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Guérisons fulgurantes, transes, respirations mystiques : les faux


miracles d’Irène Grosjean, la papesse du manger cru
Par Etienne Jacob
Publié le 13/07/2023 à 17:38,
Mis à jour hier à 23:14

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Une séance de respiration Wim Hof lors du stage d’Irène Grosjean. Etienne JACOB / LE FIGARO

CHEZ LES CRUDIVORES (3/4) - Sous couvert d'anonymat, un journaliste du Figaro a participé à
un stage organisé par des naturopathes - dont l'un condamné par la justice - qui disent pouvoir
soigner toutes les maladies grâce aux purges et à l'alimentation crue. Un système savamment
rodé, sur fond de dérives sectaires.

Je pénètre dans la petite salle, sans fenêtres, située au sous-sol de l'hôtel privatisé, théâtre pendant une semaine
d'un stage d'Irène Grosjean, la naturopathe contestée de 92 ans, fervente défenseur de l'alimentation crue. Ici à
Névache, petit village des Hautes-Alpes, une cinquantaine de stagiaires, parmi lesquels je me suis infiltré sous
couvert d'anonymat, espèrent améliorer leur santé en changeant leurs habitudes alimentaires et en se purgeant
régulièrement. Courroie de transmission essentielle de cette formation éclair aux préceptes controversés : Miguel
Barthéléry, naturopathe, condamné par la justice en appel à deux ans de prison avec sursis pour «exercice illégal
de la médecine» après le décès d'un homme atteint d'un cancer qui suivait ses conseils. Lors de mon infiltration,
le quadragénaire va m’enseigner de nombreux préceptes à l’accent mystique. Un nouveau mode de vie, où
respirer permettrait des guérisons fulgurantes. Immersion au cœur des prétendus miracles de la galaxie Grosjean.
Docteur en biologie moléculaire, Miguel Barthéléry dit avoir voulu «vérifier par la science» ce que prophétisait
depuis tant d'années Irène Grosjean : l’alimentation crue est la meilleure pour l’organisme, et les purges sont
essentielles purifier son corps des «colles» et «acides». Pendant toute cette semaine, il s'attelle à nous donner
des cours de chimie pour prouver ce qu'il clame haut et fort. Et balaie d'emblée : «Tout ce que vous avez entendu
sur la santé est basé sur l'étude des gens qui mangent cuit, mort et ne se nettoient pas». Cet adage sera répété à
quiconque ose donner un argument scientifique à nos naturopathes-instructeurs. «Vous êtes lancés à 100 km/h
contre un mur», met-il en garde. Ceux qui mangent cuit et mort sont observés par des gens qui n'ont «jamais guéri
de quoi que ce soit» et ont «peur du symptôme, de la maladie», tranche-t-il.

Assumant d'entrer «frontalement en opposition» avec la science, il rejette les procès en «dénutrition» faits aux
défenseurs de l'alimentation vivante, assumant qu'il est «normal» de perdre du poids avec ce mode de vie. Je vais
en faire l’expérience, en perdant plus de deux kilos en une semaine. Des personnes déjà en sous poids présentes
au stage, perdront même plus. Une des premières «consultantes» (le terme utilisé pour dire patient, NDLR) de
Miguel avait un cancer du sein, une cystite chronique, des démangeaisons. Elle aurait perdu du poids pendant
deux ans et demi avant d'en reprendre. «Les hommes, c'est comme les lapins, ça s'attrape par les oreilles», dit-il,
pour illustrer une prétendue manipulation issue de la pensée dominante. Le mantra du naturopathe condamné par
la justice en appel ? «Les faits, les résultats». Un médecin qui fume, avec 30 kilos de trop, lui enjoint de manger
des protéines ? Lui a préféré, il y quelques années, la «petite mamie de 84 ans qui court partout toute la
journée» : Irène Grosjean. «On parle de notre expérience cette semaine. On en a retiré un modèle. On ne vous
demande pas de nous croire. On vous demande de tester. Prouvez-nous le contraire», enjoint-il. Propos tenus par
le quadragénaire devant un public toujours plus studieux, qui note scrupuleusement ses affirmations.
Une fiche sur les nerfs, distribuée aux stagiaires. Etienne JACOB / LE FIGARO

«Le corps se guérit tout seul»


Barthéléry concède que la médecine conventionnelle, qu'il nomme «occidentale», nous a beaucoup appris sur
l'anatomie. Mais souligne également que «chaque médecine a apporté quelque chose». L'idée, à terme, est que
chacun soit son «propre thérapeute». Morgane, la naturopathe proche de Miguel, avait de l'endométriose, de la
fatigue chronique : «La démarche a été la même que pour tout le monde car il n'y a qu'une maladie, et elle peut
être rectifiée par l'alimentation, les purges, les plantes», répète l'instructeur. Il brandit ensuite une méthode bien à
lui, afin de savoir, en quatre critères, si l’on peut suivre un thérapeute les yeux fermés ; il doit pratiquer ce qu'il dit,
être capable de l'enseigner, cela doit fonctionner, et ce qu'il prodigue doit permettre, à un moment, de devenir
autonome. Lui évitant de se transformer en «gourou». Par exemple, les infiltrations dans le domaine médicale,
«nécessaires dans certains cas», ne permettent «pas de cocher le quatrième critère». Le patient devient alors
«client», croit-il démontrer.
À savoir
Les discours préconisant une médecine parallèle non éprouvée peuvent inciter les participants à se détourner de la médecine
conventionnelle et de leurs traitements médicaux, engendrant de graves conséquences pour leur santé et les exposant à une perte de
chance. (Miviludes, rapport 2021)

Pour la plupart des médecines, la santé c'est «ne pas tomber malade», poursuit Miguel Barthéléry. Lui veut nous
permettre de la «retrouver». Mais alors, comment la définir ? Il cite alors Irène Grosjean : il suffit d’avoir la joie de
vivre, les idées claires ou créatrices, l'énergie pour les réaliser, avec un corps - si possible - solide et harmonieux.
On peut ainsi être «sur notre lit de mort et être en santé», rassure notre professeur. Miguel nous prévient : il n'a
pas le pouvoir de nous maintenir en santé car, après tout, le «corps se guérit tout seul». La seule prétention de la
naturopathie, c'est de garder les «quatre piliers» en ordre : la respiration, l'alimentation, le repos et l'élimination. Le
premier, anodin de prime abord, fait l'objet d'un exercice chaque jour de cette semaine, après les cours de chimie
de Miguel (acides, sucres, etc.) et la «crusine» de Jean-Charles Fraschina. Face à une crise (une maladie, dans le
jardon du stage, NDLR), Barthéléry prône plutôt de «respirer». «On passe pour des fous furieux mais on a des
raisons de penser comme ça», s’exclame-t-il, comme si tout était si simple.

Pour crédibiliser ses propos, Miguel se lance dans une explication scientifique et chimique. L’humain, en respirant,
va chercher de l'oxygène, son énergie. «On peut manger beaucoup moins si on respire», certifie-t-il. Hydrogène,
sucre, azote, il déroule plusieurs formules de base. «Les médecins sont très mauvais biochimistes», atteste-t-il.
Sauf les - très contestés - professeurs Raoult, Péronne, Even, d’après lui. Afin d'appuyer sa démonstration, Miguel
raconte : il y a quatre ans, lors d'un stage, une dame de 84 ans a chuté après un repas, faisant un AVC et un
infarctus. Le naturopathe lui aurait dit de respirer, ce qu'elle a fait. Au bout de quelques minutes, les parties de son
corps paralysées par l'attaque se seraient réveillées. Après être allée aux toilettes, «tout allait mieux», se
remémore-t-il. Miguel sera ensuite vivement sermonné par la fille de la victime au téléphone ; elle déplorait
l'absence de défibrillateur. Il lui aurait répondu qu'elle aurait récupéré sa mère «en fauteuil roulant, ou les “pieds
devants”» s'il n'avait pas agi de la sorte. «Elle était surdosée en bêtabloquants», avance-t-il. Enfin, les médecins
n'auraient remarqué aucune séquelle. «On a changé la chimie du sang en respirant. C'est pas dans les bouquins
ça !», argue-t-il. Marlyse, la secrétaire septuagénaire d'Irène Grosjean, aurait pour sa part chuté dans les escaliers
lors d'un stage, se cassant les vertèbres et les deux poignets. Après une respiration, elle aurait été en mesure de
les bouger sans aucune douleur. «Ils n'ont pas compris la vitesse à laquelle elle s'est remise.» Face à tant de
miracles présumés, les stagiaires sont conquis. Et ce, même si aucune preuve ne nous sera jamais apportée.
Miguel Barthéléry et Irène Grosjean dispensent un cours. Etienne Jacob / LE FIGARO

Transe et démon
S’il faut d’abord respirer, comment le faire efficacement ? Selon nos instructeurs, il faut suivre les préceptes de
Wim Hof. Ce Néerlandais, surnommé l'homme de glace, est connu pour ses records d'exposition au froid. Il a
ressorti de ses exploits une «méthode» pour réduire le stress et se maintenir en bonne santé, à base notamment
de méditation et de respiration. L'idée est donc de faire une grande inspiration, de relâcher vivement, vingt fois de
suite. Renouveler l'exercice à nouveau puis vider ses poumons progressivement, à cinq reprises. Puis, il faut
retenir sa respiration (poumons pleins ou vide, selon la variante), pendant un long moment. Enfin, entrer en
méditation pendant plusieurs minutes. Une simple recherche sur le Web suffit pour voir que cette méthode est
considérée comme dangereuse, pouvant provoquer des crises de spasmophilie, des évanouissements, ou de
l'hyperventilation. Mais ce n'est bien évidemment pas le discours de Miguel.

Avant le déjeuner, nous sommes réunis tous les jours dans une pièce aux allures de dojo, pour faire l'exercice,
couchés sur des tapis de sport. Miguel lance une musique de méditation sur son enceinte, et nous indique quand
respirer, inspirer et relâcher. La technique est perturbante, car elle met dans un état second, de flottement,
puisque l'on amène énormément d'oxygène au cerveau. Parfois, l'expérience me provoque des pleurs, sans
tristesse. Au quatrième jour du séjour, je suis témoin d'une scène saisissante. L'un des membres du groupe se
met à hurler, les yeux révulsés. Il se cambre, convulse, fait des gestes incohérents, provoquant la panique et
l'incompréhension dans la salle. Morgane, une des naturopathes du groupe, s'approche vers ce quinquagénaire
aux lunettes carrées, d'un caractère assez discret, pour tenter de le contrôler. Une stagiaire, qui se dit chamane,
fait de même, bouge les mains pour manipuler de potentielles énergies. Au bout de quelques minutes, l'homme,
en nage, retrouve connaissance, se calme. Il était en transe.

Face à cet évènement impressionnant, Miguel n'a jamais semblé inquiet. L'homme en a vu d'autres ; il a déjà
ingéré de l'ayahuasca (un breuvage hallucinogène, NDLR) en compagnie d'un chamane au Pérou. Il a vu des
scènes bien plus loufoques ; pire, la plante lui a provoqué vomissements et diarrhées pendant plusieurs semaines.
Du côté des stagiaires, beaucoup en ressortent choqués. Pendant le repas, un jeune homme originaire de Nice,
qui se dit radiesthésiste, tente d'analyser la situation avec son pendule. Son outil - qui n'offre pas de meilleur
résultat que le hasard, car influencé par celui qui le tient en main - révèle qu'un «démon» a pénétré le corps de cet
homme. Que ce dernier aurait parlé en araméen. Une quinquagénaire le questionne : elle craint que l'entité n'ait
envahi son propre corps. Le pendule se veut rassurant : «Le démon est toujours en lui, pas d’inquiétude».
Particulièrement intrigué par cette histoire, je décide, un soir, d'aller discuter avec l’homme qui était en transe. À
ma plus grande surprise, il n’est pas du tout choqué par ce qu'il s'est passé. Ce passionné de tao me dit avoir
simplement voulu donner libre mouvement à son corps, et même avoir voulu le faire pour le «spectacle» et le
«plaisir de laisser monter les énergies qui arrivent». Loin de toute considération démoniaque, donc. Le dernier
jour, une femme - celle qui avait tenté d'utiliser ses «pouvoirs» pour calmer le quinquagénaire possédé - observe
des convulsions du même type. Mais cette fois, les cris s'apparentent plus à une jouissance qu'à une souffrance.
«Vous voyez tout ce qu'on peut faire avec une simple respiration ?», nous glisse Miguel, narquois, à la fin de la
séance. Cette fois, l’assemblée apparaît plus interloquée qu’effrayée.

Un stagiaire brandit son pendule pour analyser la «transe» survenue lors de la respiration. Etienne JACOB / LE FIGARO
«Réinformation» et «canal médiumique»
Les participants au stage d'Irène Grosjean semblent quasiment tous entretenir une proximité inhabituelle avec les
domaines du charlatanisme et des médecines alternatives. Certains pratiquent, d'autres enseignent. Et mettent
sur un pied d'égalité les activités de soin non régulées, la science et la médecine conventionnelle. Beaucoup ont
connu le cru via Thierry Casasnovas, l'autre star du secteur, mis en examen récemment pour exercice illégal de la
médecine. Une trentenaire a pris part à un de ses stages il y a quelques mois. Elle en tire une expérience
formidable, au moins aussi forte qu’avec Irène Grosjean. «La justice veut l'abattre, alors son équipe a repris la
main discrètement», me souffle-t-elle. Rayan, un jeune participant très éloquent, est, lui, très proche des domaines
du paranormal. En fin de séjour, j'ai une discussion avec lui lors de laquelle il associe mes pressentiments avec le
fait d'avoir un «canal médiumique» propice à la pratique de la radiesthésie. Point commun de la plupart des
stagiaires ; ils sont englués dans une idéologie conspirationniste particulièrement prononcée. «Par quel biais vous
informez-vous ?», ose-je demander dès le deuxième jour, attablé avec plusieurs personnes critiquant les vaccins,
dans lesquels on injecterait des ondes 5G pour nous contrôler. «On ne s'informe pas», répondent-ils en chœur.
L'un d'eux s'empresse de me donner le lien d'un canal Telegram de «réinformation» sur lequel je suis censé
trouver des «merveilles». De nombreux articles partagés là-bas redirigent vers des sites conspirationnistes ou
prorusses. Ces contenus évoquent, pêle-mêle, l'existence des reptiliens, les cercles dans les champs signés par
les extraterrestres, ou encore la théorie d'un complot mondial pédosataniste.

Irène Grosjean, elle-même, semble atteinte par cette boucle de désinformation. Le sucre blanc, prétend-elle, serait
passé au noir animal (des os calcinés, NDLR), et au bleu de méthylène pour être raffiné. Une technique interdite
depuis plusieurs dizaines d'années en France. Tous les cancéreux qu'elle rencontre mangeraient «beaucoup de
yaourts». La faute à Nestlé, d’après elle. Dans ses propos, elle entretient une peur-panique de la médecine
conventionnelle. La nonagénaire aurait failli perdre son fils, atteint d'une forte fièvre il y a plusieurs dizaines
d'années, à cause d'un hôpital qui aurait refusé l'intervention d'un magnétiseur. «Je suis allée le chercher moi-
même pour le faire magnétiser à l'extérieur. Quelques mois après, il était sauvé», dresse-t-elle. En Afrique - où les
gens sont «plus solides et moins civilisés» selon elle - personne ne serait impuissant, stérile, ou diabétique. Des
maladies propres aux territoires occidentaux, faute à leur alimentation cuite, avance-t-elle. «Quid des enfants qui
meurent, là-bas, de la rougeole ?», tente de demander une femme trop curieuse. «Ce sont uniquement ceux dans
les dispensaires, affirme-t-elle. Ceux qui vivent dans la campagne vont très bien». Après tout, puisque «toutes les
maladies sont guérissables», pourquoi s'inquiéter ? Pour faire baisser la température d'un enfant, il suffirait de lui
tremper les fesses et les parties génitales dans un bain d'eau froide et de lui frotter le prépuce ou les lèvres avec
un gant. La méthode, inventée par le naturopathe allemand Louis Kuhne au 19e siècle, est une «merveille» pour
les plus jeunes. Et Irène se veut rassurante. «Au début, ils ne sont “pas très d'accord”, mais finalement, ils
deviennent coopératifs.» Il y a quelques années, Irène Grosjean avait été accusée d’encourager les agressions
sexuelles en tenant de tel propos. Cette semaine, elle a préféré les maintenir avec force.

Dans le quatrième épisode de mon infiltration, qui sera publié la semaine prochaine, j’assisterai au point d’orgue
du stage organisé par Irène Grosjean : la purge. Essentielle pour expulser les «colles» et «acides» qui auraient
prétendument empoisonné notre organisme, cette technique va réserver plusieurs surprises au groupe de
stagiaires. Comme le dit la nonagénaire : «Pour atteindre le paradis et sortir de l'enfer, il faut passer par le
purgatoire».

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