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Papasogli Benedetta. L'idée de monde intérieur : « Il se fait un monde nouveau en l'homme ». In: Littératures classiques, n°22,
automne 1994. La notion de « monde » au XVIIe siècle. pp. 239-255;
doi : https://doi.org/10.3406/licla.1994.2201
https://www.persee.fr/doc/licla_0992-5279_1994_num_22_1_2201
entre
vent
baroque
de
deuxième
et du
1. jeu
« monde
sans
Dans
le qui
«d'influences
tome,
grand
une
l'humanisme
articule
». Ouvrons,
nouvelle
qui
monde
endont
traite
hyperboles
Ȏlaboration
dévot
par
de
et
il est
l'immortalité
le
exemple,
de
«
médiateur
petit
ou
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conceptuelle,
antithèses
monde
la de
Théologie
entre
l'âme,
»,
moitié
la
l'univers
l'univers
densité
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naturelle
qui
du et
parle
XVIIe
leetl'âme
humaniste
cadre
l'homme,
longuement
d'Yves
siècle
: d'un
de de
revient
l'opposition
l'idée
imaginaire
Paris,
dumême
corps
sou¬
au
Aussi nous avons fait voir [...] que l'homme est un petit monde, que les
signes du zodiaque, et les planètes ont leur colonies dedans son corps, qu'ils
president aux parties vitales, et qu'ils y font un autre ciel par la favorable
rencontre de leurs vertus ; et comme le ciel contient les perfections inferieures
avec eminence, de mesme nos corps sont animez d'une chaleur plus noble que
l'elementaire, et selon l'opinion de quelques Naturalistes, ils ont un baulme
vital, où toutes les vertus des simples, des arbres, des gommes, des mineraus,
sont recueillis par extraict f...].1
Si le corps humain est apparenté à toutes les sphères des corps, des plus élevées
aux plus basses, l'âme, ou mieux, la nature humaine dans son essence est apparentée
à toutes les formes de la vie ; elle a fonction de « nœud », de centre et — platoni¬
quement — d'«horizon » qui renferme et circonscrit l'image du monde :
c'est encore Yves de Paris qui parle ; écoutons, dans un traité sur le même sujet,
Louis Richeome :
Ame moyenne [...] ayant du ciel et de la terre, petit monde, ains grand
monde, comprenant tous les grades du monde, horizon de l'univers, comme
l'appellent les Platoniciens, représentant en sa nature spirituelle l'hemisphere
supérieur ; et en sa nature corporelle l'hemisphere bas, faite participante de
tous les deux, et liant ensemble tous les deux, vray miracle de son Créateur [...]
ayant si doucement uny ces extremitez.3
Mots
43 etCf.
L.lesRicheome,
cechoses,
que Michel
Paris,
L’Immortalité
Foucault
Gallimard,
écrit
de 1966,
l’Ame,
à propos
p.Paris,
13.de Buon,
l'«âge1621,
du semblable
p. 58. », [in] Les
L'idée de monde intérieur 241
relie », mais une introduction à la vie spirituelle, jusqu'aux degrés de l'union mys¬
tique : quand François de Sales parle du petit monde de l'homme en relation d'analo¬
gie avec le monde de la création, c'est toujours à l'homme intérieur, c'est à l'univers
moral et spirituel qu'il se réfère. Il ne met plus l'accent sur la diversité / unité de
terre et ciel, de corps et âme ; la gradation des natures et des êtres se développe en
une spirale, que nous trouvons ainsi formulée dans le livre X du Traité :
Ainsi une ancienne vision du monde — cosmos ordonné, hiérarchisé, selon une
axe de verticalité qui rend l'espace différencié et non homogène, et qui reconnaît une
plus grande dignité à ce qui est en haut — est exploitée au début du XVIIe siècle
dans l'un des livres qui consacrent l'avènement d'une nouvelle science : l'exploration
du monde intérieur. On peut se demander : de quelle façon cette science des mys¬
tiques et des moralistes sera sensible et accueillante aux variations de l'image du
monde que les découvertes géographiques d'une part, celles de la physique et de
l'astronomie d'autre part, sont en train de réaliser sur le seuil de l'âge moderne ?
de
rassemblées
Sansoni,
768Sales
Ibid.,
Cf.
Nous
a1984.
àFénelon,
dans
ce
I,
renvoyons
propos,
1 son
(éd.volume
Ilcit.,
M.
Mulino,
aux
Bergamo,
vol.
Littérature
études
IV,
1991p.Ilbien
; 25).
Mulino,
cf.
et anthropologie,
aussi
connues
L'Anatomia
ld., La
de Scienza
L.Paris,
delVanima.
VanPUF,
dei
Delft,
santi,
1993.
Damaintenant
François
Firenze,
L'idée de monde intérieur 243
prudence un peu comme les arts de la mémoire étaient organisés autrefois : en habi¬
tant densément l'espace par des figures et des définitions. D'ailleurs la pensée morale
classique s'engage de plus en plus, au-delà de l'étude des comportements, vers celle
des raisons et des intentions. La « science du cœur »9 devient son domaine caracté¬
ristique ; avec la cartographie allégorique qui étale les mystères du sentiment sur la
surface d'une page (il suffit de penser à la Carte du Tendre...), avec les paysages
moraux qu'inspire un vice ou une vertu (il suffit de rappeler les différents paysages
comme toile de fond aux conversations morales de Mlle de Scudéry), une perception
plus unitaire se fait jour : les différents aspects de l'analyse psychologique
confluent, un peu comme cela était arrivé pour les découvertes d'explorateurs de
nouveaux mondes, dans l'«invention » du cœur comme monde intérieur10.
tracée.12
Par là, ami, chacun passe et entre aveuglément dans la voie qui lui est
[...] Ton imagination ne conçoit pas toutes les terres dans leur étendue.
Elle ne peut s'en faire en elle-même que comme un tableau raccourcy [...]. Ainsi
tu vois qu'elle ne peut pas seulement concevoir la grandeur de la France, selon
son étendue ; et encore moins le reste de l'Europe, et l'Asie, et l'Afrique, et
l'Amérique ; et encore moins la grandeur du Soleil, qui est cent soixante fois
plus grand que toute la terre. Or si l'Imagination ne peut concevoir la grandeur
du Soleil, qui n'est qu'une petite portion du monde, [...] comment pourra-t-elle
concevoir la grandeur de tout le Monde ; laquelle toutefois L'Entendement
conçoit par la force de ses raisonnements, en se servant des choses conçues par
l'imagination, comme de degrez pour monter à de plus vastes connaissances.15
Pour Desmarets,
repoussant
quelles il ne
en dessous
pourrait
l'entendement
des'élever
lui la terre,
:est
c'est
un
à savoir
«à oiseau
l'entendement
les représentations
»17 qui s'envole
et nonsensibles
vers
à l'imagination
la vérité
sans les¬
en
1675,
16
18
17 Ibid.,
p. 120-121.
Cf.
Délices
Pensées,
p.de251.
l’esprit,
Br. 72. p. 122.
246 Benedetta Papasogli
Les hommes intérieurs ont ce grand avantage, de voir tout par l'esprit au-
dedans d'eux-mêmes ; et ceux qui ne le font pas sont obligez de porter leur
corps partout [...]. Jusqu'ici, je ne pensais avoir que deux yeux, dont je pouvais
regarder les choses par dehors : mais tu me fais connoistre que j'ay d'autres
yeux au dedans [...J.20
[...] notre esprit trouve son hermitage partout, et dans les plus nombreuses
assemblées d'hommes des plus grandes villes, je m'y trouve souvent au désert
[...]•
Pourveu que mon âme puisse conserver sa liberté, et que ses fonctions ne
soient oppressées soubs le faix de vos importunes affaires, exempte de passion
et de trouble, elle trouvera partout les Dieux avec qui converser, elle se
promènera par toute l'estendue de la Nature, et par le moyen d'une forte et
19 Ibid.
20
21 Ibid., p. 254.
Pensées , Br. 348.
L'idée de monde intérieur 247
Nous avons ici l'un des auteurs qui ont le plus connu, même dans un milieu de
culture humaniste et dans une habitude de vie sédentaire, la curiosité pour l'élargis¬
sement des frontières du monde. Dans le petit traité Des voyages23 il exhortait Louis
XIV à favoriser des expéditions de connaissance, en montrant minutieusement du
doigt les régions qui étaient encore blanches sur les cartes géographiques. Il était
attiré par le continent austral, la terre inconnue qui se prêtait à des rêves et à des
utopies, comme une nouvelle possibilité donnée aux hommes sur la terre.
Cette nostalgie pour les frontières était partagée avec l'amour de la retraite et des
« lieux tranquilles » retrouvés à l'intérieur de soi. L'espace se resserre à la mesure de
l'ermitage pour s'ouvrir à l'étendue du désert, et se dilater dans l'aventure intérieure.
Et voici affleurer, dans des expressions particulièrement limpides, un élément carac¬
téristique de la conscience anthropologique et psychologique de l'âge classique :
comme le grand monde, le petit monde lui aussi a ses « lieux non encore défri¬
chez » ; l'analogie qui se maintenait, chez d'autre auteurs, avec la notion d'ordre, de
diversités concertées, de contrariétés harmonisées (terre et ciel, corps et âme, volonté
et passion), est polarisée désormais par un thème nouveau. L'homme et le monde se
ressemblent, parce que tous les deux sont immenses et en grande partie inconnus.
L'explorateur du monde et l'explorateur de l'âme ont tous les deux besoin de courage,
et peut-être d'héroïsme. Dans une époque où, d'une part, on s'aperçoit que « tout est
dit »24 et que les arts de la sagesse se jouent sur la légère variation autour d'un
patrimoine commun, où d'autre part la réflexion sur l'homme vibre parfois pour le
Fayard, F.1988,
La. p.
Mothe
147-148
Le Vayer,
(De la vie
Dialogues
privée ). faits à l'imitation des anciens, Paris,
[In] F. La. Mothe Le Vayer, Opuscules et petits Traictez, Paris, s. e., 1643,
p. 175 et sq.
24 C'est le fameux incipit des Caractères de La Bruyère.
248 Benedetta Papasogli
Tout le monde connaît les passions des hommes jusqu'à un certain point ;
c'est un pays inconnu à la plupart des gens, mais où tout le monde est bien
aise de faire des découvertes [...].27
Vers la fin du siècle, François Lamy s’excusera pour le peu qu'il a su dire, dans
les quatre tomes de son traité De la connoissance de soi-même , concernant la
géographie du cœur :
découvrir
Ce cœur: dans
est ces
d'une
terres
si vaste
tant de
étendue
chemins
: il détournés,
y a tant de
tantterres
de recoins,
et de mers
tant deà
faux-fuyants, tant de labirintes embarassés et embarassans ; dans ces mers tant
d'orages et de tempêtes, tant d'écueils et tant d'abîmes inconnus non seulement
aux étrangers, mais même aux naturels et aux habitants du pays, qu'il y aurait
de la témérité d'entreprendre d'en faire una carte exacte. [...] En un mot, ce n'est
icy qu'une grossière ébauche et qu'un léger essai de la carte du cœur.28
Dans l’article Monde , les lexicographes du XVIIe siècle donnent, entre autres,
cette précision : « [...] on appelle le Nouveau Monde, toute l'Amérique qui n'a esté
descouverte que dans ces derniers siècles » (Furetière) ; « on appelle, le Nouveau
Monde, les parties de l'autre hemisphere connues depuis cent cinquante ans envi¬
ron » (Dict. de l'Académie)29. Si La Mothe Le Vayer suggérait que l'espace de
l’esprit est une Amérique toujours vierge, à plus forte raison l'idée d'un nouveau
monde deviendra chère à ceux qui croient en la naissance d'un homme nouveau ou,
25
26 K. Jaspers,
Maxime 3. Von der Wahrheit, München, R. Puper, 1947, p. 50.
t. III,
27
29 Réflexions
p.
F.
Dans
133.l'édition
Lamy, op.
sur cit.,
de
la Poétique,
1694.
t. IH, Dessein
[in] Œuvres,
général. Paris, Les Librairies Associés, 1766,
L'idée de monde intérieur 249
selon un thème cher à Saint-Cyran, au don d'un cœur nouveau, c'est-à-dire les
auteurs spirituels et les mystiques.
Constantin de Barbanson, au début du siècle, décrit les stades de l'union à Dieu,
en laissant souvent apparaître dans son texte la métaphore sous-jacente de l'itinéraire
(qui du reste est explicite dans le titre : Les secrets sentiers de l'amour divin). L'âme
vit une transformation graduelle ; et c'est comme la découverte de nouveaux deux et
de terres nouvelles ; mais sans trop se ressouvenir de l'image biblique, Constantin
de Barbanson semble tenir compte de l'expérience culturelle de ses contemporains
lorsqu'il parle de « nouveau monde », de « région de nouveau découverte »30. Jean-
Joseph Surin, mystique de la nouveauté évangélique qui prend pour figures symbo¬
liques le fou, le vagabond, l'enfant, le sauvage, parle au contraire du monde qui
s'engendre dans l'homme intérieur comme d'une création nouvelle plutôt que comme
d'une terre à découvrir : « il se fait un monde nouveau en l'homme »31 ; et toute
l'œuvre de Surin, en particulier les lettres et les cantiques, suggèrent les lignes ima¬
ginaires de cet univers pacifié : ce monde où le feu brûle et ne consume pas, comme
un creuset qui restitue des métaux purs32 ; où les eaux de la mer sont immenses et
rugissantes mais sans colère (« cette mer vient comme farouche avec rugissement
quoiqu'elle soit tranquille. . . la mer en sa plénitude vient visiter la terre, et baiser les
bords que Dieu lui a donnés pour limites »33 ; où le voyageur de Dieu, après avoir
parcouru des forêts et des déserts, arrive à la ville « gentille » du saint amour (cf. le
cantique Le Pèlerin spirituel)34. Ailleurs, en utilisant la notion de monde plutôt dans
son acception sociale (les fréquentations, la compagnie), Surin exhorte sa correspon¬
dante à la coupure et au renouvellement : « Tachez de faire monde nouveau aux
pieds de Jésus-Christ, et retirez-vous petit à petit de vos anciennes connaissances
[...] »35.
Constantin, Surin et les maîtres spirituels du grand siècle initient les âmes aux
voies « extraordinaires » de l’expérience mystique. Dans les Délices de l'esprit de
Desmarets, la conversation d'Eusèbe et de Philédon finit par toucher les mêmes
thèmes. Eusèbe décrit les grâces qui couronnent le chemin de l'âme parvenue au
« Cabinet de l'Union ». Et dans la réponse de Philédon, prêt au voyage qui
l'emmène vers cet extrême éloignement, on voit s'affirmer encore une fois l'antithèse
mystérieuse du nouveau monde et de la cellule intérieure :
Mariés,
p. 50
32 etSurin,
33
34
35
1133,Cf.
Questions
Pars,
sq.
lettre
ibid.
Téqui,
Cantiques
Correspondance,
378.
sur l’amour
1930,
spirituels
p. de
60).éd.
Dieu,
depar
l’amour
m,M.2, De
p.divin,
116-117.
Certeau,
Paris,Desclée
Le Clerc,
de Brouwer,
nouv. éd. 1966,
1731,
250 Benedetta Papasogli
36
37
38
39 Op. Voyage.
Le
Las
Ibid.,
Moradas
cit.,
2,8. p. 561
o El Castillo inter ior, I, 1.
L'idée de monde intérieur 251
l'extérieur par rapport à l'univers géocentrique. Au-delà des étoiles, au delà des
« eaux au dessus des deux » (Ps. 148, 4), la nostalgie du psalmiste se dirigeait vers
une demeure inaccessible, dans l'attente d'une épiphanie : « plie tes cieux, et
descends, ô Seigneur ! » (Ps. 144, 5).
La révolution copemicienne, qui situait le soleil au centre de l'univers, se rappro¬
chait des exigences expressives d'une spiritualité qui invitait l'homme à rentrer en
soi, pour trouver Dieu, plutôt qu'au delà de la mer ou de la barrière des cieux, au
centre de son être propre. « Le centre de l'âme est Dieu », affirmait Jean de la
Croix40. Et une démarcation s'établissait, concernant ce lieu de la suprême
rencontre : ce n'est pas le sommet de l'esprit, mais le fond du cœur, ce ne sont pas
les productions de l'intelligence, mais la tendance de la volonté poussée par l'amour.
L'image du soleil intérieur a toujours été fort familière aux mystiques. Sans doute
s'est-elle développée — comme il arrive chez Saint-Cyran, attentif au rapport entre
la sphère des corps ou des réalités extérieures, et la sphère des réalités intérieures et
spirituelles — , grâce à une analogie articulée avec le soleil extérieur qui est seule¬
ment sa figure ou, affirme Saint-Cyran en utilisant un lexique ancien qui se prête ici
à une antiphrase hardie, son « ombre » :
Paris,
41 Vrin,
42 J. Orcibal,
Cathéchisme
1962, La
p.spirituel,
245-246.
Spiritualité
Lyon-Paris,
de Saint-Cyran,
Rusand, 1834,
avec ses
1. 1, écrits
p. 397.de piété inédits,
252 Benedetta Papasogli
Cyran qui a dans le soleil visible sa figure et son « ombre » ; de l'autre, la planète
homme, âme et corps, feu subtil et poids de terre, un peu comme dans les défini¬
tions du « petit monde » élaborées par les auteurs de la Renaissance, mais avec
cette nouveauté fondamentale : l'élément spirituel n'est plus symbolisé dans le haut
mais dans l'intime, il n'est plus analogue au ciel mais à la flamme qui brûle au cœur
même de la terre.
Le soleil au centre ; le feu au centre ; et même, avec un renversement optique
plus surprenant, le ciel au centre : c'est encore Desmarets de Saint-Sorlin, ce
visionnaire de la vie spirituelle, dans la promenade mentale jusqu'à la « Ville de
l'Intérieur », qui suggère une clef toute baroque pour accéder à la représentation du
monde intérieur : il s'agit d'un monde renversé qui fonctionne selon des lois oppo¬
sées à celles auxquelles nous sommes habitués dans l'expérience commune. On y
entre par un portail énorme où toutefois une petite ouverture oblige de baisser la
tête, et qui est surveillé par une gardienne, la « douce Humilité »43. La première
surprise de la cité invisible — mais si vivement évoquée par Desmarets — est qu'en
elle on ne fait que descendre, descendre par une infinité d'escaliers, jusqu'au centre de
la terre, et même au-delà du centre de la terre :
Il n'y a point d'escalier pour monter, parce que tout s'y fait par le bas ;
mais il y a des escaliers pour descendre en de certaines caves ou abymes ; et
par lesquels on peut se rendre jusqu'au centre de la terre, et plus bas encore.
Phil. — Et y a-t-il quelque chose de plus bas que le centre de la terre ?
Eus. — Ouy, Philédon ; car il y a le cachot du Néant.
Phil. — Mais rien n'est plus bas que le centre de la terre.
Eus. — Il est vray ; mais ce rien, c'est ce cachot du Néant, où l'on gouste
les plus grand plaisirs du Monde [...]. Ces escaliers pour descendre, sont faits
d'une invention admirable, par un grand et excellent Architecte : car plus on y
descend bas, plus on s'élève. Aussi quand on peut aller jusqu'au centre de la
terre, et jusqu'au cachot du Néant, on se trouve eslevé par une machine
incompréhensible, jusqu'au dôme de l'Esperance, et jusques dans le Ciel mesme.
Et nul ne remonte par ces escaliers admirables ; car à proportion que l'on a
descendu, à proportion l'on se sent eslevé à coup, par cette machine
invisible.44
Alors Dieu qui aime à travailler sur le Néant, sur lequel il a basty tout le
Monde, prend ce néant auquel on s'est réduit, et travaille là-dessus, et en fait un
chef d'œuvre, qu'il aime comme l'ouvrage de luy seul, où rien de terrestre et
impur n'est meslé.45
45 P.524.
46 A. Koyré, From the close d world to the infinité Universe , Baltimore. John
Hopkins
47 Ibid.
48
49 Op.
Cité
Press,
cit., 1957
par Koyré,
p. 37.
; nous
ibid.,citons
p. 41.l'édition française, Gallimard, 1973.
254 Benedetta Papasogli
Qui a parlé à Jean Crasset, ce jésuite maltraité par Pascal dans Les Provinciales ,
moraliste un peu obtus et ingénu, et pourtant pédagogue très délicat de l'oraison
mystique, qui a introduit Jean Crasset au mystère peut-être poétique et peut-être
scientifique d'espaces existant au-delà des cieux, si lointains et inconnus qu'il faut les
définir imaginaires ? Quelle conscience s'exprime, dans les similitudes choisies par
50 Ibid., p. 43.
Bremond,
de 51
religion
J. Histoire
Crasset,
jusqu’à littéraire
La
nos vie
jours,
du
de nouv.
sentiment
Mme éd.,
Hélyot
religieux
Paris,
, Paris,
Colin,
en France
1683
1967,(2),
depuis
t. V,p. p.114,
la323.
fin cité
des guerres
par H.
L'idée de monde intérieur 255