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Metodo Mézières

Article  in  EMC - Kinesiterapia - Medicina Física · December 2010


DOI: 10.1016/S1283-078X(10)70201-7

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Michael Nisand
University of Strasbourg
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¶ 26-085-A-10

Méthode Mézières
M. Nisand

La méthode Mézières est un concept de rééducation conçu par une physiothérapeute française, Françoise
Mézières. Les concepts et les techniques ne cessèrent d’évoluer sous l’impulsion de sa conceptrice, jusqu’à
sa disparition en 1991. L’absence d’essai clinique, le déficit de publications et de rigueur dans
l’enseignement sont responsables d’une diffusion confidentielle et d’une dénaturation précoce des
concepts. L’observation princeps qui est à l’origine de ce qu’il est convenu d’appeler la méthode Mézières
fut faite en 1947. Les explications du phénomène observé ne furent publiées qu’en 1984 sous forme de
lois. Les concepts de Mézières s’inscrivent en faux par rapport à l’hypothèse pathogénique concernant les
troubles musculosquelettiques. Ils sont habituellement attribués à une inaptitude à résister à la
pesanteur. Mézières incrimine un raccourcissement des muscles dits « érecteurs rachidiens ». Françoise
Mézières est à l’origine du concept novateur des « chaînes musculaires ». Au nombre de quatre, ces
ensembles de muscles imbriqués se distinguent par leur puissance et leur tendance systématique à la
rétraction. Ces raccourcissements provoquent des déformations tridimensionnelles du rachis et des
membres. Ces déformations sont à l’origine des algies de l’appareil locomoteur. Elles ont la
caractéristique de pouvoir se déplacer sur le corps comme « un anneau sur une tringle à rideaux ». Le
principe thérapeutique consiste à réduire les déformations par étirement des chaînes. L’outil
thérapeutique est appelé « contraction isométrique excentrique ». Il s’agit de contractions statiques à
partir de positions de départ en course externe. Aucune compensation ne doit être tolérée sur l’ensemble
corporel. Les séances de posture sont individuelles et longues. Leur rythme est hebdomadaire en début de
traitement. Les autopostures sont proscrites. Les indications de cette technologie recouvrent, pour
l’essentiel, celles de la rééducation conventionnelle dans le domaine musculosquelettique. Les
nombreuses dérives conceptuelles et les divergences techniques existant entre les différentes écoles de la
nébuleuse méziériste de deuxième génération obligent à s’interroger sur l’existence d’une entité
technologique « méthode Mézières ».
© 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Françoise Mézières ; Chaîne musculaire ; Posture ; Étirement musculaire ; Morphologie ;
Compensation

Plan ¶ Discussion 13
Failles et approximations : procédures et concepts 13
¶ Introduction 1 Indigence pédagogique 14

¶ Contexte historique 2 ¶ Conclusion 14

¶ Biographie 2
¶ Que reste-t-il de son œuvre ? 2
¶ Contenu scientifique
Observation princeps
2
2
■ Introduction
Lois fondamentales 3 La méthode Mézières est un concept de rééducation conçu
Implications des lois 3 par une physiothérapeute française, Françoise Mézières
Corollaires 4 (1909-1991).
Normalité biologique et normalité statistique : Aux yeux de nombreux praticiens, l’invention des chaînes
parangon et morphotypes 5 musculaires, ainsi que la méthode qui découle de cette décou-
Postulat pathogénique 5 verte, ont marqué un tournant important pour la rééducation
Chaînes musculaires 6 et initialisé une nouvelle grille de lecture de la mécanique
Principe thérapeutique 7 humaine et de ses dysfonctionnements.
Bilan morphologique 8 Pourtant, cette méthode fut, dès le départ, très controversée
Technique thérapeutique 9 et plus d’un demi-siècle après elle fait encore débat. Son

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 1
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

incontestable essoufflement démontre que, quels que soient la Dans les années qui suivent, elle vérifie artisanalement que
conviction et le charisme de son fondateur, nulle méthode ne son observation princeps a valeur scientifique, en ce qu’elle se
peut durablement s’exonérer de la validation scientifique. reproduit immanquablement dans les mêmes conditions
d’expérimentation.
En 1949, elle publie Révolution en gymnastique orthopédique [3],
■ Contexte historique un article fondateur qui reçoit un accueil mitigé, pour ne pas
dire franchement hostile.
Il convient de replacer l’œuvre scientifique de Françoise Boris Dolto est le premier auquel elle expose sa découverte.
Mézières dans le contexte médical de l’époque. L’intérêt tempéré qu’il y porte la décide à quitter la rue Cujas,
Fruit des deux guerres mondiales et de l’épidémie de polio- et à s’installer en libéral pour mettre en pratique ses principes
myélite qui suivit, la rééducation moderne est apparue vers et continuer sa recherche.
1945 [1]. L’optique de cette physiothérapie originelle est focalisée Elle élabore une méthode qui, bien que balbutiante, est déjà
sur la récupération de la force musculaire des grands blessés et à ses yeux plus efficace que les techniques classiques qu’elle
des paralysés. enseignait elle-même peu de temps auparavant. Mais ce n’est
Mais, par la suite, cette option thérapeutique prend des qu’en 1984 qu’elle énoncera la version finalisée des « six lois »
allures de pensée unique. Les douleurs, les dysfonctions, sont qui expliquent les phénomènes observés lors de l’observation
systématiquement attribuées à un manque de force. La patho- princeps de 1947.
génie des déformations acquises est réduite à une inaptitude Faute de mieux, elle donne son propre nom à sa méthode
génétique ou contingente à résister à la gravité. Par conséquent, naissante.
les traitements ne consistent qu’à récupérer la force musculaire En 1957, elle quitte Paris pour l’Île-d’Elle (Marais poitevin),
et les amplitudes articulaires. Les divergences entre les différen- où elle reçoit ses premiers élèves pour un enseignement très
tes écoles se cantonnent à des points de détail, des variantes confidentiel. Elle réagit à l’ostracisme dont elle s’estime la
autour du thème sans cesse revisité de la musculation et du gain victime en ne délivrant son savoir qu’au compte-gouttes. Elle
de force. commence à redouter la récupération et le plagiat. Ainsi,
Le postulat se fait dogme. Nul n’en est conscient et par pendant quelque temps, elle n’accepte les stagiaires que
conséquent nul ne songe à le remettre en question. Valider cette lorsqu’ils sont parrainés. Elle leur fait signer un engagement sur
hypothèse pathogénique n’est pas d’actualité. l’honneur à ne pratiquer que sa méthode.
Ainsi, la physiothérapie naissante, assise sur un sens commun En 1967, elle expose pour la première fois publiquement sa
plusieurs fois millénaire, s’est dispensée, quelques décennies méthode au Centre homéopathique de France dans une confé-
durant, de toute démonstration scientifique. Très peu pressen- rence intitulée Retour à l’harmonie morphologique par une réédu-
tent l’importance à venir des publications. Les exceptions cation spécialisée.
durant cette période de l’après-guerre sont rares. La rigueur En 1974, elle s’installe à Saint-Mont, dans le Gers. Elle appelle
scientifique dans les écrits comme dans les communications est de ses vœux la création d’une amicale de ses élèves. Elle en
encore balbutiante. L’evidence based practice n’apparaîtra que démissionnera en 1981, arguant d’une dérive conceptuelle et
longtemps après, dans les années 1990. technique. Durant les 10 années qu’elle passe dans le Gers, elle
publie quelques articles et un petit livre à compte d’auteur :
■ Biographie Originalité de la Méthode Mézières.
Elle s’éteint à Noisy-sur-École le 17 octobre 1991, laissant à
Françoise Mézières naît le 18 juin 1909 à Hanoi, où son père son légataire la charge d’une difficile succession.
est juriste.
Lorsqu’en 1919 la famille revient en France, elle a 10 ans et
ne sait ni lire ni écrire.
Elle connaît un début de scolarité difficile, sans cesse inter-
rompue par une santé fragile. Son père, qui ne voit pas l’intérêt
“ Point fort
des études pour une femme, y met très tôt un terme. Elle n’aura
donc ni certificat d’études, ni baccalauréat. L’inventeur de l’une des inventions les plus controversées
Dès lors commencent les petits boulots : elle colle des de l’histoire de la physiothérapie moderne n’avait ni
enveloppes, fait de la dactylo, tire une charrette à bras la nuit certificat d’études, ni baccalauréat. Elle commença à
aux halles... enseigner la gymnastique médicale sous la direction de
C’est par le biais de l’escrime qu’elle en vient à s’intéresser au Boris Dolto.
tout nouveau « diplôme d’état de gymnastique orthopédique ».
Elle en devient titulaire en 1939, à la veille de l’invasion
allemande.
En 1942, Boris Dolto, qui vient de prendre la direction de ■ Que reste-t-il de son œuvre ?
l’École française d’orthopédie et de massage (EFOM), rue Cujas,
En 30 ans, elle n’a jamais pu se résoudre à organiser l’ensei-
fait appel à elle pour venir enseigner. Dès son arrivée, Françoise
gnement structuré qui lui fut maintes fois proposé. C’eût été le
Mézières lui dit : « Je vous préviens, je ne sais rien ». Lui s’empare
seul antidote possible aux écoles parallèles qui se multipliaient
d’un bout de papier et lui griffonne un croquis : « Vous voyez,
déjà de son vivant et qu’elle estimait déviantes.
on a la gravité en avant et la force derrière. Pensez à ça et bonne
Pas de programme, pas de documents, pas de contrôle des
chance ».
connaissances, pas de diplôme, pas même d’émargement des
L’essence même de la découverte ultérieure de Françoise
présences aux cours et, bien sûr, pas de formation postgraduée :
Mézières s’inscrit en faux par rapport à cet aphorisme embléma-
le message avait de bonnes chances de connaître des
tique des fondements de la gymnastique médicale de l’époque.
distorsions.
Elle s’attelle à la tâche, dévorant des livres, les connaissant
À cela, il faut ajouter une carence sévère en recherches
par cœur, jusqu’aux numéros des pages, et commence à ensei-
cliniques et en publications. Dès lors, on comprend que la
gner. Rapidement, à la gymnastique médicale s’ajoutent des
méthode était condamnée.
cours de massage, de physiologie, d’anatomie et même de
pédicurie.
Au printemps 1947, alors qu’elle vient juste de terminer la
rédaction d’un opuscule [2], une sorte de compilation de la
■ Contenu scientifique
gymnastique médicale de l’époque, elle fait ce qu’elle appellera
par la suite son « observation princeps », car elle fonde sa future
Observation princeps
méthode. Elle y fera référence en permanence jusqu’à la fin de Un matin du printemps 1947, une femme d’une quarantaine
sa vie. d’années se présente à la consultation de Mézières. De sévères

2 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

Figure 1. Le déroulement des épaules sur le sol fait apparaître une Figure 2. L’empêchement de la lordose dans le secteur cervical la fait
lordose lombale invisible en position debout. Rendue impossible dans le réapparaître dans le secteur lombal. L’éducation de la patiente à plaquer
secteur lombal, la lordose se reporte instantanément dans la nuque. simultanément le rachis cervical et le rachis lombal fait apparaître une
« lordose poplitée » et des apnées inspiratoires.

rachialgies l’avaient amenée à consulter à l’hôpital Lariboisière.


On lui avait posé un « corset cuir et fer », qu’elle avait porté
nuit et jour pendant 2 ans, sans résultats.
La patiente est porteuse d’une cyphose totale. Le type même
de la patiente dite asthénique. Ses muscles postérieurs, « anti-
“ Point fort
gravifiques », semblent trop faibles, trop longs. Après avoir, sans L’observation princeps (1947) met en évidence que les
succès, tenté d’appliquer les exercices classiques (ceux qu’elle muscles du plan postérieur, loin d’être trop faibles, sont
vient de détailler dans son livre), elle couche la patiente sur le très puissants et trop courts. Ils semblent se tenir d’un
dos. Les épaules présentent un enroulement important et raide.
bout à l’autre du corps. Ainsi, ils sont capables de
C’est en appuyant dessus qu’elle voit apparaître une specta-
déplacer, « comme un anneau sur une tringle à rideaux »,
culaire lordose lombale. Afin de préserver le secteur lombal, elle
réduit cette « lordose de novo » en lui pliant les genoux sur la la déformation nécessitée par leur déficit de longueur.
poitrine. Alors que la colonne lombale se pose sur le sol, la tête
bascule en arrière, révélant une profonde lordose cervicale
(Fig. 1). Lois fondamentales [5]
Elle repose les membres inférieurs, fait rentrer le menton, ce
• Première loi : les nombreux muscles postérieurs se compor-
qui réduit la lordose cervicale et fait réapparaître la lordose
tent comme un seul et même muscle.
lombale. Elle tente alors d’éduquer la patiente à rentrer le
• Deuxième loi : les muscles des chaînes sont trop forts et trop
menton, puis à plaquer les reins, puis les deux à la fois. À
courts.
chaque tentative, les genoux se plient et la respiration se bloque
• Troisième loi : toute action localisée, aussi bien élongation
en inspiration (Fig. 2).
que raccourcissement, provoque instantanément le raccour-
Tout se passe comme si la cyphose ne faisait que masquer
cissement de l’ensemble du système.
cette lordose inattendue qui se déplace sur le corps « comme un
• Quatrième loi : toute opposition à ce raccourcissement
anneau sur une tringle à rideaux ».
provoque instantanément des latéroflexions, et des rotations
Elle écrit [4] : « ...Notre observation princeps était si inatten-
du rachis et des membres.
due, les faits constatés si surprenants pour un praticien pétri de
• Cinquième loi : la rotation des membres due au raccourcisse-
théories orthodoxes, si admiratif envers ses maîtres qu’il tenait,
ment des chaînes s’effectue toujours en dedans.
jusque-là, pour de vrais savants, qu’il n’en voulut pas croire ses
• Sixième loi : toute élongation, détorsion, douleur, tout effort,
yeux. Mais l’insolente vérité était si évidente qu’il chercha alors,
implique instantanément le blocage respiratoire en
désespérément, à y voir une exception qui aurait confirmé la
inspiration.
sacro-sainte règle. Il fallut se résigner au sacrilège et reconsidérer
les bases de l’orthodoxie. Restait à dégager les lois de cette
physiologie absolument méconnue, en découvrir les mécanis- Implications des lois
mes. Alors succédèrent aux affres de l’apostasie les délices de
l’hérésie. C’est en effet une ineffable joie que de vérifier à De l’analytique à l’intégral
chaque instant, et de mille façons, le bien-fondé d’une théorie, La médecine et la physiothérapie assimilent la colonne
telle qu’elle explique lumineusement les causes de tous les vertébrale à un mât de navire avec ses haubans, représentés par
dysmorphismes et sur quoi peut être édifiée une technique à les muscles paravertébraux et la sangle abdominale. Selon ce
coup sûr curative. » modèle, si le mât n’est pas d’équerre, il faut en retendre les

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 3
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

haubans. C’est le socle conceptuel de la gymnastique médicale La sixième loi met l’accent sur l’importance de la respiration
classique. Mézières le considère comme erroné. Elle invite à pendant les séances. C’est l’époque de la tuberculose et des
considérer l’individu comme écrasé par sa propre force, ses sanatoriums. On y insiste sur l’ouverture du thorax, « l’exten-
propres haubans, trop courts. Bien que fort nombreux, les sion » du rachis et l’indispensable oxygénation, et donc sur le
muscles de l’arrière du corps (les haubans) se comportent temps inspiratoire. Or, l’observation princeps indique que la
comme un seul et même muscle, tendu du crâne jusqu’au bout « compensation ultime » est un blocage respiratoire et que
des orteils et des doigts. celui-ci se fait toujours sur l’inspiration. Elle comprend que la
Pour elle, le modèle de la poupée propre à la physiothérapie contraction du diaphragme est un obstacle rédhibitoire à
moderne est inadapté : sur une poupée, on peut faire bouger l’étirement des muscles postérieurs.
indépendamment un membre ou un autre, sans répercussion Elle travaille donc sur l’expiration.
sur le reste du corps. Ce n’est pas ce que l’on constate sur le
corps humain. C’est le modèle de la poupée que la première loi
bat en brèche.
Mézières le remplace par le modèle du pantin dans lequel un
système de ficelles relie les membres entre eux et aussi au tronc. “ Point fort
Il n’est pas possible de mobiliser un segment sans que l’ensem-
ble du système soit impliqué. Les lois fondamentales de Mézières expliquent les
La deuxième loi indique que ladite ficelle n’est pas trop faible phénomènes observés lors de l’« observation princeps ».
ou détendue. Elle est trop forte et trop courte, à telle enseigne Elles jettent un éclairage nouveau sur les mécanismes
qu’elle tire en permanence sur ses points d’insertion jusqu’à corporels.
déformer la structure. Hormis cette lecture originale de la
pathogénie des déformations, c’est aussi la notion d’intégralité
qu’introduit la deuxième loi : on ne peut plus prétendre soigner
une partie sans tenir compte du tout. Françoise Mézières préfère Corollaires
le vocable d’« intégralité » à celui de « globalité », notamment
en raison de la connotation d’approximation de ce dernier. « On se tient comme nos muscles nous mettent »
La troisième loi exprime la condamnation du principe La statique humaine est une fonction semi-automatique : on
analytique. Mézières n’y voit qu’une dérisoire tentative de ne peut intervenir par la volonté que transitoirement, pendant
« saucissonnage » du corps, en complète contradiction avec la qu’on y pense. Puis, l’habitus reprend le dessus. De ce fait, les
réalité de ce qui est observé. corrections de la statique ne peuvent relever d’un apprentissage,
d’une prise de conscience.
De la faiblesse au raccourcissement musculaire Quid du renforcement segmentaire des muscles spinaux en
La quatrième loi propose une explication pour les déforma- regard des cyphoses afin de les réduire ?
tions tridimensionnelles comme la scoliose idiopathique. Elle Il est aisé de vérifier que, quelle que soit la position de
serait due, non pas à une faiblesse des muscles dits « érecteurs départ, toute tentative de réduction de la cyphose dorsale
rachidiens », mais à un raccourcissement des muscles qui sous- s’accompagne obligatoirement d’une augmentation des lordoses
tendent la colonne vertébrale. Les « trois vocations » des adjacentes. Donc, même pendant l’effort, ce que l’on gagne
muscles spinaux expliquent la vrille scoliotique : situés en d’un côté est reperdu instantanément de l’autre. Dès l’arrêt de
arrière de l’axe rachidien, ils sont postérofléchisseurs ; ils sont l’effort, les déformations rachidiennes reviennent à leur lieu de
latérofléchisseurs du fait de leur parité (de chaque côté de l’axe prédilection.
rachidien) ; enfin, leur obliquité leur confère leur vocation de C’est « l’effet chaînes » qui a été mis en évidence par l’obser-
rotateurs. vation princeps et qu’exprime la troisième loi.
Elle insiste sur le fait qu’une dénomination inadéquate induit
une compréhension erronée : du fait de la définition du mot
extension (action de déployer, de développer ce qui est plié,
contracté, resserré), l’appellation « muscles extenseurs du
rachis » évoque l’image de muscles capables de nous ériger. Dès “ Point fort
lors, il n’y a qu’un pas jusqu’aux « érecteurs rachidiens ». Si ces
derniers existaient, la solution aux déformations rachidiennes Le renforcement analytique des secteurs cyphosés est
s’imposerait : il faudrait les renforcer. Or, les muscles spinaux ne impossible du fait de l’« effet chaînes ».
sont pas fixés au crâne d’un côté et au plafond de l’autre (dans
ces conditions, ils nous érigeraient) mais, au contraire, au crâne
d’un côté, et au bassin de l’autre. Ils sont donc essentiellement
postérofléchisseurs. Associés aux antéfléchisseurs, ils ne nous Mézières est catégorique : nous n’avons pas de muscles
érigent pas, ils nous écrasent. Ils ne sont donc pas « antigravi- capables de nous détordre, de nous « détasser », de nous grandir.
fiques ». Mézières ne cautionne ni le principe de « poutre Cette affirmation a été confirmée par Graf en 2001 [8].
composite » censée étayer le rachis, ni celui de « rempart
convexitaire ».
Lutte contre la pesanteur
En 2001, Eric Viel s’élèvera à son tour contre « le mythe Outre le fait qu’elle est mécaniquement impossible, la lutte
indestructible de la colonne vertébrale en mât de bateau à contre la pesanteur n’a aucun sens : la bipédie n’est possible que
voile » [6]. grâce à elle, et non pas contre elle. Depuis fort longtemps, des
La cinquième loi intègre les membres au processus général de biomécaniciens, tel Vandervael, indiquent que la position
déformation. Ainsi, par abus délibéré de langage, elle parle debout est une position d’équilibre [9]. C’est-à-dire qu’elle ne
souvent de « lordose poplitée » lorsqu’elle désigne la flexion des nécessite aucune force.
genoux, du patient qui tente de plaquer l’ensemble du rachis Et de fait, seules quelques bouffées de contractions dans les
sur le sol, lors de l’observation princeps : « ...j’ai démontré que muscles de la jambe sont observées lors des enregistrements
le creux poplité constitue une troisième concavité postérieure électromyographiques en position debout spontanée [10, 11].
qui s’accentue lorsque les lordoses rachidiennes sont effacées et Nous n’avons donc pas besoin de la contractilité musculaire
réciproquement. » [7] pour nous ériger (elle n’est sollicitée que sporadiquement pour
Aux membres inférieurs, la mise en tension des muscles les corrections d’équilibre). Par conséquent, nos déformations
postérieurs se traduit souvent par une flexion des genoux, acquises ne sont pas dues à des muscles qui seraient trop faibles
toujours par une augmentation de leur rotation médiale. Il en et il n’est rien contre quoi il faille lutter.
est de même pour les membres supérieurs qui, en position La seule démarche pertinente pour restaurer la morphologie
debout spontanée, pendent toujours en pronation. consisterait à tenter de réduire la tension dans les « haubans

4 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

“ Point fort Raccourcissement des chaînes

La position debout ne nécessite que des contractions


sporadiques des muscles de la jambe. C’est une position
d’équilibre. Un déficit de contractilité ne peut donc pas Déformations
expliquer les déformations acquises.

musculaires » car c’est leur raccourcissement, et non notre


inaptitude à résister à la pesanteur, qui est à l’origine des Douleurs Dysfonctions Lésions
déformations acquises et des algies de l’appareil locomoteur.
L’éducation, la prise de conscience et les injonctions parentales
ne sont d’aucun effet. Seule une rééducation spécifique, fondée Figure 3. Hypothèse pathogénique pour les troubles musculo-
sur l’étirement du plan postérieur, peut progressivement avoir squelettiques.
un effet favorable sur la statique. Et ce, sans même que le sujet
ne soit obligé d’y penser au quotidien.
Le pied doit s’élargir du talon au bout des orteils qui doivent
Normalité biologique et normalité diverger et s’étendre au sol. Les bords latéraux du pied doivent
être rectilignes, l’interne encoché par la voûte interne qui doit
statistique : parangon et morphotypes être visible. »
La médecine physique décrit des « morphotypes » innés et
irréversibles : les longilignes, les brévilignes [12], etc. À chacune
de ces typologies, elle attribue une discipline sportive préféren-
tielle : course et saut pour les longilignes, haltérophilie pour les
brévilignes.
“ Point fort
Mézières s’inscrit en faux et décrit une forme humaine
parfaite, un modèle virtuel qu’elle nomme parangon. Le Aux classiques typologies morphologiques, Mézières
raccourcissement systématique des chaînes musculaires rend oppose la notion d’une morphologie idéale et unique : le
improbable l’existence de ce polyathlète. parangon.
Nous naissons tous « beaux et parfaits » et, sans la fatalité des
chaînes, nous le resterions !
Elle insiste sur la différence entre perfection morphologique,
par essence objective, absolue, et qui va de pair avec une
Postulat pathogénique
fonction optimale : « ce qui est beau fonctionne bien », et la Ce parangon devient le référentiel permanent de son travail :
beauté subjective, relative et variable d’une personne à l’autre, les algies sont le fruit des dysmorphies, lesquelles sont générées
d’une culture à l’autre. par le raccourcissement des chaînes musculaires (Fig. 3).
Description du parangon morphologique par Françoise Le traitement symptomatique consistant à tenter de réduire
Mézières [4] : douleurs et dysfonctions sans s’attaquer à leur cause, sans
”Or, si les mesures et les calculs sont fastidieux et sources restaurer la morphologie, est voué à l’échec. Seule une méthode
d’erreurs, nous disposons tous de moyens bien simples et capable de restaurer la morphologie normale prend réellement
naturels, nous avons tous des yeux et aussi le sens inné de la le problème à sa source et, cette source, c’est la lordose.
beauté (bien que les modes absurdes faussent le goût). De même Restaurer la morphologie passe donc par la réduction des
l’oreille discerne les notes justes et les notes fausses, de même lordoses : « Mais, si les spinaux, en tant que fléchisseurs du
l’œil doit reconnaître la forme saine et le dysmorphisme. Et l’on rachis en arrière, produisent la lordose et, par « compensation »
vérifie aisément en examinant le malade que : la cyphose, ils sont encore rotateurs et fléchisseurs latéraux. Ils
• de face, les clavicules, les épaules, les mamelons, les espaces engendrent donc encore la scoliose. C’est donc encore en les
brachiothoraciques, doivent être symétriques et de même allongeant pour détruire la lordose que l’on corrige les rotations
niveau ; les contours latéraux du thorax doivent être rectili- et les inflexions latérales. D’où la conclusion : « il n’est que des
gnes et diverger depuis les crêtes iliaques jusqu’au pli de lordoses. » [7]
l’aisselle ; Si la déformation évolue spontanément, et toute la vie
• de dos, la nuque doit être longue et pleine (et non montrer durant, vers l’aggravation, c’est qu’elle n’est pas immuable,
deux saillies verticales séparant trois gouttières). Outre la irréversible. Et donc il est possible, à condition d’utiliser les
symétrie des épaules, des hanches et des omoplates, celles-ci bons outils, de ramener le patient « polydéformé » vers le
ne doivent accuser aucun relief et le faisceau inférieur du polyathlète. Et ce, même si ça prend des années, même si on
trapèze doit apparaître (chez un sujet non adipeux) jusqu’à la n’atteint jamais la perfection visée.
douzième dorsale ; Les « typologies morphologiques » décrites par la physiothé-
• en position de flexion avant, la tête pendante, l’épine dorsale rapie classique ne sont, pour Françoise Mézières, que des
doit être en convexité totale et régulière, et l’aplomb des déformations répertoriées parce que fréquemment rencontrées.
genoux se situer sur les têtes astragaliennes (et non reculer en « La normalité statistique en biologie est utilisée par défaut
arrière des talons) ; quand le manque de connaissances ne permet pas de savoir
• de profil, la pointe du mamelon doit être le point le plus quelle est la normalité biologique réelle. » [13]
avancé, au-dessous duquel le contour antérieur du thorax et Ces « déformations fréquentes » sont acceptées, à tort, comme
de l’abdomen doit être rectiligne jusqu’au pubis. Le contour référentiel de normalité, parce qu’on les croit innées. Elles ne
du dos doit être visible, le bras séparant un tiers du thorax en sont, pour Françoise Mézières, que favorisées par la génétique,
arrière et deux en avant. certaines activités spécifiques et les avatars de la vie. Les
Les membres inférieurs, examinés de face, les pieds étant typologies morphologiques sont aux antipodes du message de
réunis du talon au bout du premier orteil (station qui doit Mézières. Mais, son concept de parangon a quelque chose de
toujours être aisée) doivent se toucher : le haut des cuisses, les dérangeant en ce qu’il évoque l’eugénisme. Elle persiste : « Si on
genoux, les mollets et les malléoles internes ; celles-ci doivent fait les roues circulaires, c’est que ça ne marche pas quand elles
être plus hautes que les malléoles externes. L’axe de la jambe sont carrées. » Ce qui est vrai pour une bicyclette l’est aussi
doit passer par le milieu du genou, le milieu de la ligne pour la complexe mécanique humaine : beaucoup de dysmor-
intermalléolaire et le deuxième orteil. phies, quelques paramorphies, mais une seule forme normale.

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 5
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

Pour Mézières, l’adhésion au concept de morphotypes a des


conséquences bien plus pernicieuses que son principe de forme
normale : elle condamne toute possibilité de correction mor-
phologique (puisque les déformations seraient innées) et donc
de guérison des dégâts collatéraux liés à la forme anormale.
Quant à l’établissement de correspondances douteuses entre
les « typologies morphologiques » et certaines caractéristiques
psychiques, elles relèvent, pour Françoise Mézières, « de la
psychologie de caniveaux ».

“ Point fort
Les troubles musculosquelettiques sont l’aboutissement
de déformations nécessitées par la rétraction
systématiques des chaînes musculaires.

Chaînes musculaires
Le concept du raccourcissement des chaînes a connu un
succès tardif mais spectaculaire. Cet engouement se manifesta
d’abord au sein de la nébuleuse des écoles se réclamant de
Mézières. Puis, dans les années 1980, la physiothérapie classique
et les disciplines sportives succombèrent à leur tour. Aux
renforcements classiques, on ajouta les étirements, comme
« une flèche de plus dans le carquois thérapeutique du
physiothérapeute ».
Très peu de temps après la disparition de Mézières, le concept
de chaîne musculaire était à ce point généralisé et dénaturé que
très peu en connaissaient l’origine et encore moins la définition.
Le caractère séduisant du concept et la connaissance approxi-
mative qu’on en avait poussèrent à en inventer de nouvelles,
Figure 4. Chaîne postérieure.
nombreuses et fantaisistes [14], correspondant, au mieux, à des
suites de muscles contigus. Le réservoir de combinaisons plus ou
moins pertinentes est immense.
Françoise Mézières définit les chaînes musculaires [15] comme
étant des ensembles de muscles polyarticulaires imbriqués
(c’est-à-dire se recouvrant comme les tuiles sur un toit).
Cette imbrication est d’une grande importance en ce qu’elle
confère aux chaînes leur puissance, leur vocation à se raccourcir
et, surtout, la mobilité des compensations.

“ Point fort
Une chaîne musculaire est un ensemble de muscles
polyarticulaires imbriqués (c’est-à-dire se recouvrant
comme les tuiles sur un toit).
Mézières en décrit quatre : la chaîne postérieure, la chaîne
antéro-intérieure, la chaîne brachiale et la chaîne
antérieure du cou.

Les différentes réactions observées lors de l’observation


princeps sont dues à la continuité des chaînes, à leur recouvre-
ment en tuiles de toit. Cette définition d’une chaîne musculaire
par son inventeur fonde la méthode. Elle décrit quatre chaînes
musculaires :
• la chaîne postérieure, qui s’étend de l’arrière du crâne
Figure 5. La chaîne antéro-intérieure est composée du diaphragme et
jusqu’aux bouts des orteils et remonte en avant de la jambe
des iliopsoas.
pour se terminer sur la tubérosité tibiale (Fig. 4) ;
• la chaîne antéro-intérieure (à l’intérieur du ventre) :
diaphragme et iliopsoas (Fig. 5) ;
• la chaîne brachiale (de la face antérieure de l’épaule jusqu’au la tête, long de la tête, long du cou (Fig. 7). Cette chaîne a
bout des doigts) ; elle est constituée de muscles fléchisseurs et été mise en évidence en 1981 et décrite en 1984 par Françoise
pronateurs (Fig. 6) ; Mézières dans Originalité de la méthode Mézières. Il s’agit du
• la chaîne antérieure du cou, constituée de trois muscles sur seul concept que Mézières ait jamais intégré à sa méthode et
la face antérieure des vertèbres cervicales : droit antérieur de qui n’était pas de son cru.

6 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

Restauration fonctionnelle

Normalisation morphologique

Étirement des chaînes

Figure 8. Principe thérapeutique de Françoise Mézières.

▲ Attention
La chaîne antéro-intérieure est parfois nommée à tort
« chaîne antéro-interne ».

▲ Attention
On peut imaginer de nombreuses combinaisons de
muscles contigus et créer ainsi autant de « suites
Figure 6. Chaîne brachiale.
musculaires ». Leur intérêt, essentiellement ludique,
témoigne de la méconnaissance de la définition donnée
par l’inventeur du concept.

« Il n’est que des lordoses » : de toutes les déformations


qu’elle a répertoriées, Mézières attache le plus d’importance à la
lordose pour le rachis, et à la rotation médiale pour les
membres.
Les interactions des chaînes raccourcies aboutissent à la
constitution de deux lordoses principales : une lordose par bloc
fonctionnel. Elle définit un bloc fonctionnel comme étant une
zone corporelle à l’intérieur de laquelle tous les éléments de
l’appareil locomoteur sont interdépendants. Dans le bloc
supérieur (au-dessus de T7), la lordose « regarde en haut et en
arrière ». Dans le bloc inférieur, la lordose « regarde en bas et en
arrière ». Ces deux lordoses étant orientées de manière diver-
gente, une zone de transition est indispensable et elle est
forcément convexe en arrière (Fig. 9). La plupart du temps, elle
s’étend sur une à trois vertèbres. C’est ce que l’on a coutume
d’appeler cyphose.
« ...la cyphose n’est possible qu’au prix d’une accentuation
des lordoses. Celles-ci empêchées, la flexion du tronc est
quasiment impossible, ce qui prouve bien que la cyphose est la
compensation de la lordose. » [7]

Figure 7. Chaîne antérieure du cou.


“ Point fort
Principe thérapeutique
Le principe thérapeutique découle du postulat pathogénique :
Les déformations les plus importantes sont :
en permanente rétraction, ces chaînes obligent le corps à se • la lordose, pour le rachis ;
tordre, tel le bois de l’arc lorsqu’on en raccourcit la corde. Du • la rotation médiale, pour les membres.
fait de leur « trois vocations », les muscles des chaînes génèrent La cyphose n’est que la zone de transition entre deux
des déformations dans les trois plans de l’espace qui, en lordoses d’orientations divergentes.
s’aggravant, sont à l’origine des douleurs et des dysfonctions.
D’où le principe thérapeutique : pour prendre le problème à
la source, il faut allonger les chaînes, ce qui est censé normaliser C’est donc à la lordose qu’il faut s’intéresser et il faut la
la morphologie et, par là, restaurer la fonction (Fig. 8). réduire à tout prix.

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 7
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

Figure 9. La jonction des deux lordoses principales est le plus souvent


convexe vers l’arrière car elles sont orientées de manière divergente. Figure 10. Examen en flexion antérieure de Françoise Mézières.

La lordose est tellement importante aux yeux de Mézières que


le terme devient générique, les autres déformations n’étant que
des épigones, des apparences différentes de la lordose
matricielle.
Dès lors, on comprend l’importance accordée à l’identifica-
tion des dysmorphies. Le bilan morphologique occupe donc
une place prépondérante.

Bilan morphologique
Préalable à tout traitement, cet état des lieux est précis et se
veut exhaustif. Il est réalisé en référence permanente au
parangon morphologique.
Il comporte trois étapes : le bilan statique, le bilan dynamique
et le bilan palpatoire.

Bilan statique
Il se fait en position debout, en position de flexion antérieure
et en décubitus dorsal. Dans un souci de reproductibilité, la
position debout est naturelle à l’exception des pieds qui sont
réunis des talons à la pointe. Le patient est observé de face, de
dos et de profils. Les points capitaux sont les suivants.
De face et de dos, les lignes doivent être rectilignes, obliques
et symétriques. Clavicules et scapula ne doivent accuser aucun
relief. Du fait de la rotation neutre des fémurs, les condyles
médiaux ne font pas saillie dans les creux poplités. Les mains
tombent en position neutre de pronosupination. Figure 11. Cette procédure met en évidence les déformations du rachis
Les profils sont comparés. Le point le plus avancé du thorax et des membres inférieurs.
doit être le mamelon. Les lignes supra- et inframamillaire sont
rectilignes, oblique vers le bas et l’avant pour la supramamil-
laire, vers le bas et l’arrière pour l’inframamillaire. À l’étage
mamillaire, le bras laisse un tiers de l’épaisseur du thorax en sommes tous scoliotiques, les contours du dos au sol perdent
arrière et deux tiers en avant. Les masses corporelles, tête, leur symétrie, ce qui documente la scoliose de manière aussi
scapulum et bassin sont alignées, et se projettent à l’aplomb de précise que les gibbosités (Fig. 12).
la base du cinquième métatarsien. L’ensemble du corps est
légèrement penché en avant afin d’exploiter l’ensemble de la Bilan dynamique
surface du pied comme polygone de sustentation.
En flexion antérieure, afin que l’ensemble du corps se projette Il comprend :
à l’intérieur de la surface délimitée par les pieds et les mains, • cinq manœuvres fondamentales appelées clefs (cf. infra) ;
celles-ci sont posées au sol loin en avant des pieds (Fig. 10). En • l’élévation des membres inférieurs. Le patient est en décubi-
réduisant de la sorte les possibilités de tricheries, on accentue les tus, le thérapeute lui fléchit la hanche, genou tendu. La
déformations des membres et les déviations rachidiennes chaîne postérieure, trop courte pour contourner le bassin, va
(Fig. 11). essayer de « trouver du mou », de compenser en accentuant
L’examen en décubitus dorsal permet surtout la comparaison les déformations préexistantes. Ces compensations vont se
des contours du dos au sol. Partant du principe que nous développer de proche en proche, dans le sens caudocrânial.

8 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

Ce bilan comprend un nombre important d’items, souvent


d’une grande finesse. Ils témoignent, chez Mézières, d’une
grande pratique et d’un sens de l’observation tout à fait hors du
commun. Même ses plus farouches opposants reconnaissent son
expertise à leur corps défendant. Collecter ces informations
visuelles et palpatoires exige un œil exercé et beaucoup de
doigté. Mais ce n’est pas le plus difficile. Que faire de toutes ces
informations ? Certes, comme pour tous les états des lieux, cela
autorise l’évaluation ultérieure des effets du traitement. À cet
égard, le caractère pléthorique et tatillon n’est pas forcément un
atout. Mais surtout, ces éléments sont censés servir à élaborer
les postures et la stratégie thérapeutique. Or, l’absence de règles
qui permet à Mézières de donner libre cours à sa créativité et à
ses intuitions débouche sur une babélisation qui s’avérera létale
pour sa suite (cf. infra).

“ Point fort
• Le bilan statique renseigne sur les déformations qui ont
été générées par le raccourcissement des chaînes. Il est
réalisé en comparaison permanente par rapport au
référentiel, le parangon.
• Le bilan dynamique renseigne sur les modalités de
compensation. Elles sont propres à chaque individu.
Figure 12. Sur cette scoliose, à droite, la dépression lordotique est
aiguë et son apex est proche du bassin. À gauche, la dépression est
« longue et plane ».
Technique thérapeutique
L’agent pathogène est donc identifié : c’est le raccourcisse-
ment continuel des chaînes musculaires. Son expression élective
en est la lordose. Restait à trouver l’antidote. Mézières reconnaît
très tôt que l’étirement passif ne peut aboutir qu’à la « flacci-
dité » et constate qu’il n’y a pas de muscle « délordosant ».
Seule la cyphose des extrémités est possible : abaissement du
menton, rétroversion pelvienne.
Il fallait donc inventer un principe actif original, adapté à
l’ambitieux projet.
Pendant longtemps, elle le nomme « contraction isométrique
excentrique », ce qui achève de convaincre ses détracteurs de
l’inanité de l’ensemble du message : si la contraction est
excentrique, elle ne peut pas être statique !
Elle corrige alors le tir : « Ma méthode peut se définir comme
une technique propre à normaliser la forme par l’assouplisse-
ment des chaînes musculaires au moyen de contractions
isométriques. »

Figure 13. Chez cette patiente, l’élévation du membre inférieur droit Chasse aux compensations
provoque une compensation en inclinaison céphalique à droite. L’éléva-
Une contraction « isométrique excentrique » consiste à
tion du membre inférieur gauche provoque une convexité lombale gau-
positionner la chaîne visée dans la position la plus étirée
che, une rotation céphalique à droite et... le « rentré du menton ».
possible, à solliciter sa contraction sans autoriser le raccourcis-
sement. La chaîne se contracte, essaie de rapprocher ses
insertions, n’y arrive pas et donc s’allonge.
Les élévations successives d’un membre, puis de l’autre Sans le savoir, elle réinvente le principe du muscle energy de
(Fig. 13), puis des deux simultanément, amèneront des l’ostéopathe américain Mitchell au début du XXe siècle [16].
informations complémentaires et précieuses. Ce travail, inconfortable pour le patient, provoque des
réactions de défense que Mézières appelle « compensations » et
Bilan palpatoire qui sont propres à chaque individu. Le thérapeute doit neutra-
Il se fait en décubitus dorsal et intéresse la colonne cervicale liser les compensations, par tous les moyens.
et thoracique haute : Mézières cautionne le raccourci qui consiste à décrire sa
• C1 est palpée en rétroauriculaire ; méthode comme « un corps à corps pour une chasse aux
• de C2 à C5, on a accès aux masses latérales ; c’est une compensations ».
palpation directe, fiable ;
• en dessous de C5, seuls les processus épineux sont accessibles.
Réflexe antalgique a priori
Ils sont peu fiables (les vertèbres présentent souvent des Ce concept visionnaire est d’une grande importance. Il s’agit
irrégularités à leur extrémité caudale) et amplifient les d’une sorte de prescience subconsciente de la douleur à venir.
rotations des corps vertébraux dans les scolioses. Du fait de Afin d’éviter une douleur (d’installation progressive), et avant
cette amplification, il arrive que les processus épineux soient même que celle-ci ne devienne consciente, le système nerveux
palpés à droite de l’axe médian, alors que les corps vertébraux s’occupe de trouver une parade, un moyen d’occulter cette
sont déportés à gauche. La palpation de C6 à Th3 impose douleur, de l’empêcher d’émerger, de devenir consciente et
donc une interprétation. gênante. Dans certains cas, il s’agit de masquer, d’oublier une

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 9
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

douleur qui a eu le temps de parvenir à la conscience parce que


d’installation trop rapide. Le processus d’occultation revêt la
forme d’une attitude vicieuse, d’une malposition, d’une inhibi-
tion de certains mouvements (sans raison organique), le tout à
distance de la zone à protéger.
« En réalité, cette douleur est toujours là, mais le sujet s’y
soustrait inconsciemment : un réflexe lui fait prendre une
attitude qui lui évite de la ressentir : c’est ainsi qu’il immobilise
en lordose la région douloureuse où il siège. À la longue, cette
attitude s’exagère et l’on voit apparaître, avec la déformation,
tantôt un blocage articulaire (qui sera pris pour un rhuma-
tisme), tantôt une atrophie ou une paralysie (apparente) ou une
impotence, et les traitements spécifiques de ces troubles ne
pourront que les aggraver. » [17]
L’éclairage jeté sur la coxarthrose primitive est caractéristi-
que : le raccourcissement des chaînes accentue la cuvette
lombosacrée et l’enraidit. À la longue, cette lordose basse finit
par devenir douloureuse à la mobilisation. Or, la mobilité de la
cuvette lombosacrée est sollicitée lors du pas antérieur. Mais,
comme ce petit mouvement physiologique exacerberait la Figure 14. « Jambes en l’air-gros menton » : une grossière caricature.
douleur, le mécanisme du réflexe antalgique a priori se met en
place : sans même que le porteur n’en soit conscient, le système
nerveux s’occupe d’interdire le mouvement de manière indi- Six ans plus tard, elle classe les précervicaux dans les muscles
recte, par enraidissement des muscles péripelviens. La hanche à étirer parce que trop courts [18].
n’étant plus autorisée à se fléchir, la marche doit s’adapter : c’est
le bassin qui bascule en arrière pour que la jambe puisse
avancer. Le rachis est bien sûr sollicité, mais plus haut que la
cuvette lombosacrée. La stratégie est efficace, mais elle a un
inconvénient majeur : en immobilisant l’articulation de la
“ Point fort
hanche, elle provoque la dégénérescence des surfaces articulaires « La respiration ne s’éduque pas, elle se libère. »
par disparition du liquide synovial. La destruction articulaire est
La respiration pratiquée pendant les séances ne sert qu’à
précédée par des algies importantes liées à la contracture des
muscles péripelviens [14]. éviter les apnées annoncées par la sixième loi.
En pratique, il devient essentiel de détecter ces mécanismes Ce n’est pas une rééducation de la respiration.
de réflexe antalgique a priori, afin de pouvoir les éradiquer.

Respiration : évolution des concepts Traitement : évolution des techniques


Il faut souligner que si entre les premiers écrits (1949) et son « Tout le monde croit que tout m’est tombé tout cuit dans la
dernier ouvrage (1984) les concepts se sont affinés, les conces- bouche. Il a fallu beaucoup tâtonner, se tromper, corriger. »
sions quant à elles se font plus rares. Ainsi, en 1949, elle Si les concepts évoluèrent beaucoup, il en est de même des
reconnaît encore une certaine utilité aux exercices respiratoires : techniques. Dans les premiers temps, elle recommande l’ouver-
« Les exercices respiratoires ne sont salutaires que s’ils sont ture du thorax par des exercices, mains aux épaules en rotation
effectués sur l’élongation totale du rachis » [3]. Par la suite, elle latérale des bras, allant même jusqu’à préconiser l’usage d’un
déclare : « Il n’y a pas de mauvaise respiration, il n’y a que des bâton tenu à deux mains dans le dos. Plus tard, elle réalise que
respirations gênées. » la lordose interscapulaire accentuée par ce type de travail était
Ce n’est pas en l’exerçant que l’on peut « libérer » la respira- fréquemment irréductible, ce qui lui impose de proscrire ce
tion. La fonction ne crée pas l’organe, la morphologie condi- genre de techniques : « Jamais la position en chandelier ne sera
tionne la fonction. Et donc seule la correction morphologique adoptée. » [19]
du thorax et de la ceinture scapulaire est efficace. Or, la Quant à la fameuse position « jambes en l’air-gros menton »
compensation en apnée inspiratoire est systématique dès que (Fig. 14) qui était devenue comme une marque de fabrique de
l’on met en tension les chaînes musculaires (à ce niveau, elles la méthode, elle y renonce dès 1979, au grand désespoir de
sont toutes quatre concernées). Il est donc primordial de nombre de ses élèves. Elle sent que l’on essaye de réduire son
préserver la liberté respiratoire durant les séances pour que les art à cette « grossière caricature » et préfère se priver de cet outil.
postures puissent avoir un effet. Pour ce faire, une respiration Son pragmatisme ne lui interdit aucune volte-face. Après
spécifique est mise en place dès le début du traitement. Elle avoir exigé pendant des années que ses élèves « s’autopostu-
n’est utilisée que pendant les séances et n’a pas vocation à rent », elle bannit cette pratique le jour où elle se fait soigner
servir de modèle au quotidien. C’est une respiration de travail pour la première fois : il lui apparaît clairement que ses auto-
qui ne sert qu’à neutraliser la systématique compensation postures quotidiennes l’ont gravement pénalisée [20].
diaphragmatique qui annihilerait les effets des postures les Une séance est une succession de postures « confectionnées
mieux choisies. sur mesure » et dont le liant est la respiration de travail.
Le temps fort est l’expiration. Celle-ci est libre (sans frein et Une posture est composée d’une ou plusieurs manœuvres
donc silencieuse), régulière et profonde. On ne peut pas dire maintenues activement par le patient.
qu’elle soit spécialement abdominale ou thoracique, car elle est Il n’y a pas de durée standard pour une posture, pas plus qu’il
adaptée à chaque patient. n’existe de séance type pour une pathologie donnée.
L’évolution des concepts chez Mézières a connu des épisodes Juste quelques principes généraux et une observation perma-
d’accélération. Ainsi de la découverte de la chaîne antérieure du nente et attentive des réactions du patient :
cou : en 1978, elle classait les précervicaux dans les muscles • prendre systématiquement le contre-pied de toutes les
« hypotoniques » : « De par ces mécanismes auxquels il n’est pas compensations qui apparaissent ;
d’exception, sont toujours hypertoniques les muscles ″lordo- • rechercher la mise en tension intégrale. Tout point de fuite
sants″, à savoir : les dorsaux, les rotateurs internes, les est considéré comme une compensation qui compromet le
psoas-iliaques, le diaphragme. » [7] résultat de la posture ;
Inversement, leurs antagonistes sont toujours hypotoniques. • chaque interruption du rythme respiratoire et chaque obsta-
Ce sont les précervicaux, les abdominaux, les quadriceps, les cle endogène au flux expiratoire est assimilable à une com-
rotateurs externes. pensation rédhibitoire ;

10 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

• se positionner de préférence à distance des zones douloureu-


ses ;
• rechercher en permanence la forme normale.
La séance débute par la mise en place de la respiration de

▲ Attention
« Pas de recettes »
La correspondance habituelle entre une pathologie et un
geste thérapeutique n’est pas applicable dans le cadre des
concepts de Mézières.

travail. Dès lors, le patient ne l’interrompt plus, y compris aux Figure 15. La compensation systématique de la latéroflexion céphali-
changements de postures. que est l’élargissement de l’hémithorax controlatéral.
Les positions de départ les plus fréquemment utilisées sont le
décubitus dorsal, la position assise, la position debout dos au
mur ou en appui facial.
En début et en fin de séance, Mézières concède des adjuvants
exogènes : réflexothérapie plantaire, massage du tissu conjonc-
tif, vibrations.
Mais elle fustige les mélanges avec d’autres techniques
(ostéopathie, thérapies holistiques, globalistes, exotiques, etc.).
Elle reconnaît volontiers la valeur de certaines d’entre elles,
mais n’a pas le goût des cocktails. Le syncrétisme en matière de
science relève moins de l’ouverture d’esprit que de la « bâtardi-
sation proposée par des gens sans talent qui se poussent du
col ».
Elle ne voit que mercantilisme dans les accessoires proposés
pour la réalisation des séances, lesquelles ne peuvent s’effectuer
qu’au sol.
Chaque séance dure approximativement une heure. Durant
cette heure, le thérapeute est « au contact » du patient. Le
silence nécessaire à la concentration des deux protagonistes est
Figure 16. L’abduction du membre supérieur élargit l’hémithorax
incompatible avec les bavardages.
homolatéral.
Le rythme des séances est hebdomadaire durant la phase
d’attaque du traitement. Lorsque le patient a pris le pli de la
respiration, de la précision des postures et que les premiers
résultats positifs apparaissent, la fréquence des séances peut À ses yeux, sa méthode n’a pas vocation à confirmer la
diminuer jusqu’à devenir mensuelle pour un traitement pratique classique. C’est un paradigme, d’apparition inopinée et
d’entretien. dont les conséquences doivent logiquement amener à reconsi-
Aucun travail à la maison n’est demandé : « Pour une partie dérer l’ensemble des concepts et des techniques antérieurs.
de tennis, il faut être deux ». La mode de la prise en charge
personnelle et de l’automédication n’en est qu’à ses débuts. Manœuvres
Mézières la récuse pour ce qui concerne la rééducation. Les manœuvres représentent l’unité de base du traitement. Il
Les consignes d’hygiène de vie sont lapidaires : ne jamais s’agit de mouvements de grande amplitude, mais physiologi-
dormir sur le ventre et marcher une heure par jour. ques. Ils sont réalisés et maintenus en actif ou actif aidé.
Tous les sports sont autorisés, y compris l’équitation ou le
tennis pour les scoliotiques. Mais il est essentiel de réaliser que Deux catégories de manœuvres
le sport est et doit rester un plaisir. Il convient de distinguer deux catégories de manœuvres :
Les indications recouvrent, grosso modo, celles de la • celles qui corrigent d’emblée une dysmorphie donnée : elles
physiothérapie. sont dites « efficaces » ;
Les contre-indications sont peu nombreuses : les 3 premiers • celles qui aggravent d’emblée une dysmorphie donnée : elles
mois de la grossesse, les maladies infectieuses (avec fièvre) ou sont dites « très efficaces ».
cancéreuses (en cours de traitement). Le seul obstacle radical est Si le premier temps d’une manœuvre aggravante consiste à
le manque de participation. péjorer une déformation, il va sans dire qu’avant la fin de la
posture l’aggravation provoquée doit avoir été neutralisée. On
Stratégie thérapeutique touche du doigt la responsabilité du thérapeute et l’on com-
L’intuition fonde la stratégie thérapeutique et le choix des prend l’exigence de compétence : comme toute thérapie effi-
manœuvres. Mézières revendique le mode empirique telle une cace, mal appliquée elle est potentiellement dangereuse.
lettre de noblesse. Intuition et empirisme sont des caractéristi-
Clefs
ques ontologiques de sa méthode.
Elle cite souvent Claude Bernard qui, lors de son discours Parmi les nombreuses manœuvres qui lui servent à confec-
d’entrée au Collège de France en 1855, déclarait : « ...on pourra tionner les postures, Françoise Mézières en privilégie cinq,
faire dans nos sciences deux sortes de découvertes : les unes probablement à cause du caractère systématique des compensa-
prévues par le raisonnement ou indiquées par la théorie ; les tions qu’elles provoquent au thorax :
autres, imprévues, sont des découvertes qui surgissent inopiné- • la latéroflexion céphalique élargit l’hémithorax controlaté-
ment dans l’expérimentation, non plus en corollaire de la ral (Fig. 15) ;
théorie et propres à la confirmer, mais toujours en dehors d’elle • l’abduction d’un membre supérieur élargit l’hémithorax
et par conséquent, lui étant contraires ». ipsilatéral (Fig. 16) ;

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 11
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

Figure 17. La rotation céphalique soulève l’hémithorax controlatéral.

Figure 19. En position assise, l’élévation de l’occiput dans le plan du


scapulum et du sacrum accentue la lordose.

rotation céphalique à droite accentue la déformation spontanée.


Figure 18. L’élévation d’un membre supérieur soulève l’hémithorax La manœuvre est donc dite « aggravante ». À la pression
homolatéral. manuelle exercée sagittalement pour réduire le soulèvement de
l’hémithorax gauche, il est possible de rajouter une abduction
du membre supérieur gauche. Cette manœuvre est dite, dans ce
• la rotation céphalique propulse l’hémithorax controlaté- cas, « correctrice ». Elle est utilisée comme adjuvant (Fig. 21).
ral (Fig. 17) ; « Étirer sous mise en forme est le but de notre
• l’élévation d’un membre supérieur propulse l’hémithorax technique. » [17]
ipsilatéral (Fig. 18) ;
Autres manœuvres
• l’élévation de l’occiput dans le plan du scapulum et du
sacrum accentue la lordose lombale (Fig. 19). En dehors des clefs, de nombreuses manœuvres sont utilisées,
Ces manœuvres de base constituent une sorte d’alphabet de soit en statique, soit en dynamique. La liste ne peut en être
la méthode. Beaucoup de séances commencent par l’une d’entre établie de manière exhaustive. Cela va de l’élévation des
elles. Les compensations qu’elles provoquent demandent à être membres inférieurs au recul de la tête en position quadrupédi-
réduites. Le temps, la respiration, des pressions manuelles ou que, en passant par le travail de la main et des orteils. Nul ne
encore des manœuvres correctrices sont utilisés pour chasser les peut prétendre les avoir toutes vues car Mézières ne se fixe
compensations. De fil en aiguille, l’enchaînement des postures
aucune limite et, au gré de son humeur, de ses intuitions ou des
s’impose de lui-même, sans qu’il soit possible d’en prévoir la
pathologies rencontrées, elle invente ou modifie.
pertinence.
Exemple 1. L’abduction du membre supérieur gauche provo- Exemple 1. Le patient souffre d’une coxarthrose idiopathique.
que, sur ce patient, une dilatation de l’hémithorax plus impor- Le travail sur le cinquième orteil s’impose en raison de la
tante que de l’autre côté. Il est postulé que cette différence est correspondance « bord latéral du pied-hanche », au niveau du
due à une rétraction plus importante du muscle grand dorsal. système sympathique. Ce travail est alterné : le pied est main-
Une pression manuelle est donc exercée à l’apex de la déforma- tenu en position correcte par le thérapeute (Fig. 22). Le patient
tion (Fig. 20). La manœuvre se termine lorsque, pour une même essaie, sur chaque expiration, d’écarter électivement le cin-
amplitude d’abduction, les deux hémithorax sont symétrisés. quième orteil. Le relâchement se fait sur le temps inspiratoire.
Exemple 2. Le thorax du patient est spontanément asymétri- Il n’y a, pour cette manœuvre, ni critère de la validité, ni critère
que : il est large et plat à droite, épais et étroit à gauche. La d’arrêt.

Figure 20. La dilatation du thorax étant plus importante à gauche, le thérapeute exerce une pression manuelle sur l’apex de la convexité.

12 Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation
Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

l’aplomb de l’apex de la lordose du bloc inférieur. Il est


demandé de réaliser un arc de cercle avec le bout du pied. On
passe ainsi d’une dorsiflexion en adduction à une dorsiflexion
en abduction. L’inspiration est réalisée sur le temps neutre de
flexion plantaire intermédiaire (Fig. 23). Le critère d’arrêt est la
possibilité de réaliser l’abduction de la hanche, précédemment
impossible.
La fin d’une posture est en règle générale déterminée par la
neutralisation de toutes les compensations.
La persistance d’une seule compensation est de nature à
compromettre l’ensemble de la posture car le raccourcissement
des chaînes (elles sont connectées les unes aux autres) s’engouf-
fre dans la brèche et va s’y « enkyster » en attendant la fin de
la manœuvre, à l’abri.
On comprend donc l’attention soutenue du thérapeute qui se
doit de déceler les moindres compensations et de les neutraliser
une à une.

Travail à distance
« ...ce n’est pas au niveau du siège de la douleur qu’il faut
travailler ni à celui de l’impotence elle-même qu’il faut essayer
Figure 21. La rotation céphalique droite rend plus épais et plus étroit de la lever. La cause est ailleurs... » [17]
l’hémithorax gauche. Le thérapeute fait abducter le membre supérieur Ce principe amène Mézières à travailler presque toujours à
pour réduire l’épaisseur du thorax et rajoute une pression manuelle sur distance des lésions. Les déformations se propageant dans le
l’apex de la déformation pour mieux la réduire. sens craniocaudal, elle n’exclut pas qu’une entorse récidivante
de la cheville puisse trouver son origine dans une contracture
cervicale.
Mais, dans le cas d’une douleur cervicale, elle concède de
travailler directement sur la nuque.

“ Points forts
• Le travail à distance : une règle qui souffre quelques
exceptions.
• L’aggravation a priori : un choix pour optimiser les
manœuvres.

■ Discussion
Failles et approximations : procédures
et concepts
Mézières fonctionne à l’intuition (cf. supra). Cette caractéris-
tique fascine les uns et exaspère les autres. Ainsi, la généralisa-
tion des conclusions de l’observation princeps à l’ensemble de
l’espèce humaine agace en ce qu’elle apparaît expéditive et
arbitraire. La procédure utilisée pour vérifier la reproductibilité
du phénomène semble aujourd’hui dérisoire et l’affirmation
d’universalité outrancière.
Figure 22. Pied maintenu dans une position correcte par le thérapeute, Et, de fait, la reconstitution itérative de l’expérience oblige à
le patient cherche à abducter électivement le quintus sur chaque un constat : si les résultats sont convergents dans les grandes
expiration. lignes, une différence notoire doit être signalée. La réduction
active de la lordose dans le bloc inférieur ne s’accompagne pas
systématiquement, loin s’en faut, de la bascule de la tête en
La seule chance de s’imprégner de l’esprit qui préside à un arrière avec sortie du menton (ce qui signerait une accentuation
traitement et d’accumuler les outils potentiels est d’aller souvent de la lordose cervicale). Il est au contraire fréquent que le
la regarder travailler. Mais elle est loin et... elle fait peur. menton s’enfonce dans le cou (ce qui signe une tendance à la
Ainsi, quelques années après sa disparition, certains de ses cyphose cervicale). Ceci semble être a priori de nature à infirmer
élèves crurent innover en introduisant des « postures dynami- la troisième loi : les muscles postérieurs ne seraient pas trop
ques ». Mais les « mouvements alternés » représentaient une courts chez tout le monde.
part importante de l’arsenal utilisé couramment par Mézières. Il Mais avec Mézières, il faut se garder de conclure trop vite à
s’agit de mouvements actifs, répétitifs, de grande amplitude et la faute : si la sortie du menton indique que le patient utilise
rythmés par la respiration de travail : circumductions des l’occiput comme pilier supérieur de sa lordose, le rentré du
poignets, demi-circumductions des chevilles, abductions du menton témoigne du déplacement de ce même pilier vers le
quintus ou de l’hallux, dorsiflexions alternées hallux-orteils, rachis cervical. Il s’agirait donc d’une variante fréquente, mais
propulsions des épaules, etc. relevant du même mécanisme.
Exemple 2. La même coxarthrose peut bénéficier d’une autre Reste que cette lecture univoque est à l’origine de la tendance
manœuvre alternée, la demi-circumduction des chevilles. En à faire systématiquement rentrer le menton. Or, appliqué à
décubitus, les membres inférieurs sont élevés, malléoles à mauvais escient, ce geste s’avère pathogène.

Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 13
26-085-A-10 ¶ Méthode Mézières

Figure 23. La manœuvre de demi-circumduction des chevilles. Trois temps successifs : dorsiflexion en adduction ; flexion plantaire maximale ; dorsiflexion
en abduction. Seule la flexion plantaire est réalisée sur le temps inspiratoire.

Son explication quant aux résultats obtenus est contestable : Du fait de l’absence de contrôle des connaissances et de
elle prétend que l’étirement des chaînes musculaires explique les diplôme, il y a pratiquement autant de compréhensions diffé-
améliorations observées. Lesquelles d’ailleurs n’ont pas été rentes de son message qu’elle a eu d’élèves.
validées par des études cliniques. Ni de son vivant, ni après sa Dès lors, quoi d’étonnant dans le foisonnement d’écoles
mort. De nombreux scientifiques s’inscrivent en faux [21, 22]. Ils parallèles où se côtoient le meilleur et le pire.
démontrent qu’il est impossible d’étirer les muscles spinaux sur Pour le patient, comme pour le prescripteur, il est bien
le vivant. La sensation de tension lors des étirements n’est due difficile de séparer le bon grain de l’ivraie, de savoir si la
qu’à la mise en tension des fascias, richement innervés. Le gain pratique de tel thérapeute qui se déclare « mézièriste » est
d’amplitude après les exercices ne serait dû, comme pour le conforme à l’enseignement du maître disparu. Si bien que, pour
stretching, qu’à une élévation du seuil de la douleur à l’étire- beaucoup, la seule personne à avoir jamais fait du Mézières est...
ment des fascias. Les résultats revendiqués auraient donc une Mézières elle-même.
autre explication que l’improbable fluage, lequel d’ailleurs ne se La sanction de ce bilan négatif a été la balkanisation de son
distingue en rien d’un stretching global. école, la méconnaissance des concepts et la distorsion des
Son hypothèse des déformations algogènes ne résiste guère à techniques.
une analyse critique. À titre d’exemples : Il est donc légitime de s’interroger sur la pertinence de
• il n’a jamais été possible de corréler l’algie lombale avec une l’appellation « méthode Mézières », tant la connaissance des
quelconque déformation corporelle, et les scoliotiques ne concepts semble inégalement répartie et les pratiques
souffrent ni plus ni moins que la population indemne ; divergentes [23].
• le principe du « zéro compensation », de l’indispensable mise
en tension intégrale du système, est en parfaite contradiction
avec certaines techniques qu’elle utilise. Dans la manœuvre
dite « extension des orteils contre résistance », un genou est
fléchi. Cela devrait suffire à rendre la posture inopérante. Or,
il s’agit d’un travail d’une remarquable efficacité.
“ Point fort
Le niveau de diversité, en termes de concepts comme en
termes de techniques, au sein de ce qu’il est convenu
d’appeler « méthode Mézières », oblige à s’interroger sur
“ Point fort la pertinence de cette appellation.
Seuls, les écrits restent. Ceux de Mézières, peu nombreux,
À l’évidence, l’œuvre est d’une surprenante richesse et sont à présent introuvables.
Mézières innove en matière de concepts et de techniques.
Mais :
• les explications données aux phénomènes observés
demandent à être reconsidérées ; ■ Conclusion
• les résultats revendiqués exigent validation.
L’engouement soudain pour une méthode dont les concepts
et les techniques n’ont pas été validés est souvent suivi d’une
disgrâce radicale, et le risque est important de voir sacrifier sur
l’autel de la science un précieux patrimoine de concepts et de
Indigence pédagogique techniques dont les résultats thérapeutiques dépassent proba-
Si l’on s’accorde à créditer Mézières d’un don d’observation blement l’effet placebo.
exceptionnel, si elle a impressionné nombre de professionnels Afin d’éviter que ce message ne soit à terme relégué au rayon
par ses intuitions fulgurantes, il est évident que la pédagogie et des techniques d’antan et de la poudre à perlimpinpin, la
l’organisation de l’enseignement auraient gagné à être mieux pratique basée sur le niveau de preuve apparaît désormais
gérées. comme un passage obligé pour les thérapeutes qui se réclament
Le déficit d’écrits occasionne des distorsions patentes du de l’héritage de Françoise Mézières.
message (séances de groupe, musculation, travail de l’inspira- Par ailleurs, il est regrettable que les écrits de Mézières, déjà
tion, apprentissage de la bonne posture, travail sur table, si rares, n’aient pas été réédités et ne soient donc disponibles,
approche pseudo-psychologique et/ou mâtinée d’ostéopathie). dans leur intégralité, que pour ceux qui lui furent proches.

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Méthode Mézières ¶ 26-085-A-10

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M. Nisand, Kinésithérapeute, ancien assistant de Françoise Mézières responsable technique du diplôme universitaire de Reconstruction Posturale® à
l’université de Strasbourg (m.nisand@free.fr).
14, rue Wimpheling, 67000 Strasbourg, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Nisand M. Méthode Mézières. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Kinésithérapie-Médecine
physique-Réadaptation, 26-085-A-10, 2010.

Disponibles sur www.em-consulte.com


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