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Revue d’histoire moderne et

contemporaine

Francis Kaplan, Marx antisémite ?


Daniel Tollet

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Tollet Daniel. Francis Kaplan, Marx antisémite ?. In: Revue d’histoire moderne et contemporaine, tome 39 N°4, Octobre-
décembre 1992. pp. 693-694;

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COMPTES RENDUS 693
de la majorité des familles, à une France en voie d'industrialisation, où les salariés forment
une catégorie sociale de plus en plus délimitée et minoritaire ». Peut-on ainsi convaincre le
lecteur de la richesse et de la nouveauté de ces communications ?
Serge Chassagne.

Francis Kaplan, Marx antisémite? Paris, IMAGO, 1990, 186 p.


Le problème de l'antisémitisme de K. Marx ■ a été posé à de multiples reprises à partir
de sa réponse, parue dans les Annales franco-allemandes, à La question juive de
B. Bauer2 et datée de 1844. Les opinions ont souvent été si tranchées que la question
devait être abordée de manière plus nuancée. C'est ce à quoi, Francis Kaplan a consacré
son étude sans toutefois se limiter au texte évoqué mais en puisant dans l'ensemble de
l'œuvre de Marx.
A cette époque, les Juifs de Prusse étaient soumis à une vingtaine de statuts différents ;
le statut unique d'émancipation ne devait être adopté qu'en 1871 lors de la formation de
l'Empire allemand. En mai 1842, le gouvernement prussien annonça qu'il préparait un
nouveau statut pour les Juifs et c'est dans ce contexte que le théologien protestant de
Bonn, Bruno Bauer, publia sa Question juive dans la revue : Les Annales allemandes.
Bauer y développait l'idée qu'avant l'émancipation, les Juifs ne se sont pas tant exclus
eux-même de la société qu'ils avaient été exclus. Toutefois, ils étaient responsables de
l'oppression qu'ils avaient provoquée par leur attachement à leur loi. La question était de
savoir si le Juif était capable de recevoir des droits universels et de les respecter pour les
autres. Bauer concluait que la véritable émancipation ne pouvait avoir lieu qu'après
des religions d'autant qu'il était difficile de faire des Juifs des citoyens dans un État
chrétien ne connaissant que des sujets.
La réponse de Marx aux questions posées par B. Bauer se divise en deux parties dont
l'une est violemment antisémite et l'autre permettait des solutions généreuses. Marx
qu'il ne fallait pas soumettre l'État chrétien à la critique mais l'État en soi. Cette
position permettait donc l'émancipation des Juifs sans qu'ils se libérassent des contraintes
religieuses du Judaïsme. Selon Marx, le véritable problème était de libérer l'homme de la
religion ; cette émancipation ne pourrait se réaliser qu'avec l'avènement du communisme.
Sans attendre de parvenir à cette étape, il semblait à Marx que l'État pouvait faire
sauter une barrière limitative de la liberté. Mais on l'aura compris, dans par ce
Marx n'abordait pas du tout la question du maintien ou non des Juifs en tant que
peuple.
Donc, pour Marx, contrairement à Bauer, le problème immédiat était social et non
religieux. Cette réflexion l'amena donc à s'interroger sur la nature sociale du Judaïsme ; il
y vit le besoin pratique, l'utilité personnelle c'est-à-dire l'argent : «le dieu du Juif n'est
qu'une traite illusoire », écrivait-il. Marx était persuadé que les Juifs dominaient le monde
et qu'en réalité ils avaient vaincu le Christianisme si bien que le vrai problème n'était pas
tant d'émanciper les Juifs que d'émanciper la société du Judaïsme tant il était vrai, à ses
yeux que la société bourgeoise était une société juive. Cependant, il n'y a pas chez Marx
d'identification des Juifs et du capitalisme mais seulement des Juifs et du commerce et de
l'argent.
Le caractère antisémite de Marx s'est manifesté dans des textes postérieurs. Ainsi,
contre toute vérité, dans un article de 1848, publié dans la Nouvelle gazette rhénane,
accuse-t-il les Juifs d'« avoir pris la tête de la Contre-révolution » alors que les Juifs de
Hongrie ont été condamnés à une amende pour avoir participé à la Révolution. Dans La
lutte des classes en France (1850), il attaque les «Juifs de la Bourse» qui exploitent l'État
alors qu'ils ne représentaient que 0,4 % de la population française de l'époque. De la
même veine sont les attaques contre le juif Fould dans le 18 Brumaire (1852) ou contre le
juif Peireire. Pour le «jeune Marx » affecté d'un antisémitisme « délirant », au sens clinique
du terme, les choses sont claires, les Juifs veulent dominer le monde.

1. Parmi ceux qui nient l'antisémitisme de Marx, il faut citer R. Mandrou, H. Arendt, L. Netter,
I. Deutscher ; par contre le philosophe J. Gabel, Réflexions sur l'avenir des Juifs, Paris, 1987, 202 p.,
considère que Marx est antisémite.
2. K. Marx, La question juive, critique du texte de Bruno Bauer, Francfort, 1844. Édité à Paris,
en 1975, par R. Mandrou, 185 p.
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Engels, comme le montre l'un de ses textes de 1880 n'a pas été influencé par les
tendances antisémites de Marx : « En Prusse, écrit-il, les propagateurs de l'antisémitisme
sont les Junkers qui ont un revenu de 100 000 mark et en dépensent 20 000 et tombent par
conséquent sous la coupe des usuriers. Or en Prusse et en Autriche, fait écho aux
le chœur des petits bourgeois que tue la concurrence du grand capital . . . Ceci se
produit là où le grand capital est encore trop faible pour s'emparer de toute la
C'est seulement là où le grand capital est principalement juif qu'il y a de
». Plus tard, A. Bebel affirmera que la vraie cause de la misère prolétarienne est
la classe capitaliste considérée comme un tout ; surtout on attribue à Bebel la phrase selon
laquelle l'« antisémitisme est le socialisme des imbéciles».
Seuls, les socialistes Franz Mehring et Richard Calwer furent antisémites mais il faut
souligner que l'antisémitisme de ces personnages et de Marx lui-même relève de leur
caractère et non de la doctrine. Car Marx a aussi été personnellement la victime de
lorsque, par exemple, Ruge l'a attaqué en tant que tel, après 1844 : «Je sais que
les Rothschild, tout réactionnaires qu'ils sont apprécient beaucoup les mérites du
Marx et qu'à son tour, le communiste Marx se sent invinciblement entraîné vers le
génie financier des Rothschild». D'autre part, la culture de Marx n'était pas une culture
juive et le peuple juif dont l'apport semblait se limiter à la Bible, apparaissait à ses yeux
comme étant sans culture. Marx était nourri de la lecture de Kant qui voyait en les Juifs
«une nation trompeuse». Il était nourri de Goethe qui écrivait : «nous ne tolérons aucun
Juif parmi nous car comment pouvons nous leur accorder une part de la culture
dont ils nient l'origine et les coutumes ». Il était nourri de Fichte pour qui « les Juifs
formaient un véritable État dans l'État fondé sur la haine du genre humain» et de
L. Feuerbach qui pensait que «le principe fondamental du Judaïsme était l'égoïsme».
Francis Kaplan en vient donc à penser que si Marx avait pu décharger sa haine de
l'antisémitisme sur la société ambiante, il aurait été en mesure d'assumer sa propre
judéité. Son activité révolutionnaire cachait donc une agressivité refoulée et ce ne fut pas
un hasard si c'est par le texte sur la question juive que Marx inaugura cette activité.
Psychologiquement, l'antisémitisme d'un Juif était une attaque contre soi et Marx pour
s'en cacher l'absurdité cachait qu'il était Juif.
Daniel Tollet.

Georges Bervin, Québec au xixe siècle. L'activité économique des grands marchands,
Québec, Septentrion, 1991, 294 p.
Étudiant l'activité de la grande bourgeoisie marchande de Québec au xixe siècle, le
titre de l'ouvrage de Georges Bervin paraît aller au-delà de la réalité retenue dans le temps
puisque la période étudiée ne s'inscrit que dans les premières décennies du xixe siècle,
entre les dates de 1800 et 1830, et être en même temps trop réducteur, car à côté de
l'activité économique proprement dite de ses marchands, Georges Bervin sait présenter,
en une trentaine de pages d'une introduction fort substantielle, le cadre matériel et familial
de leur vie.
L'ouvrage s'ordonne, de manière claire, en quatre parties. Dans la première, en une
quarantaine de pages, l'auteur définit la grande bourgeoisie commerciale de Québec et en
présente les caractères. Dans la seconde, la plus ample puisqu'elle couvre deux chapitres
pour un total de quatre-vingt pages, il analyse le marché des capitaux de sa ville, en
présentant, d'une part, les structures traditionnelles, et d'autre part, les mutations
marquées par la création de la banque de Québec. L'étude des structures
montre comment les bases de financement du négoce demeurent, pour
familiales et peuvent appeler au regroupement des marchands de dimension fort
variable. Les mutations sont illustrées par la fondation d'une organisation bancaire appelée
à un développement important, sur le modèle britannique. Les troisième et quatrième
parties sont originales par les thèmes choisis : l'une est consacrée sur près de quarante-
cinq pages à l'étude du négoce face aux marchés publics qu'il peut obtenir ; marchands et
administration militaire s'entendent pour négocier des conditions d'affaires fort juteuses

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