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Cca 092 0171
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CoMprABILrrÉ - CoNrRôLE -Auorr /Tome 9 -Volume 2 -novembre 2003 (p. 17I t187)
Philiooe Csapstupn
LES AI'PORIS POTENTTEIS D'INTERNET À TA MISSIdN DE LDOERT-COMPTABLE DANS LES PETITES ENTREPRISES
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Introduction
La littérature avance souvent I'existence dans les petites entreprises (PE) d'une vision réducrrice du
système de données comptables (SDC) orientée principalement vers la production des documents
obligatoires, dans des délais longs et dans le seul but de satisfaire aux obligations imposées par I'admi-
nistration fiscale. Pour prendre leurs décisions, les chefs de PE auraient essendellement recours à leurs
jugements, intuidons et expériences (Fallery 1983; Simon, 1987).Ils utiliseraient, pour communi-
quer, les médias les plus informels (Minrzberg, 1990.1) et géreraient le plus souvent leur affaire sans
autre système d'information de gestion que celui constitué par quelques données comptables qu'ils
jugent essendelles (Dupuy, 1987). Mais la faible utilisation de I'information comptable dans les PE ne
résulte pas systématiquement d'un choix. Elle peut aussi être liée au fait que le dirigeant n ait pas
toures les clés pour tirer profit de la valeur potentielle de cette information ou au fait que les infor-
mations comptables utiles ne soienr pas présenres dans son enrreprise au bon moment. Les enjeux
sont imponanrs car si le taux de création de PE reste à ce jour significatifi, leur taux de mortalité est
lui aussi particulièrement élevé et les problèmes de gestion constituent, semble-t-il, la cause prédomi-
nante de leurs déâillances (Graham, 1994). Mac-Mahon (1999) démontre ainsi que la faiblesse du
système d'information comptable est un facteur explicatif des problèmes de financement des PME
en croissance.
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Mais l'exercice de ces compétences doit s'appuyer sur une disponibilité suffisante du
La modification des qystèmes d'information de gestion demande beaucoup de réflexion et
persuasion. Elle constitue donc une tâche mès lourde (Dupuy, 1990). Se pose alors le pi
cofrt de ces prestations. Le débat renvoie ici au très difficile problème, par ailleurs discur
(1987), de la confrontation des avantages et des coûts du qFstème d'information. I-es ré-sr-:
nus lors d'une précédente enquête (Chapellier,1994) révèlent que seuls 7 o/o des dirigc,
accepteraient de payer à I'expert-comptable plus d'honoraires pour plus de conseils... ,,
doivent-ils mettre en æuvre pour placer sans relâche l'écoute des clienrs er la satisfrcn,
besoins au centre de leurs pratiques professionnelles ?
Lobjectif de la seconde partie est de déterminer dans quelle mesure et sous quelles con.
port des technologies d'Internet peut permertre aux experts-comptables de dépasser ct^ t.
Internet pourrait profondément modifier les pratiques dans les cabinets. Il s'agit donc d". n
quoi Internet peut être porteur d'une nouvelle logique de foncdonnement des cabines su, :e
u déproblématiser > la relation entre I'expen-comptable et son client.
Une étude portant sur I'analyse de 252 messages échangés par quatre enseignants-chercheurs
pendant les dix mois d'un projet de recherche (Guilloux, Gauzente, Kalika, 2000) démontre pourtant
que les courriers électroniques autorisent autre chose que la simple communication de contenu à un
niveau élémentaire. Les auteurs relèvent tout d'abord, à propos du registre du vocabulaire, que l'e-mail
n'appauvrit pas la communication, que les proragonistes ne contraignent pas et ne simplifient pas leur
expression. Ils expliquent ensuite que, sur le corpus de courriers, on retrouve à plusieurs reprises des
éléments de méta-communication. La méta-communication est un concept qui permet de distinguer
deux phénomènes: la communication d'information, de contenu, et la communication portant sur la
manière dont I'interlocuteur doit comprendre l'information communiquée (par exemple, ceci est un
ordre, ou encore, je plaisantais) (\Varzalvick, Beavin etJackson, 1972). Sproull et Kiesler (1991) et
Mackay (1988) affirment par ailleurs que les communications électroniques peuvent être utilisées dans
un but de uavail mais aussi de développement des relations interpersonnelles. Cela démontre la variété
des interactions possibles grâce à un média pourtant considéré comme pauvre (Finholt et Sproull,
1990) et semble signifier que n l'équivoque ) peut être levée indépendamment du média lui-même.
De fait, les chercheurs sont de plus en plus nombretx à remettre en cause la théorie de la richesse
des médias. Cette théorie ne considère pas les acteurs comme parde intégrante de la communication
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cent cinquante dirigeants, que 60 %o d'entre eux travaillent plus de cinquante heures par semaine et
près de 25 o/o plus de soixante heures. Ils notent que près des deux tiers travaillent tous les soirs de la
semaine et que 55 o/o y consacrent leur samedi. Ces caractéristiques du uavail du dirigeant impliquent
un accès immédiat et à toute heure aux informations utiles à la prise de décision. Internet peut facili-
ter cette mise à disposition. Si I'Intranet du cabinet est connecté à celui du client, celui-ci pourra accé-
der arx informations comptables de son entreprise quand il le veut, d'où il le veut. Il pourra suivre
I'avancement de son dossier et réagir à tout moment si nécessaire. Plusieurs érudes ont relevé les
heures inhabituelles d'utilisation de la messagerie pour envoyer et récepdonner les messages de travail
(Sproull et Kiesler, 1991 ; Guilloux et al., 2000). Cela pourrait donner une valeur supplémentaire à
l'information comptable.
De son côté, I'expert-comptable bénéficie avec Internet d'une base de données offrant un contenu
informationnel à forte valeur ajoutée. Les textes publiés par les autorités réglementaires, les conven-
tions collectives de toutes les professions, des guides pratiques, des formulaires officiels, des bases de
connaissances spécifiques sont accessibles sur Internet. Une étude menée au Québec auprès de 147
petits cabinets comptables sur le thème des apports potentiels d'Internet confirme que cette base
informationnelle (documentation officielle, base d'expertises et de connaissances en ligne) est très
largement utilisée au sein des cabinets (Yézina et Fortin, 2002).Il est de même possible d'obtenir sur
certains sites I'avis d'experts sur des problèmes rencontrés dans I'exercice de la profession ou d'organi-
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remps consacré dans les cabinets à l'accomplissement de tâches techniques, qu'il s'agisse de formalités
administratives ou de saisie comptable. De plus en plus d'administrations nationales ou locales offrent
norarnment la possibilité d'accomplir les démarches par Internet. La profession comptable s'est dotée
d'un portail télédéclaratif n jedeclare.com o conduisant à une dématérialisation généralisée des décla-
rations. Le Conseil supérieur de I'ordre a par ailleurs signé avec plusieurs banques un protocole d'ac-
cord national destiné à organiser le téléchargement et la saisie automatique des données bancaires des
clients. Les collaborateurs se verront ainsi libérés des tâches à faible valeur ajoutée et disposeront de
plus de temps pour mieux répondre aux attentes de leurs clients. Lusage de ces technologies pourrait
aussi déboucher sur un sentiment de valorisation des collaborateurs qui verraient la qualification de
leurs râches augmenter. Les appons potentiels sont donc nombreux et significatifs. IJusage d'Internet
peut en ce sens être porteur d'une nouvelle logique de fonctionnement des cabinets susceptible de
n déproblématiser ) la relation entre l'expert-comptable et son client. Pourtant, le développement de
cet usage ne semble pas aussi rapide que les avantages théoriques pourraient le laisser penser. Les prin-
cipaux obstacles se situent au niveau technique et au niveau organisationnel.
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cette raison à installer dans leurs ordinateurs les mêmes versions de logiciels et soulignent que cela va
dans le sens de la théorie de la structuration (Giddens, 1987 ; Pinch et Bijker, 1987 ; Ryu et Fulk,
1991): n On réalise que l'homme agit de manière volontaire sur le mode d'utilisation de la technique
mais que la technique agit aussi sur l'homme. Il en découle un certain nombre d'ajustements mutuels
entre l'homme et le média. o (Guilloux et a1,,2000)
Les contraintes techniques freinent donc l'usage d'Internet et tant que le média ne fera qu appro-
cher I'interconnexion totale et universelle, ses effets ne pourront être que limités (Barillot, 1998). Mais
au-delà des contraintes techniques, l'udlisation d'Internet constitue un défi organisationnel et humain.
, CONTRAINTES ORGANISAIIONNELLES
,,,.''-" DES
À LUTILISAIION D'INTERNET
Si certains individus voient dans la mise en place de I'outil un progrès important dont ils vont prot-
ter, d'autres y voient un risque de devoir changer leurs habitudes, une source de frustration et risquent
de fait d'opposer une résistance (Lewin, 1967). Ladoption des NTI implique un changement dans les
pratiques de travail nécessitant non seulement d'acquérir de nouvelles connaissances et méthodes mais
aussi d'abandonner celles devenues caduques (Barillot, 1998). Les craintes subsistent car si Internet
offre des opportunités jusqueJà inaccessibles, il remet en cause la smucture de domination et les
modalités d'exercice des pouvoirs et des compétences (Houzé, 2000). Beaucoup de collaborateurs
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lité active.Iæs utilisateurs finalisent la messagerie comme une sorte de bouclier informationnel, via les
mises en copie ou la multidiffirsion, pour se couvriq afin de prouver, au c:N oir, que n ça a bien été
fait ,... Cette attitude ne fait qu'accroître le sentiment de surabondance d'informations.
Au total, de nombreux experts-comptables semblent penser qu il convient d'adopter une attirude
pondérée vis-à-vis d'Internet et affirment que si < I'expert-comptable doit se préparer à utiliser ces
nouvelles technologies, la profession les intégrera comme elle a intégré les outils bureautiques sans
qu il soit nécessaire d'invoquer à longueur de colonnes I'urgence, le catastrophisme, et autres périls en
la demeure et que de toute façon, les clients ne sont pas encore connectés [...] (OEC, 2000).
"
Afin d'encourager I'usage d'Internet, il est indispensable de sensibiliser les utilisateurs à ses béné-
fices potentiels. Il existe en effet une relation imponante entre les conséquences perçues et I'utilisation
d'une nouvelle rechnologie (Tiiandis, 1980). Avec les travaux des structurationnistes (Desanctis et
Poole, 1992,1994), il est de plus en plus clair que la création de valeur, si elle repose en grande parde
sur la pertinence du contenu et de l'architecture des outils, dépend également de la qualité des appro-
priations (De Vaujany, 1999). Orlikowski et al. (1995) expliquent à ce sujet que des < médiateurs u
peuvent être engagés explicitement dans des activités ayant pour but de faciliter ' l'adoption et l'utili-
sation de la nouvelle technologie. Le Conseil supérieur de l'ordre essaie, pour faire évoluer les
pratiques, de jouer ce rôle de n médiateur ) en intervenant sur deux points essentiels: d'une part
convaincre les expens-comptables de l'enjeu technologique (le thème est très largement abordé dans
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Conclusion
Des informations à jour, visualisables en temps réel, un expert-comptable pi115 disponible, plus acces-
sible : ces améliorations pourraienr réduire l'intensité des critiques actuellenr , "r r formulées par les diri-
gean$ de PE à l'encontre de leur expert-comptable et déclencher ainsi unc .ivnamique positive avec
plus de conseils et plus de confiance. Mais ceme dynamique ne sera pas svsrématique. Il est même
possible d'envisager que, dans ceftains cas, la dématérialisation progressive des travaux des cabinets
conduise à dépersonnaliser la relation entre les acteurs. IJusage de la messagerie électronique peut
certes conduire au développement des relations entre les individus par une augmentation du nombre
de leurs échanges. Mais les relations interpersonnelles, c'est-à-dire celles dans lesquelles les personnes
sont effectivement mises en contact, peuvent en être diminuées (Bachelet et Caron, 2000). De même,
la mise en ligne de la comptabilité peut êue udle au dirigeant de PE, mais elle peut aussi conduire à
une réduction de la fréquence des rencontres en face à face. Il ne serâ en effet plus indispensable à l'ex-
l{or9 llliggsph"
t. Suivant la théorie de la structuration, ce terme Bacurmr C . er CARoN-FnsaN M.-L. (2000),
doit être compris comme ( permeffre et nIntroduction de la messagerie et des forums
contraindre ,. dans I'entreprise: quels impacts pour l'orga-
nisation ? Une approche exploratoire r,
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