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HISTOIRE DES ARTS

Thème 2 : l’enfance

Les quatre cents coups


un film de François Truffaut

FICHE TECHNIQUE :

Année : 1959
Durée : 1 h 40
Noir et blanc
Format : cinémascope*
Réalisateur* : François Truffaut
Scénariste* : François Truffaut
Acteur principal : Jean-Pierre Léaud

A / L’AUTEUR
François Truffaut (1932 – 1984), né de père inconnu et peu considéré par sa mère, fut
élevé le plus souvent par sa grand-mère. Enfant, il compense ce manque affectif en
trouvant refuge dans la littérature et le cinéma. Il quitte l’école à 14 ans et vit de
petits boulots. Il frôle alors la délinquance, tout en fréquentant les cinéclubs.

Après un séjour en maison de redressement, il est recueilli par le critique* André


Bazin, qui l’encourage à écrire ses premiers articles dans différents magazines de
cinéma, et notamment dans Les Cahiers du Cinéma*.

Dans ses articles, Truffaut critique sévèrement le cinéma français de son époque. Il le
juge académique et artificiel. Il a alors le désir de filmer autrement, d’une façon plus
proche de la réalité contemporaine. À l’âge de 27 ans, il réalise son premier film, les
400 coups, en grande partie autobiographique.

Ce film a un énorme succès (3,6 millions de spectateurs) et reçoit le prix de la mise en scène au festival de Cannes. Truffaut devient l’un
des chefs de file de la Nouvelle Vague. Il réalisera en tout 23 films.

B / ANALYSE DU FILM
Synopsis (ou résumé) :
C’est l’histoire d’un adolescent, Antoine Doinel, qui rompt ses liens avec le système scolaire
et avec sa famille. De nombreux passages sont inspirés de l’enfance de Truffaut.

On le voit d’abord en classe, puni pour une petite bêtise. On le retrouve ensuite dans
l’appartement exigu de ses parents. Sa mère lui parle d’une façon dure et froide. Il semble
mieux s’entendre avec son beau-père. Le lendemain, au lieu d’aller à l’école, il s’amuse dans
Paris avec son copain René. Par hasard, il rencontre sa mère dans les bras d’un autre homme.
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Le soir, il entend une violente dispute entre ses parents. Le lendemain, à l’école, on lui demande une
excuse pour son absence. Il répond que sa mère est morte. Peu après, ses parents viennent le
chercher en classe, et son père le gifle devant ses camarades.

Il décide de ne plus rentrer chez lui. Il passe une partie de la nuit dans une imprimerie, puis
vagabonde dans Paris. Sa mère le récupère à l’école et lui manifeste enfin de l’affection. Elle lui fait
promettre de réussir sa prochaine rédaction. Antoine rédige un texte inspiré par Balzac. Mais son
professeur l’accuse de plagiat et le renvoie.

Alors il fugue à nouveau et fait les « 400 coups » avec René. Il vole une machine à écrire pour en
tirer de l’argent. Il se fait prendre, est conduit au commissariat et passe la nuit en cellule. Ses parents l’envoient dans une maison de
redressement. Il s’évade et court à travers la campagne, jusqu’à la mer. Là, il s’arrête, se tourne vers la caméra, et regarde le spectateur. Fin

Les Quatre Cents Coups : un film de la Nouvelle Vague

A la fin des années 50, François Truffaut et d’autres critiques* des cahiers du cinéma dénoncent le style artificiel du cinéma français. Ils
se lancent alors dans la réalisation, et cherchent à inventer une nouvelle manière de faire des films. On les appellera les cinéastes de la
Nouvelle Vague. Les 400 coups est l’un des premiers films de ce genre. En voici les principales caractéristiques :

1) Des décors réels :


Le film est entièrement tourné en décors réels, et non en studio comme cela se faisait. C’est une nouveauté qui a deux grands avantages :

- Le coût : le film coûte moins cher, donc le réalisateur* dépend moins


du producteur*, donc il a plus de liberté créatrice. Il peut innover et raconter
une histoire qui lui tient à cœur, au lieu de mettre en image le scénario* d’un
autre. Cela permet de faire des films plus personnels, des films d’auteur.

- Le réalisme : l’impression de vérité est plus grande. Les « décors »


sont des lieux réels, familiers pour les spectateurs (les rues de Paris ; une
salle de classe …). On s’identifie donc plus facilement aux personnages.

Avec les décors, ce sont aussi les éclairages et les sons d’ambiance qui
sont réels. Truffaut utilise la lumière du jour, la lumière électrique des rues…
(ex : l’errance d’Antoine à travers Paris la nuit). De même, le film intègre le
bruit des voitures, le brouhaha de la foule… Un cinéaste classique les aurait
supprimés. Ici, on est immergé dans la réalité, en image et en sons.
Truffaut sur le tournage des « 400 coups »
2) Une caméra mobile, qui suit les personnages :

La caméra est souple et mobile : au lieu de se planter fixement devant l’acteur, la caméra l’accompagne,
suit ses mouvements, se déplace avec lui comme si elle était notre œil. C’est très nouveau. Cela crée une
grande proximité du spectateur avec le personnage (ex : à la fin du film, la caméra se déplace pendant plus
d’une minute à côté d’Antoine qui court à travers la campagne).

3) Des personnages qui aspirent à la liberté :


Antoine est incompris dans sa famille et dans la société. Il subit tout en silence, et se réfugie au cinéma. Il veut aussi s’émanciper,
conquérir sa liberté (« monter une affaire de bateaux »). Sentiment de rupture avec la famille, avec la société ; quête d’indépendance
et d’amour : ces traits sont propres aux personnages de la Nouvelle Vague, et reflètent l’évolution de la jeunesse à cette époque.

4) Des acteurs pleins de fraîcheur et de spontanéité :


Jean-Pierre Léaud (l’acteur qui joue Antoine Doinel) est naturel et spontané. On n’a pas l’impression qu’il joue un personnage, mais qu’il
est ce personnage. Il est capable de s’approprier le texte et d’improviser. Cette façon de jouer est encore un trait de la Nouvelle Vague.
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Jean-Pierre Léaud et François Truffaut :


En 20 ans, le cinéaste fera en tout 5 films avec Jean-Pierre Léaud. Mais ce sera toujours pour jouer le même personnage d’Antoine Doinel,
à des âges différents. Dans les 400 coups comme dans les autres films, le personnage d’Antoine Doinel représente Truffaut lui-même,
depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte. On peut donc dire que le cinéaste a utilisé Jean-Pierre Léaud comme son double.

C / ANALYSE DE LA DERNIÈRE SÉQUENCE :

1er plan : un très long travelling* :


Pendant plus d’une minute, la caméra accompagne Antoine en train de courir après qu’il
s’est enfui. La durée de ce plan est très moderne pour l’époque. Cela déroute un peu le
spectateur, car on a l’impression qu’il ne se passe rien. Le but est de donner le sentiment
qu’on est réellement avec le personnage, qu’on l’accompagne en temps réel. Il n’y a
plus de différence entre le temps du film et le temps du spectateur.

2ème plan : un mouvement panoramique* à 180° :


Dès qu’Antoine arrive dans le champ de la caméra, celle-ci se met à tourner lentement vers la gauche en faisant apparaître la mer. Elle
continue à tourner, déroulant un vaste panorama sur la mer et l’horizon. Puis, en fin de course, la caméra retrouve la silhouette d’Antoine
qui entre-temps était passé derrière elle.

Ce large mouvement panoramique à 180° permet d’englober à la fois la course d’Antoine, son arrivée devant la mer, l’immensité de
celle-ci, et à nouveau la course d’Antoine qui se poursuit : on a tout à coup une sensation d’ampleur, d’espace, d’immensité, totalement
absente dans le film avant ce moment.

3ème plan : un long travelling*, un regard caméra*, et un arrêt sur image* :


La caméra filme Antoine en train de courir vers la mer. Elle le filme en l’accompagnant sur la plage dans un deuxième long travelling.
Puis elle s’arrête et montre Antoine en train de marcher dans l’eau. Antoine revient alors vers la plage et, en se rapprochant, son regard
rencontre celui de la caméra : c’est un regard caméra*. Enfin, l’image devient fixe : c’est un arrêt sur image*. Le mot «FIN» apparaît.

Ce dernier plan du film comporte trois procédés très modernes pour l’époque, et typiques de la Nouvelle Vague :

- Long travelling*: là encore, il s’agit de donner au spectateur le sentiment de courir avec le


personnage, de partager ce qu’il vit, de vivre dans le même temps que lui.

- Regard caméra* : ce regard dirigé vers la caméra nous force à considérer le destin
d’Antoine. Il nous tire de notre confort de spectateur, et nous implique dans l’histoire du
personnage. C’est comme si l’écran ne séparait plus la fiction et la réalité : le personnage
s’adresse directement au spectateur. Ceci est l’un des traits majeur de la modernité au
cinéma.

- Arrêt sur image* : le film se termine par une image fixe, comme une photographie.
Pourquoi ? D’une part, cela accentue l’effet du regard caméra : le spectateur ne peut pas
échapper à ce regard ; il est pris à parti par le personnage. D’autre part, en arrêtant ainsi le
temps, Truffaut stimule l’imagination du spectateur : c’est à nous d’imaginer ce que va devenir
Antoine. L’arrêt sur image nous incite à continuer le film dans notre tête, après la fin.
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Une course vers la liberté…


Dans cette dernière séquence, Antoine est filmé dans de grands espaces ouverts, alors qu’auparavant on le voit dans des espaces plutôt
étroits et fermés. Qu’expriment ces différents espaces ? Et quel est le sens de cette évolution ?

la salle de classe l’enfermement


Espaces intérieurs → les appartements → expriment : la décrépitude, ce qui est vieux
fermés et étroits le commissariat la contrainte des adultes
la prison l’autorité
le centre de redressement

les rues de Paris le jeu


Espaces extérieurs → la place de Clichy → expriment : la légèreté
mais limités la fête foraine l’indépendance
le Sacré Cœur une liberté relative

( Cette liberté est relative car elle finit toujours par un retour à l’enfermement, et un enfermement de plus en plus dur, jusqu’à la prison )

la campagne l’infini
Espaces extérieurs → le littoral → expriment : la liberté absolue
ouverts et illimités la plage la vie et toutes ses possibilités
la mer l’inconnu

Cette évolution dans le film ( des espaces fermés vers des espaces ouverts ) correspond donc à l’évolution d’Antoine : dans cette période, il
passe en effet d’un sentiment d’enfermement à un sentiment de liberté.

Le long travelling où on le voit courir pendant une minute dans la campagne prend ainsi tout son sens : c’est une course vers la liberté.

À noter que le format Cinémascope* est ici pleinement justifié : comme il est très large, il permet d’embrasser un très vaste espace, ce
qui augmente la sensation de liberté.
Regard caméra* ; arrêt sur image* : une conclusion en forme de point d’interrogation…
Mais à présent qu’Antoine a conquis sa liberté, que va-t-il en faire ? Que va-t-il devenir ? C’est la question que nous pose Truffaut en
utilisant le regard caméra et l’arrêt sur image pour clore son film. L’intérêt de ces procédés est de nous interpeller sur ceci :

Certes, la liberté absolue, ce sont les possibilités infinies de la vie qui s’ouvre devant lui ; mais c’est aussi un grand inconnu angoissant
(que faire à présent ?...). La mer à laquelle aboutit Antoine, et qui le fait reculer, est peut-être le symbole de cette liberté à double visage…

Le regard caméra et l’arrêt sur image jouent donc ici le rôle de point d’interrogation. Au lieu de nous apporter une conclusion,
François Truffaut nous laisse la possibilité d’imaginer la suite, et de réfléchir à la nouvelle liberté d’Antoine.

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D / CONTEXTE HISTORIQUE :
Les Trente Glorieuses : L’année 1959 (année des 400 coups) se situe en plein dans la période des « Trente Glorieuses » : après
la 2ème guerre mondiale, la France et l’Europe bénéficient d’une forte croissance économique, engendrée par les besoins de la
« reconstruction ». Le pays se reconstruit et se modernise sur le modèle des Etats-Unis. Le chômage est bas, le pouvoir d’achat des
ménages augmente, et la demande en équipement moderne s’accroît. C’est le début de la société de consommation.

Le général de Gaulle et la V ème République : Arrivé au pouvoir en 1958, Charles de Gaulle crée la V ème République
(encore la nôtre aujourd’hui). La nouvelle Constitution renforce le pouvoir du président de la République, et instaure son élection au
suffrage universel. Les personnages du film vivent donc dans une France fortement marquée par la personnalité de de Gaulle.

La guerre d’Algérie : Après la 2ème guerre mondiale, la France fait face aux mouvements d’indépendance de ces anciennes
colonies. Depuis 1954, elle est en guerre avec l’Algérie qui se bat pour son indépendance. La situation complexe génère de graves crises
politiques à Paris, conduisant au retour de Charles de Gaulle au pouvoir en 1958. Celui-ci annonce l’indépendance de l’Algérie en 1962.

La crise du logement : Malgré la croissance économique, la France connaît une forte crise du logement dans les années 50.
Trois raisons à cela : 1) la destruction massive de logements pendant la 2ème guerre mondiale ; 2) la forte augmentation de la natalité
(« baby-boom ») ; 3) l’arrivée de travailleurs immigrés venus participer à la reconstruction, et souvent logés dans des bidonvilles. Dans le
film, cette crise du logement se ressent à travers l’appartement exigu de la famille, obligeant Antoine à dormir dans le couloir.

E / CONCLUSION :
Les Quatre Cents Coups de François Truffaut est un film qui a beaucoup marqué le public, mais il a aussi profondément influencé le
cinéma français, et même le cinéma mondial. Pourquoi ? D’une part, le choix de décors réels, de caméras mobiles, d’acteurs spontanés,
apportent au film un réalisme et une fraîcheur inconnus jusque là. Tout cela permet une meilleure identification aux personnages.

D’autre part, les procédés cinématographiques sont résolument modernes (longs travelling ; regard caméra ; arrêt sur image…) : ils
cherchent à interpeller le spectateur, à l’impliquer dans l’histoire, à le faire réfléchir, y compris sur ce qu’est le cinéma.

Enfin, c’est un film extrêmement personnel puisque le réalisateur y raconte sa propre histoire. C’est donc un cinéma d’auteur, et
non un cinéma purement commercial. Il est également un bon reflet de la société d’alors.

Pour toutes ces raisons, il s’inscrit parfaitement dans le cinéma de la Nouvelle Vague, aux côtés notamment de Jean-Luc Godard,
dont le premier film, À Bout de Souffle, sorti en 1960, aura le même retentissement dans le monde du cinéma.

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LEXIQUE :
- Cinémascope : format de cinéma donnant des images tout en largeur, panoramiques. La sensation d’espace en est d’autant plus grande.

- Réalisateur : celui qui dirige tous les aspects artistiques d’un film (mise en scène, image, direction des acteurs…)

- Scénariste : celui qui écrit un scénario, c'est-à-dire une histoire adaptée pour le cinéma.

- Critique : celui qui analyse un film et qui donne son jugement à propos de ce film.

- Les Cahiers du Cinéma : importante revue de cinéma, toujours existante. À la fin des années 50, les principaux critiques de cette revue deviendront
les cinéastes de la Nouvelle Vague, et révolutionneront le cinéma français et mondial (Truffaut, Godard, Chabrol, Rohmer…)

- Producteur : celui qui finance la production d’un film. Dans le cinéma commercial, c’est souvent le producteur qui contrôle ou dirige le réalisateur.

- Plan : bout de film compris entre la mise en marche de la caméra et son arrêt : c‘est l’unité de base d’un film (comme le mot dans une phrase).

- Séquence : passage d’un film constitué d’une succession de plans. À chaque séquence d’un film correspond une action bien définie.

- Travelling : mouvement de la caméra qui se déplace parallèlement au sujet.

- Regard caméra : figure de style où l’acteur regarde volontairement la caméra, c'est-à-dire qu’il regarde en fait le spectateur.

- Arrêt sur image : procédé consistant à figer l’image d’un film : pendant un moment, le film ne bouge plus, on ne voit qu’une photographie.

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