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Des activités
et des soins
en psychiatrie
En psychiatrie, qu’elles soient « thérapeutiques » ou
« occupationnelles », les activités paraissent parfois relever
du bricolage clinique et les références théoriques qui les
sous-tendent sont souvent confuses. Mais quels sont leurs
objectifs ? Repères.
du xixe siècle, qui peut être considérée les processus créateurs viennent soutenir
comme fondatrice de la psychiatrie, la mobilisation des « facultés d’enten-
montre clairement l’existence de deux dement et d’affection » nécessaires au
courants qui se prolongent jusque dans traitement des souffrances internes de
les pratiques contemporaines. « l’aliéné ».
– Dans le monde asilaire, le travail offre Bien sûr, ces quelques exemples sont iso-
à l’« aliéné » une possible occupation, lés, et le destin des personnes qui vivent
lui redonnant une place active. Il peut dans les asiles du xixe siècle est plus
© Dan Casado.
partie intégrante du soin, car il met les CRÉATION, MÉDIATION, GROUPE « l’art brut », mais il le concentre et le
malades au contact d’une réalité sur L’utilisation des médiations thérapeu- révèle. Ces productions sont donc loin
laquelle ils agissent, tout en valorisant tiques dans le soin représente un autre d’être issues d’un quelconque dispositif
leurs productions matérielles et en leur versant du développement des activités de soin centré sur des médiations artis-
permettant une expression créative et une en milieu hospitalier. L’important essor tiques. Elles sont élaborées secrètement,
intégration dans un collectif. Les ateliers actuel de ces pratiques s’enracine dans bénéficiant souvent d’une certaine bien-
permettent aussi une profonde transfor- différentes facettes de l’histoire du soin veillance du personnel soignant, ou du
mation du cadre de vie hospitalier et psychique dont elles représentent une moins d’un accord implicite qui évite la
des relations soignants/soignés. Le sujet synthèse provisoire. Au sein de ces mul- destruction ou contribue à la fourniture
“
’activité joue le rôle d’un cadre qui crée et contrôle l’interaction
L
entre le soignant et le soigné. Ce cadre ne vise pas directement le patient,
l’activité existe en tant que telle. Le malade s’associe, intervient dans l’atelier, il peut
s’introduire dans une occupation qui ne le vise pas directement. »
travaux de S.H. Foulkes et de W.R. Bion pourtant de produire et d’encadrer des Selon Fustier, l’activité d’atelier est une
répondent au besoin de t raiter des patients évolutions psychologiques en s’appuyant pratique paradoxale où, pour qu’un effet
en grand nombre durant la Seconde Guerre sur une relation médiatisée. Les ressorts thérapeutique se produise, il ne doit
mondiale. Dans l’Argentine des années subjectifs qui animent ces pratiques pré- pas être recherché. Cette logique para-
1950, E. Pichon-Rivière et J. Bleger sentent des différences, mais peuvent doxale répond à la difficulté à mettre en
mettent en place, au sein des hôpitaux aussi se métisser selon les orientations place une relation thérapeutique qui vise
psychiatriques, des thérapies groupales prises par les soignants. directement le mode interne de sujets
pour des patients peu accessibles aux L’introduction d’activités, au sens large, à l’identité fragile, souvent difficile-
entretiens en face-à-face. Ces travaux qu’elles soient considérées comme occu- ment porteurs d’une demande de soin
fondateurs explorent le fonctionnement pationnelles ou thérapeutiques, propose clairement assumée et vivant le travail
groupal considéré comme une entité spé- un jeu de distanciation et de proximité introspectif comme rapidement intrusif.
cifique produisant une réalité psychique entre soignants et soignés. C’est un outil L’activité joue le rôle d’un cadre qui crée
indépendante de celle des sujets qui qui permet à la fois d’entrer en relation et contrôle l’interaction entre le soignant
composent le groupe. Dans les années et d’ouvrir un espace pour contenir les et le soigné. Ce cadre ne vise pas direc-
1960, autour des psychanalystes français processus intersubjectifs modulant les tement le patient, l’activité existe en tant
D. Anzieu et R. Kaës (7), une série de mouvements transférentiels. que telle. Le malade s’associe, intervient
recherches pointent les processus psy- Les pratiques d’atelier dites « socio- dans l’atelier, il peut s’introduire dans
chiques spécifiques permettant l’appa- thérapiques », qui réunissent un groupe une occupation qui ne le vise pas direc-
reillage psychique des sujets investissant de patients autour d’une même activité, tement. Il n’est pas directement l’objet
le groupe dans un « appareil psychique reposent sur trois dimensions : de la pratique de l’atelier. La pratique
groupal ». Cette approche ouvre l’accès – la dimension relationnelle vectrice des d’activités n’est pas l’activisme, l’atelier
à des registres psychiques inaccessibles mouvements psychiques, peut tout à fait être un « atelier du non-
autrement et permet le déploiement de – la dimension socialisante support du faire » (10). En référence aux travaux
mouvements transférentiels diffractés, développement des rapports sociaux, de D. W. Winnicott (11), P. Fustier pré-
qui rendent notamment utilisables les – la dimension éducative permettant le cise qu’il s’agit de donner au patient les
mouvements transférentiels massifs qui réinvestissement de capacités adaptatives moyens d’organiser un espace de jeu qui
se manifestent dans les problématiques et participant à la prévention. Cette der- n’est ni dans le faire de la production, ni
psychotiques. nière dimension est l’objet de développe- dans la rêverie du repli sur soi. Le sujet
Le déploiement des pratiques groupales ments importants avec le déploiement des peut alors rassembler « des objets ou
dans un champ ouvertement psychothé- pratiques de réhabilitation ou d’éducation des phénomènes appartenant à la réalité
rapique est rapidement complété par thérapeutique. extérieure, et à les utiliser en les mettant
l’usage des médiations issues de la pra- Les logiques qui animent ces pratiques au service de ce qu’il a pu prélever de
tique clinique infantile puis des pratiques sociothérapeutiques correspondent à la réalité interne » (12). Il reste libre de
artistiques. En effet, la dynamique des deux approches du soin. D’une part, s’approprier, d’intérioriser ou de rejeter
processus de création pour le soin est mise la thérapie consiste à réintégrer dans des productions subjectives qui ne lui
en évidence par la prise en compte des le collectif l’individu que sa pathologie sont pas imposées, mais qui apparaissent
productions artistiques des patients hospi- isole. La pratique d’atelier lui redonne au décours de l’activité. P. Fustier sou-
talisés. La médiation soutient la rencontre une place dans le groupe, via la tâche ligne aussi l’« effet ricochet » produit
intersubjective entre les patients et les soi- qu’il doit accomplir et encadré par des par l’investissement du soignant dans le
gnants, mais elle offre aussi en elle-même soignants. D’autre part, la thérapie choix et la mise en œuvre de l’activité.
de nouvelles possibilités de symbolisation apporte un encouragement réciproque Car le professionnel se donne aussi à voir
aux frontières du langage parlé. suscité par un jeu d’identifications en elle et permet ainsi un mouvement
mutuelles entre les patients présen- d’identification partielle et non obligée.
VISÉE OCCUPATIONNELLE tant des troubles semblables. Autour Cet « effet ricochet » déjoue les attentes
OU PSYCHOTHÉRAPIQUE ?… de l’activité partagée, les souffrances préétablies par le cadre de l’activité.
Activités sociothérapiques et médiations psychiques s’humanisent par un jeu de
thérapeutiques, ces deux tendances se reconnaissance mutuelle. LES GROUPES À MÉDIATION
traduisent par deux appellations diffé- Les médiations thérapeutiques viennent
rentes dans le décret de 1984 précisant L’EFFET RICOCHET directement soutenir les processus de
l’exercice de la profession d’infirmier (8) : Par ailleurs, cette lecture des processus symbolisation et d’appropriation sub-
les activités dites « occupationnelles et thérapeutiques en jeu dans les activités jective des expériences vécues par les
à visée sociothérapique » et les activités dites « sociothérapiques » peut être com- sujets souffrants. En psychiatrie, elles se
« psychothérapiques » (voir aussi l’article plétée par les travaux de P. Fustier (9). À sont développées essentiellement dans le
de J. Merkling, p. 46). En créant une partir d’une réflexion issue du champ de cadre des pratiques groupales, le groupe
division entre des activités qui seraient la rééducation (qui a aussi développé des venant soutenir la mise en place d’une
thérapeutiques ou non, ces appellations pratiques d’atelier pour soutenir la rela- fonction contenante et subjectivante.
sont la source d’une confusion qui traverse tion éducative), il propose une réflexion La médiation a un rôle de soutien de
les pratiques soignantes. Que l’objectif originale sur les ressorts psychologiques la symbolisation ou de réducteur des
soit ouvertement psychothérapique ou de ces activités centrées autour d’un angoisses de la mise en groupe. C’est un
strictement rééducatif et adaptatif, il s’agit faire commun. support, un vecteur, qui permet qu’une
forme sensible soit donnée à ce que tente formes dans un dispositif groupal servant en cours, les modalités d’expression de la
d’exprimer le sujet tout en permettant le d’environnement facilitateur. souffrance psychique des patients… Le
partage. À ce titre, la médiation (quelle – Les groupes thérapeutiques à médiation cadre doit provoquer ou empêcher, fixer,
qu’elle soit) doit pouvoir être investie s’appuient eux aussi sur la production l’apparition de processus particuliers, le
comme se situant entre réalité interne de figurations et de symboles, mais dans dispositif adopté devra être mis en place en
et réalité externe. Elle possède bien sûr l’optique de faire émerger les processus fonction d’un projet spécifique qui prend
ses propres propriétés en fonction de psychiques engagés dans cette activité et en compte le travail que le soignant veut
sa nature et aide à l’organisation d’une dans les enjeux transférentiels mobilisés accomplir avec les membres du groupe.
pensée, d’une adresse à autrui des pro- par le collectif. L’implication du corps
ductions du sujet. Sa principale qualité et de la sensorialité permet de travailler
est d’être plastique, de se prêter à la sur la reviviscence de vécus corporels
transformation, afin d’être une « mat- échappant aux processus de symbolisa- 1 – Alexander F. (1972), Histoire de la psychiatrie, Paris
ière à symbolisation » (13) permettant tion portés par le langage et d’interroger Armand Colin.
le déploiement d’une associativité non le lien entre la verbalisation associative 2 – Pinel P. (1800), Traité médico-philosophique de l’alié-
verbale. Elle soutient alors la création et le registre sensori-perceptivo-moteur. nation mentale, Paris, L’Harmattan (2006).
de représentations en supportant les A. Brun souligne la nécessité de prendre 3 – Paumelle P. (1952), Essais de traitement collectif du
processus de symbolisation sur le modèle en compte à la fois la verbalisation qui a quartier d’agités, Rennes, ENSP (1999).
du « médium malléable » (14). En sou- accompagné l’utilisation de la médiation 4 – Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d’orientation en faveur
tenant l’expression du monde interne, ce et les qualités symboligènes spécifiques de des personnes handicapées
médium devient l’équivalent d’un langage l’objet médiateur. Le décryptage du sens 5 – Les œuvres qui forment cette collection sont rassemblées
et permet l’échange entre les individus. des productions au sein de la dynamique à Lausanne depuis 1976.
La médiation mobilise la sensorialité transférentielle est un des enjeux majeurs 6 – Prinzhorn P. (1922), Expressions de la folie. Dessins,
qui est au fondement de l’activité de de ces dispositifs (voir aussi l’article d’A. peintures, sculptures d’asile, Paris, Gallimard (1984).
symbolisation. L’éprouvé représente un Brun, p. 32). 7 – Le « que sais-je ? », les théories psychanalytiques du
matériel psychique brut en attente de groupe de R. Kaës, permet de faire le point sur ces diffé-
reprise dans le lien avec l’environnement. POUR CONCLURE rentes approches psychanalytiques du groupe.
C’est ce qui forme la symbolisation dite La place et la nature des activités en 8 – Actuellement, l’art R.4311-6, al. 2, mentionne que
« primaire », la constitution des repré- psychiatrie évoluent en même temps l’infirmier accomplit « des activités à visée sociothérapeu-
sentations psychiques. Le groupe et ses que les institutions de soin ainsi que le tique individuelle ou de groupe » ; l’art. R. 4311-7 stipule
médiations permettent une reprise de ces contexte historique politique économique qu’il est habilité, sur prescription, à pratiquer « l’utilisation
registres sensoriels. et culturel. Le travail a servi de modèle au sein d’une équipe pluridisciplinaire de techniques de
En institution, A. Brun (15) distingue aux premières activités à une époque où médiation à visée thérapeutique ou psychothérapeutique. »
deux types de dispositifs groupaux repo- il signait une forme de guérison sociale. 9 – Fustier P. (1983), L’enfance inadaptée. Repères pour
sant sur des dynamiques subjectives Il est aujourd’hui devenu une denrée dif- des pratiques, Lyon, PUL.
différentes : ficilement accessible en période de chô- 10 – Nom donné à un atelier de création de l’hôpital de
– Les dispositifs de médiation à création mage de masse. Les notions d’insertion Neuilly sur Marne.
sont des dispositifs « ouverts », pouvant sociale, de qualité de vie, de créativité 11 – Winnicott D.W. (1975), Jeu et réalité, Paris, Gallimard.
inclure par exemple des artistes sans ou de citoyenneté deviennent alors les 12 – Winnicott, op. cit., p. 73.
formation thérapeutique, proposer des ingrédients des activités thérapeutiques où 13 – Chouvier B. et coll. (2002), Matières à symbolisa-
expositions des œuvres. Leur objectif se tisse le lien soignant. Dans le domaine tion. Art, création, et psychanalyse. Lausanne, Delachaux
est de soutenir des processus de mise de la psychopathologie, il n’y a pas de et Niéstlé.
en forme et de figuration dans le pro- réponses stéréotypées. La constitution 14 – Roussillon R. (1991), Paradoxes et situations limites
longement des travaux de H. Prinzhorn. d’un dispositif reste dépendante de dif- de la psychanalyse. Paris PUF.
Il s’agit d’accompagner et de stimuler férents facteurs : le seuil de tolérance du 15 – Brun A. et coll. (2013), Manuel des médiations
une capacité à créer et à transformer des soignant, la vie de l’institution, les modèles thérapeutiques, Paris, Dunod.
Résumé : Quels sont les objectifs des activités en psychiatrie ? Qu’ils soient « thérapeutiques » ou « occupationnels », les ateliers, très divers, occupent
une grande place dans l’organisation des soins, mais les théories qui sous-tendent ces pratiques sont parfois confuses. De l’atelier de travail à l’ergothérapie,
des médiations artistiques au groupe, l’auteur inscrit ces activités dans l’histoire de la psychiatrie et l’évolution de la conception des soins. Aujourd’hui,
la constitution d’un dispositif de médiation peut être vue comme un cadre qui doit provoquer ou empêcher, fixer, l’apparition de processus particuliers.
Mots-clés : Art brut – Atelier thérapeutique – Concept – Créativité – Ergothérapie – Groupe – Histoire de la psychiatrie –
Historique – Hospitalisation psychiatrique – Médiation thérapeutique – Sociothérapie – Soin psychiatrique – Travail.