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Une séance de câlins aux arbres est organisée tous les matins, dès l'aube. Etienne Jacob / LE FIGARO
Mais pas de séance de sungazing au programme. Ce matin, Miguel nous réserve une
initiation à la sylvothérapie, pseudoscience proclamant le pouvoir des arbres et forêts
sur la santé. Problème : aucune étude scientifique fiable sur le sujet ne prouve
qu'enlacer chênes ou peupliers ne permet de guérir quoi que ce soit, même si la
proximité de la nature agit sur le bien-être. Certains professionnels de santé pointent
même des dangers (relatifs) à être en contact avec un tronc (allergies aux lichens,
insectes pouvant piquer, etc.). Mais qu'importent les risques, je vais devoir choisir un
arbre, m'en approcher lentement, lui faire un câlin et lui dire bonjour, à haute voix ou
dans ma tête, pendant une demi-heure. «C'est la durée idéale», fait savoir le
naturopathe. Je me dirige vers un mélèze à l'écart. Je joue le jeu mais ne ressens
rien. La pratique paraît, avouons-le, plus risible que dangereuse. Après l'exercice, je
rejoins l'hôtel et demande leurs impressions aux autres participants. La plupart sont
mitigés. «Cela m'a fait du bien. Beaucoup de belles énergies circulent en moi», salue
l'un d'eux.
Sept heures trente. Dans la grande salle, le petit-déjeuner est servi : corbeille de
fruits, compotées, quelques oléagineux (noix de cajou, noisettes, amandes) et une
boisson chaude à base de citron et miel ; les températures en-deçà de 42 degrés
sont tolérées dans l'alimentation vivante. Tout le monde se réjouit du festin ; quelques
uns sont affamés, d'autres affaiblis. Un sexagénaire a le teint particulièrement pâle : il
connaît des problèmes de digestion qui ne feront qu'empirer au fil des jours. Pour ma
part, je tiens le coup, me sers et prends une banane, une pomme, et quelques fruits
secs. «Et bien, tu te fais plaisir, toi», me fait remarquer Yannick, crudivore depuis
plusieurs mois déjà. Cette réflexion me pousse dans mes retranchements : je n'avais
pas l'impression d'avoir abusé sur la nourriture. Je vais, pendant cette semaine, avoir
à plusieurs reprises la sensation que l'on scrute ce que je mange. Comme si c'était
trop, alors que ce n'est clairement pas assez. «Ce lavage de cerveau a fait ressortir
les troubles du comportement alimentaire que j'avais à l'adolescence, me révèlera
une participante à l'issue du séjour. Pendant une semaine, je n'ai pas osé faire les
courses, par peur de m'empoisonner».
Ces quelques calories - une notion qui n'existe pas, inventée par les médecins selon
Irène Grosjean - finalement ingérées, c'est le début du premier atelier de la journée :
la «crusine», avec Jean-Charles Fraschina. Naturopathe, radiesthésiste, magnétiseur
mais aussi énergéticien quantique, cet homme longiligne, aux cheveux blonds, longs,
fins, attachés en chignon, travaille depuis 2016 avec la papesse du cru. «Il était dans
son canapé, à boire, à manger, à fumer, à déprimer, quand il m'a rencontré», nous
avait-elle relaté la veille. Lui préfère dire qu'il s'est «beaucoup documenté en
regardant des vidéos» pendant cette période, avant de trouver sa «voie». L'ancien
technicien agricole commence par nous détailler tous les appareils dont on aura
besoin pour effectuer notre «transition» vers l'alimentation vivante. Blender, robot à
lame en S, extracteur de jus ou encore déshydrateur... autant d'outils coûteux pour
rendre le manger cru viable. Mais, rappelle Fraschina, «tout ce qui sera transformé
sera dénaturé». «Une carotte, dès qu'on l'arrache, perd des choses rien qu'avec les
UV, c'est ce qu'on apprend en permaculture, expose-t-il. Autant manger directement à
même le sol dans ce cas, mais on n’est pas des extrémistes non plus.»
À savoir
Les discours préconisant une médecine parallèle non éprouvée peuvent inciter les participants à se
détourner de la médecine conventionnelle et de leurs traitements médicaux, engendrant de graves
conséquences pour leur santé et les exposant à une perte de chance. (Miviludes, rapport 2021)
Quant aux cours de «crusine», ils auront semble-t-il convaincu, même si certains ont
regretté de ne pas pouvoir vraiment pratiquer, et juste regarder. Bon nombre d'entre
eux ont annoncé dès les premiers jours vouloir investir dans des outils coûteux pour
effectuer leur transition alimentaire. D'autres n'ont pas hésité à commander leurs
matières premières, rares dans les commerces habituels, sur des sites «partenaires»
de la nébuleuse crudivore, précisément recommandés par Jean-Charles, Irène et
Miguel. Le discours conspirationniste, savamment entremêlé aux recettes
appétissantes, a rencontré un franc succès. Comme Gabrielle, cette mère de famille,
qui rêve de convertir son ado au 100% cru. «Les mélanges proposés sont fabuleux,
ça donne trop faim», me fait-elle remarquer à la fin du premier cours. «On peut
penser que manger vivant sera ennuyeux, mais je me rends compte que c'est tout le
contraire, et on en apprend à chaque fois», s'émerveille une dame d'une soixantaine
d'années.
Dans le troisième épisode de mon infiltration, qui sera publié la semaine prochaine, je
vais découvrir à quel point les organisateurs du stage et Irène Grosjean elle-même
promettent des guérisons fulgurantes à quiconque suit leurs conseils. De faux
miracles qui peuvent être dangereux pour la santé des participants. Lesquels
semblent, pour la plupart, emprisonnés dans un écosystème conspirationniste et
mystique en dehors de toute rationalité.
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