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Chimères.

Revue des
schizoanalyses

Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui


Roland Pfefferkorn

Citer ce document / Cite this document :

Pfefferkorn Roland. Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui. In: Chimères. Revue des schizoanalyses, N°28, printemps-
été 1996. Les Arts de l'Éco. pp. 111-133;

doi : https://doi.org/10.3406/chime.1996.2086

https://www.persee.fr/doc/chime_0986-6035_1996_num_28_1_2086

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ROLAND PFEFFERKORN

Fantasmes eugénistes d

Sociologue àdes
l’université
Sciences humaines de
Strasbourg. Dernier
livre paru : (en
collaboration avec
Alain Bihr)
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» inégalités, Syros,
1995.
A paraître en
septembre 1996 :
Hommes-Femmes :
l’introuvable égalité,
éd. de l’Atelier.

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ROLAND PFEFFERKORN

de ces auteurs dont la lecture est chaudement recommandée


par les différentes mouvances de l’extrême droite française,
de la prétendue « nouvelle droite » (Club de l’Horloge et
GRECE) (6) au Front national. Il est vrai que l’eugénisme
préconisé par Carrel est en parfaite symbiose avec la vision
du monde de l’extrême droite d’hier et d’aujourd’hui. Mais,
curieusement, son livre est considéré comme une référence
« philosophique » et « spiritualiste » majeure, dans des
sphères dépassant largement l’extrême droite. Il suffit de
consulter la plupart des ouvrages consacrés à ce personnage
(7), voire les notices de certains dictionnaires ou encyclopé¬
dies, pour s’en rendre compte. Quant aux thèses eugénistes
de ce médecin, elles sont fréquemment présentées comme re¬
levant de Y « humanisme » [5/c], voire comme des thèses
« écologiques » [5/c].

Alexis Carrel, vulgarisateur de l’eugénisme


ET PROMOTEUR DE L’ARISTOCRATIE BIOLOGIQUE

UNE CONCEPTION EUGÉNISTE


DE LA MÉDECINE

Carrel est profondément marqué par l’idéologie eugéniste qui


règne, notamment dans les milieux médicaux, à la fin du XIXe
et dans les premières décennies du xxe siècle. L’influence de
cette idéologie est particulièrement forte aux États-Unis, où
Carrel fait l’essentiel de sa carrière, mais aussi en Europe,
dans la France de la IIIe République, dans l’Allemagne nazie
ou encore dans les pays Scandinaves. Il en existe bien enten¬
du des variantes, avec de grandes différences, par exemple,
entre les accents eugénistes d’un Henri Sellier qui prône une
politique d’hygiène prénatale, et l’eugénisme aristocratique
d’un Carrel qui est à la fois pré et post-natal (8). Carrel met
sa réflexion sur l’hygiénisme et l’eugénisme au service de
l’élitisme, de l’aristocratie, du racisme et du fascisme. En ce
sens l’eugénisme de Carrel est beaucoup plus proche de ce¬
lui des idéologues du IIIe Reich que de celui de certains so¬
cialistes de la IIIe République (9). Son condensé eugéniste,
destiné à un large public, L’Homme, cet inconnu, paraît en
1935, en anglais et en français, et par la suite dans de nom-

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Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

breuses autres langues. Il contribue ainsi à propager des thèses


qui sont en phase avec l’idéologie de l’extrême droite de
l’entre-deux-guerres (... et d’aujourd’hui !). De surcroît, en
tant que médecin primé, que « savant », c’est-à-dire en tant
que membre de cette « élite scientifique », il apporte une cer¬
taine caution à ces thèses. Bref, le prix Nobel sert à vendre
l’idéologie eugéniste.
La démarche de l’eugénisme consiste à ramener le social ou
le culturel au biologique. C’est donc d’abord ce qu’on peut
appeler un biologisme naturaliste ou un réductionnisme bio¬
logique. Ce réductionnisme vise en outre à légitimer, par un
substrat biologique caché qui se transmettrait par hérédité, les
inégalités observables, qu’il s’agisse des inégalités de classe
ou de sexe. En d’autres termes, cette idéologie vise à justifier
la position des groupes dominants par des caractères naturels,
en particulier biologiques. L’eugénisme conduit donc à penser
les différences sociales comme des différences naturelles et
les classes comme des races. Bref, l’eugénisme conduit à
biologiser, voire à racialiser les rapports sociaux (10). Ces
thèses demeurent particulièrement virulentes aux États-Unis.
Mais la France, comme on le verra plus loin, n’est pas épar¬
gnée. Le mal nommé « darwinisme social » et la socio-
biologie y ont conservé une forte influence, comme le montre
le succès récent du livre de Charles Murray, The Bell Curve,
qui prétend démontrer que les Noirs sont biologiquement in¬
férieurs aux Blancs. Dans son best-seller, Carrel aussi stig¬
matise les « races inférieures » considérées comme
biologiquement inférieures aux « races blanches ».
D’après les eugénistes, les femmes, considérées exclusive¬
ment en tant que reproductrices, souffriraient d’un déficit bio¬
logique par rapport aux mâles. En effet une autre caractéris¬
tique de la vision du monde de l’extrême droite eugéniste et
du régime de Vichy (1 1) est la légitimation biologique, et
donc la naturalisation, de l’opposition culturellement et so¬
cialement construite entre des « natures » masculine et fémi¬
nine.
Les textes d’Alexis Carrel sont représentatifs de ce système
de pensée biologique du monde social. Ainsi, d’après lui, les
ovaires et les testicules « impriment aux tissus, aux organes
et à la conscience, les caractères mâle ou femelle [. . .] ; le tes-

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ticule engendre V audace » ; les « lois physiologiques »


réduisent à néant les idées des « promoteurs du féminisme »
incapables d’accepter que « les systèmes organiques et
surtout le système nerveux » féminins interdisent aux femmes
d’avoir « les mêmes pouvoirs, les mêmes responsabilités »
que les hommes (12).

Le biologisme de Carrel est aussi habité par l’obsession de la


décadence des sociétés occidentales, décadence intrin¬
sèquement liée à celle de ses élites. Ces sociétés seraient me¬
nacées par la fécondité élevée des « races inférieures » et des
classes laborieuses et par le travail des femmes. Leur élite se¬
rait ainsi menacée, en quelque sorte de l’extérieur et de l’in¬
térieur. Face aux menaces que feraient peser les tares des
« mauvaises » souches sur ces élites le principal moyen pré¬
conisé par les eugénistes pour éviter la décadence est le re¬
cours à la sélection naturelle. Celle-ci serait entravée par les
règles sociales en vigueur qui laisseraient la part belle aux
« porteurs de tares héréditaires » (13). L’eugénisme est en
fin de compte un programme de sélection artificielle dont
l’objet est de rétablir la sélection naturelle dans ses préroga¬
tives : soit en accroissant la productivité de ses meilleures
souches (eugénisme qualifié de « positif»), soit en réprimant
la productivité des souches les pires (eugénisme « négatif »)
(14). La logique de l’eugénisme carrélien est donc clairement
antiégalitaire et antidémocratique, élitiste et aristocratique, ra¬
ciste et sexiste. En conclusion de son livre, Carrel précise son
objectif : « U établissement par l’eugénisme d’une aristocra¬
tie biologique héréditaire serait une étape importante vers la
solution des grands problèmes de l’heure présente » (15).

On ne peut que s’étonner a posteriori que le nom d’un tel mé¬


decin ait pu être choisi, en 1969, à l’unanimité des respon¬
sables concernés, pour dénommer une institution universitai¬
re destinée à former de futurs médecins. Carrel considère en
effet que doivent être privés de soins et de possibilités de re¬
production les hommes et les femmes qui présentent des
« tares » socialement trop coûteuses, qu’il s’agisse de « tares
physiques » ou de « tares psychologiques ». Le critère
essentiel qui doit guider la société, et en particulier les

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Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

médecins, est, d’après lui, le « sens de V efficacité -


eugénique ». Nous sommes loin ici du serment d’Hippocra¬
te ! Les quelques citations qui suivent, parmi des centaines
d’autres possibles, permettent d’illustrer sa conception de la
médecine :
« L’homme tout entier se trouve dans la juridiction des tech¬
niques scientifiques. Cependant, le succès de ces techniques
dépend dans une large mesure du matériel sur lequel elles
s’exercent. Chaque enfant est différent des autres. Il naît avec
une hérédité pauvre ou riche. Il peut être chargé de profondes
tares ancestrales, faiblesse d’ esprit, folie, tuberculose,
syphilis, cancer, alcoolisme, ou de défauts plus subtils, tels
que le nervosisme, manque de jugement, apathie, insuf¬
fisances glandulaires, etc. Certes il est possible d’améliorer
aussi ces êtres inférieurs. Mais il faut rejeter le sentimenta¬
lisme aveugle qui a poussé la société moderne à s’occuper
surtout des défectifs, des malades et des criminels. Sauver les
faibles et les tarés, leur donner la possibilité de se reprodui¬
re, c’est produire la dégénérescence de la race. La race ne
peut être améliorée que par le plus grand développement des
forts. Un changement radical dans l’attitude des médecins et
du public est donc indispensable. Si la moitié seulement des
sommes d’argent dépensées aujourd’ hui pour les malades,
les déficients, les fous et les criminels étaient consacrées au
progrès des éléments les meilleurs des nations civilisées, la
société moderne serait sauvée » (16).
On retrouve les mêmes thèmes dans son livre L’Homme, cet
inconnu : « Il faut également se demander si la grande dimi¬
nution de la mortalité pendant V enfance et la jeunesse ne
présente pas quelques inconvénients. En effet, les faibles sont
conservés comme les forts. La sélection naturelle ne joue plus.
Nul ne sait quel sera le futur d’une race ainsi protégée par
les sciences médicales (17) ». Plus loin il ajoute : « Si on
pouvait prolonger la santé jusqu’à la veille de la mort, il ne
serait pas sage de donner à tous une grande longévi¬
té [. . .] Pourquoi augmenter la durée de la vie de gens qui
sont malheureux, égoïstes, stupides, et inutiles ? C’est la qua¬
lité des êtres humains qui importe, et non leur quantité » ( 1 8).
Enfin il faut citer le texte qui se réfère à l’établissement eu¬
thanasique, pourvu de gaz appropriés : « Le conditionnement

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ROLAND PFEFFERKORN

des criminels les moins dangereux par le fouet, ou par


quelque autre moyen plus scientifique, suivi d’un court séjour
à l’hôpital, suffirait probablement à assurer l’ordre. Quant
aux autres, ceux qui ont tué, qui ont volé à main armée, qui
ont dépouillé les pauvres, un établissement euthanasique,
pourvu de gaz appropriés, permettrait d’en disposer de façon
humaine et économique. Le même traitement ne serait-il pas
applicable aux fous qui ont commis des actes criminels ? Il
ne faut pas hésiter à ordonner la société moderne par rap¬
port à l’individu sain » (19). C’est la dernière phrase de ce
passage qui est cité avec enthousiasme par le dirigeant du
Front national, J.-M. Le Pen, dans « Dépolluer les têtes », édi¬
torial du numéro spécial de la revue « théorique » du Front
national, Identité, consacré au thème « Repenser l’écologie »
[sic]. Mais la phrase qui précède, celle qui fait précisément
référence à un « établissement euthanasique pourvu de gaz
appropriés » est discrètement remplacée par trois points de
suspension... La volonté de masquer la référence à ce type
d’établissement est patente et s’apparente ici clairement à
d’autres procédés négationnistes. . .

Dans sa recherche forcenée de la purification, Carrel va jus¬


qu’à justifier au nom de la morale eugénique l’exécution du
moindre opposant politique au motif qu’il aurait par exemple
« gravement trompé la confiance du public ». Ses premiers
lecteurs de 1935 ne s’étaient pas trompés quant à ses inten¬
tions, comme par exemple son ami, directeur du Matin, Bu-
nau-Varilla, qui lui écrit dès la parution de son livre : « J’ap¬
plaudis à votre projet d’ institut euthanasique où V on
éteindrait les vies nocives à la collectivité de même que l’on
éteint celle des chiens enragés » (20). D’ailleurs Carrel n’écri¬
vait-il pas lui-même en préface à l’édition allemande de
L’ Homme, cet inconnu, fin 1936 : « En Allemagne, le
gouvernement a pris des mesures énergiques contre l’aug¬
mentation des minorités, des aliénés, des criminels. La solu¬
tion idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éli¬
miné quand il s’est montré dangereux. .. » (21).
Est-il nécessaire de commenter ?
ALEXIS CARREL ET L’EXTREME DROITE
. . . HIER ET AUJOURD’HUI

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Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

Nous avons souligné à plusieurs reprises la symbiose qui exis¬


te entre l’idéologie eugéniste développée par Carrel et celle
de l’extrême droite. Pourtant la « commission de spécia¬
listes » de l’université Claude-Bernard (Lyon-I), chargée
d’éclairer la décision de garder ou de supprimer le nom de
Carrel du fronton de la faculté de médecine note encore pu¬
diquement en 1992 qu’«on peut reprocher à Carrel d’avoir
été peu sensible aux enjeux du combat qui se menait, non
d’avoir été complice du nazisme » (22) [s/c]. . . Et de conclu¬
re que le nom de Carrel pouvait être maintenu. . .
Ladite commission était en principe particulièrement bien in¬
formée puisqu’elle comptait parmi ses membres un « spécia¬
liste » de Carrel (23). Celui-ci a livré au public, dans les an¬
nexes de sa thèse, un certain nombre de textes accablants pour
Carrel. Mais contre les textes carréliens et à l’encontre du
contexte historique, ce « spécialiste » considère, comme Alain
de Benoist, que l’eugénisme de Carrel est respectable, car
« volontaire » et « positif ». Pour faire avaler cette pilule de
l’eugénisme volontaire et positif notre « spécialiste » esca¬
mote l’appartenance de Carrel à la mouvance de l’extrême
droite des années 1930. Celle-ci apparaît enfin au grand jour,
le 1er octobre 1995, grâce au collectif lyonnais qui est à l’ori¬
gine de la débaptisation de la faculté de médecine (24). Deux
documents, extraits de l’hebdomadaire L’Emancipation na¬
tionale (25) de Jacques Doriot, montrent en effet que Carrel
était « effectivement membre » du PPF (Parti populaire fran¬
çais de Jacques Doriot). L’hebdomadaire de Doriot donnait
les noms des membres des « élites » qui ont adhéré au PPF :
« Le professeur Alexis Carrel, considéré comme un génie
dans les deux hémisphères [sic], l’ami de Lindbergh ; les pro¬
fesseurs Balthazar, doyen de la faculté de médecine, et Four¬
neau. Les hommes de lettres : notre grand Drieu la Rochel¬
le, Alfred Fabre-Luce, Georges Suarez, Ramon Fernandez,
[. . .] Marcel Jouhandeau, [. . .] » (26).
Cette appartenance, quoique déjà signalée dans quelques ou¬
vrages (27), est éludée par le « spécialiste » de Carrel. Le Rap¬
port de la commission de spécialistes indique seulement
(mensongèrement) : « Il semble avoir eu des sympathies pour
le PSF (Parti social français issu des Croix de feu,

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ROLAND PFEFFERKORN

nationaliste et antiparlementaire mais pas fasciste) mais il est


trop indépendant et étranger à la politique pour se lier à un
parti ». Or Carrel fut non seulement séduit pendant quelque
temps par les Croix de feu du colonel La Roque (28), mais les
documents cités plus haut montrent qu’il a bien adhéré en
1938 au PPF de Doriot. Or le PPF a été le principal parti
fasciste français de l’entre-deux-guerres (29). Dans l’atmo¬
sphère de crise des années trente, le parti de Doriot multipliait
les diatribes les plus violentes contre les étrangers (ce qui n’a
pas empêché ses militants de revêtir un peu plus tard l’uni¬
forme nazi !). « La France a de plus en plus tendance à de¬
venir le dépotoir de V Europe. Des centaines de milliers
d’étrangers envahissent nos villes, submergent nos métiers,
supplantent les nôtres, s’installent aux postes de commande.
Les Français se voient condamnés à un chômage sans issue »,
lisait-on dans l’hebdomadaire de Doriot à l’époque où Carrel
en était « effectivement membre » (30).
Mais ce n’est pas tout. Faut-il rappeler qu’Alexis Carrel fut
l’instigateur de la « Fondation », créée par le gouvernement
de Vichy par la loi du 17 novembre 1941 ? Il ne devint ni le
directeur, ni le président, ni le secrétaire général de cette fon¬
dation, mais le « régent ». Tout un symbole que ce « ré¬
gent » ! Grâce à cette « Fondation française pour l’étude des
problèmes humains », il se proposait d’agir « afin de récupé¬
rer nos qualités ancestrales » [s/c]. Son objectif était de
« d’abord localiser les souches de bonne constitution géné¬
tique et ensuite d’ aider à la propagation des meilleures
souches » (31). Le « régent » de la fondation avait carte
blanche, il n’avait de comptes à rendre qu’au chef de l’Etat
(32). En 1942, il participe aux côtés de Charles Maurras, de
Gustave Thibon, de René Benjamin, de Thierry Maulnier et
de quelques autres collaborateurs notoires, à une publication
des « Éditions du Ministère de l’Information » consacrée aux
« Nouveaux Destins de /’ intelligence française ». Il définit,
dans cet ouvrage de propagande, la fonction de sa Fondation :
« Offrir aux différents ministres et au chef du gouvernement
des solutions pour les problèmes essentiels concernant la vie
individuelle et collective de la nation ». Et il conclut par ces
mots : « La France affirme non seulement sa volonté de res¬
susciter, mais aussi de développer de façon optimum les

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Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

qualités héréditaires qui sont encore intactes, quoique as¬


soupies, dans sa population » (souligné dans le texte origi¬
nal).
Carrel meurt le 5 novembre 1944 par suite d’une attaque car¬
diaque. Ainsi échappe-t-il aux poursuites lors de la Libéra¬
tion. Cependant une « importante organisation de la Résis¬
tance » et par la suite « les services spéciaux du gouvernement
provisoire » ont récupéré le rapport établi par les renseigne¬
ments généraux qui s’intéressaient au personnage depuis la
fin de 1941 (33). On y apprend notamment que Carrel a quit¬
té les États-Unis de Franklin Roosevelt et la direction de l’Ins¬
titut Rockfeller en 1939 pour s’installer dans l’Espagne de
Franco, où Pétain était ambassadeur de France. Par la suite il
a accompagné Lindbergh pour acheter une île en Bretagne
(l’île d’Illiec, contiguë à Saint-Gildas où il sera enterré) (34).
Après la défaite de la France il vient s’installer à Paris. Il
prend immédiatement contact avec Otto Abetz, l’ambassa¬
deur d’Hitler. En mai, l’amiral Darlan, dauphin de Pétain, lui
promet le soutien financier de l’État et en novembre il est
nommé à la tête de sa Fondation, dotée d’une somme consi¬
dérable (35). Durant cette période, la presse et la radio colla¬
boratrices reparlent de son best-seller. Plus tard, le 13 no¬
vembre 1943, Heinrich Goering, directeur de l’Institut de
recherches psychologiques et psychothérapiques de Berlin,
rencontra longuement Carrel à Paris, en vue d’une collabora¬
tion entre les deux institutions.
Avant d’être un médecin, Alexis Carrel est donc bien un idéo¬
logue et un « technocrate », préoccupé par la « reconstruction
de l’homme par la science », ou « la construction de l’hom¬
me civilisé » (pour reprendre le titre d’un de ses opuscules de
1937), dans une perspective antidémocratique, élitiste et aris¬
tocratique, totalement en phase avec la droite et l’extrême
droite maurassienne de son époque, ce que confirme notam¬
ment l’accueil fait à son « best-seller mondial ». Rares sont
les journaux de gauche à faire un accueil enthousiaste au livre.
Par contre la presse de droite (et d’extrême droite) salue de
manière quasi unanime le « livre magnifique » qui témoigne
de la « décadence [...] du régime démocratique et parle¬
mentaire » (Gringoire, 8 mars 1935). Elle applaudit la
condamnation de l’égalité démocratique (Léon Daudet, Can-

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ROLAND PFEFFERKORN

dide, 27 novembre 1937), cette « égalité absurde des démo¬


crates » (Le Petit Parisien). Son idéologie antiégalitaire rap¬
proche donc Carrel de Maurras. Mais son eugénisme est plus
hitlérien que républicain, comme en témoigne sa préface à
l’édition allemande. Rien d’étonnant par conséquent qu’il soit
revenu en France participer à la révolution nationale et à la
collaboration. C’est pourquoi on peut parfaitement suivre
Jean-Michel Barreau, qui souligne que « Carrel prépare le
terrain » et «forge des idées pour son temps »(36).
En revanche, la thèse de Drouard, qui prétend que Carrel se¬
rait en quelque sorte une victime des idées de son époque ne
convainc absolument pas (37). A propos de l’eugénisme de
Carrel, son appréciation surprend, voire scandalise. En effet
comment un historien professionnel peut-il écrire : « L’eugé¬
nisme de Carrel a subi les effets fâcheux de ce qu’on peut ap¬
peler une surdétermination historique : publié en septembre
1935, c’ est-à-dire en même temps que les secondes lois de
Nuremberg destinées à préserver l’intégrité et la pureté de la
race “aryenne” , L’Homme, cet inconnu est ainsi associé au
nazisme (38). » Les commentaires de Pierre-André Taguieff,
qui par ailleurs n’hésite pas à faire l’éloge d’Alain de Benoist
et à stigmatiser les antiracistes, sont tout aussi surprenants.
Comment peut-il parler d’une « affaire fabriquée de toutes
pièces au moment où l’on fait entrer Carrel dans le champ
des études objectives » ou d’une « étonnante régression du
débat » (39) face à des citoyens qui exigent que les voies ou
les institutions portant le nom de Carrel soient débaptisées.
De telles remarques démontrent pour le moins un aveugle¬
ment tant vis-à-vis de l’eugénisme que du pétainisme.
Concluons provisoirement. Contrairement à ce que soute¬
naient certains, Carrel a bien été « sensible aux enjeux du
combat qui se menait ». Il y participait d’ailleurs activement,
mais du côté des adversaires de la démocratie et de l’égalité.
Son camp politique n’était pas celui de la Résistance. Il avait
choisi celui de l’ordre et de l’autorité, celui d’une certaine éli¬
te, de « l’ aristocratie biologique », bref le camp de la droite
conservatrice, celle qui, au Front populaire, préféra la colla¬
boration avec Hitler. Faut-il rappeler que le régime de Vichy
a mis en œuvre une politique raciale, avec le concours actif
des Bousquet, Papon et consorts ? Ce régime a contribué à

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Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

l’extermination des Juifs et des Tsiganes. Il a laissé mourir de


faim des dizaines de milliers de malades mentaux (40). Or
Alexis Carrel a été à la fois un des inspirateurs et un supplé¬
tif zélé de ce régime qui a accompagné rhitlérisme dans l’hor¬
reur (41).

La transmutation de l’eugénisme
EN « HUMANISME », VOIRE EN « ÉCOLOGIE »

L’IMPOSTURE D’UN CARREL « HUMANISTE »...

L’image d’un Carrel « humaniste » est colportée depuis la pa¬


rution de son livre en 1935. Les milieux d’extrême droite ne
se retrouvent pas isolés dans cette entreprise. Des scienti¬
fiques y participent, y compris des personnalités a priori éloi¬
gnées de ce courant politique. Ainsi Jean Rostand, par
exemple, ne tarit pas d’éloges à propos de L’Homme, cet in¬
connu. Plus récemment, en 1992, le doyen de l’ex-faculté de
médecine Alexis-Carrel de Lyon, opposé au changement de
nom, affirme dans Le Monde, que Carrel est « un grand hu¬
maniste ».
Mais, surtout, on trouve dans cette entreprise les milieux ca¬
tholiques, bien au-delà de leur frange intégriste, même si cet¬
te dernière contribue activement à la notoriété de Carrel. Ain¬
si Mgr Etchegaray n’hésite pas à écrire que « l’Homme, cet
inconnu est un des rares ouvrages qui ont marqué [son] temps
d’ études philosophiques ». Le pape Paul VI considère
qu’ Alexis Carrel a su « léguer à ses contemporains de si pro¬
fondes réflexions sur la destinée de l’homme et sur la priè¬
re ». Jean-Jacques Antier, auteur de trois biographies édi¬
fiantes (42), présente Carrel comme « un de ces personnages
de cette cohorte des héros, des savants et des saints ». Mais
son message est clair quand il déclare que Carrel est « l’hom¬
me qui a osé vilipender la carence morale des élites et de
l’Occident » et que ses « détracteurs » sont des « athées doc¬
trinaires », des « jouisseurs etfornicateurs confondus » et des
« bien-pensants, la plupart des marxistes ». Pour Carlo Fac-
chin, prêtre-philosophe de l’université pontificale de Turin et
auteur d’une thèse sur Carrel et l’éducation (43), le médecin

PRINTEMPS-ÉTÉ 19% - CHIMERES


ROLAND PFEFFERKORN

lyonnais est tellement exceptionnel qu’il devrait être béatifié.


Alexis Carrel est à ses yeux un grand philosophe dans la li¬
gnée de Thomas d’Aquin ! Alain Drouard n’est pas en reste
en ce qui concerne les comparaisons emphatiques. L’entre¬
prise de réhabilitation de Carrel menée par l’historien abou¬
tit notamment à une véritable célébration sur France-Culture.
Pierre-André Taguieff, Alain Girard et Roger-Henri Guerrand
y participent activement (44). Le « projet biocratique » de
Carrel y est présenté comme « une grande aventure ». Car¬
rel, « logicien optimiste », « savant mystique », « ascète mon¬
dain », est présenté cette fois comme un « disciple de Des¬
cartes et Condorcet ». En outre, alors que l’abbé Pierre était
encore considéré quasi unanimement comme une figure émi¬
nemment sympathique venant au secours des faibles, ils n’hé¬
sitent pas à le comparer à ce dernier. Cette comparaison prend
cependant un sel particulier depuis le soutien public de l’abbé
à Roger Garaudy devenu négationniste après sa dernière
conversion.
Cette imposture d’un Carrel génial, non seulement médecin
et biologiste nobélisé (45), mais aussi humaniste, moraliste,
philosophe, voire sociologue (!) ou démographe (!) est abon¬
damment reprise dans les dictionnaires et les encyclopédies.
En voici un échantillon, certes incomplet, mais déjà signifi¬
catif. Pour le Dictionnaire des œuvres (46), qui ne consacre
pas moins de soixante-dix-neuf lignes à Carrel, L’Homme, cet
inconnu « s’adresse à tous ceux qui souhaitent échapper à
l’esclavage des dogmes de la civilisation moderne et parve¬
nir à une nouvelle conception du progrès humain ». Le ré¬
dacteur de l’article ne parle pas des thèses eugénistes déve¬
loppées dans le livre, bien qu’il semble les connaître puisqu’il
signale incidemment qu’«il faut bien supposer que le confort
moderne et le genre de vie adopté par les habitants de la cité
moderne violent certaines lois naturelles ». En conclusion le
fatras eugéniste de Carrel se transforme en une « œuvre ré¬
solument vulgarisatrice à laquelle l’ardente passion scienti¬
fique donne une chaleur convaincante ». Dans Le Grand La¬
rousse (47), il est « V auteur d’ouvrages philosophiques,
l’Homme, cet inconnu entre autres, livre dans lequel il
montre V interdépendance des phénomènes physiques et de la
vie psychique » ; mais pas un mot sur les thèses eugénistes

CHIMERES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

défendues par Carrel ! Dans Le Petit Robert 2 (48), l’auteur


de la notice a le sens de l’humour puisque Carrel y devient
« l’auteur d’un ouvrage spiritualiste célèbre : L’Homme, cet
inconnu ». C’est vraiment très fort pour présenter un livre qui
fait dans le réductionnisme biologique le plus vulgaire ! Dans
Y Encyclopédie Britannica (49), Carrel se transforme en « so¬
ciologist ». Sa Fondation est présentée de manière elliptique
comme étant le lieu où « sous sa direction tous les problèmes
humains étaient étudiés scientifiquement dans la perspective
d’atteindre des conclusions synthétiques en vue d’applica¬
tions pratiques » (50). Le lecteur n’en saura pas plus.

L’IMPOSTURE D’UN CARREL


« FONDATEUR DE L’ÉCOLOGIE »

Dernière imposture en date : Carrel, le vulgarisateur de l’eu¬


génisme est présenté depuis quelques années par l’extrême
droite comme le «fondateur de l’écologie » ! Lorsque le
Front national décide d’investir le terrain de l’écologie, c’est
en effet chez Carrel qu’il cherche ses références. L’eugénis¬
me, et d’une façon générale l’affirmation de thèses nationa¬
listes, racistes et xénophobes, aux forts relents biologistes ou
génétiques, n’a pas bonne presse et est même susceptible de
poursuites devant les tribunaux. L’écologie, elle, connaît un
certain succès, à la fois idéologique et électoral. Le Front Na¬
tional, dans les années 1988-1992, va donner au mot écolo¬
gie un sens nouveau, comparable à celui de l’eugénisme car-
rélien.
Dès 1989, Mégret propose une définition frontiste de l’éco¬
logie dans National-Hebdo (5 avril 1989) : « Qu est-ce-que
l’écologie ? C’est le souci de préserver le milieu nécessaire
à la survie et à V épanouissement des espèces vivantes. Au
Front national, nous disons que la survie et l’ épanouissement
du peuple français exigent que le milieu qui est le sien reste
français , faute de quoi notre peuple dépérira comme ces es¬
pèces dont on change par trop V environnement. » Nous re¬
trouvons ici la stratégie frontiste, qui consiste à tenter de per¬
vertir le sens des mots afin de faire passer, en fraude, son
idéologie mortifère. En 1989 toujours, Jacques Bompart, alors
obscur responsable à l’agriculture au sein du FN, mais depuis

PRINTEMPS-ÉTÉ 1996 - CHIMERES 123


ROLAND PFEFFERKORN

1995 élu maire d’Orange, se préoccupe « d’assurer un re¬


nouvellement harmonieux et eugénique des générations »
dans un livre consacré à l’agriculture et à l’écologie (51). Se¬
lon lui « les mondialistes [sont notamment visés ici les
membres du parti des Verts] imposent la mort intellectuelle
et physique de l’Occident. [...] Une écologie véritable doit
intégrer la défense et la protection culturelle, linguistique et
ethnique. Or cette fin du XXe siècle fait systématiquement le
contraire ». Il cite longuement Alexis Carrel (L’Homme , cet
inconnu) en insistant sur la phrase suivante de ce dernier :
« La vie moderne nous a apporté V extinction des meilleurs
éléments de la race ». En août 1989, le magazine d’extrême
droite Le Choc du mois publie un article intitulé « Alexis Car¬
rel ou l’écologie appliquée au politique », quelques mois
avant la nouvelle publication, sans le moindre appareil cri¬
tique, en collection de poche, de « L’Homme, cet inconnu ».
Ce même été, Le Pen déclare à Présent (18 août 1989) :
« L’identité écologique est un des fondements de notre iden¬
tité nationale. »
Dès 1986, pour séduire les défenseurs des animaux, le FN
avait créé le Cercle national pour la défense de la vie, de la
nature et de l’animal. C’est une des nombreuses structures
spécialisées du Front national qui, au départ, est fictive et
vide. Au congrès de 1990, Alika Lindbergh, présidente du
Cercle, intègre la nouvelle définition de l’écologie proposée
par Mégret et reprend à sa manière les thèses « écologistes »
du parti d’extrême droite : « C’ est une évidence : ceux qui
veulent conserver leur patrimoine sont atteints dans leur
chair par la destruction des beautés et des ressources de leur
pays, comme ils sont indignés par les pollutions morales qui
désagrègent leur peuple. » Un an plus tard, au colloque du
Front national sur l’écologie, novembre 1991 à Saint-Ra¬
phaël, les animaux occupent une place de référence dans le
discours du FN. On défend « le droit du veau à être caressé
par sa mère », Le Pen affirme embrasser « tous les jours son
rat blanc sur la bouche ». Et les frontistes craignent que les
Français ne deviennent « les mammouths et les pandas de
l’espèce humaine ». Tout ce cirque pourrait prêter à rire s’il
n’avait une certaine efficacité. Car, comme le souligne à jus¬
te titre la revue Silence (52), il est destiné à occuper un mar-

124 CHIMERES - PRINTEMPS ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

ché porteur : celui de la sensibilité au monde des animaux.


Prise dans la nasse raciste, Brigitte Bardot, ne vient-elle pas
de reprendre, début 1996, le discours lepéniste en stigmati¬
sant l’invasion de la France par les Arabes tout en continuant
à défendre les bébés phoques ou les canards sauvages ? Avant
elle, Jean-Jacques Barloy, de la revue Animaux-Magazine
(mensuel de la SPA), Bruno Laure, président de la Ligue
antivivisectionniste de France, et Jean Peuloux, de la Ligue
internationale pour la protection des chevaux, avaient déjà ap¬
porté leur soutien au cercle lepéniste. Et de manière analogue,
en mars 1992, des candidats lepénistes se sont présentés aux
élections en faisant état de leur appartenance au Fonds mon¬
dial pour la nature, WWF-Section française ou encore à la
SPA.
Autre créneau de l’extrême droite : les adeptes de l’agricul¬
ture biologique et des produits « bio ». Déjà dans l’entre-
deux-guerres, certaines convergences étaient apparues entre
l’extrême droite et les adeptes des méthodes naturelles. Ain¬
si un courant « écolo-nazi » existait-il dans l’Allemagne des
années trente. De même en France, et plus particulièrement
sous Vichy, il apparaissait une convergence entre certains
courants paysans réactionnaires et la Révolution nationale.
Après guerre, une des composantes du poujadisme était le
« Rassemblement paysan », dirigé par Raoul Lemaire, in¬
venteur de la méthode de culture biologique qui porte son
nom. Jacques Bompart, « spécialiste en agriculture » du FN,
organisa une « Convention de l’agriculture biologique » en
1990 à Avignon. Parmi les participants : la présidente de
l’Institut pour la recherche et l’application en agriculture bio¬
logique et le maraîcher « bio » de Seine-et-Mame, Gilbert Be-
querelle, fondateur en 1990 du Cercle national des agricul¬
teurs de France. On retrouve aussi des militants lepénistes au
sein de l’organisation du Paysan biologiste qui promeut une
« vraie agriculture biologique catholique et soucieuse de res¬
pecter le plan divin ».
Cette agitation frontiste parmi les défenseurs des animaux et
les adeptes des produits « bio » pourrait paraître anodine si
elle n’était simultanément le paravent d’une grande opération
idéologique et le moyen de conquérir un nouveau public. Lors
de l’université d’été du Front fational de la Jeunesse de 1990,

PRINTEMPS-ÉTÉ 1996 - CHIMERES 125


ROLAND PFEFFERKORN

Pierre Vial, universitaire d’extrême droite lyonnais, anime un


atelier consacré au thème « écologie et cosmopolitisme ». Ce
dirigeant d’une des tendances les plus dures du Front natio¬
nal développe une conception très particulière du rapport
entre l’écologie et le cosmopolitisme. Il n’hésite pas (dans
l’éditorial de sa Lettre de Terre et Peuple (53), octobre 1995),
à déclarer « la guerre ethnique totale » aux « jeunes d’origi¬
ne maghrébine ». On observe le même phénomène avec Yvan
Blot, qui place le combat écologiste dans le respect de l’hom¬
me « tel qu’il est avec ses racines nationales voulues par la
nature, par l’histoire et par Dieu » (54). Blot s’est expliqué,
il y a longtemps déjà, sous le pseudonyme de Michel Norey,
sur ses conceptions nationalistes : il condamne « l’utopie éga¬
litaire, V antiracisme égalitaire, l’hybridation » sous couvert
de « réalisme biologique » et il agite l’épouvantail de la dé¬
générescence génétique au travers notamment de la « ca-
féaulaitisation » des peuples d’Europe qui « donne naissan¬
ce à une sous-humanité, uniformisée, standardisée et
végétative ». Et c’est avec une violence inouïe, qu’il lance :
« Il faut des esclaves pour que surgisse une nouvelle
aristocratie » (55).
A lire la presse d’extrême droite, désormais \’«écologie se¬
rait au cœur des préoccupations du nationalisme ». En fait,
il s’agit plutôt ici d’un nouveau déguisement pour tenter de
mieux faire passer une idéologie raciste et fasciste. C’est de
ce point de vue que Carrel, présenté pendant des décennies
comme un « grand humaniste », représente une ressource in¬
espérée pour le Front national. Comment l’extrême droite
pourrait-elle ne pas se reconnaître en effet dans un Carrel qui
écrit en février 1943 : « La présence de groupes étrangers in¬
désirables du point de vue biologique est un danger certain
pour la population française (56) ». Le Pen est donc parfai¬
tement en phase avec Carrel quand il assène : « Aujourd’hui
les cavaliers de /’ Apocalypse s’appellent l’ immigration-in¬
vasion, l’assassinat de la nature et de la vie, la ruine écono¬
mique et sociale, la perte de la sécurité et la mort des liber¬
tés publiques » (57) ; ou quand il déclare : « Seul le peuple est
capable, par une espèce d’intuition biologique, de ressentir
la menace mortelle qui pèse sur notre avenir » (58). Quand
Le Pen s’efforce de théoriser sa conception de l’écologie, cela

126 CHIMERES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

donne par exemple : « Un monde écologiquement pur n’est


pas seulement débarrassé de la toxicité de l’ agression
chimique, mais aussi de l’irradiation des idées mortelles pour
la société. [. . .] Cet échec des écolo-gauchistes, un homme de
droite, prix Nobel de médecine, en avait eu la prémonition :
“Ce sont surtout la faiblesse intellectuelle et morale des diri¬
geants et leur ignorance qui mettent en danger notre civilisa¬
tion [...]. Ils édifient une civilisation qui, destinée par eux à
l’homme, ne convient en réalité qu’à des images incomplètes,
monstrueuses de l’homme [...] (59). Il ne faut pas hésiter à
ordonner la société moderne par rapport à l’individu sain.” Il
s’ appelait Alexis Carrel. Comment s’ étonner que les
idéologues de l’écologie ne le citent jamais » (60).
Après avoir présenté Maurice Barrés comme « le poète, le pa¬
triote écologiste » (61), Bruno Mégret (dans un article du quo¬
tidien d’extrême droite Présent (62)). intronise Carrel com¬
me le maître, le « fondateur de l’écologie ».
Cette imposture est reprise par la presse d’extrême droite et
par l’association des Amis du Dr Carrel. National Hebdo écri¬
ra en mars 1992 que « l’ensemble de notre doctrine peut être
présentée scientifiquement à travers les lois de l’écologie ».
Ces pseudo-lois de l’écologie ne sont rien d’autre pour l’ex¬
trême droite qu’une tenue de camouflage pour leur thèses an¬
tidémocratiques, sexistes, racistes et fascistes. Cela leur per¬
met en outre de brouiller le discours écologiste, d’autant que
les maladresses ou les dérives ne manquent pas. Qu’on pen¬
se à Antoine Waechter ou Alain Lipietz, alors tous deux diri¬
geants des Verts, qui acceptent de collaborer à Krisis, la re¬
vue de l’idéologue de la « nouvelle droite », Alain de Benoist.
Qu’on pense à la ligne politique défendue par les waechte-
riens : « ni gauche ni droite », traduite par Le Pen en « ni
gauche ni droite, Français ». Cette faute politique de l’an¬
cienne majorité des Verts est tout aussi lourde que le triste¬
ment célèbre « produisons français » du PCF des années
1970-1980. Mais il y a plus affligeant encore. Qu’on pense à
la dérive antisémite de ce militant écologiste lyonnais, Jean
Brière, qui fut pourtant un des premiers à exiger que la faculté
Alexis-Carrel soit débaptisée. Il y a quelques années, Jean
Brière, exclu des Verts et condamné par la justice pour un tex¬
te antisémite, est allé jusqu’à collaborer régulièrement, en

PRINTEMPS-ÉTÉ 1996 - CHIMERES 127


ROLAND PFEFFERKORN

compagnie de Pierre Guillaume de la « Vieille Taupe », No-


tin et Garaudy (déjà !), à la revue néo-nazie Nationalisme et
République. Devenu entre-temps le dirigeant lyonnais du
groupuscule waechtérien (63), il fait son mea culpa dans sa
Lettre des écologistes du Rhône (64), non pas pour ses
collaborations fascistes, mais pour avoir demandé le
changement de nom de la faculté de médecine de Lyon !
Concluons. Le discours pseudo-écologiste développé par les
idéologues de l’extrême droite, en particulier leur référence à
Alexis Carrel, comme «fondateur de l’écologie », et à de
prétendues « lois de l’écologie », est une tenue de camoufla¬
ge. C’est une tentative de plus, destinée à faire passer une
pseudo-explication — naturaliste, biologique, élitiste, sexis¬
te et raciste — du monde social, qui privilégie l’ordre et la
hiérarchie, le sang et la terre, les inégalités et la mort.

Le psychiatre résistant Lucien Bonnafé et l’écrivain Bertrand


Poirot-Delpech ont de solides raisons pour qualifier le livre
de Carrel de « paquet d’ élucubrations » (65) ou de « tissus de
dingueries criminelles » qui « vaut son pesant de lugubre
bouffonnerie » (66). Les textes de Carrel peuvent en effet prê¬
ter à rire tellement ils sont grotesques. Cependant dans une
période trouble comme la nôtre, où les idées mortifères d’un
Carrel sont portées par un parti qui rassemble un électorat
dont l’influence continue à s’accroître, le rire ne suffit ma-
heureusement pas, il faut aussi résister et agir. C’est pourquoi
il est important de faire connaître les thèses criminelles de
Carrel et de ses adeptes, afin de pouvoir les combattre. Alexis
Carrel était un vulgarisateur de l’eugénisme élitiste, de sur¬
croît admirateur de Mussolini, et un partisan, dès 1935, des
mesures nazies de stérilisation et de castration humaines.
C’est pourquoi la disparition de son nom du fronton de la fa¬
culté de médecine de Lyon est une étape importante pour tous
les démocrates authentiques. Et, afin de parachever la délégi¬
timation de cet idéologue de l’eugénisme, il serait salutaire
que les noms des rues, et des quelques établissements publics
d’enseignement, qui subsistent dans quelques dizaines de
communes, disparaissent aussi du paysage (67).

128 CHIMERES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

BIBLIOGRAPHIE

1. Agir ensemble pour les droits de l’Homme, Cercle Marc Bloch,


Ras V Front, SOS-Racisme et la revue catholique progressiste Go-
lias.
Ces associations ont publié les actes de la conférence qu’elles ont
organisée le 10 mai 1995 : Collectif, Alexis Carrel, cet inconnu.
Quand la science prétend justifier le racisme, éditions Golias, Vil¬
leurbanne, 1996, 65 F (écrire aux éditions Golias, BP 3045, 69605
Villeurbanne Cedex).
2. Nature, n° 378, 9 novembre 1995, p. 122.
3. Alain Drouard, Une inconnue des sciences sociales : la Fondation
Alexis Carrel, INED-éditions de la MSH, Paris, 1989, p. 295. Ce
livre présente un certain nombre de textes de Carrel. Mais son au¬
teur tente de rendre les thèses eugénistes de Carrel acceptables.
L’eugénisme de ce dernier est présenté comme étant « positif » et
« volontaire » et son « best-seller mondial » comme un « livre fon¬
dateur » ! Pour un compte rendu critique de ce livre, voir Patrick
Tort, in L’Homme, n° 131, juillet-septembre 1993, pp. 163-164. Voir
aussi les articles consacrés à Carrel, Galton, Pearson, eugénisme,
etc., dans le monumental
Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, sous la direction de
Patrick Tort, PUF, 3 volumes, 1996, 4 862 pages.
4. Robert Soupeault, Alexis Carrel, éditions Les sept couleurs, Pa¬
ris, 1972, p. 97.
5. Alexis Carrel, Jour après jour, 1893-1944, Plon, Paris, 1956,
p. 142.
6. Cf. le livre du fondateur du GRECE (groupe de recherche et
d’études de la civilisation européenne) : Alain de Benoist, Vu de
droite, Copernic, Paris, 1978.
7. Parmi les livres des partisans de Carrel, on peut signaler, outre
les livres de Drouard, Soupeault, de Benoist, Antier, Facchin (voir
les notes 3,4,6, 44 et 45 ), le volume dirigé par un autre membre di¬
rigeant du GRECE : Yves Christen, Alexis Carrel, l’ouverture de
l’homme, éditions du Félin, 1986.
8. Contrairement à ce que laisse entendre A. Drouard, op. cit.,
p. XIV et 75. a Cf. par exemple Jacqueline Roca, De la ségrégation
à l’intégration. L’éducation des enfants inadaptés de 1909 à 1975,
éditions le CTNEHRI, 1992, p. 61.
9. Cf. Lucien Bonnafé et Patrick Tort, L’Homme cet inconnu ?
Alexis Carrel, Jean-Marie Le Pen et les chambres à gaz, Syllepse,
Paris, 1992 ; et Jean-Michel Barreau, Alexis Carrel ou le handicap
accusé (à paraître).

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ROLAND PFEFFERKORN

10. Carrel ébauche le 4 décembre 1942 un programme dans le cadre


de sa « Fondation» : «... Développer harmonieusement dans chaque
individu toutes ses potentialités héréditaires ; supprimer les classes
sociales et les remplacer par des classes biologiques, la biocratie au
lieu de la démocratie » (Alexis Carrel, Le Voyage de Lourdes suivi
de Fragments de Journal et de méditations, Plon, Paris, 1949, p. 37).
11. Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’étemel féminin, Paris, Seuil,
1996, notamment pp. 289-356.
12. Ibid.
13. Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu, Paris, 1943, p. 365.
14. Cf. pour des développements plus approfondis sur l’eugénisme
et ses fondements (notamment chez Herder et Gobineau ) : Jean-Paul
Thomas, Les Fondements de l’eugénisme, PUF, Paris, 1995.
15. Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu, op. cit.,/?. 367. Quand de
Benoist entreprend de diffuser les thèses des inspirateurs de l’ex¬
trême droite, il n’oublie pas Alexis Carrel et reprend à son compte
l’objectif de « l’établissement par eugénisme d’une aristocratie bio¬
logique héréditaire ». De Benoist reste cependant sur sa faim parce
que « le programme (de Carrel) ne sera jamais appliqué, car
l’époque est aux passions. Carrel est pris dans les remous de la Li¬
bération » [sic]. Cf. Vu de droite, Copernic, Paris, 1978.
16. cité par Alain Drouard, op. cit. p. 301.
17. Alexis Carrel, L’Homme, cet inconnu, op. cit. p. 22.
18. Ibid.,/?. 214.
19. Ibid., p. 389. Cf. Lucien Bonnafé et Patrick Tort, op. cit..
20. Cité par Alain Drouard, op. cit.
21. Cité par Patrick Tort, compte rendu de A. Drouard, op. cit., in
L’Homme, n° 131, juillet-septembre 1993, pp. 163-164.
22. Rapport de la commission de spécialistes de l’université Clau¬
de-Bernard Lyon-1, 1992.
13. Il s’agit d’Alain Drouard.
24. Voir note 1.
25. L’Émancipation nationale, n° 81, 14 janvier 1938 et n° 84,
4 mars 1938.
26. L’Émancipation nationale, n° 84, 4 mars 1938. L’ami de Carrel,
l’aviateur américain, a été /’ un des principaux agents du lobby pro¬
nazi aux Etats-Unis : il plaide notamment en 1940 « pour que
l’Amérique s’efforce à une sincère collaboration avec l’Allemagne
pour la paix et pour préserver la culture occidentale». Dès 1938 les
deux amis dénoncent ensemble « la propa¬
gande bolchévique et juive ». Enfin, le 19 octobre 1938 Lindbergh
a été décoré de la croix de l’Aigle allemand avec étoile qui est at¬
tribué aux étrangers ayant « bien mérité du III e Reich ». Ajoutons,

CHIMERES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

pour l’anecdote, que sa belle-fille, Alika Lindbergh dirige, comme


nous le verrons plus loin, une des structures « écologiques » du
Front national.
27. Par exemple Gérard Brun, Techniciens et technocrates en Fran¬
ce, Thèse d’État, Paris-II, 1977, p. 463.
28. D’après l’historien américain Robert Soucy, les Croix de feu et
le PSF ont toutes les caractéristiques du fascisme : antidémocra¬
tiques, paramilitaires, obsédés par la « décadence » et bien plus an¬
tisémites qu’on ne le dit en général. Voir le dossier accablant Fren¬
ch Fascism, The Second Wave, 1933-1939, Yale University Press,
1995. Voir aussi du même auteur, Le Fascisme français, la premiè¬
re vague, 1924-1933, PUF, Paris, 1989.
29. Cf. Pierre Milza, Le Fascisme, MA éditions, Paris, 1986, no¬
tamment pp. 190-192 ou Jean-Paul Brunet, Jacques Doriot, Balland,
Paris, 1986, notamment pp. 10 et 469.
30. L’Émancipation nationale, n° 125, 18 novembre 1938.
31. Le Soir, <-<- Un rapport de l’Institut Carrel sur le déclin de la race
française », 3 novembre 1943, cité par Jean-Michel Barreau, Alexis
Carrel ou le handicap accusé (à paraître ).
32. D’après France d’abord, le journal de la Résistance, n° 1062, fé¬
vrier 1996, p. 4. Le premier rapport oral à Pétain date du 26 juin
1942. Il semblerait en outre que ce rapport ait été suivi de mesures,
apparemment anodines : création de services médicaux dans les
usines (loi du 29 juillet 1942 rédigée notamment par deux collabo¬
rateurs de Carrel). Cependant des doutes existent quant aux fonc¬
tions de ces services dans la mesure où leur direction fut confiée à
des médecins du Mouvement socialiste révolutionnaire (ouvertement
fasciste) d’Eugène Deloncle.
33. Les informations contenues dans ce rapport avaient été rendues
publiques dans trois numéros de France d’abord, le journal de la Ré¬
sistance, publiés en novembre 1950. Elles sont reprises dans le n°
1062, février 1996. D’après C. Fournier-Bocquet, auteur de l’ar¬
ticle de février 1996 : « La source est sûre. Comme disaient les ser¬
vices en question : valeur Al» (lettre à l’auteur du présent article
du 28 mars 1996). Il serait intéressant de pouvoir examiner une co¬
pie de ce rapport afin d’en vérifier les informations et hypothèses.
34. L’achat d’Illiec était justifié en principe pour se livrer à des ex¬
périences biologiques (?), mais d’autres hypothèse existent (es¬
pionnage au service des Allemands ? ). Ces deux îles ont été vendues
récemment, la première aux champagnes Heidsieck (François d’Au-
lan, PDG des champagnes Piper -Heidsieck faisait partie du comité
de soutien à Jean-Marie Le Pen pour les élections présidentielles de
1988), la seconde à un industriel belge M. Beerghman de Bothoa.

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ROLAND PFEFFERKORN

35. 40 millions de francs (alors que le laboratoire de physiologie de


la Sorbonne fonctionnait alors avec 700000 francs).
36. Jean-Michel Barreau, op. cit.
37. Cf. A. Drouard, op. cit., p. 97.
38. A. Drouard in Autrement, avril 1993.
39. P. -A. Taguiejf, in L’Histoire, n° 178, 1994
40. Cf. le colloque de l’APREPA et de V AFPP consacré les 14 et
15 mars 1996 à Brumath à la « situation des malades mentaux entre
1939-1945 » (actes à paraître).
41 . Les extraits de la correspondance de Carrel avec son beau-frè¬
re Attale Guigou, pourtant publiés par Drouard dans sa thèse, ag¬
gravent son cas. En voici un échantillon (qui ne comprend pas les
passages racistes ou antisémites) : « Ce qui est stupéfiant, c’est la
folie des gens qui croient qu’il faut sauver la Tchécoslovaquie »
(17.09.1938) ; « On en arrive à souhaiter la domination de l’Europe
par les Allemands » (18.10.1938) ; « Seuls les Allemands étaient ca¬
pables d’imposer l’ordre à l’Europe et en particulier à la France »
(14.09.1943) ; « C’est vraiment la civilisation d’Occident qui
s’écroule » (25.05.1944) ; « Nous entrons dans la période la plus tra¬
gique de la guerre » (15.08.1944). On a peine à croire que l’historien
qui publie ce type de textes en arrive aux conclusions qui sont les
siennes !
42. Publiées aux éditions Wesmael-Charlier, SOS et du Rocher. Les
citations qui suivent proviennent de la dernière version : Alexis Car¬
rel, la tentation de l’absolu (préface de l’association des Amis du Dr
Carrel !).
43. Thèse publiée sous le titre Alexis Carrel, entre sciences et Évan¬
gile, l'avenir de l'homme, Il segno éditrice, 1991, traduction fran¬
çaise 1993 (avec le concours de l'association des Amis du Dr Alexis
Carrel » !). Pour une présentation des conceptions éducatives de
Carrel lire Jean-Michel Barreau, « Alexis Carrel et l'éducation.
Science, autorité, ordre », Histoire et Anthropologie, n° 7, avril-juin
1994, pp. 94-98. Cf. enfin pour une présentation critique de la litté¬
rature édifiante consacrée à Carrel : Jean-Pierre Cambier, « Am¬
bigu Carrel ? » in Collectif, Alexis Carrel, cet inconnu. Quand la
science prétend justifier le racisme, op. cit., pp. 65-82.
44. « Les lundis de l'histoire », le 29 mars 1993.
45. Cette imposture est d'autant plus grotesque que Carrel est cité
parmi les cas célèbres de fraude scientifique. Cf. l'article de Bruno
Escoubès dans Alliage, n° 10, hiver 1991.
46. Laffont B ompiani, S.E.D.E., Paris, 1952.
47. T. 11, Paris, 1960, p. 655.
48. Le Petit Robert 2, Dictionnaire universel des noms propres, Pa-

CHIMERES - PRINTEMPS-ÉTÉ 1996


Fantasmes eugénistes d’hier et d’aujourd’hui

ris, 1986, p. 340.


49. London, 1962.
50. « Under his management all human problems were studied
scientifically with a view to reaching synthetic conclusions of
practical application. »
51. Jacques Bompart, Main basse sur l’agriculture et l’écologie, Cer-
ce, 1989.
52. Silence, octobre 1992, p. 5. Une partie des informations
rapportées ici proviennent de ce numéro.
53. Vial est président de Terre et Peuple, association lepéniste à la
tonalité clairement vôlkisch.
54. Présent, 10 mars 1990. Blot est un des dirigeants du Club de
l’Horloge, ancien responsable du RPR, un des leaders du FN,
membre de Terre et Peuple, conseiller régional d’Alsace et
conseiller municipal de Strasbourg.
55. Cf. Article 31, n° 19, mai 1986, p. 17.
56. Cité dans le dossier de Silence, op. cit., p. 5.
57. Présent, 3 mai 1990.
58. Sud-Ouest, 22 mars 1996.
59. Ces points de suspension dissimulent la phrase de Carrel relative
aux chambres à gaz mentionnée plus haut.
60. Identité, mai-juin 1990.
61. Identité, op. cit. Ce choix de Barrés n’est pas anodin puisqu’il
est la matrice principale de l’extrême droite française. Voir l’étude
remarquable d’Alain Bihr, « À propos de Maurice Barrés : l’inven¬
tion du nationalisme, Histoire et Anthropologie, n° 10, janvier-
juin 1995, pp. 105-117.
62. 26 octobre 1991.
63. Mouvement pour une écologie indépendante.
64. N° 2, mars-avril 1996.
65. Lucien Bonnafé, « Carrel dédiabolisé ou ridiculisé ? », L’Hu¬
manité, 7 février 1996.
66. Cité par Lucien Bonnafé, op. cit.
67. Notamment à Paris, à Rennes, à Metz. ..Delà même manière ne
pourrait-on pas enfin dépoussiérer les notices des dictionnaires et
des encyclopédies, notamment celles qui continuent à colporter des
impostures.

PRINTEMPS-ÉTÉ 1996 - CHIMERES

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