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L'invisible (1870-1890) : une inscription somatique

Author(s): Nicole Edelman


Source: Ethnologie française, nouvelle serie, T. 33, No. 4, VOIX, VISIONS, APPARITIONS
(Octobre-Décembre 2003), pp. 593-600
Published by: Presses Universitaires de France
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L'invisible (1870-1890) :
une inscriptionsomatique
Nicole Edelman
ParisX-Nanterre

I RÉSUMÉ
Dans la secondemoitiédu XIXesiècle,et plusencoreaprèsles années1860,le corps,en tantqu'organisme de chair,occupe
en Franceune placegrandissante dansl'interprétationdesmanifestations
de l'invisible,
fortnombreuses en ces décennies.A
traversles expériencesmédicalesentreprisesdansles grandshôpitauxparisiensde la Charitéet de la Salpêtrière,
à travers
etenfinà travers
cellesde spirites cellesde théologiens chacunchercheà démontrer
catholiques, la véracitéde sesconceptions
desvisionsetdeshallucinations. dansunesurenchère
Chacunprendappui,dansle concretde la réalitésomatique, d'arguments
dontles enjeuxsontle plussouventopposés.
Mots-clefs: Hysterie. Hôpital.Hallucination.
Spiritisme. Lourdes.
Nicole Edelman
UniversitéParixX-Nanterre
200, av.de la République
92001 Nanterre
nicole.edelman@wanadoo.fr

■ Expériences hospitalières médicaux.Elles se déroulentessentiellement dansles


hôpitaux de la Salpêtrièreautour deJ. M. Charcot etde
Ces annéessontcellesde la toute-puissance de Jean la CharitéautourdeJulesLuys(1828-1897).Ces expé-
MartinCharcot(1825-1893).Lestravaux de ce médecin riencessontainsilargement reçuescommevraies.
construisent une spécialitéà partentière: la neurologie À la Salpêtrière,Désiré-Magloire Bourneville(1840-
[Bonduelle, Gelfand, Goetz, 1996].En janvier1882,la 1909),brasdroitde Charcotde 1871 à 1879,observe
premièrechairedes maladiesdu systèmenerveuxest précisément ces hallucinations : gaies,tristes,
biensou-
crééepourluiparGambetta à la Salpêtrière.
Lesrapports vent« génésiques », à savoirliéesau système génital.Il
entreanatomieetphysiologie se modifient alorsprofon- transcritaussile délireverbaldesmaladesde la salledes
démentgrâceau développement considérablede l'étude hystériques et épileptiques non aliénéesdu servicedont
cliniquede cespathologies nerveuses. La compréhension estresponsable sonpatron.Ces femmes sonthallucinées.
ducerveauhumainenestbouleversée [Gasser,1995].Les Elles voientdes hommes,des animaux,des morts,la
étudessurl'hystérie se déploientdansce cadreneurolo- Vierge,etc.Ainsi,RosalieLer...,lorsde sesattaquesde
gique.Extases,hallucinations, visionsdeviennent l'objet crucifiements1, aperçoitla Vierge« dorée» etJésusavec
d'expériences répétées dans différents hôpitaux.Autour unegrandebarberouge[Bourneville etRégnard,1876-
de 1'«école de Paris», toutessontrapportées à desphé- 1878,t. 1 : 23]. Augustine a desvisions, que Bourneville
nomènesneurologiques liésà unepathologie hystérique. transcritainsi : « Tantôt,elle voitJules (l'ouvrier peintre),
Ellessontle plussouvent obtenues soushypnose queJean qui tientuncouteaud'unemain,la menaceetluiintime Vordre
MartinCharcotconsidère commeune hystérie expéri- de veniraveclui ; il a surlesépaulesdescorbeaux qui appellent
mentale[Carroy,1991]. Cette « neurologisation » vise la malade; tantôtelle voitle chariot des mortstraînépar
nonseulement à écartertouteconception nonnaturelle, six bêtesde la grosseur d'un chiende Terre-Neuve, avecdes
maisaussià pathologiser les phénomènesvisionnaires, oreilles
toutenoires, longuesetplates.Les mortssontdécharnés,
qu'ilssoientcatholiques, spirites ou plusgénéralement ils ouvrentla boucheet ont des lumières dans les yeux. Le
occultes.Les expériences hospitalières,accomplies selon chariotestaccompagné d'une dizained'hommes qui l'appel-
desprotocoles donnéscommescientifiques, sonttrans- lent,entourés deflammes, de corbeauxet ornésd'un drapeau
criteset publiéesdans des revueset des ouvrages tricolore»
[Bournevilleet Régnard,1876-1878,t. 1:

Ethnologie XXXIII, 2003, 4, p. 593-600


française,

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132].Elle a de longsdéliresverbaux.Elle converse avec affirmant: « En résumé,nouspouvons concluredesfaits que


« sesInvisibles » : parents, amants, violeurs [Bourneville nous avons rapportés: T Que dans le délirede la phase pas-
et Régnard,1876-1878,t. 1 : 150]. Comme pour le sionnellede Vattaque hystérique,on peut modifierla marche
délirealcoolique,la zoopsieappartient aussiau tableau des hallucinationset en créerde nouvellesà Vaide d'excitations
clinique de ceshallucinations. Les hystériques voientdes diverses,mais toujourssimples,des organesdes sens. 2° Que
animauxde toutessortes, généralement fortpatibulaires, ces hallucinationssont toujoursindépendantesde la volontéde
des bêtessouventen formed'araignées, parfoisgrosses l'opérateuret laissées exclusivementà l'initiativedu malade,
commeune tortuenoireet couvertede poils. Rats, qui s'appropriela sensationperçueet la transforme à son gré
souris,chiens,vipères,lion,lézarddansle ventresont en une hallucinationcorrespondant à ses habitudes,à songenre
les visionsles plusfréquemment rapportées. Catherine de vie, à ses souvenirs,en un mot à sa proprepersonnalité»
Paring... raconte ses poursuites de rats qu'ellerencontre [Charcot,1893 : 54-55].
lors de ses hallucinations [Bournevilleet Régnard,
1876-1878,t. 3 : 81]. Une autremaladedécrit« un
serpenttrès gros,trèslonget toutvert»2 [Bourneville et ■
Hystérieet hallucination
Régnard,1876-1878,t. 1 : 102].
Le déliredes hystériques, hallucinatoire ou non, a Dans tous ces cas, l'hallucination est intégréeà la
toujours trait aux différentsévénements qui ont marqué Elle en constitue une des phases
leurvie. Bournevillesouligneces « réminiscences », sans nosologiehystérique.
nécessaire et attendue. La crise hystérique
pourautantles rattacher à desphénomènes psychiques, quasiment
débute normalement par la période épileptoïde, qui se
maistoujours,bien au contraire, à une étiologieneu- en une
divise elle-même phasetoniquepuis clonique
rologiquehystérique [Bournevilleet Régnard,1876- de tétanisation, terminée par un momentde détente. La
1878, t. 1 : 97]. Pour mieux observer ces phénomènes, deuxième c'estcelledes
eux-mêmes les hallucinations période estplus spectaculaire,
les médecinsprovoquent descontorsions, destoursde force,
mouvements,
qu'ils désirentobserver.Pour ce faire,ils mettentle grands de Vare. La troisième propose toutes sortes d'attitudes :
maladeen étatde catalepsie ou defascination, c'est-à-dire
prière, extase, séduction... La quatrième enfinouvresur
unétatde dépendance hypnotique complèteparrapport le délireet les hallucinations. Charcotnote cependant
au médecin.Ce derniersimulealorscertains actes,par « si
un oiseauou écraserun serpent... que certaines périodes peuvent manquer.Pourtant,
exemplepoursuivre vous avez la clé », affirme-t-il, « vous êtes ramenéstout de
Le maladevoitaussitôtici un oiseau,là un serpent.Si
le médecinévoque tel ou tel sentiment, tel ou tel ali- suite au type que vous reconstituezdans votreespritet, au
mentou encoretelleou tellesenteur, le maladeréagit bout d'un certaintempsvous dites: Malgré l'immensevariété
à sontourparlajoie, l'admiration, le dégoût,le plaisir... apparentedes phénomènes,c'est toujoursla même chose».
L'hallucination du maladepeut aussiêtreobtenuepar L'hallucination s'inscritdonc sans aucun doute pour
de certainsproduits : l'étherou le nitrite Charcot dans une pathologie, trèsgénéralement cellede
l'absorption « Tout à vous la malade regarde
d'amyle, parexemple.L'étherprovoque chez Augustine, unel'hystérie. coup, voyez qui
l'une des divascharcotiennes, des hallucinations très imagefictive: c'est une hallucinationqui varie selon les
: tantôtla malade donne des signesd'épouvanté,
voluptueuses. Leseffets du nitrite d'amylesonten revan- circonstances
tantôt des de joie, selon que le spectaclequ'elle croit
chedéplaisants : ellepeut voir en ce cas des « yeuxrouges, signes
desdents bleues, dusang» [Bourneville etRégnard,1876- avoir devant les yeux estépouvantableou plaisant » [Charcot,
1878,t. 1 : 190]. 1887-1888, rééd. 2002, t. 1 : 223].^L'hallucination
À la Charité,J. Luyspose surla joue ou le cou de trouveson originedans des phénomènesphysiologi-
ses maladesdes tubescontenant diverses substances. Il ques.Elleestliéeà unemodification de certaines régions
leur corticales. Aussi, une possible suggestion d'ordrepsy-
provoqueainsitoutessortesde réactionsde part,
allantdu plaisirau dégoût[Luys,1887].A la Salpêtrière, chique (au sensactueldu terme3)est-elleabsolument
des hallucinations, les médecinsGeorges écartéeparle neurologiste commeparsesdisciples. « Ces
poursuggérer de la volonté de
Guinon et Sophie Woltkeentreprennent une série hallucinations sont toujours indépendantes
variées. Ils des verres de couleur l'opérateur », écrivent Guinon et Woltke.L'appropriation
d'expériences posent
devantles yeux du malade.Ils le refroidissent ou le de l'hallucination parle maladeesten revancheclaire-
réchauffent. Ils le mouillent. Ils lui font entendre toutes ment indiquée. Déjà, Bournevilleremarquait que le
sortesde bruitsou de sons,etc. « Chacun[desmalades] caractère des hallucinations étaitfortement marquépar
» [Bourneville
à sa manièreet agit ou parle selon son interpréta- « le milieusocial, l'éducation,la vie antérieure
l'interprète
tion. C'est là précisémentun des phénomènescaractéristiques etRégnard,1876-1878,t. 1 : 218].Parailleurs, pendant
[...] » L'un évoqueun bainfroiden
decefaitpathologique tousremarquent
les délires, un changement de tondans
réactionà l'eau qu'il reçoit; l'autreun incendieen la diction.Le maladea presquetoujoursunevoixmélo-
un verrerouge; un troisième
à travers se croit dramatique Tousrappor-
seseffets.
qui chercheà forcer
regardant etvisionsà une étiologie
lorsqu'ilentendle sond'unetrom-
à un défilémilitaire tentnéanmoins hallucinations
pette...Les deux médecinsclosentces expériences en organique.Tous lisentces phénomènescomme les

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française,
Ethnologie

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symptômes de l'hystérie, à
liésà une lésionsinemateria, les spiritesse veulentalors des «positivistes spirituels»
une lésiondynamique du cerveau. [Delanne,1897 : 307].Ilsentreprennent desexpériences
s'inscrivent
Ces interprétations dansle débatsuscité pour prouverla véracitéde certaines visionset l'exis-
parl'hypnose,que Charcotancredansle domainescien- tencematérielledes fantômes.Ils supposentun qua-
tifiqueen la rattachantétroitement Pour
à l'hystérie. trièmeétatde la matière: celuide la matière « radiante »,
l'ensembledes neurologistes, comme
les hallucinations rayonnante, dont l'existencedémontrerait celle des
l'hypnosesontdoncdesphénomènes nerveux. En 1889, espritsque lesmédiumsaffirment voir.Fantômes, ecto-
au congrèsinternationalde Psychologie physiologique, plasmes,empreintes dans de l'argile fraîche visent à
Joseph Babinski(1857-1932),procheencoreà cettedate prouver l'existence physique de cescorps[Berge,1990;
de Charcot,soulignela finalité de cet enjeu médical: Edelman, 1995 ; Méheust,1998]. Pour ce faire,le
« Un des caractèresessentielsest Vimportanceattribuéeà la conceptde « périsprit » estcentral. Si la naturede l'âme
présencedes phénomènessomatiques; ceux-cine peuventêtre estinconnue,il existeen revanche, pourles spirites, un
simulés,c'est là une véritéadmise sans contestepar tous ceux « corpsfluidique » qui l'entoureaprèsla mortet qui en
qui se sont livrésà ces études; c'est cettepreuve matériellede faitun êtredistinct et individualisé. L'âme ainsirevêtue
Vabsence de la simulationqui a permis a Vhypnotisme, si de cetteenveloppeestvisibleparceque ce « périsprit »
repoussépar les savants,d'entrerdéfinitivement dans estmatériel.Le périsprit permet à la fois la « sortiede
longtemps
le domainede la science» [Babinski, 1890]. corps» pourles vivantset la matérialisation des esprits
Au-delàdesspécialistes desmaladiesdu système ner- aprèsla mort,c'est-à-dire la capacitédesesprits à se faire
veux,les aliénistes, spécialistesdes maladiesmentales, voir.Il expliqueaussil'hypnoseet ses effets, hallucina-
enracinent, eux aussi,les hallucinations dansle système tionset visionsen particulier. Les spiritesdistinguent
nerveuxcérébral dontle psychisme humainn'est,selon « médiumnité » et somnambulisme qui, seloneux,sont
eux,qu'unsupport. Ilspensenten effet la folieen termes de naturedifférente. « Le somnambule agitsousl'influence
d'atteintecérébrale, avec pour étiologieune hérédité de sonpropre esprit : c'estson âmequi, dansles moment
morbide[Dowbigging, 1994]. Les passions ont cédé la d'émancipation, voit,entend etperçoit en dehors deslimites
dessens[...] Le médium, au contraire, estl'instrument d'une
place à une prépondérance cérébrale,dès les années
1850, en particulier avec les analysesde J. P. Falret intelligenceétrangère» [Kardec,1984, lreéd. 1861 : 201].
(1864). Nombre d'aliénistes ont ainsila certitude que Cependant, l'âme,de l'un commede l'autre,emportée
l'anatomiepathologiquemettraau jour la cause pre- horsde son corpsdansson périsprit, peut réellement
mièrede la maladiementale.Ainsi,l'une des malades voirce qu'il dit voir,sansêtrehalluciné.Le médium
de Valentin Magnan(1835-1916),médecinau toutnou- possède seulementune plus grandecapacitéà voir
velasilede Sainte- Anne,entendla voixde Dieu qui lui puisqu'ilesthabitépar un espritétranger qui le guide
dans sa vision.Les spiritesréfutent donc l'hypothèse
parleparl'oreilledroite.Dieu lui annoncequ'elle sera d'un inconscient 1887: 619]
présidente de la Républiqueet qu'elleaccoucherad'un psychique4 [Revuespirite,
filsaussisavant en défendant l'idée que l'existencedes espritset du
que le Christ[Magnan,1885 : 355].Dans
son observation clinique,Magnanlie étroitement ce périsprit estbienpluspertinente que celled'unincons-
d'hallucination bilatéralede l'ouïe à cient.Ilsarguent par ailleurs des théories évolutionnistes
type l'indépendance
des deux hémisphères cérébraux.En conséquencede de Darwin pour affirmer qu'un second « moi» aussi
faibleauraitde toutefaçondû disparaître s'ilavaitexisté
quoi,il placele siègede ces hallucinations dansles cen-
tressensoriels de l'écorcecérébrale. [Revuespirite,1892 : 99].
Selon cetteargumentation, les spiritesont d'abord
tentéde prouverla réalitéde ces visionsparla photo-
graphie.Ce futun échec retentissant. P. G. Leymarie,
■ L'interprétationspirite directeurde la Revuespirite depuisla mortd'AllanKar-
dec, avaitd'abordachetéplusieurs photos« spectrales»
Ces décennies,surtoutcelle des années1880, sont réaliséespar des spiritesnord-américains puis avait
aussicellesd'unrenouveaud'intérêt pourl'occulte.Les engagéun photographe, JeanBuguet,pourparvenir à
interprétations médicales,qui pathologisent visionset sesfins.Couvertd'élogesdansun premier tempsparses
hallucinations, ne satisfont pas les groupesspiritualistes acheteurs qui reconnaissaient leurdéfunt surlesphotos,
qui se créent à cette époque.Les spirites proposent ainsi Buguetfutvitesoupçonnéde fraude.Mises au jour5,
d'autres explications. Ilscherchent à prouver l'interven- ses malversations sont sanctionnées par la justice en
tiond'espritsà l'œuvredans ces manifestations. Ils se 1875.Pourautant,P. G. Leymarie ne doutade la réalité
placentcependant surle mêmeterrain que lesmédecins ni des espritsni du périsprit, de l'existencedesquelsil
matérialistes.Ils suiventen cela la recommandation de avaittoujoursla volontéde fairela preuve.La « Société
leurmaîtreà penserAllanKardec(morten 1869) : le scientifique d'étudespsychologiques » se crée ainsien
spiritisme ne doitjamaisse laisserdépasser parla science. juin 1878, à des finsde recherches En
scientifiques.
Il doit intégrer toutesles nouvellesdécouvertesà sa janvier1882, GabrielDelanne,ingénieur, centreson
pensée.Autourd'une nouvellegénération de croyants, nouveau journal Le Spiritisme, organede l'Union spirite

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française surl'expérimentation [Edelman,2002 : 90-92] terprétationtournaitautour de la personne de Bernadette,


et se réclamede la psychologie expérimentale, qui naît de son corps»[Harris,2001 : 95]. L'apparitionmême
au même moment[Pias,2000 : 38-42]. Aprèsavoir de la Vierge,telle qu'elle est décritepar Bernadette
vérifié l'identité de l'espritrendant possiblecettemani- Soubirous, futobservéesouscetangle: Marieétaittrop
festation, il estime,commetousles spirites, que l'hal- petite,tropjeune, trop« mignonnette ». La voyanteest
lucination n'estqu'une visionde la réalitéde l'au-delà aussisujetd'observation. Elle estlonguement interrogée
ou d'ici-bas,renduepossibleparla matérialité du péris- tantparlesmédecinsque parlesautorités ecclésiastiques.
pritet de ses effets. Aussi,tousles spirites refusent-ils Dès les premières apparitions en février1858, elle est
l'existence d'undédoublement de personnalité ou d'une soupçonnéed'êtrehallucinée.Le terme« hallucination »
possibledivisiondu moi.Poureux,ce phénomènemet est ainsinoté à plusieursreprisesdansles rapports du
seulement en évidenceune dualitéau seinde l'être.La commissariat de policecantonalau préfetet danscelui
dualitéestharmonieuse si l'espritincarnéa été appelé du procureur généralau gardedes Sceaux [Laurentin,
parun médiumquijoue alorssonrôled'intermédiaire, 1957, t. 1 : 159 et 167]. L'apparitionde Pontmain
de canal.Elle devientconflictuelle, voireobsessionnelle, (Mayenne), enjanvier1871,donneelleaussilieuà l'exa-
sil'esprit a prispossession d'uncorpsqui le refuse. Dans men médicaldes quatrejeunes voyants qui se conclut
tousles cas,le spiritisme est donc capablede fournir favorablement. En décembre1871,troismédecinsécar-
une explication simpledesvisionset deshallucinations. tentl'hypothèse de l'hallucination parceque les quatre
Il arguede la véracité de soninterprétation eninvoquant enfants ontvu la mêmechosependantplusieurs heures
l'efficacité de sathérapeutique : unmédiumpeutchasser [Laurentin, Durand,1971].
un espritmalveillant du corpsqu'il occupeindûment. Visions,apparitions ethallucinations onttoujoursété
Ainsi, « les conclusionsdu spiritisme sont loin de contredire le sujetde réflexion pourlesthéologiens qui ontfinement
monisme,car Vàme se ramenantà une matière fluidique, visi- élaborédéfinitions et distinctions.Les théologiens dis-
ble,palpable en certainscas, continueà existerdans le monde tinguentainsisoigneusement les significations de ces
de la matière.C'est ce qui conciliepour la première fois Vexpé- mots.Les hommesontla possibilité de voirMarie,des
riencescientifiqueavec Vexpériencede tous les siècleset de tous anges ou encore des morts. À proposde ces derniers, il
lespays» [Lombroso6, 1910: 6]. Pourtant, malgré des est noté dans le Dictionnairede théologie
catholique : « Dieu
succèsthérapeutiques, malgrélesmanifestations psychi- [...] [peut] avoir de bonnesraisonsde vouloirexceptionnelle-
ques du médium nombreuses et facilement reproducti- ment,rarement,ces retoursmomentanésdes âmes qui avaient
bles (ainsi l'écritureautomatique),les spiritesne quittéla terre,c'est ce que personnene contesteraavec quelque
s'appuient doncpassurcesphénomènes pourtenterde vraisemblance. » Quant aux anges, « c'est le plus souvent
démontrer la véracitéde leur interprétation. Leurs revêtus delaforme humaine » qu'ilsse montrent auxhom-
confrères anglaisou nord-américains n'agissent pasainsi, mes [Vacant,Mangenot,Amanne,1937, t. 13 : 1690-
bien au contraire.La Societyfor PsychicalResearchanglaise 1691].Resteà savoircommentDieu communique son
sevoueeneffet auxrecherches psychiques. Elle se soucie esprit aux hommes. « De quatremanières,répondsaint Tho-
peu de démontrer expérimentalement l'existencedu mas,par les sens extérieurs, par l'imagination,par un influx
périsprit et de la survivance de l'âme après la « désincar- directsur l'intelligence par une lumièrespéciale(intelligence).
ou
nation » (expression spiritepour désigner mort).la La Parfois, en effet,desformessensiblessontproduitesextérieu-
difference entrelesunsetlesautres tient,mesemble-t-il, rementpar Dieu et se présententau prophète.Pour éviterde
pourune grandepart,aux expériences de Charcotet donner dans l'illusion et l'hallucination,il faut que soient
de Luys,auxquelleslesspirites français voudraient pou- fourniesdespreuvesenfaveurde l'actiondivinequi s'est mani-
voir opposerleurs propresdécouvertes.Ce qui les festée surlessens» [Vacant, Mangenot,Amanne,op.cit.,
engage sur le terrain matérialiste et physiologique. t. 13 : 2586]. L'hallucination peut ainsiêtred'origine
surnaturelle ou « prêternaturelle »7. Comme la vision,
elle se distingue de l'apparition, puisqu'ellen'implique
pas nécessairement l'existenceréellede l'objetperçuà
■ Débats et combats entremédecins la différence de l'apparition. Cependant,pour le Dic-
catholiques et médecins matérialistes tionnaire de hallucination
spiritualité, n'est pas vision:
« Dans l'hallucination,ce sont les dispositionsmorbides[qui
Pendantces mêmesannées,les théologiens catholi- interviennent], dans les visions,c'estla grâceopérante» [Dic-
quesquestionnent à leurtour ces marques de l'invisible. tionnaire : 949]. Maispourautant,
despiritualité il peuty
Les clercsse montrent particulièrementsévèreset vigi- avoirvisionsansprésenceobjectivede ce qui estvu.
lantsà l'égarddesmiracles,desvisionsetdesapparitions, Commentalorsdistinguer la visionrelevantde la grâce
rapportés À
parCharcotet ses disciplesà de l'hystérie. divinede l'hallucination
pathologique ? Dans Le château
leurtour,ils portent, eux aussi,une attention particu- Thérèsed'Avilasoulignait
intérieur, le caractèrede cer-
lièreaux phénomènes somatiques.Est-cepour mieux titudeprésentépar la visionintellectuelle : « Cela se
les combattre ? Sans doute. « A La Salette, c'est le texte passe tellementdans l'intimede l'âme, on entenddes oreilles
alors qu'à Lourdes tout l'effortd'in-
qu'il fallait déchiffrer, de l'âme, d'une manièreà la fois si claire et si secrète,le

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Seigneur lui-mêmeprononceces paroles que le mode même les transformations physiologiques du ou de la mira-
produitspar la vision, rassureet
d'entendrejoint aux effets culé-esontinexplicables horsdu miracle.Parce détour
donne la certitudeque le démon n'est point Vauteur [...] » purement organique, ces médecinsrendent alorscrédi-
[Vacant, op.cit.,t. 13 : 2587]. Quelques siècles plustard, bles l'hallucination démoniaque ou la vision beatifique.
des hystériques disentaussiconnaître ces hallucinations « Sí vous ne croyezpas aux apparitions,croyezau moinsaux
bienheureuses etapaisantes etse transforment volontiers choses quiontsuivi», écrit,en 1900,le docteurBoissarie,
en visionnaires extatiques dans les salles de la Charité responsable du « Bureaudes constatations médicalesde
ou de la Salpêtrière. Ainsi,pendantla troisième période Lourdes» [Dr Boissarie,1900 : 542]. Il énoncealorsles
de la crisehystérique, lesfemmes, rappelleCharcot,sont guérisonsde maladiesgraves,de plaies béanteset
plus souvent sujettes à des hallucinations gaiesque les compliquéesde gangrènes, de tumeurs blanches, de mal
hommes. « La malade se croitpar exemple transportée dans de Pott,de cancer...Il accuseCharcotd'avoirécritLa
unjardin magnifique,sorted'Eden, où souventlesfleurssont foi quiguérit [Charcot,1984] sansjamaisêtrevenului-
rouges et les habitants vêtus de rouge. On y joue de la même examiner ces guérisons à Lourdes.Dans cetarti-
musique [...] Chez les hommes,[les] visionslugubreset ter- cle, Charcotaffirme en effet qu'il existedes guérisons,
rifiantesoccupentpresque à elles seules toute la troisième y comprisde tumeurs, d'ulcèreset mêmede cancers
période. Les hallucinations gaies sont pour ainsi dire excep- (terme qu'il prend non pasau piedde la lettre maisdans
tionnelles.» Plus encore,on peut voir des hystériques sonacceptionhistologique) qui paraissent miraculeuses,
« mêmefilles du vulgaire[...], prendresous l'empired'hallu- parcequ'ellessontopéréesen dehorsdes moyensdont
cinationsd'ordrereligieuxdes attitudesd'une expressionsi la médecinecurative disposed'ordinaire. Ces guérisons
vraieet si intenseque les acteursles plus consommésne sau- n'échappent paspourautantà l'ordrenaturel, maisrelè-
raientmieuxfaire et que les plus grands artistesne sauraient venttrèsgénéralement d'une hystérie. Charcotdéve-
trouverdes modèlesplus dignes de leurpinceau » [Charcot, loppel'idée d'une influence du mentalsurle physique,
Richer,1984, lreéd. 1886 : 102 et 109]. touten continuant à rapporter le psychologique au phy-
Confrontés à l'anticléricalisme violentdes débutsde siologique8.Sous l'effet d'uneviolenteémotionprépa-
la IIP République,à la pathologisation de ces phéno- rée longuement par une attente, Charcotexpliqueles
mèneshallucinatoires etvisionnaires parl'écolede Paris, guérisonspar le rétablissement de l'influxmoteurissu
lescatholiques s'efforcent, danscesannées1880,de met- du cerveau,qui permetla disparition des œdèmes,des
treen placeunesciencecatholiquequi puissefairefront contractures, des paralysies puis,peu à peu, la régéné-
à la sciencelaïquetropsouventmatérialiste à leursyeux. rationmusculaire. Toutcelane peutcependant se dérou-
Un congrèsscientifique catholiquese tienten 1888.Des lerqu'à certaines conditions. Il esten effet bienentendu
médecinscatholiques se regroupent dansla « Sociétéde que «pour qu'elle [la guérison] trouveà s'exercer,ilfaut à
Saint-Luc», crééeen 1884 [Guillaume, 1990 ; Léonard, la faith-healing des sujetsspéciaux et des maladiesspéciales,
1978].Des prêtres médecinscherchent à tenirensemble de cellesqui sontjusticiablesde l'influenceque Vespritpossède
pourles comprendre les découvertes neurologiques et surle corps» [Charcot,1892 : 122].
lesphénomènes En
mystiques. rapprochant étroitement Le Dr Boissarie condamnefermement cetteinterpré-
extase-possession-hallucination et hystérie, J.M. Char- tationcharcotienne. Il esten revanche beaucoupmoins
cotlanceun défiauxquelsles catholiques se doiventde sévèreà l'égardd'HippolyteBernheim(1840-1919)
répondre. Un des hautslieuxde ce combatse trouveà qu'ilconsidère commebeaucoupplusloyal.Ce médecin
Lourdes.Le débaty prendvraiment formescientifique hospitalier nancéienpenseen effet que la suggestion ne
avecl'ouverture du « Bureaudes constatations médica- s'adressepas directement à la lésion,mais au trouble
les» en 1883. Son principalmédecin,le baronDunot fonctionnel, qui peutdoncseulêtreguéri.SelonBern-
de Saint-Maclou, entourébientôtd'une dizainede ses heimcependant, au-delàde l'hystérie, descontractures,
confrères, dontbeaucoupne fontque passer,se penche des paralysies et de tousles phénomènesfonctionnels
alorsavec une extrêmeattention surles corpset leur qui lui sontliés,la suggestion a deseffets thérapeutiques
éventuelleguérisonquand il y a miracle.« Le miracle puissants surdes troublesliés à des lésionsorganiques.
[pour l'Église], est une manifestation extraordinaire de Dieu, En 1884,Bernheimpubliela synthèse de sespremières
par une œuvreque nul agent ne peut produire.Ce n'est donc réflexions surla suggestion, qu'il définitalorscomme
pas, commeon le répètetropsouvent,une transgression ou une « l'influenceprovoquéepar une idée suggéréeet acceptéepar le
suspensiondes lois de la nature,mais unfait qui est à sa place » [Bernheim,
cerveau 1884 : 73]. Il y montrecomment
dans les décretsde Dieu. [...] Il est extraordinairequant au un dormeurhypnotisé peutvoiretextérioriser desima-
mondephysique auquel il appartient,en ce sens que le jeu ges déposéesdansson cerveau qui fonctionne
alorsen
naturelet continudes causes secondes,ordonnéesdans cette automatisme.L'hallucinationpeutaussiêtrespontanée,
sphère,ne Vengendre pas » [Annales de Notre-Dame de Lour- « memorative
ou consécutive
à une impression
sensorielledéfec-
des,1891 : 297]. tueuse»[Bernheim,1884: 80]. Pour Bernheim,à la
Pourcesmédecins, il s'agitde dénoncerglobalement différence
de Charcot,l'hallucination
estdoncun phé-
la possibilité
d'unehystérie qui guérirait
parsuggestion nomène naturelnon pathologique.Comme pour le
ou autosuggestion.Il convientdonc de démontrer que neurologueparisien,elle estcependantun faitd'ordre

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598 Nicole Edelman

physiologique. Elle estliée à une « exaltation de Vexcita- savants venantd'horizonsdiversaffirment leurscerti-


bilité réflexeidéo-sensitiveou idéo-sensorielle[...] » pBern- tudesd'unmondefutur dominéparla science,telsMar-
heim, 1884 : 86]. Elle peut intervenir sous hypnose cellinBerthelot, PaulBert,CharlesRichet,qui s'oppo-
comme en étatde veille quand l'étatde conscience sent aux propos contrairesde ceux qui disentles
s'affaiblitet ne permetplusde contrôler les automatis- impuissances de la science,telsH. Bergson,E. Bou-
mes réflexes. En 1891, Bernheimabandonnemême troux,Ch. Crosou F.Brunetière [Lalouette, 1998].Ces
l'idéed'hypnose au profitde la « suggestibilité » : « L'état affirmations masquentpourtantde fortesincertitudes
hypnotiquen'est autrechosequ'un état de suggestibilité exal- conceptuelles que Renan exprimedans sa préfaceà
tée» [Bernheim, 1891 : 504]. Toutindividuétantsug- L'avenir de la sciencepubliée en 1890 : « En résumé,si par
gestiblepeutdonc êtresujetà des hallucinations. Paul l'incessanttravaildu xix siècle,la connaissancedesfaits s'est
Bert, dans la chroniquescientifique qu'il tient réguliè- singulièrementaugmentée,la destinéehumaine est devenue
rementdansle journalgambettiste La République fran- plus obscureque jamais. Ce qu'il y a de plus grave,c'est que
çaise,donneune publiciténationaleà ces expériences nous n'entrevoyons pas pour l'avenir,à moins d'un retourà
nancéiennes. En 1885,il expliquecommentBernheim la crédulité,le moyende donnerà l'humanitéun catéchisme
suggèredes hallucinations à ses patientspendantleur désormais acceptable. » Renan ajoute néanmoinsque
sommeilhypnotique, maisaussià leurréveil: halluci- « mieux vaut un peu de bonnescienceque beaucoupde mau-
nationspositives ou négatives. « Un sujetvoyant uneper- vaisescience » [Renan,1995 : 74-75].Le recoursau phy-
sonnequ'il connaîtcessede la voirquand on lui dit qu'elle est siologiquede la partde la plupartdes protagonistes
partie»[PaulBert,1879-1885,t. 7 : 185]. engagésdansces débatsestbienla marquede l'impor-
tance de la science,jugée désormaisincontournable,
Médecinspositivistes, médecinscatholiques, spirites, pour bâtirtouteargumentation relevantdu corpsou
tousdemeurent doncdansce cadreexplicatif physiolo- de l'esprit.
giquedeshallucinations. L'interprétation organique que Pendantces deux décennies,les hallucinations sont
Charcotpropose,vial'hystérie, a sansdoutejoué unrôle donclargement conçuescommerelevant du physiolo-
essentiel danscetteinsistance. Le charisme etla renom- gique.Des voixdissonantes s'élèvent cependant. Dès les
mée de ce médecindépassaient largement le cadre années 1885, « en
quelquespsychologues, particulier Binet et
national.Ses travauxet ses découvertes neurologiques Janet, vont interpréter certains faits en termesd'activitéspsy-
Férigeaient enmaître incontesté d'unevérité scientifique. chiquesinconscientes » [Pias,2000 : 124 ; M. Gauchet,
Or, dansson argumentation, Charcotne laisseguère 1992].En 1887,CharlesPichetévoquela possibilité de
d'interstice où glisserle doute.Ce « voyant » si lucide, l'existenced'un inconscientintellectuel à côté d'un
selonles motsde S. Freud[Freud,1893],n'a pas vu la inconscient musculaire [Richet,1887 : 213]. On quitte
possibilité d'autres causalitésque somatique aux hallu- alors cesterritoires rassurants etbalisésoù l'hallucination
cinations. Cettequestiondeshallucinations prendplace trouveune explication maîtrisée parune argumentation
dansle momentfrontière de ces années1870-1890,qui qui se ditscientifique. On rejoint lesespacesdéjàouverts
précède un basculement vers des interprétations s'ins- autour du rêve et du sommeil par des poèteset des
crivant dansla théoried'uninconscient psychique. Elle écrivains [T.James,1997].En 1890,Maupassant note:
participe d'un et
enjeu scientifique politiquequi se « Si je n'étais sûr de ce que j'ai vu, sûr qu'il n'y a eu, dans
déroulealors.Cettevingtaine d'annéesesten effet mar- mes raisonnements aucune défaillance,aucune erreurdans mes
quée par des interrogations, des débats,voire des constatations,pas de lacune dans la suite inflexiblede mes
combats, entre science et croyances spiritualistes au sein observations, je me croiraisun simplehalluciné» [Maupassant,
d'une volontépolitiquerépublicaine anticléricale. Des 1987 : 167]. ■

I Notes 3.J. M. Charcotutilisele termede psy- ce thème de 1887 à 1890, réfutanttoujours


chique mais il lui donne un sens précis qui l'hypothèsed'un inconscientpsychiqueconsi-
renvoieà ce qu'il entendparpsychologie: « [...] dérée comme trop complexe par rapportà
1. La maladeprendune posturede cruci- en matièrede maladies nerveuses,la psychologieest l'hypothèsede l'existencedes esprits.
fiée.Elle peutgardercettepositionpendantdes là, et ce que j'appelle la psychologie,c'est la physio- 5. Buguetse servaitde poupéesou de for-
heuresdurant,braset mainscontractures. logierationnelle de l'écorcecervicale». Il estime ainsi
mes découpées dans du carton,coloriées et
qu'il faut créer « une psychologierenforcée par les éventuellement sur
habilléespour représenter
2. Ces médecinsn ont pas, a ma connais- étudespathologiquesauxquelles nous nous livrons»
sance, rapproché ces descriptionsd'autres, la photo demandéele défuntdont son client
[Charcot, 2002 : 154 et 157].
issuesde contespopulairesou de la Bible, par lui avaitpar ailleurssouventmontréune pho-
exemple.Ils ont éventuellement cherchéune 4. Les spiritessonttrèsattentifs aux théo- tographieou un daguerréotype.L'image du
rencontre vécue parla maladeavec
traumatique riessurl'inconscientémanantdespsychologues défuntétaitde plus bien souventlégèrement
un animalréel. et des médecins.Ils consacrenttroisarticlesà floue...

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L'invisible(1870-1890): une inscription
somatique 599

6. Le médecinitalienCesareLombroso, lemiracle peutêtreunfaitpréternaturel


d'ordre physiologique fondéeen 1885 dontles vice-
anthropologueet criminologue bien connu, physique).Le surnaturel se dit de ce qui présidentssontPaulJanetet ThéoduleRibot.
lesidées.
et en diffuse
adhèreau spiritisme est révélé,produit, accordépar la grâcede Il écritau momentoù ce dernierdonne
Dieu. naissanceà lapsychologie « scien-
se dit d'un phénomène
7. Préternaturel pathologique
ou d'unecausequi dépassel'ordrede la nature Charcotestle
8. Voirnote3. Parailleurs, tifique à la psychologie
», s'opposant philoso-
sansêtrepourceladudomaine surnaturel(ainsi présidentde la Société de psychologie phiquespiritualiste.

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I ABSTRACT
(1870-1890): a somaticimpression
The invisible
In the secondhalfof the 19thcenturyand more especiallyafterthe years1860 more and moreimportanceis givenin Franceto
thebodyas a fleshlyorganismin theinterpretation of theinvisible,
of manifestations whichareverynumerousin thosedecades.On
the basisof medicalexperiments of thoseof spiritualists
carriedout in the greatParisianhospitalsof la Charitéand la Salpêtrière,
and catholictheologians,everybodytriesto demonstrate usingto this
the veracityof his conceptionsof visionsand hallucinations,
end the concretesomaticrealityand overabundant mostoftenoppositearguments.
js^eyworas: nysiena. .spiritism, nospitai. nanucinauon. juourucs.

I ZUSAMMENFASSUNG
Eindruck
(1870-1890): ein somatischer
Das Unsichtbare
In der zweitenHälftedes 19. Jahrhunderts und besondersin den 60erJahrennimmtder Korper als Meischesorganismus eine
zunehmendeBedeutungin Frankreich des Unsichtbaren,
der Manifestationen
in der Interpretation die in jenen Jahrzehntensehr
zahlreichsind.Aufgrundder in den grossenPariserKrankenhäuser von La Charitéund La Salpêtrièredurchgeführten ärztlichen
Experimenteund derjenigenvon Spiritistenund katholischenTheologenveruscht seinerAuffassungen
jeder die Wahrhaftigkeit von
Visionenund Halluzinationenzu beweisen,indemer sich dabei aufdie somatischeRealitätund ein Mehrgebotmeistensgegensät-
zlicherArgumentestützt.
Stichwörter: Krankenhaus.Halluzination.Lourdes.
Hysterie.Spiritismus.

XXXIII, 2003, 4
française,
Ethnologie

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