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SEBASTIAN SALGADO – NOUVEAU REGARD MYTHOLOGIQUE


Texte : Andrey Troïtsky
Photographies : Sebastião Salgado

Bonjour à tous. Aujourd’hui je vais parler de Sebastian Salgado. Ce photographe brasilien qui
réside maintenant en France, est connu par ces images documentaires qui provoquaient et
continuent à provoquer une réaction forte chez les connaisseurs de la photographie et chez
les gens simples qui sont loin de l’art. La plupart des critiques d’art et des rédacteurs des
éditions caractérisent les œuvres de Salgado comme un exemple remarquable de l’artistique
anthropologie et de la photographie sociale. En effet ses photos montrent très souvent
l’homme dans un état de désastre, de travail dur ou d’une catastrophe, cependant
aujourd’hui je voudrais me concentrer sur une autre perception de ses œuvres, si vous voulez
sur le coté pas évident, mais qui découvre pour nous un entendement plus profond. En
réalité les sujets sociaux de ses projets est un certain aspect extérieur qu’on aperçoit d’abord,
il n’est qu’une forme derrière laquelle se trouve un autre contenu. Ce coté pas évident c’est
un regard mythologique qui remplit les images de Salgado et le développement de ce regard
est venu à exprimer une mythologie nouvelle au niveau du langage visuel.

Qu’est-ce que c’est – un regard mythologique ou un regard nouveau mythologique ? Tout


d’abord il est nécessaire d’expliquer : sauf le sens concret d’une histoire de la mythologie
ancienne un mythe peut signifier dans notre époque deux choses différentes. Premièrement
on peut entendre le mythe comme un paradigme de la perception et un tel paradigme était
caractéristique pour la société et pour une conscience antique. Deuxième entendement c’est
une représentation collective de quelque chose. Au premier cas un mythe c’est une vision
spécifique du monde et de l’ordre universel, au deuxième cas ce sont des représentations
collectives plus ou moins fictives ou conventionnelles. Ce dernier aspect était profondément
analysé par Roland Barthes, et aujourd’hui je vais utiliser cette notion dans son premier
entendement, c’est-à-dire – comme le paradigme de la perception.
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Comment se diffère le regard mythologique de celui qui est habituel pour nous, les gens
contemporains ? Évidemment que les temps où l’homme vivait à l’intérieure d’un mythe sont
passés. Le paradigme du regard mythologique – et c’est aussi une longue époque – était un
prolongement d’un animisme. Le regard mythologique, autant qu’on peut la reconstruire, se
distingue par trois aspects. Le premier, ce paradigme voit l’être et le monde extérieur comme
le vivant. Il n’existe pas de matière morte à l’intérieur du regard mythologique – même les
pierres, les rivières, les mers, le ciel et notre planète sont vivants. L’animisme primitif donnait
à toutes les choses et phénomènes l’âme personnel. Le regard mythologique conserve ce
rapport à l’être comme au vivant mais élargit la structure du monde, où les phénomènes
prennent une hiérarchie et le caractère d’un avatar, c’est-à-dire d’une manifestation, d’une
incarnation temporelle des forces métaphysiques.

Dans ce cas que signifie-t-il le vivant ? Cet entendement se diffère radicalement de


l’approche scientifique de notre époque. Une conscience contemporaine, existant dans un
autre paradigme, veut entendre sous le vivant surtout quelque chose qui fait preuve de
volonté personnelle. De ce point de vue, par exemple, les végétaux ne nous semblent pas les
vivants entièrement. Selon l’approche scientifique les végétaux sont vivants, mais notre
perception quotidienne en se distingue parce que les végétaux ne possèdent pas de volonté
personnelle. En regardant cette notion – le vivant – plus largement on peut arriver à une
conclusion que le vivant se caractérise par une faculté de l’évolution, autrement dit – c’est
tout qui se développe. En ce cas même les montagnes et les pierres sont inclus dans ce
processus. Notre planète la Terre passe par les étapes d’évolution, les continents change
leurs formes, les traits des montagnes se changent, et cela n’est pas un mouvement aléatoire
des particules. Tel entendement ne convient pas pleinement le paradigme scientifique selon
lequel le vivant doit posséder une faculté de l’autoreproduction. Cependant l’origine de cette
différence ne se trouve pas dans le domaine d’une théorie scientifique. Le problème est dans
la pensée rationnelle qui divise tous les phénomènes comme des objets.

Je vais illustrer ça par un exemple suivant. Imaginez un terrain où il y a un champ, une rivière
– un lieu que vous aimez, que vous estimez beaucoup. Le soir après une journée chaude vous
allez vous baigner, vous entrez dans la rivière, vous plongez dans l’eau – elle vous donne la
fraicheur attendue, vous entendez un poisson bondir hors de l’eau, le chant des oiseaux, la
stridulation des sauterelles, tout est éclairé par le soleil doux du couchant, le vent porte
l’arôme des herbes – c’est-à-dire vous vous trouvez en dedans d’un écosystème. Puisque
vous n’êtes pas simple observateur mais vous agissez et vous existez en dedans, vous en
faites partie. Mais imaginez qu’après votre baignade en quittant le rivage vous remplissez
une bouteille d’eau de rivière. Juste tout à l’heure vous étiez dans cette eau, vous nagiez là,
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vous vous sentiez son attouchement, son odeur, et maintenant elle se trouve dans une
bouteille. Vous apportez cette bouteille chez vous, la placez sur la table. Où est-il maintenant
cet écosystème dont vous faites partie il n’y a pas longtemps ? C’est l’eau dans la bouteille
qui est l’écosystème ? Non. C’est justement l’eau dans la bouteille. Maintenant il y a vous-
même et il y a un certain objet de votre attention – l’eau dans la bouteille. Qu’est-ce qui a
changé ? C’est votre perception qui s’est changé. Lorsque vous vous sentiez comme une
partie de cet écosystème « la rivière », vous n’étiez pas avec elle en relations « sujet-objet »,
au moins telle perception était affaiblie. Mais en ce moment, lorsque l’eau de rivière est dans
la bouteille sur votre table, elle n’est plus une rivière. Vous avez emporté de cet écosystème
une partie et la partie a cessé d’être le tout. Peut-être vous avez fait cela pour prendre avec
vous quelque souvenir de ce lieu, de vos émotions, mais tout ce que vous avez faite – vous
avez retiré une quantité de la substance. C’est tout écosystème en plénitude qui est le vivant,
et lorsqu’on le sépare en objets ils deviennent pour nous une matière inerte.

La conscience moderne voit le monde au moyen de la pensée rationnelle dont la base


consiste à une possibilité de mesurer tous les phénomènes – « ratio » en latin c’est un
rapport numérique.

Deuxième aspect du paradigme mythologique c’est notre liaison avec la réalité. Lorsque tous
les phénomènes sont perçus comme le vivant, cela engendre notre place en dedans d’un
grand écosystème appelé « le monde ». Grace à notre faculté de la conscience on devient
telle partie de ce système qui prend une fonction d’un intermédiaire, autrement dit celui qui
est capable de découvrir et de passer à travers soi toutes les connexions du système.
Métaphoriquement et par le langage poétique ça peut être exprimé par une histoire d’Adam
qui dans le jardin d’Eden donnait les noms aux animaux.
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Enfin le troisième aspect du paradigme mythologique consiste à une idée de « génesis ».
L’univers et tout l’être ont une genèse. Dans le modèle de conscience mythologique c’est la
création du monde. Évidemment la genèse est aussi une question principale dans les sciences
naturelles, mais là elle ne trouve pas une décision. La physique contemporaine admet comme
la réalité seulement le matérielle. Puisque l’approche scientifique nie le domaine de la
métaphysique et donc une genèse de l’univers se trouve dans la matière c’est dans ce cas
que cette question n’arrive pas à une décision car la matière se crée par elle-même.

Donc voilà comment se distinguent le paradigme mythologique et celui de notre époque.


Pourquoi j’attribue cette vision aux œuvres de Sebastian Salgado ? Parce qu’au fond de son
art se trouve un regard qui voit le monde comme le vivant. De plus – au niveau du langage
visuel ce regard révèle et nous montre les liaisons qui remplient l’espace, des situations et
des événements filmés par l’auteur.

Ces photos sont une partie d’un grand projet réalisé par Salgado en 86. C’est une histoire de
la mine d’or brasilienne Serra Pellada. Ici le photographe ne cherche pas à montrer les
relations entre les gens, bien que dans un pareil endroit, où travaillent cinquante mille
personnes en même temps, les relations seront très visibles – de l’amitié jusqu’à l’hostilité
et la haine. Au lieu de cela l’auteur se concentre sur une tâche différente – montrer ces
événements comme une fresque au sujet de l’existence de l’homme où le mythe de Sisyphe
commence à jouer un rôle principal. Ce mythe antique décrit une histoire du roi Sisyphe qui
comme punition pour avoir triché les dieux était éternellement condamné à rouler un
énorme rocher sur une montagne. Dans ce moment quand Sisyphe l’avait traîné jusqu’au
sommet, le rocher tombait inévitablement. Ces gens s’agissant à la mine, ils ne sont pas
esclaves, ce n’est pas le boulot des prisonniers, chacun d’eux sont arrivé librement pour
tenter sa chance à s’enrichir et cependant tous ces gens sont asservis par le désir de l’or.

Voici une des photographies centrales – en quelque sorte une quintessence du projet. Un
homme, son sac aux épaules rempli de terre, sort de la fosse par un escaliers en bois. Tout le
presse : son sac, l’espace bouché sans le ciel, une zone sombre en haut au côté opposant de
la carrière. Même ce fait que le mouvement de l’homme se dirige de droite à gauche lui
donne plus de difficulté, il est presque figé – quelque chose, peut-être l’espace-même de la
carrière, lourd et collant, l’arrête dans son mouvement, et il est resté dans un pas inachevé,
balançant au bord d’un escarpement. Et seulement la main d’inconnu – pas le sauvetage mais
un espoir – apparait presque à la bordure de cadre. Elle semble étrange, même impossible,
d’un ton de terre elle vient de nulle part, mais elle existe. Est-ce que cela n’est pas un mythe
antique vu par l’auteur à notre époque industrielle ? Dans cette vie chacun est dans la
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position de Sisyphe. Indépendamment de notre métier nous tous sont dans notre propre
mine. Déjà avoir élever notre rocher au sommet nous le regardons avec confusion tomber
en bas.

Je vais citer Salgado lui-même : « Lorsque je me suis approché du bord d’une énorme fosse
tous mes cheveux se sont dressés. Je n’ai jamais vu rien de pareil. Devant moi dans quelques
fractions d’une seconde s’est déroulée toute histoire de la civilisation : la construction des
pyramides, le tour Babel, la mine du roi Solomon. Il n’était pas entendu aucun mécanisme,
j’entendais seulement des voix sourdes de cinquante mille d’homme, se trouvant dans cette
fosse. Des conversations, des exclamations, un grommellement mêlés avec des bruits d’une
travail lourde. C’est comme j’ai déplacé au début des temps. Il me semblait d’entendre l’or
chuchotant dans l’âmes de ces hommes ».

La généralisation est un aspect caractéristique des photographies de Salgado. Parfois il est


évident, comme remplissant tout espace du cadre, parfois subtile et demandant notre
attention. Cette généralisation fait sortir des situations filmées hors du concret d’habitude
dans un espace de la métaphore. Alors un événement cesse d’exprimer des histoires privées
des gens mais les considère comme le genre humain.

Voilà cette photo d’un autre grand projet de Salgado « Les autres Amériques » représente
une femme âgée avec deux enfants. Ils se sont arrêtés au seuil d’un portillon insolite. C’est
une entrée dans un espace spécial, qui semble à ne pas appartenir à ce monde – il se termine
ici. Qui sont-ils – cette femme et deux enfants ? Pourquoi se sont-ils arrêtés à cette frontière
fragile ? Ils semblent venir à quelqu’un qui reste en dehors du cadre, peut-être pour lui
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rappeler quelque chose qu’il a oublié. Ils sont eux-mêmes ce rappel – leurs corps figés contre
le ciel crépusculaire. Dans leurs regards il y a une question adressée à cet inconnu mais peut-
être à nous. Alors la photographie commence à nous raconter quelque chose qui dépasse
des objets visibles, commence à parler de quelque chose cachée, de quelque chose qu’il nous
faut comprendre – comprendre comme une métaphore. On cesse à voir des choses
habituelles – une pente en herbe, une clôture faite des matériaux improvisée, une femme et
des enfants – on commence à deviner un sens. La généralisation apparaissant dans cette
photo est liée surtout avec ce portillon étrange – sans palissade il prend un sens nouveau et
énigmatique. Mais pas seulement cela – aussi l’instant exacte dans lequel est fait ce pris de
vue et l’espace vide du cadre – tout donne cette impression d’une frontière – entre les
mondes et entre les temps.

Une autre caractéristique importante des photographies de Salgado se révèle par le


changement d’un sens des événements qui se déroulent devant nous. Alors au moment d’un
pris de vue les actions des gens changent leur sens habituel. L’action faite avait peut-être un
but simple et banal mais, vue comme un lien avec tout l’espace extérieur, cette action change
son sens.

Voilà dans cette photo du même projet « Les autres Amériques » on voit un homme ivre qui
semble dans en état presque inconscient – ses yeux sont brumeux mais il voit encore quelque
chose. Il est enveloppé dans les peaux d’un lama et filmé en raccourci d’un gros plan, et
derrière lui plus haut des enfants sont debout. Dans un moment tout bascule. On a
l’impression que cet homme il se trouve sous terre, comme si une ligne des peaux noirs c’est
une tranchée archéologique qui dévoile quelque chose secret. Cet homme il est déjà mort,
quoiqu’il existe il est séparé du monde de vivant, il est dans un autre espace, et de haut, du
monde de vivant, les enfants le regardent – ses propre enfants. Quatre adolescents le
regardent avec peur ou ironie. Ils s’appuient sur ce royaume de mort – il n’est pas encore le
temps à aller vers lui, maintenant ils sont à l’autre côté, mais ce royaume est déjà ici, ils sont
reliés par un cordon ombilical invisible mais solide.

Dans les photos de Salgado se présentent souvent ces deux aspects – ils créent la plénitude
du tableau, changent notre propre regard sur les choses habituelles. Cette vision pose devant
nous une question qui dépasse déjà les œuvres de l’auteur. Pourquoi avons-nous besoin
d’une telle vue ? Qu’est-ce qu’il nous donne ? Je ne veux pas dire le regard du photographe-
même qu’on découvre dans ces œuvres. Mais pourquoi cette perception du monde extérieur
dans notre existence ?
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Dans le paradigme du regard mythologique on affronte quelque chose fortement oubliée au


cours de l’évolution de notre civilisation et en même temps – quelque choses qui reste au
niveau caché de notre conscience, se révélant par les archétypes et l’inconscient. En jetant
le regard sur ces changements que subissait notre vision du monde pendant quelques
millénaires, on peut voir trois tendances principales. Au 20-ème siècle, analysant un état de
la société occidentale, René Guenon a noté ces trois aspects. Le premier consiste à une
matérialisation croissante. Pour la conscience antique tout le monde était rempli des liens
nombreux entre des phénomènes – nulle n’existait pas comme une chose séparée, et en fait
cela exprimait le caractère métaphysique de ce paradigme. La conscience moderne, comme
le prolongement du regard scientifique, croie seulement un fait matériel. Il ne s’agit pas
laquelle vision est meilleure ou plus correcte mais il s’agit de comprendre notre situation
réelle et ses conséquences.

Cette tendance de matérialisation – c’est-à-dire la vision du monde comme des objets


extérieurs – on peut l’entendre comme une dissociation progressive. Dans un certain point
de départ l’homme se percevait dans l’unité avec la nature, puisque dans cette époque tous
les choses avaient un caractère naturel. Les choses n’étaient pas séparées. La culture ne
s’opposait pas à la nature – ce sera arrivé plus tard. En fait la perception de la nature comme
une forme de la conscience provenait non pas de la peur devant les forces inconnaissables
de la nature mais d’une vision du monde comme une totalité, comme le tout. Dans ce
paradigme un arbre solitaire sur une colline près d’un logis n’était pas en séparation mais
était lié avec le territoire et la tribu. Dans cette vision du monde la conscience existe dans
une sorte de l’innocence – elle est sûr que tous les phénomènes dans l’écosystème sont unis,
rien ne peut pas être caché et tout a les conséquences.
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Cependant ensuite se passe la séparation de la conscience. Elle commence à s’opposer au


monde. Il arrive un changement radical – l’homme ne se sent plus qu’il est lié avec la nature,
il se souvient de cela, mais pour lui cela n’est pas déjà une réalité. Dans ce moment
apparaissent les doctrines différentes conçu pour compenser la perte d’unité – maintenant
l’homme ne se trouve pas dans une vraie liaison avec la nature et le Dieu, mais il commence
à croire en cela – il commence à utiliser une construction mentale. La perception se localise
de plus en plus, se réduit jusqu’au corps. A l’époque industrielle, même cette construction
mentale – l’origine métaphysique de la conscience – représente seulement un rite derrière
lequel il n’y a plus de réalité intérieure, et ensuite le rite perde sons sens, se transformant en
code culturelle.

Deuxième tendance de notre époque c’est la croissance de la rationalité. Elle découle de la


première. Avoir perdre la perception du monde comme le tout, la conscience se concentre
sur des objets séparés, extérieurs comme aussi intérieurs. La rationalité est une faculté de
l’esprit de diviser. Comme j’ai évoqué au début, « ratio » en latin signifie un rapport
numérique – un esprit rational tout mesure et pour mesurer il doit séparer un objet isolé du
tout, du vivant. On peut dire : Quel est le problème avec mesurer le monde ? Il n’y a pas de
problème, mais il y a des choses qu’on ne peut pas mesurer car elles ne se trouvent pas dans
le domaine de quantité. Notre sentiment – on ne peut pas le mesurer, on ne peut pas
mesurer la joie, l’amour, on ne peut pas mesurer une idée, on ne peut pas mesurer le Dieu.
Mais à vrai dire le rationnel n’est pas une seule possibilité. Il y a une connaissance intuitive.
Telle connaissance vient du fait qu’on sait quelque chose au-delà de la logique et sans la
mesurer, autrement dit on sait par notre présence dans le tout, dans la totalité – voilà ce que
c’est l’intuition. Mais plus l’homme évolue dans la science et la technologie, moins il apprécie
l’intuition.
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Que reste-t-il à l’homme moderne ? Son propre corps. Si le progrès scientifique et
technologique me convainc que le monde n’est autre chose que la matière, que la nature
n’est autre chose que la matière, que le couchant observé n’est que des photons
transperçant des couches atmosphériques, si moi-même je ne suis qu’un corps, donc il ne
me reste que le plaisir. Utilise le temps pour le plaisir. Ça veut dire le corps doit s’agiter, parce
qu’un mouvement donne des sensations et de celles-ci provient un plaisir. Telle est la
troisième tendance de la conscience moderne – l’individualisme, c’est-à-dire la solitude
existentielle.

Mais revenons aux œuvres de Sebastian Salgado. L’un des projets les plus importants et qui
est devenu un tournant pour lui, s’appelle « Exodus ». Ce mot latin signifie l’exode et nous
renvoie à une des parties de la Bible. Salgado travaillait sur ce projet pendant six ans en
Afrique, Europe, Moyen et Extrême Orient. Ces photos sont pleines de l’amer, de la
souffrance, de l’horreur – mais aussi c’est une métaphore d’un état de l’homme moderne et
du paradigme de notre civilisation – le résultat inévitable de ces trois tendances dont je viens
de parler : la matérialisation, la rationalité et l’individualisme. On ne peut pas regarder ces
photos sans douleur, mais ce n’est pas leur caractéristique complète : paradoxalement en
démontrant les désastres du génocide ou de la pauvreté, ces photos sont remplies de beauté.
A cause de cela on a beaucoup critiqué Salgado, on lui reprochait l’esthétisation et le
formalisme. Il répondait à ces attaques : « Si dans ces pays où les gens sont en pauvreté la
lumière est moins beau ? Si ces gens-là sont moins dignes ? » Ces mots expriment une idée
importante. Le but de ses projets n’était pas à montrer la souffrance, mais en nous provoquer
la compassion et par cela un entendement de notre destination, si vous voulez – le sens de
notre vie.

Ce travail sur le projet « Exodus » a marqué un tournant dans la vie de Salgado. Il a cessé de
photographier, il a refusé l’œuvre de sa vie, il a démissionné la vocation d’artiste qui
dépeigne ce monde. Voilà comment il a exprimé ça : « Nous sommes des animaux sans pitié
– nous les hommes. Notre histoire c’est une histoire des guerres, c’est une histoire sans fin,
une histoire des répressions, une histoire de la folie. J’en suis revenu sans des restes de la foi
dans le salut de l’humanité. On ne mérite pas de vivre, personne ne mérite pas de vivre ».
Fin de citation.

Ces mots parlent d’une désespérance de l’artiste devant l’insensibilité et la déshumanisation.


Peut-être cela nous fera réfléchir qu’est-ce qu’on a perdu en laissant le regard mythologique
du monde qu’on pouvait voir comme le tout, et qu’est-ce qu’on a acquis en recevant
l’électricité, l’internet et maitrisant le nucléaire ? Je ne dis pas contre le progrès scientifique,
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ce sera bête, je veux dire qu’ayant telle faculté remarquable de la conscience, nous allons
vers l’autodestruction.

Cependant l’histoire de Sebastian Salgado n’en pas finit. Depuis quelques années de silence
il est revenu à son art. Ce sont les arbres qui l’ont guéri. Après être arrivé au Brésil à la ferme
de son père, il a trouvé un sol desséché et la forêt atlantique complètement abattue qui était
là-bas à l’époque de son enfance, et alors il a commencé à replanter la forêt. Pendant vingt
ans en créant une fondation intitulée « Institut de Terre » qui a attiré de gros
investissements, il a planté dans la vallée de la rivière deux et demie millions des arbres. Le
terrain s’est transformé. Les oiseux sont revenus dans les forêts, mille types d’animaux. Il est
arrivé une renaissance.

Mais Salgado n’est pas revenu à cette photographie sociale qui l’a rendu célèbre. Il a
commencé à filmer un nouvel projet qui montrait l’homme dans son état initial, non
corrompu par la civilisation. Ce projet s’intitule « Genesis » et cela signifie « l’origine ».

À la conclusion je voudrais ajouter : évidemment que le regard nouveau mythologique dont


j’ai parlé ne comporte pas le retour au paradigme antique à la lettre, il ne s’agit pas
d’expliquer le monde par des forces surnaturels extérieures, mais d’une possibilité de
percevoir ce monde comme le tout et le vivant. Notre vision du monde et de nous-même est
dans un point critique. Selon les mots de René Guenon nous sommes dans « la crise de
modernité ». « La crise » en grec signifie un point décisif, un point critique, c’est-à-dire – la
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situation d’une catastrophe. Et comme toute crise, notre temps porte en lui deux
possibilités : l’une c’est une chute de notre civilisation, l’autre – l’intégrité avec la nature. Au
cours des époques précédentes les facultés de notre esprit, quoique nous avoir livré un
progrès énorme de la technologie, n’ont pas réussie nous donner le sens de notre existence.
Parce que ce sens s’ouvre seulement dans le monde comme le vivant, en sa totalité. Le
monde extérieur n’est pas une matière morte. Pas de besoin de le conquérir ou le dominer
parce que nous faisons partie de ce monde et sans lui nous n’existons pas. Je vous remercie.

Publié sur YouTube à la chaine Andrey Troïtsky en mai 2023

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