Palestine. Si on appliquait
nord comme le sud de la Méditerranée le droit international, on pourrait régler
sont fragmentés : au nord, l’Union euro- ce problème rapidement. Mais ce droit
péenne ne constitue pas un ensemble est bafoué depuis soixante-dix ans no-
uni, possédant les moyens de la puis- tamment par Israël, avec la passivité de
sance. On s’en rend compte chaque fois la communauté (dite) internationale, qui
qu’un problème grave apparaît, comme est défaillante ou plutôt pas objective. Il
par exemple en ex-Yougoslavie: l’Union ne faut pas s’étonner dès lors que le re-
européenne a été incapable d’intervenir cours à la violence apparaisse comme la
seule sur ce problème européen, médi- seule issue et sans justification abusive
terranéen et l’aide des États-Unis a été de celle-ci.
nécessaire (les accords ont même été
signés à Dayton32). De même, l’affaire Dans la région sud-méditerranéenne,
irakienne, en 2003, a mis en lumière l’ab- chaque personne vit le drame pales-
sence de consensus, de politique étran- tinien comme un drame personnel. Il

31 Rémy Leveau. Spécialiste du monde arabe (1932-2005), il s’était fait connaître avec {Le Fellah marocain défenseur du trône}

32 Dayton est une ville de l’État de l’Ohio, aux États-Unis. Elle est située dans le sud-ouest de l’État, dans le comté de Montgomery,

32
existe une prise de conscience de ces symptôme qu’il faut interroger pour sa-
faiblesses structurelles, qui se traduit voir quel est le vrai problème latent.
par un certain nombre d’initiatives, no-
tamment le partenariat euro-méditerra- Questionnons son efficacité : On peut
néen de Barcelone33. supposer que sans les engagements
des troupes espagnoles et britanniques,
Il convient aussi de citer également « il n’y aurait pas eu les attentats de Ma-
l’initiative de coopération d’Istanbul » ; drid et de Londres. Il faut faire attention
l’initiative « Grand Moyen-Orient », dont à ne pas instrumentaliser le terrorisme
l’approche géopolitique n’était d’ailleurs dans une stratégie de puissance. Le vrai
pas pertinente (le sud y était considéré problème en Méditerranée n’est pas le
comme souffrant d’immobilisme, ce qui terrorisme, c’est le développement. Les
est totalement faux. Nous le voyons au- conflits et tensions se sont intensifiés
jourd’hui avec le mouvement algérien dans l’espace méditerranéen depuis le
(le Hirak), la Tunisie, la Lybie, l’Egypte. Les processus de Barcelone en 1995 entre le
Américains considérant que l’absence Maroc et l’Algérie, le Liban et la Syrie, et,
de démocratie conduit au terrorisme, ce bien sûr, Israël et les territoires palesti-
qui est inexact et même absurde. La dé- niens. Les peuples sont souvent en révol-
mocratie ne s’exporte pas, elle ne s’im- te contre leurs propres gouvernements
pose pas avec des chars et des missiles, et restent sceptiques devant les discours
elle est un processus qui se fait dans le grandiloquents. Il n’y a pas d’unité médi-
temps, à l’image des démocraties Occi- terranéenne, malgré, effectivement, un
dentales. certain art de vivre partagé. Il suffit de
regarder les écarts de richesse entre les
Si on analyse objectivement la région deux rives pour s’en convaincre. En ou-
euro-méditerranéenne, nous consta- tre, les deux rives ne se connaissent pas
tons qu’il y a aussi des points positifs bien, elles sont en contact et s’ignorent
concernant les pays du sud. Il n’y a au- en même temps.
cun gouvernement en place qui ne se
déclare anti-occidental, et tous ces pays Les Européens parlent d’Arabes au sud,
luttent contre le terrorisme, car ils sont mais quid des chrétiens d’Orient, des
les premiers concernés dans ce combat Kabyles et autres peuples berbères
et la coopération avec les pays du nord ayant une histoire propre et chrétiens
est très développée. Le terrorisme est un à la base. On connaît d’ailleurs plusieu-
rs grandes figures de l’église africaine,

33 Le Partenariat Euromed, dit aussi Processus de Barcelone, a été institué en 1995 à Barcelone, à l’initiative de l’Union européenne et
de dix autres États riverains de la mer Méditerranée. L’Albanie et la Mauritanie sont membres de l’Euromed depuis 2007

33
comme Saint Augustin et sa mère Sainte n’est pas apparent, voir inexistant. On ne
Monique ou encore Saint Cyprien, Alors peut ignorer l’histoire lorsqu’on évoque
qu’on voit souvent dans le catholicisme la politique étrangère européenne et de
romain une religion européenne, il n’est certains pays comme l’Espagne qui fut
pas anodin de se souvenir que la fonc- le terrain de coexistence et de friction
tion de pape, le plus haut dignitaire de entre trois religions (islam, judaïsme et
l’Église, a été occupée à trois reprises par chrétienté). Huit siècles de culture par-
des chrétiens d’Afrique du nord qui sont tagée dans l’Al Andalus35 ont laissé des
africains, comme: marques profondes et l’héritage culturel
a été assimilé par la société espagnole et
- Victor Ier, qui était berbère34, né une telle coexistence n’a jamais été ré-
dans l’actuelle Tunisie, il fut évêque de pétée depuis. La Méditerranée est une
Rome et à ce titre gouverna l’Église ro- priorité de la politique étrangère espag-
maine à partir de 189 et ce durant une nole.
dizaine d’années.
- Miltiade ou Mel chiade, né en Afri- Le gouvernement accorde beaucoup
que du nord, fut pape de 311 à 314 d’importance à la confiance mutuelle et
à l’égalité avec le sud (Afrique du Nord).
- Gélase Ier, également berbère, fut Ces principes ne sont pas que des « pa-
pape de 492 à 496 roles verbales », ils n’ont pas été oubliés
dans les moments difficiles à la diffé-
L’espace au Moyen-Orient est composé rence d’autres pays européens et de la
de 13 % de non musulmans. Il existe des France en particulier.
fractures entre sunnites et chiites, entre
le monde urbain et le monde rural, entre Ainsi, après les attentats de Madrid de
classes instruites et non instruites. Les 2004, avec 191 morts et 2050 blessés, le
peuples du sud demandent la recon- dialogue a perduré et il n’y a pas eu de
naissance de l’altérité, pas la tolérance, poussée xénophobe au sein de la popu-
terme éminemment condescendant. lation, qui a su placer le terrorisme à sa
Concernant les relations Nord/Sud, il juste place et ne pas faire de confusion,
existe un besoin de reconnaissance par malgré la peur.
le respect. Or, après avoir entendu les
débats intra-européens qui ne songent
même pas à faire appel à l’opinion pu-
blique du Sud, on se dit que le respect

34 Du peuple autochtone d’Afrique du Nord (ex. kabyle, touareg).

35 est le terme qui désigne l’ensemble des territoires de la péninsule Ibérique et certains du sud de la France qui furent, à un moment
ou un autre, sous domination musulmane entre 711 (premier débarquement) et 1492 (chute de Grenade). L’Andalousie actuelle, qui en
tire son nom, n’en constitua longtemps qu’une petite partie.

34
Enfin, le rôle de la société civile est par- 6) La méditerranée : Une région
ticulièrement important aux yeux des Hybride, complexe et méconnue
Espagnols, celui que joue par exemple
la fondation Anna Lindh36 à Alexandrie37. Le monde méditerranéen est à la fois
Il faudrait arrêter de parler de deux rives complexe et compliqué, et traversé par
et évoquer la Méditerranée comme un de multiples zones de fractures. Il n’y a
tout. Ré humaniser la méditerranée doit d’ailleurs jamais une seule explication
être au cœur des débats d’aujourd’hui. historique, plusieurs thèses s’affrontent.
Dans un cadre de stabilisation, de coo- Il s’agit de penser la Méditerranée au
pération en Méditerranée, certains pro- cœur des Etats et des hommes, là où se
grammes peuvent donner une impul- nouent les mécanismes qui produisent
sion à la coopération réciproque. Les et nourrissent la violence.
volets sécuritaires et politiques sont très
importants et beaucoup a déjà été fait La Méditerranée a-t-elle déjà été une
dans ce domaine, comme les coopéra- mer de paix ?
tions techniques entre forces armées,
de police, et tant d’autres choses égale- Cette interrogation pose d’emblée le
ment. problème de l’existence d’un espace
suffisamment homogène pour être dé-
Ce qui a accru la possibilité que les pays signé par le terme de Méditerranée au
coopèrent entre eux. Il y a maintenant singulier. Il existe un seul terme, qui est
un véritable changement structurel en toujours en vigueur dans les discours, il
Méditerranée, pour la première fois de- persiste envers et contre tout, en dépit
puis treize siècles, la Méditerranée est à de la multiplicité des réalités géopoli-
peu près unifiée autour d’un projet eu- tiques, c’est le mot paix. Pourtant, lors-
ropéen, d’un projet riverain. que la problématique des conflits et des
guerres rencontre le vocable de Médite-
Si on se confronte réellement aux pro- rranée, les incertitudes sont multiples.
blèmes structurels, on aura peut-être Car, il faut préciser de quelle Méditerra-
la possibilité de bâtir une plus grande née parle-t-on ?
unité politique au sein de cette zone du
monde ou trois civilisations s’.

36 La Fondation euro-méditerranéenne pour le dialogue entre les cultures, ou Anna Lindh Foundation, instituée par l’Union européen-
ne et les pays du pourtour méditerranéen vise à rapprocher les individus et les organisations des deux côtés de la Méditerranée grâce
à des actions soutenues de dialogue et de refermer le fossé qui les sépare. Elle rend hommage à Anna Lindh, ministre des Affaires
étrangères suédoise poignardée par un déséquilibré en 2003. Elle siège à Alexandrie, en Égypte.

37 Alexandrie est une ville portuaire égyptienne sur la Méditerranée

35
La Méditerranée en effet ne relève plus qui relient par Suez et Gibraltar les faça-
seulement de la politique étrangère, de des maritimes d’Asie orientale, d’Europe
la France ou de l’Europe. Une politique et d’Amérique. « Penser la Méditerranée
méditerranéenne, en effet, n’est pas » en Europe s’est traduit par une appro-
la simple addition de politiques bila- che résolument optimiste, partant du
térales ou de mesures circonstancielles, postulat que ces espaces avaient voca-
mais doit définir une stratégie de long tion à s’intégrer à une dynamique euro-
terme. Les liens entre les Afriques mé- péenne de développement.
diterranéenne et subsaharienne sont
anciens. Ces dernières années, des dy- La pertinence d’un partenariat rénové
namiques nouvelles, principalement entre l’Afrique et l’Europe consacrant la
économiques, se consolident dans les centralité de la Méditerranée, à travers
espaces urbains et littoraux et partici- la construction d’une verticale Afrique
pent à un renouveau des connexions – Méditerranée – Europe39. Une sorte de
entre Méditerranée, Sahara et Sahel, en triangle stratégique afin d’avancer en-
particulier dans la partie occidentale. semble pour le bien être de cette zone
du monde. La dynamique de la mondia-
Ces transformations alimentent des lisation impose, aujourd’hui, la promo-
phénomènes de régionalisation, fon- tion de ce triangle. Elle sécrète, en effet,
dés sur de grands programmes d’in- la régionalisation, c’est-à-dire l’intégra-
frastructures qui accompagnent l’essor tion des Etats-nations sur le plan écono-
des échanges maritimes, terrestres et mique à des ensembles ou sous-ensem-
aériens de biens et de personnes en- bles régionaux, capables de répondre
tre les pays situés dans ce vaste espace aux exigences de la mondialisation40.
ouest-africain38.
Finalement, la difficulté de « faire région
Longtemps considéré comme l’épicen- », l’instabilité régionale, la question de
tre du Vieux Monde, le bassin méditerra- l’adhésion des populations africaines à
néen n’est certes plus un pôle majeur de de tels projets portés « par le haut » in-
puissance. Depuis l’ouverture du canal terrogent sur les modalités d’un dépas-
de Suez en 1869, permettant aux Britan- sement des frontières, des différences et
niques de consolider alors la primauté des distances entre les deux rives. Si la
de leur réseau maritime. Elle se poursuit diversification des liens et des échanges
aujourd’hui avec les flux conséquents régionaux permet à certains pays de la

38 Bulletin de l’association des géographes français : Entre Afrique du Nord et de l’Ouest, les relations transsahariennes à un moment
charnière, Between north Africa and west Africa: trans-Saharan relations at a key moment: Nora Mareï et Olivier Ninot ; p. 239-258

39 AME : Afrique, Méditerranée, Europe

40 Fathallah Oualalou : La verticale Afrique - Méditerranée - Europe dans le Triangle Stratégique Afrique - Europe -Amérique Latine,
Policy center for the new south, May 28, 2018

36
zone de consolider un positionnement yen-orientales d’une part, et la question
dans la mondialisation néolibérale, elle migratoire (criminelle et terroriste) qui
laisse encore de côté des pans entiers sont à l’origine d’un recentrage médite-
des territoires et des populations, peu rranéen. Les acteurs en présence ont fui
concernés, voire oubliés de ce vaste pro- le bourbier moyen-oriental et les voi-
jet politico-économique de facilitation là engloutis dans celui du Sahel. Com-
des échanges intra-méditerranéens. me si les turbulences venues d’ailleurs
priment sur la dynamique endogène.
L’Union européenne doit cesser d’appa- Une conviction Ouest- méditerranéen-
raître, aux yeux de ses interlocuteurs, ne semble faire défaut. Le renforcement
comme une « forteresse » économique progressif du cadre 5+5 reflète une re-
et politique uniquement préoccupée considération endogène de l’espace eu-
de garantir sa sécurité vis-à-vis d’un Sud ro-nord-africain, mais il a besoin d’être
travaillé par d’autres préoccupations, approfondi. Or, la Méditerranée occiden-
comme le développement. La proximi- tale n’est qu’une priorité régionale par-
té géographique, l’importance des liens mi tant d’autres pour les pays sud-euro-
culturels et historiques sont autant de péens. Pour ceux-ci, la référence étant
facteurs militant pour une structuration toujours l’Union Européenne, le système
de l’ensemble géopolitique euro-mé- originel. Le glissement sémantique mais
diterranéen qui aille bien au-delà de la hautement politique de l’Union Médite-
conclusion de simples accords d’asso- rranéenne vers l’Union pour la Médite-
ciation à finalité libre-échangiste41. rranée montre à quel point la construc-
tion de la Méditerranée pose problème
pour certains pays européens com-
L’espace méditerranéen est en cours me si « faire » la Méditerranée signi-
de construction et la perspective d’un fie « défaire » l’Europe42.
ensemble intégré demeure lointaine.
La prédominance des prismes (terroris-
te, migratoire…) fausse la construction
régionale et sacrifie le long terme sur
l’autel du court et moyen termes. Cer-
tes, ce cadre régional tend à se stabiliser,
mais cela peut se révéler trompeur. Ce
sont bien les instabilités/insécurités mo-
41 Ibidem

42 Abdennour Benantar : Complexe de sécurité ouest-méditerranéen : externalisation et sécurisation de la migration ; West -Mediterra-
nean regional security complex: outsourcing and securing migration; p. 57-75

37
Conclusion

La crise de l’Etat se retrouve, sous une L’affirmation de l’islam militant a d’abord


forme ou une autre, dans presque tous été une conséquence des impasses in-
les pays méditerranéens. Le symptôme ternes des Etats, elle ne saurait pourtant
le plus grave se manifeste dans le peu être une solution au malaise du monde
de crédit que la population accorde aux berbéro- romano-arabe, facteur de dés-
institutions. Au fil des ans, elles ont per- tabilisation des équilibres géostratégi-
du une grande part de leur substance. ques en Méditerranée.
La problématique de l’indépendance
a eu pour effet pervers de bannir chez Dans le contexte actuel, la situation en
les gouvernants les principes de l’Etat Méditerranée brouille les perspectives.
de droit, dont certains avaient été pour- Au Sud et à l’Est, les archaïsmes perdu-
tant posés dans les dernières décennies rent, les réformes tardent et les inéga-
de l’époque ottomane. L’impuissance de lités demeurent fortes. Alors comment
l’Etat se double donc du déni des liber- sortir du cycle de la violence et transfor-
tés fondamentales. mer la Méditerranée en un «lac de paix,
de stabilité et de coopération», comme
Non seulement les pouvoirs en place ne l’affirmait la résolution du sommet des
peuvent donner ou rendre à leurs Etats Non-Alignés réuni à Alger en 1973 ?
une capacité d’initiative dans les rela-
tions internationales, mais ils interdisent L’observation de la réalité ne laisse place,
à leurs citoyens toute action susceptible croirait-on parfois, qu’au désarroi. Mais
de changer les pouvoirs. celui-ci n’est pas nécessairement l’anti-
chambre du désespoir. Il porte aussi les
Les menaces extérieures sont le pré- hommes et les femmes au rêve. Dans
texte à l’état d’urgence qui, mettant les cette région du monde où l’Europe et
lois entre parenthèses et parfois pour l’Afrique se regardent sous les yeux de
longtemps, bannit les instruments de l’Asie, sont nées les grandes civilisations
régulation du politique, les partis et les et les religions monothéistes, qui ont ri-
associations. Il n’y a plus dès lors, que le valisé d’influence et alimenté bien des
recours à la spiritualité, pour canaliser la fantasmes de domination et tant de
frustration et véhiculer la demande de guerres meurtrières.
changement.
La « mondialisation » bien loin d’effacer
ces antagonismes, portant en elle le ris-
que d’un monde plus inégal que jamais,

38
peut encore exacerber les tensions et les
conflits notamment dans cette zone du
globe. Mais la Méditerranée, c’est aussi la
«mère des mondes» où l’Orient et l’Occi-
dent peuvent se rejoindre, se retrouver.
Et malgré un contexte instable et un
environnement parfois hostile, on choi-
sit, ici et là, en Méditerranée, de s’ouvrir
aux idées nouvelles et aux autres cultu-
res, on aspire au respect des libertés fon-
damentales et des droits humains, à la
concorde, à la paix et à la prospérité43.

43 Samya El Mechat : La Méditerranée, « paix et guerre entre les nations », dans Cahier de la Méditerranée, p. 1-7

39
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40
L’EVALUATION DU PLAN D’ACTION DE L’ONU DURANT LA CRISE
SANITAIRE DU COVID-19.

YASSINE EL YATTIOUI

Depuis le début de la pandémie de Co- Pour mieux les comprendre, cette analy-
vid-19, l’Organisation des Nations Unies se vise à contextualiser la gestion de la
(ONU) et l’Organisation mondiale de la pandémie par l’OMS et les critiques
santé (OMS) ont joué un rôle de premier dont elle fait l’objet, en passant en revue
plan. Au centre de la scène, les confé- le rôle et les moyens d’action de l’orga-
rences de presse, quasi quotidiennes nisation, ainsi que sa réaction lors des
depuis le 22 janvier 2020, des deux enti- précédentes épidémies.
tés, au cours desquelles ils distillent des
recommandations aux Etats et les ex- Tout d’abord, nous expliquerons, l’utili-
horte à se mobiliser. L’OMS est en effet sation des outils de la gestion onusienne
l’organisation spécialisée des Nations ainsi que leur efficacité (I). Ensuite, nous
Unies pour la santé et l’une de ses mis- montrerons les répercussions et les li-
sions est la surveillance des maladies mites des politiques menées par l’ONU
infectieuses et la coordination de la ré- dans cette crise sanitaire tout en évo-
ponse internationale en cas d’épidémie. quant les pistes d’amélioration (II).
L’annonce spectaculaire par la Maison
Blanche, le 15 avril 2020, en pleine crise I. Les outils de la gestion onusienne
sanitaire, de la suspension du finance- dans la crise sanitaire du Covid-19
ment américain à l’OMS (environ 15 % de
son budget, la plus grosse contribution A. L’influence normative de l’OMS,
financière), a mis en lumière les orga- antenne santé de l’ONU
nisations. Alors que de nombreux pays
comme le Canada, la France, l’Allemag- La spécificité de l’OMS, au sein de ce
ne et l’Afrique du Sud ont réaffirmé leur paysage institutionnel diversifié, est
soutien en insistant sur le « rôle essentiel d’être la seule organisation sanitaire in-
» que joue l’OMS et en appelant à ne pas tergouvernementale à vocation univer-
l’affaiblir, les appels à revoir la réponse selle, qui rassemble 194 États membres,
de l’OMS à la pandémie et à une réfor- développés et en développement, sur le
me organisationnelle ont augmenté. principe qu’un État équivaut à une voix.

41
Créé après la Seconde Guerre mondiale, B. Des normes pour quelle efficacité
il intègre les organisations internationa- pendant la pandémie du COVID-19
les de santé qui l’ont précédé, dont des
organisations régionales comme le Bu- L’OMS a une mission très large, qui va
reau sanitaire panaméricain. Ceci expli- bien au-delà de la lutte contre les épi-
que la structure de gouvernance spécifi- démies : elle vise « à amener tous les
que de l’organisation : un siège à Genève, peuples au niveau de santé le plus élevé
environ cent cinquante bureaux locaux possible ». Elle est donc impliquée dans
dans les pays mais aussi six bureaux ré- un grand nombre de domaines : lutte
gionaux qui disposent d’une large au- contre le tabac, le paludisme et la polio,
tonomie, avec des directeurs régionaux actions en faveur de la santé mentale,
élus par des assemblées comprenant les pour la couverture santé universelle, etc.
États membres d’une région, caractéris- Cette approche holistique de la santé
tique souvent critiqué pour son ineffica- est également pertinente pour la lutte
cité. contre les épidémies, car elle se prépare
en amont de manière multidimension-
Au siège à Genève, on retrouve le secré- nelle, en construisant des systèmes na-
tariat de l’OMS, organe technique et ad- tionaux de santé résilients, en garantis-
ministratif qui met en œuvre les actions sant l’accès aux soins et aux traitements
de l’organisation, dirigé par le Directeur (Gerardin, 2016).
général. Il est élu par les États membres
siégeant à l’Assemblée mondiale de la L’OMS est avant tout une organisation
Santé et est appuyé dans ses travaux par normative, c’est-à-dire qu’elle établit
le Conseil exécutif de l’organisation com- des normes, des recommandations, grâ-
posée de trente-quatre États membres, ce à ses capacités d’expertise. Ce n’est
également élus par l’Assemblée mon- pas une organisation opérationnelle qui
diale de la Santé pour trois ans (Deuts- mènera directement des actions de san-
cher, 2009). L’universalité de l’organisa- té sur le terrain, ce qui sera fait par des
tion lui donne la légitimité pour porter États ou des ONG, par exemple, en gui-
la coopération mondiale entre tous les dant leurs actions grâce aux recomman-
États, ce qui est crucial en cas de cam- dations de l’OMS et aux données qu’elle
pagne de vaccination ou de surveillance collecte et produit. Dans le cas de la pan-
des maladies infectieuses, par exemple, démie de Covid-19, l’OMS a publié, le 3
si un État ne le fait pas, cela sera problé- février 2020, un plan stratégique de ré-
matique pour tout le monde face dans ponse et de préparation régulièrement
ce cas à la menace d’une maladie qui mis à jour, ainsi que des lignes directri-
a la capacité de se propager à l’échelle ces (comment prendre en charge les vo-
mondiale. yageurs malades, comment fournir des
soins à domicile, etc.) (Guillaume, 2011).
42
Ce rôle normatif a parfois été rempli de II. Les répercussions et les limites
manière efficace (par exemple, avec le des politiques menées par l’ONU
désormais célèbre conseil : « Tester, tes- dans cette crise sanitaire
ter, tester », parfois moins, quand le fait
de devoir faire des recommandations A) Répercussions et limites de la po-
valables pour tous les pays, être très litique onusienne
prudent face à une situation évolutive, a
brouillé le message (comme dans le cas L’absence de réelle réforme au sein
de la fermeture des frontières). de l’organisation Mondiale de la Santé
(OMS) et le désengagement des Etats-
Le fait que l’OMS rassemble pays dévelo- Unis au sein de son organisation struc-
ppés et pays en développement lui con- turelle et son financement ont consi-
fère un rôle spécifique à jouer dans la dérablement réduit son influence sur la
question de l’accès aux traitements, que scène internationale. La crise du Covid-19
l’on retrouve également dans l’actuelle aurait pu être une prise de conscience
pandémie de Covid-19. Ce rôle diploma- en faveur du multilatéralisme, mais pour
tique de l’OMS en tant que facilitateur le moment ça n’a pas été le cas. Au ni-
de coopération, souvent discret, « low veau international chaque pays mène
noise », n’en est pas moins significatif. sa politique dans son coin, ou au niveau
Ainsi, il faut prendre en compte les di- bilatéral, voire régional. Donc la crise du
fférents facteurs que l’ONU a tenté de Covid-19 n’a pas aidé à une résurgen-
créer, circonstance atténuante pour tous ce du multilatéralisme et n’aidera pas
les États qui ont alors mis en place diffé- à un rebond de l’ONU (Balmond, 2021).
rents quartiers généraux et mis en place Compte tenu de tout ce que l’ONU a fait,
des groupes de travail pour gérer cette il suffit de dire que l’ONU n’a pas effec-
pandémie puis créé opportunités plus tué son travail correctement.
faciles pour la santé, opportunités pour
le personnel de soutien pour les con- Les premiers problèmes de la pandémie
naisseurs de la médecine (par exemple l’ONU n’ont pas réussi à gérer pendant la
Médecin sans Frontières) etc. Nous de- pandémie, ils ont déjà pris de l’ampleur
vons accepter que surmonter cette crise et atteint des chiffres alarmants. Pen-
n’est si évident. Il faudrait chercher une dant la pandémie, le monde a plongé
approche de toute la société des gou- dans la pauvreté, les pénuries alimen-
vernements et du monde entier, guidée taires, la santé mentale a augmenté,
par la solidarité (Balmond, 2021). les suicides ont augmenté, les droits de
l’homme ont été violés, le nombre de
toxicomanes a augmenté, les organisa-
tions de défense des droits de l’homme
n’ont rien fait, la violence dans les fami-

43
lles a augmenté comme : les personnes sation. Comme après chaque épidémie,
âgées, les handicapés, enfants, femmes, les actions de l’OMS feront l’objet d’une
etc. L’ONU ainsi que l’OMS en tant qu’or- évaluation, qui pourra conduire à des
ganisation supranationale n’ont pas été réformes plus ou moins profondes (Gas-
en mesure de promouvoir la coopéra- tineau, 2016). En 2003, après l’épidémie
tion internationale. L’ONU a donc failli de SRAS, le RSI a été largement révisé,
dans cette mission et champ d’action notamment pour clarifier les obligations
qui lui est totalement dédié. des États et étendre les sources d’infor-
mation de l’OMS aux acteurs non étati-
ques. En 2014, après l’épidémie d’Ebo-
B) Quelles pourraient être les pis- la, l’OMS a mis en place un programme
tes d’amélioration ? de gestion des urgences sanitaires, qui
dispose de son propre budget et de son
Si nous analysons, les tâches ou la propre personnel.
non-exécution des tâches par l’ONU
selon l’objectif escompté de coopéra- Des propositions ont déjà été faites. Le
tion internationale pour la lutte con- Premier ministre australien Scott Morri-
tre le COVID-19, nous pouvons dire que son, par exemple, veut donner la possi-
l’ONU a essayé d’effectuer son travail bilité à l’OMS d’envoyer des inspecteurs
plus sérieusement, avec une précision enquêter sur la situation sanitaire d’un
sans précédent et sans aucun doute. pays, sur le modèle de ce que fait l’Agen-
Les États membres se réunissent en- ce internationale de l’énergie atomique
fin pour trouver un langage commun (AIEA). Cela exigerait que tous les États
et fabriquer un vaccin l’ensemble de la membres soient prêts à accepter la pos-
communauté internationale. L’ONU est sibilité d’une inspection sur leur terri-
consciente des conséquences causées toire. Le ministre français des Affaires
par la pandémie depuis la fin d’année étrangères, Jean-Yves Le Drian, évoque
2019 (Ouazzan, 2020). Il est entendu que la création d’un « GIEC santé », haut con-
les pays les plus pauvres ont été touchés seil de la santé humaine et animale, sur
par cette pandémie et ce sont eux qui le modèle du Groupe d’experts intergou-
recherchent ce genre d’allègement de vernemental sur l’évolution du climat
la dette. Un vaccin et un prix abordable (GIEC), pour créer davantage de consen-
ont été demandés pour l’ensemble de la sus scientifique. Pour que ce consensus
communauté internationale. joue un rôle dans la réponse à une crise
sanitaire, il semble essentiel que sa pro-
Les polémiques autour de l’indépen- duction soit liée à l’organisation univer-
dance de l’OMS vis-à-vis des gouverne- selle qui le coordonne.
ments ou des acteurs privés appellent in
fine à renforcer l’autonomie de l’organi-

44
L’analyse des différents outils dont dis-
pose l’OMS et les contraintes qui enca-
drent son action éclairent la réponse de
l’organisation à l’épidémie de Covid-19 et
la manière dont elle est perçue (Taver-
nier, 2006). La critique qui a le plus em-
porté a été celle d’adopter une attitude
trop conciliante envers la Chine, notam-
ment de ne pas avoir dénoncé publique-
ment le manque de transparence et de
diligence du gouvernement chinois au
tout début de la crise épidémique.
La crise du Covid a démontré le rôle pri-
mordial de premier plan qu’ont joué
l’Organisation des Nations Unies (ONU)
et l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), son antenne santé, sur la scène
internationale. L’organisation actuelle
existante avec ses nombreuses normes
a par ailleurs joué un rôle de facilitateur
efficace pour la communauté interna-
tionale. Toutefois, cette crise inédite a
également révélé de nombreuses failles
organisationnelles, affaiblissant ainsi l’in-
fluence onusienne voire une résurgence
du multilatéralisme.

En prenant la mesure des crises sani-


taires passées et celle de la pandémie
du COVID 19, des améliorations devront
être envisagées après évaluations des
actions de l’OMS pouvant ainsi menées
à une réforme structurelle et organisa-
tionnelle

45
Bibliographie

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47
LES ENJEUX ÉNERGÉTIQUES CONTEMPORAINS

GHOFRANE HAMMAMI

Les questions énergétiques sont et se- nouvelles données climatiques invitent


ront toujours des enjeux géopolitiques tous à une réflexion approfondie au su-
centraux et majeurs de ce XXI siècle. Il jet de cet avenir énergétique. D’ailleurs,
est alors probable que la persistance des la lecture du dernier rapport du Forum
différentes sources de crises souvent économique mondial est éclairant à ce
dispersées, qui mêlent l’énergie, la géo- sujet. Il fixe bien évidemment, en ter-
politique, les questions environnemen- mes de probabilité, que parmi les dix
taux et les rapports socio-économiques, risques les plus sévères dans le monde,
donne une image brouillée voire même cinq questions restent intimement liées
troublée de l’avenir énergétique dans le à l’environnement et à l’énergie1.
monde.
Il va sans dire que cet avenir énergétique Artificielle est toute tentative qui vise à
oscille constamment entre d’une part dissocier l’énergie des données climati-
les politiques héritées des deux siècles ques actuelles et des équilibres stratégi-
précédents et qui sont caractérisées par ques au simple fait qu’ils touchent tous
une utilisation massive des énergies fos- de près aux besoins les plus existentie-
siles afin de maintenir la croissance éco- lles de l’humanité. Définis par le psycho-
nomique et atteindre une sorte de paix logue Abraham MASLOW en 1940 dans
sociale et, d’autre part, la nécessité de lu- sa pyramide éponyme, les besoins phy-
tter contre les changements climatiques siologiques (se nourrir, respirer, dormir,
par l’investissement dans des solutions etc.) et sécuritaires (environnement pré-
durables. Mieux encore, les évènements visible et stable, gestion de l’anxiété et
géopolitiques actuels, les tensions épar- des crises, etc.) sont considérés comme
ses dans le secteur énergétique et les étant non seulement les facteurs les plus

1 La 17éme édition du Global Risks Report 2022, rapport du Forum économique mondial, dispo-
nible au lien : <WEF_The_Global_Risks_Report_2022.pdf (weforum.org)>, (consulté le 15/01/2022).

48
déterminants mais aussi les plus fonda- Avec le remplacement progressif de la
mentaux de l’existence de l’être humain. source primaire de consommation éner-
Aborder la question de l’énergie et plus gétique, la géopolitique des énergies re-
particulièrement celle de la géopolitique nouvelables “ serait alors plus “douce” et
des énergies, c’est en réalité traiter tout moins conflictuelle que celle des éner-
ce qui, de près ou de loin, touche aux gies carbonées”4.
équilibres internationaux susceptibles
de déboucher sur des conflits et de me- Peu usité est donc le terme de géopo-
ttre en exergue les nouvelles puissances litique des énergies renouvelables qui
émergentes qui ne veulent qu’exercer a contribué à faire prévaloir une impli-
leur force et faire valoir leurs propres in- cation géopolitique aux nouvelles poli-
térêts. tiques énergétiques et aux investisse-
ments dans les énergies renouvelables.
Parmi les ressources énergétiques les Ainsi, les problématiques de puissance,
plus déterminantes, le pétole et le gaz de dépendance, de sécurité et même de
représentent véritablement des éner- rivalité doivent ipso facto être associées
gies fondamentales pour les Etats. Il va à cette dynamique nouvelle.
sans dire qu’il fallait repenser notre or-
ganisation énergétique afin de tenir En d’autres termes, les questions éner-
compte des différents changements gétiques seront utilisées comme moyen
observés dans tous les domaines où est de pression pour faire évoluer un rapport
constatée une consommation massive de forces sur le terrain ou même pour
des énergies fossiles 2. Avec le passage à créer de nouveaux moyens de pression
une consommation d’énergies renouve- pour infléchir non seulement une sor-
lables, la donne a changé. Il s’agit donc te d’ambition politique mais aussi une
d’une transition vers des énergies moins mise en œuvre plus intégrée en faveur
polluantes et durables qui marquera du climat.
progressivement la fin de la géopoliti-
que liée aux fossiles. Et comme l’a noté Ceci dit, deux problématiques-clés doi-
à bon escient un auteur, la géopolitique vent en réalité faire l’objet d’un suivi plus
des énergies renouvelables se traduit approfondi pour mieux comprendre les
par “ le passage d’un modèle basé sur enjeux de la transition énergétique au-
des énergies de stock à un modèle basé jourd’hui à l’œuvre de ce monde liant les
sur des énergies dites de flux ” 3. équilibres socio-économiques, la géo-

2 COHEN (D), “un enjeu de civilisation”, revue nouvelles fondations, n° 6, 2007/2, p. 38.
3 SOUFARGI (M), la géopolitique des énergies renouvelables : enjeux et stratégies, du local au mondial, Editions Universitaires Euro-
péennes, 2021, p. 2.
4 HACHE (E), “ la géopolitique des énergies renouvelables : amélioration de la sécurité énergétique et/ ou nouvelles dépendances”,

49
politique et les différents enjeux clima- A- les fossiles, une source énergéti-
tiques. Mieux encore, ladite transition a que complexe :
mis dans l’urgence une redéfinition des
besoins en ressources énergétique (I), Parmi les ressources énergétiques les
chose qui a favorisé l’émergence d’une plus déterminantes pour les Etats, aussi
dynamique nouvelle de transition (II). bien le pétrole que le gaz sont ceux qui
produisent le plus d’effets. D’ailleurs, et
I- la redéfinition des besoins énergéti- pour visualiser à quel point ces énergies
ques : représentent à elles-seules des enjeux, il
Etant une question géopolitique qui est intéressant d’observer le mix énergé-
date toujours d’actualité, l’énergie fait tique mondial qui est, à son tour, révéla-
l’objet de rivalités et de rapports de for- teur d’indices.
ces sur les territoires, allant du contrôle
des gisements jusqu’au contrôle éta- À ce titre, les énergies fossiles comptent
bli sur les réseaux de distribution et les actuellement pour 83,1% du mix éner-
marchés. Plus encore, elle fait aussi l’ob- gétique mondial en 2020 contre 84,3%
jet de représentations différentes voire en 2019 et 84,7% en 2018 et pour 61,3%
même contradictoires selon les acteurs de la production mondiale d’électricité.
en question. Plus encore, il va sans dire que le pétrole
reste de loin la principale source d’éner-
Force est pourtant de relever qu’on as- gie consommée dans le monde (31,2%
siste de nos jours à une sorte de redé- de la consommation mondiale d’éner-
finition des besoins en ressources éner- gie primaire en 2020), devant le charbon
gétiques. Cette redéfinition est devenue (27,2%) 5 . Par conséquent, on ne peut
donc une priorité pour permettre de ré- qu’observer une grande dépendance à
pondre aux objectifs climatiques inter- l’échelle mondiale à l’égard des énergies
nationaux et aux problématiques de po- fossiles.
llutions locales. On assiste à un passage
des énergies polluantes ayant un impact Force est pourtant de relever que les gi-
considérable aussi bien sur l’environne- sements de pétrole, de gaz et de charbon
ment que le climat (A) vers des énergies sont inégalement répartis sur la planè-
renouvelables, moins polluantes qui ont te. Cette inégalité de fait est également
été perçues comme étant une réponse illustrée par le fait que le Moyen-Orient
durable à ces problèmes (B). recèle près de la moitié du pétrole aisé-
ment accessible.

5 <BP Statistical Review of World Energy 2021 : les chiffres clés de l’énergie dans le monde | Connaissances des énergies (connaissance-
desenergies.org)>, (consulté le 04/02/2022).

50
En d’autres termes, environ 50% des ré- grand producteur de gaz. Les pays d’Eu-
serves prouvées mondiales se situent rope centrale et orientale s’approvision-
au Moyen-Orient. Le Venezuela possè- nent auprès d’elle, chose qui ne peut
de également les plus grandes réserves qu’accroitre la dépendance de ces pays
prouvées à l’échelle mondiale d’autant européens vis-à-vis du gaz russe. Enfin,
plus qu’il y en a de grandes réserves sur il ne faut pas perdre de vue l’importance
le continent américain. Le Canada et les du Maghreb dans la production du gaz.
Etats-Unis possèdent donc de grandes A ce titre, aussi bien l’Algérie que la Libye
réserves prouvées. sont d’importants producteurs de gaz.

Au surplus, il y a également d’importan- Mieux encore, il semble judicieux de re-


tes réserves prouvées en gaz situées au lever que le développement de ces pays
niveau de la Russie, le Moyen-Orient et se traduit par une forte croissance de
les États-Unis. Il est notoire, à cet égard, leurs besoins en énergie. La demande
que le Moyen-Orient, représente envi- de pétrole et de gaz augmente rapide-
ron 40% des réserves prouvées, chose ment. Force est pourtant de relever que
qui explique pourquoi cette région est ces deux ressources énergétiques déjà
doublement stratégique. Une telle zone mentionnées sont considérées à la fois
géographique sur laquelle devra donc comme étant source de revenus mais
compter le monde pour répondre aux aussi de conflits. L’énergie est, en ce
besoins d’énergies fossiles futurs no- sens, un enjeu géopolitique d’une gran-
tamment le gaz et le pétrole. Ainsi, et de actualité internationale qui ne cesse
selon les données du cabinet d’études de subir les différentes transformations
Kpler, l’Australie a remplacé le Qatar à la édictées par les nouveaux rapports de
première place des exportations de gaz forces qui sont en train de se dessiner.
naturel liquéfié (GNL). Elle en a exporté
80,23 millions de tonnes en 2021 contre Au regard de tout ce qui précède, il est
77,63 millions l’année précédente6. essentiel d’évoquer l’importance du fac-
teur géographique et des différentes réa-
Plus encore, et s’agissant du continent lités que celui-ci ne cesse d’engendrer à
américain, aussi bien le Canada que les savoir l’éloignement entre les Etats pro-
Etats-Unis ont d’importantes réserves. ducteurs et les Etats importateurs.
Ce trio notamment le Qatar, l’Australie et
les Etats-Unis représentent à eux seuls A ce titre, la stratégie des Etats aussi bien
presque 60% du GNL (Gaz Naturel Liqué- exportateurs qu’importateurs est princi-
fié) en 2020. La Russie est également un palement basée sur ces considérations
qui ne peuvent qu’engendrer des bas-

6 <L’Australie dépasse le Qatar en tant que premier exportateur mondial de GNL en 2021 (kpler.com)>, (consulté le 09/02/2022).

51
culements au niveau de leur politique Au-delà du règlement de la dette ukra-
étrangère. inienne, la Russie utilise également l’ar-
me du gaz pour infléchir une pression
Aborder la question de la géopolitique sur le gouvernement ukrainien afin
de l’énergie, c’est en réalité traiter des d’obtenir une plus grande autonomie
situations géopolitiques dans lesquelles sur les régions russophones qui se trou-
l’énergie est utilisée comme moyen de vent sur le sud-est de l’Ukraine.
pression pour faire évoluer un rapport
de forces sur le terrain. Faut-il d’ailleurs Au problème de l’inégale répartition des
relever que le gaz, même s’il est compa- énergies fossiles s’ajoute également la
rativement la plus abondante des éner- question du changement climatique. En
gies fossiles et qu’il l’est de plus en plus effet, la combustion de ces énergies dé-
avec les gaz de schiste, est, du moins en gage ipso facto du CO2 conçu comme
Europe, un facteur qui n’est responsable étant le principal gaz à effet de serre qui
que d’aggraver les tensions géopoliti- est responsable aussi bien du change-
ques. ment climatique que du réchauffement
de la planète. Or, il est à noter que le dé-
En effet, le transport du gaz se fait par veloppement des énergies renouvela-
le biais des réseaux dits gazoducs qui bles (solaire, éolien, …) est donc à l’ordre
traversent plusieurs pays afin d’attein- du jour puisque ces énergies ne produi-
dre sa destinée finale. Or, quand les re- sent pas ou peu de CO2.
lations entre les Etats se dégradent, les
gazoducs peuvent devenir de véritables B- les renouvelables, une priorité
“armes” pour infléchir des rapports de énergétique future
forces. Le cas du conflit armé dans l’est
de l’Ukraine est éclairant à ce sujet. En ce A vrai dire, si les implications géopoli-
sens, le désaccord entre Kiev et Moscou tiques des énergies fossiles sont loin
portant principalement sur le prix du d’être simples, celles des énergies re-
gaz et la dette gazière ukrainienne7 ne nouvelables sont encore beaucoup plus
peut qu’accroitre les inquiétudes quant complexes. Ce sont, au commencement
à la dépendance énergétique de l’Ukra- et avant toute chose, des énergies consi-
ine vis-à-vis du gaz russe et de l’union dérées comme durables, inépuisables et
européenne de son propre approvision- accessibles.
nement gazier via l’Ukraine.

7 BAYOU (C), “Ukraine/Russie. Dimension gazière d’un conflit”, disponible au lien : <*Ukra-
ine/Russie. Dimension gazière d’un conflit (archives-ouvertes.fr)>, (consulté le 12/02/2022).

52
Plus encore, on les qualifie comme étant de développement durable à l’horizon
des énergies de “flux” par opposition aux 2030 des Nations Unies.
énergies de “stock” qui, elles-mêmes,
constituées de gisements de combusti- En effet, ces énergies qui se sont cou-
bles fossiles. plées avec l’efficacité énergétique ne
peuvent que contribuer à presque 90%
Toujours dans la même veine, et contrai- des réductions en émissions du CO2 in-
rement aux énergies fossiles, les énergies dispensables pour atteindre les objectifs
renouvelables présentent une panoplie déjà définis dans l’Accord de Paris 9.
d’avantages pour la planète. En effet,
elles ne présentent pas non plus des ris- S’agissant des conséquences géopoliti-
ques de pollution lors de leur transfor- ques, il va sans dire que la préoccupation
mation et n’engendrent pas d’émissions autour des approvisionnements énergé-
polluantes ou très peu de CO2 lors de tiques a façonné les relations internatio-
leur transformation et ne produisent pas nales au cours du XXème siècle et ce, en
de déchets lors de leur exploitation. Pour faisant accroitre les tensions géopoliti-
cette raison, il va de soi que ces énergies ques et donnant lieu à une panoplie de
sont considérées comme un vecteur conflits ayant trait au contrôle des sour-
privilégié de la lutte contre le réchau- ces des énergies fossiles. Avec les éner-
ffement climatique et un facteur de ré- gies renouvelables, la donne a changé.
silience responsable de toutes produc- Elles sont, contrairement aux énergies
tions décentralisées et décarbonées. fossiles, disponibles sous une forme ou
autre dans la plupart des Etats, chose
Ce sont donc des énergies de l’avenir. qui ne peut qu’atténuer les précarités et
Cependant, force est pourtant de relever les inégalités énergétiques déjà existan-
que ces énergies sont encore sous-ex- tes.
ploitées par rapport à leur potentiel
puisqu’elles ne couvrent que 20% de la A cet égard, il semble judicieux de re-
consommation mondiale d’électricité . lever que l’utilisation de l’énergie com-
me moyen de pression afin d’infléchir
Il va sans dire que le déploiement ac- un rapport de force ne se pose pas non
céléré des énergies renouvelables re- plus compte tenu du fait que plusieurs
vêt une importance primordiale pour pays seront donc en mesure de produi-
atteindre les objectifs qui sont définis re, eux-mêmes, leur propre énergie. A ce
aussi bien dans l’Accord de Paris sur le titre, ces énergies durables contribuent,
changement climatique que dans ceux d’une façon ou d’autre, à réduire toute
adoptés dans le cadre du Programme vulnérabilité liée aux risques de rupture

8 <Les énergies renouvelables – MICRO SOLAR ENERGY (micro-solar-energy.com)>, (consulté le 13/02/2022).

9 IRENA, global Energy transformation : a roadmap to 2050, <Global energy transformation: A roadmap to 2050 (2019 edition) (irena.
org)>, (consulté le 14/02/2022).
53
d’approvisionnement dus à l’instabilité D’ici 2050, la politique énergétique dudit
politique ou aux conflits armés. pays prévoit que 44% de l’électricité pro-
vienne des énergies renouvelables, 38%
Là encore, les énergies renouvelables du gaz, 12% du charbon “propre” 11 et 6%
sont l’incarnation meilleure de l’adop- du nucléaire. Il en est de même que ce-
tion de moyens de production qui sont tte stratégie vise à réduire de 70% l‘em-
flexibles et capables de supporter les preinte carbone dans la production de
arrêts fréquents liés principalement à l‘électricité12.
des périodes de crises et les différentes
variations dans leur fonctionnement tels Plus encore, faut-il d’ailleurs relever que
que l’hydroélectrique ou le gaz. les énergies renouvelables sont ipso fac-
to “un facteur d’intégration voire même
Dans ce sens, la transition vers des éner- de désintégration” 13.
gies renouvelables apaise les tensions
liées aux ressources naturelles et appe- En effet, elles peuvent accroitre les rivali-
lle donc aussi bien les pays exportateu- tés entre les Etats-Unis, la Chine, l’Union
rs qu’importateurs d’énergies fossiles à européenne et d’autres acteurs en ce
réduire les dépendances pétrolières et qui concerne les technologies propres.
diversifier leur économie. L’exemple des En ce sens, ils disputeront le savoir-fai-
Emirates arabes unis est éclairant à ce re technique, l‘accès aux matériaux criti-
sujet. Ledit pays n’est pas resté à la tra- ques ainsi que les parts de marché mon-
ine de la restructuration aussi bien de diales.
son domaine économique via une rée- Pour finir, une telle transition énergéti-
lle diversification que de son secteur que se manifeste par une redéfinition
énergétique qui est quasi-totalement concrète des nouvelles priorités et une
dépendant du pétrole et du gaz naturel. mise en œuvre des politiques ambitieu-
Conçus comme étant un des principaux ses qui ne puissent que répondre par-
exportateurs du pétrole, les Emirates faitement à la nouvelle dynamique de
arabes unis ont élaboré des plans am- transition.
bitieux qui se manifestent par le fait de
s’investir dans des énergies renouvela- II- l’émergence d’une dynamique
bles notamment l’énergie solaire10. nouvelle de transition :

Face aux menaces liées non seulement


à l’épuisement des ressources énergéti-

10 <Regards-Emirats-arabes-unis-2019.pdf (larevuedelenergie.com)>, (consulté le 15/02/2022).


11 Le charbon est dit “propre” lorsque le dioxyde de carbone généré par la centrale à charbon est directement capturé puis stocké.
2 <Émirats Arabes Unis: 12% de Charbon Propre d’ici à 2050 - Energynews.pro>, (consulté le 16/02/2022).
13 GIBLIN (B), ”L’énergie : un facteur géopolitique plus ou moins efficace“, revue Hérodote, n° 155, 2014/4, p.

54
ques fossiles mais aussi à l’émission de polluantes ainsi que l’électrification du
quantités importantes du dioxyde de système énergétique15.
carbone responsable du réchauffement
climatique, la majorité des Etats ont ex- Or, il semble judicieux de mentionner
primé leurs inquiétudes et ont manifes- que cette nouvelle donne a fait apparai-
té leur volonté de mettre un terme à ces tre de nouvelles priorités dans le secteur
menaces qui nécessitent une interven- de l’énergie favorisant de la sorte l’éme-
tion d’une extrême urgence. Ceci a donc rgence d’une dynamique nouvelle vers
contribué à l’émergence d’un nouveau un futur énergétique plus sûr, pérenne
modèle de développement basé sur une et sans carbone. A la lumière de ce qui
transition énergétique permettant un précède, la transition appelle donc à un
développement économique et social changement de paradigmes et de prio-
durable, améliorant la sécurité énergéti- rités dans le secteur de l’énergie qui se
que, et préservant les droits des généra- manifestent aussi bien par une sorte
tions futures. d’amélioration de la sécurité énergéti-
que dans le monde (A) que par la créa-
C’est ainsi que la nouvelle donne éner- tion de nouvelles dépendances (B).
gétique est en train de recomposer les
scénarios énergétiques possibles qui se A- L’amélioration de la sécurité
traduisent par un véritable changement énergétique :
structurel en la matière
La sécurité énergétique est aujourd’hui
Et comme l’a noté à bon escient un au- au cœur des principales préoccupations
teur, “ les enjeux afférents s’additionnent étatiques, au centre de tous les intérêts
et se répondent pour former une géopo- et en tête de tous les agendas politiques.
litique de l’énergie bien plus complexe Ainsi, la notion de sécurité énergétique
que celle liée aux seuls hydrocarbures” 14. semble à première vue évidente alors
qu’elle recouvre de très diverses signifi-
Toujours dans la même veine, l’agence cations. Il peut donc s’avérer utile de se
internationale pour les énergies renou- pencher sur cette notion en tant qu’une
velables (IRENA) a envisagé l’émergen- notion polysémique ou de “fourre-tout”
ce d’un “nouveau monde” caractérisé qui est ouverte à l’interprétation et di-
par un important développement des vergeant d’un contexte à un autre.
énergies renouvelables, un déclin consi-
dérable de la contribution des énergies

14 ALLAL (S), ”les défis de la transition appellent à un changement de paradigmes et de priorités”, revue liaison énergie-francophonie,
n° 113, 2019/3, p. 11.

15 IRENA, <a_new_world_irena.pdf (connaissancedesenergies.org)>, (consulté le 18/02/2022).

55
En l’absence d’une définition consen- S’agissant du pétrole, il peut être ache-
suelle, une définition minimale de la miné par voie terrestre par des camions
notion de sécurité énergétique devrait citernes ou même via des oléoducs. Le
mettre en exergue la disponibilité con- gaz est bien évidemment transporté par
tinue et assurée d’énergies en quantités des gazoducs. Il est à noter que le pétro-
suffisantes et à des coûts stables ainsi le et le gaz peuvent être transporté par
que la garantie de l’approvisionnement voie maritime par l’intermédiaire des pé-
en énergie16. A ce titre, il convient de troliers ou des méthaniers pour le gaz.
mentionner que la sécurité énergétique Plus encore, ces éléments contribuent
“n’est pas une fin en soi mais un instru- à augmenter un peu plus la sécurisa-
ment mis au service [d’une ...] seule fina- tion énergétique des Etats. En réalité, il
lité : le maintien du pouvoir 17”. En d’autres convient de mentionner que le contrôle
termes, hormis le fait que les questions exercé sur les différentes voies terrestres
du bien-être économique sont soumi- et maritimes occupe une importance
ses à cet objectif, le maintien du pouvoir particulière dans les réflexions liées aux
étatique occupe donc une place centra- questions de sécurité d’approvisionne-
le au sein de la notion même de sécurité ment. Si les gisements partagés entre
énergétique. des producteurs voisins peuvent parfois
constituer un facteur supplémentaire
Etant un enjeu étatique primordial, il de- de tension ou d’aggravation des rela-
meure donc essentiel de s’intéresser à la tions interétatiques, les incidents passés
sécurisation énergétique comme prin- dans le Golfe persique illustrent à mer-
cipale préoccupation étatique. En effet, veille ces tensions.
aussi bien le pétrole que le gaz sont soit
consommés sur place par l’Etat pro- En effet, ces tensions se portent bien
ducteur, soit consommés à l’étranger et évidemment sur les routes d’approvi-
transporté donc par plusieurs moyens. sionnement du fait de la piraterie et des
Ces deux ressources énergétiques sont menaces terroristes potentielles. De ce
bien évidemment concernées par l’im- fait, les grandes puissances disposant de
portance primordiale des infrastructu- forces significatives, comme par exem-
res énergétiques dans le cadre de leur ple les États-Unis, le Japon, la Chine, le
acheminement. Royaume-Uni ou la France sont donc
amenées à assurer la sécurisation des
approvisionnements qui sont d’intérêt

16 SOUFARGI (M), op.cit., p. 96.

17 DEBROUWER (F), ”la notion de sécurité énergétique. Apports et les limites des travaux de l’Ecole de Copenhague”, disponible au lien :
<(Microsoft Word - La notion de s\351curit\351 \351nerg\351tique.doc) (absp.be)>, (consulté le 19/02/2022).

56
stratégique dans les régions maritimes gie est sans cesse en recomposition du
les plus sensibles. fait” 19 . Avec le développement des éner-
gies renouvelables et non convention-
Par ailleurs, ce qui caractérise la géopo- nelles, la notion de sécurité énergétique
litique du pétrole, c’est vraiment l’ab- a subi donc une importante métamor-
sence de toute relation directe d’une phose.
part entre les coûts d’extraction, de ra-
ffinage, de transport et de distribution In concreto, il s’agit d’introduire
et d’autre part les prix demandés aux
consommateurs 18. A vrai dire, ces prix un changement inédit ou presque qui
finaux dépendent largement aux fluc- repose sur l’émergence d’un nouveau
tuations des périodes calmes ou de concept de sécurité énergétique mon-
crises dans les zones d’exploitation du diale basé principalement sur la lutte
pétrole notamment au Moyen-Orient. Il contre le changement climatique et le
suffit qu’une crise éclate, peu importe le développement durable qui est deve-
fait qu‘elle est faible, moyenne ou forte, nue “un enjeu stratégique qui nécessi-
pour que les prix flambent. te la mise en place de nouveaux instru-
ments et fait apparaître d’autres acteurs
Au regard de ce qui précède, il va sans sur la scène internationale” 20 .
dire que la sécurité énergétique con-
tribue à fonder les politiques énergéti- Par ailleurs, s’engager en faveur du cli-
ques. Chaque Etat tente donc de recher- mat en intégrant à la fois une politique
cher sa propre réponse à ce défi majeur climatique et une politique énergétique
et ce, en fonction de ses atouts, ses rela- permet, d’une façon ou d’autre, d’aug-
tions internationales et ses intérêts. menter les moyens disponibles et de
rendre accessibles des solutions jugées
Cependant, il convient de mentionner adéquates et à la hauteur des enjeux
que le contexte énergétique a considé- géopolitiques. Ainsi, le concept de sécu-
rablement changé puisqu’il s’agit ipso rité énergétique mondiale renvoie dans
facto d’un fait incontournable de la géo- un sens ou dans un autre à la sécurité
politique mondiale. Et comme l’a noté à climatique et énergétique pour un déve-
juste titre un auteur, “l’univers de l’éner- loppement durable et inclusif. En réalité,

18 <Economie des énergies fossiles : entre conflits et coopérations, du local au mondial - 2 - LE CONFLIT>, (consulté le 20/02/2022).

19 PAILLARD (C-A), “le problème de l’énergie dans les relations internationales”, annuaire français de relations internationales, volume
XX, 2019, p. 1000.

20 ALLAL (S), ”climat, sécurité et inégalités”, revue liaison énergie-francophonie, n° 113, 2019/3, p. 7.

57
il semble opportun de relever qu’il existe spatiales engendrées par la transition
une forte corrélation entre les questions climatique et énergétique.
énergétiques d’une part et les différents Tant problématique qu’elle soit, la tran-
problèmes environnementaux et éner- sition vers des énergies renouvelables
gétiques d’autre part. Il est donc qua- laisse le terrain propice à l’émergence
siment impossible de faire dissocier les de nouvelles vulnérabilités liées princi-
uns des autres. palement à la disponibilité de quelques
Concernant l’union européenne par métaux critiques notamment des terres
exemple, particulièrement dépendante rares indispensables aux éoliennes, aux
pour son énergie, elle essaie de recon- différents dispositifs de stockage d’éner-
naitre et rechercher les avantages géo- gie ainsi qu’aux panneaux photovoltaï-
politiques des énergies renouvelables. ques.
Ces énergies ne sont pas seulement une
sorte de priorité politique mais plutôt Ceci prend beaucoup plus d’ampleur
une voie vers la sécurité énergétique, la quand l’accès à la technologie remplace
stabilité globale et la puissance indus- bien évidemment l’accès aux ressources
trielle. énergétiques combustibles. A vrai dire,
Au vu de ce qui précède, il est intéres- les pays qui ont réussi à disposer des
sant de constater que cette mutation brevets d’innovation font aujourd’hui
énergétique engendre ipso facto de des énergies renouvelables de vérita-
nouvelles dépendances énergétiques. bles substituts crédibles aux fossiles et
même au nucléaire.
B- La création de nouvelles dépen-
dances : Parmi les nouvelles formes de la géo-
politique des énergies renouvelables,
Dans un monde en transition, la géopo- celle des métaux se trouve au cœur de
litique des énergies renouvelables a fait la transition. Etant une composante es-
apparaitre de nouvelles dépendances sentielle de la transition énergétique, les
qui ne sont pas non plus identiques à ce- terres rares posent de nouvelles problé-
lles de la géopolitique pétrolière. A vrai matiques en termes de dépendance. En
dire, il convient de relever qu’aux rela- effet, ces métaux sont incontournables
tions traditionnelles entre les acteurs se non seulement dans la conversion de
substituent de nouvelles dépendances l’énergie solaire, l’éolien, le photovoltaï-
issues des différentes transformations que et l’induction électromagnétique
techniques, juridiques, économiques et mais aussi dans la transformation des

21 World Bank Group, The Growing Role of Minerals and Metals for a Low-Carbon Future, juin 2017, disponible au lien : <World Bank
Document>, (consulté le 21/02/2022).

58
énergies fossiles, le nucléaire, etc. Toujours dans le même ordre d’idées, et
suite à l’émergence de nouvelles dépen-
D’ici 2035, le rapport de la banque mon- dances, les Etats ne sont pas restés à la
diale publié en juin 2017 a révélé que le traine de cette transition. En effet, ils se
marché du palladium puisse être mul- trouvent en compétition pour mettre
tiplié par cinq, celui du scandium par en place de nouvelles stratégies qui in-
neuf et celui du cobalt (aimants, batte- cluent non seulement une redéfinition
ries) par vingt-quatre 21. Ceci dit, le sec- d’alliances mais aussi un transfert du
teur de cette économie dite ”verte” joue savoir-faire technique. A ce titre, les en-
un rôle déterminant dans le maintien du jeux géopolitiques sont donc dramati-
réchauffement planétaire par le dévelo- sés par une production resserrée autour
ppement des technologies notamment de quelques Etats producteurs tels que
l’éolien, le solaire et le stockage d‘éner- la Chine, le Congo, l’Amérique latine et
gie. l’Australie. Par exemple, le rôle de la chi-
ne en la matière retient énormément
Cependant, il ne faut pas perdre de vue l’attention. Perçue également comme
que la plupart des marchés de ces mé- étant un acteur dominant, elle se repré-
taux stratégiques sont, du moins, de pe- sente à la fois comme un producteur et
tite taille par rapport à ceux des métaux un consommateur des métaux critiques.
non ferreux (l’aluminium, le bronze, le Elle représente à son tour 88% de l’offre
cuivre, le nickel, …). Ainsi, l’usage crois- et 58% de la demande pour les terres ra-
sant des métaux stratégiques présen- res.
te un risque potentiel d’approvisionne-
ment. Plus encore, et pour comprendre les en-
jeux de la compétitivité autour des tech-
En d’autres termes, ces métaux stratégi- nologies, il faut de prime abord admettre
ques risquent à leur tour de devenir des qu’à la dépendance aux métaux straté-
métaux critiques en cas de déploiement giques doit se rajouter une composan-
massif des technologies. Là encore, la te technologique majeure notamment
transition énergétique a “fait naitre une celle des brevets. En effet, l’innovation
nouvelle géopolitique des métaux”22 intéressante dans des énergies renouve-
responsable de la création de nouve- lables ainsi que sa protection occupent
lles vulnérabilités et porteuse d’engage- une place centrale dans la géopolitique
ments futurs pour maitriser ces ressour- des énergies durables.
ces incontournables à nos technologies.
On assiste de plus en plus à une accélé-

23 PAILLARD (C-A), op.cit., p. 1006.

24 <renouvelables-derriere-les-chiffres-quelle-geopolitique-energetique-mondiale-quelle-place-pour-l-europe.pdf (connaissancedese-
nergies.org)>, (consulté le 24/02/2022).

59
ration de l’acquisition des droits de la bles et bien évidemment du mix éner-
propriété intellectuelle sur des nouvelles gétique que nous envisageons adopter
technologies dans le secteur des éner- dans les années à venir.
gies renouvelables, chose qui a favorisé
l’émergence de nouveaux acteurs sur .
ces marchés. Or, pour mieux cerner les
contours de la géopolitique des brevets,
l’exemple de la Chine est très éclairant
à ce sujet. En effet, elle se place en tête
des dépôts de brevets via l’organisation
mondiale de la propriété intellectue-
lle (OMPI). Selon un rapport publié par
OMPI, les brevets chinois de la propriété
intellectuelle ont continué à croitre mal-
gré la pandémie avec notamment près
de 55% des brevets pour le solaire ther-
mique et 25% pour les biocarburants 23.

Ceci dit, les pays qui détiennent l’ensem-


ble des droits de la propriété sur les tech-
nologies qui se rapportent aux énergies
renouvelables maintiennent leur leader-
ship dans ces secteurs. Mieux encore, ils
sont en mesure de vendre ces technolo-
gies au prix fort. Par conséquent, ils sont
amenés à bien gérer leur propriété in-
tellectuelle pour éviter les différents ris-
ques de conflits qui entrent dans le ca-
dre restreint de l’accès à la technologie
comme un véritable substitut à l’accès à
toute ressource énergétique fossile.

Pour finir, nonobstant le contexte géo-


politique incertain et variable, et non-
obstant les risques qui lui sont afférent,
il s’avère d’une extrême urgence d’adop-
ter une vision bien claire de nos futures
technologies, de nos investissements
dans le secteur des énergies renouvela-
60
BIBLIOGRAPHIE

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62
LES ESPACES MARITIMES ET AÉRIENS ENTRE LE MAROC ET L´ES-
PAGNE ET LEURS ENJEUX STRATÉGIQUES

Mohamed Badine El Yattioui

La Déclaration conjointe entre le Maroc Comme on le voit, entre l’Espagne et le


et l’Espagne souhaite réactiver le grou- Maroc, il existe de nombreuses variables
pe de travail sur la délimitation des espa- qui rendent très difficile à analyser et à
ces maritimes dans la façade atlantique. résoudre la question de l’espace mariti-
Une déclaration publiée suite aux entre- me. Ce groupe de travail est donc plus
tiens entre SM le Roi Mohammed VI et le que nécessaire. Le Maroc a une géogra-
chef du gouvernement, Pedro Sanchez. phie unique et a un besoin de règles juri-
L’objectif de ce groupe est «de réaliser diques internationales stables et protec-
des avancées concrètes». Ce groupe de trices. Les différents projets sur la façade
travail date de 2001. Sa première réunion atlantique comme la construction du
remonte à 2005. Rappelons qu´en 2020, port de Dakhla oblige le Royaume à se
le Maroc a publié les lois établissant sa doter d’instruments juridiques lui per-
souveraineté sur l’ensemble de son do- mettant de défendre ses intérêts.
maine maritime (Le Matin, 2022).
En 2007, le Maroc a ratifié la Convention
Le chevauchement des zones mariti- de Montego Bay sur le droit de la mer
mes doit être résolu conformément au (Abouddahab et al., 2018). Le príncipe
droit international. Le chevauchement d´effectivité permet au Maroc de definir
entre le plateau continental étendu des une ZEE (Zone Économique Exclusive)
îles Canaries et celui du Maroc fait que dans les eaux territoriales des Provinces
ce dernier comme tout signataire de du Sud. Largement usité par le droit in-
la Convention des Nations unies sur le ternational, il permettrait à l’Accord de
droit de la mer (CNUDM) peut effectuer pêche signé avec l’Union européenne
l’expansion du plateau continental au- d´y trouver un terrain d’application.
delà de 200 milles en suivant l´article 76
de ce texte international.

63
Le Maroc bénéficie, en vertu de la Con- L´espace aérien n´est pas en reste. Un
vention de Montego Bay, en tant qu’Etat renforcement du partenariat stratégi-
côtier, du droit d’exploration et d’exploi- que entre l’ONMT et Iberia dès cet été
tation des ressources non biologiques était déjà prévu et devrait se concrétiser.
(minérales et enrgétiques) du sol et du Il prévoit la promotion du Royaume dans
sous-sol des espaces maritimes sous sa tout le réseau de la compagnie espag-
juridiction. Et ce, dans la ZEE comme nole. Elle compte plus de 100 destina-
dans le plateau continental. tions européennes et sud-américaines.
L’objectif est d’obtenir une augmenta-
La question économique et les enjeux tion significative des liaisons vers Casa-
sécuritaires sont liés et sont un élément blanca, Marrakech et Tanger.
majeur pour la souveraineté marocaine.
Le Royaume considérant que son déve- Le Maroc était présent en Espagne pour
loppement économique est dépendant préparer une reprise du trafic aérien en-
de la sécurisation de ses côtes, notam- tre les deux pays. L’ONMT a participé à la
ment atlantiques. De plus, son “identi- 42ème édition du Salon international du
té statégique” (Sehimi, 2022) fait qu´il tourisme de Madrid (le FITUR en janvier
a besoin d´avoir le plein exercice de sa 2022). De plus, une nouvelle Task Force
souveraineté sur ses côtes atlantiques. a été implantée à Madrid, ce qui prouve
l’importance du marché espagnol dans
L´origine de ce différend entre les deux la stratégie touristique marocaine. Ce
pays daterait du décret royal espagnol pays est l’un des trois marchés princi-
de 1978, instituant une ZEE au large des paux du Maroc (avec la France et le Ro-
côtes canariennes tout en qualifiant yaume Uni). Il est un acteur clé en vue
les îles d’«archipel» (Abouddahab et al., d’accélérer la dynamique de reprise tou-
2018). Le droit international ne permet ristique et économique accompagnant
pas de désigner cet ensemble comme la réouverture du ciel national. La com-
un archipel, «un ensemble d’îles qui for- pagnie basée aux Canaries Binter avait
ment un tout géographique, économi- annoncé il y a deux ans le lancement
que et politique ou qui sont historique- d’une nouvelle liaison aérienne reliant
ment considérées comme tel». Le Maroc les aéroports des Canaries et la ville de
souhaite donc que la délimitation soit Guelmim. Cette nouvelle ligne aérienne
faite sur la base d´un accord mutuel est officialisée et s’inscrit dans le cadre
dans le cadre du respect de la Conven- du plan de Binter de renforcer ses liai-
tion des Nations Unies sur la mer. sons entre l’archipel canarien et les villes
marocaines (en plus des liaisons existan-
tes avec Laâyoune, Dakhla et Agadir).

64
La coopération économique entre les
deux voisins semble très prometteuse
dans cette phase de normalisation ren-
due possible par la décision espagnole
de soutien au plan d’autonomie maro-
cain concernant son Sahara. Les espa-
ces maritimes et aériens doivent devenir
des atouts et non des obstacles. Pour y
arriver, la transparence dans les négotia-
tions et le respect mutuel doivent être la
norme, comme stipulé dans la Déclara-
tion conjointe.

65
Références
Dr. MOHAMMED ZAKARIA ABOUDDAHAB Dr. MILOUD LOUKILI Dr. HELMUT REI-
FELD, LE DROIT DE LA MER : ENJEUX ET PERSPECTIVES POUR LE MAROC, 2018,
Konrad-Adenauer-Stiftung e.V, ISBN : 978-9920-35-200-0

Le Matin, “Délimitations des espaces maritimes de la façade atlantique : Voici


pourquoi l’enjeu est important pour le Maroc”, 12 avril 2022, https://lematin.ma/ex-
press/2022/delimitations-espaces-maritimes-facade-atlantique-voici-lenjeu-impor-
tant-maroc/374562.html

Sehimi Mustapha, “MAROC: UNE NOUVELLE IDENTITÉ STRATÉGIQUE”, 22 MARS


2022, HTTPS://FR.LE360.MA/BLOG/LA-CHRONIQUE-DE-MUSTAPHA-SEHIMI/MA-
ROC-UNE-NOUVELLE-IDENTITE-STRATEGIQUE-257026#:~:TEXT=LA%20STRAT%-
C3%A9GIE%20EST%20HOLISTIQUE%3A%20ELLE,DES%20CARACT%C3%A9RISTI-
QUES%20DE%20CETTE%20APPROCHE.

66
Auteurs

Est actuellement enseignant-cher-


cheur en sciences politiques à l’univer-
sité Cadi Ayyad (Faculté des sciences
juridiques, sociales et économiques).
Il est chercheur associé au Centre
des recherches en sciences sociales
de Rabat. Ayant participé à plusieurs
colloques et congrès nationaux et in-
ternationaux, ses recherches actuelles
portent sur les thématiques relatives
à l’analyse des mutations de l’action
publique dans le contexte marocain
et dans une perspective comparatiste
à l’échelle du Maghreb. Ses intérêts de
Mhammed recherches portent également sur les
Belarbi rapports du Maroc avec son voisina-
ge. Il a contribué tout récemment au
rapport stratégique du Maroc (2019-
2021).

Docteur en Droit Public international.

Titulaire d’un double cursus universi-


taire en sciences de l’éducation et en
droit. Il possède également un diplô-
me de l’I. H. E. D. N de Paris et un Mas-
ter 2 en défense et sécurité.

Chercheur en géopolitique et en po-


lémologie, sa zone de recherche et le
FARID continent Africain et la méditerranée.
ZAFRANE Il a reçu le prix de l’académie des scien-
ces de l’outre mer.
Auteurs

Yassine EL YATTIOUI, est titulaire d’un


Master en Relations Internationales spé-
cialisé en Intelligence Stratégique et Ris-
ques Internationaux de l’Université de
Lyon 3. Il est également titulaire d’un
Master en Sciences Politiques de l’Univer-
sité de Lyon 2.

Doctorant en Science Politique et Rela-


tions Internationales à l’Université de Sa-
lamanque (Espagne), ses travaux de re-
cherche portent essentiellement sur le
Maroc, l’Afrique de l’Ouest dans le domai-
YASSINE ne des relations internationales et de l’in-
telligence économique.
EL YATTIOUI

Ghofrane Hammami est actuellement


doctorante en droit public à la faculté des
sciences juridiques, politiques et sociales
de Tunis (Tunisie). Son projet de thèse de
doctorat porte sur les instances publiques
indépendantes en Tunisie.

Elle est également titulaire d’un Master de


recherche en droit public et financier. Ses
recherches sont principalement axées sur
les nouveaux modes de la régulation de
l’action publique ainsi que la prévention
de la torture et des peines ou traitements
GHOFRANE cruels, inhumains et dégradants en Tuni-
HAMMAMI sie
Auteurs

Enseignant-Chercheur au sein du Collège


de Sécurité et d´Etudes Globales de l´U-
niversité Américaine des Emirats (AUE)
de Dubai aux Emirats Arabes Unis. Doc-
teur en Science Politique de l´université
de Lyon, il préside NEJMAROC, CMRG. Ses
articles ont été publiés dans des revues
scientifiques traitant des relations inter-
nationales, des politiques publiques, de la
gouvernance et de la sécurité aux Etats-
Unis, au Mexique, en Colombie, au Maroc,
en Espagne et au Portugal. Il collabore
avec les médias suivants : Maghreb Ara-
Mohamed be Press, Tel Quel, Maroc Diplomatique
Badine El Yattioui (Maroc), CNN (Mexique), RT (Russie), Kom-
mersant (Russie).
Réseaux sociaux

El Yattioui Mohamed Badine


https://www.facebook.com/elyattiouimohamedbadine/

El Yattioui Mohamed Badine


https://twitter.com/MBElyattioui

NejMaroc Channel
https://www.youtube.com/watch?v=bNc25Bai-TU

Revue NejMaroc, numéro 1, Février 2018, intitulée


“Maroc et environnement: état des lieux et éléments
de comparaison”
https://en.calameo.com/books/005696097ac60552d2796

Revue NejMaroc, numéro 2, Septembre 2018


“Sport et sciences sociales: nouvelles approches”
https://en.calameo.com/books/005696097545f855107d4

Revue NejMaroc, numéro 3, Février 2019, intitulée


“Les Crises en Amérique latine”
https://es.calameo.com/books/005696097d5e79dd31974
Revue NejMaroc, numéro 4, Septembre 2019,
“Les pays du Maghreb face à des situations politiques diverses”
https://en.calameo.com/books/00569609794069912df50

Revue NejMaroc, numéro 5, Mai 2020,


“Globalisation : identités et conséquences”
https://en.calameo.com/books/0056960976f688394d83b

Revue NejMaroc, numéro 6, Novembre 2020, “Les gestions natio-


nales du COVID-19 dans le cadre de la globalisation”
https://en.calameo.com/books/0056960977aef10af43f7

Revue NejMaroc, numéro 7,


AOÛT 2021, “Le régionalisme dans les relations internationales”
https://en.calameo.com/books/005696097b7f8c134ebe6

(SITE EN FRANCAIS, ANGLAIS ET ESPAGNOL)

https://nejmaroc.wixsite.com/home?lang=fr

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