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blenso Chapitre 3

oslsrir LE RITE

I. DU MYTHE AU RITE

Le mythe appelle sa célébration, qui est aussi sa « remise en vigueur »,


par et dans des actions rituelles. Cette forme de remémoration n'a pas
été vécue d'abord comme un « devoir de mémoire », une simple dis-
cipline mnentale pour empêcher l'oubli, mais comme une reprise de
contact avec le « courant de force » qui est espéré de la récitation rituelle,
Cest-à-dire « liturgique » et programmée, du mythe. Car celui-ci est
souvent lié, au départ, à des cultures orales et à des pratiques du récit
mémorisé. Comme la religion elle-même, le rite est une réalité sociale
et anthropologique qui se retrouve partout, même si peu de langues
comportent la notion elle-même, passablement abstraite. Celle-ci est
d'origine latine. « Le mot, dérivé du sanscrit, désigne un ordre ou un
enchaînement pré-ordonné de paroles et de gestesà suivre sans retouche
et à répéter, dans un cadre religieux en particulier : ainsi est-il question
d'un cæremoniæ ritus chez Cicéron ou de sacrorum ritus chez Tite-Live.
La fantaisie individuelle n'apparat pas de mise en la circonstance'. »

1. C. PERROT, « Paroles et gestes rituels dans le Nouveau Testament », in


R. DEVISCH et alii, Le rite, sources et ressources, Bruxelles, Publications des Facultés
universitaires Saint-Louis, 1995, p. 83-103 (p. 86).

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RELIGIONS, LEs MOTS POUR EN PARLER

Entre mythe et rite, le lien est structurel, et fondateur du religieux.


La plupart des grands mythes ont été périodiquement « actualisés »
par des rites, et vice versa : beaucoup de rites religieux (du moins les
« grands rites », les rites solennels, par opposition aux rites secon-
daires) s'appuient et se guident sur des mythes. Le rite du repos sab-
batique juif ou du dimanche chrétien prescrit de faire comme Dieu a
fait au septième jour de la Création (Genèse 2,2), ou comme il fera,
et l'humanité sauvée avec lui, au huitième et dernier de l'histoire.
Ce qui implique, entre autres, de s'abstenir des « euvres serviles? »
-et l'on sait combien nombreuses sont les listes et distinctions
des activités que l'on pense devoir permettre ou interdire à cet éclai-
rage. On constate donc ici que le mythe engendre une éthique du
travail, de la gestion du travail propre à chacun et de celle du travail
des autres : halte à l'idolatrie du rendement, ou à la mystique du
rendement ! S'il peut y avoir une spiritualité voire une théologie du
travail', il doit y avoir aussi, et comme en contrepartie, une critique
de l'ivresse du travail, ou du travail comme drogue, et aussi une
valorisation du loisir, de l'inactivité choisie, du « ne pas faire »..
On peut toutefois se demander si cet exemple est bon. Lesabbat
est-il un rite ? Oui, en un sens, au moins chez les juifs pratiquants,qui
le célèbrent « rituellement », avec une vraie rupture du rythme ordi-
naire. Chez eux, l'observance du sabbat est rituelle dans lamesureoù
elle ne consiste pas seulement às'abstenir de... (de travailler etselivrer
à des ceuvres purement utilitaires, n'ayant aucune valeur delouange
du Créateur), mais à rentrer dans une sorte de liturgie quis'ouvrepar

2. Expression provenant du Livre du Lévitique, 23,7 (Septante); oirExode


20,10.
3. Un théologien catholique, le dominicain M.-D. Chenu, a écrit unlivre inti
tulé Pour une théologie du travail, Paris, Seuil, 1950.

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21A: UOLE
RITE
la récitation de psaumes bibliques, implique souvent de revétir des
habits de fète, etc. Mais comme cela s'étend dans le temps, et comme
C'est surtout un « ne pas faire », on peut juger préférable d'en parler
plutôt comme d'une observance religieuse, ou d'une pratique. Les
rites sont des observances, mais toutes les observances ne sont pas à
classer parmi les rites. Il en va de même du dimanche. S'habiller bien,
aller à la messe, faire un repas en famille, cette succession-là est une
observance... plus qu'un rite, dans la mesure où la part d'inventivité
que l'on peut y mettre est grande, et faible celle des actions et paroles
obligées. Une première étape dans la compréhension du rite est donc
de parvenir à saisir ce qu'il a de spécifique par rapport aux observances
coutumières (collectives) et aux habitudes (individuelles).
Pour le dire d'emblée, le propre du rite est 1) de renvoyer à un
mythe, 2) d'être accompli non pas en privé et de manière solitaire,
mais « en communauté » (même si celle-ci se réduit à très peu de
membres ou de « fidèles »), 3) d'obéir à une certaine périodicité,
4) selon des formes, avec des gestes, des objets et des paroles prescrits
et programmés.

4. La Mishna (Shabbat 7,2) indique une série de 39 types de travaux interdits pour le
sabbat : par ex., semer, pétrir, tisser deux fils, chasser un gibier, écrire deux lettres, bâtir,
démolir, allumer ou éteindre un feu, porter un objet d'un endroità un autre,etc.IlIs'agit
bien de catégories d'interdits qui permettent, par le biais de discussions halakhiques,
d'inclure toutes sortes d'autres activités à proscrire le jour du sabbat. La vie moderne
appelle de nouvelles adaptations par rapport aux lois sabbatiques anciennes ; celles-ci
font l'objet de discussions sur plusieurs forums du Web.
5. Par ex., dans le judaisme, le rite de la circoncision (berit milah, « alliance par la
En circoncision ») qui peut s'accomplir à la synagogue, en privé ou dans une salle spé-
cialisée d'hôpital, en présence d'un nombre généralement restreint de participants:
celui qui pratique la circoncision (le mohel), le père de l'enfant, le sandag (celui qui
tient l'enfant sur ses genoux) et éventuellement d'autres invités d'honneur.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

Ainsi encore du rite chrétien du baptême, qui ne se réduit pas à une


sorte d'ablution faite à la sauvette, de toilette superficielle, ni n'a de
visée platement hygiénique, mais renvoie à un « horizon mythique »
dans la mesure où il « refait » rituellement ce que le Christ a fait en des-
cendant dans les eaux du Jourdain pour recevoir le baptême donné
par Jean le Baptiste (Matthieu 3,13-17), puis en descendant dans les
grandes eaux de la mort pour en resurgir au troisième jour. Comme
l'explique I'apôtre Paul dans I'un des écrits du Nouveau Testament :
« Ignorez-vous que nous tous, baptisés en Jésus Christ, c'est en sa
mort que nous avons été baptisés ? Par le baptême, en sa mort, nous
avons donc été ensevelis avec lui, afin que, comme Christ estressus-
cité des morts par la gloire du Père, nous menions une vie nouvelle.
Car si nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort, nous le
serons aussi à sa résurrection» (Romains 6,3-5). Cest pour cette ra-
son qu'une antienne de la fète de l'Epiphanie se risque à qualifier le
Jourdain, en I'occurrence, de « tombeau liquide ».

II. VERS UNE DÉFINITION DU RITE

On peut définir le rite par six mots, comme « un agir socialspéci-


fique, programmé, répétitif et symbolique'». Cettedéfinitionparait

6. Le sens premier du verbe grec baptizò est : « plonger », « immerger »,voire

« se noyer ».
7. F.BæSPFLUG,« Le baptême du Christ dans I'art roman , inBuisonarde.
Cahiers Saint-Silouane l'Athonite, n° 13, 2007, p. 191-211 (p. 194).
Le
8. R. DIDIER, Les sacrements de la foi. La Pàque dans sessignes,Pans
Centurion, 1975, p. 22; R. CAILLOIS, L'homme et le sacré, Paris,Gallimaru

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8318A 2UOLE RITE HCl2Ls38

valoir pour tout rite, religieux ou non, et iln'est passúr qu'il faille à
tout prix forger une définition qui s'appliquerait spécialementaux
rites religieux".

a) Le rite est un agir, un faire, il est de l'ordre de l'action, et ne


peut pas se réduire à une intention, à une simple habitude, une pra-
tique mentale conjuratoire, une technique immanente. La répéti-
tion ne suffit pas à constituer le rite. Une invocation mentale, faite
seulement in petto (de l'italien in pettore : « dans la poitrine », sans
que cela passe ni par les mains ni par les lèvres), un pli de langage
répétitif et incontrôlé (un tic, une manie), les formules de la poli-
tesse au quotidien ne sont pas à proprement parler des rites. Car
le rite est « une modalité du faire » (Paul Ricceur), il relève de l'ac-
tion transitive, mettant en euvre le corps, l'espace, le mouvement,
un ou des gestes, un ou des objets, des substances, des matières.
Même sil n'engage que des paroles, celles-ci doivent être proférées
d'une manière qui n'est pas aléatoire, qui est réglée d'avance, et elles
impliquent donc chaque fois une tradition qui les a transmises, un
cadre et des circonstances, une certaine solennité. Certains faits de
languesont un aspect de rite, ou du moins font partie intégrante du
rite sans impliquer d'autre matière que le son : certaines formules
performatives (« Mesdames et Messieurs, la Cour !» ;«la séanceest
levée ! »), certaines coutumes langagières (« Le Saint, béni soit-il ! »,

col. « Folio Essais », 1988, p. 199-213 ;L. GAGNEBIN, « Le rite en perspective protes-
tante : le rite comme geste », in Etudes théologiques et religieuses, 2000/4, p. 585-603.
9. Voir les « Essais de définition du rite religieux » rassemblés par J. RIes,
« Les rites d'initiation et le sacré », in J. RıES et H. LIMET (éd.), Les rites d'initia-
tion, Louvain-la-Neuve, 1986, p. 27-38 (31). Sur le rite en général, voir encore C.
CASTORIADIS, L'institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975; R. DEVISCH
etalii,Lerite,
sourceseressources,
t op.cit. .l

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

cette « génuflexion de la langue ») sont bel et bien des rites dans la


mesure où elles vérifient les caractéristiques qui suivent°, « Le rite
vient ainsi rappeler quil n'y a pas de dichotomie absolue et néces-
saire entre le dire et le faire". » On le mesure bien sur l'exemple des
bonnes mœurs en matière d'urbanité et d'hospitalité. Les formules
de politesse qui s'en tiennent à des mots redits sans âme, par pure
convention, ne cessent d'ếtre creuses que si elles sont ouvertes sur
des gestes de respect et d'accueil eux-mêmes ouverts sur les rites
d'hospitalité. Ceux-ci, cela se passe de preuve, comportent néces-
sairement des paroles (de bienvenue, etc.) ; mais ils ne s'y réduisent
pas... La courtoisie peut s'en tenir aux mots : elle ne relève pas du
rite, mais des conventions sociales. L'hospitalité elle aussi est émi-
nemment sociale, mais elle est une action, qui peut même être une
forme d'engagement extrême, au péril de la vie de celui qui l'offre".

b) Comme action, le rite a donc une dimension socialesanslaquelle


on ne saurait parler de rite en rigueur de termes. Il estcertesdevenu
courant, depuis les écrits psychanalytiques freudiens, d'assimiler
certaines actions individuelles, en raison même de leurcaractère
programmé et répétitif, à des rites : on parle alors de « ritesobses-
sionnels »- par exemple se laver les mains trente fois parjourou
toucher dix fois une poignée de porte avant d'oser l'ouvrir. Maisun

10. Sur l'actualité des rites dans notre société, voir M. SEGALEN,Ritesetrituels
contemporains, Paris, Armand Colin, 2009; R. DEBRAY, Jeunessedusacré,Paris,
Gallimard, 2012.
11. L. VOYÉ, « Le rite en questions », in R. DEVISCH et alii, Le rite,sourceset
ressources,op. cit., p. 105-136 (p. 107).
12. C. MONGE, Dieu hôte. Recherche historique et théologique sur lesrituels
d'hospitalité, Bucarest, Zeta Books, 2008; Stranieri con Dio. L'ospitalitànelletatir
zioni dei tremonoteismi abramitici, Milan, TerraSanta,2013. et

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A3202143CLE RITE

rite ne se célèbre pas seul. Un rite au sens strict met en principe en


jeu différents acteurs complémentaires et hiérarchisés, remplissant
des röles diversifiés et ajustés les uns aux autres. Il renvoie à une
communauté et à son « rituel ». Tout rituel possede un caractère
officiel ou traditionnel. Le rituel prévoit et prescrit une succession
réglée, toujours dans le même ordre, de gestes et de paroles. Il est
généralement placé sous la responsabilité d'une autorité (laics ou
religieux) qui le promulgue après en avoir vérifié la conformité à
la tradition.

c) Il 'agit avec le rite d'une activité spécifique, en ce sens qu'elle


estséparée du tissu des actes quotidiens. En effet, I'acte rituel n'est

2 pasdirectement fonctionnel ou utilitaire comme le sont les activités


consistant à se rendre à son travail, à prendre pour cela les trans-
ports en commun, ou son repas de midi, ou aiguiser son couteau
pour qu'il coupe ou tailler son crayon pour qu'il écrive... Le fait
đ'être « métafonctionnel », apparemment «gratuit », ne suffit pas
à définir le rite, ni le fait d'être réglé. Le rite n'est pas un jeu, même
sil obéit à des règles comme le Monopoly, et même si certaines
personnesretraitées font un rite de la partie de pétanque sous les
platanestous les après-midis après la sieste, ou de la partie d'échecs
avantle diner :le rite n'est pas purement «gratuit », on ne peut pas
sy livrer n'importe quand, ni l'interrompre à son gré, ni en changer
lesrègles,et il vise un certain résultat extérieur au rite lui-même, ce
qui n'est pas le cas du jeu. Ce n'est pas non plus un pur spectacle
(cen'estpasl'aspect visuel qui prime). Sans être ni I'un ni l'autre, le
ritetientcependant du jeu comme du spectacle dans la mesure où il
neremplit par une fonction de production, et dans la mesure où il
comporte lui aussi des règles.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

d) D'où laspect programmé du rite". Il ne supportequunedụ


réduite de fantaisie, de lacunes, d'additions et d'improvisationsCs
donc une action qui doit obéir à certaines règles dedéroulementa
huissiers dans les ministères et les tribunaux, les greffiersdesétu
de notaire, les présentateurs à la télévision le savent d'expénenc,&
sont tenus d'accomplir leurs actions rituelles spécifiquesenbidc
leur goût de la blague, de la surprise, de la provocation «déale.
À l'église, les prêtres les plus portés à improviser lors des
céleébratios
eucharistiques savent qu'ils ne doivent pas exagérer, et qulyads
phases du rite le canon de la messe auxquelles ils nepeuvam

guère toucher, saufpeut-étre devant des assembléesspécialementpré


parées à cela, et encore... Le rite renvoie à un rituel et à unerubriqu,
un « ordo liturgique », à un livre, à un code (écrit ou oral)'",1
demande que des formes régulières de célébrations soientobserés
non pas d'abord pour brimer la créativité, mais parce quil s'agitde
« domestiquer, capter, administrer » la force mystérieuse dusacrt
qu'on ne saurait manier n'importe comment.
Cette opération ne vaut que si elle se fait dans le cadred'unetrad:
tion, d'un « savoir-faire» coutumier qui doit être respecté,fautede
quoi l'assemblée ne retrouve pas les repères de la mémoirecollective.
Poussé jusqu'au scrupule, mis en avant comme ce qui importeavant
tout, jusqu'à l'oubli de la réalité signifiée et célébrée, le riteconduit
au rubricisme (tendance, qui peut friser la manie, à sepréoccuperde
tous lesdétails d'accomplissement du rite plus que du ritelui-méme)

13. Sur cet aspect du rite et sur le suivant, voir C. CASTORIADIS, L'institution
imaginaire de la société, op. cit, p. 159-230.
14. On suppose que les rites du mazdéisme ont longtemps été transmis par
oral par les responsables religieux ; il en est de même pour d'autres religions (hin-
douisme, religions africaines, chamanisme sibérien, etc.).

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LE RITE 20L1552

et au ritualisme (accomplir le rite sans s'intéresser à sa visée), ou


pour le dire autrement, à une sorte de dégénérescence par fixation
abusive et quasi superstitieuse, que l'on peut appeler la « ritose ».

e) Le rite est répétitif, C'est-à-dire qu'il est ouvert à sa répétition


périodique, voire fréquente. Cette répétition «a pour but de main-
tenir l'identité et la pérennité d'une société ou d'une religion par le
rappel périodique de l'Originaire où elles trouvent leur vérité'“ »,
Quelle fréquence ? Celle que réclament les circonstances, celle que
supporte la convocation d'une assemblée et permet la disponibilité
de ses membres. Bien des rites relèvent de la bénédiction inaugurale
(une maison, un navire, une église, un parking, un terrain à bâtir) :on
imagine mal de les refaire. Le pèlerinage à La Mecque est I'un des cinq
piliers de l'islam, prescrit à tout musulman (homme) en bonne santé ;
mais pour la plupart, faute de moyens, il nese fait qu'une fois au moins
dans la vie (si tout va bien) ; une fois parvenu à La Mecque, le pèlerin
musulman devra accomplir un certain nombre de rites particuliers :
ablutions, lapidations, circumambulations, prostrations, etc. (nous y
revenons au chap. 7). Les rites liturgiques majeurs sont en règle géné-
rale faits d'une succession de rites particuliers. Ainsi la messe est un
méja-rite fait d'un puzzle de micro-rites ; à Babylone au rf millénaire
avant notre ère, la fète du nouvel an (Akitu) articule une sériede rites"
quis'étale sur plusieurs jours (hiérogamie, processions, etc,). Il en va de

15. C. PERROT, « Paroles et gestes rituels... », art. cité, p. 85.


16. R. DIDIER, Les sacrements de la foi..., op. cit., p. 24.
17. Une partie de ce rituel est transcrit sur des tablettes cunéiformes (dont
certaines conservées au Louvre) qui associent les rites magiques, les exorcismes et
la récitation de poèmes liturgiques ; voir l'article « Akitu », in F. JOANNÈS (dir.),
Dictionnaire de la civilisation mésopgtamipme, Paris, Robert Laffont, 2001.

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BIBLIO
OTHEC

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARL EO

mêmed'une tenue fermée dans une loge de francs-maçons, ou d'


u du Congrès, ou encoreedu ritede
sessiondel'Assemblée nationale ou
l'assembléegénérale (au minimum annuelle) d'une ass
la loi de1901,qui comporte nécessairement, même siellesso un peu
båclées pour le confort des présents ou des intérêts moins avvouables,
la qualité
un certain nombre de sous-rites obligés : vérification dela.
oral
présents,du versement effectué de leur cotisation, rapport mor
président,reddition des comptes par le trésorier, et tutti quanti

Pour la consécration d'une église catholique, c'est toujoursle


même rite qui sert (en ce sens, ce rite est bien « répétitif ») mais
il nesert qu'une fois pour la méme église (sauf, dans certainscasetà
certainesépoques, quand l'église a été profanée). De la mêmefacon
la théologie catholique des sacrements de I'initiation enseigneque
le baptême est un rite « non réitérable » et combat l'anabaptisme, le
fait de baptiser une nouvelle fois. Elle tendrait aussi à considérerQue
le baptême est une marque indélébile et appose comme un «sceau»
définitif (lesPèresgrecs employaient le mot sphragis). Lesdemandes
de « débaptisation », dont on peut deviner les motivations, sont par
conséquent dépourvues de sens chrétien assignable. Dans l'Eglise
protestante unie de France (EPUJF) et chez les luthériens, le bap-
tême est un évènement unique et la pratique du rebaptéme n'est
en principe pas acceptée. D'autres Églises « protestantes » qui favo-
risent ou défendent le baptême des professants n'hésitent pas à

la ten-
18. II n'existe pas d'obligation de consacrer une synagogue, meme s
dance actuelle va dans ce sens. Les rites sont variables d'une communaute a auti
19. 1l s'agit de ceux qui sont en capacité de professer et de contesser leu to
Cest-à-diredejeunes adultes ou des adultes entrant dans la communauté. Ce erm
est surtout employé dans les mouvements évangéliques.

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310A320LE RITE otLI32

rebaptiser ceux qui entrent dans leurs communautés en ayant sur


ce
point
unepratique
anabaptiste". t oh
b Le rite, pour rester vivable par le tout-venant, doit avoir une fré-
quence comprise dans une certaine « bande passante » (sinon il ne
passe pas). Au-delà d'une certaine fréquence, par exemple quoti-
dienne, l'effectuation des rites devient pesante, voire invivable, sauf
pour des communautés religieuses vouées exclusivement à cela (la
prière chorale, comme rite, revient sept fois par jour dans les ordres
monastiques ; la récitation rituelle de mantra, formule de peu de
syillabes, dont la répétition fréquente est réputée bénéfique, dans les
monastères bouddhistes), sauf pour les « pieux croyants » :le « bon
chrétien » de jadis faisait sa prière le matin en se levant et le soir en
se couchant, et l'angélus revient trois fois par jour ; le « bon musul-
man » est censé prier cing fois par jour (voir chap. 7) ; le juif fidèle
réserve un moment à des prières traditionnelles trois fois par jour,
matin, après-midi et soir (Psaumes 55,17-18 ; Daniel 6,11).
En deçà d'un certain seuil, ou si l'on préfère : au-delà d'une cer-
taine rareté, c'est l'aspect de programmation qui s'oppose à ce que
lon puisse parler de rite. Il y a un rite (le conclave) pour l'élec-
tion du pape (à la mort du précédent, qui n'est évidemment pas
programmée, sauf exception, quand l'élection se fait du vivant du
précédentpape), un autre pour celle d'un prieur de couvent domi-
nicain (tous les trois ans : c'est programmable) ou du maitre général
de I'Ordre (tous les neuf ans). Mais la programmation ne va guère
au-delà du temps d'une génération humaine. Une communauté ne

20. Voir B. BÜRKI, « Baptême », in P. GisEL (dir.), Encyclopédie du protestan-


tisme, Paris/Genève, Cerf/Labor et Fides, 1995, p. 95: «L'anabaptisme est I'une
des formes radicales que prendra la dissidence protestante au xvi siècle»; voir
N.BLOUGH,« Anabaptisme », in ibid., p. 24. iwo

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saurait programmer ce qui sera fait par elle dans vingt ans. À l'in-
térieur de cette fourchette de fréquence, du jour au lendemain ou
dans plusieurs décennies, se tiennent la plupart des rites que nous
connaissons. La Vigile pascale catholique n'a lieu qu'une fois l'an
et n'a pas le même choix de textes selon les années A, B ou C: mais
sa célébration est un rite. Il en est de plus fréquents, par exemple la
célébration religieuse hebdomadaire des chrétiens ou des juifs. Les
prêtres de l'ancienne Egypte, dans les grands sanctuaires au moins,
comme à Abydos, étaient tenus d'accomplir quotidiennement le rite
de l'entretien et de «l'ouverture de la bouche » de la statue divine".
De même les sikhs qui appartiennent à la fraternité des « purS »
(Khálsa) accomplissent une série de rites et de récitations de prières
(répétition du nom divin, lecture de l'Ardâs et de passagesde l'Âdi
Granth") le matin, au coucher du soleil et juste avant de secoucher.
À l'autre extrême, il n'est pas sûr que l'on puisse parler de ritesde
commémnoration, sauf s'ils sont réguliers. La fête du 14 juillet estun
rite républicain qui a ses constantes partout dans l'Hexagone, parmi
lesquelles l'exposition des drapeaux sur les bâtiments publics etles
bus; et, à Paris, l'érection d'une estrade sur la place de laConcorde,
au pied de laquelle défleront les armées devant le chef de l'État,etc.
On peut alors parler de riteet un autre exemple de riteannuelest
celui, sportif, du Tour deFrance- - en dépit du fait que sontrajetest
à chaque fois différent. Mais le bicentenaire de la Révolutionfrançaise,

21. A. MORET, Le rituel du culte divin journalier en Égypte d'aprèslespapyrsde


Berlin et les textes du temple de Séti I" à Abydos, Paris, E. Leroux, 1902.
22. L'Âdi Granth ou Guru Granth Sahib est le livre sacrédessikhs.Ils'agitd'une
compilation de textes religieux finalisée au xvIn siède : poèmes, hymnes,
diverses
compositions des gurus et d'autres mystiques du Moyen Age. Le derniergur
Gobind Singh (1675-1708), a installé cet écrit sacré comme « guru» dusikhismt
Cest-à-dire son guide spirituel pour l'éternité.

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A3:A9 n3CLERITE22!.24015LJ30

en 1989, fut une fète et un anniversaire, non un rite. Même remarque


pour la visite au Panthéon lors de la première élection de François
Mitterrand à la présidence de la République (1981) : ce fut un geste
symbolique, non un rite à proprement parler. Chaque fois qu'il y a
rite, en tout cas, il y a référence lyrique, participante, mystique et poli-
tique, à un temps premier, à un évènement fondateur. À un « mythe ».

) Dernière caractéristique du rite, sonsymbolisme.Tout ou àpeu


près, dans le rite, est symbolique : les rôles, gestes, paroles, attitudes
des différents acteurs, les temps et lieux de l'action, les divers objets
qu'elle implique. La dimension symbolique des rites leur assure,
Cest du moins la conviction des adeptes des religions concernées,
une efficacité réelle, d'un type spécifique, que les historiens des reli-
gions et anthropologues appellent précisément « l'efficacité sym-
bolique». Il suffit, pour s'en convaincre, desongerau mythe
de l'invention du riz récité rituellement de nuit, dans les rizières,
lorsque le riz ne monte pas, ou à la signification précise de chaque
costume et attitude dans les danses balinaises. Il en est de même
pour le rite de la communion eucharistique ou le sacrement des
malades dans l'Église catholique. Le partage du pain eucharistique
et l'onction d'huile sont des gestes dont la structure et la significa-
tion sont d'ordre symbolique:ils renvoient à la vie que le Christ
sauveur entend communiquer, aux gestes faits par le Christ ou ses
apôtres, ou, si l'on préfère, à la « geste » du Christ, aux gesta Dei.
Ce ne sont pas des gestes médicaux.

23. C. LÉVI-STRAUSS, « L'efficacité symbolique », in Revue de l'histoire des reli-


gions, 135/1, 1949, p. 5-27, repris dans Anthropologie structurale l, Paris, Plon, 1958.
24. J. RIes, Symbole, mythe et rite. Constantes du sacré, Paris, Cerf, 2012,
p. 153-169.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

III. UNEQUERELLE D'ANTÉRIORITÉ ?

Le mythe est 1'horizon qui donne sens au rite, comme nous le


disions au début de ce chapitre. En ce sens, mythe et rite vont tou-
jours ensemble. Quant à savoir, très généralement, lequel précède
l'autre, on en a beaucoup discuté, en particulier chez les anthro-
pologues et les ethnologues. Pour l'école dite fonctionnaliste
(Bronislaw Malinowski, d'origine polonaise, 1884-1942), pour
Jane Ellen Harrison (érudite britannique, 1850-1928) étudiant
les mythes grecs, « le mythe était la chose dite par-dessus la chose
faite », autrement dit, les rites pourraient avoir été à l'origine des
mythes. Ce point de vue est défendu par exemple par Siegfried
Morenz (savant allemand, 1914-1970)25 et surtout par Dimitri
Meeks pour la religion égyptienne. À tel point que pour cedernier
chercheur, c'est le rite qui sert à définir le divin : « Est “dieu" [en
Égypte ancienne] tout ce qui a été introduit et/ou maintenu dans
cet état par le rite, » Dernièrement, il a été adopté par Henri
Hatzfeld". Ce point de vue considère donc que le riteprécéderait
le mythe et l'engendrerait. Au début seraient les rites, issuseux-
mêmes d'un dynamisme de célébration, de mise en scène,d'une
volonté d'expression ; par après, les mythes se présenteraient
comme des justifications rétrospectives des actionseffectuées,

25. S. MORENZ, La religion égyptienne. Essai d'interprétation, trad. fr., Paris,


Payot, 1962 (1984).
26. D. MEEKS, « Notion de "dieu" et structure du panthéon danslEgypte
ancienne », in Revue de l'histoire des religions, CCV/4, 1988, p. 425-446 (p.430).
27. H. HATZFELD, Les racines de la religion. Tradition, rituel, valeurs,Paris,
Seuil, 1993; F. BESPFLUG, « Bulletin d'histoire des religions », in Revuedes
scientes
religieuses, 69/2, 1995, p. 266-267.

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S332A1) AuoLERITE233cloDli3A

des commentaires. Le mythe de Thésée et du Minotaure (voir


chap. 2), dans cette perspective, ne serait qu'une dramatisation
symbolique d'un rite d'initiation. Pour la plupart des historiens
des religions, en revanche, c'est le mythe qui est premier et fonde
le rite. Le rite serait inconcevable sans le mythe, qui lui fournit
son sens et ses figures, et jusqu'au détail des gestes à faire. Sans
le mythe, le rite serait privé d'horizon et de vérité ;à chacun sa
tâche, au mythe d'apprendre les gestes faits jadis par les dieux, au
rite de les refaire.
t
Ce type de débat est impossible à trancher de manière purement
S
théorique. C'est dans chaque cas particulier qu'il faut examiner ce
d
qui, du rite ou du mythe, a toutes les chances d'avoir été premier.
i
On connait en effet autant de cas où le mythe semble être postérieur
au rite, que de cas inverses, où le mythe demeure inchangé tandis
que le rituel évolue -là est le point névralgique ; le rituel semble
plus évolutif que le mythe, même si l'évolution du rituel fragilise le
mythe, peut mettre son enseignement cosmologique ou moral en
porte à faux, et brouiller son interprétation. Bref, « il n'existe aucune
connexion invariable entre les mythes et les rituels ».

Le mythen'en possède pas moins une certaine supériorité gno-


séologique" sur le rite, et celui-ci une supériorité existentielle et
émotive sur le mythe. Bien sûr, au plan individuel, il peut en aller
différemment. « Faire » soi-même donne de « comprendre » et de
«réaliser » par le corps ce que parfois l'esprit peine à comprendre.

28. M. MeSLIN, Pour une science des religions, Paris, Seuil, 1973, p. 234.
29. Gnoséologique, du grec gnosis, connaissance; qui a une capacité à faire
connaitre.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

Se laisser plonger, comme font environ 350 000 personnes paran.


dans I'une des dix-sept piscines à Lourdes, révèle autre choseque
de lire dans son fauteuil La vie de Bernadette par le PèreLaurentin.
« Agenouillez-vous », avait coutume d'ordonner le curé d'Ars au
amateurs de discussions religieuses. En tant quil met àgenoux,
engage dans une action corporelle et force par là à se « déchauser s
mentalement en se laissant faire physiquement, le rite estsansdoute
plus puissant, émotivement parlant, que le mythe. Mais cettecom-
préhension intime, par le corps propre et son engagement, n'estpas
l'équivalent d'un contenu ni d'une histoire sainte, et peutdifficile-
ment se livrer en mots partageables. Le mythe est donc denouveau
à l'avantage lorsqu'il s'agit de donner le sens du sacré : à preuve le
mythe australien de la naissance du soleil ". Au plan collectif,socio-
culturel, à l'échelle de l'histoire des traditions et des civilisations, le
rite est un document fatalement moins riche et moins articulé quele
mythe. Peut-être est-ce pour cette raison que dans l'euvre d'Eliade
l'examen des mythes éclipse un peu celle des rites et pratiques.

IV. QUELQUES RITES SPÉCIFIQUES

1. RITES FUNÉRAIRES

Nous aborderons certains de ces rites de manière plus détaillée


dans le chapitre final qui concerne, entre autres, la vie après la mort
(voir chap. 8). On soulignera cependant que les rites funéraires sont

30. M. MESLIN, Pour une sciencedes religions, op. cit., p. 229.


31. À la monumentale Histoire des croyances et des idées religieuses d'Eliade, ne
correspond pas dans son euvre une Histoire des rites et pratiques religieux.

108

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A 1 LE
RITE iols26
probablement les rites les plus répandus depuis les origines de l'hu-
manité. De toute évidence, ils constituent un aspect fondamental de
la distinction entre les mondes végétal, animal et minéral, et l'huma-
nité. Les plus anciennes sépultures remontent à la préhistoire (il y a
plus de deux millions d'années), mais elles sont, avec les peintures
rupestres (en extérieur) ou pariétales (sur les parois des grottes, les
unes et les autres beaucoup plus tardives: pas avant 30 000 avant
notre ère), les seules traces de ces rites, aucun document écrit ne
venant préciser la nature et le contenu des pratiques sous-jacentes. En
dépit de certaines constantes (soins apportés aux dépouilles, mesures
prophylactiques vis-à-vis de l'impureté, trajet symbolique ou sépara-
tion du monde des vivants et des morts, protection et entretien des
sépultures,etc.), les rites funéraires sont d'une variété exceptionnelle
et concourent à la construction de l'identité propre des cultures et
des religions.
Parmi les religions ayant adopté des types de rites funéraires très
structurés, le mazdéisme, religion iranienne qui tient son nom du
dieu principal Ahura Mazda, occupe une place de choix. Le rituel
comprend différentes étapes et toute une série de déplacements
depuis le domicile du défunt (ou une maison mortuaire) jusqu'au
dakhma (tour d'exposition des corps). Immédiatement après le
décès, le corps est nettoyé à l'eau, puis recouvert d'un linceul de
coton blanc dûment lavé par des membres de la famille, qui sera

32. J. CLOTTES, Le musée des roches, Paris, Seuil, 2000 ; E. ANATI, Aux origines de
l'art, 50 000 ans d'art préhistorique et tribal, Paris, Fayard, 2003.
33. La source principale de notre information sur les rites funéraires est le
Vendidad, section importante du corpus sacré de l'Aesta. Exposé très complet
dansJ.J. MoDI, The Funeral Ceremonies of the Parsees, their Origin and Explanation,
Bombay, Fort Print. Press, 1928.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

détruit une fois achevée la cérémonie. Le défunt est revétudeson


kusti (cordelette sacrée) " par les proches qui récitentdespritre
en se tenant assis à côté du défunt. Selon la tradition mazdéene
à partir de ce moment, le corps du défunt tombe sousl'inluence
de la druj-i Nasu, force du mal qui provoque la décompositiondes
corps. Il est donc nécessaire de s'éloigner du corps pour évitertoute
contagion". Passé cette étape, le corps est pris en charge pardeur
personnes préparées à ce type de rite (en état de pureté, revètuesdu
kusti, récitant les prières de l'A vesta%); il s'agit comme dansdenom-
breuses religions de « spécialistes » formés et surtout reconnus parla
communauté religieuse. Ces derniers disposent le corps surdesdalls
de pierre (ou sur le sol) et le recouvrent d'un nouveau linceul, puisils
tracent des cercles sur le sol pour délimiter l'espace impur oùestdis
posé le corps. L'étape suivante (sagdid) consiste à attendre lepassage
d'un chien (sag) ou, à défaut, d'un vautour pour confirmer lamort

34. Dans le mazdéisme (voir aussi le cordon des brahmanes en Inde), nouer
et dénouer son kusti revėt une importance considérable puisqu'il détermine l'ap-
partenance à la communauté et sépare la partie noble du corps de sa partiebasse.
Les 72 brins qui composent le kusti sont comme les 72 chapitres du Yasna, une
des sections majeures du corpus sacré de l'Avesta. Sur les rites associés au kusti,
voir M.STAUSBERG,« The Significance of the "kusti" : A History of Its Zoroastrian
Interpretations », in East and West, 54 1/4, 2004, p. 9-29.
35. Le contact avec le défunt entraine certains rites de purification, comme
dans la plupart des religions.
36. Corpus des textes sacrés de la religion mazdéenne comprenant plusieurs
grandes sections : le Yasna (contenant des hymnes: les Gathas), le Vispred (recueil
de lois et de textes liturgiques), les Yashts (hymnes à la louange des divinités
anciennes),le Videvdat ou Vendidad (recueil de lois et de conjurations, centré sur
les questions de pureté). D'autres textes complémentaires viennent s'associer à ce
corpus de textes sacrés.

110

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LE RITE

du défunt. Cette confirmation venue", on apporte un brûle-parfum


qui sert à la purification de la pièce. Il s'agit par là de lutter contre
les dangers de la décomposition qui entraîne la maladie. Se tenant
à distance du défunt, un prêtre est chargé de réciter des passages de
I'Avesta jusqu'au départ du corps vers la tour du silence (dakhma). Ce
déplacement est pris en charge le jour même ou le lendemain par des
équipes de porteurs" (toujours par paires), habillés de blanc, gantés
et liés les uns aux autres par une bande de tissu blanc. Le corps est
transporté sur une civière en fer" et les porteurs entament la réci-
tation des Gathas (cœur de l'Avesta) ; les proches suivent le cortège,
mais à distance. Ces paroles d'encouragement constituent une sorte
de rite prophylactique qui permet de résister aux attaques de la Druj
qui se manifeste par la décomposition du corps. À l'intérieur de la
tour, le corps est dénudé puis déposé dans le cercle qui correspond à
son sexe et à son âge. Les vautours se chargeront de faire disparaitre
les chairs, tandis que les ossements seront poussés au fond du puits
central du dakhma. L'utilisation des tours du silence fait aujourd'hui
difficulté pour deux raisons essentielles : la proximité des villes rend
la pratique de l'exposition des corps difficile ou impossible, pour des
questions évidentes d'hygiène ; et elle entraîne obligatoirement la
disparition progressive des colonies de vautours. Ainsi, certains rites
funéraires du mazdéisme sont appelés à disparaitre ou à se modifier
pour s'adapter à la réalité urbaine actuelle.

37. Elle peut se faire à plusieurs reprises le jour du décès.


38. On distingue généralement deux types de porteurs, ceux qui vont de la
maison à la tour et ceux qui s'occupent du corps à l'entrée de la tour.
39. On évite ici d'utiliser des matériaux poreux comme le bois, pour éviter les
transferts d'impureté.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

2. RITES ET PRATIQUES ALIMENTAIRES

Pratiques et coutumes alimentaires sont légion dans les cultures


antiques et contemporaines, mais elles ne sont pas forcément liées à
des rites particuliers, même si elles renvoient souvent à des traditions
religieuses ou à des textes fondateurs. Notre société moderne est sen-
sibilisée à la question des interdits alimentaires. Les aliments béné-
ficiant du label halal (pour l'islam) ou kasher (pour le judaisme) *0
font désormais partie des produits consommables accessibles à tous,
du moins en ville. L'actualité a récemment mis sur le devant de la
scène la question de la préparation de ces produits, notamment en
lien avec le problème des cantines scolaires et celui de la souffrance
des animaux abattus selon les techniques traditionnelles d'égorge-
ment ou de saignement. On voit ici comment les pratiques alimen-
taires rejoignent les rites ou les présupposent : toute denrée doit être
préparée conformément à une série de techniques et de manipula-
tions pour être propre, et déclarée « apte" » à la consommation des
fidèles. Des spécialistes de l'abattage rituel, reconnus pour leur com-
pétence, sont responsables de la bonne observation destechniques
traditionnelles et d'autres spécialistes peuvent être chargés devérifier
la qualité et la conformité des produits à consommer". Concernant

40. On notera que les lois de la kasherout ne concernent pas, en principe,les


fruits et les légumes.
41. Une des traductions du mot kasherout est « aptitude ».
42. Notamment dans le judaisme où le shohet est un sacrificateurhabilitépar
les autorités juives. Chez les musulmans, la présence d'un spécialisten'estpasindis
pensable.
43. Chez les juifs, la supervision d'un rabbin ou d'une autoritédésignéeparlacom-
munauté juive (ou le Consistoire, etc.) est nécessaire pour déclarer unproduit«kasher.

112

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LE RITE

le judaisme, le respect des prescriptions de la kasherout constitue aux


yeux de beaucoup un des aspects fondamentaux de l'identité juive.
Les courants réformistes du judaïsme qui ont abandonné tout ou
partie de ces prescriptions se sont vu rejetés par la branche tradition-
nelle pour ces raisons et d'autres. Parmi les exemples significatifs de
rites et de rituels juifs, l'abattage des animaux (shehitah) fait I'objet
de prescriptions rituelles très précises qui se réfèrent à des indica-
tions bibliques ou sont tirées de la tradition rabbinique; en voici
quelques aspects : l'animal choisi" est égorgé à l'aide d'un couteau
spécifique parfaitement aiguisé et immaculé ; la carcasse est inspectée
par le shohet, la personne qualifiée pour procéder à la shehitah, puis
on suspend l'animal pour qu'il se vide de son sang (ce dernier étant
interdit à la consommation*) ; des opérations de trempage dans l'eau
et desalage peuvent intervenir, mais la technique du rôtissage est sou-
vent utilisée. Ainsi, le rituel de l'abattage est associé à des techniques
de préparation alimentaire et des coutumes qui peuvent varier en
fonction de la famille, de ses origines communautaires, selon qu'elle
provient dEurope centrale ou orientale (les juifs ashkénazes), ou
de la péninsule Ibérique ou d'Afrique du Nord (les séfarades), etc.
La codification des rites juifs constitue un aspect important de cette
religion qui se réfère à deux ensembles d'écrits, la Torah écrite (la

44. Voir notamment la liste des animaux considérés comme purs en


Deutéronome 14,3-21:« Voici lesbètesque vous pouvez manger: le beuf, l'agneau
ou le chevreau [...] Toute bète qui a le pied fendu en deux sabots et qui rumine,
vous pouvez la manger... »
45. Se reporter à Lévitique 7,26-27 et au célèbre passage qui accompagne la
bénédiction de Noé après le Déluge : « Toutefois vous ne mangerez pas la chair
avec sa vie, c'est-à-dire son sang. Et de même, de votre sang, qui est votre propre
vie, je demanderai compte à toute bête et j'en demanderai compte à l'homme... »
(Genèse 9,4-5).

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POUR EN PARLER
RELIGIONS, LES MOTS POL

orale (principalement conservée


dans
Biblehébraique) et la Torah ora
Mishna,les talmudim *et les midrashin rabbiniques").Denosig
Jes rabbiniques, ces textes font
ttoujours)
danslesécoles et centres d'étude à la production de
'objet d'uneétudepatiente qui mène
les rites°. Cestégalement
dans
lois (halakhah) et à l'actualisation entaires se trouvent plein
ement
le cadre familial que les rites alim eler limportanc
développés.Il suffit pour s'en convaincrederappelerl:
repas qui l'accompagnent.Ainsi,
de la célébration du sabbat et des
dans le judaisme traditionnel, mari et femme ont un ráôle précis à

Le Talmud deBabylone et le Talmud deJérusalem(compilésentre l.sufe


Mishna
VIIS. de notre ère) constituent deux vastes corpus différents quiintèrren
loppés (a
(recueilhalakhiquecentral pour le judaisme) et des commentaires très dével
mud de
Guemara).Å partir du viut's, le Talmud deJérusalem fut supplantéparleTa
sla fin
Babylone,ouvrage monumental qui fait toujours référence aujourd'hui. Den
ea inté
duMoyenÁgeetavecledéveloppementde l'imprimeric, leTalmud deBabylone
a it
gréd'autres commentaires célèbres comme celui de Rashi de Troyes (vers l040-11051
90
l'un desexégèteset talmudistes les plus réputés du judaīsme. Voir Rashi 040. 108
Hommage à Ephraim E Urbach. Congrès européen des études juives, textes édits nor

G.SED-RAJNA, Paris, Cerf, 1993.


47. Les midrashim rabbiniques sont des commentaires des livres de la Bible
hébraique (ou Torah écrite) ct des enseignements juifs traditionnels. IIs portentprin-
cipalement sur des questions d'exégèse du texte biblique (darash signifie «cherchers,
«sCruter») et de halakhah. La rédaction de ces commentaires s'étend du ns de
notre èreà la fin du Moyen Äge. Voir H. L. STRACK, G.STEMBERGER,Introductionau
Talmud et au Midrash, trad. et adapt. françaises de M.-R. HAYOUN, Paris, Cerf,1986.
48. La halakhah concerne le domaine légal ; elle définit les principes ou les
règlesde la pratique. La Mishna est principalement composée de développements

halakhiques.
49. Les discussions halakhiques se font aujourd'hui sur des sites Web spécia-
lisés où les fidèles et les rabbins discutent des nouveles questions législatives qui
se posent. Les documents fondateurs (Torah écrite et orale) servent de base à tout

nouvel aménagement de la halakhah.

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LE RITE

jouer quant à la préparation et à la célebration de cette fête. L'épouse


tient le premier rôle non seulement dans le domaine culinaire, mais
aussi de manière plus générale dans le cadre familial : c'est clle qui
a la responsabilité de préparer la table et les aliments des repas du
sabbat. Le respect du rituel est une garantie de la stabilité familiale et
de la bénédiction divine qui repose sur la famille ; ce rituel se trans-
met de mère à fille, mais il est codifié dans des ouvrages que chaque
famille posède". Ajoutons que parmi les repas solennels, celui de
Pessah (Pâque juive) revêt une importance considérable du point
de vue rituel. Ce repas, très codifié dans la tradition juive (vaisselle
spécifique, mets spéciaux, bougies, etc.), s'accompagne toujours de
la lecture complète d'un rituel ancien, la haggadah shelPessah (récit
de la Påque), un document qui fut illustré et enluminé dès le Moyen
Âge". Ce rituel qui rappelle les valeurs du judaisme est certainement
la plus ancienne euvre liturgique encore en usage dans le judaisme
actuel. Il est constitué de sections narratives entrecoupées de prières,
de bénédictions et de gestes rituels à accomplir dans un ordre précis.
La particularité de ce rituel réside également dans le fait qu'il ren-
voie au mythe de l'Exode : libéré de la servitude en Egypte, lors de la
Paque et de la lecture de la Haggadah, le peuple juif se remémore les
évènements qui ont entouré cette étape fondatrice de son existence.
Le récit et les péripéties (même alimentaires !) de cette libération sont

50. Par ex., le Shoulkhan Aroukh (« table dressée »), compilation légale daté du
xvI s. qui a fait l'objet de nombreuses rééditions, d'actualisations et de commen-
taires. Cet ouvrage aborde les grands domaines de la vie religieuse et civile, de la
législation sur le sabbat jusqu'aux lois relatives au mariage ou à la finance en passant
par la législation sur la kasherout, les lois de Nidda et l'abattage rituel.
51. Voir, par ex., l'édition remarquable de la Haggada du scribe Eliézer
Seligmann, de Rosheimn : crite et illustrée à Neckarsulm en 1779, Strasbourg, PUS,
1998.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLED

nérations pour qu'ils les Ansmettent àleur


smisriteactualisele
aux jeunes générations
mythe et lui confère unevaleur nelle»,
une bonnepartie
Desremarques similaires pourraicnt être faites r
desfètesdu calendrier juif actuel, entre autres cellesdeCo
deshuttes »)et de Pourim (« fête des sorts »)$3

3. RITES ET PRATIQUES VESTIMENTAIRES


Dans le domaine profane" comme dans la sphèrerelipie le
ritesvestimentairesabondent. Is doivent êre distinguésde pr
tiquesvestimentaires qui varient avec le temps et les milieuy
(port des différents types de voile en islam, kippa, calottes,vêtemest-

52. En souvenir de leur pérégrination au désert (Lévitique 23,33-43). L


serassemblent pour manger et dormir dans des huttes (soukkot), abrisde
tune qui rappellent la précarité de la vie au désert. Chaquc famille construi une
soukkah en s'appliquant à respecter la halakhah (emplacement, taille, iture,
décoration, etc.). La fète de Soukkot s'achève par la « Joic de la Torah »(Simhot
Torah), solennité qui marque la fin de la lecture complète de la Torah (lescing
premiers livres, le Pentateuque) et le recomımencement de cette lecture auxtout
premiers versets de la Genèse. Les rites sont ici associés à la centralité du texte
sacré.
53. Le livre biblique d'Esther raconte l'histoire de la libération du peuple juif
gráce à la piété et à la fidélité de deux héros : Mardochée et Esther. Cette fète s'aç-
compagne également de rites et de pratiques alimentaires et vestimentaires variés :
déguisements(en Mardochée ou Esther), préparation de mets spéciaux (lesoreilles
d'Haman, l'ennemi du peuple juif), consommation importante de vin, et d'autres
manifestations de type carnavalesque. Sur tous ces points, consulter E.GUGENHEIM,
Le judaisme dans la vie quotidienne, Paris, Albin Michel, 1992, p. 91- 168 (spéc.
p. 141-145).
54. Que l'on songe ici à certains uniformes qu'il faut revétir et ajuster dans un
ordre précis ; dans la plupart des pays européens, les juges ne rendent la justice que
dansunetenue« rituelle .

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a318453Suc LE RITE 2413U3H

des familles endeuillées, etc.), mais cette distinction n'est pas aussi
simple qu'il semblerait si l'on se réfere aux nombreux ritesassociés
à des pratiques vestimentaires précises : rites de pénitence associés
au port de certaines tenues$; déchirement desvêtements ; vêture
des religieuses et des religieux à certaines étapes de leur progression
dans un ordre, en particulier au moment de l'entrée au noviciat,
appelée parfois, et pour cause, « vestition » ou « prise d'habit »;
remise solennelle de certains éléments vestimentaires liturgiques
lors des rites d'ordination ministérielle (diaconat, prêtrise, épisco-
pat, patriarcat, cardinalat, pontificat suprême) dans le catholicisme
et l'orthodoxie ; etc. Dans le domaine biblique déjà, jusqu'à la chute
de Jérusalem en 70 de notre ère, le vêtement du grand prêtre faisait
l'objet d'une attention particulière à tel point qu'il garantissait la
validité et l'exercice de cette fonction marquée par la sainteté et
la pureté. L'investiture du grand prêtre se déroulait en trois étapes
principales : purification, vêture et onction". Revêtus dans un ordre
précis et-on peut l'imaginer -selon un rituel strict,lesvêtements
sacerdotaux comprenaient une série d'iléments différents comme la
tunique, le manteau, l'éphod, le pectoral et une sorte de turban ou tiare
(symbole royal) comportant une fleur d'or porteuse de l'inscription

55. Pour une illustration biblique célèbre, Jonas 3,4-5 : « Jonas avait à peine
marché une journée en proférant cet oracle : Encore quarante jours et Ninive sera
misesensdessus dessous, que déjà ses habitants croyaient en Dieu. IIs proclamèrent
un jeûne et se revėtirent de sacs, des grands jusqu'aux petits. »
56. Au tournant de notre ère, des autorités politiques comme Hérode et sessuc-
cesseurs enfermaient les vêtements sacerdotaux dans une forteresse et ne les remet-
taient au grand prêtre que lors des cérémonies religieuses, notamment pour le jour
de Kippour.
57. Consulter Exode 29,4-7; Lévitique 8,6-12 ; R. DE VAUX, Les institutions de
l'Ancien Testament, t. 2, Paris, Cerf, 1991, p. 268-269.

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POUR EN PARLER
RELIGIONS, LES MOTSP

hvés8, Cette tenue comple: ermettait latrans

« consacré à Yahvé te et certains émentscom


mission de la charge du grand prétre et certains6
aculaires si l'on en
Croit
toral remplissaientdes fonctions oracdes pratiques religieus
la tradition biblique Le rite rejoint ici des
ervées à quelques initiés.
divinatoires complexes etréserv signalons ce quiapparat
Toujours dans le cadre du attaché
judaisme, signalonsCe
au rouleau de laTorah (S
comme un rite vestimentaire attaché au sabbats ou desfètes
Torah) età son usageen synagogue. Lors dessa, ble de gestes(ouver.
ureduSéferTorah s'accompagne d'un ensembl e de ses

ture
lecturde l'arche protectrice, déplacement du rouleau etdébnseomplis
yad ou « main de lecture »)
ornements, lecture avec le ya auté ou choisiesparce
pardespersonnesdésignées par la communaut nité,
qu'ellesvivent un évènement significatif de leurexistence(paternioute
bar mitsvah, etc.). Avant d'être déroulé pour être lu devanttout
l'assemblée,leSéfer Torah doit étre débarrassé des ornementslaui

58. D'une manière générale, voir Exode 28 et 39. En ce qui concernelediadème

inscrit : Exode28,36 ; 39,30 ; voir Zacharie 3,1-9.


59. Voir ici les traditions attachées aux Ourim et Toummim, notammentExode
28,30; Lévitique 8,8 ; Nombres 27,21 et l'épisode de 1 Samuel 14,41-42. Onne
connaít pas le sens exact de ces mots ni même la fonction précise desOurimd
Toummim. Sans doute faut-il rapprocher leur usage des pratiquescléromantiques
(cailloux,feves,baguettes ou flèches étaient jetés ou agités pour obtenir laréponse
des dieux) attestéesdans l'Antiquité en Mésopotamie, en Grèce et dans tout lebas-

sin méditerranéen ; voir également Ézéchiel 21,26-27.


60. Rite initiatique par lequel le jeune juif accède à la majorité religieuse,en

principe à 13 ans.
6l. Lesprécisions manquent quant à la date d'apparition de ces diversornements
de la Torah. lIs sont pour la plupart attestés dans les inventaires desymagoguesetles
écritsjuifs du MoyenÄge, mais il est difficile de préciser davantage. Voir T.LEGRAND,
« Le Séfer Torah et ses ornements : protection de la Loi divine et embellisement de
T'objet sacré», in J. E. AGUILAR CHIU, K. J. O'MAHONY, M. ROGER (éd.), Bible et

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LE RITE

le couvrent et le protègent :le manteau", la ceinture, le pectoral (ou


bouclier), deux fleurons en métal surmontant les manches du Séfer
Torah, la couronne coiffant l'ensemble. Le rôle protecteur du man-
teau de la Torah semble confirmé, mais sa fonction symbolique nous
intéresse davantage puisque cet ornement somptueux peut étre rap-
proché des vêtements d'Aaron et des grands prêtres tels qu'ils sont
décrits dans la tradition biblique et par d'autres sources anciennes.
Le manteau de la Torah est ajusté autour des montants du Séfer
Torah comme une cape, ou enfilé par le haut du rouleau, comme
un vêtement ; il s'apparente ainsi aux vêtements du grand prêtre",
parure de gloire et de sainteté. Ce lien symbolique et liturgique entre
la fonction sacerdotale et le Séfer Torah s'appuie également sur le röle
de médiateur suprême joué par le grand prêtre. De même, le Séfer
Torah compris comme présence objective de la Révélation divine
joue le rôle d'intermédiaire entre Yahvé" et son peuple. Ainsi, les

Terre sainte: Mélanges Marcel Beaudry, New York/Washington/Berne/Francfort-sur-


le-Main/Berlin/Bruxelles/Vienne/Oxford, Peter Lang, 2008, p. 471-481.
62. Il est réalisé dans un tissu précieux, couvert de motifs et d'inscriptions
finement brodés. Les communautés juives occidentales (de rite ashkénaze) utilisent
généralement un manteau, tandis que les synagogues orientales (de rite séfarade)
lui préfèrent un coffret en bois ou en métal, couvert d'ornements. Certains coffrets
en bois sont eux-mêmes couverts d'un manteau.
63. Par ex. Exode 28; 29,8-9 ; 39,1-31; Siracide 45,7-13 ; 50,5-13 et FAVIUS
JOSÈPHE,Guerre des Juifs, V, 5,7 ; Antiquités judaiques, II, 7,1-7.
64. Notons que le terme hébreu méil employé pour désigner le manteau de la
Torah correspond au terme biblique qui désigne la robe sacerdotale d'Aaron (voir
Exode 28,4.31.34 ; 39,22-23).
65. Dans la Bible hébraique, YHWH (le tétragramme) est un des noms de
Dieu que l'on écrit, mais que l'on ne prononce pas. D'autres noms sont employés
pour désigner Dieu dans la Bible et la tradition juive (El, Élohim, Adonai, Shaddai,
Hashem, Hamaqom, etc.).

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POUR EN
RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PA
PARLER

ritesvestimentaires concernant la plus haute guresacerdotaled


de transfert sur l'otbjet leplussaot
judaismeconnaissent une forme
La Torah revét ses atours lorsqu'elle en
dujudaisme. La Torah revét
sanctuaire » (l'Arche de la Torah, véritable temple enréduct
< st « dévêtue » lorsqu'il s'agit d'e lecture e

'interprétation de la révélation divine. L'empilement des symboe,


ble une incroyable complexite
et des rites confère à l'ensemble

différent
Dans un milieu culturel et cultuel bien différent de celuique
ires mériten
nous venons de fréquenter, d'autres rites vestimentaires
chisme, religion de créationtardive%,
que l'on s'y attarde. Le
à l'honneur quelques usages et rites vestimentaires quicone:ituent
une partie de l'identité de cette religion. Les sikhs («dise
« élèves » en sanskrit) sont les disciples d'un prédicateur mys-
tique (le Guru Nanak, 1469-1539) et de ses successeurs, ilsvivent
principalement dans le nord de l'Inde, au Pendjab. llsejettent
en principe les distinctions de caste et prónent l'égalité dessexes
et la tolérance. Ils sont partisans d'une conduite moraleirrépro.
chable (patience, obéissance, contróle de soi, lutte contre lesvices
de monde, etc.) et développent la notion de service et desolidarité
vis-à-visdes plus démunis. L'Ädi Granth ou Guru GranthSahibest
le corpus sacré auquel ils se réfèrent en tout temps et quiconstitue
leur guide spirituel : l'Adi Granth est un guru ", à ce titre il fait

66. C'est seulement à partir du xvu s. que l'on peut parler d'une reigion
sikhe structurée et développée. Pour le contexte historique et le développement
du sikhisme : D. MATRINGE, Les sikhs. Histoire et tradition des « Lions du Panjab »,
Paris, Albin Michel, 2008; M. DELAHOUTRE, Les sikhs, Paris, Brepols, 1989.
67. H. StNGH, « Sikhisme », in P. POUPARD, Dictionnaire des religions, 3 éd,
Paris, PUE, 1993, p. 1876-1879.

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Ru LERITE

I'objet d'une grande vénération et se trouve placé au centre des


lieux de culte des sikhs (gurdwara). Parmi les usages sikhs et le
code de conduite qui caractérisent l'appartenance à cette religion,
signalons la nécessité pour les hommes de suivre ou de porter les
cing «k» (panjkakke): 1) le kesh est un signe de sainteté qui se
traduit par le port des cheveux et de la barbe non coupés ; 2) le
kangha est un simple peigne de bois permettant de conserver une
chevelure bien coiffée (mais couverte par un turban);3) lekachh
(pantalon court et ample) ;4) le kara (bracelet defer qui symbolise
la sobriété et l'austérité) ;5) le kirpan (épée défensiverecourbée)"".
Le sens attaché au port du kachhn'est pas totalementassuré,mais il
pourrait symboliser « la chasteté ou le fait de pouvoir à n'importe
quel moment s'élancer au combat ».

Comme on le voit aisément, les rites sont aussi nombreux et variés


que les milieux culturels et les religions qui les ont forgés, actualisés
et transmis (au point qu'il est parfois difficile, dans certaines pra-
tiques, de distinguer la part du religieux et celle du culturel). On

68. C. MOLINER, « Symbolisme ethno-religieux et désir de reconnaissance


minoritaire des sikhs », in A.-L. ZWILLING (dir.), Minorités religieuses, religions
minoritaires : visibilité et reconnaissance dans l'espace public, Strasbourg, PUS, 2014.
69. Le kangha est généralement attaché à la chevelure, sous le turban. Le code
de conduite sikh insiste sur la notion de propreté.
70. Malgré l'idéal pacifique défendu par le Guru Nanak, cette épée rappelle
les périodes de persécutions qui conduisirent les sikhs à prendre les armes au
xvI siècle. Aujourd'hui, le cadre de la vie moderne contraint les sikhs (notam-
ment ceux qui vivent en Europe) à porter un kirpan de taille modeste, voire une
épée miniature.
71. D. MATRINGE, Les sikhs. Histoire et tradition des « Lions du Panjab », op.
cit., p. 102.

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RELIGIONS, LES MOTS POUR EN PARLER

aurait pu évoquer encore une multitude d'autres ritescomme Ceur


qui sont associés à la pénitence, aux pèlerinages (voir chap.7)",au
cultes sacrificiels (par exemple dans l'hindouisme ou lejudaisme
ancien) ou aux évènements qui marquent les changementsdesta-
tut pour un individu comme la circoncision (rites depassage,
rites
d'initiation)". Les exemples que nous venons de citer nesontque
des mises en bouche pour l'amateur de l'Histoire desreligions.Is
illustrent ce que nous disions au début de ce chapitre, à savoirque
si les rites peuvent apparaître associés à une personne, uncroyant
ou un pratiquant, ils sont beaucoup plus souventcommunautaires
qu'individuels ; ils renvoient l'individu aux fondements mêmesde
ce qui structure la communauté religieuse, notamment lesmythes
fondateurs intégrés dans les textes fondateurs ou écrits sacrés,et
vérifient les caractéristiques que nous avons énumérées, fůt-ceavec
une certaine souplesse.

72. Tels les rites de circumambulation, qui consistent à faire le tour d'uneper-
sonne, d'un objet ou plus souvent d'un bâtiment ou d'une ville, à l'intérieurcomme
à l'extérieur (stupa, synagogue, Kaaba, autel, foyer, etc.). Voir P. B. FENTON,«Le
symbolisme du rite de la circumambulation dans le judaisme et dans l'islam », in
Revuede l'histoire des religions, 213-2, 1996, p. 161-189.
73. Ainsi, le rite de la circoncision (ablation totale ou partielle du prépuce),
connu depuis la plus haute antiquité (par ex., en Égypte ancienne et dans le
judaisme) et très répandu dans le monde musulman, les cultures africaines etocéa-
niennes (600 à 700 millions d'hommes concernés). Qu'il soit réalisé pour desmotifs
culturels, traditionnels, thérapeutiques ou religieux, ce rite fait aujourd'hui l'objet
d'intenses débats au niveau mondial, en raison de ses conséquences : souffrance,
atteinte à l'intégrité physique et psychique, etc. Voir par ex., B. BETTELHEIM,Les
blessuressymboliques : essai d'interprétation des rites d'initiation, Paris, Gallimard,
1971.

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