Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Résumé
Régis Debray a consacré, une série de livres aux phénomènes de médiation culturelle : rôle des intellectuels, pouvoir des
signes, dispositifs techniques de communication, sens des pratiques symboliques. L'auteur estime que l'évolution des
techniques impose cette nouvelle discipline qu'est la médiologie. Yves Jeanneret propose une
introduction à ce projet et une réflexion sur son impact et sa fécondité.
Jeanneret Yves. La médiologie de Régis Debray. In: Communication et langages, n°104, 2ème trimestre 1995. pp. 4-19.
doi : 10.3406/colan.1995.2583
http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1995_num_104_1_2583
^—!
Ç^
U qu'elle
« Toute
Vie
s'accorde
Yves
et
culture
mort de
àse
Jeanneret
tenir
l'image,
définit
pourpar
p.réel.
385.
cela»
LU
Cl
Régis Debray a consacré, une série de livres aux phé- estime que l'évolution des techniques
nomènes de médiation culturelle : rôle des impose cette nouvelle discipline qu'est la
intellectuels, pouvoir des signes, disposi- médiologie. Yves Jeanneret propose une
tifs techniques de communication, sens introduction à ce projet et une réflexion sur
des pratiques symboliques. L'auteur son impact et sa fécondité.
MÉDIAS ET MÉDIATIONS
On pourrait définir la médiologie comme un effort pour
déconstruire le mot « médias ». Un tel terme est en effet un double
piège. Il suggère une dissociation entre les outils et la pensée
(ou, comme on dit aujourd'hui, entre les contenants et les
contenus), là où il faudrait chercher systématiquement un lien ; il offre
la dangereuse commodité de désigner le support technique sans
réelle précision. Contre ces fausses évidences, Debray propose
deux programmes de rupture : relier ce qu'on sépare
abusivement (la machine et l'homme), regarder ce qu'on néglige trop
souvent (la richesse de l'objet technique).
I UNE ANTIDISCIPLINE ?
| Cette première définition de la médiologie permet de comprendre
E pourquoi cette discipline est difficile à saisir et à juger, car elle
o glisse en quelque sorte entre les doigts. Ou plutôt, tout cela
La médiologie de Régis Debray 7
ADMETTRE L'INCOMPLÉTUDE
Collégien des années soixante, je connaissais Régis Debray,
bien avant d'avoir appris un mot de philosophie, comme le jeune
intellectuel prisonnier de la dictature latino-américaine. Debray
appartient à une génération de normaliens qui ont vécu leur
pensée comme une obligation à l'action. Plus que d'autres peut-être,
il a fait l'expérience, aux côtés des guérilleros révolutionnaires
comme dans les coulisses du pouvoir socialiste, de ce que
signifie s'employer à faire vivre une conviction ; il a écrit des ouvrages
précis sur les jeux de pouvoir, comme La Puissance et les rêves
(1984) qui confronte en matière de politique internationale les
principes universalistes de la gauche avec la réalité des intérêts
particuliers qu'elle sert ; il sait comment les efforts d'émancipation
se muent en formes nouvelles d'asservissement. Il s'est expliqué
sur le retour forcé à une pensée reflexive que constituait, côté
ombre, la prison. Formé par Louis Althusser, Debray a poussé
jusqu'à ses limites la non-dissociation de la théorie et de la
pratique. Mais il a abordé bien différemment d'autres intellectuels de
sa génération - contre lesquels il est resté en polémique
incessante — le retour critique, a posteriori, sur le sens d'un
engagement radical et sur le caractère meurtrier des gouvernements
révolutionnaires. Régis Debray n'a jamais fait sa palinodie
publique et ne cache pas son mépris pour ceux qui ont monnayé
en succès le récit de leurs erreurs. Il a cherché à rendre compte
des sources même de la transformation des idées généreuses en
10 Théorie de la communication
DU SYSTÈME À L'ÉCRITURE
On ne peut pas résumer Régis Debray, pour deux raisons
essentielles. La première est que le charme intellectuel de ses
travaux tient en grande partie à la masse considérable des
matériaux qu'il associe, nous faisant habituellement sauter des
monastères aux tubes cathodiques, de l'entrefilet à la thèse et
du réseau téléphonique aux galeries d'art, et le tout de façon
plausible. S'il n'y avait de nombreuses autres raisons de lire
Régis Debray, il faudrait le lire pour la fascinante stimulation
cognitive qu'il nous procure, à la limite de l'ivresse intellectuelle.
Analyses souvent de seconde main, mais la seconde main,
quand elle empoigne réellement son objet, vaut largement la
12 Théorie de la communication
FORMULES ET PARCOURS
Car comment les choses se passent-elles concrètement, dans
récriture ?
D'un côté, il y a tout ce qui impose brutalement une vision
radicalement claire sur l'histoire.
Recours immodéré à l'anachronisme : « l'intellectuel
organique a revêtu plus d'une forme historique au cours
des âges » (s, p. 65), « Medium is message, c'est en
propre la révolution catholique » (vmi, p. 98).
14 Théorie de la communication
Tout cela est un peu faux, Régis Debray ne s'en cache pas. Mais
cela contribue aussi à nous faire regarder autrement les faits de
médiation et leur importance, ce qui me semble particulièrement
précieux à une époque où la fusion entre technique et culture et
la transformation accélérée des pratiques demandent une
audace intellectuelle.