Vous êtes sur la page 1sur 7

DOSSIER DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES »

Des activités
et des soins
en psychiatrie
En psychiatrie, qu’elles soient « thérapeutiques » ou
« occupationnelles », les activités paraissent parfois relever
du bricolage clinique et les références théoriques qui les
sous-tendent sont souvent confuses. Mais quels sont leurs
objectifs ? Repères.

Dans les services de psychiatrie, des pratiques et des références parfois


la vie institutionnelle est émaillée par énigmatiques. C’est cette source, prise
toutes sortes d’activités, éphémères ou dans les nécessités de la clinique, qui
durables, qui forment un champ d’expé- leur donne leur caractère vivant. Un
riences et de rencontres précieux pour rapide regard sur leur histoire et leur
les soins psychiques. Elles sont le fruit conceptualisation permet de mettre en
de la créativité et de l’inventivité des perspective les mouvements de pensée
soignants, et restaurent une dynamique qui les portent, sans chercher à établir
toujours menacée de se figer dans une des catégorisations cloisonnantes mais
chronicisation déshumanisante. Les ori- en faisant ressortir leurs dynamiques
gines de ces activités sont souvent, pour subjectives.
partie, empiriques et intuitives. Le cadre
est rarement déterminé par une théorie LES ACTIVITÉS ET LA PSYCHIATRIE
associée à une formation spécifique à L’histoire des « activités » dans la prise
cette pratique. De ce fait, il évolue en en charge des personnes présentant des
fonction des difficultés rencontrées, troubles psychiques se confond avec les
des contraintes institutionnelles et des origines mêmes de la prise en compte
attentes des soignants. Au quotidien, de ces souffrances majeures. On trouve
ces bricolages de la clinique fabriquent la trace d’occupations spécifiques pour
une grande diversité de dispositifs. S’ils des malades dès l’Égypte ancienne.
permettent une adaptabilité importante, Les soins étaient alors organisés en
ils produisent aussi une babélisation deux étapes : après une période dite
« d’incubation », où le patient était
incité à raconter tout ce qui se pas-
sait en lui, notamment ses rêves…, il
était invité à participer à des activités
Vincent DI ROCCO récréatives et culturelles, comme des
promenades sur le Nil ou des ateliers
Psychologue, Hôpital d’Annecy, collectifs comme de la poterie (1). Plus
Maître de conférences Université Lyon 2. près de nous, l’histoire de l’aliénisme

24 SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018


DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES » DOSSIER

© Dan Casado – Another Place.


DOSSIER DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES »

du xixe siècle, qui peut être considérée les processus créateurs viennent soutenir
comme fondatrice de la psychiatrie, la mobilisation des « facultés d’enten-
montre clairement l’existence de deux dement et d’affection » nécessaires au
courants qui se prolongent jusque dans traitement des souffrances internes de
les pratiques contemporaines. « l’aliéné ».
– Dans le monde asilaire, le travail offre Bien sûr, ces quelques exemples sont iso-
à l’« aliéné » une possible occupation, lés, et le destin des personnes qui vivent
lui redonnant une place active. Il peut dans les asiles du xixe siècle est plus
© Dan Casado.

ainsi obtenir un statut de travailleur au proche de la relégation et de la déses-


sein de l’asile et, à ce titre, participer aux pérance au sein d’un univers totalitaire.
différents services de l’établissement : Au xxe siècle, deux étapes importantes
entretien, travaux des champs… Ce travail prolongent ces deux versants, l’appari-
est rémunéré modestement par un pécule tion de l’ergothérapie dans les services
L’artiste du mois dont la valeur est indexée sur celle du de psychiatrie (voir aussi l’article de
Dan Casado timbre-poste. Cette tâche, nécessaire au
fonctionnement de l’asile, présente aussi
G. Riou p. 40) et le développement des
pratiques groupales utilisant des média-
L’univers de Dan Casado est foisonnant et des vertus thérapeutiques dans la lutte tions thérapeutiques dans les structures
coloré, lumineux et mystérieux… Il peint de contre l’oisiveté, le désœuvrement. Laisser hospitalières ou ambulatoires.
drôles de créatures, multiples, qui interrogent sa marque, sa trace, exprimer sa capacité
les interactions humaines et les relations de à transformer le monde environnant et ATELIER, ERGOTHÉRAPIE,
l’homme avec le monde animal et la nature. quotidien par son travail est perçu par les SOCIOTHÉRAPIE
Artiste autodidacte, Dan Casado a développé aliénistes du xixe siècle comme porteur de À l’issue de la Seconde Guerre mondiale,
sa propre méthode et ses outils. Il utilise
potentialités restauratives ou du moins en réaction au fonctionnement totalitaire
comme fond des matériaux trouvés, collages
freinant les évolutions déficitaires. Cette de l’asile, le mouvement de la psychothé-
de papier et journaux, affiches… Au gré de
son inspiration, il ajoute de fines couches relative socialisation, en partie forcée, rapie institutionnelle promeut la volonté
de gouache, recherche de nouveaux tons relève cependant d’un paradoxe : elle de favoriser l’expression des patients et
dans les transparences, puis gratte sur la est une activité palliative au service du de leur redonner une place d’acteur dans
peinture encore humide pour obtenir des maintien d’un ordre asilaire qui entretient les soins et la société. Pour soutenir
textures, des lignes et des motifs. Des figures l’exclusion et l’isolement. cet objectif, ce mouvement donne une
cachées apparaissent, imbriquées les unes – Le second courant est dû à l’appari- place particulière à l’usage d’activités
dans les autres… « Les couleurs s’ajoutent tion du « traitement moral », définit par au sein des services d’hospitalisation
librement, se superposent […] Je suis intéressé P. Pinel (2). Ce traitement est une méde- psychiatriques. À ce titre, la thèse de
par la découverte de l’interaction entre les cine « spéciale », qui vise à mobiliser les médecine de P. Paumelle (3) (1952) est
symboles graphiques du journal et la peinture, « facultés d’entendement et d’affection » particulièrement emblématique. Intitulée
créant des niveaux différents et des espaces en entrant en communication avec « l’in- Essai de traitement collectif du quartier
inattendus. Le moment arrive où les taches de sensé ». Cette action « par le dedans » d’agités, elle ne présente pas uniquement
couleur semblent s’organiser d’elles-mêmes.
exploite la distance intime de l’aliéné une évolution majeure de la prise en
C’est comme si elles commençaient à avoir
à son aliénation. La parole devient le charge des patients, mais prend comme
un sens, d’abord vague, puis qui se précise,
moyen thérapeutique par excellence, objet l’organisation même des soins. Il
jusqu’à ce que des figures humaines et des
animaux apparaissent, colonisant cet espace mais l’établissement de ce dialogue s’agit de traiter « l’ambiance » institu-
de couleur, où se développe une autre vie, un singulier demande souvent des supports tionnelle, de soigner en quelque sorte
univers parallèle et silencieux, reflet lumineux ou des situations particulières. Pour l’institution, régie par des procédures
de mon monde intérieur ». Il en résulte influencer le délire, P. Pinel invente des marquées par la violence entretenant
des œuvres intrigantes, à la fois onirique dispositifs destinés à soutenir l’action du l’agitation des patients. Parmi différentes
et figuratif, où l’œil s’amuse à repérer des traitement moral comme les « fictions mesures, P. Paumelle généralise les
formes les unes sous les autres, à suivre des curatives » où les soignants mettent en activités. Proposées à tous les patients
tracés, déchiffrant des créatures fantastiques, scène, en partie, le délire des patients sans exception, elles doivent être adap-
dans des grappes mi-hommes mi-animal. Le pour en modifier l’issue. À la même tées aux « plus démentes des malades
petit peuple enchanteur et libre de l’artiste époque, la « théâtrothérapie » est mise traitées ». Dès leur réveil, l’infirmière
embarque le spectateur dans une rêverie en place par le directeur de l’hospice de peut leur proposer une activité simple
créative… Charenton-Saint-Maurice, qui considère comme la fabrication de tresse de raphia.
Pour Dan Casado, qui a beaucoup voyagé
que la comédie est un moyen curatif Il faut sortir d’une logique fondée sur la
et exercé plusieurs métiers, « l’art est l’outil
puissant de l’aliénation de l’esprit. C’est passivité et la dépendance, où l’action
pour reconstruire le monde. L’art est ma clé. »
Né en 1956 en Argentine, en Amérique du à ce titre qu’il demandera le transfert du des soignants se centre sur le maintien
Sud, il réside et travaille aujourd’hui dans un marquis de Sade dans son établissement d’un ordre institutionnel perpétuellement
village du centre de la France. afin de renforcer cette activité. La parole troublé.
• En savoir plus : www.dancasado.com nécessaire au traitement moral s’appuie De cette approche naît le concept d’er-
• À voir : exposition du 1er au 19 avril 2018, sur toutes les ressources du langage gothérapie, un « soin par le travail »
Espace La Croisée des Arts, Saint-Maximin- dans ses dimensions non-verbales. Le comme l’indique son étymologie. Le tra-
La-Sainte-Baume (Var). corps, la prosodie, la mise en scène et vail en atelier est pensé comme faisant

26 SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018


DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES » DOSSIER

partie intégrante du soin, car il met les CRÉATION, MÉDIATION, GROUPE « l’art brut », mais il le concentre et le
malades au contact d’une réalité sur L’utilisation des médiations thérapeu- révèle. Ces productions sont donc loin
laquelle ils agissent, tout en valorisant tiques dans le soin représente un autre d’être issues d’un quelconque dispositif
leurs productions matérielles et en leur versant du développement des activités de soin centré sur des médiations artis-
permettant une expression créative et une en milieu hospitalier. L’important essor tiques. Elles sont élaborées secrètement,
intégration dans un collectif. Les ateliers actuel de ces pratiques s’enracine dans bénéficiant souvent d’une certaine bien-
permettent aussi une profonde transfor- différentes facettes de l’histoire du soin veillance du personnel soignant, ou du
mation du cadre de vie hospitalier et psychique dont elles représentent une moins d’un accord implicite qui évite la
des relations soignants/soignés. Le sujet synthèse provisoire. Au sein de ces mul- destruction ou contribue à la fourniture


 ’activité joue le rôle d’un cadre qui crée et contrôle l’interaction
L
entre le soignant et le soigné. Ce cadre ne vise pas directement le patient,
l’activité existe en tant que telle. Le malade s’associe, intervient dans l’atelier, il peut
s’introduire dans une occupation qui ne le vise pas directement. »

des matériaux nécessaires à leur élabo-


souffrant retrouve un espace où créer et tiples facettes, il est possible de repérer
ration. Cet art de la solitude et du secret
agir au sein d’un échange organisé par trois sources principales : le rôle des
est pensé comme une production issue
la tâche à accomplir plus que par des processus de création, l’usage de sup-
des situations extrêmes de la subjectivité.
statuts institutionnels. ports pour soutenir l’échange verbal, la
C’est-à-dire des situations dans lesquelles
Dans les années 1970, avec la mise théorisation de l’usage des groupes dans
la possibilité de continuer de se sentir
en place du secteur psychiatrique, ces le soin psychique.
sujet, de maintenir le sentiment de son
activités, proposées à l’origine majori- – Le recours spontané à des pratiques artis-
identité, est portée à sa limite ultime,
tairement par des infirmiers, se spé- tiques par les patients hospitalisés au
au-delà du pensable.
cialisent avec l’apparition des ergothé- long cours dans des structures asilaires
– Dans un registre purement psycho-
rapeutes. Cette évolution laisse place à occupe une place particulière dans le
thérapique, c’est l’extension des pratiques
de nouvelles pratiques encadrées par les champ de l’art. À ce titre, la « collection
psychanalytiques issues d’une clinique
infirmiers, les activités dites de « soci- de l’art brut » (5) est particulièrement
adulte vers la psychopathologie de l’en-
othérapie », un traitement psychique représentative de la production artis-
fant qui introduit l’usage de supports
par le social. Ce mouvement est ren- tique née à l’asile. Cette collection a
autres que verbaux au sein de la relation
forcé par la loi qui instaure l’Allocation été progressivement rassemblée par le
thérapeutique. Pour aménager le cadre
adulte handicapée (AAH) et favorise la peintre Jean Dubuffet dès la fin des
analytique, les premières psychanalystes
possibilité de s’établir hors de l’hôpital années 1940, après sa rencontre avec
d’enfants, A. Freud et M. Klein, utilisent
et d’être orienté vers un Centre d’aide Charles Ladame, directeur de l’hôpital
ainsi le dessin pour soutenir les processus
par le travail (CAT), devenu aujourd’hui psychiatrique de Genève, qui lui confie
associatifs hors du champ du langage
Établissement et service d’aide par le une quarantaine d’œuvres produites par
et libérer l’activité fantasmatique des
travail (Esat). Toujours perçu comme une les patients internés dans son institution.
enfants. L’usage de la peinture, du jeu
aide à l’insertion, le travail ne s’inscrit La recherche de J. Dubuffet ne portait
et du modelage enrichit ainsi progressi-
plus dans les lieux de soin. pas sur une forme d’art portée par la
vement la technique psychothérapique.
En psychiatrie, cette notion s’estompe déraison, mais sur un art qui échapperait
La médiation s’insère même dans la rela-
pour laisser place à des activités qui aux traditions culturelles ou au contexte
tion intersubjective, avec l’invention du
se diversifient, en jouant sur la créa- artistique d’une époque. Un travail sur les
« squiggle » par D.W. Winnicott. Il s’agit
tivité, la réhabitation du corps, ou la fondements de l’opération artistique, un
d’une technique où le thérapeute interagit
proximité avec la vie quotidienne. Le art « pur », au plus près des impulsions
avec l’enfant en ajoutant des éléments à
développement des soins ambulatoires de son auteur.
son gribouillis initial. La médiation n’est
permet celui de ces activités au sein de Ce recours aux productions artistiques
alors plus uniquement destinée à soutenir
la cité, dans le cadre des structures hos- par des patients hospitalisés a déjà été
l’expression subjective de l’enfant, mais
pitalières comme les Hôpitaux de jour repéré et théorisé dans le champ psychia-
elle devient un support à la dynamique
ou les Centres d’accueil thérapeutiques trique, par H. Prinzhorn (6), en 1922,
du transfert et du contre-transfert où le
à temps partiel (CATTP), mais aussi au avec des concepts issus de la théorie
thérapeute figure son propre vécu.
sein d’associations avec l’émergence des de la « Gestaltung », la psychologie de
– Parallèlement, un saut épistémologique
Groupes d’entraide mutuelle (GEM). Les la mise en forme. Ces œuvres expriment
se produit dans les théorisations psycha-
activités se détachent progressivement alors un mouvement profond de création
nalytiques avec l’apparition des groupes
du milieu hospitalier pour accompagner de formes qui précède toute mise en
thérapeutiques sous l’effet des nécessités
le patient dans ses soins et son inser- sens. L’hôpital psychiatrique n’est peut-
de la pratique clinique. En Angleterre, les
tion sociale. être pas le lieu unique de production de

SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018 27


DOSSIER DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES »

travaux de S.H. Foulkes et de W.R. Bion pourtant de produire et d’encadrer des Selon Fustier, l’activité d’atelier est une
répondent au besoin de t­ raiter des patients évolutions psychologiques en s’appuyant pratique paradoxale où, pour qu’un effet
en grand nombre durant la Seconde Guerre sur une relation médiatisée. Les ressorts thérapeutique se produise, il ne doit
mondiale. Dans l’Argentine des années subjectifs qui animent ces pratiques pré- pas être recherché. Cette logique para-
1950, E. Pichon-Rivière et J. Bleger sentent des différences, mais peuvent doxale répond à la difficulté à mettre en
mettent en place, au sein des hôpitaux aussi se métisser selon les orientations place une relation thérapeutique qui vise
psychiatriques, des thérapies groupales prises par les soignants. directement le mode interne de sujets
pour des patients peu accessibles aux L’introduction d’activités, au sens large, à l’identité fragile, souvent difficile-
entretiens en face-à-face. Ces travaux qu’elles soient considérées comme occu- ment porteurs d’une demande de soin
fondateurs explorent le fonctionnement pationnelles ou thérapeutiques, propose clairement assumée et vivant le travail
groupal considéré comme une entité spé- un jeu de distanciation et de proximité introspectif comme rapidement intrusif.
cifique produisant une réalité psychique entre soignants et soignés. C’est un outil L’activité joue le rôle d’un cadre qui crée
indépendante de celle des sujets qui qui permet à la fois d’entrer en relation et contrôle l’interaction entre le soignant
composent le groupe. Dans les années et d’ouvrir un espace pour contenir les et le soigné. Ce cadre ne vise pas direc-
1960, autour des psychanalystes français processus intersubjectifs modulant les tement le patient, l’activité existe en tant
D. Anzieu et R. Kaës (7), une série de mouvements transférentiels. que telle. Le malade s’associe, intervient
recherches pointent les processus psy- Les pratiques d’atelier dites « socio- dans l’atelier, il peut s’introduire dans
chiques spécifiques permettant l’appa- thérapiques », qui réunissent un groupe une occupation qui ne le vise pas direc-
reillage psychique des sujets investissant de patients autour d’une même activité, tement. Il n’est pas directement l’objet
le groupe dans un « appareil psychique reposent sur trois dimensions : de la pratique de l’atelier. La pratique
groupal ». Cette approche ouvre l’accès – la dimension relationnelle vectrice des d’activités n’est pas l’activisme, l’atelier
à des registres psychiques inaccessibles mouvements psychiques, peut tout à fait être un « atelier du non-
autrement et permet le déploiement de – la dimension socialisante support du faire » (10). En référence aux travaux
mouvements transférentiels diffractés, développement des rapports sociaux, de D. W. Winnicott (11), P. Fustier pré-
qui rendent notamment utilisables les – la dimension éducative permettant le cise qu’il s’agit de donner au patient les
mouvements transférentiels massifs qui réinvestissement de capacités adaptatives moyens d’organiser un espace de jeu qui
se manifestent dans les problématiques et participant à la prévention. Cette der- n’est ni dans le faire de la production, ni
psychotiques. nière dimension est l’objet de développe- dans la rêverie du repli sur soi. Le sujet
Le déploiement des pratiques groupales ments importants avec le déploiement des peut alors rassembler « des objets ou
dans un champ ouvertement psychothé- pratiques de réhabilitation ou d’éducation des phénomènes appartenant à la réalité
rapique est rapidement complété par thérapeutique. extérieure, et à les utiliser en les mettant
l’usage des médiations issues de la pra- Les logiques qui animent ces pratiques au service de ce qu’il a pu prélever de
tique clinique infantile puis des pratiques sociothérapeutiques correspondent à la réalité interne » (12). Il reste libre de
artistiques. En effet, la dynamique des deux approches du soin. D’une part, s’approprier, d’intérioriser ou de rejeter
processus de création pour le soin est mise la thérapie consiste à réintégrer dans des productions subjectives qui ne lui
en évidence par la prise en compte des le collectif l’individu que sa pathologie sont pas imposées, mais qui apparaissent
productions artistiques des patients hospi- isole. La pratique d’atelier lui redonne au décours de l’activité. P. Fustier sou-
talisés. La médiation soutient la rencontre une place dans le groupe, via la tâche ligne aussi l’« effet ricochet » produit
intersubjective entre les patients et les soi- qu’il doit accomplir et encadré par des par l’investissement du soignant dans le
gnants, mais elle offre aussi en elle-même soignants. D’autre part, la thérapie choix et la mise en œuvre de l’activité.
de nouvelles possibilités de symbolisation apporte un encouragement réciproque Car le professionnel se donne aussi à voir
aux frontières du langage parlé. suscité par un jeu d’identifications en elle et permet ainsi un mouvement
mutuelles entre les patients présen- d’identification partielle et non obligée.
VISÉE OCCUPATIONNELLE tant des troubles semblables. Autour Cet « effet ricochet » déjoue les attentes
OU PSYCHOTHÉRAPIQUE ?… de l’activité partagée, les souffrances préétablies par le cadre de l’activité.
Activités sociothérapiques et médiations psychiques s’humanisent par un jeu de
thérapeutiques, ces deux tendances se reconnaissance mutuelle. LES GROUPES À MÉDIATION
traduisent par deux appellations diffé- Les médiations thérapeutiques viennent
rentes dans le décret de 1984 précisant L’EFFET RICOCHET directement soutenir les processus de
l’exercice de la profession d’infirmier (8) : Par ailleurs, cette lecture des processus symbolisation et d’appropriation sub-
les activités dites « occupationnelles et thérapeutiques en jeu dans les activités jective des expériences vécues par les
à visée sociothérapique » et les activités dites « sociothérapiques » peut être com- sujets souffrants. En psychiatrie, elles se
« psychothérapiques » (voir aussi l’article plétée par les travaux de P. Fustier (9). À sont développées essentiellement dans le
de J. Merkling, p. 46). En créant une partir d’une réflexion issue du champ de cadre des pratiques groupales, le groupe
division entre des activités qui seraient la rééducation (qui a aussi développé des venant soutenir la mise en place d’une
thérapeutiques ou non, ces appellations pratiques d’atelier pour soutenir la rela- fonction contenante et subjectivante.
sont la source d’une confusion qui traverse tion éducative), il propose une réflexion La médiation a un rôle de soutien de
les pratiques soignantes. Que l’objectif originale sur les ressorts psychologiques la symbolisation ou de réducteur des
soit ouvertement psychothérapique ou de ces activités centrées autour d’un angoisses de la mise en groupe. C’est un
strictement rééducatif et adaptatif, il s’agit faire commun. support, un vecteur, qui permet qu’une

28 SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018


DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES » DOSSIER

© Dan Casado – Brothers.

SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018 29


DOSSIER DES ACTIVITÉS « THÉRAPEUTIQUES »

forme sensible soit donnée à ce que tente formes dans un dispositif groupal servant en cours, les modalités d’expression de la
d’exprimer le sujet tout en permettant le d’environnement facilitateur. souffrance psychique des patients… Le
partage. À ce titre, la médiation (quelle – Les groupes thérapeutiques à médiation cadre doit provoquer ou empêcher, fixer,
qu’elle soit) doit pouvoir être investie s’appuient eux aussi sur la production l’apparition de processus particuliers, le
comme se situant entre réalité interne de figurations et de symboles, mais dans dispositif adopté devra être mis en place en
et réalité externe. Elle possède bien sûr l’optique de faire émerger les processus fonction d’un projet spécifique qui prend
ses propres propriétés en fonction de psychiques engagés dans cette activité et en compte le travail que le soignant veut
sa nature et aide à l’organisation d’une dans les enjeux transférentiels mobilisés accomplir avec les membres du groupe.
pensée, d’une adresse à autrui des pro- par le collectif. L’implication du corps
ductions du sujet. Sa principale qualité et de la sensorialité permet de travailler
est d’être plastique, de se prêter à la sur la reviviscence de vécus corporels
transformation, afin d’être une « mat- échappant aux processus de symbolisa- 1 – Alexander F. (1972), Histoire de la psychiatrie, Paris
ière à symbolisation » (13) permettant tion portés par le langage et d’interroger Armand Colin.
le déploiement d’une associativité non le lien entre la verbalisation associative 2 – Pinel P. (1800), Traité médico-philosophique de l’alié-
verbale. Elle soutient alors la création et le registre sensori-perceptivo-moteur. nation mentale, Paris, L’Harmattan (2006).
de représentations en supportant les A. Brun souligne la nécessité de prendre 3 – Paumelle P. (1952), Essais de traitement collectif du
processus de symbolisation sur le modèle en compte à la fois la verbalisation qui a quartier d’agités, Rennes, ENSP (1999).
du « médium malléable » (14). En sou- accompagné l’utilisation de la médiation 4 – Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur
tenant l’expression du monde interne, ce et les qualités symboligènes spécifiques de des personnes handicapées
médium devient l’équivalent d’un langage l’objet médiateur. Le décryptage du sens 5 – Les œuvres qui forment cette collection sont rassemblées
et permet l’échange entre les individus. des productions au sein de la dynamique à Lausanne depuis 1976.
La médiation mobilise la sensorialité transférentielle est un des enjeux majeurs 6 – Prinzhorn P. (1922), Expressions de la folie. Dessins,
qui est au fondement de l’activité de de ces dispositifs (voir aussi l’article d’A. peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard (1984).
symbolisation. L’éprouvé représente un Brun, p. 32). 7 – Le « que sais-je ? », les théories psychanalytiques du
matériel psychique brut en attente de groupe de R. Kaës, permet de faire le point sur ces diffé-
reprise dans le lien avec l’environnement. POUR CONCLURE rentes approches psychanalytiques du groupe.
C’est ce qui forme la symbolisation dite La place et la nature des activités en 8 – Actuellement, l’art R.4311-6, al. 2, mentionne que
« primaire », la constitution des repré- psychiatrie évoluent en même temps l’infirmier accomplit « des activités à visée sociothérapeu-
sentations psychiques. Le groupe et ses que les institutions de soin ainsi que le tique individuelle ou de groupe » ; l’art. R. 4311-7 stipule
médiations permettent une reprise de ces contexte historique politique économique qu’il est habilité, sur prescription, à pratiquer « l’utilisation
registres sensoriels. et culturel. Le travail a servi de modèle au sein d’une équipe pluridisciplinaire de techniques de
En institution, A. Brun (15) distingue aux premières activités à une époque où médiation à visée thérapeutique ou psychothérapeutique. »
deux types de dispositifs groupaux repo- il signait une forme de guérison sociale. 9 – Fustier P. (1983), L’enfance inadaptée. Repères pour
sant sur des dynamiques subjectives Il est aujourd’hui devenu une denrée dif- des pratiques, Lyon, PUL.
différentes : ficilement accessible en période de chô- 10 – Nom donné à un atelier de création de l’hôpital de
– Les dispositifs de médiation à création mage de masse. Les notions d’insertion Neuilly sur Marne.
sont des dispositifs « ouverts », pouvant sociale, de qualité de vie, de créativité 11 – Winnicott D.W. (1975), Jeu et réalité, Paris, Gallimard.
inclure par exemple des artistes sans ou de citoyenneté deviennent alors les 12 – Winnicott, op. cit., p. 73.
formation thérapeutique, proposer des ingrédients des activités thérapeutiques où 13 – Chouvier B. et coll. (2002), Matières à symbolisa-
expositions des œuvres. Leur objectif se tisse le lien soignant. Dans le domaine tion. Art, création, et psychanalyse. Lausanne, Delachaux
est de soutenir des processus de mise de la psychopathologie, il n’y a pas de et Niéstlé.
en forme et de figuration dans le pro- réponses stéréotypées. La constitution 14 – Roussillon R. (1991), Paradoxes et situations limites
longement des travaux de H. Prinzhorn. d’un dispositif reste dépendante de dif- de la psychanalyse. Paris PUF.
Il s’agit d’accompagner et de stimuler férents facteurs : le seuil de tolérance du 15 – Brun A. et coll. (2013), Manuel des médiations
une capacité à créer et à transformer des soignant, la vie de l’institution, les modèles thérapeutiques, Paris, Dunod.

Résumé : Quels sont les objectifs des activités en psychiatrie ? Qu’ils soient « thérapeutiques » ou « occupationnels », les ateliers, très divers, occupent
une grande place dans l’organisation des soins, mais les théories qui sous-tendent ces pratiques sont parfois confuses. De l’atelier de travail à l’ergothérapie,
des médiations artistiques au groupe, l’auteur inscrit ces activités dans l’histoire de la psychiatrie et l’évolution de la conception des soins. Aujourd’hui,
la constitution d’un dispositif de médiation peut être vue comme un cadre qui doit provoquer ou empêcher, fixer, l’apparition de processus particuliers.

Mots-clés : Art brut – Atelier thérapeutique – Concept – Créativité – Ergothérapie – Groupe – Histoire de la psychiatrie –
Historique – Hospitalisation psychiatrique – Médiation thérapeutique – Sociothérapie – Soin psychiatrique – Travail.

30 SANTÉ MENTALE | 226 | MARS 2018

Vous aimerez peut-être aussi