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L‘auteur.
« Il y a deux cinéastes dont j‘aime
tous les films. Mankiewicz,
parce qu‘il montre les limites
de la connaissance que l‘homme
peut avoir de lui—même. John Huston,
parce que tous ses films se terminent
par un échec et sous—tendent une
philosophie de l‘absurde. Les
RAYMOND BOYER/SUNSET BOULEVYARD
personnages de Mankiewicz
et de Huston ne pouvaient
qu‘éveiller en moi une résonance.
Avec leur approche jamais utopique
de l‘être humain. Jamais désespérée
non plus, jamais sadique, comme
pouvaient l‘être celles d‘un Le film. « J‘ai la plus grande
von Stroheim ou d‘un Hitchcock. admiration pour La Splendeur
S‘il me fallait vraiment, puisque vous des Amberson, d‘Orson Welles.
me le demandez, ne choisir qu‘un Son écriture m‘évoque Stendhal.
film, ce serait, pour Mankiewicz, Eve. Que Welles ait pu tourner, tout de
Et pour Huston — malgré Gens de suite après Citizen Kane, son double
Dublin, qui est sous—estimé —, inversé, m‘émerveille encore plus.
ce serait The Asphalt Jungle (Quand Tout y est douceur et ambiguïté. Un
la ville dort)... Le metteur en scène jour que j‘étais ministre des Finances, WELLES‘
a dit à son sujet : ”Dans mon film, l‘ambassadeur des Etats—Unis \\
le hold—up était secondaire. Les en Allemagne me demande de venir — /h
motivations du hold—up étaient le voir. Je suis entré dans son bureau.
Magnificent
®— cynisme, fruit du désenchante— pris ! Rita Hayworth et son gant. Et puis réservés sur le néoréalisme italien. Et
ment de l‘époque, le personnage de cet érotisme au second degré, ce brin c‘est vrai que son écriture cinématogra—
Jules Berry est une sorte de symbole. d‘homosexualité ! Mais, à l‘époque, le phique n‘était pas terrible. Mais De Si—
L‘écriture cinématographique est faible, consensus moralisateur et un peu hypo— ca, tout de même, c‘était formidable !
mais la critique sociale reste virulente. crite jouait à fond. Et pas seulement Le Voleur de bicyclet—
te. Miracle à Milan, pour moi, est un
TRA : N‘avez—vous jamais été tenté de TRA : Quel film vous a tout appris ? grand film. Et, bien entendu, Rosse—
faire du cinéma votre métier ? J.D. : Citizen Kane, de Welles. Là, j‘ai lini, avec un penchant pour Paisà.
J.D. : Après mon bac j‘ai voulu entrer compris ce qu‘on appélait l‘écriture J‘ai aussi beaucoup aimé Lattuada,
à l‘Idhec. Ça ne s‘est pas fait... En re— cinématographique. Citizen Kane, pour enfin, sa première période, jusqu‘au
vanche, de 1949 à 1952, j‘ai dirigé un moi, c‘est l‘équivalent, en jazz, du Body Manteau, d‘après Gogol, en 1952.
ciné—club à Ménilmontant. C‘était un and Soul de Coleman Hawkins : un tour— Après... n‘en parlons pas ! Les premiers
patronage catholique, où je jouais au nant. Je l‘ai vu dix fois, au moins. Vous Fellini aussi. La Strada ? Un peu trop
basket—ball. Je choisissais les films, pourriez penser que c‘est parce que dégoulinant. C‘est /! Bidone, moins
j‘animais les discussions. Je m‘étais Welles y traite du pouvoir. Mais, com— connu, qui est le plus proche de la philo—
familiarisé avec cet exercice en fré— me vous le savez, ma philosophie repo— sophie personnaliste qui est la mienne.
quentant un ciné—club au Trocadéro. se plutôt sur les limites de l‘homme et J‘ai d‘ailleurs écrit une critique, jadis,
C‘est là que j‘avais tout appris. Parce de son pouvoir. Kane, ce serait, en quel— à ce sujet... La seconde partie de la car—
qu‘un art, ça s‘apprend. Après, ça se que sorte, l‘anti—Delors ! Non, c‘est la rière de Fellini, c‘est une quête fantas—
cultive, ça s‘entretient... forme du film qui m‘a passionné. matique de lui—même. Intéressante,
Dans mon ciné—club, je passais Dreyer, mais qui ne me touche pas. J‘ai mieux
des films français, italiens et américains. TRA : £t les autres films de Welles ? suivi Antonioni dans sa quête de l‘in—
Et puis des surprises : Gilda, tenez ! Je J.D. : La Splendeur des Amberson, communicabilité que Fellini. L‘un me
savais bien que Charles Vidor n‘était magnifique. Et La Soif du mal. Mais paraît moins... volage que l‘autre.
pas un grand metteur en scène mais, à ma passion a été le cinéma italien. Je Dans les dix films que j‘emmènerais
l‘époque, c‘était un film choc. Comme l‘ai toujours regardé avec un peu d‘in— sur l‘île déserte, il y aurait Senso, de
mes « clients » étaient membres d‘un dulgence. Un rien trop, peut—être. Les Visconti. L‘un des rares films réelle—
patronage catholique, Gilda les a sur— Cahiers du cinéma ont toujours été ment marxisants qu‘ait produit le mon—
18 Télérama N° 2429 — 31 juillet 1996
« Ce serait celui
de Greta Garbo. La pureté
des traits. Leur luminosité. Mais
je savais que si je le voyais pour
de vrai, ce visage, il serait forcément
moins beau qu‘au cinéma. Une star,
ce n‘est pas un phénomène pour
journaux à midinettes, c‘est
un phénomène artistique. On reste,
devant le visage de Garbo,
et de quelques autres, en proie
à lamême ferveur qui nous fait
contempler, durant de longues
minutes, une toile de maître. »