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Rendu, inter-arts

Analyse croisée de Qu’est-ce que le contemporain d’Agamben et de "Cinéma, Numérique,


Survie: L'art du temps" de Jean-Louis Comolli

Synthèse analytique de Qu’est-ce que le contemporain d’Agamben

Qu’est-ce que le contemporain d’Agamben est un texte court publié en 2007 qui reprend la le on
inaugurale du cours de Philosophie th or tique donn en 2005-2006 l’Universit IUAV de Venise.
Cette leçon d’Agamben se décompose en sept mouvement distincts.
Dans le premier mouvement Agamben cite d’emblée Nietzsche à travers Barthes et son dernier
cours au Collège de France, La Préparation du roman : “Le contemporain est l’inactuel”. On y
entend l’écho direct des “Considérations inactuelles” de Nietzsche. C’est dans ce premier
mouvement qu’il donne sa définition du contemporain : “celui qui appartient véritablement à son
temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses
prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel ; mais précisément pour cette raison,
précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir
son temps”. La thèse paradoxale d’Amgamben est donc que le goût de l’anachronique et du décalé
est un signe de lucidité nécessaire à l’interprétation du contemporain.
Dans le second mouvement de son exposé, Agamben évoque la figure du poète. Il dit à son propos
« Le poète, en tant que contemporain, est cette fracture, il est celui qui empêche le temps de se
rassembler et, en même temps, le sang qui doit souder la brisure. »
Cette réflexion peut être mis en parallèle avec les propos du critique littéraire français Antoine
Compagnon qui développe dans son essai Les Antimodernes une réflexion similaire en avançant que
les auteurs anti-modernes sont les auteurs modernes : « les antimodernes ont été le sel de la
modernité, son revers ou son repli, sa réserve et sa ressource. Sans l'antimoderne, le moderne
courait à sa perte, car les antimodernes ont donné la liberté aux modernes, ils ont été les modernes
plus la liberté »1. Pour ce faire, il s’appuie sur le poète Baudelaire, figure topique du contemporain
selon la définition d’Agamben et d’Antoine Compagnon. L’auteur des Fleurs du Mal est bien ce

1Les antimodernes. De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Antoine Compagnon, Editions


Gallimard







poète entendu comme une « fracture, {…}qui empêche le temps de se rassembler et, en même
temps, le sang qui doit souder la brisure. »
Dans le troisième mouvement de son court essai, Agamben précise que le contemporain est celui
qui voit l’obscurité de son temps. Il écrit : « Le contemporain est celui qui fixe le regard sur son
temps pour en percevoir non les lumières mais l’obscurité. » et il ajoute « Contemporain est celui
qui reçoit le faisceau de ténèbres qui provient de son temps. »
Dans son quatrième mouvement, il développe une analogie avec l’astrophysique. Il vient dialectiser
les arguments du troisième mouvement en montrant le paradoxe du contemporain qui perçoit tout
autant la lumière que l’obscurité. Il affirme être contemporain « cela signifie être capable non
seulement de fixer le regard sur l’obscurité de l’époque, mais aussi de percevoir dans cette obscurité
une lumière ».
Dans la partie suivante, il expose sa conception de la mode qui tout comme le contemporain se
caractérise paradoxalement par l’anachronisme et « l’inactuel ». À Agamben d’ajouter que « La
mode est un bon exemple de cette expérience particulière du temps que nous appelons la
contemporanéité ».
Dans le sixième mouvement de son exposé, le philosophe introduit la notion d’archaïsme, il étoffe
l’idée selon laquelle le contemporain est ce qui a la vertu de rendre archaïque le présent et l’actuel :
« La contemporanéité s’inscrit, en fait, dans le présent en le signalant avant tout comme archaïque,
et seul celui qui perçoit dans les choses les plus modernes et les plus récentes les indices ou la
signature de l’archaïsme peut être un contemporain. »
Enfin, dans le septième mouvement de sa conférence qui fait office de conclusion, Agamben
explique que le contemporain est celui qui scinde le temps en deux, qui inaugure un temps nouveau.
Cette réflexion de Giorgio Agamben peut être rapproché de la notion de paratopie conceptualisé par
le critique littéraire Dominique Maingueneau, en effet la paratopie « renvoie au rapport simultané et
paradoxal d’appartenance ou de non-appartenance qu’entretient l’auteur avec la société d’accueil et
le champ littéraire au sein duquel il écrit. Condition de l’énonciation, la paratopie de l’écrivain en
est aussi le produit. C’est à travers elle que l’œuvre peut advenir, mais c’est aussi elle que cette
œuvre doit construire à travers l’énonciation. En exploitant son « potentiel paratopique » tout
écrivain peut faire émerger son image d’auteur bien identifiable dans le champ littéraire.
Maingueneau déclare que la paratopie d’un auteur ne se réduit pas à une simple appartenance

nationale, culturelle, sociale ou un ancrage socio-historique de son œuvre, elle doit s’appuyer sur la
construction de sa topique personnelle dominante (psychologie, talent individuel, etc.). »2
L’homme contemporain, selon Agamben, est donc cet homme est à la fois impliqué et détaché du
réel, qui cultive le décalage avec celui-ci pour en avoir la perception la plus juste et analytique
possible. Cette posture détaché et décalé à la fois peut être comparé au principe même de l’appareil
photo qui lorsqu’il prend de trop près un détail, ne peut faire de mise au point et rend l’image floue.
Le contemporain doit garder paradoxalement une forme de distance avec l’actuel pour l’épouser
entièrement.

Synthèse "Cinéma, Numérique, Survie: L'art du temps" de Jean-Louis Comolli mise en


parallèle avec la notion de contemporanéité d’Agamben

Jean-Louis Comolli tout comme Giorgio Agamben a beaucoup travaillé sur des questions liées à la
temporalité, à la mémoire et à la politique.
Il attache, comme Agamben, une grande importance à la notion de temporalité et à la manière dont
elle est représentée dans les formes culturelles contemporaines. Pour Comolli, le cinéma numérique
est un lieu privilégié pour explorer les nouvelles formes de temporalité qui ont émergé avec les
technologies numériques. Les deux auteurs sont également intéressés par la manière dont la
mémoire et l'archive peuvent être utilisées pour créer des récits alternatifs ou pour contester les
récits dominants de l'histoire. Pour Comolli, le cinéma numérique offre de nouvelles possibilités
pour manipuler et réactiver les images du passé, tandis que pour Agamben, la mémoire est une arme
politique puissante qui peut être utilisée pour contester les formes de pouvoir en place. Enfin, les
deux auteurs sont également préoccupés par les enjeux politiques liés à l'image et à la
représentation. Pour Comolli, le cinéma est un lieu de contestation politique, où les images peuvent
être utilisées pour remettre en question les formes de domination et de contrôle. Pour Agamben, les
formes d'image et de représentation sont au cœur de la manière dont la société contemporaine se
construit et se reproduit, et elles peuvent être utilisées à la fois pour résister et pour renforcer les
formes de pouvoir en place.
Jean Louis Comolli dans son ouvrage Cinéma, Numérique, Survie: L'art du temps est bel et bien un
contemporain dans le sens qu’Agamben donne à ce terme. En effet, Jean Louis Comolli cultive

2 Dominique Maingueneau, Trouver sa place dans le champ littéraire. Paratopie et création,


Louvain-la-Neuve, Éditions Academia, coll. « Au coeur des textes », 2016, 187 p., ISBN :
978-2-8061-0265-2.

l’écart et l’anachronisme avec sa propre actualité pour en offrir l’analyse la plus juste et avant-garde
possible.
Ce livre, publié en 2019, est une réflexion sur l'évolution du cinéma dans le contexte de la
numérisation et de la mondialisation. Comolli explore les conséquences de ces changements sur l'art
et la survie du cinéma en tant qu'art distinctif. Il examine également la façon dont la numérisation a
transformé la façon dont nous percevons le temps, la mémoire et l'histoire.
Le livre est divisé en plusieurs parties qui abordent différents aspects de la question. Comolli
commence par discuter de la numérisation et de ses conséquences pour le cinéma, en particulier en
ce qui concerne la production, la distribution et la consommation des films. Il examine également la
façon dont le numérique a transformé notre expérience du temps, de la mémoire et de l’histoire.
Dans le chapitre intitulé « Voir le temps », Comolli émet l’hypothèse selon laquelle le numérique a
radicalisé les logiques capitalistes : « La vogue Netflix n’est que la forme devenue universelle du
contrôle maximum sur le scénario, le casting, la réalisation, la production des séries, toutes alignées
sur le modèle hollywoodien, quoi qu’il en soit de leur intérêt ou de leur réussite.3 » Comolli avance
que la multiplication des écrans au XXIe siècle a conduit à un appauvrissement de notre rapport à
l’image.
Comolli poursuit avec une réflexion sur la façon dont le cinéma peut survivre dans ce contexte
numérique et mondialisé, en examinant des exemples de cinéastes qui ont trouvé des moyens
innovants de créer de nouveaux types de films. Il explore également la façon dont le cinéma peut
continuer à être un art vivant, en dialogue avec la société et le monde qui l’entoure, s’appuyant sur
les théories de Walter Benjamin.
Dans "Cinéma, Numérique, Survie: L'art du temps", Jean-Louis Comolli explore la notion de survie
dans le contexte du cinéma numérique, en montrant comment cette notion est liée à des questions de
temporalité et de mémoire. Pour Comolli, la survie est un thème important du cinéma contemporain
car elle est souvent représentée par des images qui "survivent", c'est-à-dire des images qui ont été
capturées dans le passé et qui continuent d'exister dans le présent sous forme de mémoire ou
d'archive. Ces images peuvent être utilisées pour créer de nouveaux récits ou de nouvelles formes
d'expression cinématographique, en réactivant des événements ou des émotions du passé.
Cette réflexion sur la survie et l’image numérique peut être rapproché des interrogations du critique
Raphaël Szöllösy qui résume ainsi l’injonction de Jia Zhang Ke face aux désastres
environnementaux qui accablent la Chine : « Il faut filmer coûte que coûte, car cela risque de

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disparaître pour toujours, voilà en somme ce que disent ces cinéastes qui prennent en charge les
conséquences du bouleversement d’une société hâtée par sa (sur) modernisation. »4
Comolli montre également comment la survie est liée à la temporalité et à la mémoire dans le
cinéma numérique. Les technologies numériques ont créé de nouvelles formes de temporalité,
comme le temps réel ou le temps ralenti, qui permettent aux cinéastes de manipuler le temps de
manière créative. Cette temporalité est souvent utilisée pour créer des images qui évoquent la
mémoire, en ralentissant ou en accélérant le temps pour souligner l'importance de certains moments
ou pour créer des effets esthétiques puissants.
Enfin, Comolli analyse la manière dont la survie est liée aux enjeux politiques et sociaux du cinéma
contemporain. Il montre comment la survie des images peut être utilisée pour contester les récits
dominants de l'histoire ou pour témoigner de l'existence de personnes ou de communautés qui ont
été marginalisées ou opprimées. Il montre également comment la survie des images peut être
utilisée pour créer une mémoire collective qui résiste aux tentatives de contrôle ou de domination de
la part des pouvoirs en place.

Conclusion

On peut conclure que c’est avant tout comme « poète » que Comolli est contemporain. Le poète est
celui « qui empêche le temps de se rassembler et, en même temps, le sang qui doit souder la
brisure. », or Comolli est bien ce chercheur qui, en périodisant l’avénement du cinéma numérique
crée une fracture en séparant le cinéma analogique-argentique et le cinéma numérique comme deux
altérités. Il viendra lui même donner sa définition du paradigme de la contemporanéité en clamant
dans Une Certaine tendance du cinéma documentaire : « Voir, voir, voir ! Un impératif
contemporain. » 5

4 XVI. Survivre : un paradigme esthétique du cinéma chinois contemporain, Raphaël Szöllösy

5 Une Certaine tendance du cinéma documentaire, Jean Louis Comolli, Editions Verdier

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