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Un auteur dramatique n'a pas une vie facile. C'est moins doré qu'on ne l'imagine. On travaille dur
pour écrire des pièces... et personne ne les monte ! On écrit plein de trucs pour vivre, on devient
acteur, mais personne ne vous engage ! Alors, je passe mes journées à courir.
Ce matin-là, j'avais dû me lever à 10 h pour un coup de fil important, acheter des enveloppes, faire
photocopier ma pièce et des dizaines d'autres courses... À 17 h, j'étais enfin au bureau de poste où
j'ai enfin expédié ma pièce. J'appelais constamment mon agent pour voir s'il m'avait trouvé un rôle.
Ce matin, au courrier, il n'y avait que des factures ! Que pouvais-je faire ? Comment les payer ?
Après tout, je fais ce que je peux ! J'ai passé toute ma vie dans cette ville. J'ai grandi dans l'Upper
East Side, Et à dix ans, j'étais un gosse de riche, un aristocrate... je me déplaçais en taxi... Cerné
par le confort, je ne pensais qu'à l'art et à la musique... Aujourd'hui, j'ai 36 ans, et je ne pense qu'à
l'argent ! Il était 7 h et je n'aurais rien aimé mieux que rentrer chez moi... et Debby, ma compagne,
m'aurait fait un bon petit dîner. Mais depuis quelques années, à cause de nos ennuis financiers,
Debby avait dû travailler, le soir, comme serveuse. Quelqu'un devait rapporter un peu d'argent !
J'étais célibataire, ce soir-là... L'ennui, c'est qu'à cause d'une série de circonstances, j'avais accepté
un dîner avec un type que j'évite depuis des années ! Il s'appelle André Grégory.
Autrefois, il a été un ami très proche, et mon meilleur allié dans le théâtre. En fait, c'est lui qui m'a
découvert et monté ma première pièce sur scène. À l'époque, il était un metteur en scène de renom.
Son travail, à la tête du Manhattan Project, avait été acclamé dans le monde entier. Et puis,
quelque chose s'est passé et André abandonna le théâtre et disparut ! On savait seulement qu'il
voyageait dans des endroits comme le Tibet. C'était étrange parce qu'il adorait sa femme et ses
gosses et ne les avait encore jamais quittés. On l'apercevait à
des soirées où il expliquait qu'il parlait avec des arbres !
Visiblement, quelque chose n'allait pas avec André ! Ce dîner me faisait froid dans le dos. À vrai
dire, ça me terrifiait. Moi aussi, j'avais mes problèmes ! Je veux dire, je ne pouvais rien pour lui !
Je ne suis pas médecin !
- Bonsoir.
- Bonsoir !
Merci.
Monsieur ?
Bonsoir, Monsieur.
Au téléphone, André avait proposé ce restaurant. Ça m'avait surpris car il était naguère très
ascétique. Cela dit, il avait largement de quoi nourrir sa famille tout en se baladant en Asie !
Une semaine avant, un ami à moi, George Grassfield, m'avait supplié de voir André. Un soir, en
promenant son chien dans un quartier perdu, George avait vu André en train de sangloter contre un
mur. D'après George, André venait de voir "Sonate d'Automne" d'Ingmar Bergman à 25 blocs de là,
et avait été saisi d'une crise de larmes irrépressible en entendant le personnage d'Ingrid Bergman
dire : "J'existe dans la musique, mais pas dans ma vie."
Wally !
Quand je travaillais avec lui, j'étais sidéré de toujours voir les acteurs s'embrasser. Je me disais :
"C'est ça le théâtre !"
Eh bien !
- Je prendrais un Spritzer.
- Oui, Monsieur.
Je me disais que... la seule façon de supporter ce dîner était d'interroger André. Poser des
questions, ça me relaxe. En fait, je me dis souvent que j'aurais dû faire des enquêtes, être détective.
J'aime fouiner dans la vie des gens. Même au dernier stade du désespoir, ils me fascinent.
Quoi ?
Oh ! Comme un clou !
Tu as vu ça ?
Avez-vous choisi ?
Heu... oui !
L'araniakalafski... comment est-ce préparé ?
Il y a des arêtes ?
- Merci.
- Merci à vous.
Bien !
Et puis...
C'était il y a environ... cinq ans de cela. Grotowski et moi remontions la 5ème Avenue... on
discutait... et il m'a invité à venir enseigner en Pologne pour diriger un atelier de comédiens et de
metteurs en scène. J'avais refusé car, vraiment : je n'avais rien à enseigner ! Je n'avais rien à dire, je
ne savais plus rien ! Je ne pouvais pas enseigner ! Ces exercices ne me parlaient plus, travailler des
scènes me semblait ridicule... Je ne savais pas quoi faire, et simplement, je ne le pouvais pas !
Alors, il m'a dit : "Que demanderais-tu pour diriger un atelier... "même si c'est de la folie ? Je
pourrais peut-être te le donner !"
Alors j'ai dit : "Si tu me trouves... "ne parlant ni anglais ni français, "soit d'anciennes actrices déçues
voulant quitter le théâtre, "sans savoir pourquoi... "soit des débutantes qui adorent
le théâtre, mais qui se cherchent encore... "si elles jouent de la trompette ou de la harpe, et que je
peux travailler en forêt, je viens !
il m'appelle de Pologne : "Bon ! 40 juives, c'est dur à trouver, Mais il dit : "Mais j'ai 40 femmes qui
ressemblent à la description...
Et il ajoute : "J'ai aussi des hommes intéressants, mais je ne te force pas. Ils ont en commun de tous
remettre le théâtre en question, pas tous trompettistes ou harpistes mais savent jouer d'un
instrument... Et aucun ne parle anglais !" Et il m'avait trouvé une forêt ! Et les seuls habitants de
cette forêt étaient des sangliers et un ermite ! Je ne pouvais plus refuser ! J'étais piégé ! En Pologne,
j'ai trouvé un groupe épatant et une forêt qui était absolument magique... Une forêt immense, avec
des arbres tellement énormes : qu'il fallait 4 ou 5 types, tendant leurs bras pour en entourer le tronc !
On campait auprès des ruines d'un petit manoir, on mangeait sur une grande dalle de pierre qui
faisait office de table... On commençait à travailler au coucher du soleil et en général, on finissait
vers ?????? et comme les Polonais adorent chanter et danser, on chantait et on dansait jusqu'à 10 ou
11 heures, puis on déjeunait ! Généralement : pain, confiture, fromage et thé... Et puis on dormait,
de midi jusqu'au coucher du soleil ! Techniquement, bien sûr, techniquement, c'était très
intéressant ! Si tu es avec 40 personnes dans une forêt, qui ne parlent pas ta langue, tu vas à
l'aventure !
Comment ça ?
Tout ce que l'on faisait : c'est s'asseoir... et attendre que quelqu'un ait envie de faire quelque chose.
Dans un sens, un peu comme une improvisation théâtrale... Si tu mets en scène une pièce de
Tchekhov, tu fais travailler les rôles de la mère, du fils ou de l'oncle... Tous les acteurs sont assis là,
comme dans la pièce et tu leur dis : "Imaginez-vous un dimanche pluvieux, chez Sorine... vous êtes
bloqués dans ce salon." Alors, ils improvisent en faisant ce que leurs personnages feraient dans ces
circonstances ! Sauf que pour ce type d'improvisation, celui qu'on faisait en Pologne, le thème, c'est
soi-même ! Comme dans une impro, tu devais exprimer ce que ton personnage ressentait, à cela
près que ce personnage, c'était toi ! Pas moyen de t'abriter derrière une situation ou un personnage
imaginaires ! Ce qu'il faut faire, c'est se poser les mêmes questions que Stanislavski exigeait que ses
acteurs se posent sur les personnages : "Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? D'où est-ce que je
viens ? Où vais-je ?" Mais au lieu de l'appliquer à un rôle, on l'appliquait à soi-même ! Vu
différemment, c'était comme un retour à l'enfance, quand un groupe de gamins se retrouve, sans
jouets, et commencent à jouer ! Des adultes réapprenaient à jouer de nouveau !
Donc vous... vous vous installiez quelque part et... vous jouiez ? Que faisiez-vous ?
J'ai un bon exemple. Voilà : on a travaillé en ville, une semaine, avant d'aller dans cette forêt... Bien
sûr, Grotowski était en ville, aussi. On m'a dit qu'il organisait chaque nuit des "essaims d'abeilles".
J'adorais cette idée des "essaims" ! Juste avant notre départ pour ma campagne, je l'attrape par le col
: "J'aimerais participer à un essaim d'abeilles, je sens que ça me passionnerait." Il dit :
"Certainement ! Pourquoi ne dirigerais-tu pas un "essaim" plutôt que de seulement y participer ? Ça
m'inquiète et je dis : "C'est quoi, un essaim ?" Il dit : "Un "essaim", c'est... à 8 h, "Et alors ?" "Alors,
nous avons un essaim !" "Oui ! mais que dois-je faire ?" Il dit : "Ça dépend de toi !" "Non, je ne
veux pas faire ça !" "Je veux juste participer." "Non ! Tu dirigeras l'essaim !"
Eh bien...
J'étais terrifié, Wally ! J'avais l'impression d'être sur scène. Mais je me suis exécuté.
Raconte-moi ça !
On avait un chant... je te ferai écouter la bande... et c'était incroyablement beau ! Il y avait cette fille
qui connaissait ce poème de St François d'Assise, un chant où tu remercies Dieu pour tes yeux, tu
remercies Dieu pour ton cœur, pour tes amis... tu remercies Dieu pour ta vie... et tu le répètes encore
et encore... comme un thème... Il faudra que tu l'écoutes, un jour, car c'est dur de croire qu'un
groupe de chanteurs amateurs peut créer quelque chose d'une telle beauté ! Alors, j'ai décidé que
lorsque des gens rejoindraient l'essaim, notre groupe les accueillerait avec ce magnifique chant en le
chantant encore et encore. Une des membres a décider d'apporter un de ces très grands ours en
peluche, comme pour se rassurer, sans doute. Et un type a apporté un drap... un autre a apporté
une bassine d'eau fraîche, si quelqu'un avait chaud ou soif... Quelqu'un a suggéré d'allumer des
bougies pour éviter la lumière artificielle. Je revois les gens se préparer, Bien sûr, sans maquillage
ni costumes, mais comme pour une vraie représentation... Les gens ôtaient leurs montres et leurs
bijoux et les rangeaient pour les mettre à l'abri. Et puis lentement, ils sont arrivés comme s'ils
venaient au théâtre, un par un, deux par deux, en groupes... On était juste assis et on chantait ce
magnifique chant et les gens ont commencé à l'apprendre. Et bien sûr, comme dans tous les
spectacles d'improvisations, on sent quand le public s'ennuie... Donc, au bout d'un moment, peut-
être au bout d'une heure et demie, soudain, j'ai pris l'ours en peluche et je l'ai balancé en l'air, sur
quoi, les 130 ou 140 personnes ont littéralement explosé ! On aurait dit une toile de Jackson Pollock
! Tu comprends ? Les gens gens ont explosé hors du cercle des chanteurs pour former deux autres
cercles, et chacun dans le sens contraire de l'autre en rythme, en ne bougeant que le bas du corps, à
la manière des Indiens d'Amérique sur un rythme hypnotique ! Tu vois ?
... et là, on parle de transe collective, la frontière entre cela et les meetings de Hitler à Nuremberg,
c'est très ténu ! En tout cas, au bout d'une heure de ce sauvage ballet hypnotique, Grotowski et moi,
on s'est retrouvé assis face à face au milieu de ça et on se lançait l'ours ! Et soudain... je sais, c'est
assez enfantin, je me suis mis à donner le sein à l'ours, je l'ai balancé à Emil qui l'a allaité aussi...
puis on a lancé l'ours au ciel. Il y a eu une explosion de formes... C'était comme... ça ressemblait à...
quelque chose comme... un kaleidoscope... un kaléidoscope humain ! Tout changeait sans arrêt...
comme un kaléidoscope ! La chose dont je me souviens, c'est que j'essayais de maîtriser les choses,
tout ce qui impliquait le mouvement, le rythme, la répétition ou la musique, car deux personnes
dans mon groupe avaient des instruments, une flûte et des percussions de musique sacrée. Parfois,
tout se disloquait soudain et six ou sept événements se mêlaient... six ou sept improvisations
différentes semblaient... en un sens... se relier entre elles ! Un peu comme... une magnifique toile
d'araignée ! À un moment... J'ai aperçu Grotowski au milieu d'un groupe qui s'était planté devant
une forêt de bougies... comme un gosse fasciné par le feu ! Je l'ai regardé passer la main au-dessus
de la flamme. je me suis approché du groupe, et j'ai voulu m'y essayer aussi. J'ai approché la main
gauche du feu et je pouvais m'approcher autant que je voulais, ça ne me brûlait pas ! Aucune
douleur ! Mais quand j'ai essayé la main droite, je n'ai pas pu tenir une seconde ! Grotowski a dit :
"Si ça brûle, essaie de changer quelque chose en toi !" Ça n'a pas marché ! Et puis... Je revois une
procession magnifique, qui suivait un drap... On transportait un homme sous ce drap, vois-tu ? ce
drap était comme un dais biblique... Le cortège allait et venait en chantant. À un moment, des gens
se sont mis à danser... J'ai dansé avec une fille... Et soudain, nos mains se sont mises à vibrer ! Elles
se frôlaient et vibraient, vibraient ! On est tombés à genoux, je sanglotais dans ses bras, elle m'a
bercé, et puis elle s'est mise à pleurer aussi... On est restés un moment enlacés... puis on a rejoint les
autres. Et à un certain moment... plusieurs heures après, on a repris le chant de Saint-François.
C'était la fin de l'essaim ! Et à nouveau, c'était comme au théâtre après une représentation. Les gens
ont remis leurs montres et leurs bijoux, on est allés au buffet de la gare, boire des bières et faire un
gueuleton ! Et une fille, qui n'était pas de notre groupe, mais qui ne voulait pas nous quitter, alors on
l'a emmenée !
Et le dernier jour que nous avons passé dans la forêt, le groupe m'a fait une surprise merveilleuse.
Ils ont organisé un baptême ! Pour moi ! Ils ont entièrement fleuri le manoir, et puis... un miracle de
lumière ! Ils avaient installé des centaines de bougies et de torches... Mieux qu'aucune cathédrale au
monde ! Une cérémonie très simple... une fille était ma marraine, un garçon était mon parrain... et
on m'a rebaptisé ! On m'a appelé Yendrush. Certaines personnes ont pris ça très au sérieux, et
d'autres à la blague. Mais je me sentais vraiment... un autre homme. Et puis, on a fait un énorme
festin, avec des myrtilles cueillies dans les champs, du chocolat, de la soupe de framboise, du civet
de lapin, on a chanté des chants polonais et grecs et on a dansé le reste de la nuit ! J'ai une photo.
Voilà, c'est... Voilà, c'est moi dans la forêt !
Bon Dieu !
Je me rappelle que George m'a dit qu'il t'avait vu à l'époque, il disait que tu semblais revenir de
guerre !
Mais... Ce que j'ai vraiment expérimenté... a été... pour la première fois de ma vie... de comprendre
ce que c'était d'être vivant... Et c'est... terrifiant car ça te donne une conscience immédiate de la
mort. Car l'un ne va pas sans l'autre. C'est ce qui a inspiré Walt Whitman pour Leaves of Grass, ce
sentiment d'être connecté avec toute chose, et donc connecté avec la mort ! Et, ça ! Ça fait très
peur ! Mais... je sentais que je flottais au lieu de marcher ! Je faisais des trucs comme regarder le
feu passer du vert au rouge et je me disais : "C'est sublime !" Et puis, un jour... au début de
l'automne, en me promenant à la campagne, j'ai entendu une voix lire : "Le Petit Prince"... Je
considérais "Le Petit Prince" comme un enfantillage, mais j'y pense : Si une "voix" me parle en
pleine nature, la première "voix" que j'entends, mieux vaudrait lire ce livre ! Eh bien... Ce jour-là,
j'avais reçu une lettre d'une Polonaise de mon groupe, et dans sa lettre, elle écrivait : "Tu m'as
dominée !" Elle parlait mal l'anglais, alors elle avait vérifié, rayé "dominée" et écrit : "Non, Le mot
est apprivoisée !" En rentrant en ville, j'ai acheté le livre et commencé à le lire et le mot
"apprivoiser" est le mot-clé de tout le bouquin. En le refermant, j'étais en larmes... à cause de
l'histoire. Et j'ai voulu répondre à la lettre-fleuve de cette fille, mais je ne trouvais pas mes mots.
Alors, j'ai posé ma main sur la feuille, j'en ai tracé le contour et écrit au milieu un truc comme :
"Ton cœur est dans ma main !" Et je suis allé chez mon frère pour nager, car il vit à la campagne et
il a une piscine. Il n'était pas là. Dans son bureau, j'ai vu la collection du "Minotaure",
Tu sais ! Je me considère un peu surréaliste, Mais je n'avais jamais vu "Le Minotaure" ! Tout était
là, année par année. Donc, au hasard... j'en prends un, je l'ouvre, et là ! Je vois une grande
reproduction de la lettrine "A" de Alice au Pays des Merveilles. Je me dis : "Quelle coïncidence...
"mais rien d'étonnant, les surréalistes aimaient "Alice" et j'ai monté "Alice". Au hasard, j'ouvre une
autre page... Et là ! Celles d'André Breton, une autre d'André Derain, la troisième d'André... je l'ai
notée... ce n'est pas Malraux... un autre... un autre surréaliste... Tous des A... Et la 4ème... était celle
d'Antoine de St Exupéry qui a écrit "Le Petit Prince" ! Un expert avait étudié ces empreintes sans
savoir à qui elles correspondaient. Sous Saint Ex, il avait écrit : "C'est un artiste "doué d'une vue
perçante "et qui saurait apprivoiser "les animaux sauvages." Incroyable, non ? J'ai regardé la
couverture, pour voir l'édition et j'ai vu cette date, le 11 mai 1934... et moi, je suis né le 11 mai 1934
! Donc ! C'est comme ça que j'ai embrayé sur Saint Ex et "Le Petit Prince". Maintenant,
évidemment, aujourd'hui, Il y a des relents fascistes dans "Le Petit Prince". Je pense qu'il y a une
sorte de... une sorte de sentimentalisme totalitaire SS... Il y a quelque chose dans... cet amour... ...
cet amour viril des muscles bien huilés ! Tu vois ? Je ne peux pas m'empêcher... J'imagine un bel
officier SS, amoureux du "Petit Prince" ! Je ne sais pas pourquoi, mais ce livre me chiffonne... ça
pue...
Eh bien... Le truc, Wally... Cet automne, à New York, j'ai rencontré ce japonais, un jeune moine
bouddhiste : Kozan. On aurait dit le Puck du "Songe d'une Nuit d'Été" ! Avec son sourire délicat...
où le Petit Prince lui-même ! Naturellement, j'ai décidé d'aller au Sahara pour travailler "Le Petit
Prince", avec 2 acteurs et ce moine japonais.
T'as fait ça ?
J'étais encore dans un état très étrange, à ce moment-là, Wally. Je regardais dans le rétroviseur... et
je voyais des oiseaux sortir de ma bouche ! Je me rappelle, que j'étais constamment épuisé... Je me
sentais très faible sans comprendre ce qui n'allait pas chez moi. Je restais des jours entiers prostré à
la campagne, à écrire dans mon journal... Je ne pensais qu'à la mort.
Oh oui ! On a traversé
le désert à dos de chameau,
surtout à Chiquita.
et je tentais de repérer
sa présence dans les dunes.
Vois-tu ?
et je voyais
des images de Chiquita.
Un jour, j'ai eu
une vision d'elle, vieillie,
Bref,
et il faisait glacial...
C'était comme
Et ensuite ?
Eh bien...
À cette époque,
Et il a pris la famille
sous son aile.
un vrai père...
Il a appris à la famille
comment méditer,
À force de s'entraîner,
elle s'allongeait et
il lui piétinait le dos
Et les enfants
le trouvaient incroyable !
Il était acrobate...
ventriloque...
magicien...
Tout !
Le plus étonnant,
Il a commencé à changer
complètement.
ne ne nourrissait que
d'un peu de lait chaud avec du riz,
et là, il mangeait
des bœufs entiers !
C'était vraiment...
très étrange !
On a essayé
de travailler ensemble,
à me prosterner douloureusement
comme dans les monastères !
Non, vraiment,
on n'a pas fait grand chose !
Bref...
À Noël, on va à la campagne
où le prêtre vitupère
le communisme et l'avortement !
Et soudainement,
à moitié taureau
et à moitié homme...
et des coquelicots
entre les orteils !
Il est resté
pendant toute la messe !
Bon...
Mais je sentais
Quelque part,
"Bon,
"tu as le cafard...
"tu es incapable
de créer une pièce...
À propos...
Tu as vu cette pièce ?
Non.
Ça raconte, heu...
Bref...
Ca, c'était...
C'était Noël !
Et ensuite ?
Tu veux savoir ?
- Oui !
- Eh bien...
À cette époque,
Par exemple,
je développais cette...
Si je travaillais à la campagne,
il me servirait de tapis de prière...
et les emmagasinerait
pour plus tard.
Je suis allé voir un artisan,
très gentil...
je reviens...
il me montre un fanion
que je trouve très étrange.
et ce fanion irradiait
une violence presque terrifiante.
pour la nuit
et qu'ils dorment avec.
et qu'au matin,
ils y cousent quelque chose.
Elle dit :
"Je ne l'aime pas du tout !"
Et alors...
Je l'apporte, je le déploie...
Et évidemment,
la fête s'est arrêtée !
À 5 h du matin,
elle téléphone :
"Il faut que je te voie !"
Je me dis : Oh mon Dieu !
"brûle-le et enterre-le,
il y a le Diable dedans !"
C'est... vraiment...
vraiment stupéfiant.
Oh oui...
Et puis, j'ai...
et concluent un accord !
et les insectes
ne touchent pas au reste !
et j'ai vraiment vu
Je me revois encore
m'enfuyant à
travers bois, hurlant de rire...
En repartant de Findhorn,
j'avais sans cesse des hallucinations !
Alors immédiatement,
j'ai filé à Belgrade,
et on a discuté
Ensuite,
je pense vraiment
de All-Souls-Eve,
Halloween
On a attendu longtemps.
Il faisait glacial.
C'était effrayant...
pas drôle du tout.
On nous a demandé de
nous asseoir à cette table
au fond du parc...
une petite cabane avec des outils.
de camps de la mort,
de police secrète !
faite de draps
et des draps sur le sol.
Et puis...
six tombes...
profondes de près de 3 mètres.
Et j'ai senti
ces planches
dont on m'a recouvert...
Et puis...
au-dessus de ma tête,
J'avais vraiment...
la sensation
d'être enterré vivant.
et on a tous dansé
jusqu'à l'aube.
Ensuite, à l'aube...
Et l'hiver dernier,
sans trop y réfléchir,
Naturellement, il a été
un peu surpris en voyant que
Mon Dieu !
Tu sais ?
- Quoi ?
- Ben...
l'architecte de Hitler,
Albert Speer ?
Comment ça ?
Je veux dire...
je pense vraiment
Vraiment horrible !
Mon Dieu...
mais pourquoi donc ?
Tu vois ?
Et si j'en ai appris
quelque chose,
Et donc, je me sens
au bout du rouleau.
Et là,
je le trouvais pompeux,
agressif, bourgeois...
ce que sa mère
avait fait de lui.
J'en ai pleuré...
j'avais perdu
un ami...
et il y avait ce type
qui avait gagné un concours sportif.
Il n'écoutait pas
le journaliste
mais ricanait
pour ses amis...
Je me suis dit :
Quel horrible
Et je me suis dit :
"Ce salaud, c'est moi !"
Et hier, pour notre
on a vu le show
pour Billie Holliday.
ces pseudos-intellectuels !
je me suis dit :
Je ne vaudrai jamais
Billie Holliday !
Je suis un raté...
j'ai juste gâché ma vie !
Tu vois...
Je suis peut-être
en plein désarroi, Wally...
sans savoir
ce que j'avais traversé !
- Ça me semble étrange.
- Oui !
des détails
que l'on veut bien voir.
la mort de ma mère.
Je réconfortais
mon père dans le couloir
quand un docteur
"C'est merveilleux !
Son bras est presque guéri !"
nous laissant
désemparés et effrayés.
et le "spécialiste" annonce
qu'elle est en pleine forme !
On est en transes...
On perd la conscience,
on ne réagit plus aux choses...
On ne que tourner
comme des machines sans âme...
et l'angoisse s'accumulent
de plus en plus en nous...
Oui, ça s'accumule
et puis...
ça explose à contretemps !
Quand on a monté
"Eh bien...
"Avec ce masque,
tu n'entendras plus rien !
d'un revenez-y
d'une expérience passée !
que bizarrement,
et indirectement !
Si on parle directement,
les gens deviennent fous !
Non...
Et au mieux,
dans une telle situation,
même si j'avais su
ce que ressentais...
Et...
Je ne cherchais pas
à leur infliger le récit
j'ai braillé
qu'on l'avait retrouvé noyé
et d'autres insanités !
et qu'ils passent
toute leur soirée à rigoler !
ce serait
un comportement inimaginable !
Mais pour nous, c'est normal !
c'est un comportement
absolument aberrant !
Parfait !
- de code secret !
- Exact !
et on se tord de rire !
Tu vois...
que sa grand-mère
n'en avait parcouru
Tu vois ?
Il est possible, Wally,
les pères,
les célibataires, les artistes,
essaient de ressembler
à l'image convenue
Je veux dire...
notre "carrière",
rend automatiquement
et on branche
le pilote automatique !
Rappelle-toi ce scandale,
Ce genre de choses
est devenu rarissime !
Si on ne fonctionne plus
que par habitude.
Il se vantait fièrement
du fait qu'il n'avait
aucun fantasme,
aucun rêve...
absolument rien !
il a vu un faune.
Pas un cerf...
Voilà !
c'était l'engourdissement
né de la routine.
d'exercices simples
qu'il avait inventés
Au Centre du Bouddha
de la Méditation,
pour déjeuner !
Mais tu as conscience
du goût des aliments.
Peut-être...
vit-on dans
cet univers imaginaire
Je pensais à un truc...
À Noël dernier,
on nous a offert
une couverture électrique.
Mais...
ça change tout
d'avoir cette couverture.
Bien sûr !
Je veux dire...
Je me méfie de la technologie !
je pense surtout
que ce genre de confort
ne te débranche
de la réalité.
si tu as froid,
tu rajoutes une couverture
ou tu sors des manteaux du placard,
et tu les rajoutes dessus
tu as pitié de ta compagne...
"A-t-elle froid ?
"J'adore le froid !
Je n'avais jamais remarqué !
où les saisons,
l'hiver... le froid...
ne nous font plus rien !
Ça signifie quoi ?
Ça veut dire
Notre vie
est assez difficile comme ça,
Au contraire, je veux
encore plus de confort !...
J'essaie de me protéger
Tu aimes le confort,
et j'aime le confort aussi,
Je crois vraiment
On vit douillettement
avec des couvertures et du poulet
Tu as lu "Le Hassidisme"
de Martin Buber ?
- Non.
- Il a une autre vision...
et...
Et notre façon
de traiter les gens !
En l'appelant Jimmy,
À l'époque où j'étais
prof de latin,
de professionnels,
d'intellectuels ou d'écrivains,
on me traitait...
ma capacité de participer
d'égal à égal à la conversation.
et ils s'éloignaient !
Je vivais littéralement
comme un chien !
moi-même, je m'estime,
comme quelqu'un...
Au moins,
dans mon monde qui consiste
dans le petit cercle de gens
qui sont mes amis
le théâtre et autre...
J'efface délibérément
une bonne partie du monde.
Mais, franchement...
Tu vois ?
Quand j'écris une pièce,
On sait tous,
Il y a quelques années,
les amateurs de théâtre disaient :
vraiment importante !
totalement absurde...
Wally !
Oui, c'est ça
la mission du théâtre !
on rabat un arbre,
on l'y attache,
et puis on le projette en l'air,
Je voulais qu'Aguavé
exhibe une vraie tête
Mais l'actrice
qui jouait Agavé a refusé !
la quintessence de la vie !
mais où le divertissement
ne prend pas le pas sur le fond...
Tu vois...
Comment ça ?
Sa conscience
va-t-elle s'éveiller ?
Je ne le crois pas.
Tu comprends ?
Ils savent déjà que leur vie
Et la pièce
Il contenait tous
les ingrédients du théâtre.
et exécuté avec
un goût exquis et magique.
un début, un milieu
et une fin...
un incroyable et magnifique
moment de théâtre !
Parce que...
Si tu dis vraiment
qu'il est nécessaire
Je suis sûr de ça !
Vraiment ! Dis-moi !
si tu prenais
vraiment conscience
de ce qui existe
tu en serais renversé !
Il y a autant de réalité
chez ce marchand de cigares
Parce que...
on paiera 10 000 $
pour se faire castrer, juste
Ok. Oui !
On s'emmerde !
On s'emmerde tous !
ce physicien suédois,
Gustav Bjornstrand, et il m'a dit...
Il a arrêté complètement !
Parce qu'il est persuadé
Revenant de Washington
pour y défendre Redwood !
À 84 ans,
il voyage avec un sac à dos,
il ne sait jamais
où il sera demain !
et il a dit :
"Ce n'est pas ça du tout.
"C'est un pin."
En fait, tu vois...
Depuis 2 ou 3 ans,
On se sent comme
des Juifs Allemands en 36.
Il faut fuir !
de l'homme
avant l'extinction finale.
L'histoire et la mémoire
sont d'ores et déjà effacées,
et revenir.
Ils pressentent
qu'il y aura des centres
des îlots où
l'on préservera l'Histoire...
Et le but de ce "maquis"
la vie,
la culture...
Comment garder
les choses vivantes !
Je continue de penser que
nous avons besoin d'un nouveau langage,
un langage du cœur,
où nous aurons
ce sentiment d'être lié
Et soudain...
Voulez-vous un dessert ?
Merci.
Et...
Bien, monsieur.
Merci.
Tu sais, Wally ?
Alors, l'architecte
a médité et médité encore,
et il en est arrivé
à la solution la plus simple :
il a ramassé
des galets sur la plage,
enfin, "nous",
car j'y ai contribué !...
en toute situation,
Eh bien !
Ça a marché !
Ouaip.
Et bien...
Tu veux connaître
ma réaction à tout ça ?
- Ma réaction profonde ?
- Oui !
Eh bien, ma réaction...
Eh bien...
Je vis ma vie,
j'aime rester
à la maison avec Debby,
je lis l'autobiographie de
Charlton Heston...
et ça me suffit !
Et quand je réussis
à exercer mon petit talent
et les commentaires
des commentaires.
dans un calepin,
et j'aime
et le rayer de la liste !
je lis l'autobiographie
de Charlton Heston !
Ou encore...
ou me lever le matin
et boire cette tasse de café froid
qui m'a attendu depuis la veille
au soir pour être bue ce matin...
et de trouver ce café
juste comme je l'aime...
J'ai du mal
Mais bon...
agréable,
de te lever le matin,
et il y a Chiquita et les enfants,
Pourquoi faut-il... ?
Détends-toi,
et savoure les détails de la vie !
je refuserais de croire
et de retomber
dans des croyances magiques !
Au Moyen-Âge,
c'est le développement
de la science occidentale,
et c'est le noeud !
pour moi,
c'est une simple coïncidence :
Je veux dire...
Bon, disons...
Si j'ouvre
un gâteau-horoscope
dans un restaurant chinois...
je ne le jetterai pas !
Je le lirai !
Je le lirai et...
En un sens,
et à l'interpréter instinctivement
comme un présage.
il y a des années
et ne me concerne pas.
Tu vois ?
Il ne le pouvait pas !
Aucune raison que ce gâteau ait à voir
avec moi, c'est de la blague !
un horoscope me dit :
Ne pars pas !"
Je l'admets, je serais
un peu nerveux
et du pilote... et ça,
le gâteau ne peut pas le savoir !
pour pouvoir
nous envoyer ces messages !
Si un oeuf de tortue
tombe d'un arbre
et qu'il s'écrabouille
sur la chaussée,
Le "présage" de l'horoscope
ou de l'œuf de tortue
L'avantage du raisonnement
scientifique,
Tu as raison, Wally...
Accepter l'inconscient,
c'est prêter le flanc
à toutes sortes de
très effrayantes manipulations.
J'ai toujours côtoyé ce danger-là,
un peu thérapiste...
un peu prêtre...
Et du reste,
s'institutionnalisent déjà !
On attribue à la science
le pouvoir magique de tout régler.
Mais tu vois...
La vérité, c'est que...
il me semble que
Je refuse la notion
de ces moments privilégiés
je prends un livre !
et ne rien faire !
Ça me semble absurde !
Et si Debby est là ?
d'être ensemble,
sans rien faire ?
Ou bien on discute,
Comment peut-on
Ça te rend nerveux ?
Très intéressant !
Le danger,
quand on s'active constamment,
Ces choses,
est-ce que tu les fais
on flotte librement...
je croyais vivre,
mais je n'étais même plus humain !
Le rôle de l'ami...
Le rôle de l'écrivain
ou du metteur en scène...
se contentent parfois
Le visage du partenaire
pourrait se changer
en tête de loup, et...
on ne verrait rien !
J'étais en Israël,
il y a quelque temps,
Et l'an dernier,
en regardant la photo,
si triste... si seule...
J'étais un robot !
Aujourd'hui, je m'énerve !
Ils disent : "Pourquoi tu t'énerves ?"
Et je dis :
"Parce que vous m'énervez !"
Et le jour où j'ai envisagé
de ne pas finir ma vie avec Chiquita,
Et si on a pas ce rapport
à l'autre,
il n'y a aucune
possibilité d'échange,
le mot "amour"
ne signifie plus rien
sinon : devoir,
obligation...
sentimentalisme...
peur...
Et la seule façon
de trouver la réponse,
et écouter en moi.
Je ne sais pas si
c'est un truc freudien...
assis là,
comme on disait tout à l'heure,
ou avec quelqu'un...
J'ai juste...
"Mon Dieu !
si je me sens coincé,
condamné à ne rien faire,
Je peux passer
toutes sortes de tests
et même arriver en tête
si je me donne un peu de mal...
Je sais bien
que ce n'est pas un test,
Mais...
et c'est terrifiant,
et je me sens...
complètement perdu !
Et si tu le veux, tu reviens !
On a de bonnes raisons
d'être effrayé.
Des esprits...
Qui sommes-nous ?
et accepter ça,
c'est accepter la mort.
C'est ça...
on verrait la décomposition
de son être, jusqu'à la mort,
Et puis, le monde
revient très vite !
Au théâtre,
si tu as de bonnes critiques,
tu te sens en confiance,
et de nouveau,
ou ce qui va arriver.
"Parlerons-nous de Schopenhauer
dans un restaurant français ?"
un mari...
un fils ?
Un bébé te tient la main,
Et soudain,
et disparaît.