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Comprendre les organisations humanitaires.


Développer les capacités ou faire survivre les
organisations François Audet, préface de Pierre
Micheletti ....

Article  in  Canadian Journal of Political Science · March 2018


DOI: 10.1017/S0008423918000045

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Alain-Guy Sipowo
Université de Montréal
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204 Recensions / Reviews

Comprendre les organisations humanitaires. Développer les capacités ou faire


survivre les organisations
François Audet, préface de Pierre Micheletti
Presses de l’Université du Québec,
Québec, 2016, 218 pages
doi:10.1017/S0008423918000045

L’œuvre dont il est ici rendu compte ne pouvait tomber à un moment plus propice où la
multiplication des conflits armés et des catastrophes naturelles rendent crucial l’action
des organisations humanitaires dans le monde. Dans Comprendre les organisations
humanitaires: développer les capacités ou faire survivre les organisations?, François
Audet, qui fut lui-même un homme de terrain pendant une quinzaine d’années, aujourd’-
hui professeur à l’Université du Québec à Montréal, pose un dilemme difficile à trancher.
Le titre de l’œuvre est on ne peut plus explicite quant à la problématique qu’il traite. Les
organisations humanitaires peuvent-elles faire du développement ou doivent-elles se
limiter à l’urgence, et donc au court et à la limite au moyen terme? En posant ainsi le
problème, l’auteur remet au goût du jour le débat sur le renforcement des capacités des
organisations civiles locales.
La méthodologie de recherche employée, de par son efficacité et sa pertinence, est
digne d’être soulignée. L’auteur a mené des enquêtes de terrain auprès de neuf organi-
sations humanitaires canadiennes et québécoises, élaboré des questionnaires et
investigué de nombreux documents institutionnels et autres rapports de ces organisa-
tions. Le but poursuivi était de parvenir à mettre en évidence la place que les organisa-
tions humanitaires étudiées accordent au renforcement des capacités de leurs partenaires
locaux des pays en développement. C’est à travers la méthode de la théorisation ancrée,
approche essentielle à l’analyse qualitative, qu’il rend compte avec adresse, concision et
précision de ses résultats. François Audet en vient ainsi à conclure à la bureaucratisation
et à la professionnalisation excessive des organisations humanitaires, désormais pilotées
par un personnel de carrière et non plus uniquement par des activistes de causes sociales
et humanitaires comme jadis.
La théorisation ancrée permet à l’auteur d’approfondir un ensemble de sujets qui
sous-tendent les rapports entre les organisations humanitaires et les organisations civiles
locales. Les mots-clés partenariat, renforcement des capacités et survie institutionnelle
forment le champ lexical de la bureaucratie humanitaire que l’auteur dénonce comme
ayant contribué à trahir les aspirations premières de l’action humanitaire. Il apparaît
ainsi de ses investigations que le renforcement des capacités est devenu dans le
domaine humanitaire un produit marketing plutôt qu’un processus avec une application
effective. Bien des organisations en font leur vision, mais peu y consacrent paradoxale-
ment les moyens financiers, humains et matériels nécessaires. L’ouvrage de François
Audet apporte une explication éclairante à cette attitude ambivalente des organisations
humanitaires à l’égard du renforcement des capacités des organisations locales. Et le
moins que l’on puisse dire est que le renforcement des capacités est un pis-aller dans
la quête de justice globale qui est la finalité affirmée de l’action humanitaire.
Il résulte des recherches de l’auteur que le renforcement des capacités est un
prétexte plutôt qu’une politique susceptible de se traduire en actions concrètes. Il
permet d’une part de justifier les demandes de financement auprès des bailleurs de
fonds, parmi lesquels les gouvernements occidentaux et leurs agences de
développement international. D’autre part, quand bien même elles adhèrent au renforce-
ment des capacités, les organisations humanitaires ne s’y engagent que parce que leur
réputation en tire profit et que, en tout état de cause, les organisations locales
renforcées ne leur feront pas concurrence. Dans tous les cas, leur survie détermine

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Recensions / Reviews 205

leur engagement pour le renforcement des capacités. Cela découle autant des facteurs
exogènes que des facteurs endogènes qui limitent l’effectivité du renforcement des
capacités. Comme le souligne assez pertinemment l’auteur, l’activité de renforcement
des capacités est elle-même souvent contrainte par la bureaucratie humanitaire, de
plus en plus sclérosée du fait d’une professionnalisation croissante, et de par la nature
même des problèmes auxquels doivent répondre les organisations. La nécessité de
réagir dans l’urgence, en temps utile et à court terme dans des conflits violents ou des
crises de grande ampleur donne préséance à l’efficacité et aux résultats plutôt qu’aux
processus et à la vision stratégique.
L’ouvrage répond de manière satisfaisante à la problématique qu’il pose. Il est écrit
de manière accessible et saura intéresser autant le public de spécialistes de science politi-
que, de relations internationales et de droit international que le public en général. Il sera
d’un intérêt particulier pour toute personne qui s’intéresse à l’action humanitaire et au
rôle des organisations œuvrant dans ce domaine dans la politique internationale. Il
permet de décrypter les logiques qui sous-tendent le financement de telles organisations
et de comprendre le processus de leurs interventions à travers le monde.
Le reproche, somme toute mineur, qu’on pourrait faire à l’auteur serait de n’avoir
pas assez investigué ou du moins approfondi l’analyse de la dimension politique de son
sujet au regard de l’approche du renforcement des capacités au sens de capabilités de
Amartiya Sen. La logique développementaliste du renforcement des capacités devrait
induire plus qu’un processus de partage et de transfert de compétences ou de savoir-
faire. Il implique une dynamique de pouvoir dans la mesure où le renforcement des
capacités devrait, à terme, conduire à une désoccidentalisation de l’action humanitaire.
Or, en ce domaine, comme en matière économique, financière ou politique, une domi-
nance des organisations humanitaires occidentales dirigées pour l’essentiel par des
hommes et femmes blancs à capitaux occidentaux nécessite que soit posé le débat de
la décolonisation humanitaire.
ALAIN-GUY SIPOWO Chargé de cours à l’Université
McGill et à l’Université Laval

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