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Ethnologie française.
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I RÉSUMÉ
Dans la secondemoitiédu XIXesiècle,et plusencoreaprèsles années1860,le corps,en tantqu'organisme de chair,occupe
en Franceune placegrandissante dansl'interprétationdesmanifestations
de l'invisible,
fortnombreuses en ces décennies.A
traversles expériencesmédicalesentreprisesdansles grandshôpitauxparisiensde la Charitéet de la Salpêtrière,
à travers
etenfinà travers
cellesde spirites cellesde théologiens chacunchercheà démontrer
catholiques, la véracitéde sesconceptions
desvisionsetdeshallucinations. dansunesurenchère
Chacunprendappui,dansle concretde la réalitésomatique, d'arguments
dontles enjeuxsontle plussouventopposés.
Mots-clefs: Hysterie. Hôpital.Hallucination.
Spiritisme. Lourdes.
Nicole Edelman
UniversitéParixX-Nanterre
200, av.de la République
92001 Nanterre
nicole.edelman@wanadoo.fr
XXXIII, 2003, 4
française,
Ethnologie
symptômes de l'hystérie, à
liésà une lésionsinemateria, les spiritesse veulentalors des «positivistes spirituels»
une lésiondynamique du cerveau. [Delanne,1897 : 307].Ilsentreprennent desexpériences
s'inscrivent
Ces interprétations dansle débatsuscité pour prouverla véracitéde certaines visionset l'exis-
parl'hypnose,que Charcotancredansle domainescien- tencematérielledes fantômes.Ils supposentun qua-
tifiqueen la rattachantétroitement Pour
à l'hystérie. trièmeétatde la matière: celuide la matière « radiante »,
l'ensembledes neurologistes, comme
les hallucinations rayonnante, dont l'existencedémontrerait celle des
l'hypnosesontdoncdesphénomènes nerveux. En 1889, espritsque lesmédiumsaffirment voir.Fantômes, ecto-
au congrèsinternationalde Psychologie physiologique, plasmes,empreintes dans de l'argile fraîche visent à
Joseph Babinski(1857-1932),procheencoreà cettedate prouver l'existence physique de cescorps[Berge,1990;
de Charcot,soulignela finalité de cet enjeu médical: Edelman, 1995 ; Méheust,1998]. Pour ce faire,le
« Un des caractèresessentielsest Vimportanceattribuéeà la conceptde « périsprit » estcentral. Si la naturede l'âme
présencedes phénomènessomatiques; ceux-cine peuventêtre estinconnue,il existeen revanche, pourles spirites, un
simulés,c'est là une véritéadmise sans contestepar tous ceux « corpsfluidique » qui l'entoureaprèsla mortet qui en
qui se sont livrésà ces études; c'est cettepreuve matériellede faitun êtredistinct et individualisé. L'âme ainsirevêtue
Vabsence de la simulationqui a permis a Vhypnotisme, si de cetteenveloppeestvisibleparceque ce « périsprit »
repoussépar les savants,d'entrerdéfinitivement dans estmatériel.Le périsprit permet à la fois la « sortiede
longtemps
le domainede la science» [Babinski, 1890]. corps» pourles vivantset la matérialisation des esprits
Au-delàdesspécialistes desmaladiesdu système ner- aprèsla mort,c'est-à-dire la capacitédesesprits à se faire
veux,les aliénistes, spécialistesdes maladiesmentales, voir.Il expliqueaussil'hypnoseet ses effets, hallucina-
enracinent, eux aussi,les hallucinations dansle système tionset visionsen particulier. Les spiritesdistinguent
nerveuxcérébral dontle psychisme humainn'est,selon « médiumnité » et somnambulisme qui, seloneux,sont
eux,qu'unsupport. Ilspensenten effet la folieen termes de naturedifférente. « Le somnambule agitsousl'influence
d'atteintecérébrale, avec pour étiologieune hérédité de sonpropre esprit : c'estson âmequi, dansles moment
morbide[Dowbigging, 1994]. Les passions ont cédé la d'émancipation, voit,entend etperçoit en dehors deslimites
dessens[...] Le médium, au contraire, estl'instrument d'une
place à une prépondérance cérébrale,dès les années
1850, en particulier avec les analysesde J. P. Falret intelligenceétrangère» [Kardec,1984, lreéd. 1861 : 201].
(1864). Nombre d'aliénistes ont ainsila certitude que Cependant, l'âme,de l'un commede l'autre,emportée
l'anatomiepathologiquemettraau jour la cause pre- horsde son corpsdansson périsprit, peut réellement
mièrede la maladiementale.Ainsi,l'une des malades voirce qu'il dit voir,sansêtrehalluciné.Le médium
de Valentin Magnan(1835-1916),médecinau toutnou- possède seulementune plus grandecapacitéà voir
velasilede Sainte- Anne,entendla voixde Dieu qui lui puisqu'ilesthabitépar un espritétranger qui le guide
dans sa vision.Les spiritesréfutent donc l'hypothèse
parleparl'oreilledroite.Dieu lui annoncequ'elle sera d'un inconscient 1887: 619]
présidente de la Républiqueet qu'elleaccoucherad'un psychique4 [Revuespirite,
filsaussisavant en défendant l'idée que l'existencedes espritset du
que le Christ[Magnan,1885 : 355].Dans
son observation clinique,Magnanlie étroitement ce périsprit estbienpluspertinente que celled'unincons-
d'hallucination bilatéralede l'ouïe à cient.Ilsarguent par ailleurs des théories évolutionnistes
type l'indépendance
des deux hémisphères cérébraux.En conséquencede de Darwin pour affirmer qu'un second « moi» aussi
faibleauraitde toutefaçondû disparaître s'ilavaitexisté
quoi,il placele siègede ces hallucinations dansles cen-
tressensoriels de l'écorcecérébrale. [Revuespirite,1892 : 99].
Selon cetteargumentation, les spiritesont d'abord
tentéde prouverla réalitéde ces visionsparla photo-
graphie.Ce futun échec retentissant. P. G. Leymarie,
■ L'interprétationspirite directeurde la Revuespirite depuisla mortd'AllanKar-
dec, avaitd'abordachetéplusieurs photos« spectrales»
Ces décennies,surtoutcelle des années1880, sont réaliséespar des spiritesnord-américains puis avait
aussicellesd'unrenouveaud'intérêt pourl'occulte.Les engagéun photographe, JeanBuguet,pourparvenir à
interprétations médicales,qui pathologisent visionset sesfins.Couvertd'élogesdansun premier tempsparses
hallucinations, ne satisfont pas les groupesspiritualistes acheteurs qui reconnaissaient leurdéfunt surlesphotos,
qui se créent à cette époque.Les spirites proposent ainsi Buguetfutvitesoupçonnéde fraude.Mises au jour5,
d'autres explications. Ilscherchent à prouver l'interven- ses malversations sont sanctionnées par la justice en
tiond'espritsà l'œuvredans ces manifestations. Ils se 1875.Pourautant,P. G. Leymarie ne doutade la réalité
placentcependant surle mêmeterrain que lesmédecins ni des espritsni du périsprit, de l'existencedesquelsil
matérialistes.Ils suiventen cela la recommandation de avaittoujoursla volontéde fairela preuve.La « Société
leurmaîtreà penserAllanKardec(morten 1869) : le scientifique d'étudespsychologiques » se crée ainsien
spiritisme ne doitjamaisse laisserdépasser parla science. juin 1878, à des finsde recherches En
scientifiques.
Il doit intégrer toutesles nouvellesdécouvertesà sa janvier1882, GabrielDelanne,ingénieur, centreson
pensée.Autourd'une nouvellegénération de croyants, nouveau journal Le Spiritisme, organede l'Union spirite
Ethnologiefrançaise,XXXIII, 2003, 4
Ethnologiefrançaise,XXXIII, 2003, 4
Seigneur lui-mêmeprononceces paroles que le mode même les transformations physiologiques du ou de la mira-
produitspar la vision, rassureet
d'entendrejoint aux effets culé-esontinexplicables horsdu miracle.Parce détour
donne la certitudeque le démon n'est point Vauteur [...] » purement organique, ces médecinsrendent alorscrédi-
[Vacant, op.cit.,t. 13 : 2587]. Quelques siècles plustard, bles l'hallucination démoniaque ou la vision beatifique.
des hystériques disentaussiconnaître ces hallucinations « Sí vous ne croyezpas aux apparitions,croyezau moinsaux
bienheureuses etapaisantes etse transforment volontiers choses quiontsuivi», écrit,en 1900,le docteurBoissarie,
en visionnaires extatiques dans les salles de la Charité responsable du « Bureaudes constatations médicalesde
ou de la Salpêtrière. Ainsi,pendantla troisième période Lourdes» [Dr Boissarie,1900 : 542]. Il énoncealorsles
de la crisehystérique, lesfemmes, rappelleCharcot,sont guérisonsde maladiesgraves,de plaies béanteset
plus souvent sujettes à des hallucinations gaiesque les compliquéesde gangrènes, de tumeurs blanches, de mal
hommes. « La malade se croitpar exemple transportée dans de Pott,de cancer...Il accuseCharcotd'avoirécritLa
unjardin magnifique,sorted'Eden, où souventlesfleurssont foi quiguérit [Charcot,1984] sansjamaisêtrevenului-
rouges et les habitants vêtus de rouge. On y joue de la même examiner ces guérisons à Lourdes.Dans cetarti-
musique [...] Chez les hommes,[les] visionslugubreset ter- cle, Charcotaffirme en effet qu'il existedes guérisons,
rifiantesoccupentpresque à elles seules toute la troisième y comprisde tumeurs, d'ulcèreset mêmede cancers
période. Les hallucinations gaies sont pour ainsi dire excep- (terme qu'il prend non pasau piedde la lettre maisdans
tionnelles.» Plus encore,on peut voir des hystériques sonacceptionhistologique) qui paraissent miraculeuses,
« mêmefilles du vulgaire[...], prendresous l'empired'hallu- parcequ'ellessontopéréesen dehorsdes moyensdont
cinationsd'ordrereligieuxdes attitudesd'une expressionsi la médecinecurative disposed'ordinaire. Ces guérisons
vraieet si intenseque les acteursles plus consommésne sau- n'échappent paspourautantà l'ordrenaturel, maisrelè-
raientmieuxfaire et que les plus grands artistesne sauraient venttrèsgénéralement d'une hystérie. Charcotdéve-
trouverdes modèlesplus dignes de leurpinceau » [Charcot, loppel'idée d'une influence du mentalsurle physique,
Richer,1984, lreéd. 1886 : 102 et 109]. touten continuant à rapporter le psychologique au phy-
Confrontés à l'anticléricalisme violentdes débutsde siologique8.Sous l'effet d'uneviolenteémotionprépa-
la IIP République,à la pathologisation de ces phéno- rée longuement par une attente, Charcotexpliqueles
mèneshallucinatoires etvisionnaires parl'écolede Paris, guérisonspar le rétablissement de l'influxmoteurissu
lescatholiques s'efforcent, danscesannées1880,de met- du cerveau,qui permetla disparition des œdèmes,des
treen placeunesciencecatholiquequi puissefairefront contractures, des paralysies puis,peu à peu, la régéné-
à la sciencelaïquetropsouventmatérialiste à leursyeux. rationmusculaire. Toutcelane peutcependant se dérou-
Un congrèsscientifique catholiquese tienten 1888.Des lerqu'à certaines conditions. Il esten effet bienentendu
médecinscatholiques se regroupent dansla « Sociétéde que «pour qu'elle [la guérison] trouveà s'exercer,ilfaut à
Saint-Luc», crééeen 1884 [Guillaume, 1990 ; Léonard, la faith-healing des sujetsspéciaux et des maladiesspéciales,
1978].Des prêtres médecinscherchent à tenirensemble de cellesqui sontjusticiablesde l'influenceque Vespritpossède
pourles comprendre les découvertes neurologiques et surle corps» [Charcot,1892 : 122].
lesphénomènes En
mystiques. rapprochant étroitement Le Dr Boissarie condamnefermement cetteinterpré-
extase-possession-hallucination et hystérie, J.M. Char- tationcharcotienne. Il esten revanche beaucoupmoins
cotlanceun défiauxquelsles catholiques se doiventde sévèreà l'égardd'HippolyteBernheim(1840-1919)
répondre. Un des hautslieuxde ce combatse trouveà qu'ilconsidère commebeaucoupplusloyal.Ce médecin
Lourdes.Le débaty prendvraiment formescientifique hospitalier nancéienpenseen effet que la suggestion ne
avecl'ouverture du « Bureaudes constatations médica- s'adressepas directement à la lésion,mais au trouble
les» en 1883. Son principalmédecin,le baronDunot fonctionnel, qui peutdoncseulêtreguéri.SelonBern-
de Saint-Maclou, entourébientôtd'une dizainede ses heimcependant, au-delàde l'hystérie, descontractures,
confrères, dontbeaucoupne fontque passer,se penche des paralysies et de tousles phénomènesfonctionnels
alorsavec une extrêmeattention surles corpset leur qui lui sontliés,la suggestion a deseffets thérapeutiques
éventuelleguérisonquand il y a miracle.« Le miracle puissants surdes troublesliés à des lésionsorganiques.
[pour l'Église], est une manifestation extraordinaire de Dieu, En 1884,Bernheimpubliela synthèse de sespremières
par une œuvreque nul agent ne peut produire.Ce n'est donc réflexions surla suggestion, qu'il définitalorscomme
pas, commeon le répètetropsouvent,une transgression ou une « l'influenceprovoquéepar une idée suggéréeet acceptéepar le
suspensiondes lois de la nature,mais unfait qui est à sa place » [Bernheim,
cerveau 1884 : 73]. Il y montrecomment
dans les décretsde Dieu. [...] Il est extraordinairequant au un dormeurhypnotisé peutvoiretextérioriser desima-
mondephysique auquel il appartient,en ce sens que le jeu ges déposéesdansson cerveau qui fonctionne
alorsen
naturelet continudes causes secondes,ordonnéesdans cette automatisme.L'hallucinationpeutaussiêtrespontanée,
sphère,ne Vengendre pas » [Annales de Notre-Dame de Lour- « memorative
ou consécutive
à une impression
sensorielledéfec-
des,1891 : 297]. tueuse»[Bernheim,1884: 80]. Pour Bernheim,à la
Pourcesmédecins, il s'agitde dénoncerglobalement différence
de Charcot,l'hallucination
estdoncun phé-
la possibilité
d'unehystérie qui guérirait
parsuggestion nomène naturelnon pathologique.Comme pour le
ou autosuggestion.Il convientdonc de démontrer que neurologueparisien,elle estcependantun faitd'ordre
Ethnologiefrançaise,XXXIII, 2003, 4
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I ABSTRACT
(1870-1890): a somaticimpression
The invisible
In the secondhalfof the 19thcenturyand more especiallyafterthe years1860 more and moreimportanceis givenin Franceto
thebodyas a fleshlyorganismin theinterpretation of theinvisible,
of manifestations whichareverynumerousin thosedecades.On
the basisof medicalexperiments of thoseof spiritualists
carriedout in the greatParisianhospitalsof la Charitéand la Salpêtrière,
and catholictheologians,everybodytriesto demonstrate usingto this
the veracityof his conceptionsof visionsand hallucinations,
end the concretesomaticrealityand overabundant mostoftenoppositearguments.
js^eyworas: nysiena. .spiritism, nospitai. nanucinauon. juourucs.
I ZUSAMMENFASSUNG
Eindruck
(1870-1890): ein somatischer
Das Unsichtbare
In der zweitenHälftedes 19. Jahrhunderts und besondersin den 60erJahrennimmtder Korper als Meischesorganismus eine
zunehmendeBedeutungin Frankreich des Unsichtbaren,
der Manifestationen
in der Interpretation die in jenen Jahrzehntensehr
zahlreichsind.Aufgrundder in den grossenPariserKrankenhäuser von La Charitéund La Salpêtrièredurchgeführten ärztlichen
Experimenteund derjenigenvon Spiritistenund katholischenTheologenveruscht seinerAuffassungen
jeder die Wahrhaftigkeit von
Visionenund Halluzinationenzu beweisen,indemer sich dabei aufdie somatischeRealitätund ein Mehrgebotmeistensgegensät-
zlicherArgumentestützt.
Stichwörter: Krankenhaus.Halluzination.Lourdes.
Hysterie.Spiritismus.
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française,
Ethnologie