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Zirignon GROBLI

L’ART-THERAPIE
ET
L’INITIATION AFRICAINE

1
A la gloire de mes Ancêtres…

2
Avant-propos

Avant de promouvoir une nouvelle forme de thérapie, il


est nécessaire de faire le constat que l’ancienne a cessé
d’être opérationnelle, et de détecter les raisons de la non-
adaptabilité de l’ancien système de prise en charge aux
conditions actuelles.
L’ancien système de prise en charge est connu.
Il est avéré que, dans son essence, il est le même partout
en Afrique. En effet, pour les thérapeutes africains
traditionnels, la pathologie mentale est le résultat d’une
rupture des liens d’harmonie entre le malade et son
groupe.
Ainsi, la maladie est considérée comme une punition,
infligée par le groupe à celui qui tente de porter atteinte à
son intégrité, en mettant en cause l’obligation de
solidarité entre ses membres.
De fait, sera frappé de folie l’homme ou la femme qui
enfreint l’interdit d’avoir des relations sexuelles dans les
champs, parce que cela compromet l’abondance des
récoltes et agit négativement sur la fécondité du bétail
voire des femmes du groupe.
Dans les cas semblables, la thérapie traditionnelle revêt
la forme de ce que les ethnologues ont appelé « rituel de
guérison », (mise en scène à caractère dramaturgique au
cours duquel le malade doit confesser la faute qu’il a
commise contre la Parole de l’Ancêtre fondateur) car la
cause de la maladie est à chercher dans la remise en
question du principe d’unité absolue du groupe :

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Nous tombons malade parce que nous nourrissons des
velléités de séparation.
Après avoir perduré pendant longtemps en Afrique, la
thérapie traditionnelle, élaborée dans un contexte
socioculturel qui postule la soumission totale des
membres à la collectivité, est devenue non-opérationnelle
depuis le traumatisme colonial qui, en déstructurant l’être
négro-africain, a donné naissance à une personnalité
nouvelle, en mal d’une thérapie adaptée au cadre néo-
colonial où il survit sans repères.
Les praticiens sur le terrain savent parfaitement que le
mode de prise en charge traditionnel est devenu caduc et
que, envoyer le malade au village pour « la solution
africaine », connaît ses limites.
C’est ce qui explique, semble t-il, l’engouement de nos
populations des villes et des villages pour les pratiques
syncrétiques, dont le père Hegba du Cameroun et l’abbé
Abékan de Côte d’Ivoire sont les défenseurs les plus
connus…
Dans les cas précités, ce n’est plus l’Ancêtre qui détient
les prérogatives de la guérison mais Jésus que le prêtre-
guérisseur invoque pour rendre sa santé mentale au
malade aliéné par la possession démoniaque.
Mais, malheureusement, ces tentatives ne sont pas
toujours couronnées de succès.
Une de nos connaissances, par exemple, a été par trois
fois, en vain, soumise au désenvoûtement syncrétique
avant de se résigner à son mal.
Le savoir empirique qui découle de cette analyse est qu’il
est illusoire de vouloir substituer la fonction religieuse à la
pratique thérapeutique.

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C’est ainsi, que mon expérience personnelle m’a conduit,
en tant que psychanalyste, à l’élaboration d’une
technique d’analyse psychothérapeutique qui
conjuguerait psychanalyse et art-thérapie car pour l’être
qui demeure captif du champ imaginaire sur lequel règne
la mère phallique, il faut prévoir une approche
complémentaire à la psychanalyse qui est centrée sur la
résolution du complexe d’Œdipe.
C’est ce qui justifie notre option pour l’art-thérapie dans
nos prises en charge en Côte d’ivoire.
Pour favoriser l’émergence de nos patients au système
symbolique, il nous parait nécessaire de mettre à leur
disposition des substituts d’objets partiels sur lesquels ils
puissent décharger leurs pulsions de destruction-
jouissance.
Dans ce type de prise en charge, la fonction de l’art-
thérapeute consiste à accompagner le patient dans le
processus régressif (de destruction), qui devrait aboutir, à
la faveur de la médiation du Nom-du-père, à l’arrêt de ce
processus fatal et à l’émergence du désir de laisser des
« restes significatifs. »
Ainsi, l’activité art-thérapeutique est un affrontement anal-
sadique qui connaît son paroxysme dans la « casse de la
pierre ».
Avec son phallus de pierre, (le marteau), l’enfant-fétiche
(le patient), va à l’assaut de la mère phallique (le bloc de
granit) et s’efforce de la réduire en morceaux (meurtre
symbolique), avec le soutien du Nom-du-Père dont l’art-
thérapeute est le support.

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Du meurtre symbolique de la mère phallique et de la
culpabilité dépressive qui en résulte, émergera le désir de
réparation dont les créations, sauvées de la destruction
(grâce à la fonction paternelle exercée par l’art-
thérapeute) sont les réalisations.
Le patient en art-thérapie guérit et accède à l’état de sujet
en créant, par la maîtrise de ses pulsions destructrices.
Les castrations prégénitales sont assumées lorsque le
patient, comblé sur le mode métaphorique, de pulsions de
jouissance-destruction, éprouve enfin la satisfaction de
laisser des restes significatifs, de les préserver et d’en
faire l’objet d’une verbalisation orientée vers la prise de
conscience et l’assomption du Nom-du-père.
C’est le discours sur les restes et le savoir qui en résulte
qui, intériorisés, vont structurer les patients et décider de
leur entrée dans le champ symbolique.
A l’origine de l’art-thérapie comme de l’activité créatrice
des masques, il y a le désir de créer des formes afin de
maîtriser ses affres et de retrouver le sentiment de
continuité d’existence, sinon d’éternité (culturelle).
En effet, les sociétés d’initiation fondent l’activité des
masques sur l’angoisse de mort qui se répandit sur le
groupe social à la mort de son chef : le « grand mort ».
Le premier tailleur des masques est celui qui a eu l’idée
d’enfermer le corps éthérique du grand mort dans le bois,
pour préserver la société orpheline de sa vindicte.
C’est en réalisant la représentation symbolique du chef
décédé et en l’élevant au rang d’Ancêtre titulaire, gardien
titulaire du groupe social, que le premier initié a jugulé
l’angoisse de mort et apporté la sérénité et l’espoir dans
le cœur de la population en déréliction.

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Les choses ne se passent pas différemment s’agissant
de l’art-thérapie.
Ici l’angoisse de mort se trouve également à l’origine de
l’activité créatrice. La maîtriser est le but visé par l’artiste-
thérapeute qui, dans un premier temps, a recours aux
activités de décharge de son trop-plein de pulsions, avant
d’enfermer l’imago persécuteur dans le support artistique.
En art-thérapie la paix de l’âme et l’espoir sont également
le résultat de la maîtrise des pulsions de mort par la
création.
Il est évident que l’ « idéogramme » et les « restes
significatifs » obéissent à la même démarche et à la
même finalité. L’un et l’autre sont les expressions
graphiques de l’Esprit du « Mort » capté dans le dialogue
intérieur, au sein de l’atelier d’art-thérapie ou du Bois
sacré. La fonction dévolue à l’un ou à l’autre, c’est de
rayonner sur les sociétés et de servir de guides culturels.

Grobli Zirignon
Psychanalyste
et Art-thérapeute

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L’ART ET SA FONCTION

on s’engage sur le chemin épineux de la création


artistique un peu comme on entre en religion : en
renonçant au monde.
L’art, en effet, comme la religion est une manière de
répondre positivement à la Loi d’interdiction de jouissance,
sans laquelle il ne saurait y avoir d’existence possible :
c’est à travers l’œuvre d’Art authentique que l’artiste
ek-siste
L’artiste est donc celui qui manifeste l’aptitude à sublimer
sa jouissance refoulée, en raison de la Loi, en valeur
socialement admise par tous.
« Démiurge » c’est ainsi qu’on le désignait dans le monde
hellénique, parce que sa fonction était d’accomplir la
nature en ajoutant « la fleur de la culture ».
Aujourd’hui nous dirions, plus simplement que l’artiste est
un initiateur ou un père-pontife : l’Art étant comparable à
un pont de lianes, jeté sur l’Abîme universel, sans lequel
l’existence-voyage de l’homme serait impossible.
C’est en effet grâce à son esthétisme que l’artiste,
« amoureux du beau » a pu rompre pour la première fois
avec l’immédiateté de la jouissance animale pour
s’engager irrémédiablement dans la voie eurythmique.
Ainsi, l’artiste se distingue t-il singulièrement des autres
hommes qui demeurent mélancoliquement fixés à la
jouissance interdite et n’arrivent pas à sublimer leurs
pulsions sexuelles.

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Ce dont ces hommes sont en effet privés, c’est de ce
pouvoir « esthétique » au sens kantien du mot, c’est à dire
la capacité d’empathie qui permet de ressentir
différemment les choses.
C’est par conséquence à tort que le créateur authentique
est fustigé et accusé d’apporter la subversion dans l’ordre
social.
Il ne peut pas y avoir d’art « sub-versif », car aucun
mouvement esthétique n’a jamais été à l’origine d’un
désordre social.
Occupés à scruter leur idéal de beauté comme
l’astronome le ciel étoilé, les artistes n’ont jamais eu la
moindre action directe sur le devenir de la société.
L’art aurait plutôt un pouvoir lénifiant : celui d’apporter un
peu d’illusion et d’espoir dans le champ de bataille de la
cruelle Nature.
L’Art inaugure le champ de la contemplation à côté des
contraintes du quotidien.
Il nous arrache au monde des ustensiles pour nous
baigner dans l’espace des purs objets qu’il nous est
loisible de contempler en toute quiétude dans un salon
bourgeois ou dans un atelier d’artiste.
Une chaise peinte par Van Gogh, par exemple, ce n’est
plus l’objet utilitaire qui nous invite impérativement à nous
asseoir ; pas plus que le « Guernica » de Picasso a le
pouvoir miraculeux de nous plonger automatiquement
dans la guerre civile espagnole.
Ainsi, la mission salutaire de l’artiste est-elle bien de nous
apporter le désintéressement et la paix relatives, dans ce
monde basé sur le profit maximum et le conflit perpétuel :

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nous savons en effet que l’angoisse que chuintent la
chaise de Van Gogh et le Guernica de Picasso sont des
angoisses symboliques, maîtrisées et non existentielles.
L’Art nous retrempe aux sources de l’humain.
En effet, l’imagination et l’inconscient sont les deux piliers
soutenant la charpente de l’activité artistique.
Par l’exercice de la faculté imaginative et de la
spontanéité, l’homme, refusant d’attendre passivement le
retour de la jouissance perdue au seuil de l’existence, va
conjurer la privation par la satisfaction hallucinatoire de
ses désirs, dans l’évolution et l’anticipation.
C’est ainsi que l’être humain va préparer son accession à
la temporalité, son essence. Et c’est pourquoi là où le libre
exercice de l’imagination est empêché (excès dans la
frustration) l’essence humaine est compromise comme
c’est le cas dans la folie.

L’Art n’est rien d’autre que la sublimation de la matière


maternelle, de la mer-de en un objet socialement admis
de tous, l’œuvre d’art. L’activité artistique c’est le substitut
social de l’activité ludique de l’enfant, qui est en fait la
reproduction symbolique et l’assomption par l’enfant du
rapport mère-enfant sous l’œil compréhensif du père.
Comme le jeu, l’Art, réintroduit aux relations sociales
primitives, aux origines même de la vie en société. Et c’est
cette régression que craignent certaines personnes :
Révéler leur nature d’enfant sous l’adulte apparent.
Et pourtant, la pratique artistique est assurément le
meilleur moyen connu pour socialiser la névrose en
attendant une véritable thérapie.

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C’est la raison pour laquelle nous nous réjouissons de
l’heureuse initiative des plasticiens ivoiriens, nous les
traumatisés de la colonisation et des travaux forcés.

Comme le pieux Nommo de la légende, qui confectionna


une jupe en raphia pour cacher la nudité de sa mère,
dépouillée par Ogo, son impudent frère, ainsi nos artistes
n’ont pas reculé devant le sacrifice, pour habiller le vide
culturel de notre pays, mis à nu par la colonisation et
laissé exsangue. C’est là le signe certain de la vitalité de
notre jeune nation et sa volonté de se re-sourcer, que ces
hommes démunis qui décident de reprendre le flambeau
depuis longtemps éteint de la création artistique africaine.

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Le beau-reste est le lieu de réconciliation
des pulsions de destructions
et des pulsions de vie
sous l’autorité du Nom-du-Père.
C’est pourquoi le beau reste est
ce lieu d’où ça parle du langage fondamental.

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La création authentique postule
que l’artiste pulvérise la pierre
qui l’empêche d’être libre de
ses mouvements et ses pensées
qu’il joue avec la poussière
avant de la soumettre
a des formes originales
signes révélateurs
de sa puissance créatrice.
La création authentique
est l’acte de subversion
à la faveur de laquelle
le sujet surgit dans le monde.

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Le reste significatif qui résulte
de la trans-formation
de la pierre en œuvre d’Art
sous l’action du Nom-du-Père
est ce langage
appelé à s’inter-poser entre
la transcendance et
le candidat
à l’existence authentique.

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L’œuvre d’Art authentique est l’ouverture
opérée par le Nom-du-Père
sur le système symbolique
grâce auquel l’homme fait
son entrée dans l’organisation sociale
qui met à sa disposition
les moyens de son épanouissement.
L’œuvre d’Art authentique est la voie
de sortie hors de la clôture sadique-anale
et d’appropriation du système symbolique.

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L’activité artistique sous-tendue par
le Nom-du-Père
offre l’opportunité inouïe à l’artiste
créateur de formes significatives
d’émerger
de la confusion de l’imaginaire
et de faire son entrée
dans le champ symbolique
qui sert de structure à la réalité.
Il n’existe pas de voie de salut
hors de l’activité artistique
sous-tendue par le Nom-du-Père.

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La culpabilité dépressive et
le désir de réparation
sont à l’origine
de la création authentique.
L’œuvre authentique est
une résurrection symbolique
qui réconcilie avec la victime.

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Les beaux-restes ou traces significatives
sont les produits artistiques
de l’affrontement dialectique
du Nom-du-Père
avec les pulsions du patient.
C’est en maîtrisant la fureur
des pulsions destructrices que
le Nom-du-Père
s’inscrit dans la matière sublimée :
sur le mode de traces significatives.

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Les « beaux-restes » sont l’expression
graphique de la victoire sur le conflit
grâce à la médiation du Nom-du-père
Les « beaux-restes » sont les signes
pré-verbaux de la maîtrise anale
et d’avènement d’un sujet pré-verbal.

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Le « beau-reste » est le résultat de
l’activité réparatrice de la mère
abîmée dans les phantasmes
de l’enfant pervers.
En réparant l’image de la mère
l‘enfant repentant répare
sa propre image abîmée
dans l’affrontement
avec la mère phallique.
Le « beau-reste » est donc
la représentation symbolique
de la réconciliation de l’enfant
du père et de la mère phallique.

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Le « beau-reste » résulte de
la matière domestiquée
et structurée
par le Nom-du-Père.
Autrement dit :
la matière élaborée et
promue au rang du langage.

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L’Etre est l’aboutissement logique
de l’activité réparatrice
de la destruction imaginaire
du Tout
par les pulsions destructrices.
Autrement dit le résultat
de la restitution symbolique
du Tout endommagé
par l’imagination sadique :
L’être
est le principe du « beau-reste ».

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Avec le sous-tien du Nom-du-Père
le patient-artiste a le courage
de sacrifier la beauté décorative
qui empêche à l’artiste-esthète
de la pénétrer pour la connaître
par la voie des restes significatifs.

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RAPPORT SADIQUE -ANAL DE LA
MERE PHALLIQUE AVEC L’ENFANT
AFRICAIN

Le souci qui anime cette brève étude est d’attirer


l’attention des chercheurs sur deux pratiques
socioculturelles qui peuvent servir de pistes intéressantes
à l’approche de la personnalité ivoirienne, compte-tenu de
la place qu’elles tiennent dans les populations.
Il s’agit des pratiques liées à l’allaitement et à la fonction
excrétrice du nourrisson.
Toutes les mères du monde doivent plus ou moins se
préoccuper du bon fonctionnement de la bouche et de
l’anus de leurs bébés, car la survie de ceux-ci en dépend.
Toutefois, dans le contexte ivoirien, ce souci aboutir à
obsession.
L’importance de l’allaitement a été signalée par plusieurs
auteurs, ethnologues et cliniciens : ERNY, RABAIN,
COLLOMB, FALADE pour ne citer que ceux-là.
L’idée générale qui ressort de leurs observations est que
l’enfant africain en général connaît un allaitement qui se
caractérise par son « libéralisme » et sa longueur dans le
temps : il est nourri à la demande pendant une durée de
deux ans et quelquefois plus.
Cette pratique traditionnelle peut s’observer encore
aujourd’hui en milieu rural et urbain.
Cet allaitement, le partenaire privilégié de l’enfant, la
mère, va y mettre fin brutalement, du jour au lendemain, le
plus souvent à l’occasion d’une nouvelle grossesse.

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L’allaitement au sein reste encore le moyen d’alimentation
le plus habituellement utilisé par les mères en Côte
d’Ivoire. De nombreux ouvrages en témoignent qui
confirment nos observations.
Il s’agit d’un allaitement à la demande survenant dans le
contexte d’une symbiose corporelle mère-enfant.
Le couple mère-enfant semble parfois corporellement ne
faire qu’un (bébé porté au dos). Le corps de la mère et
plus particulièrement son sein est mis à la disposition
entière de l’enfant.
C’est ainsi que l’on observe des nourrissons au
développement psychomoteur souvent précoce qui tètent
au moment où ils en ont envie, la quantité de lait qu’ils
désirent dans la position qu’ils préfèrent. Il n’est pas rare
de voir même en milieu urbain des bébés fouiller dans le
pagne et téter le sein d’une mère endormie sur sa natte,
ou de voir des bébés attachés au dos de leur mère
passant leur tête sous son bras pour se servir même si
celle-ci marche ou travaille.
Le sevrage rarement effectif avant l’âge de deux ans est
souvent décidé du jour au lendemain et l’activité sexuelle
de la mère souvent interrompue pendant toute la période
d’allaitement est reprise.
Le sein qui était offert à la moindre contrariété est alors
refusé à l’enfant, c’est ainsi qu’après le sevrage il devra
chercher ailleurs d’autres moyens de consolation.
La fonction excrétrice n’est pas perçue comme un
phénomène physiologique spontané.
L’usage veut qu’elle soit toujours provoquée par un
lavement.

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Sur cette deuxième pratique nos sources sont plus
fragmentaires. Nos informations proviennent surtout de
communications orales d’amis et de connaissances mais
aussi de certains spécialistes de la place tels les
professeurs ATTIA et ETTE et le docteur CLAVER.
Ces diverses sources semblent révéler que la pratique du
lavement joue un très grand rôle dans la culture ivoirienne
: la particularité de ce lavement étant que le nourrisson y
sera soumis dès son plus jeune âge. (Comme si toute
absorption d’aliment devait entraîner automatiquement
une purgation.)
Le docteur ATTIA assimile le lavement à « une toilette
quotidienne ».
Quant au docteur CLAVER, il va plus loin : selon lui
certaines populations lagunaires placent le lavement
nécessairement avant toute absorption d’aliment. Avec
humour il parle d’un lavement-apéritif.
Le lavement précoce au piment en Côte d’Ivoire s’opère
par une technique qui nous paraît encore très répandue
en Côte d’Ivoire. Quotidiennement administrée chez les
personnes d’un certain âge en milieu rural, elle est plutôt
bi ou tri-hebdomadaire en milieu urbain, elle devient plus
rare dans les milieux plus occidentalisés sans toutefois
disparaître complètement.
En Côte d’Ivoire, le lavement au piment n’est ni un moyen
de lutte contre la constipation, ni une technique
d’éducation sphinctérienne.
Pour les mamans que nous avons rencontrées, c’est un
« médicament » qui protège l’enfant des maladies, qui lui
donne la force, qui chasse les vers.

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Il assure la bonne santé de l’enfant, il a valeur de soin et
trouve sa place dans la toilette du bébé.
Ce lavement est administré très précocement, parfois
dans les premières heures qui suivent la naissance,
l’enfant n’ayant pas encore tété.
Le piment est parfois accompagné d’autres substances
végétales, sa concentration peut varier selon l’âge du
bébé. C’est une pratique qui s’exercera tout au long de
l’enfance et de la vie de l’adulte.
De nombreux guérisseurs traditionnels utilisent cette
technique pour l’administration de leurs soins.
Ce lavement, chez le bébé, est traditionnellement
administré directement de la bouche de la mère qui
contient l’eau pimentée à l’anus de l’enfant fermement
maintenu.
De petites calebasses, des pailles ou une poire à
lavement plus moderne peuvent se substituer à la bouche
maternelle.
Le terme employé dans le langage imagé populaire pour
définir cette technique est le mot « pomper ».
L’observation d’une mère en train de « pomper » son
enfant montre qu’une telle technique demande une
adresse et une grande habitude pour être effectuée le
plus rapidement possible.
L’enfant qui s’agite est fermement maintenu, la tête
coincée entre les genoux maternels.
Cette opération se déroule rarement dans le calme, les
cris, mais surtout les gesticulations de l’enfant témoignent
au minimum de son peu d’enthousiasme à l’accepter.

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La position de rigueur pour les enfants plus grands, c’est
de se mettre à quatre pattes, un peu penché en avant, de
telle manière que l’intromission de la canule de la poire
soit plus aisée, la mère purgeuse se tenant derrière
l’enfant.
Quant aux adultes, ils ont le choix : ils peuvent
s’administrer le lavement eux-mêmes, la position
accroupie étant la plus commode, ou bénéficier de l’aide
de leur conjoint. Ainsi le lavement n’a pas toujours ce
caractère hygiénique qu’on lui prête. On peut l’accomplir
pour le seul plaisir.
Nous voudrions également attirer l’attention sur un fait
observable chez l’adulte et qui est peut-être à mettre en
rapport avec la pratique du lavement au piment.
Au C.H.U de Cocody la consultation de médecine (service
du Professeur ATTIA) est constituée à plus de 70 % par
des colopathies fonctionnelles.
Il s’agit de constipation chronique souvent rebelle aux
différents traitements proposés dès que ceux-ci ont perdu
l’attrait de la nouveauté.
Nous ne retrouvons pas de lésions particulières sur le plan
anatomo-pathologique (Professeur ETTE). Il s’agit de
troubles dyskinétiques à l’origine d’une constipation de
type terminal qui s’accompagnent très fréquemment de
tumeurs variqueuses hémorroïdales.
Ces troubles fonctionnels dépassent par leur importance
les troubles liés aux parasitoses intestinales.

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Ils sont dans l’esprit des gastro-entérologues, à rattacher
d’une part à la pratique des lavements corrosifs
(gingembre-piment) qui augmentent le seuil d’excitabilité
de la muqueuse ano-rectale et d’autre part à une
alimentation peut être trop riche en féculents (riz).
Actuellement, bien que l’idée d’un trouble
psychosomatique soit envisagé par certains praticiens
ivoiriens, aucune hypothèse n’a été développée dans ce
sens.
Un de ces praticiens note à ce sujet que : « Le constipé
chronique en Côte d’Ivoire, dans son discours sur sa
maladie, utilise des mots signifiants que son corps est un
contenant : les patients parlent de leur réservoir, de leur
usine...et les fécès ont valeur de contenu dangereux,
mortel (ce sont des poisons qui vont le tuer).
L’angoisse de ces patients est massive, elle s’exprime à
travers une demande d’aide désespérée et jamais
satisfaite lorsque cette aide se limite à une prescription
médicamenteuse; c’est un malade jamais guéri qui revient
sans cesse nous consulter ».
Il existe un sens à donner à ce symptôme.
La première remarque à faire sur cette pratique de
l’allaitement à la demande et prolongé dans le temps,
c’est que, en mettant le sein maternel à l’entière
disposition de l’enfant la mère finit par « tuer » le désir du
sujet oral et le rendre passif.
Dans une telle situation, il paraît pertinent de parler d’état
d’aliénation du sujet oral, l’activité orale n’étant pas, chez
ce dernier, déterminée et sous-tendue par le désir.

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Manger est une obsession pour l’ivoirien et ce n’est pas
sans raison qu’un artiste du pays a consacré une chanson
à la « Mangeocratie » et que les activités dans le pays,
même les activités sociales sont sous-tendues par le souci
alimentaire.
En Côte d’Ivoire la tyrannie du ventre règne sans partage
et la population entière est soumise à la reconnaissance
du ventre.
Mutadis mutandis, les choses se passent de la même
manière s’agissant de la pratique du lavement intensif et
systématique : il en résulte l’annihilation de la spontanéité
de la Nature. Les stimulations intestinales et la défécation
seront désormais conditionnées par l’action épicée de la
purge.
Ainsi sur le plan anal comme sur le plan oral, ces
pratiques traditionnelles aboutissent-elles à l’aliénation du
sujet prégénital, laissant la place à des comportements
obsessionnels.
En Côte d’Ivoire, l’éducation orale et anale semble donc
déboucher sur une organisation pathologique de la phase
prégénitale : l’organisation obsessionnelle de type oral-
anal qui se définit par la compulsion à ingérer pour
expulser.
Tout se passe comme si le transit et la fonction digestive,
conditions de la formation et de la croissance d’un sujet
étaient formellement interdits par la gardienne de ce circuit
« dia-bolique » : la mère nourricière et purgeuse.
C’est ici le lieu de signaler la crainte d’être empoisonné
répandue dans nos populations et dont nous retrouvons
les échos dans nos consultations.

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Des patients nous ont confié qu’ils vivaient dans la hantise
d’être empoisonnés par quelque personnage malveillant
tapi dans leur entourage, d’autres par leur propres fécès.
Telle est l’explication, superficielle, que les patients
donnent de leur compulsion au lavement.
En réalité, l’empoisonneur supposé est un substitut de la
mauvaise mère, et le poison le lait qu’elle donne sans
amour ou que l’enfant affamé lui arrache.
Le lavement s’avère une sorte d’antidote que la mauvaise
mère a administré à l’origine pour tenter de neutraliser les
effets de ses propres pulsions de mort. L’obsession orale-
anale des ivoiriens est donc la survivance de la
compulsion à la répétition héritée de la « Grande Mère »
nourricière et purgeuse.
Si, comme l’écrit Claude Lévi-Strauss dans « Origines des
manières de table » la fonction digestive caractérise
l’organisme vivant et offre un modèle organique anticipé
de l’élaboration de la Culture, n’est-on pas en droit de
craindre que cette mère (dévorante) ne constitue un
obstacle à l’acquisition de la maîtrise symbolique condition
de la maîtrise sociale ?
Selon un conte africain que rapporte Denise Paulme dans
son livre « La mère dévorante », ce conflit oral-anal aurait,
dans les temps mythiques, débouché sur une parodie de
maîtrise.
Elle écrit : deux génies se battent ; l’un avale l’autre qui
ressort par l’anus ; ainsi de suite jusqu’à ce que l’un des
génies trouve le moyen de garder l’autre dans son ventre
en s’asseyant sur une pierre.

31
On pourrait compléter cet épilogue en disant : c’est ainsi
que l’enfant introjecté devint le phallus de pierre d’une
mère toute-puissante.
A l’origine des temps, nous apprennent les pères
fondateurs des sociétés des masques, il n’y avait ni
homme ni femme mais une espèce de créature
androgyne. C’est un homme d’exception, un homme
porteur de phallus, qui a créé le système d’initiation aux
fins de déterminer les sexes et de promouvoir la
collaboration des hommes et des femmes initiés.
Or avec l’intrusion de la domination coloniale, ce système,
ce type de production des êtres sociaux a connu une
décadence qui a généré la désorganisation de nos
sociétés.
Il en a résulté leur régression au stade premier du
développement, caractérisé par la résurgence de la figure
de la Grande Mère des origines et de ses enfants-fétiches.
C’est dans ce contexte de régression que ces pratiques
symptomatiques du malaise social que sont l’allaitement à
la demande et le lavement systématique, ont certainement
vu le jour.
Malaise social consécutif à la « mort » du père initiateur et
de ses figures sociales. C’est donc à la mort du père et à
la décadence des systèmes d’initiation qu’il faut imputer
l’état de régression de nos sociétés post-coloniales à la
phase la plus primitive du développement humain : la
phase orale-anale.
Le conflit oedipien, qui est un moment nécessaire à la
structuration de la personnalité humaine postule

32
l’identification de l’enfant à un père porteur de phallus. Un
père qui a fait de son mère son épouse.

C’est à l’imitation de ce père que l’enfant voudra posséder


sa mère.
Telle est la première condition à la constitution de
l’Œdipe : l’existence d’un père médiateur et l’identification
de l’enfant à celui-ci.
La deuxième exigence, ce sera l’interdit paternel qui
provoquera nécessairement l’affrontement entre les deux
rivaux, le devenir-humain de l’enfant dépendant de la
résolution du conflit par renoncement à la possession de
la mère et le déplacement des pulsions sexuelles de
l’enfant sur les autres femmes (à l’exclusion de sa mère).
L’existence d’un père capable de résister aux désirs de
toute-puissance de la mère phallique est donc la condition
sine qua non de l’humanisation de l’enfant car c’est le
père qui permet l’avènement de l’Oedipe en s’opposant à
l’union de la mère et l’enfant et qui le résout en assurant le
triomphe de la Loi.
C’est pourquoi la privation d’un père médiateur est le plus
grand malheur qui puisse arriver à un être humain et à
une société.
L’absence de médiateur, en effet, aura pour conséquence
de mettre directement en contact la mère dévorante et
l’enfant.
Et c’est pour se « défendre » que l’enfant est contraint
d’introjecter son persécuteur maternel. Ainsi, au lieu de se
résoudre par le renoncement à la mère et l’assomption de
la Loi, comme cela se passe dans le conflit oedipien, le
conflit duel, pré-oedipien, aboutira à l’intériorisation de la
mère et à la pérennisation du conflit avec elle.

33
La vie de cet être « possédé » par l’imago d’une mère
dévorante ne sera plus que fuite et ruse permanente pour
tenter d’échapper à l’annihilation.
Ce qu’on pourrait appeler l’ « idéologie africaine », le
fétichisme, n’a rien d’occulte, en vérité. C’est un système
de « défenses » destinées à lutter contre l’imago
persécuteur de la mère dévorante : dans tout fétiche, il
faut voir un substitut phallique imaginaire.
C’est ici que se pose le problème crucial de la
« Refondation » de nos sociétés post-coloniales, aliénées
dans le processus de répétition du traumatisme colonial.
Il est évident qu’il ne saurait y avoir de Refondation
possible sans la volonté de regarder en face le
traumatisme colonial, de l’affronter et de le maîtriser dans
une activité productrice de symboles.
Il est d’importance capitale que dorénavant les notions de
créativité et de mérite soient hissées au rang de critère de
promotion, dans notre société an-archique basée sur le
pathos et le séfonisme.
En effet, mettre à l’honneur les notions de créativité et de
mérite, c’est créer les conditions d’émergence d’une
structure symbolique authentique, fondement de la vie
sociale.
Tels sont les réquisits pour réparer (refonder) le tissu
social mis à sac et avili par la violence coloniale, et néo-
coloniale.
La re-naissance du sujet négro-africain est à ce prix.
En encourageant la mise en place d’une structure
symbolique, par le biais de l’incitation à la créativité,

34
l’Autorité refondatrice va favoriser l’émergence des
relations médiatisées, ce qui aura certainement pour

conséquence heureuse de pro-mouvoir des hommes et


des femmes aptes à la communication et aux activités de
développement.
On l’aura compris : il ne suffira pas que les « bailleurs de
fonds » mettent leur argent à notre disposition. Le plus
important pour favoriser le « décollage » réel de notre
pays, serait qu’ils soutiennent le projet de sa refondation
culturelle.
Car une société qui n’est pas structurée par un système
symbolique articulé autour de créateurs authentiques,
n’est, selon l’expression du roi Guezo du Dahomey,
qu’une « jarre percée », que même des milliards de pluies
d’argent ne peuvent combler.

35
C’est aux paroles de la mère phallique
infiltrées de pulsions de mort
qu’il faut imputer
l’opposition de l’enfant
et son refus de métaboliser
cette nourriture symbolique.
Assurément, il existe
un rapport symbolique
entre le lait maternel et le langage.

36
La seule voie de sortie de sa déchéance
l’homme-déchet doit la chercher
dans la mise en formes artistiques
de sa personnalité anale
sous la houlette du Nom-du-Père.
Les déchets significatifs sont l’itinéraire
qui va permettre à l’enfant-déchet
de sortir du système anal où l’ont
enfermé l’échec des premières tentatives
de socialisation avec une Mère immature.

37
Le Nom-du-Père est le pouvoir d’intégration
que le nourrisson doit recevoir à la naissance
par le biais de l’allaitement réussi :
elle lui permet de dépasser la phase
du conflit originaire
dont les cris provoqués par la faim
sont l’expression angoissée.
La bonne coordination entre le désir du sein
et l’offrande de celui-ci par la mère
ainsi que la satisfaction qui en résulte
sont le signe d’entrée dans le pré-symbolique.

38
Les enfants des pays pauvres sont
condamnés au mérycisme
c’est pourquoi les hommes
aliénés à l’imaginaire
n’ont pas d’énergie
nécessaire à la production
de leur subsistance
et de leur épanouissement.

39
La fonction des frustrations orales précoces
c’est d’emballer les pulsions sadiques
de l’enfant et de tuer dans l’œuf
son aptitude à symboliser.
Telle est la situation des enfants
en pays sous-développés où les mères
engagées dans la lutte pour la survie
ne perdent pas leur temps
dans les relations d’échanges verbales.

40
La mère phallique est une organisation
de pulsions sadiques-anales qui
empêchent l’éclosion
des potentialités verbales de l’enfant
et le réduisent à néant ses velléités
de communication avec le Père.
Il en résulte que la fonction paternelle
consistera à exercer des pressions sur
la mère phallique afin qu’elle opère
la mise en formes-langage
de sa propre organisation anale
structurée par ses créations artistiques.
La mère devient cette voie symbolique
dont l’enfant a besoin pour faire
son entrée dans le champ symbolique.

41
La voie royale pour émerger de la prison du
système anal et surgir
dans l’espace verbal en passant
par le pré-verbal
c’est la voie de la sublimation
des pulsions anales
c'est-à-dire leur mise en métaphore
grâce à la médiation du Nom-du-Père
dont l’action décisive a pour effet de
maîtriser la métaphore de la jouissance
et de créer des beaux-restes
figures annonciatrices du verbe.
L’art-thérapie est donc l’activité propédeutique
à l’émergence du verbe.

42
La mère toute-puissante est pour l’enfant
la persécutrice qui l’assiège
dans une clôture anale où
elle lui inflige toutes les contrariétés.
L’enfant de la mère toute-puissante
n’échappera au délire paranoïaque
qu’en s’accrochant au Nom-du-Père
pour résister désespérément
à la hargne de la mère toute-puissante.

43
L’unité-duelle de la mère phallique et
de l’enfant-fétiche
est la plus horrible des tragédies dont
le développement linéaire apparent
est à la vérité sous-tendu par
la répétition d’un traumatisme :
celui de l’enfant phagocyté qui
s’efforce en vain de se délivrer
de l’emprise toute-puissante
de l’imaginaire de la mère phallique.

44
La phase sadique-orale est le moment
d’apparition des pulsions de destruction
où la jouissance-cannibale
est à son comble
et l’enfant confronté à la culpabilité.
Cette phase est aussi le moment idéal
à l’entrée en scène du père
pour sevrer l’enfant et
favoriser sa socialisation par
la consommation du « solide » partagé.

45
Le processus de socialisation s’enclenche
dès les premiers jours de la naissance
lorsque le nourrisson qui cherche
à sortir de son chaos intérieur
est accueilli par une mère mature
qui comprend son désir et accepte
d’établir une relation d’échange.
Les premières relations mère-enfant
sont fondatrices de liens symboliques.

46
Plutôt que de renvoyer à la mère phallique
les pulsions anales
qu’elle projette sur sa personne
et s’engager avec sa génitrice
dans la bataille de fécès
l’enfant fécalisé préférera préserver
leur relation en l’idéalisant
et en choisissant de
défléchir sur les autres ses pulsions anales.

47
C’est l’angoisse de s’effondrer
dans le trou creusé
par la séparation
qui retient l’enfant ‘(privé
de la protection du père)
auprès de la mère
dont il devient le phallus.

48
L’enfant de la mère phallique est
un être à qui il est interdit
de s’inscrire
dans une relation symbolique
et qui est contraint de subir
sa puissance de réduction
pour lui servir de pénis anal.

49
ART-THERAPIE ET DECOLONISATION

Un esclave affranchi n'est pas encore un homme libre. Il


n'est " qu'un esclave affranchi ", par un maître généreux
ou calculateur. Ce qui différencie l'affranchi de l'homme
libre c'est que l'affranchi n'est pas convaincu de sa liberté
qui est octroyée, et qu'il continue de se comporter comme
un esclave. En effet l'affranchi se trahit toujours par
quelques signes. Il en est ainsi parce que libéré des
chaînes de la servitude sociale, l'affranchi n'en demeure
pas moins esclave par sa mentalité. On est asservi à la
faveur d'un malheureux accident de l'Histoire et on devient
"esclave" par la force du déterminisme psychologique.
Par quelles voies mystérieuses ?
Parce que le processus de réduction en esclavage ne
s'accomplit que lorsque l'esclave a opéré l'intériorisation
du maître. C'est en le laissant briser sa capacité de
résister et de garder sa faculté d'assentiment que l'esclave
laisse le maître pénétrer sa personnalité et prendre
possession de son espace intérieur. L'esclave accompli
perd le contrôle de sa vie intérieure au profit du maître.
C'est ainsi que l'esclave devient la chose du maître
invisible : le pantin qu'il continue de manipuler hors scène
(…).

(…)Ainsi, c’est le désir de me sentir « bien dans ma


peau » qui a présidé à mon entrée en analyse afin de
côtoyer les couches profondes de mon inconscient et de
surmonter un sentiment d’infériorité qui aurait pu naître
pour un jeune africain de treize ans ayant quitté son pays
(la Côte-d’Ivoire) pour poursuivre ses études en France.

50
Comment être complètement libéré du joug du grand
Autre (colon) ?
Après une longue période d’errance et de vaine
recherche, la psychanalyse, découverte en classe de
philosophie et à l’université, s’est imposée à moi.
Ce fut une période de bonheur de me retrouver sur le
divan du Docteur Faladé, bonheur de parler librement de
mes problèmes à un substitut de mère qui prêtait une
oreille attentive et compréhensive.
Je dois dire que l’expérience que j’ai faite de la cure
analytique a été satisfaisante. Et sur la fin de mon
analyse, je fonctionnais suffisamment bien pour
reconnaître que j’avais atteint le but que je m’étais
assigné.
Quelque chose cependant continuait à me gêner.
L’agoraphobie qui réapparaissait de temps en temps en
période de fatigue et que je ressentais comme une
blessure à mon narcissisme. Il me semblait que cette
phobie était quelque chose qui échappait aux prises de la
parole et de la pensée. Quelque chose de monstrueux
que j’imaginais comme une masse de déchets vivante, un
écheveau de pulsions primitives, une mygale noire au
centre de mon être, qui devenait particulièrement cruelle
lorsque je me retrouvais seul avec elle, dans un espace
ouvert.
N’étant pas de ceux qui « pactisent » avec leur maladie, je
cherchai à trouver le moyen de me débarrasser de ce
monstre qui m’assiégeait de l’intérieur. Mon intuition m’a
suggéré que dans ces circonstances où la faculté verbale
s’avère manifestement impuissante, l’activité préverbale
était l’indication thérapeutique à suivre.

51
Il est vrai qu’à ce moment de mon analyse, la parole me
paraissait vaine, inappropriée comme moyen d’expression
devant l’exigence d’agir et de décharger les pulsions de
mort qui se bousculaient à l’intérieur de mon organisme.
Mon ouverture sur la tradition négro-africaine, ainsi que
l’assomption de ma fixation au « stade anal » du
développement dégagé par Freud m’ont certainement
aidé dans mon choix de l’art comme moyen privilégié de
me libérer de ma phobie.
Lorsqu’on considère en effet les chefs d’œuvre de l’art
primitif africain, on se rend compte que la création
artistique fut le moyen d’expression privilégié du négro-
africain. En effet, l’objet d’art, n’est pas, pour l’artiste
africain, une représentation plastique destinée à charmer
les yeux ou à distraire l’esprit. On l’a dit c’est un
idéogramme. Autrement dit, le support concret d’une
pensée qui résulte de la maîtrise pré-verbale des
passions, voire des pulsions de mort.
De part mon héritage culturel donc, je fus spontanément
convaincu que la création artistique était mieux indiquée
pour me débarrasser de ma phobie que la pseudo
maîtrise verbale par l’écriture. Je doutais que cette
dernière voie, couramment usitée en Occident comme
moyen de « dépassement » de la cure analytique par la
créativité littéraire, fût efficace.
Du reste, la théorie freudienne ne postule t-elle pas la
maîtrise « anale » comme préalable à la constitution du
sujet et à son entrée dans le champ du symbolique ?

52
Aussi bien, pour engager la lutte libératrice contre le
monstre qui m’habitait et m’aliénait, ai-je réuni des
instruments propres à l’expression de mes sentiments
sadiques : couteaux, cutter, marteau, cailloux, grattoirs,
chiffons, jets d’eau, enfin tous les outils que peut proposer
l’imagination sadique.
De préférence à la peinture sur toile, qui n’est pas adaptée
à la création spontanée, j’utilise les pastels et les craies
sur cartons à gratter.
Ce support qui, à la différence de la toile, se prête aux
agressions et aux modifications, ces bâtons de couleur
que je peux manipuler directement et identifier aux
pulsions que je cherche à évacuer, la projection de celles-
ci sur le carton, me permettent déjà suffisamment de me
décharger.
Mes aspirations sadiques sont à leur comble lorsque je
fais intervenir les couteaux (pointus et à scie), le cutter, le
marteau pour écraser les craies de couleur, les cailloux et
que je peux les utiliser pour perforer le carton verni, le
gratter, le frotter, le déchirer, arracher des morceaux, le
tremper et le soumettre à des jets d’eau aux fins d’y
inscrire des traces de mon sadisme déchaîné, à la
manière du sculpteur noir dans le bois.
Dans ces conditions toutes particulières de création, le
support artistique, le carton-vierge, prend la signification
de lieu de projection-évacuation imaginaire des pulsions
anales identifiées aux matières picturales. Et l’activité
artistique devient la métaphore de l’affrontement avec la
mère phallique.

53
L’imago de la mère phallique, qui barre l’accès à la figure
paternelle et interdit l’entrée dans le champ symbolique,
est omniprésente en Afrique Noire.
Terrible, dévorante, implacable, l’ethnologue française
Denise Paulme lui a consacré un admirable livre « La
mère dévorante » dans lequel elle évoque en termes
mythiques le drame de l’homme noir aliéné dans la spirale
diabolique de l’affrontement avec l’image de la mère
phallique, (alternativement chacun avale l’autre et
l’évacue), dans un conflit anal-passif sans fin.
Cette lutte aveugle et désespérante du négro-africain,
dans notre quête de sauvetage, nous avons essayé de
l’appréhender aussi dans la perspective historique. Et il
nous est apparu que, étant consécutive au choc et au
traumatisme colonial qui ont disqualifié les structures
symboliques traditionnelles, elle était symptomatique de la
situation coloniale caractérisée par le rapport de
domination sans partage.
C’est pourquoi il nous semble légitime de voir dans
l’imago de la mère phallique qui règne despotiquement à
l’intérieur de l’ex-colonisé, la figure du « maître-fou »
intériorisée.
La mère phallique et sa figure masculine, le père tout-
puissant, ne sont finalement que les produits monstrueux
de l’intrusion brutale et déstructurante du Pouvoir colonial.
Il ne faut donc pas s’étonner de l’esprit de dépendance et
du complexe d’infériorité des colonisés, même après leur
« émancipation ». Car l’image du maître intériorisé,
transmise de génération en génération, par la voie de
l’éducation, poursuit en eux son œuvre de colonisation et
de réification.

54
Les raisons du conflit de nature schizo-paranoïde qui
oppose l’ex-colonisé à lui-même et aux autres sont à
chercher dans ce traumatisme.
Désormais, c’est sur le mode imaginaire et pathologique
que se perpétue
« l’arelation anale-passive » du Noir et du Colonisateur.
C’est pourquoi la question de la lutte de libération du
colonisé devra dorénavant se poser en termes de
stratégie psycho-pathologique qui associera les avantages
de la psychanalyse classique à ceux de l’activité artistique
créatrice du langage et support de prise de conscience du
patient.
Il s’agira, à la faveur de cette stratégie thérapeutique qui
fait appel à la psychanalyse et à l’activité artistique
créatrice de formes significatives, supports de
l’inconscient du patient, de renforcer la cohésion du moi
par intégration du Nom-du-Père, et d’étendre ses limites,
au moyen de la création qui fait la part belle à la
destruction-jouissance afin de favoriser l’émergence du
désir de réparation.
L’œuvre d’art s’avère alors, le résultat de la structuration
des « restes » par le Nom-du-Père. C’est un « beau-
reste », représentant symbolique du Nom-du-Père.
Interprétées comme telles et intériorisées, ces formes-
langage sont appelées à structurer le chaos intérieur du
patient et à opérer son assomption en tant que sujet dans
le champ symbolique.

55
Lorsque toutes les ressources de
l’intimidation
ont été employées en vain
et que l’esclave s’obstine à vouloir
se libérer
de ses chaînes grâce au sous-tien
du Nom-du-Père c’est alors
que le maître pris de panique
va recourir à la répression sauvage
pour rétablir l’état d’aliénation
garant de ses illusions de maîtrise.
L’aliénation du maître
est pire que l’aliénation de l’esclave.

56
Pour se défendre des affres
de l’angoisse psychotique
qui ronge
le maître-fou les projette
sur ses esclaves qu’il
traite de tous les noms.
La fonction des esclaves
c’est de prendre sur eux
la castration du maître-fou.

57
Ce sont ses propres pulsions sadiques
retournées contre lui-même
sous la contrainte
de la puissance dominatrice
qui morcellent la personnalité
de l’homme noir
et en font cette masse de déchets
résignés à la manipulation.
Le nègre est le produit historique
de la déchéance du Dieu noir
sous l’action revancharde
de la fureur sadique de l’homme blanc.

58
Ce n’est pas parce que l’homme noir est
frappé d’infériorité ontologique
qu’il est considéré comme inférieur
mais plutôt parce que les racistes
ont éprouvé le désir de hisser
au pinacle « la race blanche »
qu’ils ont exercé sur l’homme noir
des exactions déshumanisantes.
Le désir narcissique de promouvoir
la supériorité illusoire de la « race blanche »
est à l’origine de la classification des races.

59
L’homme noir est surtout l’esclave du
préjugé que les idéologues
de la supériorité de la « race blanche »
ont soigneusement concocté
et transmis au monde.
La libération de l’homme noir
postule qu’il fasse voler en éclats
cette étiquette qui lui colle à la peau
selon laquelle il est un sous-homme.

60
De la même manière que les alchimistes
formèrent le projet insensé
de transformer le vil plomb en or
ainsi les idéologues du racisme
ont-ils imaginé qu’ils pourraient
opérer la réification de l’homme noir
en vulgaire instrument.
Les premiers ont depuis longtemps
compris et renoncé à leur folie
quant aux seconds
ils refusent de reconnaître leur phantasme
et continuent d’espérer le miracle.

61
C’est un devoir sacré pour le nègre
d’opérer un résurrection symbolique
à partir de l’état de réification
où la traite et la colonisation
l’ont enfermé.
Il dispose pour cette œuvre du génie
dont la Nature l’a doté à savoir
l’aptitude à la création artistique
qui s’épanouit en idéogrammes
révélateurs de son essence aliénée.

62
Au nègre révolté qui aspire à la liberté
il est prescrit comme préalable
la destruction symbolique
de l’imago du colon.
La maîtrise de l’imaginaire
est l’arme symbolique qui libère.

63
L’angoisse inconsciente des néo-colons
déguisés en « garants de libertés »
c’est que leurs créatures
ne se retournent contre eux
d’où la méfiance paranoïaque
de ces hommes libres
envers les esclaves supposés affranchis.

64
La répression exercée sur les impétrants
par les maîtres d’initiation
provoqua certainement le refoulement
de leurs pulsions sadiques
et ceci fut assurément à l’origine de
la castration anale de l’homme noir
prédisposé dès lors
à subir les assauts du colonisation.
Assauts qui furent vécus
comme la punition de l’Ancêtre
fondateur du système d’initiation.
Finalement le colon sadique
représente le père tout-puissant
de l’homme noir
retourné contre sa propre personne.

65
L’ennemi invisible du nègre est
le discours-maître intériorisé qui
détermine ses comportements.
Il n’y aura pas de dé-colonisation
du nègre.
tant qu’il n’aura pas extériorisé
le discours-maître qui l’habite
comme un cheval de Troie et
ne l’aura pas analysé et neutralisé.

66
Le maître est la pierre qui obstrue
l’entrée du monde symbolique
pierre que l’homme qui désire
s’humaniser
doit affronter et pulvériser
afin de la symboliser comme
signifiant du Nom-du-Père.
Un impératif
pour l’esclave aliéné qui désire
recouvrer son humanité :
le meurtre symbolique du maître.

67
Tous les peuples du monde ayant connu
la domination réifiante
et l’identification à l’agresseur
à un moment de leur histoire
il en résulte nécessairement
que le complexe d’infériorité
est la chose inhérente à tous peuples.
Le complexe dit de supériorité
n’étant qu’un comportement réactionnaire.

68
Le maître intériorisé poursuit
son entreprise de destruction
de l’esclave affranchi par
l’effet du mépris et de la haine
entretenus par l’imago du maître.
Le complexe dit d’infériorité
résulte de l’esclavage psychique.

69
Les préjugés de race et de couleur
remontent à l’époque des invasions
des civilisations négro-sémitiques
par les indo-européens
et ils sont l’expression délirante
du narcissisme des barbares
triomphants
qui édictèrent leur loi
selon laquelle l’homme noir
est inférieur à l’homme blanc.
Le traumatisme de la castration
est à l’origine du
complexe d’infériorité de l’homme noir.

70
Les idéologues racistes blancs ont voulu
éterniser l’esclavage dans lequel
l’homme noir était tombé
après une longue période de domination
dont ils ont tenté d’effacer les traces.
La fureur avec laquelle les idéologues
racistes blancs se sont acharnés
à défigurer l’image de l’homme noir
est un « cas » de haine raciale
qui précède les génocides dans l’Histoire.

71
C’est en brisant la volonté du Noir
le noyau des manifestations
de son être au monde
et en lui substituant
sa propre volonté
que le colon a créé
cette chose-humaine : le Nègre.

72
Il est temps d’arrêter le processus
de destruction de l’homme noir
par sa propre volonté
retournée contre lui-même.
Le temps est venu d’apprendre
à désaliéner la volonté du Nègre
en la défléchissant sur la pierre
métaphore du colon.

73
Le colon était un monstre qui a dévoré
l’âme de l’homme noir
sans laisser des restes significatifs.
De l’homme noir le colon n’a laissé
que des déchets sur lesquels
l’imago du colon continue de s’acharner.

74
Le Colon est la Pierre
qui écrase le Nègre
et l’empêche d’exister
comme un être humain.
S’il veut se désaliéner
le Nègre doit se révolter
contre le Colon-pierre
et le faire voler en éclats.
La délivrance du Nègre
postule du Colon-pierre
la destruction symbolique.

75
L’ACTIVITE PLASTIQUE EN
PSYCHOTHERAPIE

C’est l’expérience personnelle qui m’a conduit à me servir


de l’activité plastique comme moyen thérapeutique.
Convaincu de l’intérêt de cette méthode d’approche, je l’ai
étendue à quelques patients qui le veulent bien mais sans
la systématiser.
A la suite d’une longue analyse suspendue, pour « raisons
financières », je me suis trouvé dans l’obligation de
poursuivre ma thérapie par la voie de l’activité artistique.
Cette solution s’est imposée à moi. Je me trouvais dans
un état d’angoisse et d’agressivité où l’usage de la parole
et son exploitation thérapeutique me paraissaient vaines.
A l’origine donc de mon recours à l’Art comme moyen
thérapeutique, il y a un désir inconscient de transgresser
la pratique orthodoxe, transgression que je n’ai assumée
pleinement qu’en faisant appel à la théorie analytique elle-
même. C’est l’évocation du « stade sadique-anal » qui m’a
convaincu de ma démarche.
Si, pensais-je, après huit ans d’analyse, l’intérêt de la
parole pâlissait à mes yeux pour laisser la place à l’agir,
c’est bien parce que j’entrais régressivement dans la
phase pré-verbale.
Mon angoisse oedipienne ainsi apaisée, je résolus de
m’installer tranquillement dans le « stade anal » que
j’identifiais à mon stade d’évolution.
L’intérêt heuristique que je ne soupçonnais pas, et que ma
nouvelle pratique me fit découvrir résida dans la
jouissance que me procura la manipulation de la matière.

76
La libre manipulation des peintures coulantes ou sous
forme de bâton de craie ou pastel, m’a fait régresser
(psychologiquement) à l’état d’enfant jouant avec les
substituts de ses matières qui, on le sait, symbolisent la
mère phallique.
Je ne sais pas comment les peintres professionnels s’y
prennent pour accéder d’emblée à la créativité. Quant à
moi je restai longtemps sous la fascination de l’objet anal,
avec lequel j’entretins longtemps une relation de
manipulation qui me procurait une immense jouissance.
Cette manipulation stérile, je l’identifiais comme une
destruction dont la négativité finit par me culpabiliser.
Devenu conscient de la toute-puissance de mes pulsions
sadiques-anales, avec l’aide des acquis de la
psychanalyse verbale, je m’efforçai alors de m’interdire la
jouissance du « tout », et de préserver des « restes ».
La vérité m’oblige à mentionner que l’enseignement de
Jacques Lacan et l’identification à ce maître, mari
symbolique de mon analyste, m’y ont beaucoup aidé.
Je poursuivis mon activité artistique par « association
libre » des matières pour la jouissance de détruire les
formes que je faisais émerger.
Mais à cette étape de ma pratique, ayant intégré le
« Nom-du-Père », je veillai à laisser des restes
significatifs, en général des traces de visage. De là la
dénomination de « beaux-restes » que je donne à mes
tableaux.
Le « Nom-du-Père » est donc le principe fondateur de ces
« restes » significatifs dont la fonction est de symboliser
l’interdit.

77
C’est ainsi que l’activité artistique authentique introduit le
créateur à un système symbolique articulé sur sa propre
expérience, système symbolique dont l’intériorisation à la
faveur de l’interprétation va structurer son « moi »
préverbal et le faire accéder de plain-pied au champ
verbal.
Ce point de vue thérapeutique se fonde sur l’idée de la
nécessité de la régression.
Il postule un « défaut » dans l’évolution du patient.
Cette demande régressive pourrait (pourquoi pas)
« descendre » jusqu’au stade oral dont le mode d’être
n’est pas sans conditionner celui du stade anal, dans
l’intérêt supérieur d’une restructuration de la personne,
restructuration où l’analysant serait appelé à jouer un rôle
actif au lieu de subir l’éducation comme cela se passe
généralement.
Comme on le voit, il ne s’agit pas de réformer la
psychanalyse ni de créer un autre type de thérapie.
C’est une quête légitime de « bien-être » qui nous a
conduit à prendre en compte la théorie d’évolution de la
personnalité telle que le créateur de la psychanalyse l’a
dégagée. Ce retour à Freud a eu pour nous des effets
positifs, c’est pourquoi nous avons commencé à
l’appliquer à nos patients.
L’introduction de l’activité plastique dans la
psychothérapie n’est pas sans poser problème.
La plupart du temps les patients adultes hésitent au
départ. Il semble qu’ils aient honte de devoir s’abaisser à
ce niveau supposé réservé aux « tout-petits ».
« A mon âge » ! », les entend-on souvent murmurer.

78
Toutefois, en progressant dans leur psychothérapie, ou
parce que justement elle ne progresse pas, ils feront à un
moment donné l’expérience qu’un noyau de leur
personnalité, responsable de leur pathologie, échappe au
filet de la parole et exige la médiation du geste
susceptible de favoriser la décharge motrice de leur
sadisme refoulé.
Dans ces moments-là, une patiente européenne, d’une
quarantaine d’années, que nous appellerons Georgette
éprouva d’elle-même le besoin de représenter les figures
qui hantaient ses nuits et l’empêchaient de dormir en paix.
Des êtres fantomatiques qui se projetaient sur les portes
et fenêtres et donnaient l’impression de faire intrusion
dans sa chambre. Ayant l’impression convaincante que
des « visiteurs » s’étaient introduits dans sa chambre, elle
allumait la lumière, pour se rendre compte qu’il n’en était
rien.
Après une analyse axée sur ces représentations qui la
renvoya à un viol collectif qu’elle avait subi plusieurs
années avant, ses hallucinations hypnagogiques
disparurent mais elles furent relayées par une angoisse de
« mort brutale » qui se traduisait souvent par la peur d’être
écrasée par un engin de mort, sorte de corbillard
ambulant, conduit par un homme sans visage, noir de
peau.
Associant sur la représentation plastique qu’elle fit de ce
fantasme, elle en vint à parler de ses rapports avec son
père, qu’elle jugea « anéantissants » pour elle. Elle n’avait
jamais pu exister devant ce père, un homme sadique,
selon elle, et qui ne reconnaissait aucun droit à l’enfant
qu’elle était.

79
L’image de ce père intrusif, sadique, se projette
inéluctablement sur la personnalité des rares hommes
qu’elle a connus (elle a 47 ans) en compagnie desquels
elle s’est sentie comme une « presque rien »,
constamment angoissée et au bord de l’évanouissement.
Dans la tranche actuelle de son analyse, notre patiente a
pris une claire conscience de ses pulsions sadiques
refoulées. Elle reconnaît qu’elles devraient être
initialement dirigées contre son sadique de père et que
c’est parce qu’elle identifie les hommes en général à son
père qu’elle a des rapports sadiques avec eux.
Elle disait ne pas avoir de fantasmes sexuels mais elle
éprouvait d’une violente pulsion : celle de tuer son
partenaire.
Car elle est convaincue que si elle ne le tuait pas, il la
tuerait. C’est pour cela qu’elle évitait les liaisons et qu’elle
préférait vivre toute seule.
Fort de l’expérience de l’analyse des difficultés sexuelles
d’un de nos patients, que nous avons eu la chance de
résoudre grâce à la médiation de l’activité plastique, nous
caressons l’espoir d’aider, par cette voie, cette charmante
dame, à se réconcilier avec l’autre sexe et à connaître les
plaisirs de la chair.
Nous lui avons donc proposé d’utiliser l’activité plastique
comme moyen d’expression systématique de son
inconscient et d’entrer en relation par le dessin de l’objet
interdit : le pénis.
La tentative qu’elle fit seule, chez elle, en fin de semaine,
fut une catastrophe, me rapporta t-elle.

80
A peine avait-elle fait la représentation du pénis qu’elle fut
envahie par une vague d’angoisse indicible.
Les efforts désespérés qu’elle fit pour exorciser la panique
où l’avait mis le pénis dessiné, la conduisirent bientôt à
transformer celui-ci en un canon monté sur deux
roues. « Ce fut une expérience épouvantable », me
confessa t-elle « J’ai cru que j’allais mourir par arrêt
cardiaque et j’ai passé mon week-end à pleurer, ».
Pour la consoler, je lui dis que l’appropriation imaginaire
de l’objet interdit de son désir était ce qui avait suscité
cette violente réaction d’angoisse ; d’autant plus qu’elle
avait affronté toute seule l’interdit paternel.
C’est ainsi qu’avec mes encouragements et sous ma
« protection » elle se remit à dessiner. Elle consacra cette
séance-là à dessiner avec application une fleur qu’elle
voulait très belle et qui fut une réussite.
La séance suivante, dont la durée excéda le temps prévu
à cet effet, devait être consacrée à la représentation d’un
paon.
Ce fut une véritable création plastique qu’elle commenta
longuement, en termes de parade, de séduction, de
charme et de conquête de la partenaire.
« Chez le paon, me dit-elle, la cour se fait aussi longtemps
que possible. Il n’y a pas de brusquerie ou de violence. »
Au cours de cette séance qui se déroula dans un climat de
détente et d’échange libre, notre patiente développa une
conception plutôt idéaliste des rapports des sexes.
Le sexe mâle incarné par le paon utilise la séduction et
non la violence pour arriver à ses fins.

81
Et, me faisant remarquer qu’à l’opposé des diaprures des
ses ailes le corps de son paon était quelque peu sombre,
elle me fit comprendre qu’elle avait, malgré son idéalisme
évident, les pieds sur terre et qu’elle n’avait pas gommé la
part d’agressivité dans sa conception du mâle.
Détail dont je ne m’étais pas rendu compte et qu’elle fut
heureuse de me communiquer. Tout en me réjouissant
que notre patiente prenne en compte la composante
agressive des rapports des sexes, j’espère qu’elle
parviendra à évacuer, par la combinaison de l’activité
plastique et de l’expression verbale, les fantasmes
sadiques qu’elle prête à l’homme et qui l’obligent au rejet
de l’acte sexuel.
C’est avec ce premier cas que nous avons décidé
d’étendre notre technique fondée sur la médiation de notre
technique fondée sur la médiation de l’activité plastique à
nos patients.
Nous donnerons le nom de Moussa à ce jeune homme
d’une trentaine d’années, agent de bureau de son état, qui
avait de graves problèmes relationnels et qui souffrait
d’une impuissance aussi bien intellectuelle que sexuelle.
Après quatre années de psychothérapie, bien qu’il nous
ait épaté par sa virtuosité à s’analyser, le patient ne
paraissait pas progresser, continuant à se plaindre
amèrement de ses problèmes.
Devant son désespoir, je lui proposai d’essayer de
décharger les pulsions agressives refoulées qui
visiblement faisaient échec à ses efforts d’abréaction et de
symbolisation, au moyen de l’activité artistique.

82
Il accepta volontiers mais insista pour que je lui
procurasse le matériel : ciseaux, cutter, cartons, pot de
couleur, colle, etc.
Comme je voyais qu’il hésitait à acheter lui-même ce
matériel (probablement parce qu’il n’était pas prêt à
assumer son propre sadisme refoulé), je le mis à sa
disposition.
Alors, comme l’aurait dit Mélanie Klein, ce patient déploya
sous nos yeux tous les moyens que peut inventer le
sadisme pour se satisfaire : il se mit à découper les
cartons en disant qu’il découpait sa mère, cette femme qui
l’avait tant dominé, allant jusqu’à lui faire accomplir les
tâches traditionnellement dévolues aux filles : vendre de
l’eau glacée ou des oranges pour son compte à elle ; qui
le réveillait nuitamment pour le battre, parce qu’il lui
arrivait de sucer sa langue en dormant ! « Qu’est-ce que
tu manges en pleine nuit ? Tu es un petit sorcier et avec
tes congénères invisibles tu es en train de manger de la
chair humaine ».
Notre patient ne se contentait pas de découper
symboliquement sa mère en morceaux, il la barbouilla de
merde-peinture (elle n’aimait pas être salie par lui),
déversa le seau d’eau sur les cartons et la foula aux
pieds. Tout cela dans un état de passion plus ou moins
contrôlé.
En fin de séance, notre homme se sentait obligé de
recoller les morceaux et de ranger le carton reconstitué (la
mère réparée) qu’il considérait comme une œuvre d’art.
Il continua ainsi pendant deux mois environ, à raison de
deux séances, d’une durée indéterminée, par semaine.

83
Les séances ne prenaient fin que lorsqu’il le demandait,
lorsqu’il croyait avoir eu son compte de la jouissance
anale.
Nous terminions finalement la séance par un échange au
cours duquel je tentais de lui verbaliser la signification
inconsciente de son activité.
L’état de cet homme s’est beaucoup amélioré. C’est
aujourd’hui un homme dynamique qui a récupéré son
potentiel d’activité et qui depuis quelques mois vit en toute
harmonie avec une femme.
Il continue toutefois de poursuivre ses séances de
psychanalyse verbale tout en exprimant le désir de revenir
à la peinture (qu’il a délaissée depuis un an) pour l’aider à
élaborer le fond de sadisme refoulé qui l’empêche de
maîtriser pleinement ses facultés de symbolisation qui lui
paraissent insatisfaisantes dans la réalisation de ses
ambitions professionnelles.
Un autre de nos malades, Koffi, la quarantaine, ne put
émerger du conflit cruel où il était enfermé avec sa mère
qu’en ayant recours à la médiation de l’activité artistique.
C’est sous la forme de l’affrontement avec la matière
picturale dans l’arène du support qu’il engagea le combat
imaginaire avec la mère anale.
Les « enfants » nés de ce combat furent des
représentations graphiques du sexe féminin à caractère
hautement pornographique. Ces images crues du sexe
convoité, produits de son propre inconscient, devenaient
ensuite l’objet de ses délires érotiques. Il contemplait ces
objets partiels, les interpellait et engageait avec eux un
dialogue imaginaire du type :

84
« si je t’avais réellement sous la main tu verrais ce que je
ferais de toi… ».
Son imagination en branle devenait alors la maîtresse
d’une situation qui lui échappait dans la réalité. C’est ainsi,
je crois, qu’il apprenait à être actif, du moins au plan
imaginaire, lui qui dans la réalité de ses rapports avec les
femmes se trouvait écrasé, « chosifié », selon son
expression favorite.
Plus tard, il ajouta à ses peintures réalistes du sexe
féminin des représentations du sexe masculin en érection,
parfois planté dans l’autre : un rapport sexuel imaginaire
dans lequel, évidemment, il jouait le rôle dominant.
Il est évident que la stratégie analytique, axée sur le
primat, pour ne pas dire sur l’exclusivité du verbe,
n’intéresse que les patients entrés dans l’Œdipe et qui
présentent des difficultés pour le résoudre.
En possession du système symbolique, mais ayant des
difficultés à le maîtriser pour des raisons justement liées à
l’Œdipe, ils ne paraissent pas avoir d’autres moyens que
le verbe, c’est à dire la parole articulée sur le langage,
pour résoudre leur problème, pourvu que, finalement, ils
se soumettent à la « Loi du père ».
A ceux-là seuls pourrait être appliqué le mot de Lacan
selon lequel l’inconscient est structuré comme un langage
et qu’il leur suffit de parler ou d’associer librement les
signifiants pour accéder à leur structure inconsciente,
condition de leur guérison. Mais pour ceux qui n’ont pas
fait leur entrée dans l’Œdipe et pour qui l’inconscient n’est
pas suffisamment ou pas structuré, la parole est-elle
toujours la voie royale d’accès à l’inconscient pour les
autistes, les psychotiques et les prépsychotiques ?

85
L’application sereine de la psychothérapie verbale comme
moyen thérapeutique supposerait la prévalence du stade
oedipien dans l’état actuel de l’évolution de l’homme.
A tout le moins de l’homme occidental. Ce qui reste à
vérifier et à prouver.
La primauté du stade anal nous a semblé plutôt se
dégager de nos observations cliniques. Nous n’avons pas
perçu de différence de structuration fondamentale entre
l’homme du Sud et l’homme du Nord : observations
cliniques qui me paraissent justifiées par l’état de notre
civilisation actuelle, fondée sur le règne de l’argent-roi et
de la violence (anale) sous toutes ses formes.
A nos patients fixés à ce stade nécessaire d’évolution, il
nous a paru difficile d’appliquer avec profit la
psychanalyse verbale.
Et c’est tout naturellement que s’est imposée à nous la
nécessité de prendre en compte la phase pré-verbale qui
nécessite cet autre moyen d’approche que représente la
technique de l’art plastique comme moyen d’accès à la
prise de conscience en psychothérapie.
Cette technique met l’accent sur la nécessité de la
décharge pulsionnelle préalable à l’organisation de
l’équipement en « beau-reste » dont l’essence est le
langage.
Ainsi notre technique fait-elle une part belle à la
sublimation de la jouissance (manipulation-destruction
préalable) et à l’articulation finale de formes-langage,
nécessitée par la médiation du Nom-du-Père, ce postulat
fondamental de la psychanalyse oedipienne.

86
En conclusion, nous dirons que l’activité plastique, en
devenant créatrice de formes-langage grâce à la
médiation du Nom-du-Père, introduit le patient fixé au
stade pré-verbal au champ symbolique où il pourra enfin
poser son Œdipe et s’efforcer de le résoudre, sans jamais,
il est vrai, se passer totalement des ressources du pré-
verbal.

87
La solution qui s’impose aux
conflits internes
qui taraudent l’homme
est celle de l’art-thérapie
qui propose
le traitement sur le mode
de la métaphore artistique
des pulsions sadiques-anales.

88
L’affrontement du patient avec la pierre
(substitut de la mère phallique)
qui est arbitré par l’art-thérapeute
(substitut du père porteur de phallus)
vise à apporter
une intervention orthopédique
dans la personnalité borderline
et à l’introduction au champ symbolique.

89
L’artiste-thérapeute ne résiste pas longtemps
à la tentation de crever la belle apparence
de l’objet d’art décoratif
et c’est dans l’exaltation qu’il libère
sur celui-ci ses pulsions destructrices
jusqu’à l’amener à la limite
du déchet significatif
grâce à la médiation du Nom-du-Père.
L’objectif que vise l’artiste-thérapeute
est la promotion des beaux-restes à partir
de la destruction de l’objet d’art décoratif et
sa re-constitution par l’activité du Nom-du-Père.

90
L’art-thérapie est l’ascèse purificatrice
du Nom-du-Père déchu et souillé
par les pulsions sadiques-anales.
La fonction de l’art-thérapie c’est
de rétablir dans ses droits régaliens
le Nom-du-Père déchu.

91
La technique de l’art traditionnel qui procède
par application de couches de peinture
peut être qualifiée de « positive »
contrairement à la technique
de l’art-thérapie qui procède par
« négation » du revêtement initial.
C’est donc par le gommage
des illusions de couleur, de formes et
de perspectives que l’art-thérapie
va au-delà des apparences sensibles
et dé-voile la réalité essentielle à travers
les grattages, les ouvertures, les déchirures
et les sutures opérées sur le support :
ce palimpseste sauvé par le Nom-du-Père.

92
Le problème auquel se trouvent confrontées
nos sociétés sans pères (porteurs de phallus)
en quête d’humanisation
c’est celui de trouver le moyen de subvertir
l’arelation anale qui lie
la mère phallique et l’enfant-fétiche
pour générer la relation des personnes.
La résolution de ce problème postule
l’appropriation du Nom-du-Père
et son utilisation dans l’art-thérapie
dont l’activité de destruction-création
génératrice des formes significatives
ou beaux-restes
a pour effet merveilleux d’introduire
l’artiste thérapeute au Système Symbolique.

93
Le support artistique que l’artiste choisit
n’est pas indifférent
c’est la projection métaphorique de
la mère phallique
sur laquelle l’artiste-thérapeute va
engager un affrontement sadique-anal.
En déchargeant ses pulsions
de destruction sur le support
le patient en art-thérapie métaphorise
son phantasme de jouissance incestueuse.

94
Manipuler la matière picturale
cette métaphore des matières
signifie pour le patient
en art-thérapie
de réaliser le phantasme
de Jouissance qui consiste
à réduire l’homme en déchet
et à le manipuler à volonté.
L’activité artistique libre est
prétexte
à la jouissance métaphorique.

95
Ce n’est pas le support en tant que tel
qui est l’objet des attaques sadiques
du patient en art-thérapie.
ce qui est visé en art-thérapie
ce sont les images inconscientes
projetées
parce qu’elles sont à l’origine
des angoisses qui tourmentent.
Le support artistique n’est que
l’arène symbolique où
se déroule le combat imaginaire
avec les fantômes qui l’habitent.

96
L’artiste-thérapeute ne résiste pas longtemps
à la tentation de crever la belle apparence
de l’objet d’art décoratif
et c’est dans l’exaltation qu’il libère
sur celui-ci ses pulsions destructrices
jusqu’à l’amener à la limite
du déchet significatif
grâce à la médiation du Nom-du-Père.
L’objectif que vise l’artiste-thérapeute est
la promotion des beaux-restes à partir
de la destruction de l’objet d’art décoratif
et sa re-constitution
par l’activité créatrice du Nom-du-Père.

97
Nul psychothérapeute si compétent soit-il
ne peut inscrire le Nom-du-Père
dans la psyché du patient
lorsque le débit des pulsions sadiques
de celui-ci sont à leur maximum.
L’inscription du Nom-du-Père postule
que soient réalisées les conditions
de décrue des pulsions sadiques
à la faveur d’activités de décharges
telles que les jeux libres et la catharsis
par la voie de la destruction symbolique.

98
Le Nom-du-Père recommande le recours
à la violence symbolique
au moyen de l’art-thérapie pour évacuer
la violence intériorisée.
La violence symbolique
sauve le moi et la société
des méfaits des pulsions de destruction.

99
L’ART-THERAPIE ET LA DECHARGE
DES PULSIONS AGRESSIVES

C’est le constat d’impuissance de la parole, cet instrument


privilégié de la psychanalyse freudienne, à exprimer les
pulsions pré-oedipiennes, qui nous a poussés à
rechercher un autre mode de thérapie. L’utilisation
thérapeutique de la parole présuppose que l’inconscient
soit structuré comme un langage. Mais le retour à la
parole devient caduc lorsque l’inconscient n’est plus
structuré comme un langage comme c’est le cas pour les
personnalités borderlines.
Le problème qui se pose alors au thérapeute dans cette
situation-limite, c’est celui de l’expression directe des
pulsions du patient, de leur mise en formes significatives
aux fins de constituer finalement un système de langage
appelé à structurer l’inconscient.
Il n’existe pas d’autre moyen que l’activité artistique,
symboligène, pour doter une personnalité borderline d’un
inconscient structuré par le langage, condition de son
expression verbale et de son appropriation par le patient
dans le parler.
L’intérêt de l’art-thérapie donc, est d’étendre les limites de
la psychanalyse classique, de la faire évoluer du champ
verbal au champ pré-verbal voire non-verbal.
Cette méthode, nous l’avions d’abord expérimentée sur
nous-même (avec succès) avant de l’étendre aux
personnalités ivoiriennes ou non-ivoiriennes ayant la
même organisation de personnalité, caractérisée par la
non-maîtrise du système symbolique.

100
Après quelques essais fructueux au Centre de Guidance
Infantile nous avons progressivement élargi cette méthode
aux rares patients que nous suivions dans le privé.
Tout le bien que nous en ont dit ceux-ci, qui ne
comprenaient pas que l’on puisse se contenter de parler,
en méconnaissant les potentialités prodigieuses du dessin
à exprimer certains désirs que la parole est impuissante à
exprimer, ont fini par nous convaincre de la nécessité
thérapeutique de l’Art en psychothérapie.
Aujourd’hui, je peux affirmer que l’art-thérapie est une
technique de prise en charge éprouvée, ayant livré tous
ses secrets tant sur le plan pratique que théorique.
Expliquée, puis proposée aux patients, c’est tout
naturellement qu’elle est adoptée et pratiquée, à la
satisfaction de ceux-ci, heureux de sacrifier à la fois à
l’agir et au parler et éventuellement de créer un langage
source du parler authentique et de prise de conscience.
Tout en parlant au thérapeute comme il le ferait dans une
analyse classique, le patient dessine, assis devant une
table, tout ce qu’il désire. Nos patients sont d’accord pour
reconnaître que la poursuite simultanée des deux activités
les aide à se sentir plus libres, parce qu’ils sont moins
concentrés sur leurs communications verbales.
La fonction toute particulière dévolue à l’art-thérapie est
de prolonger la parole par l’intermédiaire de l’activité
créatrice de langage et de provoquer la catharsis au
moyen de la décharge pulsionnelle.
La technique du grattage, frottage, arrachage, ponçage,
lavage, etc est destinée à produire des effets de castration
et de destruction que la parole, si agressive soit-elle, est
incapable de produire.

101
C’est pourquoi nous leur recommandons, dans les
premiers temps, de ne pas se soucier de créer, mais de
se laisser aller aux décharges pulsionnelles, à l’attrait de
la jouissance-destruction.
La demande de laisser des restes leur sera exprimée plus
tard, au moment opportun, lorsque nous les jugerons prêts
à tolérer les contraintes du Nom-du-père et de la
socialisation à laquelle elle introduit.
Le fait de consentir à laisser des restes et de les préserver
est le signe de la soumission du patient à la loi du Père et
de son intégration réussie à l’ordre symbolique.
Lorsque, sur la fin de ma psychanalyse, j’ai eu des
préoccupations artistiques, je crois que j’aspirais à me
défouler, à goûter au plaisir de l’ « acte pur », libéré des
entraves de la parole, attrait du passage à l’acte, dont je
fus sauvé par ma psychanalyste qui insista pour que je
veille à décrypter mon inconscient embusqué derrière mes
productions artistiques. Je lui suis reconnaissant de
m’avoir aidé à garder le contact avec le langage et à
postuler du sens derrière mes œuvres. Cette capacité à
considérer l’objet d’art comme un symptôme à déchiffrer
m’a permis de passer du simple défoulement culturel à
l’activité thérapeutique par la médiation artistique.
C’est ici le lieu de dissiper le malentendu entre l’activité
artistique pure et l’activité artistique productrice de
symboles, supports de prise de conscience en
psychothérapie. En soi, l’activité artistique n’est pas
thérapeutique même si à la faveur des mécanismes de la
métaphore et de la sublimation, elle apporte un certain
soulagement (une rémission pourrait-on dire) aux
souffrances du moi.

102
Ceux qui ont quelque peu « fréquenté » Rainer Maria
Rilke, Nietzsche, Van Gogh et Artaud, pour ne citer que
ceux-là, savent que l’art ne guérit pas. Il se contente de
donner « une forme socialement acceptable aux
instincts ».
L’activité artistique ne devient thérapeutique, à la vérité,
que lorsque l’artiste ré-fléchit sur ses productions pour
appréhender les désirs qu’elles véhiculent. Elle s’avère
alors le complément de la psychothérapie analytique.
En tant que substitut culturel appelé à corriger les
défaillances de l’activité symbolisante de la mère phallique
(pour cause), qui n’a pas pu socialiser les besoins de
l’enfant en les lui verbalisant pendant la satisfaction,
l’activité artistique peut être d’un grand secours dans la
résolution des conflits destructeurs qui déchirent
actuellement l’Humanité. Conflits destructeurs dont les
points focaux se trouvent au Rwanda, au Burundi, au
Libéria, en Côte d’Ivoire, au Kosovo, en Tchétchénie, en
Irak, au Congo, etc.
En opérant la régression du patient, en l’encourageant à
lever le tabou de la jouissance-destruction, en
l’encourageant à la symbolisation (plutôt qu’au
renoncement pur et simple), en l’amenant à assumer son
refoulé sous les espèces de l’oeuvre d’Art et enfin en lui
faisant accepter la lecture de celle-ci comme d’un
symptôme, l’art-thérapeute aide à la maîtrise des
réactions primaires (violence) à la déficience du
maternage et favorise la socialisation authentique de
l’homme.

103
L’angoisse de la relation sexuelle
et la frustration qui en résultent
sont les motivations qui
poussent à la guerre.
La guerre est
une activité compensatrice
au moyen de laquelle
l’homme en mal de jouissance
trouve une solution substitutive.

104
Sous l’aiguillon de la culpabilité de nature
paranoïde
l’être immature qui est confronté
à l’angoisse de mort
a la conviction que son sort est lié
au sacrifice d’un substitut.
C’est pourquoi il croit devoir sacrifier
l’homme auquel il s’est identifié.
Les guerres
sont des prétextes aux sacrifices humains.

105
Les hommes sont contraints à la guerre
parce qu’ils sont menés par
des pulsions agressives
qu’ils ne maîtrisent pas.
Les guerres sont des tentatives
d’exorcisme de l’angoisse de mort
qui oeuvrent en permanence
à l’intérieur de l’organisme humain.

106
Les êtres androgynes font
la guerre pour savoir
qui sera la femme
et qui sera l’homme.
La fonction de la guerre
c’est de castrer le vaincu.

107
Comment voulez-vous que la personne
dont l’essence est la liberté
consente à devenir la propriété
d’une autre personne.
les explosions de violence
et les guerres toujours recommencées
sont les preuves criantes de la folie
de réduire l’Homme en chose humaine.

108
A court d’arguments les gens basculent
dans la violence qui constitue
l’exutoire où ils se laissent aller
à des comportements hystériques.
La violence est
une symptôme d’im-puissance à penser.

109
L’homme dont les pulsions
ne sont pas structurées
en langage cohérent
par le Nom-du-Père
n’est pas un homme
mais un chaos vivant
habité en permanence
par l’angoisse de mort dont
il s’efforce de se débarrasser
par des guerres endémiques.

110
Les germes de la guerre sont à chercher
au sein du conflit duel porteur
d’une haine implacable orientée
vers la destruction de l’autre.
A l’origine de la guerre
il y a la haine féroce du père
par la mère phallique
dont l’homme-fétiche est l’instrument.

111
Les pays faibles sont déchirés par les guerres
et restent dans le sous-développement
parce que les nations puissantes
accaparent les richesses du monde
et réduisent les faibles au statut
d’instruments de production.
Les guerres dites inter-ethniques sont
en réalité des guerres de libération
de la domination des grandes nations
qui sur-déterminent
et opposent les différences ethniques.

112
En s’accumulant les pulsions de mort
allument un incendie que
les hommes privés du Nom-du-Père
n’ont pas les moyens de maîtriser.
Pour se défendre de l’embrasement
des pulsions de mort
ces hommes démunis utilisent
le stratagème de projeter l’incendie
sur les autres et
de vouloir l’éteindre par les guerres.

113
Ceux qui se jettent dans la guerre
et qui tuent
parce qu’ils ne sont pas écoutés
doivent se pénétrer
qu’ils s’exposent à la culpabilité
qui exige repentance et
réparation symbolique
sous peine de les précipiter
dans l’abîme de la damnation.

114
On est contraint à la guerre
parce qu’on est envahi par
l’angoisse de mort
qu’on ne parvient pas
pas à symboliser.
La guerre est
un symptôme de psychose.

115
UN LANGAGE QUI PASSE PAR LE
CORPS

Che vuoi ? : - Qu’est ce que le symbolique ? Quelles sont


les conditions d’entrée dans le langage ?
Zirignon Grobli : - Je pense qu’il faut un support
concret au symbolique; il faut que le symbolique soit
d’abord concret avant de se verbaliser. Quand bien même
il serait verbalisé, il devrait toujours garder un certain
rapport avec le concret. Or actuellement, nous nous
sommes évadés dans le champ du langage pur. On manie
le langage, on ne sait pas comment le langage est né.
Le langage est né de la représentation des formes
lesquelles ont été crées dans l’activité pratique de
production.
C’est en maîtrisant le désir de détruire (inhérent à
l’homme) qu’on a pu faire naître des formes et ces formes
ont donné le langage.
Le langage est né selon moi, de l’ensemble des
imaginations, de l’accumulation des formes primitives, de
leur association, de leur éclatement qui a donné lieu à la
conscience et à l’esprit.
Et après, on s’est ouvert à l’idée de la culture. Mais, ce
chemin, il me semble qu’on devrait toujours le refaire,
parce que tout homme qui vit au XX ème siècle n’a pas
fait ce parcours automatiquement.
En supposant qu’il avait été fait, on a fait l’économie des
stades précédents.
Alors que les choses se répètent et que «la phylogenèse
reproduit l‘ontogenèse.»…

116
Je pense que pour la culture c’est la même chose. C’est
ce qu’on avait oublié et c’est ce à quoi j’ai voulu revenir
pour mon propre équilibre.
Dans la société, où nous nous trouvons, chacun cherche à
faire de l’autre son phallus, à le réduire en «fétiche» qui
n’est plus une personne avec qui on a des relations mais
un objet fantasmé comme une chose, comme un pare-
angoisse avec lequel on est en relation directe et qui vous
empêche de souffrir, qui vous empêche de vous
angoisser.
Cette relation est a-symbolique.
Le symbolique consisterait à travailler pour cet imaginaire-
là, à le critiquer, à le comprendre et à prendre le parti de
poser une relation fondée sur des conventions
humanisantes, sur le «non» à opposer à la jouissance et
au désir de toute-puissance.
Pour le faire, il me semble que la parole ne suffit pas,
puisque précisément nous sommes ici dans un système
prégénital. Alors, ayant cherché, j’ai fait l’expérience de
l’activité artistique par la peinture et cela m’a appris que la
création des œuvres est coextensive au dégagement du
langage: faire des formes, en produire, pouvoir les garder,
les conserver et en parler c’est créer le langage et
commencer son intrusion dans le symbolique.
Comme j’ai fait ce parcours qui m’a réussi, je le propose
aux enfants.
Je leur propose la manipulation de l’argile, l’argile en tant
qu’objet symbolique de la mère : la terre-mère, plastique
et malléable.

117
J’encourage les enfants à jouer avec l’argile, à lui donner
toutes les formes qu’ils veulent, et à les détruire s’ils en
n’ont le désir.
Ainsi, Les formes qui naissent et qui sont détruites
alternativement au bon vouloir de l’enfant, permettent de
combler l’ambivalence de l’enfant.
Je lui demande de faire autant de fois qu’il le souhaite ce
qu’il veut, et quand il l’a fait suffisamment, je lui demande
de sauver quelque chose.
Alors, Je lui fait la proposition de garder la forme qu’il a
créé et l’enfant, s’il est prêt, accepte et on garde l‘objet.
Si l’enfant n’a plus cette obsession de détruire et s’il a
commencé à éprouver le désir de conserver, de créer, je
fais l’hypothèse que le Nom-du-Père, l’intervention du
tiers, de la Loi, a triomphé sur le désir de détruire, sur
l’ambivalence primitive .
A ce moment là, nous pouvons discourir sur la production.
Nous entrons alors dans le symbolique.
On s’est acharné sur le stade oedipien. Je pense qu’on a
eu tort, parce qu’il y a eu des ratés, des problèmes
d’évolution.
La plupart des hommes, pas seulement africains, sont
fixés au stade oral et anal et ne sont pas parvenus à la
maîtrise de l’Oedipe.
Pour ma part, durant ma psychanalyse, j’ai voulu revenir à
ces stades-là.
Depuis, je me suis délibérément installé au stade oral : je
fais de la musique et de la poésie, je fais de la
« bouffothérapie », et je suis arrivé à maîtriser plus ou
moins mon oralité.

118
Je suis aussi passé au stade anal où je fais de la peinture,
de la manipulation, tout ce qui est en relation avec le
stade anal. J’insiste beaucoup sur la nécessité de
régresser à ces premiers stades qui ne sont jamais
dépassés, qui sont toujours d’actualité et très importants.
En y revenant, j’essaie d’améliorer les relations de l’enfant
à sa mère qui sont souvent ambiguës et ambivalentes,
surtout ici en Afrique où le système symbolique a pris un
coup dur, notamment du fait de la colonisation.
Je pense qu’il faut retravailler sur le système symbolique,
il faut le créer avec les réalisations culturelles, l’inventer, le
mettre en place et y faire participer la mère.
Nous sommes dans une existence dénuée d’un père
porteur de phallus, un père initié pour vous accueillir, pour
dire : « Mon fils, n’aie pas peur, je suis là. »
C’est ce qui manque, c’est ce que j’essaie d’offrir aux
jeunes.

Che Vuoi ? : -Est-ce par l’expérience de la création que


vous redonnez au langage sa dimension de langage ?
Zirignon Grobli :- Il me semble qu’ici le langage n’est
pas un élément structurant de la personne humaine.
Pour commencer, la relation de la mère avec l’enfant est
souvent exempte de parole. Elle le nourrit de nourriture
mais pas de paroles adoucissantes et réconfortantes.
Plus tard, l’enfant peut se sentir exclu par une société
dans laquelle on ne s’adresse jamais lui et qu’on n’écoute
jamais.
Je pense donc, que c’est la parole perdue, la parole
environnante que l‘enfant attrape et pour en faire sienne.

119
Mais cette parole n’est pas reçu dans un rapport
d’échange et elle n’est pas n’accompagner de
gratification.
En Afrique, je suis amusé lorsque des parents qui veulent
confier pour une raison ou une autre leur enfant à un
proche disent pour les convaincre:«Mais qu’est ce qu’il va
manger cet enfant-là ? Il ne va rien manger, il va manger
les restes.»
Cela veut-il dire qu’il n’a pas de besoins spécifiques en
tant que personne ?
Je pense qu’en Afrique, les enfants mangent toujours les
restes et les gens sont élevés autour des restes. Ils n’ont
rien en propre, ce sont toujours des restes, c'est-à-dire
des reliefs qui les nourrissent et qui les font se
développer.
Le langage ne s’est donc jamais intériorisé.
Le but de l’analyse, c’est d’arriver à faire en sorte que la
parole puisse structurer l’inconscient.
J’ai eu un patient très doué qui était capable de faire
toutes les combinaisons verbales et de retrouver tous les
concepts lacaniens. Après cinq ans, il n’avait pas avancé,
et je me suis vu obligé, et lui-même s’est senti obligé, de
lui proposer de faire de la peinture, de la manipulation.
Cet homme avait envie de découper sa mère, de pisser
sur elle, déféquer sur elle…
Il voulait la manipuler, la toucher, et la mettre dans la
position d’objet, de chose car sa mère ne l’avait pas
suffisamment nourri.
C’est à travers la manipulation argileuse, à travers la
peinture, à travers les découpages et les recollages, qu’il
a pu le faire.

120
En le faisant, il a pu se restructurer et ek-ister.
Che vuoi ? : -Quelle position prendre face au désir de
détruire ?
Zirignon grobli :- Je me suis ouvert à ce qui se
passait en moi et j’ai vu que j’étais habité par cette pulsion
de mort-là: un désir de détruire.
Je l’ai accepté.
Comme j’avais la possibilité de le reporter dans une
activité culturelle, je l’ai fait et cette tendance est à la base
de tout mon travail artistique et de ma création.
A partir de là, j’ai pu encore réfléchir et réaliser qu’en tout
homme «repose» des pulsions de mort.
Je regarde autour de moi et je vois des gens qui se
débattent toute la journée, toutes les nuits avec cette force
naturelle, cette force inouïe qui les possède et dont ils
n’arrivent pas à se départir. Je vois ça partout, ça
s’impose à moi.
Quelles solutions apporter à la maîtrise de telles
pulsions destructrices?
L’art et la philosophie m’y ont aidé.
Je fais de la peinture toute la journée, je philosophe : ma
manière de juguler cette force destructrice, c’est de créer,
c’est de faire la culture.
J’ai pensé que cet instinct de mort, la société avait pu le
maîtriser par des ritualisations, par le refoulement, par
toutes sortes de méthodes répressives: les anciens, nos
parents, les primitifs, en avaient peur.
Pour eux c’était vraiment le démon, le monstre qu’il fallait
cacher, qu’il fallait refouler, qu’il fallait maîtriser par tous
les moyens. Mais ce monstre est immortel, trop fort, et il a
continué à faire des ravages.

121
Alors, je pense que l’homme en société souffre beaucoup
de cet état d’être confronté, d’être habité par l’instinct de
mort.
Je pense qu’il faut inventer une solution pour essayer de
taire avec ce monstre-là.
La sublimation par la peinture, le sport et bien d’autres
activités, puis la symbolisation, c'est-à-dire les activités de
savoir, tout cela peut aider l’homme à essayer de donner
une pâture à ce monstre qui veut nous manger.
Il faut qu’on confectionne des petites statues de nous-
mêmes et qu’on les donne à manger au monstre pour qu’il
ne nous mange pas. Mais ce monstre-là, c’est le monstre
dévorant, il ne se rassasie pas.
De temps en temps, on peut le fatiguer et il peut
s’endormir.
Ce monstre, on peut le voir à l’œuvre au Libéria, au
Rwanda, en Burundi, en Yougoslavie, partout il est là,
immortel, ravageur.
C’est par l’activité culturelle continue et par l’activité
socialisante que l’on pourra arriver à le juguler, et non par
l’annulation de sa réalité que Freud avait désignée sous
l’expression de pulsion de mort.
Même la loi «tu ne tueras pas» qui a pour prétention de
maîtriser tout ça, ne rime à rien.
Je pense que ce monstre non seulement veut détruire
pour créer, mais il veut aussi manger, il veut boire, il veut
jouir. Ce n’est pas en le frustrant qu’on pourra l’amadouer
et le retenir.
Au contraire, cela exacerbe sa puissance et il devient
encore plus dangereux.

122
Jusqu’à présent, il me semble que c’est cette expérience
qu’on a faite, en frustrant le monstre. Il faut lui donner des
choses pour qu’il se calme.
Et quand il est calmé par des opérations physiques, par
des dons réels, à ce moment-là il devient capable
d‘écouter ce qu’on appelle le symbolique, la parole, la
culture. Mais avant de lui avoir donné à manger
réellement, avant de l’avoir gratifié réellement, si on lui
parle de symbolique il ne comprend pas.
C’est à ce moment-là qu’on dit qu’on est vaincu par le
monstre, qu’on fétichise la culture.

Che Vuoi ? :-Est-ce qu’il n’y a pas une difficulté, en Côte


d’Ivoire, à faire émerger un individu ?
Quel est le rapport entre une personne individuelle et le
groupe social de référence ? Est-ce que vous pouvez dire
quelques mots sur les effets pathologiques de ce rapport
qui semble être tellement noué entre la personne et son
environnement ?
Zirignon Grobli :- Je dois dire que toute ma réflexion
ici s’articule autour de ce thème-là : le rapport entre le
grand Autre et le petit autre.
Ici le grand Autre est directement confronté au petit autre
et il n’y a pas d’intermédiaire.
C’est ça le problème.
Le petit autre souffre constamment d’être pris en étau par
le grand Autre ; il a peur d’être dévoré et il fuit tout le
temps.
Les gens que j’ai en psychothérapie à la maison me
parlent souvent de prison, d’être prisonnier de l’Autre, de
ne pas pouvoir bouger, de ne pas pouvoir agir.

123
La relation entre le grand Autre et le petit autre est un
rapport prégénital qui rappelle la relation entre la mère
phallique et le tout petit.
La relation prégénitale et conflictuelle est vraiment une
prison où on se sent enfermé ; quelque chose comme les
prisons sadiennes, ces clôtures sadiennes où on est pris,
où on est persécuté, où on est mis à mort, où on craint
d’être réduit en déchet et en chose humaine.
Les personnes donne souvent l’impression d’être maître
des choses, alors qu’ils ne font que les subir.
Je crois que le grand Autre est persécuté lui-même par les
pulsions anales, les pulsions de toute-puissance, et étant
tourmenté, il cherche à son tour à martyriser plus petit que
lui pour échapper à sa folie.
Le grand Autre fonctionne de telle manière que c’est en
rendant l’autre fou qu’il échappe à la folie.
Ceux qui ne le sont pas et croient qu’ils peuvent se sauver
en lui faisant plaisir, deviennent fous. Mais pour moi, tous
les efforts consistent à résister et à ne pas lui faire plaisir.
Voila le drame entre le grand Autre et le petit autre.

124
Réprimées et bloquées dès la naissance
les pulsions de jouissance de êtres
instrumentalisés
ne ressurgissent que lorsque se relâche
la surveillance des dominateurs
abandonnés au « plus-de-jouir ».
Le terrorisme est donc l’expression
de la revendication de jouissance
de l’homme privé de son humanité.

125
L’homme s’acharne à détruire l’homme
comme il se sent détruit de l’intérieur
par ses pulsions de mort.
La « passion de détruire » de l’homme
est la conséquence de
sa non-structuration par le Nom-du-Père.

126
L’intérêt de casser la pierre et de créer
des formes-langage
grâce à la médiation du Nom-du-Père
c’est de favoriser la médiation
de l’arelation aux autres.
La casse de la pierre est
un crime symbolique qui
a pour sanction non le délire mais
l’émergence du pré-symbolique
et l’ébauche de la structuration du Sujet.

127
La casse de la pierre s’impose comme
une nécessité inéluctable lorsque
l’homme se laisse gagner
par le désespoir
de trouver l’inter-locuteur
qu’il n’a de cesse de chercher.
Remercions le ciel
que la destruction de la pierre
soit suivie de culpabilité réparatrice
chez l’être habité par le Nom-du-Père.
Culpabilité réparatrice
qui se manifeste par la création
de restes significatifs révélateurs
de la transcendance du père.
C’est ainsi que l’espoir succède
au désespoir
grâce au sens du risque et la créativité
de l’être structuré par le Nom-du-Père.

128
La femme phallique est la pierre
qui écrase et enfouit le sujet.
Le surgissement de celui-ci
dans l’espace d’existence
postule qu’avec le sous-tien
du Nom-du-père
il fasse voler en éclats
la pierre
afin d’utiliser sa substance
pour la création
du langage : l’attribut du Sujet.

129
La casse de la mère phallique est
une mise en morceaux
culpabilisante
suivie d’une réparation symbolique
de ce meurtre imaginaire
au moyen de l’art-thérapie
génératrice des formes significatives
qui sont les prémices du Verbe
de l’Homme en tant que tel.

130
La pierre est la méta-phore
du maître tout-puissant
sur laquelle il est permis
au Nègre
de projeter sa haine.
Se défouler sur la pierre
jusqu’à la pulvériser
telle est la solution
à la purgation de la haine.

131
POUR UN PERE AFRICAIN PORTEUR
DE PHALLUS

Le «phallus» est la capacité de maîtriser le chaos-vivant


ou désordre, pour en faire la matière de la création des
valeurs constitutives du Système Symbolique: fondement
de l’Edifice social.
Le porteur de phallus est donc le promoteur de la structure
sociale qui, sans son Pouvoir de surmonter la négativité
du chaos, serait encore mêlée à la poussière du Néant.
Il résulte de sa position exceptionnelle qu’il occupe dans la
société, que le porteur de phallus est un être envié de
tous : celui qui focalise sur sa personne l’envie de son
entourage en raison de son merveilleux instrument de
création quasi divin.
Le porteur de phallus se trouve donc confronté à la fureur
possessive des êtres castrés qui l’entourent: les femmes
phalliques et leurs substituts masculins acharnés à
ramener de porteur du principe de différenciation au
niveau de la totalité indifférenciée.
On croit souvent à tort que la femme phallique aspire à
castrer le porteur de phallus pour occuper sa position.
La vérité est que la femme envieuse ne cherche qu’à sub-
vertir les rapports et à instaurer la confusion, le chaos
indifférencié des sexes sur lequel régnerait la perversion
ou la folie du plus-de-jouir».
Ainsi, la mission existentielle assignée au porteur de
phallus est d’affronter la femme phallique, de la maîtriser
et de mettre sa matière et son énergie au service de ses
créations: c’est ce que Mardouk fit avec Tiamat.

132
L’avènement salutaire d’un système symbolique,
métaphore du Nom-du-Père, est à ce prix.
En effet, l’idéologie «humaniste» selon laquelle la finalité
de la science est de faire de l’Homme le «maître et
possesseur du monde», est responsable de l’état
d’aliénation de celui-ci, abandonné à la toute-puissance
de ses pulsions destructrices.
L’existence d’un monde humanisé postule donc la
castration de la femme phallique, afin de le rendre apte à
participer à la création des valeurs constituantes (les
beaux-restes ou restes significatifs) qui sont les signes
graphiques de la réconciliation de la mère symbolisée et
du porteur de phallus.
Le « père» est celui qui remplit la fonction sociale de père
auprès d’un enfant et à qui la mère délègue la
responsabilité de l’éducation de celui-ci.
La paternité est avant tout une fonction symbolique et non
une donnée naturelle.
Car, pour l’être humain le plus important n’est pas de
procréer mais d’assumer les fruits d’une relation sexuelle.
Le père est donc celui qui œuvre à la production des êtres
sociaux : celui qui préside à la deuxième naissance.
C’est justement parce que le fondement du système social
est « le symbolique » qu’il prévoit la filiation par l’adoption,
c’est à dire la possibilité sans être le père géniteur,
d’accéder au statut de père par l’acte légal d’adoption.
Le père sera défini comme support de la Loi et signifiant
du Nom-du-Père.
Ce père référence et gardien du système symbolique
intériorisé est celui qui fait cruellement défaut aux sociétés
africaines contemporaines.

133
En effet, l’observation même superficielle de nos sociétés
en état de régression révèle qu’on n’y rencontre pas des
pères ayant les caractéristiques du médiateur familial.
Le père africain n’est qu’un géniteur qui ne se soucie pas
de fonder une famille stable ni d’assurer le bonheur de sa
femme et l’éducation de ses enfants.
Ce type de père, impuissant à castrer sa femme et
introduire ses enfants à la situation oedipienne ainsi qu’à
la résolution du conflit qui en résulte, n’est en vérité qu’un
simulacre de père.
Parlant des sociétés africaines nous avons employé les
termes de société en état de régression, parce que nous
ne croyons pas qu’elles soient fixées au «degré zéro» du
développement comme le laisse croire les préjugés
occidentaux.
Car, Il est en effet avéré que le monde africain a connu
des systèmes d’initiation très élaborés, en continuité du
reste avec le système d’initiation pratiqué dans l’Egypte
ancienne.
Ces écoles du Savoir et de technique de socialisation ont
été soigneusement étudiées par des humanistes
occidentaux soucieux de connaître et de faire connaître
l’homme noir dans ses productions culturelles
authentiques débarrassées des préjugés racistes de
certains de leurs compatriotes.
Citons, pour donner une idée des systèmes d’initiations
celui des Bambaras du Mali, qui nous a été rapporté.

134
Le Système symbolique que ce peuple négro-africain
développe sont les idées
• de bisexualité générée par l’ignorance (Wazo),
• de savoir en tant que résultat de l’activité critique
de l’ignorance,
• de père initié (porteur de phallus),
• de castration (circoncision et excision),
• de collaboration sexuelles sous le primat du phallus
pour la jouissance sexuelle,
• et d’initiation-éducation en tant que moyen de
production des êtres sociaux.

Comme on le voit, les éléments précurseurs de la théorie


psychanalytique étaient connus de la pensée négro-
africaine et seulement d’elle. Et si l’on veut admettre qu’il
n’y a pas de création ex-nihilo, l’on doit admettre que les
ferments du système freudien sont à chercher dans les
systèmes d’initiation africains que Freud féru de
connaissances ethnographiques, ne pouvait pas ignorer.
L’origine de la psychanalyse est donc à chercher dans le
système d’initiation égypto-africaine pour laquelle on ne
naît pas homme ou femme.
On ne devient homme ou femme qu’en renonçant sous
l’action de la circoncision ou de l’excision symboliques à la
bisexualité imaginaire entretenue par l’ignorance (le wazo
des Bambara).
Dans la conception égypto-africaine le devenir-sujet
postule la détermination des sexes et la structuration
symbolique de l’impétrant.
La destruction du système symbolique africain par la
conquête coloniale a laissé un vide effroyable.

135
En effet, le passage de témoin n’a pas pu s’opérer, en
Afrique, entre les sociétés pré-coloniales et post-
coloniales.
Aussi bien, des systèmes symboliques anciens, ne reste t-
il que des vestiges privés de toute capacité structurante.
C’est à cette caricature que les hommes noirs devenus
nègres par la force des choses se raccrochent
désespérément afin d’éviter de basculer dans une
psychose généralisée. Car le mépris raciste dont ils
souffrent de la part des Occidentaux ne leur permet pas
de faire un transfert positif sur les hommes de Culture
occidentaux pour re-structurer leurs personnalités
effilochées.
Le père négro-africain n’est donc pas aujourd’hui le
porteur de phallus (l’initié) qu’il fut. Il n’est plus qu’un
simulacre de père, un fétiche dont la présence au foyer
tente en vain d’exorciser l’angoisse psychotique du
«couple» mère phallique-enfant.
Toutefois la réalité que nous avons sous les yeux nous
oblige à dire que cet «oedipe» dont les idéologues
occidentaux se prévalent pour proclamer la prééminence
de la «civilisation européenne» n’est qu’un phantasme de
plus, le phantasme du créateur de la psychanalyse,
phantasme auquel les intellectuels occidentaux ont adhéré
sans réserve parce qu’il apporte une confirmation
«scientifique» à leurs préjugés.
D’aucuns pensent que le «père» en Europe, parce qu’il
est dans une famille cellulaire et jouit des prérogatives de
chef de famille conférée par une société patrilinéaire est
véritablement porteur de phallus.

136
A la vérité, la réalité familiale qu’il nous est donné de
constater en Europe, c’est le spectacle d’un père de
famille castré et instrumentalisé par la toute-puissance de
la Société capitaliste et qui n’a aucune prise sur une
famille (non structurée) dont il a la gestion théorique.
D’où l’éclatement et le dysfonctionnement de cette
société, supposée obéir aux règles du conflit oedipien et
de sa résolution normalisante.
Que «nos maîtres à penser» nous pardonnent mais nous
ne comprenons pas pourquoi le fait de vivre dans une
famille cellulaire devrait introduire automatiquement au
conflit oedipien et à sa résolution humanisante si le père
de famille n’est pas porteur de phallus et s’il est tenu en
échec par le désir de toute-puissance de la femme
phallique.
Le temps des mensonges idéologiques est dépassé.
Les nouveaux nègres, fatigués d’être manipulés, ont à
présent soif de vérité et c’est avec stupéfaction qu’ils
découvrent aujourd’hui la délectation qu’ont dû éprouver
les auteurs du « Discours sur l’inégalité des races » de
Gobineau et du « Code Noir », le comble de la haine de
l’autre et de sa réduction au statut infamant d’objet oral-
anal. On s’aperçoit avec horreur de l’état d’aliénation où la
« guerre des races » a enfermé l’homme blanc et l’homme
noir.
Le racisme est l’acte de décision du vainqueur blanc
enivré par la toute puissance de sa volonté, qui stipule
que le vaincu (le Noir) n’est plus un être humain, mais un
déchet humain pour l’éternité.

137
Le nègre complexé est donc le résultat aliéné de la
volonté de l’idéologue raciste qui viole et fait violer la loi du
père sous la fascination abêtissante de la jouissance.
Il est donc grand temps de sortir l’Humanité de ce cercle
diabolique où elle risque de se perdre définitivement.
C’est pourquoi il est d’importance capitale, à présent, que
le pôle sadique de l’espèce humaine aliénée (l’occidental)
maîtrise la tendance qu’il a à se débarrasser par
projection de ses complexes sur le pôle passif (le négro-
africain) et ait le courage de regarder en face l’état de
déchet par la toute-puissance de l’Autre.
Le monde négro-africain n’est donc pas le seul qui soit
confronté au drame de la survie. L’afro-pessimisme
proliférant qui veut que l’homme noir soit le seul à être
menacé dans sa survie est une tentative dérisoire de nos
maîtres à penser de fuir leurs responsabilités en s’abritant
derrière le rempart de l’éternel « problème nègre » qui
prendrait son origine dans la damnation supposée du père
Noé.
Problème noir?
A la vérité, un problème inventé par les idéologues de
l’impérialisme occidental, dans le but de justifier sa volonté
de puissance et d’étouffer les affres de sa culpabilité
d’avoir réduit l’homme (noir) à l’état infâme d’homme-
chose.
Pour les tenants du racisme occidental, le Noir n’est pas
une personne et la médiation du Nom-du-père est à
exclure dans les relations de l’homme blanc avec le sous-
homme.

138
Les nouveaux Nègres accepteront-ils pour longtemps
encore d’occuper la position de l’«abject» au sein de
l’Humanité ?
Le temps semble venu, selon les apparences, d’affronter
les pulsions à la répétition du passé et de briser le cercle
infernal de la domination servile où l’enferment les
discours racistes trop longtemps subis et intériorisés.

139
Le Nom-du-Père est la faculté de
maîtrise qui sauve l’homme de foi
de l’humiliation
d’être dévoré et fécalisé.
Le Nom-du-Père est le garant
du « reste » et de son éternité.

140
De nos jours où l’homme dispose
de tous les moyens symboliques
pour se libérer de
la captation de la mère phallique
il n’est plus pardonnable
qu’il continue de démissionner
de ses fonctions de médiateur.
Etre Père aujourd’hui c’est
se voir chargé de l’obligation
de conquête de phallus pour
assurer son rôle de médiateur.

141
Les pulsions de destruction sont
d’autant plus difficiles
à maîtriser qu’elles sont aussi
les pulsions de jouissance.
il n’y a qu’un moyen
de juguler les pulsions
de destruction-jouissance :
la médiation du Nom-du-Père.

142
La stratégie pour favoriser le respect de la Loi
postule la médiation d’une activité susceptible
d’assurer la décrue des pulsions sadiques
et permettre l’accès au « symbolique ».
telle est la fonction propédeutique
de l’art-thérapie
dont la première partie est consacrée
aux activités de décharge et
la deuxième partie à la création
des restes significatifs
création nécessitée par la médiation
du « pas-tout » : essence de la loi du Père.

143
Le phallus du père est enfermé dans les entrailles
de la mère phallique qui l’a dévoré
lorsque le père n’était encore qu’un enfant :
c’est pourquoi il n’existe pas d’homme
porteur de phallus pour servir de médiateur
dans les conflits.
Si l’Humanité veut éradiquer les conflits
elle doit favoriser la conquête du phallus
au moyen de l’activité artistique médiatisée
par le Nom-du-Père
qui supervise les décharges pulsionnelles
et nécessite la création des formes significatives.

144
En s’inscrivant dans le chaos-
vide de la Nature
le Nom-du-Père manifeste
sa volonté d’en assurer
la maîtrise symbolique.
Et c’est en tissant
une structure symbolique
au dessus du chaos-vide
que le Nom-du-Père
en assure la maîtrise
au moyen de la culture.

145
La fonction du Nom-du-Père
est d’interdire
la dévoration de l’âme
et de renforcer celle-ci.
Le Nom-du-Père est
la métaphore de la Loi.

146
La sollicitude du père ne suffit pas pour
favoriser l’impression de son visage
dans la psyché de l’enfant
encore faut-il que le visage
du père ne se télescope pas
avec celui de la mère
mais bénéficie du respect
et de l’admiration de celle-ci.
le Nom-du-Père est le principe
de l’unité du triangle symbolique.

147
La tâche exceptionnelle dévolue
au père porteur de phallus :
infliger la castration symbolique
à la mère phallique afin que
symbolisée
elle devienne pour l’enfant
la porte d’entrée dans la Société.
Le porteur de phallus
est le substitut du messie
que les familles attendent .

148
La fonction du Nom-du-Père est
d’interdire la déchéance au fils
d’Homme
en lui donnant les ressorts
de résister à l’appel morbide
de la jouissance faisandée.
Le Nom-du-Père a partie liée
avec « l’idéal du moi »

149
Le système symbolique constitutif
du lien social
s’origine dans le Nom-du-Père.
C’est pourquoi celui qui est
privé du Nom-du-Père
n’a pas d’existence sociale
c’est un ennemi dans la Cité.

150
151
L’ART-THERAPIE ET L’ART AFRICAIN

Lorsque nous considèrons l’«art-africain» dans la variété


de ses productions, nous sommes frappés par leur
capacité d’exprimer, avec une rare maîtrise, les émotions
humaines, tout particulièrement l’angoisse de mort.
A tort, les masques africains sont qualifiés de «fétiches
effrayants», d’«objets d’envoûtement» ou encore de
«créations diaboliques».
En effet, les spécialistes européens proclament que les
motivations à leur élaboration sont à chercher dans la
volonté maléfique de terroriser la masse afin de la
soumettre aux exactions d’un noyau de dominant sans
scrupule.
Or, si nous avions l’humilité de prêter attention aux
témoignages laissés par les initiés africains, nous
apprendrions que l’origine des masques est à chercher
dans le désir de capter les âmes errantes des morts, du
père singulièrement, et de l’enfermer dans un tronçon de
bois, aux fins d’exorciser l’angoisse de mort qu’elle répand
sur les vivants.
A bon droit, ceux-ci peuvent donc être considérés comme
des métaphores du père mort, éternisé par l’amour filial.
Autrement dit : pour le créateur négro-africain traditionnel,
l’activité artistique est un moyen de liquidation du deuil qui
culmine à la résurrection symbolique (du père) sous la
forme d’une représentation idéogrammatique.

152
A l’opposé du créateur gréco-romain (ou ses épigones),
qui créait en ayant son attention fixée sur un modèle
objectif, le négro-africain a le regard de l’esprit tourné au-
dedans, sur l’image interne qui conditionne son existence
angoissée.
Tandis que l’activité créatrice de l’artiste gréco-romain
procède par l’inspection de l’apparence de l’objet, comme
condition préalable à sa possession, l’artiste négro-africain
quant à lui, entretient avec ses imagos une relation
d’affrontement pulsionnelle, avant de les saisir sous la
forme de signifiants graphiques grâce à la médiation de
l’ancêtre à éterniser.
Finalement, les idéogrammes sont à prendre comme les
métaphores de l’ancêtre rayonnant dans le ciel de la
Culture.
Les produits de l’art africain traditionnel, universellement
reconnus et admirés, sont la preuve péremptoire que
l’Afrique Noire a connu des porteurs de phallus qui ont eu
la maîtrise de leurs pulsions sadiques-anales et ont posé
les fondements du Système Symbolique, qui, par
définition, postule la castration anale et la préservation de
formes significatives.
La vérité oblige à proclamer que le langage qui résulte de
la maîtrise de l’Esprit des idéogrammes, est la création
originale des artistes africains traditionnels, oeuvrant sous
le parrainage de leurs Ancêtres dans l’enclos des Bois
sacrés.

153
On peut supposer avec vraisemblance que, d’abord sacré
et réservé aux initiés, le Langage (métaphore paternelle),
s’est par la suite étendu au peuple et à l’étranger, en
perdant sa structure symbolique articulé sur le désir
d’éterniser le père défunt, pour se réduire à la dimension
imaginaire.
C’est ainsi que, vidé de son esprit, le Langage est devenu
l’instrument de domination des incirconcis.
Toutefois, de tous les peuples du monde, le négro-africain
reste celui qui fonctionne en tenant compte de la
médiation avec tiers, par attachement à l’enseignement de
l’Ancêtre fondateur de l’ordre social.
Contrairement à l’occidental, qui s’enorgueillit de régler
directement ses contentieux sans implication d’un tiers
(qui n’a rien à y voir), l’homme noir est un être de
médiation pour qui, l’action directe qui introduit à
l’affrontement et à la mort est formellement interdite.
Le résultat de la médiation de tiers, c’est la préservation
des restes significatifs, notion consubstantielle à la
mentalité négro-africaine précoloniale.
C’est elle qui a présidé à l’institution de la forêt sacrée,
cette portion de la Nature primitive préservée de la
dévastation-consommation culturelle.
La vision du monde selon laquelle le mari est le « seigneur
et maître » de sa femme, qu’il peut mettre à mort s’il le
désire, vision du monde qui prescrit également à la
science de rendre l’homme « maître et possesseur de
l’univers », n’est pas négro-africaine.
En effet, les civilisations se différencient qualitativement
par leur mode de production de l’être social.

154
Ainsi, depuis l’Egypte, la Tradition africaine est-elle fondée
sur le principe selon lequel on ne naît pas homme, mais
qu’on le devient à la faveur d’un processus d’initiation ;
tandis que la grande civilisation occidentale, qui lui a
succédé dans l’Histoire (et a tiré profit de ses legs), est
convaincue que l’éducation livresque suffit au bonheur de
l’Homme.
La crise exacerbée de Civilisation que nous vivons est
imputable à la forclusion du signifiant Ancêtre, consécutive
à la rupture historique que constitue le changement
(formel) des civilisations.
Nous n’en sortirons que par le retour aux valeurs initiales
que Socrate, le dernier rejeton de la Civilisation-mère,
défendit en vain par ses « dialogues logiques » ponctués
de mythes à l’africaine, ainsi que par l’adoption de l’art-
thérapie comme méthode d’initiation moderne.
Pour tout dire, la solution de sortie de la crise de
civilisation passe nécessairement, par la réhabilitation de
l’Ancêtre fondateur de l’Ordre Culturel humain.

155
Le problème majeur de l’Humanité
est celui de savoir comment
s’y prendre pour favoriser
l’intégration du Nom-du-Père
par la femme phallique
et les êtres immatures .
Les ancêtres avaient quant à eux
compris la nécessité d’instituer
le principe de l’initiation
des candidats à la vie sociale
par l’excision
et la circoncision symboliques.

156
Animé par la sollicitude pour la personne
l’homme structuré par le Nom-du-Père
veille à détourner de celle-ci ses pulsions
constitutives de sa nature première
et à orienter leur destructivité sur
des substituts culturels.
L’art-thérapie qui préconise
la destruction-jouissance symbolique
ainsi que la « satisfaction » de préserver
des traces significatives
grâce à la médiation du Nom-du-Père
est donc appelé à s’imposer comme
la méthode d’initiation à la vie sociale.

157
La société humaine est le produit
de l’excision et de la circoncision
initiatrices
de la femmil et de l’hommelle
par le porteur de phallus.
Car l’ignorance originaire
ne connaît pas la détermination
et la complémentarité des sexes :
avant le rituel initiatique
il n’existe pas
d’homme ni de femme.

158
Les êtres immatures se « défendent »
du traumatisme de la dure réalité
par l’illusion
ce savoir qui ne veut rien savoir.
la fixation de l’Homme
à l’état originaire : l’ignorance
est la pathologie qui empêche
le fonctionnement normal
des échanges dans la société.
L’homme
se réalise dans l’activité initiatique.

159
Si les hypothèses relatives à l’envie de pénis
et à l’angoisse de castration sont fondées
on est en droit de demander
comment l’orgueilleuse civilisation
qui n’a que mépris pour
les systèmes d’initiation « primitifs »
et qui ne veulent rien savoir de
la psychanalyse considérée comme
une intervention orthopédique
s’y prennent pour neutraliser
les perturbations liées à
l’envie de pénis et à l’angoisse de castration.

160
Le monde est condamné aux
guerres endémiques
parce qu’il est « incirconcis ».
Qu’est ce que ce monde
dit civilisé
sans structure d’initiation.

161
On appelle monde libre un monde
où on naît homme et femme
où quand on grandit et se marie
on éduque ses enfants
sans avoir été initié.
L’homme dans le monde libre
vit comme un animal dans la jungle.

162
L’initiation dont le signe extérieur est
la circoncision symboligène
est le critère discriminatoire que
les hommes « cultivés » ont dressé.
L’homme initié donc circoncis
passait alors pour le vrai homme
comparé à l’enfant et
au barbare incirconcis.

163
Le processus de l’initiation humaine
comprend un moment critique
où l’impétrant est confronté à la pierre
avec laquelle il doit engager
un dialogue logique (dialectique)
générateur de restes significatifs :
ces témoignages préverbaux de
sa structuration par le Nom-du-Père.

164
C’est par l’ouverture du « beau-reste »
que le sujet entre en relation
symbolique avec la transcendance.
Sans « beaux-restes »
le monde est un système compact
et impénétrable où il n’existe pas
d’âme qui vive.
Le « beau-reste » a finalement
partie liée avec la castration
qui fait de l’homme initié
l’instrument du père.
Le « beau-reste » est le signe
de l’humanisation de l’homme
au terme de l’initiation par l’art-thérapie.

165
C’est par l’ouverture du beau-reste
que l’ancêtre parle aux survivants
pour leur rappeler son nom
et le message dont il est le porteur.
Le beau-reste est la forme graphique
de la loi de Moïse dans le bois sacré.

166
Après avoir exercé une longue
domination sur le monde
l’homme noir s’en est lassé
et a désiré subir à son tour
la domination
afin d’expier tout le mal
que sa volonté de puissance
l’avait contraint à déployer.
C’est ainsi que le dieu noir
s’est lui-même castré
pour prendre la place de ceux
qui subissaient ses exactions.
L’homme noir
ne fait que sa part de sacrifice.

167
Il n’existe pas d’autre voie pour entrer
dans le champ de la dure réalité
que le passage par le statut d’enfant
et l’initiation au « symbolique »
sous l’autorité d’un père.
Toute autre voie est sans issue
et condamne soit à l’esclavage
soit à l’errance sans fin
dans les galeries du champ imaginaire.

168
La sculpture des masques qui est
la transposition métaphorique
de la séparation-circoncision
de l’enfant et de la mère
constitue le meurtre symbolique
de celle-ci corrélative
à la délivrance de l’enfant
sous l’apparence du bois sculpté.
Pour l’artiste nègre traditionnel
la création est signe
de renoncement symbolique
aux relations sadiques-anales
grâce à la médiation de la figure
de l’ancêtre fondateur du Clan.

169
Il n’existe pas d’autre principe fondateur
et refondateur
que le Savoir
car à l’origine de l’organisation sociale
il y eut le savoir initiatique
des ancêtres fondateurs.
Le savoir est le Père de toutes choses.

170
L’art-africain est un art qui aboutit
à la maîtrise des pulsions
de jouissance :
à laisser des restes significatifs
alors que l’art gréco-romain
est un art qui se leurre
sur sa pseudo-maîtrise
en faisant de l’objet d’art
un objet de jouissance esthétique
qui culmine
au délire narcissique des grandeurs.

171
La sculpture des masques qui est
la transposition métaphorique
de la séparation-circoncision
de l’enfant et de la mère
constitue le meurtre symbolique
de celle-ci
et la délivrance de l enfant.
La création est le signe
de renoncement symbolique
aux relations sadiques-anales
grâce à la médiation de
la figure de l’ancêtre fondateur du Clan.

172
L’artiste africain évacue ses pulsions de mort
et ses représentations mortifères
qui menacent de le détruire
et c’est leur maîtrise par le visage
du père intériorisé qui est
constitutive de ses masques effrayants.
La conséquence de cette création
expressive plutôt qu’idéalisante
c’est l’harmonie intérieure et
la force du sujet que suggère l’Art africain.

173
Lexique
Détermination des sexes : produit de l’initiation.
Hommes et femmes : produits de la détermination des sexes.
Initiation : savoir acquis par le porteur de phallus qui dissipe
l’ignorance originaire.
Monosexualité : croyance en un seul sexe, l’être ignorant et
l’enfant croient que l’homme et la femme sont dotés d’un
pénis.
Bisexualité ou androgynat : produit imaginaire de l’ignorance
originaire qui n’accepte pas la différence des sexes.
Phallus : principe de la puissance créatrice, n’est pas
l’équivalent du pénis.
Au père porteur de phallus s’oppose le père tout-puissant
et la mère phallique
Castration : privation du phallus.
La femme phallique : qui envie à l’homme son pénis qu’elle
confond avec le phallus.
L’homme tout-puissant : celui qui dote son pénis d’une
puissance imaginaire et méconnaît la différence sexuelle
de la femme.
L’homme-fétiche : privé de phallus et réduit à la position de
phallus imaginaire de la femme.
L’homme-déchet : voir l’homme-fétiche.
Pénis anal : voir homme-déchet.
La guerre des sexes : conflit imaginaire pour la possession du
phallus identifié au pénis.
Fécalisation : tendance au désir de toute-puissance à réduire
l’homme en déchet ou fétiche.

174
Relation sexuelle : relation de l’homme et de la femme après
leur accès à la détermination des sexes. Une fonction
symbolique qui reconnaît à chacun son rôle dans la
production de la jouissance.
Fonction symbolique : postule la médiation de la loi, fondement
de la structure sociale. S’oppose à l’imaginaire.
Education : stratégie pédagogique qui consiste à favoriser
l’entrée de l’enfant dans la structure sociale. Voir initiation
Femmil : femme phallique, femme mâle.
Hommelle : homme castré du phallus : Pénis imaginaire de la
femme phallique
Beau-reste : forme générée par la médiation du Nom-du-père
dans l’activité art-thérapeutique, figure de la mère
symbolisée.
Nom-du-Père : représentation intérieure du père porteur de
phallus ayant pour fonction de médiatiser les pulsions de
l’être socialisé.
enfant oedipien: selon Freud l’enfant qui nourrit un amour
passionné pour sa mère et corrélativement une haine
féroce pour son père. Tuer le père pour se marier avec la
mère est le désir inconscient de l’enfant oedipien.
Imago : représentation intérieure de ses parents élaborée
par l’enfant à partir de ses frustrations, de ses illusions ;
n’a rien à voir avec la réalité objective des parents.

175
Table des matières

Avant-propos 8-12

L’Art et sa fonction 13-28

Rapport sadique-anal de la mère phallique


avec l’enfant africain 29-54

L’art-thérapie et la décolonisation 55-80

L’activité plastique en psychothérapie 81-104

L’art-thérapie et la décharge
de pulsions agressives 105-120

Un langage qui passe par le corps 121-136

Pour un Père africain porteur


de phallus 137-156

L’art-thérapie et l’Art africain 157-178

Lexique 179-180

176
177

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