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MON DÎNER AVEC ANDRÉ

Un auteur dramatique n'a pas une vie facile. C'est moins doré qu'on ne l'imagine. On travaille dur
pour écrire des pièces... et personne ne les monte ! On écrit plein de trucs pour vivre, on devient
acteur, mais personne ne vous engage ! Alors, je passe mes journées à courir.
Ce matin-là, j'avais dû me lever à 10 h pour un coup de fil important, acheter des enveloppes, faire
photocopier ma pièce et des dizaines d'autres courses... À 17 h, j'étais enfin au bureau de poste où
j'ai enfin expédié ma pièce. J'appelais constamment mon agent pour voir s'il m'avait trouvé un rôle.
Ce matin, au courrier, il n'y avait que des factures ! Que pouvais-je faire ? Comment les payer ?
Après tout, je fais ce que je peux ! J'ai passé toute ma vie dans cette ville. J'ai grandi dans l'Upper
East Side, Et à dix ans, j'étais un gosse de riche, un aristocrate... je me déplaçais en taxi... Cerné
par le confort, je ne pensais qu'à l'art et à la musique... Aujourd'hui, j'ai 36 ans, et je ne pense qu'à
l'argent ! Il était 7 h et je n'aurais rien aimé mieux que rentrer chez moi... et Debby, ma compagne,
m'aurait fait un bon petit dîner. Mais depuis quelques années, à cause de nos ennuis financiers,
Debby avait dû travailler, le soir, comme serveuse. Quelqu'un devait rapporter un peu d'argent !
J'étais célibataire, ce soir-là... L'ennui, c'est qu'à cause d'une série de circonstances, j'avais accepté
un dîner avec un type que j'évite depuis des années ! Il s'appelle André Grégory.

Autrefois, il a été un ami très proche, et mon meilleur allié dans le théâtre. En fait, c'est lui qui m'a
découvert et monté ma première pièce sur scène. À l'époque, il était un metteur en scène de renom.
Son travail, à la tête du Manhattan Project, avait été acclamé dans le monde entier. Et puis,
quelque chose s'est passé et André abandonna le théâtre et disparut ! On savait seulement qu'il
voyageait dans des endroits comme le Tibet. C'était étrange parce qu'il adorait sa femme et ses
gosses et ne les avait encore jamais quittés. On l'apercevait à
des soirées où il expliquait qu'il parlait avec des arbres !

Visiblement, quelque chose n'allait pas avec André ! Ce dîner me faisait froid dans le dos. À vrai
dire, ça me terrifiait. Moi aussi, j'avais mes problèmes ! Je veux dire, je ne pouvais rien pour lui !
Je ne suis pas médecin !

- Bonsoir.

- Bonsoir !

Merci.

Monsieur ?

Je suis Wallace Shawn. Je suis attendu à la table de André Gregory.

La table sera bientôt prête, voulez-vous attendre au bar ?

Bonsoir, Monsieur.

Je voudrais un club soda.

Je n'ai que de la Source Pavillon.

C'est très bien, merci.

Au téléphone, André avait proposé ce restaurant. Ça m'avait surpris car il était naguère très
ascétique. Cela dit, il avait largement de quoi nourrir sa famille tout en se baladant en Asie !

Une semaine avant, un ami à moi, George Grassfield, m'avait supplié de voir André. Un soir, en
promenant son chien dans un quartier perdu, George avait vu André en train de sangloter contre un
mur. D'après George, André venait de voir "Sonate d'Automne" d'Ingmar Bergman à 25 blocs de là,
et avait été saisi d'une crise de larmes irrépressible en entendant le personnage d'Ingrid Bergman
dire : "J'existe dans la musique, mais pas dans ma vie."

Wally !

Quand je travaillais avec lui, j'étais sidéré de toujours voir les acteurs s'embrasser. Je me disais :
"C'est ça le théâtre !"

Eh bien !

Tu as une mine superbe !

Je tiens à peine debout !

- Bonsoir, heureux de vous revoir.


- Merci à vous, bonsoir.

- Je prendrais un Spritzer.
- Oui, Monsieur.

J'étais incroyablement nerveux. Pourrais-je tenir jusqu'au bout ? On a commencé à papoter... il a


commencé à me parler de Jerry Grotowski, le metteur en scène polonais qui était son ami et son
gourou ! Lui aussi avait lâché le théâtre. Et lui aussi, il était assez bizarre. Après avoir été obèse, il
était devenu squelettique, avec une grande barbe.

Votre table est prête. Si vous voulez prendre place.

Je me disais que... la seule façon de supporter ce dîner était d'interroger André. Poser des
questions, ça me relaxe. En fait, je me dis souvent que j'aurais dû faire des enquêtes, être détective.
J'aime fouiner dans la vie des gens. Même au dernier stade du désespoir, ils me fascinent.

Il est toujours maigre ?

Quoi ?

Grotowski. Il est toujours aussi maigre ?

Oh ! Comme un clou !

Garçon ? On n'a pas vraiment besoin de fleurs...

Tu as vu ça ?

Avez-vous choisi ?

Heu... oui !
L'araniakalafski... comment est-ce préparé ?

André comprenait chaque mot de ce menu, pour moi, c'était du chinois.

Non... Donnez-moi les cailles aux raisins.

Des cailles ? je prends ça aussi !

Et pour commencer, une terrine de poissons.

Qu'est-ce que c'est ?

Une sorte de pâté, très léger, au poisson.

Il y a des arêtes ?

Pas d'arêtes. Tu ne risques rien !

Qu'est ce que c'est, la Bromberova Palevska ?

Un potage aux pommes de terre... c'est délicieux.

Ça semble bien, donnez-moi ça.

- Merci.
- Merci à vous.

Bien !

Quand s'est-on vu pour...

On a parlé de mon travail d'écriture et de comédien, puis de ma compagne, Debby, puis de sa


femme Chiquita et de ses enfants, Nicholas et Marina. Finalement, j'ai demandé ce qu'il faisait
depuis plusieurs années. D'abord, il a été un peu réticent... j'ai insisté, et puis, il a commencé à
parler...

... une conférence sur le théâtre.

Et puis...

C'était il y a environ... cinq ans de cela. Grotowski et moi remontions la 5ème Avenue... on
discutait... et il m'a invité à venir enseigner en Pologne pour diriger un atelier de comédiens et de
metteurs en scène. J'avais refusé car, vraiment : je n'avais rien à enseigner ! Je n'avais rien à dire, je
ne savais plus rien ! Je ne pouvais pas enseigner ! Ces exercices ne me parlaient plus, travailler des
scènes me semblait ridicule... Je ne savais pas quoi faire, et simplement, je ne le pouvais pas !
Alors, il m'a dit : "Que demanderais-tu pour diriger un atelier... "même si c'est de la folie ? Je
pourrais peut-être te le donner !"

Alors j'ai dit : "Si tu me trouves... "ne parlant ni anglais ni français, "soit d'anciennes actrices déçues
voulant quitter le théâtre, "sans savoir pourquoi... "soit des débutantes qui adorent
le théâtre, mais qui se cherchent encore... "si elles jouent de la trompette ou de la harpe, et que je
peux travailler en forêt, je viens !
il m'appelle de Pologne : "Bon ! 40 juives, c'est dur à trouver, Mais il dit : "Mais j'ai 40 femmes qui
ressemblent à la description...

Et il ajoute : "J'ai aussi des hommes intéressants, mais je ne te force pas. Ils ont en commun de tous
remettre le théâtre en question, pas tous trompettistes ou harpistes mais savent jouer d'un
instrument... Et aucun ne parle anglais !" Et il m'avait trouvé une forêt ! Et les seuls habitants de
cette forêt étaient des sangliers et un ermite ! Je ne pouvais plus refuser ! J'étais piégé ! En Pologne,
j'ai trouvé un groupe épatant et une forêt qui était absolument magique... Une forêt immense, avec
des arbres tellement énormes : qu'il fallait 4 ou 5 types, tendant leurs bras pour en entourer le tronc !
On campait auprès des ruines d'un petit manoir, on mangeait sur une grande dalle de pierre qui
faisait office de table... On commençait à travailler au coucher du soleil et en général, on finissait
vers ?????? et comme les Polonais adorent chanter et danser, on chantait et on dansait jusqu'à 10 ou
11 heures, puis on déjeunait ! Généralement : pain, confiture, fromage et thé... Et puis on dormait,
de midi jusqu'au coucher du soleil ! Techniquement, bien sûr, techniquement, c'était très
intéressant ! Si tu es avec 40 personnes dans une forêt, qui ne parlent pas ta langue, tu vas à
l'aventure !

Comment ça ?

Tout ce que l'on faisait : c'est s'asseoir... et attendre que quelqu'un ait envie de faire quelque chose.
Dans un sens, un peu comme une improvisation théâtrale... Si tu mets en scène une pièce de
Tchekhov, tu fais travailler les rôles de la mère, du fils ou de l'oncle... Tous les acteurs sont assis là,
comme dans la pièce et tu leur dis : "Imaginez-vous un dimanche pluvieux, chez Sorine... vous êtes
bloqués dans ce salon." Alors, ils improvisent en faisant ce que leurs personnages feraient dans ces
circonstances ! Sauf que pour ce type d'improvisation, celui qu'on faisait en Pologne, le thème, c'est
soi-même ! Comme dans une impro, tu devais exprimer ce que ton personnage ressentait, à cela
près que ce personnage, c'était toi ! Pas moyen de t'abriter derrière une situation ou un personnage
imaginaires ! Ce qu'il faut faire, c'est se poser les mêmes questions que Stanislavski exigeait que ses
acteurs se posent sur les personnages : "Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? D'où est-ce que je
viens ? Où vais-je ?" Mais au lieu de l'appliquer à un rôle, on l'appliquait à soi-même ! Vu
différemment, c'était comme un retour à l'enfance, quand un groupe de gamins se retrouve, sans
jouets, et commencent à jouer ! Des adultes réapprenaient à jouer de nouveau !

Donc vous... vous vous installiez quelque part et... vous jouiez ? Que faisiez-vous ?

J'ai un bon exemple. Voilà : on a travaillé en ville, une semaine, avant d'aller dans cette forêt... Bien
sûr, Grotowski était en ville, aussi. On m'a dit qu'il organisait chaque nuit des "essaims d'abeilles".
J'adorais cette idée des "essaims" ! Juste avant notre départ pour ma campagne, je l'attrape par le col
: "J'aimerais participer à un essaim d'abeilles, je sens que ça me passionnerait." Il dit :
"Certainement ! Pourquoi ne dirigerais-tu pas un "essaim" plutôt que de seulement y participer ? Ça
m'inquiète et je dis : "C'est quoi, un essaim ?" Il dit : "Un "essaim", c'est... à 8 h, "Et alors ?" "Alors,
nous avons un essaim !" "Oui ! mais que dois-je faire ?" Il dit : "Ça dépend de toi !" "Non, je ne
veux pas faire ça !" "Je veux juste participer." "Non ! Tu dirigeras l'essaim !"

Eh bien...

J'étais terrifié, Wally ! J'avais l'impression d'être sur scène. Mais je me suis exécuté.

Raconte-moi ça !

On avait un chant... je te ferai écouter la bande... et c'était incroyablement beau ! Il y avait cette fille
qui connaissait ce poème de St François d'Assise, un chant où tu remercies Dieu pour tes yeux, tu
remercies Dieu pour ton cœur, pour tes amis... tu remercies Dieu pour ta vie... et tu le répètes encore
et encore... comme un thème... Il faudra que tu l'écoutes, un jour, car c'est dur de croire qu'un
groupe de chanteurs amateurs peut créer quelque chose d'une telle beauté ! Alors, j'ai décidé que
lorsque des gens rejoindraient l'essaim, notre groupe les accueillerait avec ce magnifique chant en le
chantant encore et encore. Une des membres a décider d'apporter un de ces très grands ours en
peluche, comme pour se rassurer, sans doute. Et un type a apporté un drap... un autre a apporté
une bassine d'eau fraîche, si quelqu'un avait chaud ou soif... Quelqu'un a suggéré d'allumer des
bougies pour éviter la lumière artificielle. Je revois les gens se préparer, Bien sûr, sans maquillage
ni costumes, mais comme pour une vraie représentation... Les gens ôtaient leurs montres et leurs
bijoux et les rangeaient pour les mettre à l'abri. Et puis lentement, ils sont arrivés comme s'ils
venaient au théâtre, un par un, deux par deux, en groupes... On était juste assis et on chantait ce
magnifique chant et les gens ont commencé à l'apprendre. Et bien sûr, comme dans tous les
spectacles d'improvisations, on sent quand le public s'ennuie... Donc, au bout d'un moment, peut-
être au bout d'une heure et demie, soudain, j'ai pris l'ours en peluche et je l'ai balancé en l'air, sur
quoi, les 130 ou 140 personnes ont littéralement explosé ! On aurait dit une toile de Jackson Pollock
! Tu comprends ? Les gens gens ont explosé hors du cercle des chanteurs pour former deux autres
cercles, et chacun dans le sens contraire de l'autre en rythme, en ne bougeant que le bas du corps, à
la manière des Indiens d'Amérique sur un rythme hypnotique ! Tu vois ?

On peut facilement voir...

... et là, on parle de transe collective, la frontière entre cela et les meetings de Hitler à Nuremberg,
c'est très ténu ! En tout cas, au bout d'une heure de ce sauvage ballet hypnotique, Grotowski et moi,
on s'est retrouvé assis face à face au milieu de ça et on se lançait l'ours ! Et soudain... je sais, c'est
assez enfantin, je me suis mis à donner le sein à l'ours, je l'ai balancé à Emil qui l'a allaité aussi...
puis on a lancé l'ours au ciel. Il y a eu une explosion de formes... C'était comme... ça ressemblait à...
quelque chose comme... un kaleidoscope... un kaléidoscope humain ! Tout changeait sans arrêt...
comme un kaléidoscope ! La chose dont je me souviens, c'est que j'essayais de maîtriser les choses,
tout ce qui impliquait le mouvement, le rythme, la répétition ou la musique, car deux personnes
dans mon groupe avaient des instruments, une flûte et des percussions de musique sacrée. Parfois,
tout se disloquait soudain et six ou sept événements se mêlaient... six ou sept improvisations
différentes semblaient... en un sens... se relier entre elles ! Un peu comme... une magnifique toile
d'araignée ! À un moment... J'ai aperçu Grotowski au milieu d'un groupe qui s'était planté devant
une forêt de bougies... comme un gosse fasciné par le feu ! Je l'ai regardé passer la main au-dessus
de la flamme. je me suis approché du groupe, et j'ai voulu m'y essayer aussi. J'ai approché la main
gauche du feu et je pouvais m'approcher autant que je voulais, ça ne me brûlait pas ! Aucune
douleur ! Mais quand j'ai essayé la main droite, je n'ai pas pu tenir une seconde ! Grotowski a dit :
"Si ça brûle, essaie de changer quelque chose en toi !" Ça n'a pas marché ! Et puis... Je revois une
procession magnifique, qui suivait un drap... On transportait un homme sous ce drap, vois-tu ? ce
drap était comme un dais biblique... Le cortège allait et venait en chantant. À un moment, des gens
se sont mis à danser... J'ai dansé avec une fille... Et soudain, nos mains se sont mises à vibrer ! Elles
se frôlaient et vibraient, vibraient ! On est tombés à genoux, je sanglotais dans ses bras, elle m'a
bercé, et puis elle s'est mise à pleurer aussi... On est restés un moment enlacés... puis on a rejoint les
autres. Et à un certain moment... plusieurs heures après, on a repris le chant de Saint-François.
C'était la fin de l'essaim ! Et à nouveau, c'était comme au théâtre après une représentation. Les gens
ont remis leurs montres et leurs bijoux, on est allés au buffet de la gare, boire des bières et faire un
gueuleton ! Et une fille, qui n'était pas de notre groupe, mais qui ne voulait pas nous quitter, alors on
l'a emmenée !

Dis-moi ce que as fait d'autre


avec ton groupe !
Je me rappelle d'une fois, on était en ville, on essayait de faire une improvisation... comme à New
York : "On est en avion, et on apprend qu'il y a un problème avec le moteur." Mais ce qui était
inhabituel avec cette improvisation, c'est que 2 participants sont tombés amoureux... et ils se sont
mariés ! Et quand on... Ils ont eu tellement peur d'être dans cet avion qu'ils sont tombés amoureux...
de peur de mourir à chaque instant ! Et quand on est arrivé dans la forêt... ces deux-là... avaient
disparu ! Ils avaient vécu l'expérience si fort, qu'ils se sont dits que s'enfuir ensemble dans la forêt
était plus important que nos affreuses expériences en groupe ! Et donc... À 2 ou 3 jours de là, on les
a surpris dans une clairière tous les deux, dormant dans les bras l'un de l'autre. C'était à l'aube. On
les a couverts de fleurs, pour dire qu'on les avait vus, et on a filé ! Et le dernier jour dans la forêt, ils
ont réapparu et m'ont serré la main, en me remerciant du bon travail qu'ils avaient réussi à faire !

Ils avaient tout compris !

Évidemment, cela pose la question : "Qu'y avait-il à comprendre ?"

Peut-être, quelque chose à propos de la façon de voir la vie...

Et le dernier jour que nous avons passé dans la forêt, le groupe m'a fait une surprise merveilleuse.
Ils ont organisé un baptême ! Pour moi ! Ils ont entièrement fleuri le manoir, et puis... un miracle de
lumière ! Ils avaient installé des centaines de bougies et de torches... Mieux qu'aucune cathédrale au
monde ! Une cérémonie très simple... une fille était ma marraine, un garçon était mon parrain... et
on m'a rebaptisé ! On m'a appelé Yendrush. Certaines personnes ont pris ça très au sérieux, et
d'autres à la blague. Mais je me sentais vraiment... un autre homme. Et puis, on a fait un énorme
festin, avec des myrtilles cueillies dans les champs, du chocolat, de la soupe de framboise, du civet
de lapin, on a chanté des chants polonais et grecs et on a dansé le reste de la nuit ! J'ai une photo.
Voilà, c'est... Voilà, c'est moi dans la forêt !

Bon Dieu !

Je ressemblais à ça ! Dans un drôle d'état, hein ?

Je me rappelle que George m'a dit qu'il t'avait vu à l'époque, il disait que tu semblais revenir de
guerre !

Oui, je m'en rappelle. Il m'a posé un tas de questions bienveillantes.

Je t'avais appelé cet été-là...

Je crois que je n'étais pas en ville...

Les gens pensaient que j'avais perdu les pédales.

On ne le disait pas, mais ça se sentait !

Mais... Ce que j'ai vraiment expérimenté... a été... pour la première fois de ma vie... de comprendre
ce que c'était d'être vivant... Et c'est... terrifiant car ça te donne une conscience immédiate de la
mort. Car l'un ne va pas sans l'autre. C'est ce qui a inspiré Walt Whitman pour Leaves of Grass, ce
sentiment d'être connecté avec toute chose, et donc connecté avec la mort ! Et, ça ! Ça fait très
peur ! Mais... je sentais que je flottais au lieu de marcher ! Je faisais des trucs comme regarder le
feu passer du vert au rouge et je me disais : "C'est sublime !" Et puis, un jour... au début de
l'automne, en me promenant à la campagne, j'ai entendu une voix lire : "Le Petit Prince"... Je
considérais "Le Petit Prince" comme un enfantillage, mais j'y pense : Si une "voix" me parle en
pleine nature, la première "voix" que j'entends, mieux vaudrait lire ce livre ! Eh bien... Ce jour-là,
j'avais reçu une lettre d'une Polonaise de mon groupe, et dans sa lettre, elle écrivait : "Tu m'as
dominée !" Elle parlait mal l'anglais, alors elle avait vérifié, rayé "dominée" et écrit : "Non, Le mot
est apprivoisée !" En rentrant en ville, j'ai acheté le livre et commencé à le lire et le mot
"apprivoiser" est le mot-clé de tout le bouquin. En le refermant, j'étais en larmes... à cause de
l'histoire. Et j'ai voulu répondre à la lettre-fleuve de cette fille, mais je ne trouvais pas mes mots.
Alors, j'ai posé ma main sur la feuille, j'en ai tracé le contour et écrit au milieu un truc comme :
"Ton cœur est dans ma main !" Et je suis allé chez mon frère pour nager, car il vit à la campagne et
il a une piscine. Il n'était pas là. Dans son bureau, j'ai vu la collection du "Minotaure",

cette revue surréaliste ?

C'est une formidable revue des années 20 ou 30...

Tu sais ! Je me considère un peu surréaliste, Mais je n'avais jamais vu "Le Minotaure" ! Tout était
là, année par année. Donc, au hasard... j'en prends un, je l'ouvre, et là ! Je vois une grande
reproduction de la lettrine "A" de Alice au Pays des Merveilles. Je me dis : "Quelle coïncidence...
"mais rien d'étonnant, les surréalistes aimaient "Alice" et j'ai monté "Alice". Au hasard, j'ouvre une
autre page... Et là ! Celles d'André Breton, une autre d'André Derain, la troisième d'André... je l'ai
notée... ce n'est pas Malraux... un autre... un autre surréaliste... Tous des A... Et la 4ème... était celle
d'Antoine de St Exupéry qui a écrit "Le Petit Prince" ! Un expert avait étudié ces empreintes sans
savoir à qui elles correspondaient. Sous Saint Ex, il avait écrit : "C'est un artiste "doué d'une vue
perçante "et qui saurait apprivoiser "les animaux sauvages." Incroyable, non ? J'ai regardé la
couverture, pour voir l'édition et j'ai vu cette date, le 11 mai 1934... et moi, je suis né le 11 mai 1934
! Donc ! C'est comme ça que j'ai embrayé sur Saint Ex et "Le Petit Prince". Maintenant,
évidemment, aujourd'hui, Il y a des relents fascistes dans "Le Petit Prince". Je pense qu'il y a une
sorte de... une sorte de sentimentalisme totalitaire SS... Il y a quelque chose dans... cet amour... ...
cet amour viril des muscles bien huilés ! Tu vois ? Je ne peux pas m'empêcher... J'imagine un bel
officier SS, amoureux du "Petit Prince" ! Je ne sais pas pourquoi, mais ce livre me chiffonne... ça
pue...

George m'a dit qu tu voulais monter "Le Petit Prince" au théâtre.

Eh bien... Le truc, Wally... Cet automne, à New York, j'ai rencontré ce japonais, un jeune moine
bouddhiste : Kozan. On aurait dit le Puck du "Songe d'une Nuit d'Été" ! Avec son sourire délicat...
où le Petit Prince lui-même ! Naturellement, j'ai décidé d'aller au Sahara pour travailler "Le Petit
Prince", avec 2 acteurs et ce moine japonais.

T'as fait ça ?

J'étais encore dans un état très étrange, à ce moment-là, Wally. Je regardais dans le rétroviseur... et
je voyais des oiseaux sortir de ma bouche ! Je me rappelle, que j'étais constamment épuisé... Je me
sentais très faible sans comprendre ce qui n'allait pas chez moi. Je restais des jours entiers prostré à
la campagne, à écrire dans mon journal... Je ne pensais qu'à la mort.

Mais tu es parti au Sahara !

Oh oui ! On a traversé
le désert à dos de chameau,

des jours entiers...


La nuit, on contemplait
les étoiles dans ce ciel immense...

mais je pensais aux mêmes choses


qu'à la maison...

surtout à Chiquita.

En fait, je ne pensais à rien d'autre


qu'à mon mariage.

Je me souviens d'une nuit


incroyablement noire, dans une oasis.

Les palmiers frémissaient au vent,

j'entendais Kozan chanter au loin,


de sa magnifique voix de basse,

et je tentais de repérer
sa présence dans les dunes.

Vois-tu ?

Je sentais qu'il avait


quelque chose à m'apprendre.

Parfois, je méditais avec lui,

ou bien, j'allais méditer seul...

et je voyais
des images de Chiquita.

Un jour, j'ai eu
une vision d'elle, vieillie,

ses cheveux blanchissaient


à vue d'œil...

et j'ai sangloté et hurlé


à plain poumons dans les dunes.

Bref,

le désert était horrible...

et il faisait glacial...

On cherchait quelque chose


sans savoir quoi.
Un jour, Kozan et moi,

on s'est assis pour dîner


et on a mangé du sable !

C'était pas un jeu,

J'ai commencé, il m'a suivi,


on avalait du sable, et on vomissait...

Nous étions désespérés,

sans savoir pourquoi nous étions là,


ni ce qu'on cherchait...

Tout semblait si absurde,


desséché... vide...

C'était comme

notre dernière chance de survie...

Et ensuite ?

Eh bien...

À cette époque,

je n'obéissais qu'à l'impulsion...

alors, j'ai ramené Kozan


chez nous à New York

à notre retour du Sahara,

et il y est resté 6 mois.

Et il a pris la famille
sous son aile.

Que veux-tu dire ?

J'étais certain qu'il manquait


un rouage dans cette maison...

un vrai père...

Je ne pensais qu'à filer


au Tibet afin de faire Dieu sait quoi !

Il a appris à la famille
comment méditer,

il leur parlait de l'Asie, de l'Orient,


de son monastère et d'autres choses...

Il captivait absolument tout le monde


en faisant des tours invraisemblables !

À force de s'entraîner,

il arrivait à se soulever sur


deux doigts au-dessus de sa chaise.

Il se hissait littéralement en poussant


sur ses doigts et faisait le poirier

sur deux doigts seulement !

Quand Chiquita avait le torticolis,

elle s'allongeait et
il lui piétinait le dos

en une sorte de massage insensé !

Et les enfants
le trouvaient incroyable !

Chez des amis


qui avaient des enfants,

il jouait avec les gosses


comme nous ne saurions le faire,

et tous les gosses rigolaient...


rigolaient...

en le voyant faire le pitre


dans sa robe de moine !

Il était acrobate...

ventriloque...
magicien...

Tout !

Le plus étonnant,

c'est que je pense


qu'il s'en fichait !
Je crois même
qu'il ne les aimait pas !

Quand il était chez nous,

les premiers temps,


les gosses étaient enchantés...

Mais quelque semaines plus tard,


si l'on sortait, Chiquita et moi,

si Marina avait la grippe,


ou 40 de fièvre...

il n'allait même pas


lui dire bonjour !

Il était vraiment devenu le Roi !


Et de plus en plus !

Il a commencé à changer
complètement.

Il s'est mis à porter d'élégants


mocassins Gucci sous sa robe blanche

et il dévorait d'énormes ventrées !

Je veux dire qu'il mangeait


deux fois plus que Nicholas !

Au début, ce gringalet bouddhiste

ne ne nourrissait que
d'un peu de lait chaud avec du riz,

et là, il mangeait
des bœufs entiers !

C'était vraiment...

très étrange !

On a essayé
de travailler ensemble,

mais c'était moi qui peinais...

à me prosterner douloureusement
comme dans les monastères !

Non, vraiment,
on n'a pas fait grand chose !

Bref...

À Noël, on va à la campagne

et on va tous à la messe de minuit,


il avait mis ces habits bouddhistes,

dans une de ces églises sinistres


de Long Island,

où le prêtre vitupère
le communisme et l'avortement !

Et pendant que j'étais assis là,


je me suis dit :

Qu'est-ce qu'il m'arrive ?


Je suis un adulte !

Je laisse ce drôle de type vivre


chez moi ! Je ne travaille plus !

Je ne fais rien, sinon


scribouiller des vers... ou mon journal.

Je ne peux plus enseigner...


je ne sais que faire...

Et soudainement,

une énorme créature


m'est apparue

observant les fidèles...

Il devait faire, je dirais...


dans les deux mètres !

Quelque chose comme ça...

à moitié taureau
et à moitié homme...

la peau bleue, des violettes


sous les paupières

et des coquelicots
entre les orteils !

Il est resté
pendant toute la messe !

Rien à faire pour qu'il disparaisse !


Je me suis dit :

"C'est une vision...


parce que je m'ennuie."

mais je n'arrivais pas


à faire partir cette créature !

Bon...

Je n'en ai pas parlé,


on m'aurait traité de fou !

Mais je sentais

que cette créature venait, d'une


certaine manière, pour me réconforter...

Quelque part,

elle essayait de me dire :

"Bon,

"tu as le cafard...

"tu es incapable
de créer une pièce...

"mais regarde ce qui arrive


à Noël ! Accroche-toi !

"Je te parais bizarre,


mais la vie est une aventure bizarre...

"avec des créatures bizarres !

"C'est le prix du voyage.


Tout va bien, accroche-toi !"

À propos...

Tu as vu cette pièce ?

"Les Violettes sont Bleues" ?

Non.

Ton histoire de violettes


m'a fait penser à cette pièce...

Ça raconte, heu...

Des gens sont étranglés


dans un sous-marin et...

Bref...

Ca, c'était...

C'était Noël !

Et ensuite ?

Tu veux savoir ?

- Oui !
- Eh bien...

À cette époque,

je songeais à aller en Inde...


Et un jour, Kozan a disparu.

Je m'étais mis à avoir des idées


très étranges, à ce moment-là...

Par exemple,
je développais cette...

il m'était venu l'idée d'avoir...

(ça me parlait vraiment


à l'époque !)

... d'avoir un fanion !

un grand fanion qui flotterait


où que je sois.

Si je travaillais à la campagne,
il me servirait de tapis de prière...

D'une façon ou d'une autre, au travail,


en prière, il serait toujours là,

si bien que ce drapeau attraperait


toutes les vibrations

et les emmagasinerait
pour plus tard.
Je suis allé voir un artisan,

un type qui m'avait l'air


très ouvert,

très gentil...

d'apparence très saine...


beau, grand, blond...

Il habitait un loft dans le Village,


plein de drapeaux...

J'étais en plein dedans alors,


je lui ai parlé du "Petit Prince"

et lui ai dit pourquoi je voulais


un fanion et comment il devait être.

Et il semblait vraiment passionné !

je reviens...

il me montre un fanion
que je trouve très étrange.

Parce que... bon...

J'attendais une chose...


délicate, lyrique...

et ce fanion irradiait
une violence presque terrifiante.

Et il portait la swastika tibétaine.

Il a mis une swastika


sur ton fanion ?

Oui, mais tibétaine...


pas nazie !

C'est un très ancien


symbole tibétain !

C'était assez bizarre,

mais je l'ai rapportée


chez moi, parce que...

mon idée, avec ce drapeau,


avant de partir pour l'Inde,

était que quelques-uns de mes proches


prennent ce drapeau dans leur chambres

pour la nuit
et qu'ils dorment avec.

et qu'au matin,
ils y cousent quelque chose.

Je l'ai donné à Marina


et j'ai dit : "Qu'en penses-tu ?"

Elle : "C'est affreux ! C'est quoi ?"


"Un fanion !"

Elle dit :
"Je ne l'aime pas du tout !"

J'ai dit : "Garde-le pour dormir."

mais elle pensait réellement


qu'il était horrible !

Et alors...

Chiquita a organisé une fête,


avant mon départ en Inde,

L'appartement était plein d'invités,


et Chiquita dit :

"Où est le fanion ?"


J'ai dit : "Ah oui, le fanion !"

Je l'apporte, je le déploie...

et Chiquita devient blanche...


traverse la pièce et va vomir !

Et évidemment,
la fête s'est arrêtée !

Le lendemain, je le donne à une de


mes Polonaises qui est de passage,

sans lui expliquer


quoi que ce soit.

À 5 h du matin,
elle téléphone :
"Il faut que je te voie !"
Je me dis : Oh mon Dieu !

Elle arrive : "J'ai vu des choses...


des choses dans ce fanion !

"Tu es têtu, je sais que tu veux


l'emporter avec toi, mais...

"Suis mon conseil !


Mets-le dans un trou,

"brûle-le et enterre-le,
il y a le Diable dedans !"

Je ne l'ai pas emporté !

En fait, je le lui ai donné !


et elle a organisé une cérémonie

avec des amis... et ils l'ont brûlé !

C'est... vraiment...

vraiment stupéfiant.

Alors, tu es allé en Inde ?

Oh oui...

J'y suis allé


au printemps suivant,

et j'en suis revenu


très déprimé...

Tu vois, j'étais allé en Inde,

et je m'y étais senti


comme un touriste...

Je n'avais rien trouvé.

Et puis, j'ai...

j'ai passé l'été à Long Island


avec ma famille,

et on m'a parlé d'une communauté


en Écosse, appelée Findhorn,
où on chante, on parle
et on médite avec les plantes !

Elle a été fondée par une poignée


d'Anglais et d'Écossais excentriques...

Certains étaient des intellectuels,


d'autres non.

On m'a dit qu'ils cultivaient


sur un sol

où normalement rien ne devrait pousser,


car c'est pratiquement une plage !

Qu'ils faisaient pousser les plus gros


choux-fleurs et laitues qui soient...

et aussi des arbres réputés


incultivables en Grande-Bretagne.

Alors j'y suis allé...


C'est un endroit renversant, Wally !

S'ils voient des insectes


manger leurs plantes,

ils parlent avec les insectes

et concluent un accord !

ils leur accordent une plate-bande,


uniquement pour les insectes,

et les insectes
ne touchent pas au reste !

Des trucs comme ça !

Et tout ce qu'ils font,


ils le font admirablement.

Leurs maisons sont étincelantes !

Autre chose : le frigo, le four,


la voiture... tout a un prénom.

Tu dois traiter Ellen, ton frigo,

aussi bien que Margaret, ta femme...


Elles sont toutes deux pomponnées
et respectées de la même façon !

Et pendant mon séjour...

un jour, dans les bois,

je regardais une feuille

et j'ai vraiment vu

la chose qui était vivante


dans cette feuille !

Je me revois encore

m'enfuyant à
travers bois, hurlant de rire...

J'étais dans cet état étrange

où le rire se mêle aux larmes.

J'étais sens dessus dessous !

En repartant de Findhorn,
j'avais sans cesse des hallucinations !

Je voyais des créatures


dans les nuages,

les passagers de l'avion


étaient des animaux féeriques...

Je flippais ! J'étais dans un univers


à la William Blake ! Tout explosait !

Alors immédiatement,
j'ai filé à Belgrade,

car je voulais parler à Grotowski.

On s'est retrouvé à minuit


dans ma chambre d'hôtel,

on a bu du Nescafé dans le couvercle


de ma boîte à savon,

et on a discuté

de minuit jusqu'à 11 heures


le lendemain matin !
Qu'a-t-il dit ?

Rien ! Je parlais sans arrêt,


Il n'a rien pu dire !

Ensuite,

je pense vraiment

que la dernière expérience majeure


a eu lieu l'automne suivant,

à Montauk, sur Long Island.

Nous étions neuf impliqués,


surtout des hommes,

nous étions chez Dick Avedon,


à Montauk.

Mais cette région...

Une région sauvage, comme la lande


des "Hauts de Hurlevent".

Ce que nous voulions faire,


c'est profiter

de All-Souls-Eve,
Halloween

comme base d'une expérience.

Chacun a préparé un happening


pour les autres,

dans l'esprit de Halloween.

Mais le plus grand,

est que 3 participants disparaissaient


au milieu de la nuit, chaque nuit

et nous savions qu'ils préparaient


une grande chose... Sans savoir quoi.

Et à minuit, le soir d'Halloween,


dans une nuit d'encre,

on nous a dit d'aller


en haut de la plus haute falaise...
On y est allés.

On a attendu longtemps.
Il faisait glacial.

Et puis, 3 d'entre eux...

Helen, Bill et Fred, avec des


habits blancs faits avec des draps...

C'était effrayant...
pas drôle du tout.

Et ils nous ont emmenés dans


un sous-sol d'une baraque en ruine.

Et là, ils avaient installé une table


et des bancs fabriqués par leurs soins.

Et sur cette table, il y avait du papier,


des crayons, du vin et des verres.

On nous a demandé de
nous asseoir à cette table

pour y rédiger nos dernières volontés


et notre testament...

une sorte de dernier


message au monde...

comme quelqu'un proche de la mort.

Et c'est une rude besogne !

Il m'a fallu une heure et demie,


peut-être deux.

Ensuite, un par un,


ils nous demandaient de les suivre...

et j'étais un des derniers...

On m'a mis un bandeau sur les yeux


et j'ai dû courir à travers champs

jusqu'à une cabane de jardinier

au fond du parc...
une petite cabane avec des outils.

On m'a fait descendre


des escaliers,

pour arriver dans ce sous-sol, une pièce


emplie d'une lumière froide et crue...

J'ai dû me dévêtir et leur remettre


mes objets de valeur,

on m'a allongé sur la table


et frictionné.

Il me venait des visions de... de...

de camps de la mort,
de police secrète !

J'ai eu une crise de larmes


incontrôlable !

On m'a remis debout


et on m'a photographié... nu.

Et, nu, les yeux bandés, on m'a emmené


au galop dans la forêt jusqu'à une tente

faite de draps
et des draps sur le sol.

Les autres étaient là, nus,


se pelotonnant pour se réchauffer.

Ils attendaient depuis une heure !

Et de nouveau, un par un,


on nous a emmenés...

On m'a remis mon bandeau

et j'ai senti qu'on m'allongeait


sur une sorte de civière.

Et la civière était transportée,


très lentement, à travers la forêt.

Et puis...

j'ai senti qu'on me laissait


glisser dans une fosse.

Ils avaient, en fait, creusé

six tombes...
profondes de près de 3 mètres.

Et j'ai senti

ces planches
dont on m'a recouvert...

Et je ne peux même pas te dire,


ce que je ressentais

Et puis...

J'étais au fond de cette tombe,

avec ces planches sur moi...

on a mis mes objets personnels


dans mes mains...

et on a tendu une sorte de drap


ou une bâche

au-dessus de ma tête,

puis on a jeté de la terre


dans ma tombe...

J'avais vraiment...

la sensation
d'être enterré vivant.

Après être resté dans la tombe


environ une heure et demie,

(je ne savais combien de temps


j'y resterais),

on m'a "ressuscité" et sorti


de la tombe, on a ôté le bandeau

et on m'a fait galoper


jusqu'à un grand feu de bois

avec musique et vin chaud...

et on a tous dansé
jusqu'à l'aube.

Ensuite, à l'aube...

du mieux qu'on a pu,


on a rebouché les tombes et...

on est rentrés à New York.

Ç'a été le dernier grand événement...


la boucle était bouclée.

J'en avais assez


de ces expériences !

Je ressentais un grand calme


tu sais ? Comme...

dans ce chapitre de "Moby Dick",


lorsqu'il n'y a plus un souffle de vent.

Et l'hiver dernier,
sans trop y réfléchir,

j'ai dit à cet agent que je connaissais


que je voulais mettre en scène à nouveau.

Naturellement, il a été
un peu surpris en voyant que

Rip Van Winkle


était toujours vivant !

Mon Dieu !

C'est si petit, les cailles ?

Tu sais ?

Toute cette histoire


me répugne un peu !

- Quoi ?
- Ben...

Pour qui je me prenais ?

Pour la pauvre petite princesse


trop gâtée ?

Pour qui je me prenais,


le Shah d'Iran ?

Je me demande si les gens


comme moi ne sont pas en fait
comme Albert Speer,
tu vois qui je veux dire ?

l'architecte de Hitler,
Albert Speer ?

J'ai pas mal pensé à lui récemment,


parce que...

Au fond, je suis Speer,

et il grand temps qu'on fasse


mon procès...

Comment ça ?

Il était très cultivé...


un architecte, un artiste,

qui refusait les lois ordinaires,


comme moi !

Je veux dire...

je pense vraiment

que tout ce que j'ai fait


est horrible.

Vraiment horrible !

Mon Dieu...
mais pourquoi donc ?

Tu vois ?

J'ai vu beaucoup de gens


mourir ces dernières années.

Et si j'en ai appris
quelque chose,

c'est qu'on meurt seul.


Ça, c'est une certitude.

Sur ton lit de mort, les amis,


les critiques... rien ne compte.

Tu meurs seul ! À ma mort,


je me demanderai seulement

quelle personne j'aurai été.


Et comment pardonner à un homme
qui a vécu comme j'ai vécu !

Pourquoi ressens-tu cela ?

Tu sais, j'ai eu des coups durs,


ces temps derniers, Wally.

ont été hospitalisés


en même temps.

Et ma mère est morte...

Et Marina a eu quelque chose


au dos, on était très inquiets.

Et donc, je me sens
au bout du rouleau.

J'ai des insomnies,

les nerfs à vif...

la moindre chose m'écorche...


La semaine passée,

un metteur en scène norvégien


est venu dîner.

Je le connais depuis des années,


je l'aime bien, je crois...

Et là,

je le trouvais pompeux,

agressif, bourgeois...

Il ne parlait que de théâtre. Sa mère


était une actrice célèbre là-bas,

et il a dit "Ça me rappelle maman"


au moins 400 fois !

Une histoire après l'autre,


à propos de sa mère,

que j'avais déjà


entendues 20 fois !
Il a sifflé tout mon Bourbon
en douce,

et son rire était horrible !


Je l'entends encore.

un rire désespéré, vide...


et qui était en fait

ce que sa mère
avait fait de lui.

J'ai dû gentiment lui


demander de partir...

en prétextant que je devais


me lever tôt... C'était insoutenable !

Comme s'il était mort


dans mon salon !

J'en ai pleuré...
j'avais perdu

un ami...

Après son départ,


j'ai allumé la télé,

et il y avait ce type
qui avait gagné un concours sportif.

Il a reçu un chèque et un vase.

Il a essayé d'y enfourner le chèque,

puis il s'est fait un masque


avec le vase...

Il n'écoutait pas
le journaliste

mais ricanait
pour ses amis...

Je me suis dit :
Quel horrible

rat vide et manipulateur !

Et je me suis dit :
"Ce salaud, c'est moi !"
Et hier, pour notre

on a vu le show
pour Billie Holliday.

Je regardais ces gens


du show business,

qui ne savent rien d'elle,


mais absolument rien !

ces pseudos-intellectuels !

Et je me suis dit, après


avoir pleuré tout le long du show...

je me suis dit :

Je suis aussi pourri qu'eux,


ma vie est un faux-semblant !

Je ne vaudrai jamais
Billie Holliday !

Je me suis vraiment dit...


que j'étais fichu...

Je suis un raté...
j'ai juste gâché ma vie !

Comment peux-tu dire ça ?

Tu vois...

Je suis peut-être
en plein désarroi, Wally...

mais depuis mon retour,


je trouve le monde très inquiétant.

L'autre jour, je suis entré


au Public Theater...

j'ai dit bonjour à tout le monde,


ce sont tous de vieux amis.

Eh bien, 7 ou 8 d'entre eux m'ont dit :


"Comme tu as bonne mine !"

Et une personne... une !


La femme qui s'occupe
de la distribution,

a dit : "Quelle tête !


Ça ne va pas ?"

Du coup, on a bavardé un moment,


évidemment,

et elle a soudain fondu en larmes,


parce que sa tante, qui a 80 ans,

est entrée à l'hôpital


pour une cataracte... on l'a guérie...

Mais la fille de salle


n'a pas remis les barreaux du lit,

la tante est tombée...


et est invalide à vie !

On parlait donc des hôpitaux

et cette femme, sans doute à cause de son drame,

arrivé très récemment,


elle a pu voir en moi

de façon très claire !

sans savoir
ce que j'avais traversé !

Mais les autres n'ont vu que

le bronzage, la chemise à fleurs,


et que ça allait bien ensemble

et ils m'ont trouvé bonne mine !

Ces gens vivent


dans un rêve insensé !

Ils ne voient rien.

- Ça me semble étrange.
- Oui !

On s'arrange pour ne rien voir,


à l'exception...

des détails
que l'on veut bien voir.

La même chose s'est passée...


juste avant

la mort de ma mère.

Nous sommes allés à l'hôpital


pour la voir.

J'avais hâte de la voir.

On aurait dit une rescapée


d'Auschwitz ou de Dachau...

Je réconfortais
mon père dans le couloir

quand un docteur

qui soignait un problème


qu'elle avait au bras

est arrivé dans la chambre,


rayonnant,

et a dit : "Nous avons


de bonnes raisons de nous réjouir !

"C'est merveilleux !
Son bras est presque guéri !"

Tout ce qu'il voyait,


c'était son bras.

C'est tout ce qu'il a vu !

Voilà ! Encore une personne

qui vit dans un rêve !

Et en plus, c'est un boucher !

Il a assassiné toute une famille,

parce qu'en entrant


dans cette chambre

il nous a tué psychiquement, en nous


forçant à entrer dans ses rêves,

nous laissant
désemparés et effrayés.

On vient de voir une femme


à l'agonie

et le "spécialiste" annonce
qu'elle est en pleine forme !

Mon père a failli perdre la raison !

Voilà un vieillard de 82 ans,


qui est très émotif,

il voit sa femme en train de mourir


ce qu'il ne veut pas,

et un médecin lui dit


qu'elle pète le feu...

C'est à devenir fou !

Je vois ce que tu veux dire...

Ce médecin n'a pas vu ma mère...

Mes amis du Public Theater


ne m'ont pas vu !

On erre dans une sorte


de brouillard.

On est en transes...

On marche tels des zombies !

On perd la conscience,
on ne réagit plus aux choses...

On ne que tourner
comme des machines sans âme...

Et pendant ce temps, la rage

et l'angoisse s'accumulent
de plus en plus en nous...

Oui, ça s'accumule

et puis...

ça explose à contretemps !
Quand on a monté

"Le Maître et Marguerite"


de Boulgakov,

je jouais le rôle du chat.

Mon costume a posé des problèmes

et il n'est arrivé que le soir


de la première.

Surtout la tête ! Que je n'avais encore


jamais pu essayer.

Quatre autres acteurs sont venus


dans ma loge

et ont blagué tellement, à croire


qu'ils voulaient me démolir.

L'un deux a dit :

"Eh bien...

"Avec ce masque,
tu n'entendras plus rien !

"tu vas tout entendre de façon déformée


et tu vas être déphasé !

"Moi, dans une pièce,


je portais un serre-tête

"et je n'entendais rien


de que les autres disaient !"

Un autre a dit : "Quand je porte


ne serait-ce qu'un chapeau en scène,

"je m'évanouis !"

Ces commentaires étaient


pleins d'hostilité...

Si je les avais écoutés,


ça m'aurait influencé

et j'aurais tourné de l'œil


sur scène !

Et pourquoi cette hostilité ?


parce qu'en fait,
ces gens m'aimaient bien.

Mais cette hostilité


provenait d'un sentiment

d'un revenez-y
d'une expérience passée !

Car d'une certaine façon,

la société d'aujourd'hui ne nous permet


d'exprimer nos sentiments

que bizarrement,
et indirectement !

Si on parle directement,
les gens deviennent fous !

Tu leur as dit tes sentiments


sur ce qu'ils t'avaient dit ?

Non...

D'ailleurs, je n'ai pas réagi


tout de suite, seulement après coup.

Et au mieux,
dans une telle situation,

même si j'avais su
ce que ressentais...

j'aurais dit... si j'avais été vraiment


contrarié... quelque chose comme :

"Ah oui ? comme c'est fascinant !

Et...

"je vais probablement m'évanouir,


ce soir ! Tout comme vous !"

J'en ferais autant !

Au lieu d'être direct,


on dit des choses insensées.

Après la mort de ma mère,


j'étais dans un plutôt sale état...
Un soir, je dînais avec trois amis,
dont deux l'avaient bien connue...

et tous les 3 me connaissent


depuis des années,

Eh bien, pendant toute la soirée,


on a consciencieusement évité le sujet.

Je ne cherchais pas
à leur infliger le récit

du chagrin que j'avais,


je t'assure, pas du tout !

Mais personne ne m'a dit : "Quelle


tristesse !" ou même "Tu vas bien ?"

Comme s'il n'était rien arrivé !


Ils blaguaient et riaient !

J'ai perdu les pédales et, quand


on a parlé d'un type que je déteste,

j'ai braillé
qu'on l'avait retrouvé noyé

avec le pénis rongé par la vérole,

et d'autres insanités !

Et plus tard, en rentrant, je pleurais :


je n'avais pas pu briser la glace.

Imagine, Wally, cette situation


dans une maison tibétaine...

La stupeur que ça provoquerait !

Ce serait très étrange, Wally !

Si 4 Tibétains se retrouvent, et qu'une


tragédie a frappé l'un d'eux

et qu'ils passent
toute leur soirée à rigoler !

Pour des Tibétains,

ce serait
un comportement inimaginable !
Mais pour nous, c'est normal !

En Afrique, on se serait fait


empaler vifs par des lances,

ça les aurait rendu fous !

on nous aurait pris


pour des bêtes dangereuses !

c'est un comportement
absolument aberrant !

Tout va bien, messieurs ?

Parfait !

Mais ici ça paraît normal.

On va dans toutes sortes de dîners


comme ça... et tout le temps !

Ces soirées ressemblent vraiment


à des cauchemars !

On n'y parle que par symboles,

on flotte dans une brume


de symboles et de fantasmes.

Personne ne dit ce qu'il pense,

et ils commencent à raconter ces blagues


qui sont, en fait, comme une sorte...

- de code secret !
- Exact !

Ce qui se passe très souvent


dans ces soirées,

c'est que chacun y va


de son petit fantasme,

tout le monde parle en même temps


et quelqu'un dit :

"Ce serait rigolo si Frank Sinatra


et Mme Nixon

"faisaient ci ou ça ensemble !"


Toujours des célébrités,
et des aventures grotesques !

Ou alors on se régale d'histoires


horribles... comme...

la mort de cette fille


dans la voiture de Ted Kennedy,

et on se tord de rire !

C'est vraiment stupéfiant !

C'est incroyable, on ne s'exprime


qu'à travers ces gags cauchemardesques.

Je ne comprends jamais ce qui se passe


dans ces soirées...

je perds toujours pied !

Tu vois...

Debby m'a dit, en sortant


d'un de ces dîners new-yorkais,

qu'elle avait fait un chemin


beaucoup plus long

entre la banlieue de Chicago de


son enfance et cette soirée New-Yorkaise

que sa grand-mère
n'en avait parcouru

entre les steppes de Russie


et la banlieue de Chicago !

Je suis sûr que c'est vrai !

Tu vois ?
Il est possible, Wally,

qu'on n'y comprenne rien, mais que


c'est pour cela qu'on s'y rend !

Chacun fait son numéro !

C'est pour ça que Grotowski


a lâché le théâtre.
Il sentait

que les gens jouent tellement


dans leur propre vie

que le théâtre devient superflu,

et dans un sens, obscène !

N'est-il pas incroyable

qu'un médecin ressemble souvent


à l'idée qu'on se fait d'un médecin ?

le terroriste qu'on voit à la télé


a une gueule de terroriste !

On vit dans un monde où...

les pères,
les célibataires, les artistes,

essaient de ressembler
à l'image convenue

du père, du célibataire, de artiste


telle qu'elle doit être !

Ils se comportent exactement

tels qu'ils doivent le faire


dans chaque situation,

et ils semblent absolument seuls !

Car ils sont embrouillés et


ne savent plus que faire de leurs vies,

Ils auraient besoin de manuels !

Un livre pareil serait très touchant,


car il montrerait

combien nous sommes désespérement


curieux de savoir comment les autres...

s'en tirent dans leurs vies !


Même si,

on met un masque pour cacher


sa propre vérité à tous les autres !
Nous avons
une ridicule ignorance des autres !

On ne ne sait pas les choses importantes


même de ses amis les plus proches !

Je veux dire...

Supposons qu'on ait


un drame dans sa vie,

on voudrait savoir si un ami


a vécu un drame similaire,

mais on n'ose pas demander.

Eh non ! Il devrait jeter son masque !

On refuse d'accorder toute valeur


à cette perception de la réalité.

Au contraire, cette importance énorme


que l'on accorde à ce qu'on l'on appelle

notre "carrière",
rend automatiquement

que cette perception de réalité


devient secondaire !

Si ta vie n'est organisée qu'autour


de ton ascension et de ta"carrière",

ce que tu ressens ou ce que tu vis


n'a plus aucune importance !

Il n'y a plus qu'à fermer son esprit


pendant des années,

et on branche
le pilote automatique !

Exactement comme le médecin de ta mère


était sur pilote automatique

quand il est entré et regardait son bras


en échouant à voir autre chose !

Notre esprit se braque


sur ces buts et ces projets

qui sont eux-mêmes hors du réel.


Ces buts et ces projets ne sont pas...

Ce ne sont que des fantasmes !

Ils font partie d'une vie rêvée !

On voit parfois ces gens


qui semblent ridicules à vouloir

obtenir ce que tout le monde doit avoir,


qui s'accrochent à ces petits buts,

des rêves absurdes


et interchangeables...

Oui, ils se concentrent tant


sur leurs "projets"

qu'ils finissent par vivre


machinalement,

comme ce Norvégien qui ressassait


l'histoire de sa mère.

La vie devient une habitude...

Désormais, c'est ainsi.

Rappelle-toi ce scandale,

quand Marlon Brando a envoyé


cette Indienne recevoir son Oscar !

Ce genre de choses
est devenu rarissime !

Si on ne fonctionne plus
que par habitude.

Alors, on ne vit pas vraiment !

En Sanscrit, le verbe être et


le verbe cultiver ont la même racine.

Je t'ai parlé de Roc ?

Roc était un homme merveilleux.

Un des fondateurs de Findhorn...

En Écosse, il était un des...


il était le meilleur
mathématicien d'Écosse

et un des grands mathématiciens


du siècle !

Il se vantait fièrement
du fait qu'il n'avait

aucun fantasme,

aucun rêve...
absolument rien !

Aucune vie imaginaire !

Rien qui puisse s'interposer et


sa perception des mathématiques.

Un jour, dans les années 50,


dans un jardin public d'Édimbourg,

il a vu un faune.

Le faune a été surpris, car tous


les faunes peuvent voir les humains,

mais très peu d'humains


peuvent les voir !

Tu sais, cette créature féerique ?

Pas un cerf...

C'est un faune, non ?

Ce n'est pas le petit du cerf ?

Non, ça c'est un faon,


je te parle de... de...

Ah, celui de Debussy !

Voilà !

Roc se lie avec ce faune,

et puis avec d'autres...


s'ensuivent de grandes conversations...

De plus en plus de faunes


viennent le rencontrer,

et il parle avec eux...

Et un soir, quand ils sont


devenus intimes,

ils lui proposent


de rencontrer Pan.

Pan voudrait le rencontrer mais


il a très peur de l'effrayer,

car il sait que


la conception chrétienne le représente

comme une créature diabolique,


ce qu'il n'est pas !

Roc accepte de rencontrer Pan,


ils se voient...

et Pan lui a indirectement inspiré


le voyage durant lequel il a connu

les gens avec qui


il a fondé Findhorn !

Roc faisait toutes sortes


d'exercices, comme...

Par exemple, étant droitier,

il se forçait à tout faire


de la main gauche, un jour entier.

Manger, écrire, ouvrir la porte...

Pour rompre ses habitudes de vie.

Car, le vrai danger, à ses yeux,

c'était l'engourdissement
né de la routine.

Il avait toute une série

d'exercices simples
qu'il avait inventés

pour mieux voir,


mieux sentir,
mieux se souvenir...

Tout ça, il faut l'apprendre !

Jadis, c'était inutile, mais


aujourd'hui, il faut réapprendre...

Par exemple : a-t-on faim ?


Ou s'empiffre-t-on...

Comme toi maintenant !...


Par habitude ?

Puisqu'on en a les moyens,

qu'on ait faim ou pas !

Au Centre du Bouddha
de la Méditation,

on te force à savourer chaque


bouchée... ça prend 2 horribles heures

pour déjeuner !

Mais tu as conscience
du goût des aliments.

Si on mange par habitude,


on ne sent rien,

on est pas conscient


de la réalité des choses,

on erre dans l'imaginaire


à nouveau.

Peut-être...

vit-on dans
cet univers imaginaire

parce qu'on fait trop de choses,

et que, en quelque sorte,

on ne voit plus rien ?

Je pensais à un truc...
À Noël dernier,
on nous a offert
une couverture électrique.

Et je peux dire que c'est...

un progrès vraiment merveilleux,

dans nos vieilles habitudes.

C'est simplement génial !

Mais...

ça change tout
d'avoir cette couverture.

Parfois ça m'étonne tant


que je me demande ce qui m'arrive.

J'ai le sentiment que...


je ne dors plus comme avant.

Bien sûr !

Je veux dire...

mes rêves sont différents !

moi-même, je suis différent


en me réveillant !

Je ne mettrais ça sur moi


pour rien au monde !

Je craindrais d'être électrocuté...

Je me méfie de la technologie !

Mais le plus important,


c'est que

je pense surtout
que ce genre de confort

ne te débranche
de la réalité.

Imagine-toi sans ce gadget :

si tu as froid,
tu rajoutes une couverture
ou tu sors des manteaux du placard,
et tu les rajoutes dessus

parce que tu sens le froid !

Ça déclenche des réactions :

tu as pitié de ta compagne...
"A-t-elle froid ?

"Tant de gens ont froid


dans le monde ! Quel nuit glaciale !

"J'adore le froid !
Je n'avais jamais remarqué !

"Ôtons la couverture ! C'est drôle !


Je me serre tout contre toi !"

Des tas d'idées te viennent !

Mais ta couverture électrique

est comme un tranquillisant,

ça te décervèle comme la télé

et tu replonges dans l'irréel !

C'est dangereux de vivre


dans un environnement

où les saisons,

l'hiver... le froid...
ne nous font plus rien !

Or, on est des animaux !

Ça signifie quoi ?

Ça veut dire

qu'au lieu de vivre


avec le soleil, la lune...

le ciel, les étoiles,


on vit dans un monde de fantasmes !

Peut-être... mais j'y tiens


à ma couverture chauffante !
New York est glacial en hiver,
notre appartement est glacial !

Notre climat est rude !

Notre vie
est assez difficile comme ça,

pas question de renoncer


à ce brin de confort !

Au contraire, je veux
encore plus de confort !...

car je trouve ce monde


très abrasif !

J'essaie de me protéger

parce qu'on est harcelé


par cette abrasion de toute part.

Mais Wally ! Tu ne vois pas

que ce confort est dangereux ?

Tu aimes le confort,
et j'aime le confort aussi,

mais le confort te plonge


dans un dangereux engourdissement.

Ma mère avait une amie,

Lady Hatfield, une des femmes


les plus riches du monde,

qui est morte de faim


à force de ne manger que du poulet.

Elle n'aimait que ça...


et ne mangeait que ça ! et en fait,

Son corps était affamé,


sans s'en rendre compte.

Elle était heureuse avec son poulet


et finalement elle est morte !

Je crois vraiment

que nous sommes


comme Lady Hatfield.

On vit douillettement
avec des couvertures et du poulet

mais on meurt de faim

parce qu'on a perdu contact avec le réel


que nous sommes en carence !

On ne voit même plus le monde,


ni soi-même,

ni comment les autres


réagissent à nos actes.

Tu as lu "Le Hassidisme"
de Martin Buber ?

- Non.
- Il a une autre vision...

Il parle des croyances


des juifs hassidiques :

il y a des esprits enchaînés


partout, enchaînés à toi, à moi...

enchaînés à cette table...

et...

la prière est l'action qui délivre


ces esprits embryonnaires.

Chacun des nos actes...

qu'on fasse des affaires,

qu'on fasse l'amour,


qu'on mange ensemble,

chacun de nos actes


doit être une prière,

une sorte de sacrement.

Mais vit-on comme ça ?

Pourquoi pas, à ton avis ?

Je pense que si on se regardait vivre


chaque jour, on en aurait la nausée !

Et notre façon
de traiter les gens !

Chaque jour, et plusieurs fois par jour,


quand je passe ma porte, le portier

m'appelle "Monsieur Gregory"


et je dis "Jimmy".

Quelle différence y a-t-il entre ça

et les façons d'un fermier sudiste


avec ses esclaves ?

Je pense vraiment que je commets


un meurtre en passant cette porte !

Voilà un homme digne, intelligent,


et nous avons le même âge !

En l'appelant Jimmy,

je fais de lui un enfant


et de moi, un adulte nanti !

C'est très vrai.

À l'époque où j'étais
prof de latin,

on ne me traitait pas très bien,


je veux dire...

quand j'allais dans une soirée

de professionnels,
d'intellectuels ou d'écrivains,

on me traitait...

au sens le plus littéral... Heu...


Comme un chien !

On ne mettait pas en doute

ma capacité de participer
d'égal à égal à la conversation.

Donc tu vois, je conversais


avec ces gens, mais quand...
on me demandait ce que je faisais,

comme ça se fait toujours


au bout... de 5 minutes !

Eh bien, leurs visages... même si


mes propos les passionnaient,

même si on me faisait du plat...

leurs visages tombaient soudain,


comme une herse !

ces portails de château-fort...

et ils s'éloignaient !

Je vivais littéralement
comme un chien !

Quand Debby était secrétaire,

si elle disait ce qu'elle faisait,


les gens devenaient dingues !

Comme si elle avait dit :

"J'ai été condamnée à vie


pour meurtre d'enfant !"

Et mon Dieu, quant tu parles


de notre attitude envers les autres...

moi-même, je m'estime,

comme quelqu'un...

de bon et... respectueux,

car je pense être assez amical avec


les gens que je croise chaque jour !

Quand je pense à moi


sans suffisance aucune,

je trouve que je suis


un type très bien...

Au moins,
dans mon monde qui consiste
dans le petit cercle de gens
qui sont mes amis

ou les quelques personnes


de notre monde et de nos hobbies,

le théâtre et autre...

Je suis plutôt satisfait,

plutôt content de moi.


Je n'ai rien à me reprocher...

Voyons les choses en face, il y a autour


de moi un univers énorme que j'ignore,

et je ne me sens pas coupable


de vivre à ma guise.

Si j'étais finalement un jour confronté


au fait de partager la scène

avec un crève-la-faim d'Afrique,

je serais sans doute moins faraud.

Alors, j'expulse tous


les crève-la-faim de mon horizon.

Alors... Bien sûr...

J'efface délibérément
une bonne partie du monde.

Mais, franchement...

Tu vois ?
Quand j'écris une pièce,

j'essaie, entre autres...

ce que j'essaie de faire, c'est de me


colleter avec des morceaux de réalité !

et je tente de les faire


partager au public.

Mais bien sûr...

On sait tous,

que le théâtre est


dans un triste état.

Il y a quelques années,
les amateurs de théâtre disaient :

"Le théâtre est mort !"

À présent, chacun a redéfini le théâtre


d'une façon si triviale

que je connais des professionnels

qui vont voir


des pièces aujourd'hui...

Il y a 10 ans, ces mêmes personnes


auraient fui devant ces pièces !

Ils auraient reculé d'horreur


devant tant de superficialité !

Aujourd'hui, il disent : "C'est


pas mal du tout !" C'est incroyable !

Et je trouve vraiment cette attitude...

insupportable ! Car je crois vraiment


que le théâtre a une mission

vraiment importante !

Je pense vraiment que le théâtre peut


mettre les gens en contact avec le réel.

Peut-être que ton sentiment


à ce propos est que tu trouves ça

totalement absurde...

Wally !

Tout le dilemme est là !

Tu ne tiens pas compte


de l'époque dans laquelle on vit.

Oui, c'est ça
la mission du théâtre !

Je l'ai toujours dit !

À mes débuts, j'ai mis en scène


"Les Bacchantes" à Yale.

Lorsque Penthée est tué


par sa mère et les Furies,

on rabat un arbre,

on l'y attache,
et puis on le projette en l'air,

à travers l'espace pour le tuer,


puis on le taille en pièces

on lui coupe la tête...

Ma première réaction a été


de trouver une tête à la morgue

et la faire circuler dans le public !

Je voulais qu'Aguavé
exhibe une vraie tête

et que cette tête circule


à travers le public,

pour qu'en sorte, les gens voient


que c'était réel !

Une vraie tête !

Mais l'actrice
qui jouait Agavé a refusé !

Gordon Craig disait :

"Pourquoi l'or et l'argent sont-ils


réservés aux églises et aux cathédrales,

"les acteurs devraient revêtir


cet or et cet argent !"

Les gens qui ont vu Eleonora Duse


à la fin de sa vie,

ceux-là ont dit qu'ils avaient vu


une lumière sur scène,

la quintessence de la vie !

Prends Bertold Brecht...


Il a créé une forme de théâtre
que les gens peuvent scruter

mais divertissant et captivant,

mais où le divertissement
ne prend pas le pas sur le fond...

C'est cette fameuse distanciation


entre la pièce et toi...

en fait, la même qui existe


dans un couple !

Aujourd'hui, le théâtre peut-il


offrir au public ce que Brecht,

Craig ou la Duse lui ont offert ?

Est-ce possible aujourd'hui ?

Je pense que les gens, aujourd'hui,


sont si anesthésiés

qu'à part ces pièces superficielles


qui les aident à bien dormir,

il devient très dur de savoir


quoi monter au théâtre !

Tu vois...

Si on monte des pièces sérieuses


contemporaines,

comme les tiennes,

on aide peut-être seulement


à endormir le public autrement.

Comment ça ?

Ce que je veux dire,


Wally...

Comment le public réagit-il

quand on lui montre ces pièces


où les gens sont...

totalement isolés, incapables


de communiquer... désespérés ?
Comment réagit-il
devant des pièces

dépeignant que le monde est vide, rempli


de sexe, de terreur ou de violence ?

Sa conscience
va-t-elle s'éveiller ?

Je ne le crois pas.

Parce que l'image du monde


qui est dépeinte dans une telle pièce

est la même que


celle du monde où ils vivent.

Tu comprends ?
Ils savent déjà que leur vie

et leurs relations sont difficiles


et pénibles...

Quand ils regardent les informations,

tout ce qu'il voient,


c'est un univers terrifiant et chaotique

fait de viols, de meurtres, de mains


tranchées par des rames de métro,

de gosses qui jettent


leurs parents par les fenêtres...

Et la pièce

confirme que leur vision du monde


est la bonne et qu'il n'y pas d'issue !

Qu'il n'y a rien à faire !

Et ils deviennent passifs,


impuissants...

Repense à quelque chose


comme ce baptême,

que mon groupe


m'a offert en Pologne.

Il contenait tous
les ingrédients du théâtre.

Ça a été travaillé et pensé


consciencieusement,

et exécuté avec
un goût exquis et magique.

Ils ont créé quelque chose !

Dans ce cas présent,


juste pour un seul spectateur,

juste pour moi !


Mais ils ont créé quelque chose.

Avec des rites, de l'amour,


des surprises,

un début, un milieu
et une fin...

un incroyable et magnifique
moment de théâtre !

Et son impact sur moi comme spectateur


a été plus que positif,

Cela ne m'a pas tué


mais ressuscité !

Oui, mais tu penses qu'il est


impossible que...

N'est-il pas gênant


d'en arriver à la conclusion

qu'on ne peut "ressusciter" les gens


qu'en les impliquant dans un étrange...

baptême en Pologne ou une étrange


expérience au sommet de l'Everest ?

Parce que...

Le tragique là-dedans, c'est que...

Si tu dis vraiment
qu'il est nécessaire

d'emmener tout le monde


sur l'Everest, ça va être compliqué !
Tout le monde
ne peut pas aller sur l'Everest !

Il y a bien eu des périodes dans


l'Histoire où il était possible de...

"sauver les patients"


sans ce remède de cheval !

Où les gens pouvaient avoir


des expériences fortes et pleines de sens

sans aller sur l'Everest !

Aujourd'hui, dans un sens,


il le faut !

Il fut un temps où il suffisait


de lire, je ne sais pas...

"Sens et Sensibilité" de Jane Austen

et je suis sûr que les gens


ressentaient une émotion vraie !

Je suis sûr de ça !

Toi, tu dis que


ce n'est plus possible.

Peut-être... mais alors, aucune


sorte d'écrits ou de pièces ?

Est-il possible que cette réalité


ne soit jamais vue par le public ?

Vraiment ! Dis-moi !

Pourquoi faudrait-il grimper sur


l'Everest pour pouvoir voir la réalité ?

Le Mont Everest est-il plus réel


que New York ?

Ce n'est pas réel, New York ?

Tu vois, je pense que...

si tu prenais
vraiment conscience
de ce qui existe

chez le marchand de cigares


à côté du restaurant,

tu en serais renversé !

Il y a autant de réalité
chez ce marchand de cigares

qu'en haut de l'Everest !

Non seulement le Mont Everest


n'a pas plus de réalité,

mais il est à peine différent,

parce que la réalité est uniforme,


en un sens.

Si tes facultés de perception, et ton


mécanisme interne marche correctement,

il devient inutile de monter


sur l'Everest, c'est même absurde !

Parce que...

je sais bien que


le Mont Everest est différent

d'une boutique de cigares


de la 7ème Avenue, mais...

Je suis d'accord avec toi, Wally !

Mais le problème c'est que les gens


ne voient plus cette boutique !

Les gens n'y réagissent plus


comme autrefois.

Il est très possible


que d'ici dix ans,

on paiera 10 000 $
pour se faire castrer, juste

pour avoir une petite émotion !

Pourquoi, à ton avis ?


Pourquoi ça ?

Parce que les gens sont paresseux ?


Qu'ils s'ennuient ?

Est-ce que nous sommes comme


des enfants trop gâtés qui s'ennuient

en pataugeant dans la baignoire

avec un canard en plastique


à deux sous, en ronchonnant :

"J'sais pas quoi faire !" ?

Ok. Oui !

On s'emmerde !

On s'emmerde tous !

Mais ce processus qui conduit à cette


morosité que l'on observe désormais

alimente peut-être une entreprise


inconsciente de lavage de cerveau

mise en place par un totalitarisme


basé sur le fric !

C'est plus dangereux


qu'on ne croit !

Ce n'est pas qu'une question


de survie individuelle, Wally,

c'est que, si on s'emmerde,


on dort,

et l'homme qui dort


ne sait plus dire non.

Ces gens, j'en vois partout !

Il y a quelques jours, j'ai vu cet homme


que j'admire beaucoup,

ce physicien suédois,
Gustav Bjornstrand, et il m'a dit...

qu'il ne regardait plus la télévision,


ne lisait plus les journaux
ni aucun magazine.

Il a arrêté complètement !
Parce qu'il est persuadé

qu'on vit dans un cauchemar


à la George Orwell

et que tout ce qu'entend


contribue à nous changer en robots.

Et à Findhorn, j'ai rencontré


ce formidable expert en arbres,

qui a voué sa vie


à la protection des arbres.

Revenant de Washington
pour y défendre Redwood !

À 84 ans,
il voyage avec un sac à dos,

il ne sait jamais
où il sera demain !

À Findhorn, il m'a demandé :

"D'où êtes-vous ?"


"New York."

"Ah, c'est intéressant,


New York !

"Vous connaissez des New-Yorkais


qui rêvent de partir ?

"et ne le font pas ?"


J'ai dit : "Oh oui !"

"Pourquoi d'après vous ?"


J'ai répondu des banalités

et il a dit :
"Ce n'est pas ça du tout.

"New York est le nouveau prototype


du camp de concentration,

"bâti par les détenus eux-mêmes,


"et sont leurs propres gardiens.

"Et ils sont fiers d'avoir


bâti leur propre prison !

"Il vivent en état de schizophrénie,


à la fois gardiens et détenus.

"Il en résulte qu'ils ne voient pas


qu'ils sont lobotomisés, donc incapables

"de quitter leur prison, ni même


de voir que c'est une prison."

Il a fouillé dans sa poche


et a pris une graine en disant :

"C'est un pin."

Il me l'a donnée en disant :


"Filez, avant qu'il ne soit trop tard !"

En fait, tu vois...

Depuis 2 ou 3 ans,

Chiquita et moi, avons ce sentiment


inconfortable que nous devrions partir !

On se sent comme
des Juifs Allemands en 36.

Il faut fuir !

Mais la question c'est : où aller ?

Car il semble évident que le monde


entier va dans la même direction !

Je pense qu'il est très possible

que les années 60 aient vu


l'ultime manifestation

de l'homme
avant l'extinction finale.

Et que c'est le début d'une ère nouvelle.


Et que désormais,

Nous ne serons plus que des robots


marchant en tous sens,
ne ressentant rien,
ne pensant à rien...

Et il ne restera presque personne

pour rappeler qu'il existait jadis


une espèce appelée "race humaine"

douée de sentiments et de raison...

L'histoire et la mémoire
sont d'ores et déjà effacées,

et bientôt, personne ne se souviendra


que la vie a existé sur cette planète.

Bon... Bien sûr Bjornstrand

pense qu'il n'y a


vraiment aucun espoir

et que nous allons revenir


à une période

sauvage, sans lois,


et terrifiante !

À Findhorn, les gens


pensent un peu différement.

Ils pensent qu'il restera des poches de


lumière en différents endroits du monde,

une peu comme des planètes invisibles


sur cette planète...

Et à mesure que le monde refroidira,

nous pourrons faire


des voyages invisibles sur ces planètes,

afin de "faire le plein" de ce dont


notre planète a besoin,

et revenir.

Ils pressentent
qu'il y aura des centres

où les gens pourront bâtir


un nouvel avenir pour le monde.
Et quand j'en parlais
à Gustav Bjornstrand,

il me disait que ces centres


étaient en train de naître partout...

Et ce qu'ils essaient de faire,


comme Findhorn le fait,

et comme j'essaie moi-même...

On ne peut pas vraiment le nommer.

Mais en un sens, ce sont


des tentatives pour créer

un nouveau genre d'écoles,


un nouveau genre de monastères.

Et Bjornstrand pense aussi


à un concept de "réserves"

des îlots où
l'on préservera l'Histoire...

où l'homme pourra continuer


de survivre

afin de perpétuer l'espèce


à travers cet âge de ténèbres.

En fait, nous parlons bien


de "maquis" !

qui existait déjà de manière


différente au Moyen-Âge

dans les ordres mystiques


de l'Église.

Et le but de ce "maquis"

est de trouver comment


préserver la lumière,

la vie,

la culture...

Comment garder
les choses vivantes !
Je continue de penser que
nous avons besoin d'un nouveau langage,

un langage du cœur,

celui de cette forêt polonaise,


où les mots étaient inutiles,

une sorte de langage entre les gens qui


sera une sorte de nouvelle poésie.

La poésie des "abeilles-danseuses" quand


elles se disent où se trouve le miel.

Et je crois que pour


créer ce langage,

il faudra apprendre à regarder


à travers le miroir...

à travers une nouvelle perception,

où nous aurons
ce sentiment d'être lié

avec toute chose.

Et soudain...

Nous comprendrons tout !

Voulez-vous un dessert ?

Je prendrai juste un espresso.

Je... je prendrai la même chose.

Merci.

Et...

J'aimerais aussi un amaretto.

Bien, monsieur.

Merci.

Tu sais, Wally ?

Ils ont bâti une maison incroyable


à Findhorn.
L'architecte n'avait
jamais rien conçu !

Il écrivait des livres pour enfants !

Certaines personnes voulaient


un centre de méditation,

d'autres, une salle de lecture...

mais les plus mystiques de la communauté


avaient un autre plan :

Ils voulaient en faire un vaisseau


spatial qui s'envolerait la nuit

pour informer les OVNI


du meilleur endroit pour atterrir

et qu'ils y trouveraient des amis.

Le problème, c'était que le toit


devait être massivement solide

car il devait à la fois


protéger la maison,

et être capable de s'envoler


à la rencontre des soucoupes volantes !

Alors, l'architecte
a médité et médité encore,

et il en est arrivé
à la solution la plus simple :

ne pas fixer le toit aux murs.

Mais il risquait de tomber : car il y a


des tempêtes terribles en Écosse !

Pour s'en prémunir,

il a ramassé
des galets sur la plage,

enfin, "nous",
car j'y ai contribué !...

et on les a déposé sur le toit,


Et l'idée, c'était que l'énergie

pourrait passer de pierre en pierre

de façon si forte, qu'elle puisse


maintenir le toit en place,

en toute situation,

tout en lui permettant


de s'envoler la nuit !

Eh bien !

Ça a marché !

L'architecte ne savait pas pourquoi !

Ça n'aurait pas dû ! Ça devait


tomber ! Mais ça a marché !

Les tempêtes ont soufflé, ça aurait


dû tomber... mais ça a tenu !

Ouaip.

Et bien...

Tu veux connaître
ma réaction à tout ça ?

- Ma réaction profonde ?
- Oui !

Eh bien, ma réaction...

Eh bien...

c'est que moi...


j'essaie juste de survivre !

Tu vois ? J'essaie juste


de gagner ma vie...

J'essaie juste de payer le loyer


et mes factures...

Je vis ma vie,

j'aime rester
à la maison avec Debby,
je lis l'autobiographie de
Charlton Heston...

et ça me suffit !

Et puis, de temps à autre,

Debbie et moi, on sort...


on va à une fête ou autre...

Et quand je réussis
à exercer mon petit talent

et à écrire une "petite" pièce,


C'est merveilleux !

J'adore lire les autres "petites" pièces


que les confrères ont écrites,

lire les commentaires sur ces pièces,


ce que les gens en ont dit,

et les commentaires
des commentaires.

Et puis j'ai aussi

une liste de mes corvées


et des choses à faire

dans un calepin,
et j'aime

regarder dans le calepin

regarder ce que j'ai à faire,


m'en occuper,

et le rayer de la liste !

Et je veux dire que je ne comprends pas


qu'on puisse trouver mieux

que ce que moi, j'apprécie, quand...

je lis l'autobiographie
de Charlton Heston !

Ou encore...

ou me lever le matin
et boire cette tasse de café froid
qui m'a attendu depuis la veille
au soir pour être bue ce matin...

et qu'il n'y a dedans aucun cafard mort


qui s'y soit noyé durant la nuit !

C'est une telle joie de me lever

et de trouver ce café
juste comme je l'aime...

J'ai du mal

à imaginer que quelqu'un puisse


trouver plus de plaisir en dehors de ça !

Bien sûr, si un cafard


s'est noyé dans mon café,

je suis un peu triste, j'avoue...

Mais bon...

Mais je pense que je n'ai pas besoin


de beaucoup plus que ça...

Tandis que toi,


tu sembles affirmer que...

qu'il est inconcevable d'avoir


une vie constructive aujourd'hui,

que l'homme va être anéanti,

qu'il faut se terrer


dans des "réserves" !

J'ai peine à y croire...


et même que tu y croies !

Tu ne trouves pas ça...

agréable,

de te lever le matin,
et il y a Chiquita et les enfants,

Et le "Times" est arrivé,


tu peux le lire...

on va te proposer une pièce,


ou peut-être pas...

Mais on oublie cette pièce


à faire ou non !

Pourquoi faut-il... ?

Détends-toi,
et savoure les détails de la vie !

Une bonne tasse de café,


une part de moka...

Pourquoi demander plus ?

Il ne faudrait même pas y penser !

En fait, je ne comprends même pas


de quoi tu parles !

Du moins, je sais de quoi tu parles

Mais je ne comprends pas


de quoi tu parles !

Et même, si j'étais d'accord


avec toi,

même si j'acceptais l'idée qu'il n'y a


plus aucun espoir pour personne d'avoir

du bonheur dans la vie,

je refuserais de croire

que la seule façon de vivre


merveilleusement est de totalement

rejeter la civilisation occidentale

et de retomber
dans des croyances magiques !

Je ne sais même pas comment


on en est venu à parler de ça !

Au Moyen-Âge,

avant l'avènement de la pensée


scientifique, comme aujourd'hui,

on croyait n'importe quoi,


tout était vrai...

on "voyait" la statue de la Vierge


pleurer ou saigner...

Mais ce qui est merveilleux,

c'est le développement
de la science occidentale,

les choses qu'on a commencé lentement


à savoir et à comprendre.

Je veux dire... tu vois ?

Les théories scientifiques


sont sans cesse remaniées,

et c'est le noeud !

mais on sait en tout cas


que l'univers a un sens et un ordre...

Et que les arbres ne se changent pas


en humains ou en dieux !

On ne croit plus n'importe quoi !

Mais ce sont les choses dont toi,


tu parles !

Ces mains que tu as vues


dans un livre,

il y a ces trois André,

et cet Antoine de Saint-Exupéry,

pour moi,
c'est une simple coïncidence :

je dis qu'on a publié ce livre

pour des raisons normales.

Mais toi, tu prétends que ce bouquin,


édité voilà 40 ans,

a été mystérieusement conçu


pour toi seul !

Je veux dire...
Bon, disons...
Si j'ouvre

un gâteau-horoscope
dans un restaurant chinois...

même si je n'y crois pas,

je ne le jetterai pas !
Je le lirai !

Je le lirai et...

et instinctivement... si ça dit un truc comme :

"une conversation avec


avec un homme brun sera..."

importante pour vous", je me dirai :


"Est-ce que je connais cet homme brun ?

"Avons-nous parlé, et de quoi ?"

En un sens,

quelque chose en moi


me forcera à le lire

et à l'interpréter instinctivement
comme un présage.

Mais, dans mon entendement conscient,


le point d'appui de toute ma vie,

il faudrait que je change totalement


pour ne plus avoir cet entendement,

je me dis que cet horoscope


a été imprimé dans l'usine de gâteaux

il y a des années
et ne me concerne pas.

Tu vois ?

Le fait est que le type


qui a écrit ça

ne pouvait rien savoir de moi.

Il ne le pouvait pas !
Aucune raison que ce gâteau ait à voir
avec moi, c'est de la blague !

Si, au moment de prendre l'avion,

un horoscope me dit :
Ne pars pas !"

Je l'admets, je serais
un peu nerveux

pendant une seconde...


Mais en fait,

je partirais quand même !

Parce que l'issue de ce vol


dépendra de l'état de l'appareil

et du pilote... et ça,
le gâteau ne peut pas le savoir !

Et c'est la même chose pour


les prophéties, les présages et autre !

Parce que si on croit aux présages,


ça signifie que l'univers...

Je ne sais pas comment dire ça !...

que le futur envoie des messages


au présent... en remontant le temps !

Ce qui veut dire que


le futur existerait à l'avance

pour pouvoir
nous envoyer ces messages !

Et que l'univers n'existe que pour


nous adresser des messages !

Or, l'univers existe


en dehors de nous !

Ça ne veut rien dire !

Si un oeuf de tortue
tombe d'un arbre

et qu'il s'écrabouille
sur la chaussée,

c'est par maladresse...


c'est un accident !

Mais décider d'envoyer mes navires


au combat sur un tel présage,

ce serait une erreur !

Et sur quelle base d'information


les enverrais-tu au combat ?

Car, si rien n'a de sens,

quelle différence entre l'horoscope et


les statistiques de la Fondation Ford ?

C'est du pareil au même !

Le "présage" de l'horoscope
ou de l'œuf de tortue

est sans rapport


avec l'événement qu'on analyse,

mais l'interprétation scientifique

peut expliquer des données


apparemment décousues.

L'avantage du raisonnement
scientifique,

c'est qu'il se fonde sur des tests


qu'on peut répéter.

Tu as raison, Wally...

Obéir aux présages,

c'est sans doute


une façon de se défiler.

Et ainsi, nous n'avons pas à prendre


nos propres responsabilités.

Accepter l'inconscient,
c'est prêter le flanc

à toutes sortes de
très effrayantes manipulations.
J'ai toujours côtoyé ce danger-là,

et aussi le risque de peser


sur la vie des gens...

En dirigeant un atelier théâtral,


je deviens un peu médecin,

un peu thérapiste...
un peu prêtre...

Or, je ne suis rien de tout cela !

Et du reste,

ces nouveaux "monastères", ces nouvelles


communautés dont on parlait,

s'institutionnalisent déjà !

Ils ont même


des tendances fascisantes.

Il se crée même une paranoïa


arrogante et élitiste,

"eux"... contre "moi" !

C'est très inquiétant !

Et pourtant, Wally, c'est le culte


exagéré de la science

qui a provoqué cela.

On attribue à la science
le pouvoir magique de tout régler.

Mais elle a fait l'exact contraire :


elle a tout détruit !

Et voilà la vraie raison


de ce profond rejet de la science

qu'on observe actuellement.

La montée du nazisme en Allemagne


dans les années 30

était probablement aussi


une réaction contre la tyrannie
de la culture
et de la pensée rationnelle.

Je suis donc d'accord avec le fait


qu'il y a un danger potentiel,

mais la science moderne


est tout aussi dangereuse !

Je suis d'accord avec toi...


Complètement d'accord.

Mais tu vois...
La vérité, c'est que...

je crois que je sais

ce qui me gêne, dans le travail


que tu fais, mais comment te l'exprimer,

il me semble que

tout ce travail que tu fais


avec ces ateliers de comédiens...

C'est que le but de tout cela,

c'est que ça vise à permettre aux


participants et à toi-même... d'éliminer

toutes les utilités positives


contenues dans votre travail...

afin d'expérimenter une sorte


d'apesanteur de l'être.

Pour voir l'effet que ça ferait

de vivre certains moments


dans une totale inactivité.

Et là, je ne suis pas d'accord.

Je refuse la notion
de ces moments privilégiés

où l'on doit cesser d'agir.

Agir est dans notre nature,

C'est une nécessité...


Et de façon tenace,

c'est une part qui est...

inhérente à notre structure humaine.

Affirmer qu'on peut vivre sans agir,


ça revient à dire

qu'un arbre peut vivre


sans branches ni racines.

Or, sans branches ni racines,


ce n'est plus qu'un tronc !

Tu vois ce que je veux dire ?

Si je suis chez moi et


que je n'ai rien à faire,

je prends un livre !

Qu'y a-t-il de bien

à rester assis là...

et ne rien faire !
Ça me semble absurde !

Et si Debby est là ?

Eh bien, c'est la même chose !


Est-ce que ça peut exister,

Un couple qui se contente

d'être ensemble,
sans rien faire ?

Est-ce que c'est ça,


"communiquer" ?

Pour employer un mot à la mode !


Ça ne veut rien dire !

Ou bien on discute,

ou bien on sort pour


vider la poubelle,

mais quelque chose,


séparément ou ensemble !

Comment peut-on

resté planté sans rien faire ?

Ça te rend nerveux ?

Bien sûr que ça me rend nerveux !


Parce que c'est ridicule !

Très intéressant !

Au Ladakh, à l'Ouest du Tibet,


je suis resté un mois dans une ferme...

Là-bas, le soir, on se réunit


pour le thé, et on ne dit rien.

On n'a rien à se dire.

On boit son thé en silence,


et ça ne gêne personne...

Le danger,
quand on s'active constamment,

c'est qu'on peut faire


des tas de choses

tout en étant complètement mort


à l'intérieur !

Ces choses,
est-ce que tu les fais

parce qu'une force t'y pousse,

ou bien est-ce purement mécanique ?

Car je crois vraiment que


si tu vis de façon mécanique,

alors il faut changer ta vie !

Quand on est jeune,


on sort, on flirte, on danse,

on flotte librement...

jusqu'au jour où on forme un couple,


et alors, tout se fige !

Dans le travail, c'est pareil.

Mais si on reste vivant


à l'intérieur de soi,

alors, aucun problème !

Imagine que tu vives


dans une seule pièce avec une femme :

s'il y a une vraie vie entre vous,


c'est une aventure superbe !

Le danger, c'est quand


le dialogue meurt...

alors il n'y a plus qu'à se faire


clochard, hippie...

comme Kerouac... et prendre la route.


Je le pense vraiment !

Vivre sur les routes,


ce n'est pas très drôle,

moi, je préfèrerais rester au chaud


dans cette petite pièce !

Quand tu vis depuis longtemps


avec une femme,

les gens disent : "Ce n'est plus aussi


bien qu'avant, mais c'est normal...

"La romance se fane...


c'est dans l'ordre des choses."

Eh bien, je ne suis absolument


pas d'accord !

Mais on doit sans cesse se poser


la question avec une totale franchise :

mon mariage est-il


encore un mariage ?

Le sacrement est-il présent ?

Et de pareille façon dans ton œuvre :


est-il toujours présent ?

C'est une chose effrayante, Wally,


de réaliser soudain :

je croyais vivre,
mais je n'étais même plus humain !

J'ai été un acteur !


J'ai joué des rôles !

J'ai joué le rôle du père...


le rôle du mari...

Le rôle de l'ami...

Le rôle de l'écrivain
ou du metteur en scène...

J'ai vécu ici avec cette femme


mais je ne l'ai pas vue,

je ne l'ai pas écoutée,


je n'ai pas vécu avec elle !

Oui, certaines personnes

se contentent parfois

de seulement exister côte à côte...

Le visage du partenaire

pourrait se changer
en tête de loup, et...

on ne verrait rien !

C'est vrai, on ne s'en rendrait


même pas compte !

J'étais en Israël,
il y a quelque temps,

j'avais une photo


de Chiquita qui date de...

Elle ne me quitte jamais ! Prise


quand elle avait 26 ans, c'est l'été,

elle est sur la terrasse,


elle a une robe à l'ancienne
relevée sur ses jambes...
elle est mince, sensuelle et belle...

Et à chaque fois que je la regarde,


je la trouve tellement sexy !

Et l'an dernier,
en regardant la photo,

j'ai vu que son visage portait


toute la douleur du monde...

Cette fille à l'époque était... perdue.

si triste... si seule...

J'ai cette photo depuis des années,


et je n'avais jamais vraiment vu !

Je n'avais jamais vraiment


vu cette photo !

Et j'ai donc réalisé que depuis 18 ans,


je n'étais plus capable d'émotion,

sauf en cas de tension extrême...

Je ne vivais que dans mon travail...

chaque pièce était une question


de vie ou de mort !

Mais dans ma vraie,


j'étais mort !

J'étais un robot !

Je m'interdisais même d'être en colère,


ou contrarié. Alors qu'aujourd'hui,

quand Chiquita, Nicholas, ou Marina

font des choses qui m'énervent ou


disent des choses qui m'énervent,

Aujourd'hui, je m'énerve !
Ils disent : "Pourquoi tu t'énerves ?"

Et je dis :
"Parce que vous m'énervez !"
Et le jour où j'ai envisagé
de ne pas finir ma vie avec Chiquita,

j'ai compris que je ne pouvais pas


vivre sans elle !

À l'époque, je ne savais pas encore


réagir face à un autre être humain...

Et si on a pas ce rapport
à l'autre,

il n'y a aucune
possibilité d'échange,

et s'il n'y en a pas,

le mot "amour"
ne signifie plus rien

sinon : devoir,

obligation...
sentimentalisme...

peur...

Je sais pas pour toi, Wally, mais...

Je me suis fixé un programme


pour réapprendre à vivre !

Etais-je capable d'émotions ?


Qu'est-ce que j'aimais ?

Quels gens voulais-je fréquenter ?

Et la seule façon
de trouver la réponse,

c'était de me couper du bruit,


arrêter de jouer sans cesse,

et écouter en moi.

Je pense qu'il vient un temps


où l'on doit en passer par là.

Peut-être qu'une façon d'y arriver


est d'aller au Sahara,

on peut aussi chez soi !


mais il faut faire le silence !

Oui, peut-être... mais,


personnellement, je n'aime pas trop...

ces silences trop profonds...


Vraiment pas...

Je ne sais pas si
c'est un truc freudien...

la peur de mes pulsions...


de mon agressivité...

Mais quand les choses sont trop calmes,


et que je me retrouve...

assis là,
comme on disait tout à l'heure,

que je sois tout seul,

ou avec quelqu'un...

J'ai juste...

juste cette sensation bizarre...

"Mon Dieu !

"On va voir qui je suis !"

En fait, je suis capable d'accomplir


n'importe quelle tâche,

mais je ne suis pas capable de...

de... d'être, tout simplement.


En d'autres termes,

si je me sens coincé,
condamné à ne rien faire,

que la seule chose à faire est...


"d'être là..."

Alors, je suis fichu.

Je peux passer
toutes sortes de tests
et même arriver en tête
si je me donne un peu de mal...

Mais là, je n'ai pas...

je n'ai pas la moindre idée


de comment réussir ce test...

Je sais bien
que ce n'est pas un test,

Mais...

mais je le vois comme un test...

et je sens bien que je vais échouer,

et c'est terrifiant,
et je me sens...

complètement perdu !

Imagine que tu sois forcé


d'accomplir chaque jour

une œuvre impossible, monumentale...

Nul n'en serait capable !

Si tu veux quitter ta compagne,


tu pars.

Et si tu le veux, tu reviens !

Mais entre-temps, elle aura ressenti


le choc de ton départ...

Vous aurez vécu des émotions !

Dans cet atelier, j'étais


stupéfait de voir les comédiens

passer de l'enthousiasme à la surprise...


à la violence, à la tendresse...

Peut-on vivre si intensément ?

Je pense que c'est cet instant


du contact avec l'autre

qui fait peur...


Ce moment de face à face.
avec une autre personne.

Ça n'a pourtant rien d'effrayant,

c'est étrange que ce soit...


si effrayant !

Pas si étrange que ça !

On a de bonnes raisons
d'être effrayé.

L'homme est une créature complexe


et dangereuse.

Si on devait vivre chaque moment,


ce serait une sacrée gageure !

Si l'on tend vraiment la main


vers l'autre, si on fait cet effort,

je pense que c'est déjà énorme !


Je le pense vraiment !

Mais on ne le fait pas


et c'est bien triste !

Le problème, c'est que plus


on s'approche d'un autre être humain,

plus cette personne devient


mystérieuse et inaccessible.

On essaie d'aller vers l'autre...


de marcher à son côté... et...

quand on est enfin liés, on s'aperçoit


qu'on est s'est lié avec un fantôme !

On est tous des fantômes !

Des esprits...
Qui sommes-nous ?

Il faut affronter la vérité :


on est seul au monde...

et accepter ça,
c'est accepter la mort.

Tu veux dire qu'un homme seul


est seul avec la mort ?

Parce que rien ne masque


sa vision de la mort ?

C'est ça...

Si je l'ai compris correctement,


Heidegger dit

que si on pouvait expérimenter


sa propre vie, jusqu'à la chute,

on verrait la décomposition
de son être, jusqu'à la mort,

ce que tu as un peu connu...

Dans l'acte sexuel, il y a


cet instant d'oubli total,

qui est si incroyable.

Et puis on se remet à penser...

à sa pièce... à ses rendez-vous...

Je ne sais pas pour toi, mais


je pense que c'est pareil pour tous !

Et puis, le monde
revient très vite !

Sans doute a-t-on peur


de rester dans cet instant d'oubli

car il ressemble à la mort.

C'est comme la peur de s'endormir...

On se sait pas ce que le moment


suivant apportera...

alors on croit apercevoir


la mort qui rôde.

C'est pour ça que les gens ont


des aventures !

Au théâtre,
si tu as de bonnes critiques,
tu te sens en confiance,

c'est un sentiment normal !

Mais ce sentiment disparaît très vite

et de nouveau,

tu ne sais plus que faire,

ou ce qui va arriver.

Mais, si tu as une aventure amoureuse,


tu reprends pied...

Il y a une citadelle à prendre...


des questions à résoudre :

"Ça l'excitera si je lui mords


l'oreille intensément ?

"Parlerons-nous de Schopenhauer
dans un restaurant français ?"

Peu importe si ça n'a pas de sens !

Tu te sens sur la terre ferme !

Mais une vraie relation avec


une personne pendant des années,

ça, c'est vraiment imprévisible !

Les amarres sont rompues,


on navigue vers l'inconnu

et sans carte sur la mer...

On s'accroche à l'image du père,


de la mère, du mari, de l'épouse,

toujours pour les mêmes raisons,

pour rester ancré à la terre ferme.

Mais est-ce ça, une épouse ?

Ça signifie quoi, une femme...

un mari...

un fils ?
Un bébé te tient la main,

Et soudain,

c'est un homme immense


qui te soulève du sol,

et disparaît.

Où est-il, ton fils ?

Les autres clients semblaient être


partis depuis des heures.

On nous apporta l'addition,

et André paya notre dîner.

Je me suis offert un taxi


pour rentrer.

Je rentrais chez moi,


traversant la ville.

Et il n'y avait pas une rue...


pas un immeuble...

qui n'éveillait un souvenir


dans ma mémoire.

Ici, mon père m'avait acheté


un costume...

Là, j'avais mangé une glace


en sortant de l'école.

Quand je suis rentré, Debby était


rentrée de son travail

et je lui ai raconté mon dîner


avec André.

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