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Résumé
Il existe indubitablement des maisons d’édition d’extrême droite. Il est néanmoins impossible de parler de «l’édition
d’extrême droite», comme d’un ensemble cohérent. De plus le paysage des maisons d’édition d’extrême droite, très
segmenté, est animé d’une sorte de mouvement brownien qui en rendrait le tableau obsolète d’emblée. Deux coups de
projecteur pourront mettre en lumière certains de ses mécanismes. Le premier concerne un auteur jouissant d’une forte
notoriété. La production de Jean Mabire, chroniqueur néopaïen de National Hebdo trouve le chemin de ses lecteurs par
un large éventail de canaux, emblématique des moyens de publication qu’utilisent les auteurs d’extrême droite. Le second
sera dirigé vers les maisons d’édition catholiques intégristes. Dans l’ombre de la «Fraternité Sacerdotale Saint Pie X»
vivent plusieurs éditeurs, dont certains rééditent avec des moyens techniques modernes, mais dans une discrétion qui
frôle la clandestinité, des classiques de l’anti-judaïsme catholique.
Monzat René. Comment l’extrême droite publie-t-elle ?. In: Recherches Internationales, n°65, 3-2001. L’Extrême Droite
Populiste en Europe. pp. 115-126;
doi : https://doi.org/10.3406/rint.2001.916
https://www.persee.fr/doc/rint_0294-3069_2001_num_65_3_916
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arler d’édition d’extrême droite est aussi hasardeux que
de parler d’édition communiste, d’extrême gauche ou
écologiste. Et ce pour des raisons de même nature, quel
que soit le courant politique concerné. Si la fondation et les choix
éditoriaux de certaines maisons d’édition s’inscrivent indubitablement
dans le cadre d’un projet politique, les éditeurs engagés ne publient
pas que des livres directement militants. D’autre part les auteurs
encartés à l’extrême droite proposent leurs ouvrages où ils veulent,
et les manuscrits sont acceptés ou refusés en fonction de critères
divers, souvent commerciaux, souvent aussi en fonction de leur
qualité et moins souvent pour des raisons strictement politiques.
Donc, s’il existe bien des maisons d’édition d’extrême droite, il
n’existe pas pour autant une « édition d’extrême droite ». Nous
serions quoi qu’il en soit bien en peine d’en définir les limites, et a
fortiori de déterminer dans le cas de ce sous-ensemble flou de
l’édition les informations de base disponibles pour tous les segments
du monde de l’édition : les tirages, le nombre d’ouvrages publiés, le
poids économique.
Deux coups de projecteur permettent néanmoins de mieux
appréhender comment l’extrême droite existe dans le monde éditorial.
Le premier sera consacré à l’activité éditoriale de Jean Mabire
publiciste emblématique, chroniqueur, essayiste, écrivain, historien
militant et avant tout militant. C’est un des plus radicaux, au sens
où c’est le meilleur représentant de la sensibilité néo-nazie du
GRECE, c’est en même temps un des plus reconnus car ses ouvrages
touchent le grand public, bien au-delà des cercles militants, et même
de l’électorat du Front National ou du MNR.
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« Terre et Peuple » ont eux même souvent été publiés : Anne-Laure
Blanc (qui est la femme du dirigeant du MNR Jean-Yves Le Gallou)
écrit notamment dans « Terre et Peuple », l’ancien SS Robert Dun en
autoédition, Jean Haudry aux PUF, Pierre Krebs est lui-même
éditeur en Allemagne, Bernard Marillier écrit chez Pardès, Maurice
Rollet a publié ses poèmes chez Pyrene, Jean Claude Valla à l’Ancre,
quant à Pierre Vial son précédent livre, Une Terre, un peuple a été
imprimé en 2000 pour le compte des Éditions Terre et Peuple. Vial
avait publié précédemment La Bataille du Vercors en 1991 et Le Sang
des Glières en 1993 aux Presses de la Cité ainsi que la Papauté,
l’exemption et l’Ordre du Temple aux Presses Universitaires de Lyon
(1994).
Jean Mabire assume sans complexe cette militance nostalgique.
Il a ainsi contribué en 1991 à l’ouvrage Rencontres avec Saint Loup
édité par Les Amis de Saint Loup à 1 000 exemplaires. Cet ouvrage
de 160 pages est un hommage de 20 contributions à la mémoire de
l’ancien officier politique des Waffen SS français. Les contributeurs
sont d’anciens SS, des cadres du GRECE et des jeunes militants
d’extrême droite. L’ouvrage n’a bénéficié d’aucune recension.
Éléments, revue éditée par Alain de Benoist, a publié une version
« toilettée » de la contribution de Pierre Vial (à l’époque dirigeant du
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avait sa place parmi nous. » Mabire y est en bonne compagnie : les
articles de Robert Brasillach pour Révolution Nationale et Je suis
partout, une anthologie d’écrivains pro-nazis rassemblée par Mabire,
etc.
Il existe par ailleurs un circuit de l’occasion, ainsi la Librairie
Lyonnaise, liée aux Éditions Irminsul, propose début 2002 un
catalogue de 8 pages, comportant près de 300 titres tous susceptibles
d’intéresser des lecteurs d’extrême droite. Mourir à Berlin de Mabire
y est proposé pour 30 euros dans l’édition de 1975 chez Fayard, ainsi
qu’une rareté, une Histoire secrète de la Gestapo publiée en 4 tomes
à Genève en 1971 aux Éditions de Crémille et dont les quatre auteurs
sont Jean Mabire, mais aussi André Brissaud (père de Jean-Marc
Brissaud de la direction du MNR), Fabrice Laroche (Alain de Benoist)
et François d’Orcival (actuel rédacteur en chef de Valeurs actuelles).
Mabire est entier, et n’a jamais fléchi dans ses convictions, ne
montrant point d’autre souplesse que celle d’accepter, dans un
cadre donné, de ne pas exposer toutes ses convictions. Par exemple,
son attitude implicite dans ses écrits grands publics pourrait se
résumer ainsi : « Vous croyez que ces SS étaient des salauds, moi je
peux vous montrer qu’ils étaient des “soldats d’élite” non dénués de
courage. » Plus tard, à National Hebdo, il sera sommé de ne pas
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exposer ses convictions pour l’Europe des régions, l’Europe aux cent
drapeaux. Il s’y tiendra, ou du moins ne laissera transparaître ses
opinions qu’au travers de la galerie de portrait d’auteurs qu’il
agrandit chaque semaine dans National Hebdo, ou de recensions de
livres de militants « radicaux » tel l’Archéofuturisme de Guillaume
Faye.
A ce prix Mabire n’a jamais été cantonné aux éditions militantes.
Il n’a pour autant jamais été l’auteur d’un seul éditeur,
tendance qui s’accentue aujourd’hui à l’occasion de rééditions par
de petites structures. Ainsi ses articles rédigés dans le cadre du
Mouvement Normand sont réédités en trois tomes par les Éditions
de l’Esnèque à Ecaquelon (27), la réédition intégrale en deux tomes
de la collection de la revue Viking a été effectuée par les Éditions du
Veilleur de Proue à Rouen (76), Les légendes de la mythologie
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En France, ils ont trouvé leur débouché politique naturel au
sein du FN. Depuis la scission, leurs suffrages se partagent entre le
courant Le Pen et Mégret.
Le courant des fidèles de l’évêque dissident Mgr Marcel Lefebvre
contrôle officiellement les Éditions Clovis, alors que les Éditions de
Chiré et la librairie par correspondance Diffusion de la Pensée
Française, ainsi que les Éditions Godefroy de Bouillon, évoluent
nettement dans la sphère d’influence du catholicisme intégriste.
D’autre part, toujours dans la mouvance du courant lefebvriste,
quatre autres maisons d’édition travaillent dans une « clandestinité »
plus ou moins poussée et plus ou moins volontaire.
Ce sont les Éditions DFT (Diffusion de la fin des Temps), le
Groupe Saint Rémi qui comprend la librairie en ligne Litoo, les
Expéditions pamphiliennes, enfin les Éditions Delacroix.
La plus ancienne structure, Éditions DFT, c’est-à-dire « Éditions
de la Fin des Temps », est basée à Argentré-du-Plessis (35). Cette
structure édite des tracts millénaristes. Mais son catalogue général/
guide de lecture fort de 200 pages ne propose pas moins de 2 000
ouvrages. Il est vrai que les éditions DFT font surtout office de
librairie par correspondance. Elle est néanmoins éditrice, ainsi les
éditions DFT ont-elles réédité en juin 2001 le livre de l’abbé Julio
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fêtes et réunions régionales, ou dans les bibliothèques « paroissiales »
et de couvents, il est strictement impossible de se douter de la
réimpression d’un tel ouvrage.
Les Expéditions pamphiliennes à Strasbourg publient elles
aussi des reprint. Elles proposent ainsi une édition récente de Le
libéralisme est un péché de Dom Sarda y Salvany. L’ouvrage de 226
pages ne comprend pas d’autre mention d’origine que le nom et la
boîte postale de l’éditeur du reprint. En revanche le nom de l’éditeur
d’origine n’apparaît pas plus que la date de la première édition (vers
1890). Or il ne s’agit pas d’échappr au « copyright », mais de la
marque d’une indifférence absolue à la période de publication. Le
livre a reçu un visa de la Sacrée Congrégation de l’Index, aux yeux
de l’éditeur, c’est ce qui importe. Les lefebvristes repoussent avec
horreur toute possibilité d’évolution, ne serait-ce que dans les
formulations, de la doctrine de l’Église. Le procédé du reprint n’a à
leurs yeux aucune valeur sentimentale ou bibliophile. Il lève
simplement un obstacle à la diffusion de livres épuisés.
Les Expéditions pamphiliennes diffusent un catalogue papier,
dont une édition en ligne est téléchargeable sur leur site.
Enfin, fondées sur le même principe, les Éditions Delacroix,
basées à Châteauneuf (35), n’ont d’autre réalité qu’une boîte postale.
RENÉ MONZAT
La diffusion
La diffusion des ouvrages intéressant l’extrême droite repose
sur deux piliers : la vente par correspondance d’une part, et pour le
courant intégriste les tables de vente du réseau d’autre part.
Les différents courants d’extrême droite utilisent néanmoins
pour publier une plus large palette de moyens.
Les manuscrits de qualité professionnelle, comme nous l’avons
souligné, ont toutes leurs chances dans le circuit classique, quel que
soit le degré d’engagement de leur auteur. Les textes expressément
politiques dépendent des moyens des organisations politiques. Tous
COMMENT L’EXTRÊME DROITE PUBLIE-T-ELLE ?
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part de facto clandestine de l’édition d’extrême droite. Il s’agit pour
une très large part de rééditions, souvent très professionnelles, mais
qui échappent même à la bibliographie nationale et dont aucun
compte rendu n’est jamais paru, certes dans les revues grand public
mais pas obligatoirement non plus dans les bulletins intégristes.
Ainsi a été réédité récemment en France l’ouvrage Le Libéralisme
est un péché de Dom Sarda y Salvany, écrit à la fin du XIXe siécle par
un prêtre du diocèse de Barcelone, chez deux éditeurs différents,
une fois en fac-similé (aux Expéditions pamphiliennes de Strasbourg),
une fois avec un texte entièrement ressaisi (aux Éditions Saint Rémi
de Cadillac). Histoire partiale, Histoire Vraie de Jean Guiraud a aussi
été édité quasi simultanément par chacun de ces deux éditeurs.
Ces structures d’édition trouvent efficacement leur public, et
lui seul. Elles suivent – en le sachant pertinemment – les préceptes
et recettes du marketing pour obtenir les meilleurs taux de retour :
solliciter seulement le « cœur de cible ».