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Le stage s'est déroulé dans un petit village des Hautes-Alpes. Etienne JACOB / LE FIGARO
Afin de récolter les plus authentiques témoignages, j'ai infiltré sous couvert
d'anonymat ce stage où Irène Grosjean, Miguel Barthéléry mais aussi le naturopathe
Jean-Charles Fraschina promeuvent le manger cru, les purges de nettoyage et les
jeûnes longs, tout en rejetant sévèrement la médecine conventionnelle. Cette
immersion en plusieurs épisodes va vous plonger dans un groupe de personnes,
perdues pour la plupart dans une spirale conspirationniste, qui espéraient trouver la
solution miracle pour aller mieux. Savaient-elles qu'entre 2018 et 2021, le
crudivorisme a fait l'objet de 16 signalements auprès de la Mission interministérielle
de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) ? «Il y a un certain
nombre de référents en naturopathie qui sont au cœur de dérives thérapeutiques et
sectaires», constatait l'an dernier l'ex-président de la mission, Christian Gravel.
L'Ordre des médecins, lui-même, a tout fait, à l'été 2022, pour que la plateforme
Doctolib supprime certains naturopathes controversés de sa plateforme, craignant la
confusion entre professionnels de santé et discipline sans fondement médical.
Les stagiaires – ils seront une cinquantaine au total - se massent petit à petit autour
de la vieille dame, l'air émerveillé. Cette femme a le sens de la formule et entonne au
moindre blanc l'Hymne à la joie, sans les paroles. Il y a Julien, venu de Lyon pour un
diabète type 1. Régis, qui cumule les problèmes de digestion, Jean-Paul, aux crises
d'asthme foudroyantes. Ou encore Marie, qui vient pour la sixième fois assister aux
enseignements d'«Irène». «On en apprend à chaque fois», assure-t-elle. «Vous avez
fait le bon choix en venant ici, c'est comme cela que vous pourrez espérer être super
conscient et cesser de faire mal à Dieu (maladiE)», reprend la nonagénaire. Pas
avare en références religieuses, elle cite le philosophe hongrois Edmond Bordeaux
Szekely, qui a traduit L'Évangile pour la paix, de Jésus-Christ par le disciple Jean.
Selon elle, l'homme aurait découvert que les Esséniens puis Jésus, auraient eu une
alimentation vivante (végétarienne, en réalité). «La chair des animaux abattus
deviendra pour son corps son propre tombeau», aurait dit Jésus dans le texte traduit
par Szekely.
À savoir
Les discours préconisant une médecine parallèle non éprouvée peuvent inciter les participants à se
détourner de la médecine conventionnelle et de leurs traitements médicaux, engendrant de graves
conséquences pour leur santé et les exposant à une perte de chance. (Miviludes, rapport 2021 )
Du religieux, on passe ensuite à l'ésotérisme. Irène va nous chercher un livre sur les
anges et invite chacun à découvrir son «ange gardien» selon sa date de naissance. Il
n'y a pas de hasard, celui d'Irène est Seheiah, ou «Dieu qui guérit les malades». Il
symboliserait la santé et la longévité. Dans l'assemblée, les nouveaux venus
semblent estomaqués par la justesse de ces écrits. La coïncidence, effectivement,
prête à sourire. Les prédictions des anges s'avèrent en revanche moins précises pour
les autres participants, moi compris. Mais tel un horoscope, il est facile de se
retrouver dans des généralités. L'Hymne à la joie à nouveau entonné, Irène Grosjean
ne perd pas le Nord. Elle confie sa «surprise» d'avoir vu sa vidéo sur la «vie en
abondance» faire le buzz il y a quelques années sur YouTube, jusqu'à compter plus
de deux millions de vues. «Au-delà des nuages il y a toujours le soleil, c'est le titre de
mon prochain livre.» Le premier, se félicite-t-elle, aurait été en tête des ventes de la
Fnac (il a figuré en bonne place dans la catégorie «médecine naturelle», en vérité).
Autour d'elle, les stagiaires l'ont quasi tous lu.
L'ange intérieur. Etienne JACOB / LE FIGARO
Photos et enregistrements interdits
Cette première entrevue avec Irène Grosjean pose les bases de mon séjour dans les
Hautes-Alpes. Le premier repas, lui aussi, annonce la couleur. Jus rouge lacto-
fermenté, carottes, salade de melon jaune, fruits à gogo… et crème (sans crème) au
chocolat. Dans la salle principale de l'hôtel, je fais connaissance avec mes
compagnons attablés. Je compte environ trois quarts de femmes. La moyenne d'âge
semble d'environ 50 ans, mais je suis surpris de voir plusieurs jeunes. Il y a Maria,
cette Franco-Moldave d'une trentaine d'années. Devenue naturopathe (elle aussi) en
2018, elle a vite stoppé son activité. Après cinq consultations, elle s'est rendu compte
qu'il y a souvent «trop à changer» dans l'hygiène de vie des gens. Fan de cuisine
crue, ou «crusine», elle rêve d'ouvrir un restaurant, espère que le stage pourra lui
permettre de perfectionner ses talents. Je discute aussi avec Christine, la
quarantaine. Cette kinésithérapeute de formation a littéralement quitté son métier,
qu'elle juge trop axé sur «la rentabilité et le profit» et prodigue désormais des
massages dans les Antilles. Elle couple ceci avec de l'hypnose, mais aussi de la
lithothérapie, cette discipline pseudoscientifique qui consacre le pouvoir des pierres et
autres cristaux. «Je viens pour me faire embrigader», se motive-t-elle, tout en
espérant convaincre son fils, sportif professionnel, de manger cru. «Pour l'instant, son
club lui fait manger beaucoup de viande, donc c'est un peu difficile.» Puis il y a
Sylviane. Elle s'est mise au cru il y a quelques mois, après avoir été formée en Inde à
la médecine et l'alimentation ayurvédique, cette pratique non conventionnelle
holistique qui découle de la tradition ancestrale du pays le plus peuplé du monde.
«J'ai pas mal morflé là-bas, alors j'espère qu'ici, les choses se feront en douceur.»
Rendez-vous pris.
Miguel nous apprend que les organisateurs sont quasiment tous naturopathes. Ou
plutôt «éducateurs de santé», interrompt Irène Grosjean. Intenable, elle rejette ses
confrères qui prescrivent des compléments alimentaires. Elle rêve de créer un centre
pour former ces «éducateurs» sur le territoire. Reprenant son discours, Miguel ne
manque pas de nous préciser que des consultations individuelles seront possibles
pendant la semaine, à divers créneaux horaires. «On ne voudrait pas vous pousser à
la consommation», promet-il. Le tarif de ces entretiens est de 100 euros pour 30
minutes et permettrait de «partir sur de bonnes bases» dans notre changement de
vie. Motivés, les stagiaires auront quasiment rempli le planning des thérapeutes dès
le premier soir. Morgane Barthéléry, elle, propose, en plus de consultations
classiques, des séances de cupping, autre pseudoscience qui consiste en
l'application de ventouses sur le corps. La technique, issue de la médecine
traditionnelle chinoise, est très en vogue car popularisée par des sportifs comme
Karim Benzema et Michael Phelps. Elle aurait, d'après Miguel, des propriétés
relaxantes, tout en aidant à la digestion après une purge. Elle permettrait aussi
d'éliminer la cellulite, tonifier la peau, et même d'agir sur l'insomnie, l'anxiété, ou en
cas de ménopause.
Les vertus présumées du «cupping». Etienne JACOB / LE FIGARO
Si Irène Grosjean veut que tout le monde se comporte avec la candeur d'un enfant,
Miguel préfère nous considérer «comme des adultes». «Vous êtes capables
d'exprimer vos besoins. Si quelque chose ne va pas, ne supposez pas que l'on sait
ce qu'il se passe». Une manière à peine voilée de montrer que le stage, même
émaillé d'une purge, ne sera pas vraiment encadré. «Vous avez le choix de tout ce
que vous voulez faire», rappelle-t-il. L'instructeur affirme que ce qui nous sera appris
n'est pas de la «théorie» mais le fruit de leur «expérience», et des «milliers de
personnes accompagnées». «On ne vous dira jamais de faire mais on vous le
conseillera», martèle-t-il, comme pour tenter de se dédouaner en cas de problème. Et
de préciser qu'il sera important d'accorder de l'importance à la «confidentialité» et ne
pas «courir sur les réseaux» pour relayer ce qui vient d'être dit. «Ça paraît bête mais
il suffit d'une personne pour foutre en l'air tout un truc», poursuit-il. Il sera interdit de
garder les téléphones lors des conférences, de faire des enregistrements, et des
photos. «Les choses peuvent être prises hors de leur contexte», déplore-t-il. Ces
semaines peuvent être proposées car «notre confidentialité est respectée». Mais
pourquoi vouloir à tout prix rester caché si l'on n’a rien à se reprocher ? «Il y a peut-
être des juges, des policiers, des avocats, qui ne veulent pas qu'on sache qu'ils sont
là», justifie-t-il. Malgré cette mise en garde on ne peut plus sèche, Irène Grosjean
entonne, sans ciller, une nouvelle fois l'Hymne à la joie. Tout le monde suit, dans un
entrain non feint.
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