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QUE SAIS-JE ?

L’hypnose et les méthodes


dérivées
Pr HENRI BARUK
Membre de l’Académie nationale de Médecine
Médecin-chef honoraire
de la Maison nationale de Charenton

Quatrième édition mise à jour


30e mille

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE


Sommaire

Couverture

Page de titre
INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER - L’HYSTÉRIE Aperçu historique

I. — L’hystérie de Charcot
II. — L’hystérie de Babinski

III. — L’œuvre de Bernheim : le conflit de l’Ecole de Nancy et de

l’Ecole de Paris
IV. — Freud et le rôle de l’inconscient

V. — Les émotions et l’hystérie

VI. — Les images mentales et l’hystérie

VII. — La méthode cathartique et l’ecmnésie


VIII. — Le scopochloralose

IX. — Le terrain de l’hystérie

X. — Nature de l’hystérie

CHAPITRE II - CATALEPSIE ET SOMMEIL CATALEPTIQUE LE

SOMMEIL DE LA VOLONTÉ
CHAPITRE III - L’HYPNOSE OU CATALEPSIE PROVOQUÉE

I. — Notions historiques
II. — Description de l’hypnose

III. — L’anesthésie et l’analgésie hypnotique

IV. — Hypnose médicamenteuse

V. — Hypnose et sommeil

VI. — La psychophysiologie de l’hypnose


VII. — L’hypnose et la personnalité

VIII. — L’hypnose animale

IX. — Conclusions

CHAPITRE IV - LA PSYCHANALYSE ET LA DÉCOUVERTE DE

L’INCONSCIENT DERRIÈRE LA CENSURE. PSYCHANALYSE ET


HYPNOSE

CHAPITRE V - ANESTHÉSIOLOGIE ET SOPHROLOGIE

CHAPITRE VI - LE YOGA MAÎTRISE DE SON CORPS ?

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

Notes

Copyright d’origine

Achevé de numériser
INTRODUCTION

Le caractère essentiel et le plus précieux de la personnalité humaine est


son indépendance, sa possibilité de résister aux influences extérieures et
principalement aux tentatives de domination d’autres personnalités, ainsi
que sa possibilité d’initiative, d’action pour prendre une part active à la vie
de la Société, conformément à sa hiérarchie de valeurs propres, hiérarchie
qui lui confère ses buts de vie et le sens de son action.
Or, certaines maladies peuvent priver l’homme, momentanément ou de
façon durable, de cette indépendance, de cette initiative spontanée et de sa
possibilité d’agir sur le monde extérieur. En pareil cas le sujet devient un
être passif, obligé de subir toutes les influences extérieures, gardant les
positions qu’on lui donne, prenant la forme d’un robot ou d’une poupée
articulée. C’est la catalepsie qui peut se produire soit au cours de l’hystérie
à la suite d’une émotion, soit au cours de diverses causes toxiques hépato-
intestinales ou endocriniennes comme on le voit dans la catatonie. Mais au
cours de cette maladie de la catalepsie, si le sujet se voit dépossédé de ses
moyens d’expression et d’action, sa pensée et ses sentiments peuvent être
conservés. C’est ce que nous avons désigné sous le terme de personnalité
profonde. Le sujet se trouve alors dans la situation d’un homme muré qui
voit, perçoit, pense et souffre et se trouve bloqué sans possibilité de parler
ou d’agir. C’est là, évidemment, une situation atroce surtout si le malade se
trouve dans un milieu qui ne connaît pas à fond cette maladie et qui, ne
jugeant que sur l’extérieur, considère le malade comme totalement déchu et
le lui fait sentir. Au contraire, le médecin expérimenté sait par quelques
paroles compréhensives apaiser l’angoisse de cette triste situation et le
malade, s’il est bloqué, se sent au moins compris.
Il ne faut pas non plus que la législation, ignorant ou méprisant les
admirables principes d’Esquirol dans sa célèbre lettre au Préfet de Police,
frappe automatiquement et injustement tout malade gêné « dans
l’expression de sa volonté et considéré comme un incapable majeur »,
d’une sanction, celle de la mise en tutelle. L’autorité sociale ainsi s’ajoute à
la maladie pour frapper le malheureux suivant la formule romaine vae
victis. Plus humaines étaient les dispositions de la loi de 1838 qui assuraient
la protection des biens sans l’humiliation de la déchéance sociale !
Dans certains cas, plus graves, la maladie va plus loin et frappe dans cette
voie la hiérarchie des valeurs et notamment les valeurs morales profondes
qui donnent sa forme spécifique à la personnalité. C’est alors la disparition
ou l’atténuation du jugement du bien et du mal, de l’éthique, de l’altruisme,
des sentiments affectifs et des aspirations diverses, le malade n’est plus mû
que par les poussées désordonnées de ses instincts et de ses impulsions sur
un fond d’indifférence. C’est là la véritable schizophrénie heureusement
plus rare qu’on ne le croit et qui n’est pas toujours incurable comme on le
pense trop souvent.
Nous venons de voir comment la nature peut frapper la personnalité dans
ce qu’elle a de plus précieux et inhiber le pouvoir de sa volonté, de son
initiative et de ses freins, pour réduire l’homme à un robot apparent ou, si la
maladie va plus loin, pour le faire régresser vers un état presque animalisé,
à certains points de vue tout au moins, car au fond même de la maladie la
plus grave, persiste toujours un reste d’humanité susceptible d’ailleurs de se
réveiller.
Nous avons vu plus haut que la société peut dans certains cas par une
législation maladroite s’associer aux méfaits de la maladie et les aggraver.
Dans d’autres cas, le médecin peut dans un but thérapeutique tenter de
réaliser artificiellement le même effet de la catalepsie-maladie afin en
quelque sorte de mettre le malade « en condition », de le rendre passif et
apte à recevoir les suggestions thérapeutiques susceptibles de le délivrer de
ses idées pathologiques ou bien de le rendre insensible psychiquement et de
l’anesthésier en vue de certaines opérations chirurgicales. C’est le sujet de
nos études dans cet ouvrage.
Le centre de ce sujet est représenté par l’hypnose et par la catalepsie
hypnotique que nous avons pu comparer à la catalepsie hystérique ou à la
catalepsie catatonique, catalepsies qui représentent « le sommeil de la
volonté ».
L’hypnose représente, elle, une catalepsie provoquée par des moyens
artificiels que nous étudions en détail et il faut rappeler à ce sujet que la
psychanalyse de Freud et Breuer est partie de l’hypnose que l’on pratiquait
chez Charcot à Paris, chez Bernheim à Nancy et à ce point de vue nous
sommes obligé de rappeler succinctement l’évolution de la psychanalyse.
Nous devons ensuite étudier les nouvelles utilisations des méthodes
hypnotiques ou parahypnotiques dans l’anesthésie et le développement
récent de nouvelles méthodes dérivées de l’hypnose mais différentes à
certains points de vue, méthodes que l’on désigne sous le nom de
« Sophrologie ».
Ces diverses méthodes ont comme point commun d’anesthésier la
volonté consciente, la résistance et l’initiative pour réduire le malade
pendant son action à ses pensées subconscientes et le rendre suggestible.
C’est pourquoi ces méthodes ont été rapprochées par leurs auteurs d’une
certaine philosophie issue de l’Inde, visant à rechercher l’évasion de la
réalité et à aboutir au « nirvana ». Ces problèmes nous amènent à étudier le
« yoga » (en rappelant les travaux célèbres de Masson-Oursel) dans sa
pratique et dans sa philosophie inspiratrice.
Enfin tous ces problèmes soulèvent des discussions éthiques sur le droit
et les limites de l’action du thérapeute sur la personnalité humaine et c’est
pourquoi nous terminons cet ouvrage par des considérations sur
l’impérialisme psychologique et la résistance de la personnalité.
CHAPITRE PREMIER

L’HYSTÉRIE Aperçu historique

I. — L’hystérie de Charcot

Depuis Bayle au début du XIXe siècle, la médecine mentale était


entraînée dans l’orientation de l’organicisme. Le cerveau était de plus en
plus considéré comme l’origine du fonctionnement du psychisme, et le
développement de la découverte des localisations cérébrales avait encore
renforcé cette tendance. Cette orientation était tout spécialement celle de
Charcot. Anatomopathologiste, soucieux d’introduire dans l’étude des
maladies du système nerveux la méthode anatomoclinique de Laennec, il
avait fait des découvertes de maladies nouvelles sur la base anatomique
telle la sclérose latérale amyotrophique, telle la sclérose en plaques qu’il
avait dépistée avec Vulpian, telles les arthropathies tabétiques (Charcot’s
disease des Anglais) lorsque la marche de son service de la Salpêtrière le
mit en présence de l’hystérie. Fait curieux, cet anatomopathologiste, ce
partisan convaincu des localisations cérébrales, allait finalement être à
l’origine du développement de l’hypnose en couvrant cette méthode de son
autorité.
Toutefois, sans méconnaître cette thérapeutique psychologique, Charcot
restait imprégné dans sa conception de l’hystérie de l’esprit des
localisations cérébrales. Sans doute, il ne pouvait pas admettre que les
crises d’hystérie qui se multipliaient dans son service avaient les mêmes
origines que les crises d’épilepsie et les autres manifestations organiques. Il
était trop bon clinicien pour ne pas saisir les différences entre ces deux
groupes d’affections, et pour ne pas tenir compte des facteurs
psychologiques si importants dans le domaine de l’hystérie. Toutefois il
essaya cependant de relier l’hystérie à une concordance anatomoclinique. Il
pensait que si l’hystérie ne peut être rapportée à des lésions anatomiques
destructives des centres nerveux, elle était liée à des troubles fonctionnels,
« dynamiques » suivant sa propre expression, des mêmes centres que ceux
dont la lésion anatomique détermine des troubles organiques. Par exemple
si une lésion anatomique de la frontale ascendante provoque une hémiplégie
organique, un trouble fonctionnel, c’est-à-dire une irritation ou une
inhibition de cette même zone, produirait suivant Charcot une hémiplégie
hystérique susceptible de disparaître parfois brusquement parce que rien n’a
été détruit.
Autre exemple : une lésion de la zone de Wernicke gauche qui réalise une
aphasie produirait, en cas de trouble fonctionnel de cette même zone par
exemple une migraine accompagnée, un trouble psychique pur, le mutisme.
Dans cette conception, les troubles psychologiques sont liés à des
perturbations fonctionnelles des mêmes centres dont l’altération anatomique
donne lieu à des troubles organiques. Par conséquent, dans cette orientation
Charcot reconnaissait bien que les troubles hystériques étaient de nature
psychique mais il faisait dépendre ce trouble psychique d’une localisation
fonctionnelle cérébrale. La psychopathologie de Charcot est donc une
psychopathologie fondée sur des troubles fonctionnels localisés.
Il importe de rappeler ces données historiques fondamentales, données
historiques que nous avons connues de près puisque nous avons été interne
en 1925-1926 de notre vénéré maître A. Souques qui, avec Babinski et
Pierre Marie, a fait partie de la glorieuse triade des élèves de Charcot qui
ont fondé la Société de Neurologie et ont développé cette nouvelle science
fondée par Charcot. Seulement sous l’influence de Babinski, A. Souques
devait abandonner la théorie organodynamique de Charcot que nous venons
de rappeler, théorie qu’il avait exposée dans sa thèse 1, pour adopter la
nouvelle conception de Babinski qui a effacé la conception
organodynamique de Charcot.

II. — L’hystérie de Babinski

L’œuvre considérable de Babinski est en général méconnue ou


incomprise notamment de la part des psychiatres purs sans formation
neurologique, incompréhension qui fausse ensuite toute l’appréhension des
névroses, et qui montre que la séparation de la psychiatrie et de la
neurologie est néfaste 2.
Les découvertes essentielles de Babinski ont eu pour résultat de donner
des signes certains, objectifs, permettant de savoir si les troubles observés
sont en concordance directe avec des atteintes organiques ou fonctionnelles
du système nerveux, ou bien si ces troubles sont en rapport avec des
perturbations de la personnalité.
Prenons comme exemple l’hémiplégie organique : dans ce cas la
distribution spéciale des paralysies affectant les extrémités distales,
prédominant sur les muscles raccourcisseurs, présentant des dissociations
spéciales que la volonté est incapable de réaliser ni même d’imiter, est déjà
une attestation de l’atteinte du faisceau pyramidal. En outre, les signes
spéciaux mis en évidence par Babinski tels le signe de l’orteil (extension du
gros orteil à l’excitation de la plante du pied), le clonus, parfois les réflexes
de défense, les mouvements combinés de la cuisse et du tronc, les
syncinésies, etc., tous ces signes que l’on peut provoquer, déterminent une
réponse directe des centres ou des voies pyramidales du système nerveux,
réponse objective, indépendante de la volonté, de l’imagination, du
psychisme, que la personnalité ne peut pas reproduire.
Par cette même méthode Babinski a tracé une carte rigoureuse des divers
systèmes architectoniques du cerveau (système pyramidal, cérébelleux,
extrapyramidal, etc.) qui permet un diagnostic rigoureux, d’une efficacité
pratique extraordinaire, si bien que nous citons toujours le cas d’une malade
paralysée prise pour une hystérique chez qui la méthode de Babinski permit
de reconnaître une tumeur de la moelle épinière, de l’opérer et de la guérir.
Par cette méthode, Babinski séparait rigoureusement les affections
organiques centrales, qu’elles soient anatomiques ou fonctionnelles, des
affections psychiques et de l’hystérie. Le point essentiel de sa doctrine était
la démolition de la conception fonctionnelle de l’hystérie, c’est-à-dire de la
conception de Charcot. Les paralysies, les contractures, les crises
hystériques n’avaient, pour Babinski, aucune localisation dans le système
nerveux, elles relevaient uniquement d’un trouble de la personnalité et de la
volonté réalisant une sorte de simulation inconsciente et par là même
revêtant un aspect extérieur de coordination et de synthèse que seule la
volonté peut réaliser, alors que les atteintes organiques ou fonctionnelles
des centres ne réalisent que des troubles dissociés suivant les dispositions
anatomiques. Par exemple une lésion anatomique de la zone de Wernicke
détermine la disparition ou la perturbation du vocabulaire des mots, de la
compréhension des mots, c’est-à-dire l’aphasie de Wernicke, mais un
trouble fonctionnel de cette même zone détermine la même disparition du
vocabulaire et de la compréhension verbale mais d’une façon passagère,
telle cette malade célèbre de Bouillaud qui, au cours de sa migraine, était
incapable d’identifier La Marseillaise chantée dans la rue, mais qui, la
migraine finie, retrouvait tout son langage. En aucun cas, l’atteinte de la
zone de Vernicke ne peut produire du mutisme, trouble relevant de la
personnalité et de la volonté.

III. — L’œuvre de Bernheim : le conflit de l’Ecole de Nancy et de


l’Ecole de Paris

Il restait à définir la nature des troubles de la personnalité et de la volonté


dans l’hystérie. Sur ce point Bernheim avait à Nancy ouvert un champ
nouveau. Il avait mis en évidence de façon éclatante en pareil cas le rôle de
la suggestion. C’était l’ouverture de l’interprétation psychologique de
l’hystérie qui s’opposait à l’interprétation physiologique et fonctionnelle de
Charcot. C’est là qu’a résidé le célèbre conflit de l’Ecole de Nancy et de
l’Ecole de la Salpêtrière.
Mais ce conflit opposait au fond Bernheim et Charcot, non Bernheim et
Babinski. Il est donc étonnant que le conflit ait persisté après la mort de
Charcot. En effet, Babinski a sur ce point adopté l’interprétation de
Bernheim par la suggestion. Les célèbres démonstrations de Babinski au
grand amphithéâtre de la Pitié, qui produisaient à volonté une crise
d’hystérie typique en montrant des appareils impressionnants et en
annonçant la crise, et qui guérissaient instantanément la crise en annonçant
le « renversement des courants », étaient bien caractéristiques... Elles
prenaient le contrepied des présentations de Charcot propices à multiplier
les crises et Babinski a alors montré que les fameux stigmates de l’hystérie
telle l’hémianesthésie étaient en fait créés par la suggestion du médecin. Le
fait de demander au malade « sentez-vous », « ne sentez-vous pas »
l’amenait à créer inconsciemment le trouble, à tel point qu’un de nos
malades chez qui nous recherchions la sensibilité répondait à chaque touche
sur le côté paralysé « je ne sens pas » montrant par là qu’il s’agissait d’une
anesthésie psychique, réalisée par une volonté inconsciente, ne respectant
pas d’ailleurs les distributions anatomiques.
En un mot Babinski était donc en fait d’accord avec Bernheim. Pourquoi
le conflit a-t-il alors persisté ? Probablement pour des questions de
personne, et probablement aussi pour des questions d’amour-propre de
priorité. Dans la découverte de la nature psychologique de l’hystérie, Nancy
a précédé Paris, et Bernheim a précédé l’évolution de la Salpêtrière.
Babinski et Bernheim ont contribué l’un et l’autre à démolir la conception
psychologique de Charcot, Babinski, par l’étude méthodique des aspects
objectifs des troubles et des réflexes, a mis en évidence et a démontré
l’existence dans l’hystérie de troubles de la personnalité, de la volonté, de
facteurs psychologiques et Bernheim avait, avant lui, déjà précisé la nature
de ces troubles psychologiques, la suggestion. On comprend que ce conflit
mal résolu ait donné lieu encore récemment aux revendications de l’Ecole
de Nancy qui se sont exprimées dans la thèse de Barrucand. Celui-ci fait
bien remarquer que Bernheim était depuis 1870 professeur de clinique
médicale à Nancy, que dès 1882 il avait consacré plusieurs publications à
l’hypnotisme, que dès 1884 paraît son livre fondamental, De la suggestion
dans l’état hypnotique et dans l’état de veille. « L’hystérie suivant
Bernheim, écrit Barrucand, n’est pas la maladie neurologique décrite par la
Salpêtrière. C’est un syndrome réactionnel qui est toujours d’origine
émotive et dont le traitement ne peut donc être que psychothérapique. »
Quant à Charcot, rappelle Barrucand 3, « c’est en 1882 qu’il est nommé
titulaire de la première chaire mondiale de neurologie ». C’est la même
année qu’il présente à l’Académie des Sciences sa communication
historique sur « les divers états nerveux déterminés par l’hypnotisation chez
les hystériques » admettant ainsi l’identité de l’hystérie et de l’hypnotisme,
et décrivant de façon psychologique les quatre périodes de la crise
d’hystérie, la période épileptoïde, la période des grands mouvements, la
période des attitudes passionnelles, le délire terminal, périodes illustrées par
les célèbres dessins de son élève Richer. En outre, Charcot admettait des
modifications des réflexes ostéotendineux, ainsi que l’hémianesthésie et le
rétrécissement concentrique du champ visuel. Il décrit aussi dans
l’hypnotisme, réalisable selon lui uniquement chez les hystériques, les
phases de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme, phases reprises
ensuite par son élève Pitres (de Bordeaux) dans son célèbre travail. Bien
que Charcot ait admis l’action de la pression ovarienne dans la crise
d’hystérie, il a décrit « l’hystérie mâle » car jusqu’alors on n’envisageait
l’hystérie que dans le sexe féminin. Nous ne pouvons rappeler ici les divers
élèves de Charcot qui ont soutenu l’opinion de leur maître, notamment
Richet, Luys surtout qui a tant publié sur l’hystérie et l’hypnose, Pitres,
Gilles de La Tourette, etc., mais notons surtout le caractère systématique
des descriptions de Charcot parce que celui-ci croyait que les symptômes
étaient déterminés par des perturbations fonctionnelles des centres nerveux.
C’était bien une conception neurologique de l’hystérie.
L’œuvre critique de Babinski commence après la mort de Charcot en
1893, après la querelle de l’Ecole de Nancy et de l’Ecole de Paris et les
déclarations célèbres de Bernheim en 1884. Mais Babinski a, dès le début,
fait justice de la prétendue modification de réflexes dans l’hystérie. Tous les
réflexes restent normaux et pour préciser encore la réflexologie, Babinski a
étudié à cette occasion les réflexes des membres supérieurs que l’on
considérait comme inconstants et dont il a montré la constance et la
signification.

IV. — Freud et le rôle de l’inconscient

C’est peu après cette querelle de 1884 que Freud, qui avait travaillé dans
le service de Charcot, vint séjourner à Nancy et voir Bernheim. Certes,
comme le rappelle L. Chertok dans son article de la Presse Médicale 4,
Freud, qui avait entendu parler chez Charcot des « réminiscences
traumatiques » (il s’agit des accidents hystériques rappelés par Charcot à la
suite des premiers accidents de chemin de fer et particulièrement décrits en
Angleterre et aux Etats-Unis), a pris conscience, écrit Chertok, chez
Bernheim « de puissants processus psychiques demeurés cependant cachés
à la conscience des hommes ».
On peut donc penser que l’influence de Bernheim a joué un rôle dans les
études de Freud sur l’inconscient.

La doctrine de Bernheim et de Babinski marqua, peut-on le dire, la


création de la doctrine psychosomatique en médecine. On y retrouvait, en
effet, la notion qu’une idée inconsciente ou non, suggérée ou non, imaginée
ou non, peut donner lieu à des symptômes somatiques qu’elle crée. A titre
d’exemple rappelons le cas de cette malade venue consulter à la Salpêtrière
dans le service de notre maître Souques pour une paralysie brachiale droite
complète, paralysie précédée de forts maux de tête. Cette malade était
venue consulter pendant les vacances. Le remplaçant de A. Souques,
impressionné par les maux de tête prémonitoires, pensa de suite à une
tumeur cérébrale et eut l’imprudence de dire aux élèves présents : il faudra
faire attention et surveiller spécialement la vue et le fond d’œil de cette
malade. Rentré de vacances, Souques reconnut immédiatement la forme de
cette paralysie et, avec la méthode de Babinski sur la paralysie hystérique,
guérit totalement cette malade par le torpillage en une heure.
Rentrée chez elle en Touraine cette personne resta bien portante pendant
cinq ans. A ce moment, à la suite de gros surmenage et de gros soucis au
sujet de la santé de ses enfants, elle fut reprise de forts maux de tête et
devint en apparence complètement aveugle. Elle revint alors à Paris d’abord
à la Salpêtrière où elle ne nous trouva plus et à Sainte-Anne dans le service
du Pr Claude dont nous étions le chef de clinique. Elle marchait les yeux
fermés, les paupières closes, et les globes oculaires fixés globalement en
bas et à droite 5 et elle nous dit aussitôt :« Le médecin de la Salpêtrière a
bien dit il y a cinq ans qu’il fallait surveiller mes yeux et que je pourrais
devenir aveugle. » Nous avons pu la guérir alors en une demi-journée par la
méthode du scopochloralose dont nous parlerons plus loin.
Nous avons montré ultérieurement, avec notre ami R. Kourilsky 6, en
utilisant les méthodes de la neurophysiologie moderne au cours d’une
contracture hystérique du membre inférieur, que des courants d’action de
résistance énergiques se produisaient dès que l’on cherchait à contrarier
l’attitude prise par le malade, et disparaissaient au contraire complètement
dès qu’on agissait dans le sens de l’attitude qu’il avait prise. Tout se passe
donc comme si une attitude psychologique consciente ou inconsciente
réglait la contracture pathologique de ce malade.
On comprend ainsi le problème du diagnostic différentiel de l’hystérie et
de la simulation. Ajoutons que Babinski n’a nullement confondu
l’hystérique et le simulateur mais emploie uniquement le terme de
« simulation inconsciente », ce qui justement n’est pas une simulation.
D’autres élèves de Babinski ont dépassé la pensée de leur maître et ont
considéré, tel Boisseau (de Nice), les hystériques presque comme des
simulateurs. Il s’est alors développé une conception péjorative de l’hystérie
dans laquelle l’Ecole de Dupré et de Logre a développé la notion de la
nature imaginative des troubles hystériques, de la tendance sinon au
mensonge du moins à la mythomanie, de celle de la psychoplasticité du
pathologique (Logre).
Pour comprendre cet état d’esprit il faut se rappeler les excès de la
culture des névroses dénoncée par Babinski, ce qui a donné lieu à des
épidémies célèbres d’hystérie comme celles de la rue Mouffetard sous
Louis XV, celle, suivant certains, de la procession dansante d’ Esternach, et
de bien d’autres. Cette culture des névroses a dû jouer aussi lors des
présentations théâtrales de Charcot.

V. — Les émotions et l’hystérie

L’étude de la psychopathologie des accidents et des batailles militaires


est très intéressante à ce sujet. En effet, tous les observateurs ont souligné le
rôle des émotions dans l’hystérie. Cependant les avis restaient partagés.
Babinski en observant à la morgue de la Pitié les parents venus voir un de
leurs morts n’a jamais noté, malgré le chagrin, de crises d’hystérie. C’est
pourquoi il a écrit : « Quand une émotion sincère secoue l’âme humaine il
n’y a pas de place pour l’hystérie. » Clunet lors du célèbre naufrage de la
Provence n’a pas observé de crises d’hystérie. Clovis Vincent, lors de la
guerre 14-18, n’a pas vu au front de manifestations hystériques. Par contre,
dirigeant ensuite à Tours un centre neuropsychiatrique de l’intérieur, il a
observé de nombreux accidents hystériques qu’il a traités énergiquement
par le torpillage ce qui a amené un de ses malades le zouave Vincent à le
provoquer à la boxe, et à ce moment l’opinion a été agitée quant à
l’hystérie. Nous-même pendant que nous étions médecin auxiliaire dans un
régiment d’infanterie en 14-18 n’avons jamais observé d’hystérie au front,
mais, par contre, durant la guerre de 39-40, alors que nous dirigions à
Reims un Centre de Neuropsychiatrie, nous avons étudié de nombreuses
manifestations hystériques qui ont fait l’objet d’un travail détaillé 7.
Rappelons, en particulier, l’épisode suivant. Alors que nous avions pris la
permission normale de détente de dix jours, notre Centre avait été confié
pendant notre absence à un jeune médecin de médecine générale peu au
courant de la neuropsychiatrie et effrayé de ses responsabilités. A notre
retour, nous avons assisté à un spectacle terrifiant. Une grande quantité de
soldats présentaient des crises impressionnantes comme celles décrites par
Charcot ; recourbés en arc de cercle la tête en arrière en opisthotonos ils
sautaient dans cette position de leur lit vers le plafond, puis retombaient sur
leur lit, ceci un certain nombre de fois.
Le personnel épouvanté courait de tous les côtés, et l’émotion ainsi que
l’afflux du personnel décuplaient les crises hystériques. Dès notre retour,
nous avons évacué tous les assistants, et avec autorité et quelques
manœuvres persuasives nous avons très rapidement rétabli le calme
complet.
On comprend ainsi la définition faite par Babinski de l’hystérie réduite au
pithiatisme, c’est-à-dire aux accidents provoqués par suggestion et guéris
par la persuasion. Les faits que nous venons de rapporter montrent la grande
puissance des facteurs psychiques, de la confiance, de la persuasion, de
l’autorité ferme mais confiante, et de mille facteurs tenant au rayonnement
affectif du médecin et du chef, rayonnement que Mesmer avait voulu
objectiver dans sa notion du fluide. Evidemment celui qui ne tient pas
compte de ces facteurs si puissants est comme un aveugle devant les actions
humaines. Mais ce serait une erreur de croire que ces facteurs ne jouent que
chez les hystériques, ils opèrent sur tous les hommes et spécialement sur les
foules et les collectivités. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet
notamment en matière militaire.
C’est en poursuivant nos recherches dans l’armée et ensuite dans
l’observation des séquelles de la déportation que nous avons découvert une
nouvelle interprétation de l’hystérie : le rôle des images mentales. Nous
avons rappelé plus haut l’œuvre de Dupré sur l’imagination qui nous
rappelle l’utilisation de ce même terme dans les rapports de la Commission
désignée en 1774 par le gouvernement français pour fournir un rapport sur
le mesmérisme, rapport qui attribuait le fluide mesmérien à l’imagination à
l’exception des conclusions de Laurent de Jussieu. Le terme imagination,
imaginaire, est donc en pareil cas péjoratif et semble marquer l’idée que
l’hystérique est un personnage de théâtre (théâtralisme) réalisant des
constructions artificielles et fausses.

VI. — Les images mentales et l’hystérie

Bien différente est la conception que nous avons défendue des images
mentales à la base des accidents hystériques, conception qui nous a été
inspirée d’une part grâce à l’étude des crises hystériques en milieu militaire
en période de guerre, d’autre part grâce à l’observation des accidents
nerveux des déportés. Nous avons rappelé plus haut les opinions de
Babinski et d’autres auteurs relatives au rôle de l’émotion. Mais ceux qui
nient le rôle de l’émotion se bornent à observer les effets immédiats de
l’émotion. Ce qu’il faut étudier ce sont les effets à retardement de
l’émotion. Par exemple chez nos blessés de guerre rien ne s’était produit sur
le champ de bataille. Mais des semaines, des mois après, alors que le blessé
était au repos et en sécurité, il peut revivre, principalement la nuit, au cours
du sommeil, et à la faveur du rêve, ses émotions précédentes. Cette fois il
s’agit d’une reproduction de l’émotion au moyen de l’image mentale 8. Or la
différence est très grande entre la perception et l’image. Lors de la
perception durant l’émotion initiale toute la personnalité est tendue en état
de défense et la charge affective de l’émotion est ainsi en partie neutralisée.
Par contre, plus tard au cours du sommeil la reviviscence de l’image est
chargée d’une forte charge affective alors que la personnalité est endormie
et sans défense, d’où l’action parfois formidable de l’image qui prend la
forme d’un fantôme ou d’un cauchemar.

VII. — La méthode cathartique et l’ecmnésie

Ce traumatisme affectif de l’image est encore beaucoup plus grave chez


les anciens déportés. Nous avons soigné ainsi un malheureux qui, à
Auschwitz, avait assisté au massacre d’un enfant le crâne broyé et dont la
femme avait disparu en déportation. La reviviscence de cette image
entraînait des cauchemars avec cris violents. Parfois même le phénomène se
reproduisait dans la journée aboutissant à une sorte de délire brusque. On
reconnaît là aussi la loi de l’apparition des hallucinations dans la période
intermédiaire entre la veille et le sommeil, loi mise en évidence par
Baillarger. L’émotion serait donc ainsi comme rentrée et susceptible de
former un noyau pathogène. C’est pourquoi certains utilisent en pareil cas
la méthode cathartique. On a discuté sur l’origine de ce terme. Dans un
travail intéressant, le Pr Schuhl et son élève O.R. Bloch 9 relatent la
signification de la catharsis dans la traduction grecque et rappellent à ce
sujet que le beau-père de Freud était un helléniste, et que c’est ainsi que
Freud a pu être influencé par ce terme grec et ceci expliquerait les
nombreux emprunts qu’il fait dans son œuvre à la mythologie grecque.
Dans son travail consacré à la méthode cathartique, Chertok 10 rapporte à ce
sujet les travaux de Bourru et Burot en 1885 et relate également les cas où
on a réussi à faire revivre au malade « une période écoulée de son
existence » et l’utilisation faite par Janet de cette méthode. A ce sujet il faut
rappeler que le retour du sujet à une période antérieure de son existence a
été décrite par Pitres dans l’hystérie sous le nom d’ ecmnésie. Nous avons
repris l’étude de l’ecmnésie de Pitres dans notre ouvrage consacré aux
troubles mentaux dans les tumeurs cérébrales et rapporté des cas où nous
avons observé l’ecmnésie au cours de la confusion mentale des tumeurs
cérébrales 11.
Rappelons également que Chaslin a rapporté dans son célèbre ouvrage de
séméiologie mentale un cas de retour provoqué à une période de l’enfance
par l’application des métaux.
Quoi qu’il en soit la méthode cathartique est loin de résoudre toujours le
problème. La reviviscence de l’émotion ne produit pas toujours la
désensibilisation, parfois même c’est le contraire comme cela se produit
chez les anciens déportés dont les troubles sont souvent très tenaces et se
prolongent souvent encore maintenant. Par contre, une désensibilisation
prudente et progressive peut être plus efficace. Nous avons ainsi soigné un
jeune homme qui présentait au moindre contact de l’eau de véritables crises
à type hystérique. Nous avons fini par apprendre que l’émotion initiale avait
eu lieu à l’âge de 3 ans alors que l’enfant était confié à une bonne d’enfant
qui l’avait abandonné dans un jardin dans lequel par mégarde il avait été
soumis brutalement à une douche glacée par un tuyau d’arrosage. Plus tard,
on a procédé à une véritable vaccination, le sujet se soumettant d’abord au
contact d’une goutte d’eau puis très progressivement à des doses plus fortes
jusqu’à ce qu’il soit désensibilisé 12.

VIII. — Le scopochloralose

Notre expérience nous a montré que le sommeil, soit normal soit


hypnotique, peut dans certains cas sensibiliser le sujet et c’est pourquoi
nous avons abandonné l’hypnose classique à laquelle nous avions été initié
par Pierre Janet et que nous avons étudiée comme nous le rappellerons plus
loin au point de vue psychophysiologique, pour la remplacer par la méthode
du scopochloralose en pratiquant la désensibilisation émotive ou affective
au grand jour avec la collaboration consciente du sujet de façon claire et en
pleine confiance. Voici un exemple de cette méthode. Il s’agit d’une jeune
femme de 36 ans, mariée avec un mari très dévoué, qui l’aime beaucoup et
qui présente des crises douloureuses abdominopérinéales très violentes, se
produisant d’abord surtout quand elle voit sa mère, puis finalement à tout
propos et sans cause appréciable, crises prenant l’aspect de sympathalgies.
Ces crises ont totalement disparu pendant une grossesse terminée
malheureusement par une fausse couche liée probablement à une
insuffisance hormonale, fausse couche qui a créé une vive déception chez
cette malade et qui a été suivie de l’augmentation des crises douloureuses.
Tous les examens organiques les plus minutieux de cette malade pratiqués
par les spécialistes les plus compétents sont restés absolument négatifs.
Etant donné le problème hormonal nous avons prescrit un bilan hormonal
avec dosage de la folliculine urinaire et avec examen des frottis vaginaux.
Mais sur le plan psychologique nous avons appris qu’alors qu’elle était
jeune fille, la malade, étant allée en pension chez son oncle et sa tante, avait
été l’objet d’une tentative de viol par son oncle. Les parents ayant appris cet
accident se sont violemment brouillés avec son oncle et sa tante et lui ont
interdit de les revoir. Mais elle reste attachée à sa tante et correspond
secrètement avec elle ce qui la place dans une situation gênante et double
vis-à-vis de sa mère et la sensibilise énormément à ce sujet. En pareil cas
cette situation de clandestinité nous est apparue extrêmement traumatisante.
C’est alors que nous avons proposé à la malade de téléphoner à ses parents
afin que nous puissions les voir et essayer de dissiper le malentendu. Cette
simple proposition suscita de violentes réactions émotives de la malade
mais elle acquiesca cependant. Devant elle nous avons téléphoné à ses
parents qui nous ont répondu très aimablement et sont venus nous voir le
lendemain ce qui a permis un échange de vues très utile.
Mais il nous a paru nécessaire d’adjoindre à ce traitement une cure de
scopochloralose. Après un seul cachet, une seule journée, la malade s’est
sentie détendue et a pu se libérer : « C’est vers 16 heures, nous écrit-elle,
que la somnolence provoquée par le cachet de scopochloralose s’est
assoupie au profit d’un regain de vitalité joyeuse, favorisée par la présence
de mon mari », un début de crise douloureuse n’a pas évolué, et elle s’est
sentie en état, dit-elle, de dépasser ses souvenirs douloureux pour se
conduire en femme adulte. Elle s’est sentie apaisée.
Rappelons à ce sujet que le scopochloralose (association scopolamine-
chloralose) a été proposé par M. Pascal Brotteaux 13 pour réaliser une
hypnose médicamenteuse. Dès 1934, M. Pascal Brotteaux nous ayant écrit,
nous avons commencé nos études sur ce produit. M. Brotteaux utilisait trois
doses :
1° Une dose faible comprenant bromhydrate de scopolamine 1/4 de mg,
et chloralose 0,25 ;
2° Une dose moyenne : scopolamine 1/2 mg, et chloralose 0,50 ;
3° Une dose forte : scopolamine 3/4 de mg et chloralose 0,75.
Ajoutons que le chloralose utilisé doit être un chloralose rigoureusement
pur, car lorsque le chloralose est impur il peut déterminer des myoclonies
qui perturbent le malade. En outre les deux médicaments doivent être
intimement mélangés dans le cachet.
Nous avons longuement étudié le scopochloralose d’abord dans
l’expérimentation animale (avec Massaut de Liège) 14 notamment chez la
souris, le chat. Nous avons pu constater par nous-même à hautes doses la
production de la cécité psychique chez le chat, décrite par Charles Richet et
quelques secousses cloniques. Le chloralose (glucochloral), en effet, inhibe
le cortex cérébral et augmente l’excitabilité médullaire.
Nous avions, avant nos expériences, consulté le Pr Tiffeneau qui nous
avait appris que, d’après les recherches faites dans son laboratoire, la
scopolamine renforce l’action du chloralose et permet d’utiliser ainsi des
doses moins fortes de chloralose 15.
Nous avons étudié l’action neurovégétative du scopochloralose chez
l’homme avec nos élèves Gevaudan, Cornu et Mathey et noté que le produit
exerce une action bradycardisante et, d’autre part, abaisse légèrement la
tension artérielle maximale, mais augmente l’amplitude de l’indice
oscillométrique ce qui est très important car dans les états dépressifs
l’indice oscillométrique diminue et reprend son ampleur avec la guérison.
Enfin, nous avons étudié l’action du scopochloralose expérimentalement
chez l’animal sur la circulation cérébrale et constaté qu’il active légèrement
cette circulation et produit une légère vasodilatation (Encéphale, 1945,
n° 5-6-7, p. 81-88). De même nous avons souligné avec Racine la fréquence
de la tachycardie au cours des accidents hystériques et, à ce point de vue,
l’action bradycardisante du scopochloralose peut être utile.
Nous avons donc pensé que l’action favorable du scopochloralose
s’expliquait en partie par son action neurovégétative 16. Le problème de
l’état neurovégétatif dans l’hystérie a été discuté. Babinski lui-même,
cependant partisan énergique des seuls facteurs psychologiques, a décrit des
cas de manifestations ressemblant à des contractures et d’autres
manifestations hystériques, mais accompagnées de gros troubles
neurovégétatifs locaux (cyanose, modification de l’indice oscillométrique
étudiées par Babinski et Heitz) ce sont là les troubles physiopathiques de
Babinski et Froment, troubles survenant souvent à la suite de petites
blessures minimes des extrémités, blessures agissant comme épine irritative
déclenchant des troubles réflexes. Ces troubles requièrent parfois un
traitement analogue à celui de l’hystérie. Citons aussi les cas de
sympathalgies comme, par exemple, les douleurs sympathiques
consécutives aux avulsions dentaires ou certaines douleurs pelviennes qui,
parfois, évoquent le diagnostic d’hystérie mais qui sont cependant assez
différentes. En général l’erreur la plus fâcheuse est de traiter ces douleurs
comme des névralgies et de faire des infiltrations ou des interventions car
toute intervention aggrave ces états.

En clinique, nous avons montré que l’action du scopochloralose est très


différente suivant les doses.
La dose faible ou moyenne détermine le plus souvent un simple état de
sommeil identique au sommeil normal physiologique, caractérisé par une
envie de dormir que l’on peut maîtriser puis, si l’on s’y abandonne, la
fermeture des paupières, le ralentissement léger du pouls, le léger
abaissement de la température centrale, bref les signes cliniques et
neurovégétatifs du sommeil vrai avec également la très grande facilité de
réveil comme dans le sommeil normal.
La dose forte, au contraire, détermine un état d’hypnose avec catalepsie
et souvent hallucinations et agitations.
Or, notre expérience nous a montré que les résultats thérapeutiques sont
beaucoup moins bons avec la dose forte qu’avec les doses faibles. C’est
pourquoi nous évitons désormais le scopochloralose en vue de déterminer
l’hypnose mais nous utilisons le scopochloralose comme agent de la cure
de sommeil.
Nous avons, en outre, avec Delay, Verdeaux et Joubert, étudié l’action du
scopochloralose sur l’électroencéphalogramme et remarqué qu’alors que le
scopochloralose guérit rapidement les crises d’hystérie, il active les crises
d’épilepsie et peut agir à ce sujet comme révélateur.
Les résultats du scopochloralose dans les accidents hystériques sont en
général remarquables. Il suffit souvent d’une seule journée pour faire
disparaître la paralysie, les contractures, etc. Le malade est laissé à jeun,
bien couvert (en raison du léger refroidissement central), dans une pièce
obscure afin qu’il puisse s’abandonner au sommeil ; on prend avant la prise
du cachet le pouls, la tension artérielle et l’indice oscillométrique. L’effet du
cachet se fait sentir environ 1/2 heure à 3/4 d’heure après son absorption.
Le sommeil reste léger, et disparait à la moindre incitation, ou à la moindre
parole. On note au moment de l’action l’état du pouls, de la tension
artérielle et de l’indice oscillométrique.
L’action psychothérapique doit compléter l’action pharmacodynamique
et neurovégétative. Cette action psychothérapique doit être avant tout
réconfortante. Dans certains cas elle agit comme persuasion. Chez un
malade, atteint de dysphagie hystérique, qui ne pouvait plus rien avaler,
nous avons pu, au cours du sommeil par le scopochloralose, lui faire avaler
une goutte de lait ; nous avons dit alors à notre interne, le Dr Cornu : « Vous
voyez, il est guéri. » Un grand sourire illumina alors sa figure. Au réveil, il
avala un excellent déjeuner. Il était, en effet, guéri, et cette guérison se
maintient depuis plus de trente ans.
Dans d’autres cas le scopochloralose permet une action plus impérative.
Il en fut ainsi dans un cas grave d’obsession avec délire du toucher. Ce
malade ne pouvait plus rien toucher, se lavait les mains de façon incessante,
et ne pouvait plus rien faire. Dès que l’on essayait de forcer, il se mettait à
pleurer et faisait une scène comme un enfant. Au cours de l’action du
scopochloralose nous avons pu le faire lever, le faire toucher ses livres, le
faire toucher et embrasser sa femme, ce qu’il n’avait pas fait depuis des
années, et le persuader que sa crainte des microbes était illusoire, que les
microbes étaient nécessaires à la vie... Une amélioration considérable suivit
ce premier cachet. Nous avons recommencé huit jours après. Le malade put
se remettre à étudier. Ingénieur, il avait été ému par des ouvriers arabes
qu’il avait vus cracher dans leurs mains puis lui serrer la main. La peur de
la contamination était entrée dans son esprit. Elle s’est d’abord limitée aux
Arabes, puis s’est étendue à tout le monde et aussi aux objets. Le
scopochloralose par la détente qu’il a réalisée l’a délivré des résistances et a
permis une psychothérapie efficace.
La cure dure une journée. A midi, le malade qui avait pris le cachet à jeun
peut prendre un potage chaud, et le soir il dîne normalement. Si l’on veut
recommencer, il faut attendre au moins huit à dix jours, le produit
s’éliminant lentement.
Nous avons largement utilisé le scopochloralose en milieu militaire
pendant la guerre de 1939-1940 dans notre Centre de Neuropsychiatrie de
Reims grâce au Dr Vaillant, pharmacien chef de ce centre. Nous avons pu
ainsi guérir rapidement un grand nombre de soldats de crises hystériques
impressionnantes. Beaucoup, depuis lors, nous ont écrit ou remercié et se
trouvent en bon état.
Avant le scopochloralose, la cure des accidents hystériques se faisait par
la méthode brutale du torpillage que nous avons vu pratiquer un grand
nombre de fois à la Salpêtrière et à Sainte-Anne. Elle consiste à faire passer
sur la peau du corps, et notamment de la région malade, des courants
électriques très douloureux. Pour échapper à cette douleur le malade remue,
se débat, et les paralysies cessent, mais parfois le résultat n’est obtenu
qu’après une électrisation prolongée et le malade en sort épuisé. Certains au
début croyaient bon d’accompagner cette thérapeutique douloureuse
d’incitations verbales et parfois d’invectives, méthode fâcheuse qui fait
perdre au médecin sa dignité, donne l’impression au malade qu’il est l’objet
d’une sanction et entraîne parfois une véritable révolte du malade comme
nous en avons rapporté un exemple plus haut dans l’incident du zouave
Vincent pendant la guerre 1914-1918.

IX. — Le terrain de l’hystérie

Nous venons de parler des accidents hystériques et de leur traitement.


Mais il ne faut pas oublier que ces accidents hystériques surviennent sur un
terrain soit acquis soit constitutionnel.
Une des conditions les plus favorables à l’apparition des accidents
hystériques réside dans la dépression et, en particulier, dans la dépression
cyclothymique dont le rôle est si fréquent et si considérable tant sur le plan
médical que sur le plan social, faits sur lesquels nous avons spécialement
insisté avec notre élève Mme le Dr Mathey-Gevaudan.
C’est ce qui explique que les accidents hystériques sont précédés le plus
souvent de surmenage, de chagrin, de soucis, d’épuisement ou des suites de
maladies infectieuses. Cet état de fatigue nerveuse se traduit d’abord par
des troubles neurovégétatifs avec de fortes céphalées simulant parfois une
tumeur cérébrale, des vertiges, de l’angoisse, des douleurs erratiques à
forme sympathalgique, à symptomatologie imagée, donnant l’impression de
tension, d’eau qui coule, etc., et accompagnées de préoccupations et de
découragement. C’est sur ce terrain que peut survenir l’accident hystérique
pour une cause occasionnelle quelconque. Il en fut ainsi chez un malade
souffrant de douleurs gastriques, d’anorexie, de céphalées, de vertiges venu
nous consulter à la fin d’une matinée dans notre bureau de la Maison
nationale de Charenton. Après lui avoir donné son ordonnance, nous avons
quitté notre bureau pour aller déjeuner ; le malade s’étant attardé, un
employé a fermé à clef le bureau. Le malade a cru qu’il était séquestré et
quand nous sommes revenu à notre bureau après le déjeuner nous l’avons
trouvé animé de sauts violents réalisant la chorée rythmée hystérique de
Charcot. Ces sauts ont duré toute la journée et la nuit. Le lendemain matin
nous avons pu le guérir rapidement par un cachet de scopochloralose.
Bien entendu le terrain constitutionnel et héréditaire joue un rôle
important. Nous savons d’ailleurs que ce terrain joue un rôle essentiel dans
la cyclothymie où on retrouve presque toujours l’hérédité directe. Dupré a
décrit à ce sujet une constitution hystérique ou hystérisable. Il s’agit en
général de sujets impressionnables mais à émotivité rentrée. On a noté chez
eux des variations curieuses de l’appétit, des instincts, d’où l’anorexie
mentale, rattachée quelquefois à l’hystérie, la facilité des prémonitions, des
intuitions, des variations paradoxales des fonctions viscérales, et enfin et
surtout une grande suggestibilité. Il faut noter aussi la fréquence d’accidents
hystériques chez les débiles mentaux et, à ce sujet, rappelons les travaux de
Fribourg Blanc sur le problème des débiles mentaux dans l’armée.
Babinski a enfin souligné le rôle de l’imitation. Ce facteur ne doit pas
être sous-estimé. Le sujet qui voit autour de lui des crises d’hystérie peut les
imiter. Il en fut ainsi probablement du temps de Charcot. Ce fait joue dans
les épidémies d’hystérie.

X. — Nature de l’hystérie

Cette nature reste encore assez mystérieuse mais quelques points précis
se dégagent maintenant. Comme nous y avons insisté récemment dans un
article de La Gazette des Hôpitaux (10 juin 1967, p. 859-861), le problème
de l’hystérie concerne en fait celui des rapports de l’âme et du corps. Les
anciens pensaient que l’hystérie était liée à des migrations de l’utérus d’où
le nom même d’hystérie issu du grec ustera = matrice. Cette origine
sexuelle de l’hystérie a été maintes fois imaginée, certains auteurs
comparant même la crise d’hystérie à l’orgasme. Nous avons souvent
entendu A. Souques s’élever contre une telle interprétation. Cependant la
théorie sexuelle de l’hystérie est revenue à l’ordre du jour avec la doctrine
de Freud et celle du refoulement. On voit cependant souvent des
manifestations hystériques chez des sujets sans le moindre refoulement
sexuel. On peut se demander, quand on trouve des perturbations dans cette
sphère, si ces perturbations ne sont pas secondaires et non causales. On a
cependant insisté (Dide) sur le caractère romanesque de certaines
hystériques, sur le « bovarysme » et surtout sur la prédominance de
l’imagination (Dupré) et dans certains cas sur une spiritualisation exclusive
avec refus de tout phénomène corporel. C’est ce qu’on voit sans conteste
dans l’anorexie mentale qui est un trouble de l’intégration mentale et
somatique.
Mais la clinique montre que les manifestations hystériques ne constituent
qu’une modalité légère de la dépression. Comme dans la dépression, elles
se développent sur un état à la fois de fatigue, d’inhibition et
d’hyperexcitabilité sympathique. C’est pourquoi l’accident hystérique peut
être guéri soit par une stimulation violente (torpillage), soit par la mise au
repos, la détente (scopochloralose). A ce sujet, comme nous y avons insisté
à la Société médico-psychologique, le scopochloralose constitue la seule
vraie cure de sommeil car les autres cures de sommeil pratiquées avec des
cocktails d’hypnotiques ne sont pas de vraies cures de sommeil mais des
cures de narcose.
Nous ne pouvons traiter ici complètement ce problème mais notre but est
de souligner l’évolution et les progrès accomplis. D’une conception
purement neurologique fonctionnelle, l’hystérie, après Bernheim et
Babinski, a évolué vers une conception psychologique, avec un important
facteur suggestif. Mais surtout depuis Babinski on sait distinguer les
affections localisées du système nerveux des troubles relevant de la
personnalité. Ceci est essentiel au point de vue pratique car les erreurs de
diagnostic peuvent entraîner des conséquences terribles. Considérer comme
hystérique un malade organique peut entraîner sa mort. Il en fut ainsi par
exemple chez un malade atteint de myasthénie d’Erb-Goldflam que nous
n’avons vu qu’à la fin de sa maladie. Traité comme hystérique on regardait
ses malaises comme imaginaires et en plus de la maladie on ajoutait
l’incompréhension et l’humiliation morale. Il était hélas au début des
accidents bulbaires qui devaient l’emporter peu après. De tels faits doivent
faire réfléchir sur la responsabilité qu’on encourt par de telles erreurs de
diagnostic.
L’erreur inverse est aussi grave. Considérer comme organique un malade
hystérique revient à développer l’extension des troubles et à empêcher la
guérison. La question se complique encore du problème des manifestations
hystéro-organiques : un trouble organique peut dans quelques cas se
compliquer de manifestations hystériques surajoutées. Il en est ainsi dans
l’hystéro-épilepsie. La crise d’épilepsie s’accompagne de perte totale de la
conscience. La crise d’hystérie d’agitation et de mouvements désordonnés
sans perte au moins totale de la conscience. Pendant longtemps on
considérait ces deux types de crises séparées par « un abîme » et de là est
venue cette notion de la combinaison de deux entités séparées. En réalité ce
problème demande a être révisé.
On sait, en effet, que certaines maladies organiques peuvent débuter par
des crises d’allure typiquement hystérique. Il en est ainsi dans la sclérose en
plaques. Par ailleurs, en expérimentant avec de Jong sur la bulbocapnine et
d’autres produits cataleptigènes chez les animaux, nous avons vu que les
toxiques à certaines doses déterminaient des crises de gesticulation à type
hystérique, et à doses plus fortes de l’épilepsie. Il y aurait donc dans les
deux une participation du système nerveux ne différant que par le degré de
l’intoxication. Sur ce point l’œuvre de Babinski doit être repensée. En effet,
ce que Babinski désignait sous le nom de symptômes organiques
représentait essentiellement des symptômes de localisation mais il
n’excluait pas l’idée qu’une cause biologique diffuse pouvait déterminer
des manifestations hystériques et il nous a dit une fois : « C’est à vous,
psychiatres, qu’il appartient de chercher les causes diffuses qui peuvent agir
sur la personnalité. » Lorsque nous étions chef de clinique du Pr Claude à
Sainte-Anne, une malade est entrée dans le service présentant
d’impressionnantes crises d’hystérie en opisthotonos du type Charcot, mais
cette malade présentait une attitude de la main et des bras qui avait fait
penser à Claude à une rigidité décérébrée et, par conséquent, à une
localisation mésencéphalique. C’est dans cette interprétation que nous
avons présenté sur son conseil avec Tinel et Lamache cette malade à la
Société médicale des Hôpitaux. Le choc fut alors terrible avec Babinski.
Après deux après-midi entiers de discussions serrées, Babinski vint
examiner la malade à Sainte-Anne en présence du Pr Claude et de Percival
Bailey de Chicago et montra par des épreuves appropriées comme il savait
les faire qu’il n’y avait pas de signes de localisation. C’est à la suite de ce
cas que nous avons été ensuite l’élève de Babinski, ce qui nous amena à
nous séparer de la conception de Claude qui voulait revenir à la conception
organodynamique de Charcot. Ce retour à la neurologisation localisatrice de
l’hystérie était alors dans l’air ; en Roumanie, Marinesco et Radovici
tentaient de ramener l’hystérie à des troubles extrapyramidaux ; l’on revint
alors à la discussion du torticolis spasmodique que l’on avait au début
considéré comme hystérique et désigné sous le nom de torticolis mental
mais que Babinski démontra être en rapport avec un trouble strié, de même
que le spasme de torsion de Ziehen Oppenheim considéré d’abord comme
hystérique et qui est lié à une lésion mésencéphalique. Rappelons que
même la maladie de Parkinson fut considérée comme hystérique avant
qu’on en ait découvert les lésions.
Tous ces faits montrent qu’une grande partie de l’ancien domaine de
l’hystérie a été démembrée au profit des syndromes de localisation
neurologique. Il en fut de même dans le domaine psychiatrique où une
partie importante de l’ancienne folie hystérique fut démembrée au profit des
psychoses circulaires ou schizophréniques.
C’est pourquoi par anticipation on a pu voir dans notre époque deux
courants s’affronter. Un premier courant vise dans ses excès à confondre de
nouveau l’hystérie et les syndromes organiques, et le second à expliquer
tous les syndromes nerveux par un roman psychologique. On a même vu à
un récent congrès à Lausanne inclure de nouveau la chorée vraie dans
l’hystérie. C’est comme si on annulait toutes les découvertes et les progrès
incontestés de la neurologie pour tout expliquer par la suggestion,
l’imagination, ou le refoulement. N’a-t-on pas vu Lafforgue vouloir donner
une explication psychanalytique au signe de Babinski, signe organique par
excellence et totalement indépendant du psychisme ?
A l’autre opposé se placent les tentatives de ramener toutes les
manifestations hystériques à des localisations anatomiques d’ordre au
moins fonctionnel. Ce fut la doctrine de Claude du retour à la conception
organodynamique de Charcot, doctrine à laquelle il a voulu nous rallier
mais que nous n’avons pu accepter. C’est pourquoi il transmit cette doctrine
à Henry Ey qui essaya de la soutenir mais sans y réussir, et ceci pour cause,
car il s’agit d’une régression insoutenable dans l’état actuel de la science.
Au lieu de ce retour au passé, il vaut mieux continuer d’aller de l’avant.
Le diptyque de Babinski a éclairé les affections localisées du système
nerveux mais a laissé dans l’ombre l’étude des causes perturbant la
personnalité. Utilisant la suggestion, il a vu que celle-ci ne pouvait être
démontrée que dans le domaine limité des affections immédiatement et
totalement curables par persuasion d’où le groupe des affections
pithiatiques qu’il a créé. Mais il a vu que d’autres névroses comme les
obsessions ne sont pas accessibles à la suggestion. En réalité Babinski a
séparé les affections à concordance anatomo-cliniques directes et strictes, et
les affections liées à des perturbations de la volonté et de la personnalité. Il
n’a approfondi que le premier diptyque. Il restait à approfondir le second
diptyque et à rechercher les causes biologiques générales ou psychologiques
susceptibles de perturber les processus volontaires. Ce fut là le rôle des
études modernes sur la catalepsie et la catatonie.
CHAPITRE II

CATALEPSIE ET SOMMEIL CATALEPTIQUE LE


SOMMEIL DE LA VOLONTÉ

Le système nerveux, et plus particulièrement le cerveau, est souvent


considéré comme un appareil d’information, de perception et de sensibilité.
Il est aussi un système d’action, en vue du mouvement. C’est pourquoi
Laennec le désignait déjà comme impetum faciens.
Toutefois l’analyse du mouvement est complexe. Nous laissons ici de
côté les mouvements réflexes, et n’envisageons que ce qu’on désigne sous
le nom de « mouvement volontaire ».
En fait ce mouvement volontaire comprend deux sortes de systèmes très
différents. Le premier est un système qui règle l’exécution du mouvement
par un ensemble d’automatismes qui, une fois mis en branle, se déclenchent
et se développent d’eux-mêmes. Ces automatismes sont des automatismes
moteurs plus ou moins indépendants du psychisme. Il en est ainsi, par
exemple, du système pyramidal dont les centres sont corticaux le long de la
frontale ascendante et dont les voies de projection traversent la capsule
interne et vont jusqu’aux cellules motrices de la moelle qui transmettent
l’influx jusqu’aux muscles. Lorsque ce système est lésé, la volonté du
mouvement persiste mais le mouvement ne s’exécute pas par suite de l’arrêt
du mécanisme d’exécution. C’est ce qui se passe dans l’hémiplégie
organique vulgaire dans laquelle les membres n’obéissent pas à l’influx
psychique volontaire, c’est-à-dire à l’initiative, à la mise en train du
mouvement. On pourrait comparer cette situation à celle d’une automobile
dont le carburateur ne fonctionnerait pas et ne répondrait pas à la mise en
train du conducteur. Or cet appareil d’exécution, ce carburateur, est
strictement, comme tous les systèmes automatiques, localisé dans le
cerveau. L’étude de ces systèmes automatiques, de leur localisation, et de
leur altération est le domaine propre de la neurologie.
Au contraire, dans l’hémiplégie hystérique, ce système automatique
d’exécution est rigoureusement intact et on peut s’en assurer avec certitude
par les diverses épreuves découvertes par Babinski pour l’explorer (réflexes
tendineux et cutanés, réflexe plantaire, recherche du clonus, des
syncinésies, etc.). Mais tout se passe en pareil cas comme si l’ordre de mise
en train de l’appareil émanant du psychisme ne se produisait pas. Le
carburateur est intact, mais le conducteur est inerte ou endormi. Il n’y a
donc pas de mise en train, c’est-à-dire pas d’initiative du mouvement. C’est
pourquoi le réveil, comme par exemple le torpillage, rétablit le mouvement.
Ici il s’agit d’une inhibition psychique limitée à une moitié du corps,
mais dans d’autres affections on peut voir une inhibition psychique étendue
au corps entier. C’est là ce que l’on désigne sous le nom de catalepsie.
La catalepsie peut survenir par crises que l’on décrivait autrefois sous le
nom de sommeil hystérique étudié notamment par Pitres, dont nous avons
repris l’étude avec le Pr Claude en 1928 17. Les sujets sont immobiles, les
paupières baissées, avec de petits battements caractéristiques des paupières.
Si, dans cet état, on soulève les membres au-dessus du lit ils les conservent
dans cette position. Mais, fait capital, on ne peut pas les réveiller comme on
réveille quelqu’un dans un sommeil ordinaire. Il y a donc là un
engourdissement spécial ressemblant au sommeil mais différent du sommeil
dont la durée est très variable, pouvant aller de quelques heures ou quelques
jours jusqu’à des mois et des années. Nous avons vu ainsi une jeune fille
qui est restée cinq ans dans cet état, et que l’on désignait sous le nom de la
belle au bois dormant. Au bout de ces cinq ans, elle guérit et reprit sa vie
normale. Durant ce long sommeil, les fonctions végétatives fonctionnent
normalement : on peut alimenter la malade, le fonctionnement vésical et
intestinal est intact, on ne note aucune des perturbations observées dans le
coma. La respiration n’est ni suspirieuse, ni stertoreuse, et on ne note
aucune des altérations organiques et neurovégétatives du coma. La malade
paraît reposée, le visage est calme et normalement coloré, la respiration non
seulement n’est pas bruyante mais est parfois silencieuse, comme si le sujet
retenait son souffle. Le cœur et le pouls sont tout à fait normaux.
Si l’on insiste pour asseoir ou même pour lever le malade, il le fait
parfois mais reste dans la position où on l’a placé. Fait encore plus curieux,
il peut même parfois garder des positions très difficiles et demandant un
grand effort, comme par exemple de se tenir sur un seul pied, l’autre
membre inférieur en l’air, ou bien de rester plié en deux, etc. On dirait un
automate, une poupée articulée. Le mutisme èst total mais l’expression du
visage est très spéciale. Souvent le visage est immobile ; les yeux fixes
spontanément ou lorsqu’on a soulevé les paupières, semblent regarder au
loin, et sont comme morts, sans expression. C’est pourquoi au Moyen Age
du temps d’Ambroise Paré ou en Espagne de Pereira de Medine on
craignait de prendre les cataleptiques pour des morts et de les enterrer
indûment.
On peut se demander ce qui se passe dans l’esprit des sujets atteints de ce
syndrome et on peut le savoir en les interrogeant à leur réveil. En général la
mémoire est parfaitement conservée à l’égard de tout ce qui s’est passé dans
leur sommeil et ils peuvent donner tous les détails sur les événements
survenus et même sur les réflexions qu’on a faites à leur égard. Leur
conscience était donc conservée mais ils s’accordent en général pour dire
qu’ils ne pouvaient rien décider ni agir, que leur volonté était comme
suspendue, par une cause mystérieuse leur enlevant leur initiative, et leur
indépendance pour les condamner à cette passivité.
Souvent aussi, le sujet condamné à cette passivité sent voltiger dans sa
tête des idées qu’il ne peut freiner ni dominer. Son pouvoir de contrôle est
aussi inhibé.
Pouvoir d’initiative et pouvoir de contrôle représentent les deux pôles de
l’action volontaire. On peut donc dire que la catalepsie représente le
sommeil de la volonté. C’est pourquoi nous avons utilisé le terme de
sommeil cataleptique.
Dans d’autres cas, le phénomène de la catalepsie que nous venons de
rappeler s’associe à des phases d’intense résistance, dites de négativisme.
Le malade s’arc-boute alors avec une extrême énergie pour résister au
mouvement que l’on veut lui faire exécuter (négativisme passif) parfois
même exécute le mouvement inverse de celui qu’on a voulu lui faire faire
(négativisme actif).
En même temps le malade se place dans une attitude en flexion, recourbé
sur lui-même, parfois enroulé dans une sorte d’attitude fœtale. Parfois il se
penche, la tête en avant soutenue par ses mains, le regard fixe comme
plongé dans une profonde méditation. C’est l’attitude que nous avons
décrite avec de Jong sous le nom « d’attitude du Penseur de Rodin ».
Cette position si impressionnante de statue peut être brusquement
interrompue par des hyperkinésies impulsives : tantôt par de brusques
mouvements stéréotypés de machine, tantôt par des grimaces et des
stéréotypies du visage, tantôt par une impulsion violente visant à frapper
quelqu’un qui passe pour retomber aussitôt dans la rétraction en flexion,
tantôt par de grandes gesticulations avec les bras en croix le regard pâmé
vers le haut (attitude de crucifixion), tantôt par une série de démonstrations,
dans lesquelles le sujet se met brusquement à courir pour s’arrêter pile
comme une machine, ou se roule par terre, ou semble se pâmer d’effroi ou
de transe, attitude rappelant dans une certaine mesure les crises hystériques
et que Kahbaum a désignées sous le nom de crises de pathéticismus.
Pendant tout ce temps on note des troubles neurovégétatifs
extraordinaires. La face est particulièrement pâle, terne, comme celle d’un
mort, d’autant plus que la vie du regard semble avoir disparu. Nous avons
étudié spécialement, par des films et des dessins en série réalisés grâce à M.
Le-meunier, cette perte de vie du regard si spéciale à cette maladie et si
différente du regard fixe mais vivant des parkinsoniens.
De la bouche s’écoulent des jets incessants de salive formant parfois
jusqu’à une mare devant le malade.
La respiration est parfois diminuée, à peine visible, en tout cas ralentie,
cet état alternant avec des brusques mouvements de polypnée soufflant
comme une forge. La circulation est bien conservée, mais on note parfois à
l’électrocardiogramme des modifications que nous avons étudiées avec
Racine et dont l’étude a été reprise par Chatagnon avec une augmentation
du soulèvement T et une modification spéciale de la ligne ST (syndrome de
Colucci).
Aux membres inférieurs, lorsque le malade est couché, les jambes sont
blanches comme un drap. Vient-on à faire lever le malade on voit apparaître
aux pieds une couleur rouge vineuse qui envahit de bas en haut la jambe et
une partie de la cuisse. C’est l’acrocyanose orthostatique que nous avons
décrite avec le Pr Claude, acrocyanose liée à une contraction spéciale des
artères rappelant même parfois l’artérite oblitérante mais disparaissant
totalement et brusquement lorsque le malade est réveillé.
En effet, dès le réveil le changement vasculaire est tel que la figure
reprend sa couleur normale et son expression vivante tellement bien qu’on
peut ne pas reconnaître le malade. C’est ainsi qu’une fois je n’ai pas
reconnu un matin un malade qui était en catatonie depuis trois ans et qui
guérit subitement un beau matin. Il reprit alors son activité de peintre et
réalisa les plus belles toiles de sa vie.
Pendant la catatonie on note beaucoup d’autres troubles fonctionnels
organiques. L’estomac peut être spasmé, le fonctionnement du pylore est à
la fois spasmodique et atonique de même que le fonctionnement intestinal
(Henry de New York, H. Baruk et L. Camus). Les réactions vestibulaires
sont surtout profondément modifiées comme nous l’avons signalé avec
Aubry : le malade est insensible au vertige galvanique, on note également
une inexcitabilité calorique et rotatoire, inexcitabilité qui disparaît
totalement dès le réveil.
Lorsque la catalepsie est ainsi associée au négativisme, aux
hyperkinésies, et aux troubles neurovégétatifs, on a affaire alors au
syndrome décrit en 1874 par Kahlbaum à Berlin sous le nom de
catatonie — syndrome auquel nous avons consacré des recherches
ininterrompues depuis 1927 jusqu’à maintenant.

Au début Kahlbaum, inspiré par la découverte de Bayle de la paralysie


générale à Charenton en 1822, pensait que la catatonie était une maladie
cérébrale anatomique mais présentant un caractère périodique et
polymorphe pouvant dans certains cas évoluer vers la démence.
Après Kahlbaum, on se mit à rechercher les lésions cérébrales de la
catatonie, et après l’apparition de l’encéphalite léthargique qui réalisa tant
de syndromes parkinsoniens, l’attention fut attirée sur les centres de la base
du cerveau et les noyaux centraux et de nombreux auteurs tentèrent
d’assimiler la catatonie en raison de sa contracture et du négativisme au
parkinsonisme et aux syndomes striés (Dide et Guiraud, Obario, etc.).
Nous avons alors en 1926, dans le service du Pr Claude à Sainte-Anne,
entrepris l’étude de la catatonie au moyen des méthodes de la
neurophysiologie moderne, en particulier au moyen de l’électromyographie
(avec Thévenard puis Mlle Nouel), de la chronaxie (avec Georges
Bourguignon), de l’électrocardiographie (avec Racine), de l’étude des
réactions vestibulaires (avec Aubry), des réactions vasculaires, etc. Déjà
l’étude des réflexes de posture faite par Delmas-Marsalet (de Bordeaux)
avait montré qu’on ne retrouvait pas dans la catalepsie et la catatonie les
modifications des réflexes de posture que l’on trouve dans les lésions des
noyaux centraux mais qu’il s’agit d’un facteur psychique. Nos recherches
effectuées par des moyens convergents et en particulier par
l’électromyographie montrèrent la différence incontestable qui sépare la
catalepsie et la catatonie du parkinsonisme et des syndromes striés et
objectivèrent que la catalepsie et la catatonie s’apparentent au sommeil.
En effet, catalepsie, négativisme, automatismes hyperkinétiques, et
troubles neurovégétatifs cessent instantanément dès le réveil du malade, et
ce fait est si net que nous avons pu, au cours de la disparition de la
catatonie, constater la disparition instantanée des modifications de
l’électrocardiogramme, des constrictions vasculaires, des modifications
respiratoires, et même de certaines modifications biologiques des protides
que nous avons trouvées dans le sang avec Mlle Halina Jankowska (de
Varsovie) et plus tard dans la bile avec Olivier et Liteanu.
Ces faits nous amenaient à décrire deux variétés de médecine
psychosomatique (Médecine et Hygiène, Genève, 23 juin 1965, n° 693).
Une première variété que nous avons rappelée plus haut à propos de
l’hystérie consiste dans la réalisation d’un symptôme physique en vertu
d’une idée. C’est ce que les psychanalystes désignent sous le nom
d’hystérie de conversion et c’est ce que représente actuellement la
psychosomatique américaine, c’est-à-dire une forme de la psychanalyse.
La seconde variété consiste dans des modifications des divers appareils
somatiques par suite d’un engourdissement psychique spécial que nous
avons désigné sous le nom de « sommeil cataleptique ». Ainsi
l’engourdissement en partie de la conscience et de la volonté libère
certaines fonctions somatiques et biologiques. C’est à cette notion qu’il faut
rattacher les pratiques du yoga que nous étudierons plus loin.
Il restait à découvrir les causes de cet engourdissement catatonique. C’est
alors que nous avons pu en 1928 réaliser avec de Jong (d’Amsterdam) à
Paris la catatonie expérimentale par la bulbocapnine alcaloïde tirée de la
corydalis cava. Cet alcaloïde nous permit d’abord chez le chat de réaliser la
catalepsie, le négativisme, les hyperkinésies et les troubles neurovégétatifs
de la catatonie en particulier la salivation, ainsi que les mêmes troubles
électromyographiques et chronaxiques que chez le malade. Notons à ce
sujet que les courants d’action observés dans les muscles durant la catatonie
rappellent par leur rythme ceux de la contraction volontaire, c’est-à-dire les
courants d’action d’origine psychique. Notre travail expérimental avec de
Jong développé ensuite à Amsterdam au laboratoire de physiologie du Pr
Brouwer et à l’Institut du Cerveau de Kappers a montré :
1. ° Que la catalepsie et la catatonie ne se développent que chez les
animaux à cortex suffisamment développé et que ces symptômes ne
peuvent être réalisés chez les vertébrés inférieurs (poissons, reptiles,
batraciens) ;
2. ° Que suivant les doses employées on obtient des symptômes
différents :
a) Avec les petites doses du sommeil vrai dont on peut réveiller
facilement le malade ;
b) Avec des doses moyennes de la catalepsie ;
c) Avec des doses encore un peu plus fortes du négativisme et des
hyperkinésies hystériformes ;
d) Avec des doses très fortes de l’épilepsie.
Cette notion des symptômes suivant les degrés de l’intoxication s’est
étendue ensuite à une multitude d’autres expérimentations avec d’autres
drogues. C’est pourquoi nous l’avons formulée sous le nom de loi des
stades ou loi des stades psychoorganiques (Congrès de
Psychopharmacologie de Bâle, 1960) en confrontant les données de
l’expérimentation animale et celles de l’utilisation chez l’homme de la
thérapeutique par le somnifène que nous avions étudiée avec le Pr Claude
en 1928.
Ainsi la réalisation de la catatonie expérimentale mettait en évidence le
fait essentiel que la catalepsie et la catatonie représentent une modalité
d’engourdissement psychocérébral spécial voisin du sommeil mais diffèrent
du sommeil par un degré d’intoxication et de perturbation plus fort.
Ultérieurement, des travaux effectués dans le monde entier ont permis de
dépister une série de substances susceptibles de produire la catalepsie et la
catatonie. Pour notre part nous nous sommes spécialement attaché à l’étude
des poisons issus de l’intestin (toxine colibacillaire neurotrope) ou de la bile
de tubage duodénal (Baruk et Camus) ainsi que de certaines réactions
allergiques, et également de la catatonie expérimentale des neuroleptiques
(Baruk, Launay et Berges). En Amérique les travaux de Rinkel, Denber,
Kline, Sackler, Kluever qui prirent part avec nous au Symposium de Zurich
(septembre 1957), la découverte de la substance catatonigène de Heath, de
la substance P de Gaddum, du rôle de l’ adénochrome de Hoffer, de celui de
l’ammoniaque par Gjessing (d’Oslo), de ceux de de Jong sur
l’acétylcholine, l’azote, de ceux de Divry (de Liège) sur l’insuline, etc., ont
abouti à dresser une liste de substances susceptibles de créer une catalepsie
expérimentale, substances que récemment Simon, Langevinski et Boissier
ont étudiées chimiquement en comparant de ce point de vue la catalepsie
des neuroleptiques et celle de la bulbocapnine, substances que nous avons
désignées sous le terme générique de Poisons de la volonté.
Les recherches psychologiques que nous avons faites non seulement chez
les animaux, mais encore sur l’homme normal et sur le nourrisson au
moyen de l’ objectivation de l’initiative volontaire par le piézographe et
d’autres moyens nous ont montré que le mouvement volontaire peut se
définir par un mouvement spontané, imprévisible, adapté à un but et
réalisant le but.
Par son caractère spontané il se distingue des mouvements réflexes ou
des mouvements réactionnels qu’on peut, comme nous l’avons fait avec de
Jong au Jardin Zoologique d’Amsterdam, observer chez les vertébrés
inférieurs chez qui la mobilité oscille entre l’akinésie et l’impulsion.
Par son caractère adapté et finaliste il se distingue de l’impulsion.
C’est ainsi que chez le nouveau-né et le nourrisson nous avons pu
distinguer après la phase des mouvements extrapyramidaux à la naissance,
la phase de l’impulsion du désir, puis l’apparition du contrôle de
l’impulsion aboutissant au mouvement saisissant le but.
Deux facteurs en apparence opposés interviennent donc dans le
mouvement volontaire : d’une part, l’impulsion affective sur laquelle
avaient insisté Babinski et Jarkowski dans leurs célèbres travaux sur la
kinésie paradoxale, d’autre part le frein et le contrôle qui transforment cette
impulsion brutale et aveugle en un acte coordonné et adapté susceptible de
saisir le but.
Ce sont ces modalités que l’on peut objectiver comme nous l’avons
montré avec R. Porak, puis avec Gomez et Rossano en étudiant l’initiative
psychomotrice chez l’homme au moyen soit de l’ergographe de Mosso, soit
du piézographe de Gomez-Langevin. Chez le sujet normal la courbe dessine
une parabole régulière montrant la netteté et la continuité de la décision. Par
contre chez le catatonique la mise en train est excessivement lente avec des
arrêts en plateaux dessinant une forme trapézoïde, jusqu’au moment où
s’installe l’automatisme. Enfin chez les névropathes et les hystériques une
courbe irrégulière et incertaine traduit les indécisions, l’aboulie et les
contradictions.
Ces faits nous permettent de mieux comprendre la catalepsie et la
catatonie. La catalepsie représente en somme l’inhibition de la mise en train
psychomotrice, c’est-à-dire de la mise en train volontaire.
La catatonie représente un degré plus marqué avec négativisme et gros
troubles neurovégétatifs.
Dans les deux cas le fonctionnement de la volonté est touché à la fois
dans ses fonctions d’initiative et dans ses fonctions de contrôle, d’où
l’association de l’immobilité d’une part, des décharges des automatismes ou
des influx affectifs d’autre part.
Ces phénomènes sont voisins du sommeil sans pouvoir être identifiés
toutefois avec le sommeil vrai. C’est un sommeil qui inhibe, qui saisit la
volonté, d’où le nom de catalepsie qui signifie, d’après son étymologie
grecque, prendre, saisir.
Sur le plan psychologique, nous avons rappelé plus haut l’état psychique
de l’ancien sommeil hystérique, de la crise de catalepsie. Dans la catatonie
proprement dite, nous avons montré l’importance du rêve, et du délire
onirique d’origine toxique, tel le cas de cette malade qui en catatonie au
cours d’une septicémie colibacillaire, se croyait dans un avion, destinée à
être conduite en Russie pour être fusillée par les Bolcheviks et se
comportait en rapport avec ce délire. C’est pourquoi le comportement de
ces malades semble parfois si capricieux et étrange que pour des
observateurs inexpérimentés il prend l’aspect d’une simulation. En réalité si
le comportement paraît ressembler à un comportement volontaire, il ne
s’agit pas d’une volonté libre mais d’un comportement imposé par un
délire, lui-même d’origine toxique.
On s’est demandé si la catatonie est en rapport avec une zone déterminée
du cerveau ou non. La catatonie expérimentale a permis d’élucider ce
problème 18. Dès 1933, en réalisant la catatonie expérimentale par la toxine
du colibacille intestinal, nous avons démontré le rôle des poisons
intestinaux, et plus tard, avec L. Camus celui d’un poison biliaire (1934),
que nous avons pu, dans des recherches successives, rattacher à des
polypeptides et essayer d’identifier (avec Olivier, Liteanu) un poison
désigné sous le nom de « catatonine biliaire » étudié également en
Allemagne par le Pr Mail. Ultérieurement avec Launay et Berges nous
avons décrit la catatonie expérimentale des neuroleptiques et fixé les règles
de la catatonie expérimentale dans les tests psychopharmacologiques, les
substances actives en thérapeutique psychiatrique réalisant la catatonie
expérimentale chez l’animal, d’où le test de la catatonie expérimentale, test
courant maintenant dans tous les laboratoires de psychopharmacologie.
Les travaux célèbres en Allemagne de Shaltenbrand ont mis en évidence
le rôle d’un important facteur cortical, rôle souligné par Pavlov dans ses
célèbres travaux. Les recherches que nous avons faites avec Puech chez le
singe ont montré que si ce facteur cortical diffus est, en effet, important,
l’intensité de la catatonie est proportionnelle à la diffusion de l’action
toxique. Ce rôle de la diffusion est essentiel dans la production des troubles
psychiques et par là s’oppose au caractère strictement localisé des affections
neurologiques.
C’est cette diffusion toxique qui explique les petites lésions cellulaires et
vasculaires (notamment des capillaires) soulignées par divers auteurs à
l’autopsie de catatoniques anciens et que nous avons nous-même pu
constater avec Claude et Lhermitte, avec Cuel, et dans un cas très
particulier avec le Pr Del Rio Hortega (de Madrid).
Ajoutons que Luis Rojas (de Madrid) a montré que la bulbocapnine dans
son action toxique commence par agir sur les vaisseaux du cerveau et que si
cette action vasculaire se prolonge elle peut déterminer des lésions
cellulaires secondaires. Nous avons pu chez le singe, avec nos amis les Prs
Puech et David et nos collaborateurs Racine, Vallancien et Mlle Leuret,
saisir expérimentalement la modification vasculaire catatonigène se
produisant sous la forme soit le plus souvent de vasoconstriction et
d’anémie cérébrale comme cela a lieu dans la catalepsie bulbocapnique, soit
plus rarement dans un œdème cérébral comme celui que nous avons mis en
évidence avec Rougerie chez le singe dans la catalepsie provoquée par
l’intoxication par l’A.C.T.H.
En conclusion, la catalepsie et la catatonie représentent une sidération, on
une inhibition de l’appareil psychomoteur volontaire, appareil en rapport
avec le fonctionnement entier non seulement du cortex mais de tout le
cerveau. Cette inhibition peut être d’origine toxique et organique. Elle peut
s’accompagner alors de délire onirique. Si son action se prolonge elle peut
aboutir à la dissociation psychique qui caractérise le processus
schizophrénique. C’est pourquoi, après avoir été confondues avec
l’hystérie, puis avec la catatonie de Kahlbaum, la catalepsie et la catatonie
de Kahlbaum ont été ensuite noyées dans le vaste cadre de la démence
précoce de Kraepelin et de la schizophrénie de Bleuler.
Mais comme nous y avons insisté dans de nombreux travaux et comme
cela a été souligné dans les récentes discussions de la Société médico-
psychologique 19, cette extension systématique a été quelque peu exagérée
et il vaut mieux revenir à la conception de Falret qui voyait dans la
catalepsie un simple syndrome susceptible de survenir dans des conditions
différentes. Si certes on peut observer des cas chroniques où la catalepsie
locale fait partie d’un vaste syndrome dissociatif, on peut voir aussi des
catalepsies périodiques ou symptomatiques faisant partie de la catatonie de
Kahlbaum, et on peut voir aussi des catalepsies encore passagères
provoquées par une sidération psychique émotive transitoire et ce sont ces
derniers cas dont nous avons publié des exemples qu’on peut conserver
sous le nom de catalepsie hystérique, cas qui se rapprochent d’ailleurs de la
catalepsie hypnotique que nous allons maintenant étudier.
CHAPITRE III

L’HYPNOSE OU CATALEPSIE PROVOQUÉE

Nous venons de rappeler une maladie spontanée, la catalepsie, survenant


soit au cours de l’hystérie, soit au cours de la catatonie de Kahlbaum, soit
au cours de la schizophrénie, soit au cours d’autres affections, car on voit
aussi des catalepsies symptomatiques comme par exemple l’association
catalepsie-épilepsie sur laquelle nous avons insisté avec Lagache, la
catalepsie symptomatique de certaines encéphalites comme dans le cas qui
nous fut adressé par Babinski et que nous avons publié avec le Pr Claude où
il s’agissait de catalepsie symptomatique d’une encéphalite léthargique, ou
comme dans le cas que nous avons étudié avec le Pr Del Rio Hortega où il
s’agissait d’une encéphalite ayant atteint une partie de la corticalité
notamment la circonvolution du corps calleux, soit même la catalepsie
symptomatique d’autres affections étudiées notamment par notre maître
Maurice Klippel.
Mais à côté de la catalepsie spontanée survenant comme une maladie, il
existe la catalepsie provoquée par certaines manœuvres psychologiques.
C’est cette catalepsie provoquée qui constitue en grande partie l’hypnose.

I. — Notions historiques

L’histoire de l’hypnose mérite à ce sujet d’être rappelée brièvement. Elle


a été remarquablement retracée récemment en France dans l’exposé de
Barrucand 20, dans l’œuvre de Chertok 21, de Lassner 22, en Angleterre par
Stephen Black 23, en Amérique dans de nombreux travaux, en Italie dans le
beau livre du Professeur Granone 24, et dans de nombreuses parties du
monde.
Si Braid en 1843 à Manchester fut le premier à utiliser le terme
« hypnose », la notion et la pratique de l’hypnose étaient bien antérieures à
lui. On s’accorde en général à considérer que le véritable précurseur de
l’hypnose fut Mesmer le créateur du magnétisme animal. Rappelons que
Mesmer, né en Allemagne, en Souabe en 1734, fit successivement des
études de théologie, de droit puis de médecine, et influencé par le succès de
certains guérisseurs tel Gassner il commença à Vienne, en Autriche,
l’application des aimants pour provoquer des modifications psychiques,
d’où le nom de « magnétisme ». Mais ensuite il abandonna l’application des
métaux pour constater que le fait d’appliquer les mains sur le corps des
patients produisait le même effet. C’est dans cette application des mains que
réside cette notion d’un fluide passant du thérapeute au malade. Cette
notion est encore maintenant appliquée par un grand nombre de guérisseurs
qui disent qu’en réalisant cette application des mains et en se concentrant
psychiquement d’une façon spéciale on arrive à guérir le malade. Nous
avons vu nous-même plusieurs malades qui se sont fait soigner, notamment
une malade neurologique atteinte de cécité corticale qui prétendait éprouver
une amélioration de la vision par l’imposition des mains, un malade
alcoolique et toxicomane qui prétendait être débarrassé du besoin par cette
méthode, etc. Sans doute peut-on se demander si cette action n’est pas autre
chose que la suggestion. Les magnétiseurs sont persuadés de l’action d’un
fluide transmissible d’homme à homme.
Quoi qu’il en soit, Mesmer vint s’installer à Paris en 1778, et a eu un
succès considérable dans la pratique des « passes magnétiques ». C’est là
qu’il installa l’usage du célèbre « baquet magnétique », le fluide devant
déclencher chez certains sujets une « crise magnétique » salutaire. La
diffusion du mesmérisme fut telle que le roi Louis XVI ordonna une
enquête par l’Académie des Sciences et la Société Royale de Médecine,
enquête faite par des savants éminents parmi lesquels on retrouve les noms
de Bailly, Franklin, Lavoisier, Laurent de Jussieu et même le fameux
Guillotin, inventeur de la machine que l’on sait. Les conclusions de cette
Commission furent défavorables à Mesmer, estimant que l’imagination peut
produire des phénomènes analogues et que le magnétisme sans
l’imagination ne produit rien. Discrédité ensuite en France, Mesmer passa
en Suisse où, écrit Barrucand, il « va poursuivre ses lucratives activités ».
Mais pour bien comprendre Mesmer il faut rattacher son œuvre à la
philosophie qu’il professait. On a souvent tenté d’établir des liens entre
Paracelse et Mesmer. Par ailleurs, le Pr Leibbrand (de Munich) ainsi que
Mme Leibbrand dans les savantes conférences qu’ils ont faites à la Société
Moreau de Tours rattachent Mesmer au courant du romantisme allemand.
Chertok explique de même son succès en France et écrit :« La fin du XVIIIe
siècle coïncide, en France, avec l’apparition de la sensibilité romantique
dans laquelle les exigences sentimentales, longtemps contenues par les
impératifs rationalistes, demandent une pleine satisfaction. » Mais ce qu’il
faut remarquer c’est que Mesmer a passé sa thèse de médecin à Vienne sur
le sujet suivant : « De l’influence des planètes sur le corps humain. »
Barrucand écrit à ce sujet que Mesmer « est à la base d’une « théorie »
strictement incompréhensible qui semble vouloir associer la médecine à
l’astronomie grâce à l’utilisation, par quelques individus privilégiés, du
« fluide universel » qui fait communiquer les corps célestes entre eux et
avec les différents corps animés ». Barrucand nous apprend que malgré cet
« ésotérisme » Mesmer connut un grand succès auprès de certaines
personnalités, comme le célèbre Lavater à Zürich dont les tendances
mystiques sont bien connues.
Cette théorie mesmérienne qui semble « incompréhensible » suivant
l’expression de Barrucand est au contraire très claire pour tous ceux qui
connaissent l’histoire de la théologie. On sait en effet que l’ancien
paganisme reposait en grande partie sur l’influence des astres sur l’homme
et sur la destinée humaine à tel point que les prophètes hébreux qui
combattaient vivement une telle conception désignaient les idolâtres comme
« serviteurs des astres et des sorts » (en hébreu acoum, ovdéi cor havim ou
mazalot), idolâtrie qui s’opposait totalement au service du Dieu Unique, du
Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob qui, comme l’a encore récemment
rappelé Dorion dans son remarquable livre sur Freud, ne peut en aucun cas
être assimilé à la nature, car s’il est le Créateur de la nature, il est au-dessus
de la nature, laquelle ne connaît ni le bien, ni le mal, et le Dieu d’Abraham,
Isaac et Jacob corrige la nature et place au-dessus de la nature brute le
respect et l’amour du prochain, la conduite en Juste et le Tsedek. Or, la
divinisation de la nature correspond à une attitude panthéiste. C’était déjà
l’attitude en partie de Spinoza. Dans une récente conférence à la Société
Moreau de Tours, le Pr Leibbrand nous apprend que cette philosophie a
inspiré notamment en Allemagne la philosophie de Schelling et le Pr
Leibbrand écrit : « La pensée leibnizienne d’une harmonie préétablie sera
refusée par Schelling car il n’admet pas un Etre extérieur hypothétique qui
serait posé entre nous et l’ organisme... Alors il existe une identité de la
nature et de l’esprit. » C’est ainsi, nous apprend le Pr Leibbrand, que
Schelling, qui a écrit beaucoup sur la médecine, insiste sur la liberté de la
nature, conçue comme seule force vitale au risque de sacrifier l’individu.
On revient donc par cette philosophie paganiste à l’idée de la justification
de toutes les forces de la nature si cruelles soient-elles, et à la soumission
totale de l’homme aux fluides des astres, ce qui non seulement conduit à la
fatalité, mais encore s’oppose totalement à l’humanisation du Sacré,
principe essentiel de la philosophie biblique d’où dérivent la défense de
l’homme et la notion du juste et de l’injuste.

Un élève de Mesmer, le marquis de Puységur, apôtre lui aussi du


magnétisme animal, insiste d’autre part sur l’influence de la volonté du
thérapeute sur le malade et au lieu de souligner comme Mesmer les
convulsions et les agitations, il souligne surtout un état spécial de sommeil
qu’il qualifie de somnambulisme, en complétant les passes inductives par
un léger frottement sur les yeux. Il constate alors chez le sujet dans cet état
de somnambulisme une sorte de clairvoyance, à tel point qu’il souligne
l’utilité de l’interroger dans cet état. On voit donc dans l’œuvre du marquis
de Puységur la préfiguration de l’hypnose. Le magnétisme animal complété
se développe ensuite avec Deleuze, à tel point que l’Académie de Médecine
nomme alors une Commission pour étudier ce problème. Un premier
rapport est déposé en 1831 par Husson, favorable au magnétisme mais qui
ne satisfait pas l’Académie, qui nomme ensuite une deuxième Commission
avec Cloquet, Dubois, Roux, Bouillaud qui ne reconnaît pas l’état de
somnambulisme magnétique.
Parallèlement se développe un courant « psychologiste » grâce
notamment à l’abbé de Faria, qui établit une conception à la fois clinique et
métaphysique, dans laquelle le « sommeil lucide » est introduit par la
concentration de l’âme sur elle-même qui redevient libre, se libère des sens,
et retrouve une intuition des réalités profondes. Ici il s’agit donc d’une
philosophie spiritualiste dans laquelle l’âme est en quelque sorte séparée du
corps. Dans ce but l’abbé de Faria pousse les sujets qu’il traite à
« concentrer leur attention » à penser au « sommeil ». Durand de Gros, par
ailleurs, publie à Paris une série de leçons sur la méthode de Braid ou
hypnotisme nerveux qui plongeait ses sujets en hypnose en leur faisant fixer
un objet brillant. Tous ces travaux ouvrent alors la voie à l’Ecole de Nancy.
En un mot jusque-là le magnétisme par les passes manuelles ou les
aimants voisine avec l’hypnotisme, et les deux méthodes sont souvent
associées ou fusionnées. C’est ainsi que, rapporte Chertok, l’action des
métaux sur les hystériques signalée par Burcq en 1850 a été expérimentée
dans le service de Charcot, la Société de Biologie dont Claude Bernard était
président ayant nommé une Commission composée de Charcot, Luys et
Dumontpallier pour vérifier si l’apposition de certains métaux déterminait
la catalepsie.
Le point de vue psychologique fit alors d’énormes progrès par les travaux
de l’Ecole de Nancy. Ce fut d’abord Liebault, médecin praticien près de
Nancy, qui étudia le sommeil provoqué par rapport au sommeil normal,
provoque le sommeil hypnotique par une fixation sensorielle avec
concentration de l’attention, et tient compte de l’efficacité des suggestions.
Mais c’est surtout Bernheim qui fut le véritable chef de l’Ecole de Nancy.
Bernheim était, rappelons-le, professeur de clinique médicale. Il importe à
ce sujet de rappeler qu’il fut le premier à décrire la catalepsie au cours de la
fièvre typhoïde, catalepsie typhique qui fut aussi décrite par notre vénéré
maître Dufour à l’hôpital Broussais. Nous avons nous-même, avec
Poumeau-Delille, étudié cette catalepsie au cours de la fièvre typhoïde et
nous avons vu que cette catalepsie était due à des toxi-infections associées,
la toxi-infection typhique et la toxi-infection à colibacilles, fait constaté
également par Hillemand et Stehelin. Mais Bernheim était un médecin
complet aussi expert dans le domaine psychique que dans le domaine
somatique. Il a montré que l’ hypnotisation est un phénomène général et
n’est pas une maladie neurologique comme on considérait l’hystérie à la
Salpêtrière. Même les névroses décrites avec les trois périodes de léthargie,
de catalepsie et de somnambulisme sont simplement pour Bernheim l’effet
de la suggestion. Il a montré sous l’effet de la suggestion la somnolence, la
catalepsie, les contractures provoquées, les obéissances automatiques, et les
hallucinations hypnotiques et post-hypnotiques.
On connaît la lutte de l’Ecole de Nancy et de l’Ecole de Paris. Ajoutons
que l’Ecole de Nancy présentait encore des psychologues éminents tels
Beaunis et Liégeois. Beaunis a fait une découverte capitale, la cénesthésie.
Récemment Stephen Black à Londres a tenté de définir le psychisme
comme un système d’information. Il écrit : « I have recently published a
theory on the nature of mind (Black, 1969) but theory aside, it can be
concluded with some certainty that the mental process per se is manifest by
the receipt and transmission of information » 25. Certes on peut discuter
cette conception très limitée du « mind » qui, outre l’information, régit les
processus de la pensée, de l’initiative et de l’action comme nous l’avons
rappelé plus haut. Mais même si l’on se limite à l’information il faut la
définir. C’est dans ce domaine que Beaunis a apporté une notion originale et
féconde, celle de l’information générale de la vie de l’organisme, cette
sensibilité générale qui nous apporte le sentiment de l’existence même de
nos organes et de la vie de notre corps. Cette découverte a été confirmée et
développée par les travaux de Dupré et Camus sur la pathologie de la
cénesthésie, c’est-à-dire sur les cénesthopathies. En pareil cas le malade ne
sent pas l’existence de son corps, sent ses tissus comme du bois, ou même à
l’état extrême se sent comme un esprit sans corps, comme un corps mort.
Ce trouble fréquent au cours de dépressions mélancoliques peut aussi
exister à l’état isolé, et semble lié parfois comme nous l’avons montré avec
Racine à un trouble de la circulation des capillaires et de l’apport du sang
dans les tissus périphériques. Rappelons à ce sujet que Dumas considérait
ce syndrome comme lié à une idée fixe, et suivant l’orientation de Dumas,
on aurait pu essayer de traiter ce syndrome par l’hypnose. En tout cas
l’œuvre de Beaunis a porté ses fruits.

L’Ecole de Nancy avec Bemheim en montrant le rôle de la suggestion a


mis en garde contre la culture des névroses et contre les épidémies de
névrose. Babinski a sur ce point repris l’enseignement de Bernheim et on
peut dire finalement que dans ce domaine l’Ecole de Nancy a triomphé. Le
développement et la propagande de l’hypnose détachée des précautions
relatives à la suggestion peuvent aboutir très vite à des psychoses
collectives. C’est ainsi que nous avons vu, après les premières publications
de Brotteaux sur l’hypnose médicamenteuse par le scopochloralose et une
certaine publicité à ce sujet, une véritable psychose collective atteindre tout
un village de Vendée avec le retour de maintes superstitions moyenâgeuses.
Nous avons coupé court à tout cela dont nous avions été saisi en affirmant
que le scopochloralose n’était qu’un médicament comme les autres et qu’il
ne fallait pas faire de bruit pour rien. C’est alors que nous avons publié un
travail sur les méfaits de la suggestion et les dangers de sa vulgarisation.
Quoi qu’il en soit l’hypnose fut étudiée et appliquée à Paris par Luys, par
Dumontpallier, qui se rattachait à la théorie physiologique de Charcot et
utilisait les aimants. Un congrès sur l’hypnotisme eut lieu à Paris en 1889
où eurent lieu les discussions entre l’Ecole de Paris et celle de Nancy et où
participa Pierre Janet.
Lorsque l’hypnose eut presque disparu en France, Pierre Janet y resta
fidèle et c’est lui qui dans le service du Pr Claude nous initia à l’hypnose et
nous permit de faire des recherches cliniques et physiologiques sur ce sujet.
Après cette longue éclipse, l’hypnose connaît à notre époque un regain
d’actualité. Rappelons d’abord que Pavlov a étudié l’hypnose et l’a
expliquée par sa théorie corticale. Nous rapporterons plus loin les résultats
de l’entrevue que nous avons eue avec Pavlov au Congrès de Berne en 1932
sous l’égide de notre maître le Pr H. Claude. D’un autre côté, les
psychanalystes ont donné une théorie de l’hypnose. Enfin, en Angleterre,
l’hypnose a pris actuellement un grand développement. Nous avons assisté
à Londres il y a quelques années, en 1966, au Congrès sur l’hypnose
organisé par notre ami le Dr Patterson. Nous avons assisté aux expériences
organisées dans la salle même des séances où on a vu plonger dans le
sommeil hypnotique les deux premiers rangs des assistants. Nous
reviendrons sur ce sujet. Chertok dans son livre remarque que la British
Medical Association s’est inspirée du rapport présenté devant l’Académie
de Médecine par Husson en 1831. A ce sujet rappelons les travaux récents
de notre ami Morlaas, ancien interne de Charles Foix, et élève d’
Alajouanine à la Salpêtrière, travaux qui, sans être liés à l’hypnose
proprement dite, portent sur les facteurs du rayonnement psychique, de
suggestions, d’action sur la personnalité, recherches qui ont été faites à un
moment donné à l’ambassade d’Angleterre et que Morlaas a longuement
exposées récemment devant la Société Moreau de Tours. En Amérique, aux
Etats-Unis l’hypnose a pris un grand développement et est même établie par
l’Américain Psychiatrie Association comme une méthode spécialisée. Nous
avons rappelé plus haut les importants travaux du Pr Granone à Turin et le
livre important cité plus haut qui est un véritable traité complet de
l’hypnose. Le Pr Granone a fait d’ailleurs sur ce sujet une remarquable
conférence à la Société Moreau de Tours.

II. — Description de l’hypnose


On trouvera dans le livre de Granone l’étude approfondie des divers
moyens « d’induction » de l’hypnose, celle des passes, celle de la fixation
d’un objet, celle du blocage des globes oculaires, celle de la compression du
sinus carotidien (on sait à ce sujet l’importance de ce sinus sur le système
neurovégétatif, sinus particulièrement étudié dans les travaux du Pr Léger),
celle des attitudes posturales de Kohnstamm, celle de la suggestion du
sommeil (c’est cette dernière méthode que nous avons vu appliquer par
Bérillon dans son centre d’hypnotisme de la rue Saint-André-des-Arts,
centre qui a subsisté longtemps après la désaffection à l’égard de
l’hypnose), celle des stimuli monotones et rythmés. Chertok a insisté sur
l’entretien préparatoire qui a pour but d’expliquer au sujet ce qui va être
fait, en disant notamment que l’hypnose « est un état dans lequel on rêve et
l’on sait qu’on rêve ». La plupart des auteurs insistent sur le consentement
du sujet. Il existe évidemment des sujets réfractaires ou des sujets qui, par
leur volonté, s’opposent à l’hypnose.
L’hypnose comporte une série de degrés de profondeur variable précisés
dans l’échelle de Davis et Husband. Au premier degré il s’agit d’un état
rappelant le sommeil, un état hypnoïde avec battement des paupières,
fermeture des yeux, relaxation physique, à un degré de plus, au degré de
transe légère, on a tous les signes de la catalepsie (catalepsie des membres,
catalepsie oculaire, raideur, et début d’anesthésie ou de paresthésie (main
gantée ». A un degré plus marqué, on note l’anesthésie par suggestion,
l’amnésie (le sujet a oublié ce qui vient de se passer), la production
d’hallucinations par suggestion et à un degré de plus on arrive à l’état
somnambulique avec les yeux ouverts, la possibilité de se lever, de marcher,
etc.
Dans nos expériences personnelles avec Pierre Janet durant les années
1928-1929, nous utilisions uniquement comme méthode d’induction la
fixation d’un objet brillant (l’extrémité d’un thermomètre). Le but de nos
expériences était surtout de comparer la catalepsie hypnotique avec la
catalepsie maladie que nous avons décrite au chapitre précédent.
Cliniquement ces deux catalepsies nous ont paru identiques. Dans la
catalepsie hypnotique on retrouve la même prise active des positions
imprimées du dehors avec la conservation de ces positions. Nous avons
encore retrouvé à Londres, en 1966, ces mêmes caractères. Parfois on
retrouve, comme l’ont remarqué maints auteurs, cette flexibilité cireuse
(flexibilitas cerea) que l’on note dans la catalepsie et la catatonie, et que
l’on avait comparée autrefois aux symptômes produits par la vératrine.
Parfois on peut noter de la contracture et du négativisme.
Sur le plan neurophysiologique, nous avons retrouvé dans la catalepsie
hypnotique les mêmes courants d’action à l’ électromyographe que dans la
catalepsie spontanée et dans la catatonie. Rappelons à ce sujet que Frohlich
et Mayer (de Vienne) avaient cru dans un cas de catalepsie hypnotique noter
l’absence de courants d’action et qu’on pensait à ce moment-là en déduire
des conclusions sur certaines propriétés des muscles striés au cours de
l’hypnose. Nous avons montré en 1926 avec Thévenard et ensuite avec Mlle
Nouel dans le service du Pr Claude que ces constatations étaient dues à une
erreur de technique et à la polarisation des électrodes. Nous avons constaté
dans la catalepsie hypnotique les mêmes courants d’action que dans la
contraction volontaire, courants d’action à rythme rapide mais peut-être
moins réguliers que dans la contraction volontaire. Nos résultats ont été
confirmés de tous les côtés 26. Nous avons montré par ailleurs avec Claude
et Nouel la différence qui sépare les courants d’action de la catalepsie de
ceux des réflexes de posture et, en particulier, du réflexe de posture du
biceps, ces derniers courants d’action ne se déclenchant qu’après un temps
de latence précis et étant beaucoup plus lents. En outre, fait capital, dans
l’épreuve de la flexion de l’avant-bras sur le bras, les courants d’action se
déclenchent à la simple vue de la main de l’opérateur avant même qu’elle
ait touché l’avant-bras et qu’il y ait eu le moindre mouvement imprimé. Il
s’agit donc de l’objectivation d’une réaction psychique qui montre que si la
conscience paraît très atténuée il reste une subconscience, notion sur
laquelle nous reviendrons plus loin.
Enfin, en partant de ces données nous avons décrit un signe spécial
objectivant la suggestibilité et l’automatisme. C’est le signe de
l’anticipation et de l’accompagnement des mouvements passifs dans
l’épreuve de la flexion de l’avant-bras sur le bras. Nous approchons notre
main de la main du sujet et nous faisons un premier mouvement de flexion.
Lorsque nous réitérons cette épreuve, avant même que nous ayons touché la
main du sujet, celui-ci fait spontanément une série ininterrompue de
flexions et d’extensions de l’avant-bras sur le bras qu’on ne peut arrêter que
par suggestion ou par le réveil. Ce signe identique dans la catalepsie
spontanée et dans la catalepsie hypnotique traduit de façon frappante la
passivité de la personnalité de l’hypnotisé, sa suggestibilité, son absence de
résistance aux influences extérieures et aussi sa tendance à l’automatisme.
A l’ électromyographie cette épreuve, comme nous l’avons montré avec
Mlle Nouel, met en évidence, pendant toute l’anticipation et
l’accompagnement, des courants d’action qui, parfois, se renforcent au
moment du changement de mouvement en prenant la forme du négativisme.
Cette épreuve traduit aussi un caractère spécial de l’hypnotisé, l’obéissance
à son hypnotiseur, qui prend le devant des ordres, mais des caractères
absolument identiques se trouvent dans la catalepsie spontanée et la
catatonie.

III. — L’anesthésie et l’analgésie hypnotique

Un des problèmes qui ont retenu l’attention des médecins et des


chirurgiens est la possibilité de faire des opérations sous hypnose et c’est
pourquoi ce problème a été repris récemment par le Pr Lassner dans son
travail de l’Encyclopédie médico-chirurgicale cité plus haut.
Le Pr Lassner rapporte dans ce travail l’observation relatée par Cloquet à
l’Académie de Médecine le 16 avril 1829. Il s’agissait d’une dame souffrant
d’un cancer du sein et hypnotisée plusieurs fois par le Dr Chapelain qui
avait constaté chaque fois une disparition de la sensibilité. La malade fut
opérée sous hypnose par J. Cloquet qui fit une incision partant du creux de
l’aisselle, enleva la tumeur, disséqua les ganglions engorgés, etc. « Pendant
ce temps, écrit-il, la malade a continué à s’entretenir tranquillement avec
l’opérateur et n’a pas donné le plus léger signe de sensibilité. Une ligature
avait même été appliquée sur l’artère thoracique latérale ouverte pendant
l’extraction des ganglions. » Après la fin de l’opération, le Dr Chapelain
réveilla la malade qui ne parut avoir aucun souvenir de ce qui s’était passé,
mais, en apprenant qu’elle avait été opérée, elle eut une très vive émotion.
Toutefois, l’avenir de cette malade reste obscur d’après l’observation ; il
semble qu’on ait été obligé de la réhypnotiser plusieurs fois et longtemps et
il eut fallu savoir si sa personnalité n’était pas restée altérée.
Lassner signale d’ailleurs que l’anesthésie chimique s’est développée
ensuite, en particulier l’ éthérisation à Boston, en s’opposant au
mesmérisme. Lassner 27 a développé ses conceptions concernant les facteurs
psychologiques dans l’anesthésiologie. Toutefois si l’on ne saurait trop
insister sur les facteurs psychologiques dans la préparation des opérés, on
ne saurait réduire ces facteurs à des données psychanalytiques et il nous
paraît excessif d’écrire comme le fait Lassner que « la psychiatrie moderne
est née avec les travaux de Freud, de ses disciples et de ses adversaires » 28.
C’est faire fi de toute la psychiatrie moderne développée depuis Pinel et
Esquirol bien avant Freud et qui a réalisé des découvertes considérables 29.
Ajoutons que l’ ancsthésiologie, qu’elle soit hypnotique ou qu’elle soit
chimique, peut déterminer parfois des troubles mentaux et, à ce sujet, il est
remarquable de noter que l’inhibition de la résistance de la personnalité et
l’anesthésie de cette personnalité sont suivies parfois de troubles
dissociatifs ou autres. Nous avons noté parfois, après l’anesthésie
notamment par l’éther, l’apparition de cénesthopathies parfois
impressionnantes au réveil. Le malade complètement réveillé ne sent plus la
vie de son corps, et se croit mort, ou appelé dans un autre monde, telle cette
malade qui, après une telle anesthésie, ne se croyait plus sur terre, et ne
revint à elle que lors de la visite d’un médecin qu’elle attendait, visite qui fit
décristalliser le délire. De même après l’hypnose on peut voir des malades
présenter la crainte de la perte ou de la servitude de leur personnalité et
parfois des délires d’influence.
Certains auteurs envisagent de combiner l’hypnose avec l’anesthésie
chimique (Lassner, Friedlander) en utilisant l’hypnose à la période
préopératoire ou postopératoire 30. A Paris le Dr Maurice Gabaï et le Dr R.
Chercheve ont étudié ce problème 31 32. Le Dr Gabaï conclut cependant que
son expérience l’incite à la prudence dans la pratique de l’hypnose.
Rappelons aussi les tentatives faites pour utiliser l’hypnose en obstétrique
dans l’accouchement sans douleur. Ce problème a préoccupé le Pr
Lantuejoul qui nous a appelé pour se pencher sur ce problème et avec qui
nous avons rédigé un travail. Le Pr Lantuejoul est resté très critique et très
prudent en ce qui concerne l’hypnose dans le domaine de l’obstétrique vu le
danger de la suggestion et de névroses surajoutées.
Le Pr Granone dans son livre rapporte l’observation avec des
photographies d’un malade chez qui on a fait sous hypnose une ponction
lombaire sans qu’il s’en rende compte. Il étudie longuement les corrélations
psychoviscérales dans l’hypnose. Il semble que celles-ci soient assez
voisines de celles que nous avons décrites dans la catalepsie.
En résumé l’hypnose réalise une catalepsie provoquée : ajoutons une
catalepsie provoquée par des moyens psychologiques. C’est en somme une
sorte de maladie mentale expérimentale chez l’homme réalisée cependant
pour des fins thérapeutiques.

IV. — Hypnose médicamenteuse

Certains auteurs ont tenté d’aider l’hypnose par des actions


médicamenteuses. Chertok dans son livre rapporte que dans ce but
Chambard en 1881 utilisait l’éther ou le chloroforme à faibles doses et qu’
Hallauer, un accoucheur de Berlin, a utilisé la narcohypnose utilisant
quelques gouttes de chloroforme pour favoriser l’induction. Tout
récemment Mahmud Muftic (de Dublin) a étudié la sensibilisation à
l’hypnose en modifiant la noradrénaline et les inhibiteurs des M.A.O. 33.

Mais c’est surtout Pascal Brotteaux qui utilise dans ce but le


scopochloralose. Nous avons suivi de près ce problème parce que, dès
1931, M. Pascal Brotteaux (pharmacien à Bazas, Gironde) nous écrivait une
lettre en raison de nos travaux sur la catalepsie pour nous parler de son
procédé et nous demander de l’étudier. Nous avons relaté plus haut
comment, après avoir pris conseil du Pr Tiffeneau de la chaire de
Pharmacologie de Paris, après avoir relu tous les travaux de Charles Richet
sur le chloralose, après avoir expérimenté longuement dans notre
laboratoire avec Massaut (de Liège) sur l’action du scopochloralose sur le
comportement et sur le cerveau et avec David, Vallancien, Mlle Melzer sur
son action sur la circulation cérébrale chez l’animal, nous avons étudié
longuement l’action du scopochloralose chez l’homme. Nous avons
constaté d’abord l’action remarquable du produit sur la cure rapide des
accidents pithiatiques. Les résultats sont moins nets dans d’autres névroses
ou psychoses. En poursuivant nos recherches avec nos élèves, le Dr Mathey
et Mme Mathey, Cornu, Schachter, Joubert, nous avons pu préciser le
problème et nous avons inspiré sur ce sujet deux thèses, une première celle
de Schachter 34, une seconde, plus récente et très documentée, celle de
Joubert 35.
De toutes ces recherches il est résulté que le scopochloralose peut
déterminer deux phénomènes différents :
1° Un sommeil normal identique au sommeil naturel, sommeil
éminemment curatif dans les accidents hystériques ;
2° A doses beaucoup plus fortes une hypnose avec catalepsie,
dissociation psychique qui traduit une perturbation beaucoup plus
importante de la personnalité et présente beaucoup moins d’effets
thérapeutiques et parfois des inconvénients plus ou moins sérieux sur
le plan psychologique ou psychiatrique.

Dans ces conditions nous avons renoncé à l’hypnose par scopochloralose


et nous avons dès lors utilisé dans un sens très différent le scopochloralose
comme cure de sommeil. Cette utilisation s’est avérée bénéfique parfois
même en dehors du pithiatisme et nous commençons maintenant à l’utiliser
dans les obsessions graves. A notre avis le scopochloralose constitue la
vraie cure de sommeil en psychiatrie. Sur le plan physiologique le
scopochloralose met en effet au repos le cortex cérébral et détermine ainsi
une détente neurovégétative.
Cependant cette action physiologique n’élimine pas les actions
psychothérapeutiques bien au contraire. C’est précisément au cours de la
cure de sommeil par le scopochloralose que l’on peut utiliser des
suggestions ou des persuasions thérapeutiques et parfois surmonter
certaines résistances du malade accroché à sa maladie et à ses « manies »
sans vouloir en sortir.
Par ailleurs, l’hypnose médicamenteuse lorsqu’elle est divulguée ou trop
propagée peut déterminer des réactions de défense et des craintes dont nous
avons rapporté des exemples à propos de la diffusion de l’hypnose par le
scopochloralose. Un malade craignait qu’on lui « cambriole l’esprit » et
voyait « dans la suggestion et l’hypnotisme des méthodes très employées
par la police des tzars ». Il a éprouvé ensuite des phénomènes de
transmission de pensée. Une jeune fille atteinte de sentiment du vide décrit
par P. Janet a paru à sa famille avoir été suggestionnée et hypnotisée. On
suspecte un vieillard, on consulte à l’archevêché, on sollicite certains
ecclésiastiques spécialisés.
Il faut se rappeler qu’un grand nombre de malades mentaux ou de
nerveux hypersensibles ont toujours peur d’être suggestionnés ou
hypnotisés, et greffent facilement des délires sur toute thérapeutique qui
peut leur rappeler une telle action.
Enfin, le principe même de l’hypnose médicamenteuse, s’il était poussé
assez loin, aboutirait en fin de compte à réaliser une catalepsie
expérimentale chez l’homme. On reviendrait ainsi à la médecine
expérimentale chez l’homme avec tous les problèmes éthiques et moraux
qui se posent et que nous avons étudiés par ailleurs.
En dernier lieu il faut remarquer, comme nous en avons maintes fois
rapporté des exemples, que l’expérimentation chez l’homme apporte moins
de résultats scientifiques que l’expérimentation chez l’animal. Ainsi l’étude
de la catalepsie a fait beaucoup plus de progrès par l’expérimentation
animale que nous avons rappelée plus haut, expérimentation qui a permis
d’élucider beaucoup mieux les causes et la psychophysiologie de ce
syndrome.

V. — Hypnose et sommeil

Nous avons rappelé plus haut les incessantes discussions concernant les
rapports de l’hypnose et du sommeil. Certains auteurs semblent presque
confondre hypnose et sommeil tout en reconnaissant qu’il y a des
différences. Ce problème doit être mieux précisé.
Il résulte très nettement de nos nombreuses expériences sur la catatonie
expérimentale chez les animaux, soit par la bulbocapnine, soit par d’autres
drogues, que la catalepsie représente toujours un degré plus grave
d’intoxication du système nerveux que le sommeil. Néanmoins nous avons
vu que les produits qui déterminent la catalepsie sont à plus petites doses
des produits déterminant le sommeil, et ce fait explique les phénomènes
oniriques si fréquents dans la catalepsie et la catatonie.
En clinique humaine nous avons noté maintes fois que la catalepsie et la
catatonie dues à la toxine neurotrope du colibacille intestinal sont précédées
de périodes de somnolence ou de sommeil vrai.
Enfin l’expérience du scopochloralose nous montre que le
scopochloralose qui, à petites doses réalise une cure de sommeil, à doses
plus fortes réalise une hypnose.
Bien que voisins, le sommeil et l’hypnose ne sont pas identiques. On peut
résumer leur rapport dans la formule suivante :
Le sommeil est une mise au repos de la personnalité : l’hypnose et la
catalepsie représentent une altération de la personnalité.
VI. — La psychophysiologie de l’hypnose

Malgré le nombre considérable de recherches effectuées, la nature


psychologique et psychophysiologique de l’hypnose reste encore très
controversée. Dans un symposium international qu’il a organisé à Paris 36,
Léon Chertok a exposé successivement les conceptions physiologiques, les
conceptions de psychologie expérimentale, et les conceptions
psychanalytiques de l’hypnose. Dans ce même symposium les données
neurologiques ont été exposées par Black, Buser et Viala qui ont indiqué les
expériences qu’ils ont faites chez le lapin relativement notamment au rôle
de la formation réticulée. Certes depuis les travaux de Mangoun, l’attention
a été attirée sur le rôle de cette formation réticulée dans la conscience ou
plutôt dans l’expression, de la conscience. On a décrit un syndrome
akinétique spécial consécutif aux lésions de la substance réticulée.
Lhermitte a publié un intéressant travail anatomopathologique à ce sujet.
Nous avons eu l’occasion de suivre deux cas de syndrome akinétique, mais
cliniquement, ce syndrome akinétique est très différent de la catalepsie
spontanée ou hypnotique, et ne comporte pas notamment les troubles de la
vie du regard observés dans ce dernier cas, ni les caractères de la catalepsie
que nous avons étudiés plus haut. Il s’agit probablement d’un blocage de
l’expression un peu différent du trouble de la pensée de la catalepsie. Il en
est de même des syndromes de rigidité décérébrée très différents qui
comportent des signes mésencéphaliques et une contracture spéciale, alors
que dans la catalepsie spontanée ou hypnotique ces structures sont intactes.

Il faut se défier des assimilations étendues de l’hypnose à d’autres


syndromes neurologiques dans lesquels le trouble est plus instrumental que
psychique. Les conceptions pavloviennes ont été étudiées par Jeri Haskovec
(de Prague) 37. Nous avons entendu de la bouche même de Pavlov, dans
l’entrevue que nous avons eue avec lui à Berne, l’exposé de sa conception
fidèlement rappelée par Haskovec à savoir que l’hypnose est un sommeil
incomplet comportant encore une part de veille avec une certaine
dissociation dans l’inhibition et l’excitation principalement corticale. Or on
ne peut considérer l’hypnose comme un sommeil incomplet : un sommeil
incomplet mêlé de veille serait un sommeil léger, or l’hypnose entame bien
davantage la personnalité et représente un degré d’atteinte du
fonctionnement cérébral beaucoup plus profond que le sommeil. Dans ce
même symposium, Dietrich Langen 38 a étudié les changements de la
circulation périphérique dans l’hypnose et dans le training autogène de
Schultze que nous étudierons au chapitre suivant.
Les auteurs russes Pavel, V. Simonov et David I. Parkin 39 ont étudié le
rôle des chocs émotionnels dans l’hypnotisation de l’animal et de l’homme.
Dans ces expériences les auteurs souscrivent à une vue de White qui
considère l’hypnotisé en quelque sorte comme un acteur jouant un rôle
suggéré par l’hypnotiseur, même si ce rôle est contraire à ses principes
éthiques ou sociaux. Dans une telle conception donc l’hypnotisé serait
comme un jouet entre les mains de l’hypnotiseur, ce qui reste assez
inquiétant. Les problèmes du contrôle de la voie sensitive, le rapport avec la
douleur sont étudiés par Patrick D. Wall 40.
D’autres articles traitent de l’amnésie (Vladimir Gheorgiu de
Bucarest) 41. D’autres de l’apport de l’hypnose à la psychologie
expérimentale (E.R. Hilgard) 42, de la réduction de la douleur, de la
sensibilité sous hypnose, des suggestions post-hypnotiques. Enfin David
Rosenhau a étudié les rapports entre la sensibilité à l’hypnose et la
personnalité 43.

On voit toute l’importance et l’intérêt de ces études qui cernent le


problème de l’hypnose de divers côtés.
Dans une autre voie on a essayé d’aborder l’hypnose par la méthode
électroencéphalographique. Chertok et Kramarz ont consacré un travail à ce
sujet 44 ayant en vue principalement de comparer par
l’électroencéphalographie l’hypnose au sommeil. Les résultats ont été
disparates et les auteurs concluent « que la nature inconstante du critère
objectif de l’hypnose, tant qualitatif que quantitatif, rend difficile de porter
des conclusions définitives ».
De son côté le Pr Granone a longuement étudié l’électroencéphalographie
dans l’hypnose sans déceler de modifications vraiment caractéristiques.
Parmi les recherches effectuées sur la physiologie de l’hypnose l’une des
plus intéressantes est celle de Spencer Patterson (à Londres) et de ses
collaborateurs Bracchi, Passerini, Spinelli et Black 45. Ces auteurs ont
construit un appareil polygraphe de cinq canaux enregistrant
l’électroencéphalogramme, les mouvements respiratoires, les battements du
cœur, le réflexe psychogalvanique et des signaux. Ils ont pu ensuite en
objectivant les réactions avec cet appareil conditionner des sujets de façon
qu’ils éprouvent une sensation très désagréable à certains sons aigus,
sensation accompagnée d’une accélération des battements de cœur et de
réactions neurovégétatives. Ils ont donc réalisé ainsi sur un point limité une
névrose expérimentale. Ils soumettent ensuite le sujet ainsi préparé à
l’hypnose de façon à lui suggérer la surdité à ces sons aigus.
L’audiogramme montre alors que le sujet devient sourd électivement pour
les sons aigus pour lesquels on lui a suggéré la surdité. Les auteurs pensent
que ces sons dans ces conditions ne parviennent pas au cortex et sont
bloqués par un système sous-cortical inhibiteur asservi au cortex.
De telles expériences posent un important problème, celui du contrôle
volontaire des symptômes psychosomatiques, problème posé par Patterson
et ses collaborateurs. Ils ont fait des essais d’entraînement dans ce sens chez
divers sujets. Ce problème avait déjà été posé avec des expériences
analogues en France par le Pr Abrami, et par Mlle Brosse après ses études
célèbres dans l’Inde sur le yoga. Alors que la volonté normale est
impuissante à modifier les fonctions neurovégétatives comme le rythme du
pouls, comment un entraînement psychique permet-il de réaliser ces
phénomènes ? Nous étudierons ce problème plus loin à propos du yoga.

VII. — L’hypnose et la personnalité

La question la plus importante à résoudre est celle de l’action de


l’hypnose sur la personnalité.
La première question est celle de l’effet de l’hypnose sur la conscience.
Tous les auteurs qui s’occupent d’hypnose ou de sophrologie ont essayé de
donner une définition de la conscience, mais à ce sujet les définitions
théoriques sont souvent sans portée. Certains auteurs, comme Henri Ey,
semblent réduire la conscience à la structuration 46 mais la conscience peut
persister après dislocation, ou désorganisation de la structuration comme
nous y avons insisté dans certaines psychoses paranoïdes et dans notre livre
sur la désorganisation de la personnalité 47. C’est par l’étude clinique
approfondie que l’on peut définir la conscience, comme nous avons tenté de
le faire dans notre ouvrage de psychiatrie morale expérimentale où un
chapitre important est consacré à ce problème 48. Nous avons dans ce but
étudié les cas où la conscience est suspendue comme dans l’automatisme
épileptique où les sujets peuvent accomplir des actes compliqués et à ce
sujet nous écrivions dans ce chapitre de la conscience à propos de ces
automatismes épileptiques : « Il y a une part considérable d’une activité
inconsciente parfois très riche, intuitive et profonde mais cette activité ne
sait pas ce qu’elle fait, elle sent, elle s’enrichit de multiples sensations mais
toutes ces manifestations sont aveugles, contradictoires, désordonnées, sans
jugement, sans compréhension de la nature des choses, sans clarté, comme
une sorte de tâtonnement dans la nuit, comme une activité encore voisine
des réflexes, des mécanismes tout montés et qui fonctionnent sans une
pensée directrice. »
« Le propre de la conscience, écrivons-nous, n’est pas seulement
d’enregistrer les renseignements provenant de notre corps ou du monde
extérieur, mais de savoir la nature de ces renseignements, de les
comprendre, de les interpréter, et d’en dégager des actes adaptés. »
En résumé la conscience est une activité qui sait ce qu’elle fait selon
même l’étymologie du mot conscience. Entre la conscience et l’activité
automatique inconsciente, il existe la même différence qu’entre un directeur
humain intelligent et un ordinateur, machine pourtant très compliquée, qui
classe sans se tromper de nombreuses données mais ne sait pas ce qu’elle
fait.
Un autre point capital c’est que la mémoire est liée à la conscience : par
exemple un de nos malades atteint d’équivalent épileptique est brusquement
parti à la gare Saint-Lazare, a pris là un billet pour Le Havre, est monté
dans le train du Havre et est arrivé sans encombre au Havre, mais là il s’est
brusquement réveillé et a été stupéfait de se trouver au Havre, ne se
rappelant absolument rien de ce qui s’était passé.
Toutefois ce serait une erreur de séparer radicalement le conscient de
l’inconscient comme on a tendance à le faire depuis Freud. En réalité il
existe une infinité de transitions insensibles entre la conscience claire
parfaite et l’inconscience de l’épileptique. Les diverses variétés de
psychoses et de névroses représentent des gammes nuancées d’atténuation
de la conscience, tel ce schizophrène atteint d’hébéphrénocatatonie que
nous avons étudié avec Ferdinand Morel (de Genève) et qui disait « quand
je frappe des mains c’est pour me faire revenir dans la salle, je n’y suis pas
en esprit, je suis en état latent, c’est informe, diforme, ça fait un certain
bruit acoustique qui me fait me retrouver dans la salle ». Dans l’obsession
l’état de doute vient souvent d’une conscience insuffisamment aiguë qui
n’est pas sûre de se rappeler si tel ou tel acte a été fait. De même la
diminution de l’acuité de la conscience est très fréquente dans ces
nombreux états que P. Janet a décrits sous le nom de « sentiment du vide »
qui se traduisent par le fait que le sujet tout en percevant tout le monde
extérieur n’a pas le sentiment de la réalité, de la vie, comme si les choses
étaient artificielles, comme s’il s’agissait d’un décor de théâtre, ou encore
comme s’il se sentait engourdi, évanescent, comme dans un état
présyncopal, comme s’éloignant de la vie ou de la réalité. Ces états
rappellent d’ailleurs beaucoup ce qu’on peut observer au cours de certains
anesthésiques progressifs ou au cours de certaines intoxications. C’est
pourquoi il nous semble utile de revenir au terme subconscient au lieu
d’inconscient.
Ces notions étant ainsi définies, nous pouvons aborder le problème de
l’action de l’hypnose sur la conscience. Il ne semble pas douteux que
l’hypnose lorsqu’elle est poussée ne produise une suspension complète de
la conscience, suspension attestée par l’amnésie consécutive. A ce sujet
l’hypnose, malgré les analogies soulignées plus haut, se différencie de la
catalepsie spontanée où la conscience et la mémoire sont conservées et où
le sujet est replié sur lui-même.
Dans cette variété de catalepsie spontanée ou de catatonie, le malade vit
souvent un rêve et se comporte en fonction de ce rêve, comme les sujets qui
se croient morts et se recouvrent leur visage d’un drap comme d’un suaire.
C’est pourquoi Moreau de Tours pouvait écrire que l’activité psychique
comporte deux aspects différents, l’un ouvert sur l’extérieur et la réalité,
l’autre ouvert sur le monde intérieur et sur le rêve, l’activité vigile et celle
du sommeil. Mais la catalepsie spontanée est plus près du sommeil (tout en
s’en différenciant) que la catalepsie hypnotique profonde. Cette dernière
serait à un stade intermédiaire entre la catalepsie spontanée et l’épilepsie et
représente donc une altération plus marquée de la personnalité.
Cette altération de la personnalité peut aussi se traduire dans un autre
domaine de la conscience, la conscience morale. Sans reprendre ici ce
problème de la conscience morale auquel nous avons consacré de nombreux
travaux, depuis notre livre de psychiatrie morale, rappelons seulement que
cette conscience morale réside dans un jugement intérieur de bien et de mal
qui peut s’exercer soit de façon consciente, soit de façon subconsciente. Ce
jugement lorsqu’il est péjoratif détermine le remords, mais la sensibilité de
ce jugement est profondément modifiée suivant l’état pathologique. Il est
exacerbé dans la mélancolie au point de se produire sans motif, il est
anesthésié dans l’ hypomanie même devant les actes les plus scandaleux.
Enfin ce jugement interne peut être refoulé dans le subconscient, ce
refoulement aboutissant à la disparition du remords et à la transposition du
sentiment d’auto-accusation en dérivations haineuses sur des innocents,
suivant le mécanisme psychologique du bouc émissaire. C’est là le
problème des haines humaines bien différentes de l’agressivité des bêtes
féroces, haines qui sont liées à des dérivations et à des falsifications de la
culpabilité pour la transposer sur des victimes en vue d’une justification
illusoire et terrible. Ces mécanismes sont, en outre, fréquents avec d’autres
nuances chez le paranoïaque. Ce dernier présente une anesthésie morale vis-
à-vis de lui-même et exploite la culpabilité qu’il rejette sur les autres. Il
prend ainsi la position avantageuse d’accusateur et de justicier. Comme
l’avait déjà noté Pinel, cette attitude est très souvent celle des doctrinaires,
c’est-à-dire des hommes de systèmes. Dénoncés par Pinel à son époque où
ils étaient représentés par Broussais, ils se sont multipliés à notre époque
aussi bien dans les systèmes psychologiques que dans les systèmes
économiques ou politiques.

Ces notions générales étant rappelées, il nous faut envisager maintenant


d’aborder l’action de l’hypnose sur la conscience morale. Le sujet hypnotisé
étant sans défense entre les mains de son hypnotiseur, celui-ci peut lui
suggérer n’importe quelles pensées et même des pensées contraires à son
éthique habituelle. Il ne faut pas oublier que chaque personnalité humaine
est marquée par son échelle de valeur, et par sa foi dans telle ou telle échelle
de valeur. A une époque comme la nôtre où les échelles de valeur sont si
contestées, qui dit que l’hypnotiseur aura la même échelle de valeur que
l’hypnotisé ? Nous avons vu, ainsi, de nombreux exemples de sujets ayant
une conviction religieuse profonde quitter une psychanalyse pour demander
à se confier à un psychothérapeute ayant la même foi religieuse. Mais s’il
s’agit d’un traitement hypnotique, le sujet ne peut réagir, et se trouve
soumis d’avance. C’est un des plus grands griefs qu’on a fait à l’hypnose et
il faut se rappeler que la destruction d’une échelle de valeur est un
dommage énorme fait à une personnalité, dommage qui peut parfois
l’altérer profondément. Sans doute toutes les personnalités ne sont pas
marquées par une échelle de valeurs. Il y a des hommes à personnalité
faible ou sans personnalité, mais c’est un malheur pour eux. D’ailleurs
certains névropathes ou psychopathes se plaignent parfois qu’ils sont
incapables de résister à la personnalité des autres. La faiblesse de résistance
de sa personnalité devant les autres est ressentie comme la pire des
infériorités par tout homme qui a encore conservé un jugement. Certes, si ce
jugement est aboli ou anesthésié, l’homme tombe à l’état d’animal.
Sans doute beaucoup d’hypnotiseurs ou de psychothérapeutes proclament
et affirment leur sentiment de respect de leur malade. Cette proclamation est
certes sincère, mais il y a souvent des nuances imperceptibles entre la
proclamation et l’acte et il faut tenir compte aussi de tous les cas et des
positions différentes.
Dans une étude sur l’histoire de l’hypnose, le Dr Brisset 49 écrit : « C’est
par l’esquisse d’une étude de la « confiance » du malade en son médecin
que nous terminerons cette étude qui a pris pour thème l’histoire de
l’hypnose afin de montrer comment elle débouche aujourd’hui sur l’analyse
de la relation thérapeutique, non seulement dans les psychothérapies mais
aussi dans toutes les applications de la médecine. Qu’est donc cette
confiance ? Et que nous montre l’hypnose ? J.P. Valabrega l’a bien montré
dans son livre cité au début de notre travail : la confiance du malade en son
médecin n’est pas une confiance de réciprocité, celle de l’ami pour l’ami,
qui se fonde « sur l’identification avec le semblable, l’alter ego ». C’est une
confiance « anaclitique », celle de l’enfant pour le père ou la mère, fondée
sur l’identification avec le détenteur de l’autorité ou du pouvoir. »
« L’hypnose, ajoute le Dr Brisset, réunit toutes les qualités qui fondent une
autorité de ce type : elle utilise au maximum possible tout ce qui, dans la
relation d’un homme avec un autre, peut fonder une identification du sujet
au modèle puissant qu’il recherche : l’aspect magique des procédés,
l’attente passive du résultat, l’espoir d’une guérison instantanée. Elle réalise
la confiance dans l’abandon, la remise du requérant par sa passivité
complète dans les mains du« détenteur du pouvoir » qui représente à ses
yeux l’activité parfaite. »
Ce commentaire du Dr Brisset est clair : il exprime sans ambages l’idée
que le malade s’abandonne pieds et poings liés à son hypnotiseur comme à
un maître, à un « détenteur du pouvoir ». Et comment, dans ces conditions,
peut-on parler de confiance ? La vraie confiance ne vient pas dans les
relations de maître à esclave, mais précisément dans le respect réciproque,
dans « l’amour du prochain comme soi-même » suivant l’expression
mosaïque qui signifie l’identification avec son prochain, qui signifie qu’on
se met à la place de son malade pour l’aider, le soutenir, le soigner sans
jamais le tromper et sans jamais vouloir asservir sa personnalité. La pureté
des actes et d’un dévouement sans faille dans les moindres détails fait alors
germer la confiance, cette force miraculeuse qui transforme toutes les
actions humaines et qui est un des facteurs principaux de la guérison. Tel est
le principe de notre « chitamnie » terme qui vient de deux mots hébraïques,
bibliques, le terme « chitah » qui veut dire méthode et le terme « amen »
« aemounah » qui veut dire confiance, foi.
Par ailleurs, dans le même sens que Brisset, Henri Ey dans la préface du
livre de Chertok écrit les considérations suivantes : « A-t-on le droit de
« profiter » de l’inconscience d’un homme pour délester celui-ci du poids
de son inconscient ? Je pense que poser la question, c’est la résoudre, car il
est bien légitime — et il serait même absurde qu’il en soit
autrement — qu’un médecin qui veut la fin (la guérison) ne puisse
employer les moyens (ici l’hypnose) pour y parvenir. »
Suivant cette conception la fin justifie les moyens ! De telles affirmations
ne sont pas faites pour réhabiliter l’hypnose si elle était comprise dans cet
esprit devant ceux qui restent préoccupés des droits de l’humanité.

On voit que deux conceptions s’affrontent, d’un côté celle qui veut
conquérir la confiance par la domination, l’impérialisme, au besoin même
en utilisant quelques procédés magiques ou destinés à frapper l’imagination
c’est-à-dire en trompant, de l’autre côté celle qui met au premier plan la
bonne foi, la droiture, la recherche de la vérité et qui rejette toute méthode
de tromperie, qui pense que la valeur des actes est tout et que sans vouloir
conquérir la confiance celle-ci se manifeste spontanément devant la
sincérité faite de respect réciproque, attitude qui donne la véritable autorité,
l’autorité morale, bien différente de l’autorité de domination et
d’asservissement.
Quant à l’explication psychanalytique de l’hypnose, elle apparaît à
Brisset « comme une modalité massive du transfert ». « Le désir de
l’hypnotisé — s’abandonner, se remettre, se faire prendre — et le désir de
l’hypnotiseur — prendre, fasciner, protéger, guérir — se rencontrent dans
un même mouvement », écrit Brisset 50. Il faut rappeler d’ailleurs que la
psychanalyse est sortie de l’hypnose au début. Donnet 51 rappelle que le
réveil de l’intérêt de l’hypnose aux Etats-Unis a été posé par le traitement
des névroses de guerre. C’est ainsi qu’est née l’hypno-analyse, c’est-à-dire
la combinaison de l’hypnose et de la psychanalyse. L’induction hypnotique
pourrait ouvrir la voie à la psychanalyse. En outre, l’hypnose favorise une
régression du moi. Donnet pense que l’hypnose apparaît comme un
mouvement régressif analogue à la dépersonnalisation. Suivant Gill et
Brenman cités par Donnet : « L’état hypnotique est une régression
psychologique induite, aboutissant dans le cadre d’une relation régressive
originale à deux à un état relativement stable qui associe un sous-système
du moi à des degrés variés de contrôle des appareils du moi. » Freud voit
dans la soumission de l’hypnotisé à l’hypnotiseur un cas comparable à la
soumission de celui qui aime à la personne aimée (buts sexuels à part).
Quoi qu’il en soit, la soumission ainsi comprise, l’abandon de soi-même
à une autre personne, à qui on se livre pieds et poings liés, évoque des
problèmes quelque peu ambigus, ou troubles. Tout cet arsenal d’idées
évoque la capitulation, l’abandon dans une sorte de lâcheté, tout à fait
différent de l’aide qu’on vient demander à un médecin d’homme à homme,
d’égal à égal. La conception psychanalytique comme certaines conceptions
totalitaires a introduit à notre époque une notion plus dangereuse que les
guerres et les batailles d’autrefois, celle de la domination et de
l’impérialisme psychologique faisant au malade le devoir de capituler, de
renoncer à sa propre personnalité, pour accepter le joug de la servitude
morale pire encore et plus humiliante que celui de la servitude matérielle.
Cette notion de capitulation dans l’hypnose est d’autant plus importante
qu’elle vise à mettre le malade sous condition. C’est pourquoi on insiste
toujours sur le consentement de l’hypnotisé. « Personne ne peut être
hypnotisé s’il est anxieux à ce sujet », écrit Stephen Black dans le chapitre
« Hypnose » de son livre Mind and Body 52. Le Dr Black étudie
spécialement la catalepsie et la catatonie hypnotique et raconte que
Raspoutine utilisait ce moyen pour réaliser des « avenues de statues
vivantes » pour amuser, dit-il, la Cour Impériale névropathe de Saint-
Pétersbourg.

VIII. — L’hypnose animale

Les animaux n’échappent pas à l’hypnose et nous avons nous-même


étudié l’hypnose animale tant chez les oiseaux que même chez d’autres
vertébrés inférieurs comme la grenouille et même les poissons, hypnose
spéciale que nous avons vu pratiquer en Hollande quand nous travaillions
au Laboratoire de Physiologie du Wilhelmina Gasthuis. Cependant, pour
bien comprendre l’hypnose animale il faut bien connaître la psychologie
animale dans l’ordre phylogénique, travail que nous avons effectué de
longues années dans notre laboratoire de psychopharmacologie
expérimentale de l’Ecole des Hautes Etudes à la Maison nationale de
Charenton 53.

L. Chertok 54 dans un travail paru à l’Evolution psychiatrique retrace


l’histoire de l’hypnose animale et de ses interprétations. Il reprend l’histoire
de l’hypnose animale inaugurée en 1646 par l’expérience célèbre du P.
Kircher à Rome qui, en attachant une poule et en la couchant sur le ventre
ou de côté, déterminait ensuite chez cet animal une immobilité, comme si
elle était frappée de stupeur. Elle ne bouge plus, ne cherche plus à s’enfuir
ni à se débattre et « se soumet à son vainqueur ». Divers auteurs,
notamment Preyer, considèrent cet état comme une sorte de paralysie
provoquée par la peur. Pavlov estime qu’il s’agit d’une réaction d’auto-
conservation. Gill et Brenman l’expliquent par l’isolation sensorielle,
Mangold a publié un travail intitulé Hypnose et catalepsie chez les
animaux.
Pour notre part, ayant consacré depuis 1929 des recherches
ininterrompues aux diverses variétés de catalepsie chez les animaux et
ayant créé avec de Jong la catalepsie et la catatonie expérimentale chez les
animaux, nous pensons qu’il faut, d’après nos expériences, distinguer deux
manifestations différentes trop souvent groupées sous le terme générique
d’hypnose animale en considérant la série phylogénique.
Chez les vertébrés inférieurs (poissons, reptiles, batraciens) il faut se
rappeler, comme nous l’avons montré dans nos enregistrements de la
grenouille avec de Jong, que cette variété d’animaux présente de grandes
phases d’akinésie totale sans aucune vibration comme en font foi nos
enregistrements graphiques, akinésie entrecoupée d’impulsions.
Les reptiles peuvent rester immobiles comme une pierre. La moindre
condition de position, la suspension de toute excitation extérieure peuvent
favoriser cet état dans lequel l’animal semble s’identifier aux objets
inanimés. Chez les arthropodes on peut noter aussi le phénomène de
l’immobilisation réflexe de Rabaud 55 qui est un phénomène bien différent
de la catalepsie et qui, dans certains cas, comme on y a insisté, peut
représenter comme un instinct de simulation de la mort.
Dans tous ces cas, il s’agit d’une immobilisation que l’on peut
interpréter, soit par la peur, soit par des réactions de défense, soit par
l’autoconservation, etc., mais ces immobilisations n’ont rien à voir avec la
catalepsie car, comme nous y avons maintes fois insisté, la catalepsie ne
consiste pas seulement dans l’immobilisation mais dans la prise active de
positions imprimées du dehors. La catalepsie suppose la suspension de
l’initiative spontanée du sujet, avec soumission aux initiatives imposées.
Mais pour qu’il y ait une suspension de l’initiative, il faut que cette
initiative existe. Or, chez les vertébrés inférieurs dépourvus totalement ou
presque totalement de cortex (archicortex de Kappers) il n’y a pas, comme
nous l’avons montré dans nos recherches au Jardin Zoologique
d’Amsterdam, d’initiative vraie. Il ne peut donc pas y avoir de catalepsie.
La catalepsie ne peut donc être réalisée comme nous l’avons montré avec
de Jong que chez les oiseaux et chez les mammifères, c’est-à-dire chez des
animaux pourvus de cortex. Chez ces animaux on note une initiative
spontanée imprévisible tout à fait différente de l’akinésie-impulsions des
vertébrés inférieurs. Cette initiative s’accompagne chez les animaux élevés
en organisation d’une grande souplesse d’adaptation permettant des
réactions de défense complexes, souples et adaptées, qui s’expriment soit
par des réactions de fuite, soit par des réactions de combat, soit même par
des réactions mimiques. Avec Guilhot nous avons particulièrement étudié
ces réactions mimiques chez les singes (macacus cynomolgus), toujours en
garde contre l’extérieur, réagissant aux moindres émotions par des
mouvements de mâchoire, l’expression mimique du haut du visage
n’apparaissant que chez les cynoglosses ou les anthropoïdes. Ces réactions
incessantes traduisent à la fois l’anxiété et la défense. Ces deux
phénomènes sont liés. C’est ainsi que si l’on calme chez le singe son
anxiété naturelle par le chlordiazepoxide (librium) on peut laisser la porte
de la cage ouverte, l’animal mangeant tranquillement ses bananes sans se
soucier des dangers extérieurs, comme nous l’avons montré dans un film
pris avec Launay. Au contraire, chez les animaux témoins, si on laisse la
cage ouverte, l’animal grimaçant et tendu bondit avec une rapidité d’éclair à
tel point que plusieurs de nos singes dans ces conditions se sont échappés
de notre laboratoire et, sautant de toit en toit, d’arbre en arbre, ont fait
irruption dans une école où les maîtres et les enfants terrorisés ont fait appel
aux gendarmes pour les arrêter.
Ces faits nous montrent la signification de l’anxiété comme processus de
défense de la personnalité. Sans doute cette anxiété peut se mettre en branle
sans motif, mais elle reste toujours une réaction, utile ou superflue. C’est
pourquoi l’hypnose est impossible chez les sujets anxieux devant cette
méthode, sujets dont l’anxiété défend leur personnalité.

IX. — Conclusions

L’exposé que nous venons de faire nous montre la signification générale


de l’hypnose. L’hypnose représente une tentative de réduire à néant les
réactions de défense de la personnalité, et les manifestations de la
« volonté » du sujet, volonté qui s’exprime d’une part par l’initiative
spontanée, d’autre part par le contrôle de ses réactions internes.
Ces processus volontaires 56 qui semblent apparaître dans la série animale
avec le développement du cortex comme nous y avons insisté dans nos
recherches avec de Jong à l’Institut du Cerveau d’Amsterdam (Pr Kappers)
peuvent être neutralisés soit par une action toxique : C’est alors la
catalepsie expérimentale et la catatonie expérimentale que nous avons
édifiées avec de Jong par les divers « poisons de la volonté » — soit par une
action, une manœuvre psychologique spéciale qui est l’hypnose. Nous
avons rappelé plus haut les analogies de la catalepsie toxique et de la
catalepsie hypnotique. Dans les deux cas le sujet est mis sous condition. Il
est livré sans défense aux actions extérieures. C’est pourquoi l’hypnose
pose des problèmes éthiques et moraux très particuliers. A-t-on le droit,
même dans le but de guérir, d’annihiler la personnalité de son malade ? La
fin en pareil cas justifie-t-elle les moyens ? Quel que soit le but, la méthode
consiste en fin de compte en une sorte d’impérialisme, dans lequel le
thérapeute estime protéger son malade contre lui-même et dans ce but
estime avoir le droit de le dominer, un peu comme les pays puissants
estiment pouvoir aliéner à leur profit les droits et les libertés des pays qu’ils
veulent soi-disant protéger ! La légitimité de l’hypnose reste donc en
discussion. Certains estiment que dans ce but l’hypnose doit subir des
modifications, certains rapprochent alors l’hypnose de la cure de sommeil,
ou de certaines cures de relaxation et veulent transformer l’hypnose en de
simples cures de détente. Nous discuterons plus loin de ce problème.
Quoi qu’il en soit, ces faits nous montrent que les acquisitions récentes et
les plus élevées de la personnalité dans la série phylogénique et
spécialement chez l’homme, l’initiative, l’adaptation, et le contrôle de ses
propres impulsions qui lui est liée, restent fragiles et peuvent être altérées
soit par certaines actions toxiques, soit par certaines manœuvres
psychologiques. Lorsque cette fragile couche supérieure de la personnalité
est annihilée, le sujet retombe passif et sans défense devant le monde
extérieur et se retourne vers les rêves, les fantasmes, et la mer de son monde
intérieur, retournement que certains adeptes de l’hypnose se représentent
sous une forme romancée comme une sorte de rêve cosmique, ou suivant
l’expression de Gastaut « d’extase cosmique » 57 une sorte de
communication avec les fluides occultes des planètes et des étoiles, dans
une sorte de retour idolâtrique, ou pour certains d’appel vers la mort.
Suivant certains cette dissolution serait nécessaire pour ensuite reconstituer
la personnalité.
Quoi qu’il en soit de ces métamorphoses et de leurs aléas, les malades
mentaux souffrent précisément de cette altération de leur volonté, de leur
initiative et de leur contrôle, et se trouvent souvent replongés dans le rêve.
C’est pourquoi Moreau de Tours a assimilé le rêve et la folie, et c’est
pourquoi les malades mentaux ont une peur considérable de toutes les
agressions contre leur personnalité et attribuent souvent à une action
extérieure les phénomènes d’automatisme qu’ils ressentent
douloureusement. Nous arrivons ainsi au problème de la transmission de
pensée.
Ce problème de la transmission de pensée ou des impressions de
transmission de pensée joue un rôle important en psychiatrie et il est
nécessaire d’en rappeler quelques éléments pour comprendre les réactions
de défense à l’égard de l’hypnose. Certes, certaines personnalités très
sensibles ont l’impression de sentir certaines « intuitions » leur permettant
de saisir à distance un événement en cours, comme par exemple
l’impression d’une catastrophe à distance survenant brusquement à l’esprit
au moment même où cette catastrophe se produit. C’est le problème des
intuitions, des prémonitions, et aussi celui des « rêves prophétiques »
étudiés par Vaschide et Vurpas que nous avons précisés dans divers
travaux 58. Ce sont là des problèmes de parapsychologie ou de
métapsychologie que nous ne pouvons traiter ici et qui avaient été abordés
par le Pr Charles Richet.
Mais la transmission de pensée, si fréquente en psychiatrie, est tout autre
chose. Elle consiste dans la dépossession, suivant l’expression de Lévy-
Valensi, de l’indépendance de sa personnalité, avec l’impression du
cambriolage de sa pensée intime par des personnalités étrangères, avec le
devinement de la pensée, l’écho de la pensée, l’écho des actes, tous ces
phénomènes si admirablement décrits par de Clérambaut, dans son
syndrome S célèbre.
A un degré de plus, le sujet entend les autres personnes lui envoyer des
pensées dans l’esprit, pensées étrangères à sa propre personnalité, ou bien le
dominer et l’influencer en lui enlevant sa volonté et sa personnalité propres
(syndrome d’influence de Séglas) ou plus encore le sujet qui reçoit ses
pensées sent sa bouche actionnée par ces pensées étrangères pour le faire
prononcer sans qu’il le veuille des pensées étrangères à lui, c’est
l’hallucination psychomotrice, combinée ou non avec l’hallucination
psychique de Baillarger, Kandisky. Parfois certes la transmission de pensée
et le syndrome d’influence sont en rapport avec des pulsions internes, des
affects inconscients ou refoulés, l’imagination interne du sujet étant
transférée sans qu’il s’en doute à l’extérieur et lui revenant sous forme de
pensées imposées de l’extérieur, telle cette femme de ménage amoureuse de
son patron qui sentait sa volonté dominée par lui, et qui le qualifiait de
« Monsieur Cobra », telle cette jeune fille qui, téléphonant à son médecin,
crut entendre, après avoir raccroché le « téléphone », « je t’aime » puis
« c’est de la télépathie ». A partir de ce moment elle entend son médecin lui
parler à distance, il lui dit « tu es ma femme spirituelle ». Elle dit elle-même
« c’est comme une liaison spirituelle ». Mais le plus souvent les
phénomènes de « télépathie », de « transmissions de pensée »,
d’hallucinations psychiques et d’automatisme mental sont en rapport avec
un délire de persécution. Le sujet se croit dominé par ses persécuteurs qui
cherchent à anéantir sa volonté, à s’emparer de sa personnalité, à lui
détruire le cerveau.
Personnalité, volonté, ne sont-ils pas les biens les plus précieux de
l’homme ? C’est pourquoi l’homme est en garde contre tout ce qui peut les
altérer. La maladie mentale justement est avant tout une altération de la
personnalité et de la volonté pour leur substituer, comme l’a montré
Baillarger, l’automatisme. Est-il donc indiqué à la thérapeutique d’imiter ce
processus négatif et destructif de la maladie mentale, pour pénétrer les
profondeurs du malade à son insu ? N’y a-t-il pas des risques d’altérer
encore davantage sa personnalité ? Tels sont les problèmes posés par
l’hypnose et par les méthodes qui en sont dérivées, méthodes que nous
allons étudier plus loin.
Enfin, l’hypnose pose les problèmes des rapports du cerveau et de la
personnalité psychique. C’est un problème très complexe que nous avons
étudié dans notre récente conférence intitulée « Brain and mind » que nous
avons faite au Passavant Memorial Hospital de Chicago aux Bailey’s
lectures le 30 octobre 1969 59. A côté des localisations cérébrales consacrées
aux moyens automatiques d’exécution de forme neurologique, le
fonctionnement global du cerveau concerne :
1° Le contrôle des mécanismes de la pensée, contrôle indispensable au
fonctionnement de l’initiative volontaire ;
2° La perception des afflux sensitifs et douloureux et d’une façon
générale des informations ;
3° Le contrôle cérébrosomatique et psychosomatique des fonctions
viscérales et neurovégétatives.
Les méthodes hypnotiques ou dérivées de l’hypnose visent à l’abolition
ou à l’inhibition de ces divers contrôles. C’est pourquoi elles aboutissent,
avec la suspension de l’initiative, et par conséquent de l’indépendance à :
a) Inhiber le contrôle de la pensée afin de pénétrer les pensées cachées et
de libérer ces pensées cachées de la censure. C’est là l’objet de la
psychanalyse et des méthodes parapsychanalytiques ;
b) Suspendre la perception des afflux sensitifs pénibles ou douloureux,
d’où les diverses méthodes d’anesthésiologie, de réduction de la
douleur, et de relaxation qui sont représentées par l’anesthésiologie
hypnotique dont nous avons parlé, les diverses méthodes de
sophrologie utilisées maintenant principalement dans l’art dentaire, et
enfin les diverses méthodes analogues de relaxation dont la plus
représentative actuellement est le training autogene de Schultze ;
c) Enfin, les méthodes ascétiques d’entraînement ou plutôt d’inhibition
psychique destinées à modifier, à libérer, ou à dominer le
fonctionnement neurovégétatif. Ce sont là les méthodes du yoga. Enfin
il faut citer le problème des rapports de l’hypnose et de la suggestion,
problème admirablement étudié par Paul Chauchard dans son livre
(P.U.F., coll. « Que sais-je ? », n° 457). Bien des auteurs depuis
Babinski ont assimilé l’hypnose à la suggestion. C’était aussi l’opinion
de Lantuéjoul dans le domaine obstétrical.
Nous allons maintenant étudier successivement ces diverses méthodes et
ensuite, en forme de conclusion, rappeler leurs caractères généraux.
CHAPITRE IV

LA PSYCHANALYSE ET LA DÉCOUVERTE DE
L’INCONSCIENT DERRIÈRE LA CENSURE.
PSYCHANALYSE ET HYPNOSE

L’hypnose avait ouvert le domaine de « l’occulte » en psychologie, et


Freud a commencé ses travaux avec Breuer au moyen de l’hypnose à
laquelle il avait été initié chez Charcot, et il avait également été influencé
par Bernheim de Nancy. On peut donc dire que la psychanalyse est sortie en
partie de l’hypnose tout en construisant ses méthodes propres, mais elle a
toujours gardé néanmoins dans une certaine mesure la marque de son
origine.
L’hypnose ouvre les pensées cachées en anéantissant en quelque sorte le
contrôle, la censure, l’indépendance du sujet. Il reste d’ailleurs à savoir si,
malgré cet anéantissement, le sujet ne se défend pas encore
inconsciemment, et si la conquête de son inconscient n’est pas une illusion.
Freud, après avoir utilisé l’hypnose, l’a vite abandonnée et a utilisé en
quelque sorte une méthode physiologique ; en recueillant la sortie
involontaire des pensées pendant le rêve, ou au cours des lapsus et des actes
manqués.
Le génie de Freud fut précisément d’avoir trouvé cette méthode
physiologique pour la substituer à la méthode brutale de l’hypnose.
Toutefois le recueil opéré par Freud n’était utilisable que par
l’interprétation, les pensées échappées dans le rêve ou les actes manqués
revêtant le plus souvent un aspect symbolique que l’on est obligé de
traduire dans notre langage courant. C’est dans cette traduction que se
trouve la clef de la psychanalyse.
Toutefois la méthode d’interprétation utilisée par Freud pose certaines
difficultés. Il existe, en effet, à la base de cette interprétation plusieurs
postulats. Le premier réside dans une finalité généralisée. Le refoulement
des pensées ou de certaines pensées dans l’inconscient est en quelque sorte
supposé voulu plus ou moins inconsciemment par le sujet. Ce refoulement
serait la conséquence d’un conflit entre un désir inavouable socialement,
notamment un désir sexuel et les interdictions sociales. En raison de ces
interdictions le désir serait refoulé par une censure qui ne laisse passer que
les pensées en accord avec les exigences sociales. Le but de la psychanalyse
est de favoriser la sortie de ces pensées refoulées afin qu’en en prenant
conscience le sujet soit en quelque sorte désensibilisé et soit plus à l’aise
vis-à-vis de lui-même. Il y a là comme une libération d’interdits excessifs
aboutissant à donner au sujet une attitude de dissimulation, l’empêchant de
prendre conscience de lui-même et le poussant à se présenter de façon autre
qu’il est.
Il n’est pas douteux que cette découverte a apporté une lumière nouvelle
sur de nombreux domaines de la psychologie humaine et a permis de mieux
comprendre la signification des névroses et des psychoses qui, jusque-là,
étaient surtout étudiées de façon descriptive. C’est pourquoi, comme nous y
avons insisté récemment dans un mémoire à la Gazette des Hôpitaux, la
psychanalyse a tenté de substituer à la psychiatrie des mécanismes de la
pensée une psychiatrie interprétative.
Loin de nous l’idée de méconnaître l’intérêt de l’étude de la signification
des névroses et des psychoses, des conflits intérieurs ou familiaux qui
peuvent les sous-tendre, et de l’étude approfondie des relations du malade
et de son milieu. Nous nous occupons de ces problèmes depuis de très
nombreuses années et nous avons rapporté dans notre ouvrage de
Psychiatrie morale expérimentale des observations sur la signification
philosophique de certains délires 60.
Toutefois, nous estimons qu’il faut une extrême prudence pour ne pas
établir des interprétations sans preuve, et surtout pour ne pas interpréter a
priori et dans un sens unique. Or, la psychanalyse établit a priori un certain
nombre de postulats comme le complexe d’Œdipe, le refoulement sexuel, la
primauté des désirs.
Sans doute ces postulats sont-ils intéressants dans un certain nombre de
cas, mais doivent-ils être généralisés d’emblée ? Le complexe d’Œdipe,
assez mal dénommé d’ailleurs (car le mythe grec d’Œdipe ne signifiait
nullement la haine du père ni l’amour de la mère mais marquait l’influence
de la fatalité et de la némésis grecque), est certes en cause dans certains cas
mais ne peut être considéré comme une des particularités essentielles de la
nature humaine ; la haine du père et de ceux qui vous ont donné quelque
chose est une particularité des natures ingrates, les natures plus élevées
savent manifester de la reconnaissance et ne bornent pas leur philosophie à
celle reproduite dans Totem et tabou qui consiste à désirer tuer le père pour
prendre sa place et s’emparer de la mère. Le parricide et l’inceste ne
peuvent être donnés comme un des attributs essentiels de l’homme normal,
car une telle proposition risque de compromettre toute l’éducation et de
réhabiliter le crime. Ce serait alors un facteur de corruption des sociétés
humaines.

Il en est de même de la généralisation du désir comme seul mobile de


toutes les actions humaines. Certes ce facteur est très important, mais sa
systématisation absolue risque de renverser de façon invraisemblable des
situations évidentes. Peut-on, par exemple, admettre que celui qui est
accablé du chagrin de la perte d’un être cher désirait inconsciemment la
mort de cet être cher, que la victime écrasée sous la pression d’un
oppresseur désirait inconsciemment être victime, etc. Une telle orientation
aussi systématique et paradoxale risque d’étouffer la connaissance des vrais
mobiles des actions humaines individuelles et sociales et, à ce sujet,
Dorion 61 dans son livre et dans la correspondance qu’il a eue avec Freud, a
bien souligné le fait que Freud a utilisé l’histoire pour servir ses théories
psychanalytiques, et ne s’est pas soumis aux vérifications scientifiques
nécessaires pour établir des faits historiques, principalement lorsqu’il a
admis sans aucune preuve, comme il le reconnaît lui-même dans une de ses
dernières lettres à Dorion, l’assertion de l’auteur allemand antisémite Sellin,
qui s’est d’ailleurs ultérieurement rétracté, en vertu de laquelle Moïse
n’aurait pas été Juif mais Egyptien et aurait été l’élève d’un prêtre égyptien
Ahanaton qui voulait unifier les dieux Egyptiens et les réduire au seul
« Soleil ». Une telle supposition sans aucun fondement est absolument
contraire au monothéisme biblique qui répudie fortement la divinisation du
« Soleil » et qui n’adore qu’un seul Dieu supérieur à la Nature, Dieu sans
forme ni sans représentation matérielle, mais identifié avec la loi morale. Ce
sont ces affirmations hypothétiques sans preuves qui ont fait douter à
Percival Bailey (de Chicago) 62 de la nature scientifique de la psychanalyse,
question que le Pr Alajouanine a posée au Dr Nacht dans une récente séance
de la Société Moreau de Tours 63.
Sans entrer ici dans les détails des problèmes concernant la psychanalyse,
détails que nous avons traités dans de nombreuses études, notamment dans
notre conférence à la Faculté de Médecine de Paris à propos du Centenaire
de Freud, dans notre article de La Nef, des Entretiens de Bichat et des
Annales médico-psychologiques, rappelons seulement que dans Malaise
dans la civilisation Freud s’attaque au célèbre verset de Moïse dans le
chapitre 19 du Lévitique « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »
estimant que cette maxime n’est qu’un « Credo quia absurdum » 64 65 66 67.
Si la psychanalyse a réalisé une véritable révolution en psychopathologie
par la découverte de l’inconscient, de la signification des névroses et aussi
en dépouillant la question sexuelle de la pudibonderie, et de l’hypocrisie,
elle est passée d’un extrême dans l’autre, et a pris plus la forme d’un
système que d’une méthode réellement scientifique, c’est-à-dire soumise à
des contrôles, à des vérifications et à des discussions critiques.
Ce qui nous intéresse ici c’est, d’une part, de constater que comme
l’hypnose la psychanalyse est dominée par la notion de la résistance du
malade et par la nécessité de vaincre cette résistance. Lorsqu’un malade ne
guérit pas au cours d’un traitement psychanalytique, c’est, pensent les
psychanalystes, en raison de sa résistance. Lorsqu’un malade qui n’a pas
guéri par un traitement psychanalytique guérit par un autre procédé, aucune
réponse n’est donnée en général par le psychanalyste. Cependant, nous
avons maintes fois observé le fait qu’un malade en défiance devant la
psychanalyse qui veut le vaincre se trouve en confiance devant un
psychothérapeute compréhensif et dévoué qui lui manifeste davantage de
chaleur de sympathie et à qui il donne spontanément sa confiance sans
qu’on soit obligé de la conquérir.
Nous retrouvons là les mêmes problèmes que nous avons discutés plus
haut à propos de l’hypnose.
D’autre part, l’interprétation de la finalité des symptômes qui, dans
certains cas, peut apporter des données intéressantes, est remise en question
dans d’autres cas qui relèvent de la psychophysiologie. Que penser, en effet,
de la sortie hallucinatoire des pensées intérieures dans les prodromes d’une
crise d’épilepsie, au cours de syndromes infectieux ou toxiques ? Ici un
facteur physiopathologique est intervenu qui relève d’autres causes que le
désir non satisfait.
Enfin, la psychanalyse se limite au côté individuel, et laisse de côté le
problème social. Ce dernier est extrêmement important et a été soulevé par
Adler, disciple dissident de Freud, et aussi dans un autre sens par Jung, et
enfin à notre époque la psychiatrie sociale a pris un développement
considérable en Angleterre et dans tous les pays dans un sens bien différent
de la psychanalyse.
Enfin, la prolongation de la méthode analytique risque, comme la
répétition de l’hypnose, d’affaiblir la personnalité, et parfois même, à
propos de conflits internes, de créer de nouveaux conflits avec
l’environnement, et de pousser à l’agressivité dans une culpabilisation
étendue, liée à l’attitude de bouc émissaire et d’une sorte de
pseudomoralisation d’accusation.
Nous voyons donc que la psychanalyse, partie de l’hypnose, a contribué
récemment à un retour de l’hypnose. D’autre part, l’idée commune à
l’hypnose et à la psychanalyse de briser la résistance du malade a abouti à
la narcoanalyse, c’est-à-dire à une psychanalyse réalisée par un toxique qui
inhibe la censure. Mais l’expérience a montré que même sous narcoanalyse
le sujet peut résister et ne pas livrer ses secrets et que ses révélations
peuvent être modifiées par le produit toxique. C’est pourquoi la
narcoanalyse a été vivement critiquée et surtout invalidée dans le domaine
médico-légal et judiciaire.
Enfin des procédés innombrables ont été utilisés issus de la psychanalyse,
interprétations des dessins et plus spécialement des dessins d’enfants,
interprétations de la façon de jouer la comédie (psychodrame de Moréno),
rêve éveillé de Dessoille, etc.
Malheureusement l’expérience montre l’échec fréquent de la
psychanalyse et souvent l’aggravation par le retour sur le passé, la
culpabilisation de l’entourage, le développement de la frustration et de la
revendication et souvent de réactions paranoïaques et aussi les conflits
familiaux, certaines haines, la culture des névroses, la séparation des
névroses et des psychoses avec de nouveau le rejet des vrais malades
mentaux comme avant Pinel.
Aussi trop souvent la psychanalyse compromet le diagnostic
psychiatrique exact.
CHAPITRE V

ANESTHÉSIOLOGIE ET SOPHROLOGIE

Le problème de l’anesthésie et de la suppression de la douleur s’est


polarisé assez vite vers l’idée de la suppression de la perception de la
douleur par le psychisme. En effet, quelles que soient les causes
périphériques de la douleur, si l’esprit ne perçoit plus cette douleur, le sujet
est délivré de la souffrance et les opérations chirurgicales peuvent être
effectuées.
Deux méthodes se sont développées parallèlement en quelque sorte pour
cette abolition de la perception psychique de la douleur. Une méthode
psychologique, l’hypnose, sur laquelle s’est greffée la découverte du
psychisme inconscient comme le rappelle très justement Lassner.
« L’expérience de l’hypnose a conduit, écrit-il, à la conception de
l’inconscient en tant qu’élément de la dynamique du comportement humain.
C’est en observant les sujets en hypnose chez Charcot à la Salpêtrière et
surtout à Nancy chez Bernheim que Freud a conçu l’idée d’une partie plus
ou moins inaccessible de « l’appareil psychique » et a attribué à cet
inconscient un contenu agissant sur la partie consciente. Cet échange
dynamique entre un monde inconscient fait d’éléments réprimés ou refoulés
de la conscience, ou, au contraire, émergeant d’un fond de pulsions pour
assiéger le « seuil » de la conscience, apparaît comme une description du
conflit qui se déroule, chez le sujet en hypnose, entre ce qu’il désire comme
son vouloir et ce qu’il décrit comme se produisant en dehors de sa
volonté. » Cependant, très justement le Pr Lassner établit la contrepartie de
cette notion en insistant sur le danger des contraintes imposées à la liberté,
et d’envisager ensuite l’homme sur le plan d’une détermination stricte pour
abolir la notion de responsabilité. Il écrit notamment : « Ce danger est
particulièrement grand pour les théories psychanalytiques car on trouve ses
tenants volontiers enclins à se poser en adeptes d’un déterminisme strict.
Un déterminisme qui nie le libre arbitre abolit en fait le sens propre du
vouloir en déclarant illusoires tant la volonté que la liberté » 68.
Les dangers soulignés ici par Lassner s’avèrent encore beaucoup plus
grands dans une méthode qui a soulevé un moment d’engouement, ayant
pour but d’enlever les réactions anxieuses et douloureuses du psychisme par
des lésions destructives du cerveau en particulier du lobe frontal, la
lobotomie. On sait, en effet, que les malades atteints de lésions des lobes
frontaux cérébraux deviennent indifférents à l’anxiété et euphoriques. Tous
les neurochirurgiens connaissent ce fait. De là l’idée qu’en créant
artificiellement de telles lésions cérébrales on délivrerait les malades de leur
anxiété. Cette idée est d’abord venue chez de Martel, l’éminent chirurgien
élève de notre maître Souques que l’on peut considérer comme le premier
créateur de la neurochirurgie française. Le Dr de Martel était venu nous voir
et nous avait soumis cette idée. Nous lui en avions montré les dangers et de
Martel, doué lui-même d’une grande sensibilité et d’une grande humanité,
l’a alors abandonnée.
Cette idée fut reprise par Egas Moniz (de Lisbonne) qui réalisa les
premières lobotomies chez les malades mentaux. Cette méthode fut alors
appliquée sur une échelle considérable par Freeman de Washington. De
vives discussions s’engagèrent alors chez les psychiatres. En effet, si dans
certains cas le malade paraissait délivré de son « anxiété », sa personnalité
morale était souvent altérée, avec la perte du sens de ses devoirs, et des
perturbations du sens du bien et du mal. Certains malades sentaient le poids
de cette déchéance à tel point que nous avons vu des malades lobotomisés
se suicider. La lobotomie avait été précipitée par les expériences de
Jacobsen en Amérique qui avait vu que des singes dressés à faire
consciencieusement un certain travail devenaient indifférents à ce travail
lorsqu’ils avaient été lobotomisés. Pour ces raisons et pour d’autres, en
particulier pour les erreurs si fréquentes de pronostic qui exposent à créer
une lésion cérébrale irrémédiable chez des malades qui peuvent guérir
autrement, nous avons combattu la lobotomie 69 dans des discussions
scientifiques passionnées. Cependant, nous fûmes rapidement suivis par le
Pr Morel (de Genève), le Pr Senise (de Naples). Nous avions même réclamé,
en nous opposant à Henri Ey, l’interdiction légale de cette méthode. Cette
interdiction légale fut promulguée en U.R.S.S. à la suite des travaux de
Mme Tchevtchenko qui montraient l’extension possible des lésions
frontales à tout le cerveau et la possibilité d’aggravations ultérieures, et du
Congrès des Médecins psychiatres et neurologistes russes, invoquant les
travaux de Pavlov et l’importance capitale du cortex cérébral. Peu à peu la
lobotomie tomba en discrédit, et E. Moniz lui-même qui en avait été le
créateur fut effrayé des conséquences de cette découverte à tel point que
dans son discours du Congrès international de Lisbonne consacré à son
œuvre scientifique personnelle — œuvre considérable — il ne mentionna
pas la lobotomie. Il faut, en effet, faire une grande différence entre les
méthodes réversibles (même comme l’hypnose) et les méthodes
irréversibles comme la lobotomie.
Pour en revenir aux méthodes réversibles, les inconvénients de l’hypnose
amenèrent Caycedo, en Espagne, à créer le mouvement « sophrologique ».
Comme il l’explique lui-même dans son livre 70, la sophrologie a eu, comme
la psychanalyse, son point de départ dans l’hypnose que Caycedo avait
pratiquée et étudiée dans le service du Pr Lopez Ibor (à Madrid). Mais à
côté des résultats obtenus il était frappé de l’inconstance de l’anesthésie et
surtout par l’utilisation et l’interprétation de cette méthode jusqu’aux
« pamphlets de cinéma de terreur et aux mystérieuses appréciations émises
par des scénaristes et des charlatans professionnels ».
Par ailleurs, Caycedo avait été impressionné par l’opinion du Pr Bumke
dans son Nouveau traité des maladies mentales, qui considérait que dans
l’hypnose l’action suggestive était exercée de la « façon la plus concentrée
mais aussi la plus grossière » et qui avait écrit : « Les personnes un peu
nerveuses, dont on peut espérer qu’elles seront susceptibles de vaincre leurs
troubles psychogènes par leur propre énergie, ne doivent pas être
hypnotisées ; au contraire il nous resterait l’amère impression de leur avoir
psychiquement rompu l’échine. » Par ailleurs, Caycedo a bien vu
l’impossibilité d’identifier l’hypnose avec le sommeil naturel.
Pour toutes ces raisons, il a proposé d’abord l’abolition du terme hypnose
et son remplacement par un autre vocable se rattachant à la racine grecque
sophrosyne d’où a été constitué le terme « sophrologie ».
La sophrologie ainsi comprise réunit sous ce vocable une partie de
l’hypnose et surtout l’ensemble des méthodes de relaxation. C’est donc un
terme générique qui se propose en somme l’étude de la conscience humaine
et de ses modifications.
Caycedo a constitué alors une vaste école de sophrologie en Espagne,
tout spécialement à Barcelone, patronnée par le Pr Pedro Pons, président de
l’Académie Royale de Médecine de Barcelone et par le Pr R. Sarro,
professeur de Psychiatrie à la Faculté de Médecine de Barcelone. Le Pr
Sarro a bien souligné à juste titre les différences qui séparent les
psychothérapies longues comme la psychanalyse et les psychothérapies
brèves. Il a montré toutes les difficultés des psychothérapies longues : « Les
innovations constantes, écrit le Pr Sarro, qu’introduisait Freud dans son
œuvre ont une raison d’être ; toutes partent de l’expérience douloureuse que
ses thérapeutiques restaient incomplètes. Freud espérait qu’en « se
rappelant » le trauma les patients seraient rétablis mais cela ne se produisait
pas. Freud constata avec une surprise qui dût sans doute être agréable, que
les malades, bien qu’ils ne guérissaient pas, n’abandonnaient pas le
traitement » 71 et plus loin le Pr Sarro ajoute : « En Freud se développe
l’idée que la guérison d’une névrose était une entreprise très ardue, presque
impossible. Il avait situé si profondément les racines de la névrose qu’elles
en étaient presque hors d’atteinte. L’unique possibilité était celle d’une
psychothérapie profonde, profonde parce qu’elle irait jusqu’à l’enfance, non
seulement rappelée mais revécue et que cette reviviscence se réaliserait au
moyen de ce qu’on appelle « névrose de transférence ». Tout essai
d’abréger cette thérapeutique équivalait à une incompréhension de l’essence
de la névrose. Sur ce point Freud n’admit aucune concession. Comme dans
l’enfer de Dante, pour arriver jusqu’à son abîme le plus profond, il fallait
parcourir tous les cercles, de même dans la psychanalyse il faudrait
parcourir toutes ses étapes. »
Par ailleurs, le Pr Sarro a étudié le principe du transfert et écrit en parlant
du fait que la psychanalyse est non seulement longue mais, écrit-il,
interminable. « La raison principale de cette durée, écrit le Pr Sarro, il faut
la chercher dans l’ensemble du « système » psychanalytique,
principalement l’hypothèse que la relation psychothérapeute-malade est un
« transfert », une répétition d’une situation infantile qui doit être reconnue
et acceptée comme telle. »
En opposition avec cette psychothérapie longue, le Pr Sarro définit les
psychothérapies brèves qui doivent atteindre « le maximum d’efficacité
avec le minimum de temps et de coût », psychothérapies qui puissent être
utilisées non seulement par le spécialiste mais par le médecin général, et il
ajoute : « Nous ne pouvons espérer que le médecin général mette sa
confiance dans une psychothérapie qui, comme la psychanalytique, se
déclare incapable de convaincre personne par une autre voie que celle d’un
itinéraire interminable », et il ajoute : « La psychothérapie médicale est un
instrument de transformation animique d’un pouvoir très inférieur aux
croyances religieuses et politiques. Le procédé le plus rapide pour
transformer un homme est réalisé transitoirement, par contact affectif et de
façon durable, par son entrée dans de grands mouvements ou institutions
collectives orientatrices des valeurs décisives de toute vie humaine. Freud
savait mieux que tout autre que les recours utilisés par le psychothérapeute
dans son cabinet médical sont très inférieurs à ces grandes forces
collectives. » Certes l’esprit analytique froid, incisif auquel s’ajoutent dans
la psychanalyse un pessimisme foncier et une tendance au soupçon et à la
culpabilisation n’est pas fait pour redonner confiance et pour restaurer la
personnalité. L’analyse ne peut, en fait, que précéder la synthèse, car
l’analyse indéfinie dissout les forces vitales. Mais le psychothérapeute qui
possède le rayonnement de la sympathie, de l’aide chaleureuse et
compréhensive de son malade, dans une atmosphère de réconfort et de foi
peut beaucoup plus qu’on ne le croit, les méthodes synthétiques et
redynamisantes de la personnalité ne manquent pas et se sont échelonnées
depuis Dubois (de Berne), Vittoz dont la méthode toujours vivante en
France grâce à Mlle Lefebvre a pour but de redonner de la vie à la volonté,
autrefois Dejerine et Gauckler jusqu’à la chitamnie dont nous avons parlé,
et la psychodidactie de Laignel-Lavastine et Mme de Volkov sans compter
bien d’autres, et sans compter la méthode Coué sur laquelle nous
reviendrons.
Pour en revenir à la sophrologie, ce terme semble couvrir une série de
méthodes diverses dérivées tantôt de l’hypnose tantôt de la relaxation et
visant à détendre le malade, et à diminuer sa sensibilité à la souffrance.
Caycedo l’a complété par le terme de « Terpnos logos » terme « ressuscité
suivant l’expression de R. Puncernau de l’arsenal historique de la Grèce
classique » et comportant une certaine notion magique, l’idée d’une prière
et d’une parole agréable, en vue de faciliter la communication 72.
Ces méthodes sophrologiques ont été utilisées en gynécologie et en
obstétrique dans l’accouchement sans douleur (J.M. Dexeus), dans de
nombreux syndromes tels que le vertige de Ménière, l’énurésie nocturne, le
glaucome, l’obésité, etc., (J. Duran) en pédiatrie (Ternel) mais surtout en
odontostomatologie, où l’angoisse, les réflexes de salivation,
l’accoutumance à la prothèse jouent un rôle important comme y a insisté U.
Arias en Espagne.
En France la sophrologie a été utilisée et étudiée par le Dr Maurice Gabaî
qui a bien étudié les réactions de la crainte du dentiste, déjà apparentes dans
l’étude des dessins d’enfants et qui a essayé d’objectiver les phénomènes
par la micropléthysmographie, et a ajouté aux méthodes sophrologiques la
thérapie par les sons 73. Il estime que le dentiste ne doit plus évoquer « le
personnage castrateur cher aux psychanalystes » mais être capable de
détendre son patient. Il discute aussi le problème de l’hypnose dentaire qui,
pense-t-il, doit inciter à la prudence 74. Le Dr Gabai a publié également un
intéressant travail sur la psychosophrologie en médecine dentaire infantile 75
dans lequel il étudie les divers moyens de calmer l’anxiété de l’enfant
devant le dentiste. Il cite les travaux du Dr E. Berranger, auteur d’un livre
intitulé L’hypnosophrologie en art dentaire (Ed. Privat), les travaux de
Durand de Bousingen sur la relaxation dialectique (Ed. Privat), et surtout le
livre du Dr R. Cherchève intitulé L’hypnosophrologie en art dentaire que
nous allons rappeler maintenant. En ce qui concerne l’ouvrage des Drs R.
Cherchève et E. Berranger 76, ces deux auteurs expriment dans ce livre les
travaux de la Société française d’Applications sophrologiques dont le
président d’honneur est le Dr Durand de Bousingen, le président le Dr
Cherchève, le vice-président, le Dr Vidal, le Comité composé de MM.
Motte, Genton, Girod, Mme Reseurau - Rimbauld, le Dr Gabaï, MM.
Benharino, Hubert, Allard, le Dr Marchand, le Dr Martinet, le Dr Berranger,
MM. Lefay, Fieschi.
Après avoir repris dans ce livre l’histoire de l’hypnose, les diverses
méthodes hypnotiques, le problème de la conscience dans ses rapports avec
le système nerveux central et avec la vie organovégétative, après avoir
complété ces problèmes par des études cliniques, psychologiques et même
par la graphologie, ainsi que par l’exposé des données
électroencéphalographiques relatives à la conscience, ces auteurs
reprennent l’histoire de la sophrologie et surtout appliquent ces données à
l’art dentaire. Dans un important chapitre intitulé « Les buts poursuivis par
le praticien ou une psychoprophylaxie de l’art dentaire », ces auteurs
étudient le rôle psychologique et la signification psychologique de l’art
dentaire et, tout particulièrement, le problème de la réimplantation des dents
(implantologie dentaire) à laquelle le Dr Cherchève a consacré de nombreux
travaux ainsi que les relations entre l’implantologie et la sophrologie. Ils
rapportent les données de leur pratique dans la prophylaxie, grâce à la
sophrologie, des lipothymies, du trismus et de la salivation très gênante
dans la pratique dentaire, ainsi que les données de l’extraction dentaire sous
anesthésie sophronique et enfin ils discutent les données psychologiques
concernant l’art dentaire et le passage de « l’arracheur de dents » au
chirurgien-dentiste, personnage réparateur, et le passage de la notion de
castration à celle de reconstruction.
La sophrologie s’appuie beaucoup sur les méthodes de relaxation en
particulier sur le training autogène de Schultz 77, méthode qui a eu un grand
retentissement et qui utilise une méthode de détente hypnotique avec des
suggestions (suggestion de poids dans un membre, puis une sensation de
chaleur, puis exercices de régularisation cardiaque, de régularisation
respiratoire, de régularisation abdominale, de régularisation de la région
céphalique). Cette méthode a été appliquée et étudiée à Strasbourg par
Kammerer, Durand de Bousingen et Becker. On peut citer également la
méthode de relaxation de Jacobson, fondée sur certaines relations entre
l’état émotionnel et le tonus musculaire, l’autohypnose de Stockvis, et de
nombreuses autres méthodes analogues. Caycedo complète ces méthodes de
« relaxation statique » avec sa méthode de « relaxation dynamique » avec
une grande importance donnée aux exercices respiratoires et à la
désobstruction des fosses nasales qu’il désigne sous le nom de « neti
Kriya » et qui l’apparente quelque peu aux méthodes du yoga.
D’ailleurs le livre de Caycedo se termine par une introduction à « l’Inde
des Yogis » et par un échange de lettres avec le Dalai Lama » 78 Une partie
de l’ouvrage a pour titre « La sophrologie et son approche de la pensée
orientale ». Un récent Congrès Mondial de Sophrologie, qui a eu lieu du 1er
au 5 octobre 1970 à Barcelone, a pris le titre suivant : « La médecine
occidentale et la médecine orientale se donnent rendez-vous à Barcelone. »
Nous sommes donc amené maintenant à rappeler l’essentiel des
méthodes du yoga.
CHAPITRE VI

LE YOGA MAÎTRISE DE SON CORPS ?

Le yoga est une pratique issue de l’Inde, très ancienne datant, suivant
Masson-Oursel 79, du VIe et Ve siècle avant l’ère chrétienne, qui consiste en
une ascèse solitaire en vue d’obtenir une maîtrise spirituelle de son corps,
ascèse qui peut être en rapport avec une philosophie pouvant aboutir au
« nirvâna ».
Le yoga est une pratique et une ascèse. « Une pratique, écrit Masson-
Oursel, entraînement à ce qu’on peut devenir en se faisant au mieux, par
certaines manières de se faire. » Le terme yoga, terme sanscrit, signifie,
explique Masson-Oursel, une « jonction ». Celui qui pratique le yoga est
joint. Il s’agit peut-être d’une jonction entre l’esprit et le corps. « Le yoga
antique se garde d’opposer esprit et corps. La régulation de la fonction
respiratoire prépare la discipline mentale. » « Usage mystique des fonctions
vitales : telle est la tâche de ces subtils maîtres en physiologie », écrit
encore Masson-Oursel. Il ajoute encore que « les efforts ascétiques du Jina
et du Bouddha, ces premiers connus parmi les yogis de l’Inde, sont
prouesses exceptionnelles exemptes de tout culte. Le yoga en lequel ils ont
forgé leur maîtrise n’est ni foi, ni vénération mais merveilleux sport
psychophysiologique ».

Le yoga est une ascèse et une ascèse solitaire. Le yoga, explique Masson-
Oursel, est sans rapport avec la vie collective et sociale. Pas de groupes, pas
de monastères, pas d’organisation collective. Il s’agit d’un effort purement
individuel, isolé. Cette absence de préoccupations collectives explique
l’absence de morale dans le yoga, car la morale est fonction des rapports et
des lois des rapports des hommes entre eux. « Ici nous apparaît le motif,
écrit Masson-Oursel, pour lequel l’Inde si religieuse ou si héroïque ignore
ce que nous appelons la morale : une correction des mœurs valables pour
tous les hommes », et il ajoute « Le yoga est une discipline autonome et
volontaire du comportement humain individuel. Il n’a comporté des règles
monacales qu’appliqué au bouddhisme. Si déterminée que soit la rigueur
avec laquelle il exclut la complaisance pour soi, le yogi suit son chemin
propre, comme s’il était seul au monde. Sa présence parmi la foule ne le
rend pas social. Quoique son égoïsme soit annihilé, son altruisme aussi est
réduit à zéro. »
L’entraînement du yogin vise donc à discipliner ses organes, dans une
sorte « d’usage mystique des fonctions vitales » mais d’une mystique sans
dogme, sans foi, d’une mystique ascétique.
Néanmoins cette pratique ascétique comprend au fond d’elle-même une
philosophie. Nous venons de voir les rapports du yoga et du bouddhisme.
La« psychagogie » du yoga a aussi des liens avec le brahmanisme, la
tradition du Véda, ce brahmanisme qui, d’après Masson-Oursel, « bloque
ses zélateurs dans l’intégrale conservation du passé ». Le but final
de« dépouiller sa nature, de s’évader de ce que l’on est pour aller à la
libération. Notre corps ne doit plus nous servir à jouir de la vie, ni notre
esprit à connaître ». Le but ce sont « les façons d’extirper la croyance au
réel et les exigences du moi ». « Aucune possession ni d’être, ni de
béatitude, mais diminution intégrale des intérêts et des vanités. » « C’est
l’extinction, nirvâna, délivrance totale. »

En résumé le yoga est d’abord une pratique spiritualo-corporelle, qui


ensuite peut aboutir à une philosophie et à une sorte d’évasion de la réalité.
Beaucoup de ceux qui usent du yoga se limitent à la pratique.
En quoi consiste cette pratique ? Suivant Eliade cité par Jean de
Goldfiem 80 : « Ce qui importe pour un yogin c’est en tout premier lieu sa
volonté, sa capacité de maîtrise de soi et l’intériorisation » et cela à partir de
certaines techniques qui confèrent à celui qui les pratique un contrôle
physique et psychique remarquable, une sérénité, un équilibre et une
quiétude, etc. « En quoi consistent ces pratiques ? Nous en trouvons un
exposé détaillé dans le livre intitulé Yoga Praxis de Swami Der Murti 81
dont Mme Escanecrabe, son disciple, résume les principes dans l’exergue
suivant : « Sème un acte, tu récolteras une habitude, Sème une habitude, tu
récolteras un caractère. Sème un caractère, tu récolteras une destinée. »
Le principe des exercices part de l’idée qu’une partie des malaises de
l’être humain vient de sa position verticale et de la station de sa colonne
vertébrale alors que chez l’animal qui marche à quatre pattes cette colonne
vertébrale conserve sa souplesse. Le but des exercices est donc d’assouplir
la colonne vertébrale et de lui rendre sa mobilité dans tous les sens, alors
que chez l’homme debout elle reste comme une tige rigide. De là sont sortis
une série d’exercices d’assouplissement donnant au corps toute sa mobilité
et son aisance.
Le deuxième principe est la discipline de la respiration, les respirations
profondes associées à tous les exercices, et le nettoyage des fosses nasales
(neti), le nez étant considéré comme l’organe essentiel de l’origine de la
respiration, le nettoyage du nez se faisant soit par des liquides, soit en se
passant dans le nez des caoutchoucs ressortant par la bouche pour drainer
en quelque sorte cet organe.
A ces principes s’ajoutent des principes d’alimentation avec le point
marqué sur l’alimentation végétarienne et des précautions relatives à
l’alimentation carnée.
La pratique du yoga, si remarquablement étudiée par Mlle Thérèse
Brosse, aboutit à réaliser une action du psychisme sur des fonctions
organiques et neurovégétatives qui normalement échappent à l’action de la
volonté. C’est donc une ascèse psychosomatique. C’est ainsi que les yogi
arriveraient à modifier les battements de leur cœur, à renverser le
péristaltisme digestif, etc. Cette discipline s’exerce aussi à l’égard de
l’instinct sexuel, qui doit être utilisé par l’homme mais auquel l’homme ne
doit pas être asservi comme les animaux.
Le but principal du yoga serait donc la maîtrise de soi, la maîtrise de son
corps dans une sérénité exempte d’angoisse.
Le problème est de déterminer en quoi consiste cette maîtrise.
Remarquons que la maîtrise du yoga consiste à renverser les données
habituelles du problème. La maîtrise est généralement recherchée en face
des autres hommes. Les efforts d’entraînement et de discipline sont faits en
vue de la vie sociale, tandis que l’homme abandonne le fonctionnement
automatique des organes aux lois neurovégétatives des fonctions
involontaires.
En fait donc l’homme est tourné vers l’action et vers la société. Dans le
yoga, le yogi se détourne plus ou moins de cette action sociale, et se replie
sur lui-même pour être libéré de l’emprise de son corps et dominer ses
fonctions neurovégétatives. Mais cette évolution comporte-t-elle une
augmentation du pouvoir de la volonté ou une modification différente de la
volonté ?
Pour comprendre ce problème il faut se rappeler que toutes les études
comparées de la psychologie de l’homme et des animaux 82 montrent que ce
qui donne à l’homme sa supériorité c’est la possibilité de discipliner et
d’organiser ses instincts et ses pulsions et de les synthétiser vers un but
défini. C’est là le caractère de la volonté. C’est cette faculté de frein, de
contention, de discipline qui a été décrite par les Grecs sous le nom de
« νoμς », par les Latins sous le nom de « ratio » et, par les philosophes de
l’âge classique, sous le nom de « raison ». C’est précisément cette faculté
de contenir et de synthétiser qui est altérée dans la folie, dans laquelle le
sujet a « perdu la raison » et est le jouet du hasard de ses impulsions. Cette
faculté de discipline et de contention permet à l’homme d’agir sur le milieu
extérieur, et de garantir son indépendance. C’est cette faculté qui est inhibée
dans l’hypnose qui réalise en somme ce que fait la maladie mentale,
puisque dans les deux cas le sujet devient cataleptique et tombe sous la
domination des actions extérieures. Cette suspension de cette faculté amène
alors le développement des automatismes. C’est ce qu’a fortement souligné
Baillarger dans sa célèbre étude sur le rôle des automatismes dans la folie,
étude dans laquelle, citant Jouffroy, il dit qu’en pareil cas « l’homme s’est
retiré et vit comme une chose ».
On comprend que, vu l’importance d’une telle faculté, on l’ait de plus en
plus élevée en importance surtout à la période classique du XVIIe et XVIIIe
siècle. C’est l’âge de la raison et du rationalisme. Ce rationalisme place au-
dessus de tout le rôle du frein, de la contention, de la discipline et, au
second plan, celui des affects et des sentiments qui, en tout cas, doivent
selon lui être disciplinés.
Mais en refoulant trop ainsi les forces affectives si importantes chez
l’homme on risque de déterminer un malaise, et c’est ce malaise qui a
amené la réaction de Freud qui a mis le point sur les désirs et les forces
irrationnelles, et a amené de nouvelles recherches pour retrouver un
équilibre.
Cependant cet équilibre avait été réalisé dans la civilisation hébraïque 83.
Alors que le rationalisme dominait les Philosophes grecs quitte à laisser
quelques échappements dans les Dionysiades, dans la civilisation des
prophètes d’Israël un juste milieu était trouvé entre l’éducation essentielle
de la volonté et de l’autodiscipline et l’inspiration ouverte sur le monde
intérieur, inspiration ouverte vers le principe altruiste créateur et directeur
de l’univers, défenseur de la vie, correcteur de la nature et visant à créer une
société humaine juste, dans laquelle l’homme s’identifie à son prochain.
C’est cette civilisation hébraïque qui a, en partie, inspiré la civilisation
occidentale en se combinant avec la tradition rationnelle grecque. Mais peu
à peu lorsque l’harmonie de la combinaison de ces deux sources s’est
déséquilibrée, le monde moderne a oscillé entre un rationalisme exclusif et
desséché et le retour au culte de l’instinct du paganisme (néopaganisme
moderne).
C’est alors que certains se sont tournés vers l’ancienne civilisation
aryenne de l’Inde et, en particulier, vers le yogisme. Nous voyons toutefois
que le yogisme est un égocentrisme détaché des réalités sociales.
L’hébraïsme, devant les difficultés de la réalité, n’hésite pas à prendre à
bras-le-corps cette réalité pour la modeler et en faire un monde juste et
bienfaisant pour le bonheur de l’homme. Le yogisme se détourne de ce
problème pour se replier sur soi-même et éteindre en soi toutes les
aspirations et les besoins et pour s’évader vers le nirvâna et vers la sérénité.
On voit le fossé immense qui sépare ces deux conceptions. Le yogisme
impuissant devant la réalité et se détournant des problèmes sociaux, porte
ses forces sur soi-même pour la domination de son propre corps et des
forces biologiques des fonctions neurovégétatives échappant normalement à
sa volonté.
Mais cette domination exprime-t-elle une super-volonté ou au contraire
un affaiblissement de la volonté ? Nous avons vu plus haut que dans la
catalepsie et dans l’engourdissement psychique qui l’accompagne, on note
des phénomènes psychosomatiques sur le cœur, les organes digestifs et
autres comme si le psychisme retiré du monde se reportait sur les organes
internes, ce qui a lieu également dans l’hystérie. L’entraînement du
psychisme dans cette voie représente-t-il un affermissement du psychisme
ou au contraire un affaiblissement de la personnalité ainsi réduite et
concentrée sur elle-même ? Tel est le problème que l’on peut se poser.
Sans doute le développement de la personnalité dans son action sociale
entraîne-t-il une tension nerveuse parfois considérable, génératrice
d’anxiété et de fatigue, tension qu’il ne faut pas pousser au-delà du
possible. C’est pourquoi l’hébraïsme exalte l’alternance de l’activité et du
repos, comme une loi essentielle de la nature et magnifie le repos du 7e
jour, le Sabbat, pour l’homme et les créatures y compris les animaux
domestiques comme un « délice » (oneg chabat) et comme la pierre
angulaire de la civilisation judaïque. Notre civilisation technique et
mécanique moderne sous-estime trop le repos et épuise le système nerveux.
Elle a institué à la place du Sabbat les vacances qui, trop souvent, épuisent
l’homme dans une activité excessive de plaisir et qui, par leur durée, ne
respectent pas l’alternance réglée de la nature et entraînent à la fin de ce
long repos un effort de réadaptation parfois générateur de nouveaux
troubles nerveux.
Nous avons vu que le yoga se préoccupe de l’alimentation et, en
particulier, de l’alimentation carnée. L’hébraïsme se préoccupe aussi
beaucoup de l’alimentation de même qu’il se préoccupe beaucoup du corps
et de l’hygiène. Pour l’alimentation carnée, il estime en réduire les méfaits
en éliminant le sang, facteur de la vie, et aussi facteur des causes toxiques
de la viande, d’où une modification de l’abattage des animaux par saignée.
D’autre part l’abattage des animaux dont la cruauté préoccupe les yogis
préoccupe aussi les hébreux. Cet abattage, dans la tradition hébraïque, afin
qu’il soit distingué du meurtre est alors sacralisé et par cette sacralisation
remplace et annule définitivement les sacrifices humains qui avaient
déshonoré le paganisme. L’animal protège ainsi l’homme dont la vie est
sacrée, mais le sacrifice de l’animal nécessaire à l’alimentation humaine est
élevé et spiritualisé pour ne pas favoriser le crime et le meurtre. Ce sont là
des problèmes fondamentaux et toujours actuels des civilisations humaines.
Nous ne pouvons ici nous étendre longuement sur ces problèmes que nous
avons traités ailleurs.
Pour nous en tenir aux pratiques psychothérapiques, notons que certaines
pratiques de relaxation et de gymnastique du yoga peuvent avoir un certain
intérêt pour détendre l’homme moderne si crispé, mais qu’il faut garder la
mesure pour ne pas passer d’une civilisation trop mécanique et trop tendue
vers la possession du monde, vers un détachement et un repliement sur soi-
même qui ne permettrait plus de vie sociale ni morale et menace de tourner
vers l’ataraxie.

Pour en revenir aux problèmes de la psychothérapie, il faut se rappeler


que dans la maladie la tension anxieuse n’est pas tout mais qu’un des
facteurs essentiels est la crainte de la gravité de la maladie. Tout malade a
besoin en premier lieu de réconfort. Tout malade qui consulte est comme un
inculpé qui attend un verdict du médecin. Si le médecin néglige ce facteur
et se borne à des investigations techniques considérant le malade comme un
objet, il se dérobe à la tâche la plus capitale du médecin, à la tâche humaine
et sacrée sans laquelle il n’y a pas de vrai médecin. C’est cette notion que
l’on retrouve dans certaines psychothérapies synthétiques que nous avons
citées plus haut depuis la psychothérapie de Dubois de Berne jusqu’à la
chitamnie et la méthode Vittoz. C’est dans cette voie qu’il faut placer aussi
la méthode Coué, sorte d’autosuggestion consciente pour se persuader de la
guérison. Des travaux récents reprennent et étudient l’œuvre de Coué qui a
aussi contribué à la réputation de l’Ecole de Nancy. Dans une étude récente
Gustav Lebzeltern, étude présentée à la Société Moreau de Tours, souligne
combien Coué cherchait à développer la force de guérison qui est dans
chaque homme, et sur le fait que « la force de l’imagination est dirigeable ».
De même la combinaison de la psychothérapie et des méthodes
pharmacologiques a été développée par de nombreux auteurs et récemment
les Drs Daniel Certcov et Jorge Calvo (de Buenos Aires) ont développé
l’harmonisation de l’emploi psychopharmacologique et de la
psychothérapie rationnelle dialectique.
CONCLUSION

La pratique prolongée de la psychiatrie, surtout si l’on suit longtemps les


malades, souligne la valeur infinie de la personnalité et le drame de
l’effondrement ou de l’étouffement de la personnalité. L’effondrement de la
personnalité est comme une mort. Il en est ainsi dans ces suites de comas
prolongés devenus plus fréquents à l’heure actuelle dans lesquels la forme
extérieure est conservée, et parfois même l’expression mimique sans que la
personnalité puisse se manifester extérieurement comme si elle était murée.
La pratique de l’anesthésie si profonde et si perfectionnée maintenant donne
aussi l’image d’une mort suivie de résurrection. Elle évoque le verset
biblique « Dieu fait mourir et revivre » mais le moindre incident ou la
moindre inadvertance peut être tragique.
Dans les psychoses et, plus particulièrement, dans la schizophrénie, la
personnalité est menacée et altérée. Souvent au début de la maladie la
personnalité menacée se défend par des réactions impulsives violentes
comme on le voit dans l’hébéphrénie délirante et des bouffées de haine
terribles qui rappellent sur le plan collectif l’agressivité de certains peuples
au début de certaines crises nationales. La réaction de défense souvent
aveugle peut précéder l’affaissement. Parfois cette réaction se traduit par la
crainte d’être l’objet d’une menace sur sa personnalité, tels bien des
malades atteints de délire de persécution qui se croient poursuivis par des
ennemis invisibles qui se seraient donné pour but la destruction de leur
personnalité ou de leur cerveau. Parfois la simple prise de conscience d’un
état de moindre résistance aux influences extérieures favorise le délire
d’influence. On voit par là combien la personnalité est fragile et combien
l’homme est anxieux de la perdre.
Mais si la personnalité est fragile elle est aussi extraordinairement
résistante. On peut voir des sujets paraissant effondrés ou dissociés, que
l’on pourrait croire perdus définitivement, se rétablir parfois de façon
miraculeuse, tel ce grand peintre resté dissocié, incohérent et grimaçant
pendant trois ans — qui subitement, un matin, se remettait à parler
normalement et qui, trois semaines après, donnait une réception où il était
éblouissant d’esprit et qui après cette maladie devait faire ses plus belles
toiles.
Devant ces bouleversements de la personnalité, devant aussi les
phénomènes que nous avons décrits sous le nom de personnalité profonde
dans laquelle le sujet en apparence absent vibre, souffre et sent sans pouvoir
le manifester, on reste ému devant les manifestations étonnantes de la
personnalité humaine, qui, comme une flamme mystérieuse, paraît
s’éteindre et briller de nouveau et évoque quelque chose de sacré.

Quelle que soit l’interprétation que l’on donne de ces faits, le médecin ne
peut être que saisi de respect et plein de précaution devant cette flamme qui
représente la manifestation la plus élevée de la vie humaine.
La personnalité humaine est à la fois ouverte sur la pensée et sur l’action.
Les deux sont inséparables. La pensée et l’inspiration préparent l’action,
sans cela celle-ci ne serait qu’une impulsion. La pensée elle-même peut,
suivant les besoins, se tendre et se restreindre pour l’action, ou bien
s’abandonner au relâchement et se prolonger dans le monde de la rêverie et
du rêve, Une grande partie des névroses et des psychoses vient de la
prépondérance incoercible de la pensée sur l’action, et lorsque le sujet n’est
ouvert que sur le monde intérieur touffu et peu cohérent il peut être barré
dans l’action et se comporter comme un mort vivant. Si l’analyse est utile à
la vie pour la préparer, la vie elle-même est liée à l’action et à la synthèse.
La personnalité est par là une force infiniment riche et efficace, d’où
l’idée de rechercher les moyens d’agir sur cette personnalité.
Celle-ci peut être, comme nous l’avons rappelé, profondément influencée
par les toxiques et les agents chimiques et nous avons rappelé plus haut
l’histoire des poisons de la volonté.
Mais de nombreux facteurs psychologiques peuvent agir aussi sur la
personnalité, et il s’agit de fixer les limites entre les actions utiles, et les
autres nocives, afin de déterminer les fondements des psychothérapies.
Le premier problème à résoudre est de savoir si le psychothérapeute doit
seulement aider son malade ou bien s’il veut le dominer et entrer ainsi dans
l’impérialisme psychologique.

Une notion capitale domine ce débat : il n’est pas douteux que tout
contact entre individus entraîne des échanges d’influence entre les
personnalités, certaines personnalités mieux formées, plus convaincues ou
plus organisées peuvent agir sur des personnalités plus faibles. Et même
dans la psychothérapie une forte personnalité d’un psychothérapeute peut
agir sur celle du sujet en psychothérapie. Parfois même le psychothérapeute
peut faire acte d’autorité ou même des discussions mouvementées peuvent
survenir.
Mais tant que ces échanges ont lieu de façon droite, claire, face à face,
sur un plan d’égalité, la situation est normale. La franchise même est un
bien lorsqu’elle est sincère, sans arrière-pensée, désintéressée et qu’elle ne
vise que le bien du malade, et lorsque cette franchise est ouverte,
compréhensive, loyale, sans détours, et animée d’une affection réelle et de
la tendance à se mettre à la place de son interlocuteur pour sentir par soi-
même sa situation. Telles sont les règles nécessaires à toute psychothérapie
valable.
La première règle est donc d’agir de façon droite et surtout de ne pas
tromper. C’est la tromperie bien plus que la force qui est toujours à la base
des mauvais procédés et de leurs conséquences désastreuses. Ne pas
tromper et ne jamais utiliser les « lèvres doucereuses » suivant l’expression
du psalmiste pour combiner la lâcheté à un impérialisme déguisé, voilà la
notion fondamentale qu’il ne faut jamais oublier dans tous les rapports
humains. Agir en « juste » et en « homme droit », voilà la règle d’or, et on
ne se figure pas l’importance de cette conduite dans les résultats, ni la force
extraordinaire qui existe dans le langage de la vérité, ni la nécessité du
courage et de la franchise, condition même de l’entente, du respect
réciproque et de la paix. Nous avons longuement discuté ce problème à
propos de Freud qui, semblant ignorer l’origine du verset « Tu aimeras ton
prochain comme toi-même » le juge inapplicable parce qu’il n’a pas lu les
versets précédents qui l’éclairent et qui montrent que si on à quelque chose
à reprocher à son prochain il faut avoir le courage de le faire afin d’assainir
la situation, afin de ne pas se venger (car se sont les lâches qui se vengent)
et afin d’aimer son prochain comme soi-même !

Hélas ces notions capitales que nous avons illustrées de nombreux


exemples dans notre ouvrage de Psychiatrie morale sont sans cesse
oubliées, ou sous-estimées, ou jugées utopiques. C’est là une grande erreur.
Tout psychiatre qui les applique sincèrement et profondément possède un
rayonnement extraordinaire. C’est ainsi que In der Beck 84, après avoir lu
notre Psychiatrie morale, a utilisé profondément ces principes dans
l’hôpital qu’il dirige en Allemagne et il a étudié notamment l’importance de
la tenue rigoureuse des promesses, fondement de la confiance et de la paix.
Cette attitude n’est pas une attitude de faiblesse. Elle demande à la fois
beaucoup d’amour, et beaucoup de force, de fermeté. C’est le tsedek
hébreu, fondement essentiel de toutes les sciences de l’homme qui unit la
foi et le culte de la vie.

Par contre l’attitude inverse qui consiste à croire que la fin justifie les
moyens, que pour guérir son malade il faut d’abord diminuer sa
personnalité et se l’asservir soit par le transfert freudien, soit en lui enlevant
son indépendance et sa force de résistance, ou au besoin en le trompant, en
l’illusionnant par des attitudes magiques rappelant les artifices des sorciers,
toutes ces méthodes donnent des résultats déplorables, car la personnalité
abusée et trompée finit par se rendre compte, et se révolte, ou bien, ce qui
est pire, elle n’a plus confiance en rien, et n’a plus alors aucun principe
auquel elle puisse s’accrocher. C’est alors la démoralisation au double sens
du mot, c’est-à-dire la perte de toute morale et le désespoir. La perte du sens
moral et de la foi dans les valeurs morales amène fatalement le désespoir
car alors la vie n’a plus de sens, et il ne reste plus ou bien qu’à
s’abandonner, ou bien à se replier sur soi-même, ou bien à se tourner vers le
néant ou vers la mort, ou bien à succomber dans la dissociation mentale 85.
Telle est la rançon de ces attitudes troubles, malsaines attitudes de mort et
non de vie, attitudes sinistres qui, joignant la séduction à la tromperie,
entraînent la personnalité vers la mort comme dans une sinistre exécution !

Dans un travail présenté au IIe Congrès de la Société française de


Sophrologie à Versailles, en septembre 1968, et publié par Mme Michèle
Cochet-Deniaux, nous lisons le passage suivant : « La voix du sophroniseur
ou le son du tambour c’est peut-être un peu la même chose. Le tambour
couvrait la voix du malade, où est la différence ? La voix insinuante du
sophroniseur couvre sa haine. Car haine il y a, il ne faut pas s’y tromper. La
voix qui séduit endort pour dévorer et le chant des sirènes entraîne le
navigateur à sa perdition. Ulysse d’ailleurs n’échappe pas aux sirènes, car il
rencontre Charybde, tourbillon qui engloutit, et Scylla, monstre qui lui
dévore six de ses compagnons. Fascinée et terrorisée, la victime envoûtée,
prisonnière du charme, aime son séducteur et hait son vainqueur. La haine
de l’ensorcelé est d’ailleurs à la dimension de sa propre faculté, à lui de
détruire et Homère qui savait bien cela a fait périr par le gouffre et l’écueil
célèbre ceux-là mêmes qui, en dévorant les bœufs d’Hélios, avaient
manifesté leur propre voracité. Ainsi la séduction du sophroniseur est vécue
d’autant plus dangereusement par le sophronisé que celui-ci résiste moins à
son propre désir de bouffer l’autre.
« Ceci pour dire que le bourreau n’est pas celui qu’on croit, ou plutôt
qu’entre la victime qui n’est pas toute blanche et le bourreau qui n’est pas
tout noir, se joue un jeu serré, le jeu de la séduction et de la mort, le jeu
sacré, et nous abordons ici une autre dimension dans laquelle le tambour
des chamans sibériens répond en frère à celui des arracheurs de dent. »
Ce texte se passe de commentaires. Il répond dans une certaine mesure à
ceux de Binswanger qui évoque la némésis, et les dieux de l’Olympe, et des
divinités assoiffées de sang humain, en citant Ovide.
Ce qui a en grande partie discrédité l’hypnose pendant longtemps c’est,
d’une part, la domination de l’hypnotiseur sur l’hypnotisé, d’autre part, la
crainte de mystification, et l’aspect magique de la technique de l’hypnose
qui peut dans une certaine mesure être faussée par l’intervention de la
suggestion, facteur si remarquablement souligné par Bernheim et l’Ecole de
Nancy.
C’est pourquoi les écoles nouvelles de sophrologie cherchent à éviter ces
inconvénients, et essaient de se dégager de l’ancienne hypnose, du moins
dans une certaine mesure. « Il existe, écrit J. Donnars, une différence
importante entre l’hypnose classique et la sophrologie en ce sens que
l’hypnose classique comporte une mystification latente : elle tend à faire
croire au pouvoir de l’hypnotiseur sur le patient. Dans la sophrologie, par
contre, on tente d’obtenir l’adhésion de l’individu lui-même » et Donnars
ajoute qu’en pareil cas on dit au sujet : « Vous allez nous aider par le jeu de
votre propre volonté. »
Toutefois il faut reconnaître que cette distinction est parfois subtile. Tout
le problème de la sophrologie est de la définir et de la délimiter. A vrai dire
elle se trouve un peu dans une situation intermédiaire entre l’hypnose et la
relaxation et c’est pourquoi elle pose le problème de la conscience. Nous
avons défini plus haut cette conscience et son rôle d’animateur. Mais pour
que cette animation et cette direction fonctionnent il faut une organisation
de la personnalité.
Cette organisation de la personnalité, terme que nous préférons de
beaucoup à celui de structure et que nous avons adopté sur les conseils de
M. Angoulvent, dans le titre de notre ouvrage consacré à ce sujet 86, est la
source de l’indépendance de la personnalité, de sa résistance aux facteurs
extérieurs et de ses possibilités d’initiative adaptée que l’on peut objectiver
par l’ergographe de Mosso ou mieux par le piézographe 87.

En résumé, au lieu de traiter les problèmes en dominant la personnalité


ou en l’affaiblissant par l’analyse, il nous semble préférable, tout en traitant
les causes médicales des troubles de la personnalité, de réconforter celle-ci,
de la soutenir, et de renforcer l’espoir et la force de la volonté en
renouvelant le traitement moral que nous avons développé dans notre
« Psychothérapie » ou encore en s’appuyant sur la méthode Vittoz, en vue
de la rééducation de la volonté 88.
BIBLIOGRAPHIE

(1) BARRUCAND, Histoire de l’hypnose de France, 1 vol., Presses


Universitaires de France, 1967 et Encéphale, n° 5, 1969.
(2) H. BARUK, La psychanalyse devant la médecine et l’idolâtrie, 1
vol., Ed. Zikaron, Librairie Colbo, 3, rue Richer, Paris 9e, 1978.
(3) H. BARUK, Psychanalyse, psychiatrie et morale, Académie des
Sciences morales, séance du 26 juin 1978.
(4) H. BARUK, Le Judaïsme et le Prophétisme hébreu devant l’idolâtrie,
1 vol., Ed. Zikaron, Librairie Colbo, 1979.
(5) H. BARUK, Scopochl. (Gaz. méd. France, 1er juin 1934), Traité de
Psychiatrie, 1959 (p. 613 et suiv.).
(6) BROTTEAUX (Pascal), Rev. métapsych., n° 6, déc. 1928 et
Hypnotisme et scopochloralose, 1 vol., Vigot édit., 1936.
(7) BLACK (Stephen), Mind and Body, 1 vol., London, Kunber 1969.
(8) Paul CHAUCHARD, Hypnose et suggestion, 1 vol., « Que sais-je ? »,
n° 457, Presses Universitaires de France, 1970.
(9) CHERCHÈVE (R.) et BERRANGER, L’hypno-sophrologie en art
dentaire, 1 vol., Ed. Privat, 1970.
(10) Léon CHERTOK, L’hypnose, « Pet. Bibl. Payot », n° 76, 1969, et
Masson, 1963.
(11) J. DONNARS, Sofrologia medica oriente occidente, Ed. Aura,
Barcelone, IIe Congrès Sophr., Versailles, sept. 1968, Ann. Sophr., sept.
1973.
(12) GRANONE (Franco), L’ ipnotismo, Ed. Borngh, Torino, 1962.
(13) GUYONNAUD (J.-P.). Endormir par l’hypnose, Ed. Durville, 1968.
(14) GABAI (Maurice), Hypnose dentaire et sophrologie, Inf. Dent., 23
juin 1966.
(15) JOUBERT (Pierre), Le scopochloralose, thèse, Paris, 1 vol., Imp.
Salingardes à Villefranche-de-Rouergue, 1954.
(16) LASSNER, Anesthesa, Analgesie, t. X, n° 2, Masson.
(17) PATERSON (Spencer), Cahiers Laennec, juin 1965.
(18) SCHACHTER, L’association scopolamine chloralose, thèse, Paris,
1934.
(19) RAUSKY-TABAKMAN, Magnétisme anima et psychologie des
profondeurs, thèse de doctorat du 3e cycle en psychologie, Paris, 1973,
1 vol., 392 p.
(20) Martin CROSS, Les psychocrates (traduit de l’américain), 1 vol.,
Paris, Ed. Robert Laffont, 1979.
(21) Humanisme psychiatrique et histoire de la neuropsychiatrie, 1 vol.,
Colbo, 1983.
(22) La Bible hébraïque devant la crise morale du monde d’aujourd’hui,
1 vol., Colbo, 1987.
Notes

1
A. SOUQUES, Etude des syndromes hystériques « simulateurs » des
maladies organiques de la moelle épinière, thèse, Paris, 1891, 234 p.,
Lecrosnier & Babé édit.

2
H. BARUK, Sur la soi-disant psychiatrie autonome, Psychiatrie et
Neurologie, Annales de l’Université de Paris, année 1968. n° 4, 597-606.

3
BARRUCAND (de Nancy), L’hypnose de 1769 à 1969, Communication
faite à la Société Moreau de Tours, séance du 27 janvier 1969. Voir
L’Encéphale, n° 5, 1969.

4
L. CHERTOK, L’hypnose depuis le Ier Congrès International tenu à Paris en
1889, Presse Médicale, 73, n° 25, 22 mai 1965, p. 1497.

5
Nous soulignons Ici le mot globalement, car on n’observait pas chez cette
malade la dissociation des muscles oculaires que l’on observe en neurologie
dans les paralysies organiques, ni les paralysies de fonction du type
Parinaud. L’attitude des globes est celle d’une attitude d’allure volontaire.

6
H. BARUK et R. KOURILSKY, Etude électromyographique d’un cas de
contracture hystérique. Comparaison des courants d’action dans l’hystérie
et la catatonie, Ann. médico-psychologiques, n° 1, Janvier 1935.

7
Les crises nerveuses généralisées. Sémiologie, diagnostic, conduite à tenir
notamment en neuropsychiatrie militaire, Ann. méd.-psychol., n° 3, octobre
1944.

8
H. BARUK, Le problème des accidents hystériques et des images mentales
dans a personnalité hystérique, C. R. du Congrès de Psychiatrie et de
Neurologie de Langue française, LXIIIe session, Lausanne, 13-18
septembre 1965, p. 361-370, Masson édit.

9
P.-M. SCHUHL et O.R. BLOCH, Freud, l’hellénisme, Jacob Bernays et la
catharsis, Ann. de thérap. psychiatrique, Ann. Moreau de Tours, t. IV, 1969,
p. 251.

10
L. CHERTOK, A propos de la découverte de la méthode cathartique,
Bulletin de Psychologie, 184-XIV, 1, 4, 5 nov. 1960.

11
H. BARUK, Les troubles mentaux dans les tumeurs cérébrales, chapitre
« Syndrome confusionnel », 1 vol., 400 p., Doin édit., 1926.

12
Il faut rappeler à ce sujet dans la Bible la vaccination psychique contre les
serpents.

13
Pascal BROTTEAUX, Le scopochloralose, Revue de Psychothérapie, mars
1929.

14
H. BARUK et Ch. MASSAUT, Action physiologique expérimentale et
clinique du scopochloralose et bulbocapnine. Applications à quelques
problèmes de la catatonie expérimentale, Annales médico-psychologiques,
n° 4, novembre 1936.

15
D. BROUN, Mlle LÉVY et Mme MEYER-OULIF, Influence de la
scopolamine sur les hypnotiques corticaux et basilaires, C. R. Soc. de
Biologie, 1931, t. CVII, p. 1522.

16
H. BARUK, GEVAUDAN, CORNU et MATHEY, Action vasculaire du
scopochloralose. Quelques mécanismes de ses effets thérapeutiques dans
l’hystérie, Annales médico-psychologiques, n° 2, Juillet 1936.

17
Les crises de catalepsie, leur diagnostic avec le sommeil pathologique.
Leurs rapports avec l’hystérie et la catatonie, Encéphale, mai 1928, p. 373
et suiv.

18
DE JONG et H. BARUK, La catatonie expérimentale par la bulbocapnine,
1 vol., Masson, 1930. H. BARUK, La catatonie in Psychiatrie médicale, 1
vol., Masson, 1938. H. DE JONG, Experimental Catatonia, Baltimore,
1945. H. BARUK, La catatonie, Traité de Psychiatrie, Masson, 1959, t. I.

19
Voir à ce sujet notre étude d’ensemble intitulée : La catatonie de Kahlbaum,
la schizophrénie et la révision de la nosographie psychiatrique, Semaine des
Hôpitaux de Paris, 46e année, n° 25, 26 mai 1970, p. 1697-1729.

20
D. BARRUCAND, L’hypnose de 1769 à 1969, communication à la Société
Moreau de Tours, 27 janv, 1969, Encéphale, n° 5, 1969.

21
L. CHERTOK, L’hypnose, 1 vol., Masson édit., 1963 et 1 vol., Petite
Bibliothèque Payot, 1969.

22
J. LASSNER, L’hypnose en anesthésiologie, Encyclopédie médico-
chirurgicale, 1968, 36, 467, A“ .10.

23
Stephen BLACK, Mind and Body, 1 vol., William Kimber, 6, queen Anne’s
Gate, London SW1, 1969.

24
Franco GRANONE, L’ipnotismo, préface de Cesare MUSATTI, 1 vol.,
1962, Turin, Editor Boringhieri.

25
Stephen BLACK, Some physiological Mechanisms amenable to control by
direct suggestion under hypnosis in psychophysiological mechanisms of
hypnosis, William Kimber and C° Limited, 6, queen Anne’s Gate, London,
SW1, 1969.

26
Voir à ce sujet notre ouvrage Psychiatrie médicale, physiologique et
expérimentale, 1 vol., 840 p., Paris, Masson édit., 1938 et notre Traité de
Psychiatrie, 2 vol., 1 600 p., Paris, Masson édit., 1959.

27
J. LASSNER (Paris), Der Handlungskreis Arzt, Patient, Medicament und
die analgesie, Psychother Psychason, 14, 444-453, 1966.

28
J. LASSNER, Eléments d’une anesthésiologie psychosomatique,
Anesthésie, analgésie, t. X, n° 2, juin 1953, Masson, édit.

29
H. BARUK, La psychiatrie française de Pinel à nos jours, 1 vol., Presses
Universitaires de France, 1969.

30
International Anesthesiology clinies European Trends in Anesthesiology,
August 1965, vol. 3, n° 4, Boston, Massachusetts, Brown and Cle.

31
L’hypnose en anesthésiologie, Colloque international tenu le 5 sept. 1962, à
Vienne, Autriche, Berlin, Springer Verlag édit., 1964.
32
Dr Maurice GABAI, Hypnose dentaire et sophrologie, L’information
dentaire, 23 juin 1966, 2758.

33
Mahmud MUFTIC, Are the cathecolamines precursors of the catatonine,
The Journal of the American Institute of hypnosis, vol. 12, n° 1, January
1971, p. 29-32.

34
SCHACHTER, L’association scopolamine chloralose. Action
physiologique expérimentale et thérapeutique en neuropsychiatrie, thèse,
Paris, 1934.

35
P. JOUBERT, Le scopochloralose. Action expérimentale. Applications
diagnostiques et thérapeutiques principalement en neuropsychiatrie
(ouvrage couronné par l’Académie de Médecine), thèse, Paris, 1954, Imp.
Salingardes, Villefranche-de-Rouergue (Aveyron).

36
Psychophysiological mechanisms of hypnosis (International Symposium de
l’I.B.R.O.), Berlin, Springer Verlag, New York, Heidelberg, 1 vol., 1969.

37
Jeri HASKOVEC, A corcical evaluation of the Paulovian Theory of
hypnosis.

38
Dietrich LANGEN, Peripheral changes in blood circulation during
autogenic training and hypnosis, ibid.

39
PAVEL, V. SIMONOV et David I. PARKIN, The role of emotional Stress in
hypnotisation of animals and man, ibid., p. 67-87.

40
Patrick D. WALL, The physiology of controls on sensory with spécial
reference, ibid., p. 107-112.

41
Vladimir GHEORGIU, Some particularities of posthypnotic sources
amnesia of information, ibid., p. 112-122.

42
E.R. HILGARD, Experimental psychology and hypnosis, ibid., p. 12-138.

43
David ROSENHAU, Hypnosis and personality. A moderator variable
analysis, ibid., p. 193-198.

44
CHERTOK et KRAMARZ, Hypnosis, Sleep and electroencephalography,
Journal of Nervous and mental disease, vol, 128, n° 3, mars 1959,

45
Spencer PATTERSON, F. BRACCHI, D. PASSERINI, D. SPINELLI et S.
BLACK, Etude sur la physiologie de l’hypnose, Cahiers Laennec, juin
1965, p. 24-30,

46
Henri EY, La Conscience, Presses Universitaires de France, 1963.

47
Henri BARUK, La désorganisation de la personnalité, Presses
Universitaires de France, 1952.

48
Henri BARUK, Psychiatrie morale, expérimentale, individuelle et sociale,
Presses Universitaires de France, 1950.

49
Dr Ch. BRISSET, Regard historique sur l’hypnose, Cahiers Laennec,
L’hypnose, juin 1965, p. 21.
50
Loc. cit., p. 18.

51
Dr J.-L. DONNET, Hypnose et transfert, Cahiers Laennec, Juin 1965, p. 31-
43.

52
Stephen BLACK, Mind and Body, 1 vol. William Kimber, 6, queen Anne’s,
London SW1 1969.

53
Un laboratoire de catatonie expérimentale, Semaine des Hôpitaux de Paris,
46e année, n° 25, 26 mai 1970, fasc. « Information ».

54
L. CHERTOK, Théories de l’hypnose animale. Evolution psychiatrique.
n° 3, année 1963, p. 407-429.

55
E. RABAUD. L’immobilisation réflexe et l’activité normale des
arthropodes, Bull. biol. France-Belgique, 1919, 53 et C. r. Soc. biol., 21 oct.
1916, 79, 823 ; L’immobilisation réflexe des arthropodes et des vertébrés.
Revue gén. sci., 30 mars 1917, et L’immobilisation réflexe et l’instinct de
simulation de la mort, J. Psychol., 1920, 825.

56
H. BARUK, Le problème de la volonté. Nouvelles données
psychophysiologiques, Journal de Psychologie normale et pathologique,
juillet-décembre 1939, p. 397 et suiv.

57
Henri GASTAUT, Hypnosis and presleep patterns. Psychophysiological
mechanisms of hypnosis, loc. cit., Berlin, Springer Verlag, New York,
Herdelten, p. 43.

58
Psychoses et névroses, chapitre « Le rêve », Presses Universitaires de
France, coll. « Que sais-je ? », 10e éd. (à paraître).

59
Conférence traduite de l’anglais en italien et publiée par Il Pensiero
Scientifico de Rome, Recenti progressi in Medictna, vol. XLVIII, n° 5,
Maggio, 1970.

60
Psychiatrie morale expérimentale, Presses Universitaires de France, 1re éd.,
1945 ; 2e éd., 1950.

61
DORION, Haich Moché, Jérusalem, Ed. Massada, 5706.

62
Percival BAILEY, Sigmund the unserene. A fragedy in three acts, préface de
GRINKER, 1 vol., Ch. Thomas édit., Springfield. Illinois, U.S.A., 1965.

63
Société Moreau de Tours, séance du 23 février 1970 sous la présidence du
Pr Alajouanine.

64
Freud et le judaïsme, conférence à la Faculté de Médecine le 5 février 1958,
Revue d’histoire de la Médecine hébraïque, février 1959.

65
De la psychanalyse à la chitamnie : le problème des psychothérapies,
Entretiens de Bichat, Médecine, 1965 (Expansion méd. française), édit., 15,
rue Saint-Benoît, Paris.

66
La psychanalyse, La Nef, n° 31, juillet-octobre 1967 (17, rue Rémy-
Dumoncel. Paris. XIVe).

67
La psychanalyse et le monde, moderne, Revue d’histoire de la Médecine
hébraïque, nos 71 et 72 juillet 1966).

68
LASSNER, L’hypnose, l’inconscient et l’involontaire. Cahiers
d’anesthésiologie, t. 16, n° 7, 1968, p. 889-898,

69
Voir La désorganisation de la personnalité, Presses Universitaires de
France, 1950.

70
A. CAYCEDO, Progrès en sophrologie. préface de Pedro PONS et du Pr
Raymond SARRO, 1 vol., édité par le Centre de Sophrologie médicale de
Barcelone, 1969.

71
R. Sarro BURBANO, in Progrès en sophrologie, loc. cit., p. 386,

72
CAYCEDO, loc. cit.

73
Dr Maurice GABAÏ, Thérapie par les sons et sophrologie.

74
L’Information dentaire, Hypnose dentaire et sophrologie, 23 Juin 1966.

75
Dr M. GABAÏ, Psychosophrologie en médecine dentaire infantile,
Information dentaire.

76
Dr R. CHERCHÈVE et Dr E. BERRANGER, L’ hypnosophrologie en art
dentaire, 1 vol., Toulouse, Ed. Privat, 1970.

77
J.H. SCHULTZ, Le training autogène, Presses Universitaires de France,
1960.

78
Rappelons cependant que beaucoup de méthodes de relaxation ne se
rattachent pas à une mystique de ce genre et sont d’ordre purement
scientifique et empirique. Il en est ainsi, par exemple, de la méthode du Dr
Jockel qui associe la relaxation verbale à une musique lénifiante
spécialement choisie à cet effet.

79
Paul MASSON-OURSEL, Le yoga, 1 vol., Presses Universitaires de
France, coll. « Que sais-je ? », n° 643, 1954.

80
Jean de GOLDFIEM, Le yoga, Association générale des Médecins de
France, n° 25, mai, Juin 1970, p. 64 et suiv.

81
Swami Der MURTI, Yoga Praxis (livre écrit en anglais).

82
Voir à ce sujet d’une part le volume Psychiatrie animale (1 volume sous la
direction de BRION et H. EY, Desclée de Brouwer) et la partie du 3e
volume des Annales Moreau de Tours que nous avons consacrée à la
Psychiatrie animale avec les Pr BRION et FONTAINE de l’Ecole d’ Alfort
et H. BARUK, La Psychiatrie animale, Entretiens de Bichat, Médecine,
1966.

83
H. BARUK, La civilisation hébraique et la science de l’homme, 1 vol.,
Paris, éd. Zikarone, 1965.

84
IN DER BECK (Manfred), Praktische Psychiatrie, 1 vol., Berlin. Walter de
Gruyter, 1957.

85
C’est aussi le même état d’esprit qui entraîne l’usage de la drogue et ces
toxicomanies collectives qui sont souvent liées à la recherche du nirvâna et
qui entraînent chez certains de ces sujets le voyage et l’initiation dans
l’Inde. Certains sujets aussi utilisent la drogue pour favoriser par le
relâchement la psychanalyse. Nous avons décrit aussi sous le nom de
schizophrénie morale certaines dissociations consécutives à ces attitudes.

86
La désorganisation de la personnalité, 1 vol., Presses Universitaires de
France, 1952.

87
Voir La psychopathologie expérimentale, 1 vol., coll. « Que sais-je ? »,
n° 1128, Presses Universitaires de France, chap. « L’initiative », p. 82 et
suiv.

88
L’avenir de la psychiatrie et la méthode Vittoz. Colloque de la clôture de la
Société Moreau de Tours, Maison nationale de Charenton (Hôp. Esquirol),
6 mars 1988, 1 vol., Tequi éd., 8, rue Bonaparte, Paris (VIe).
ISBN 2 13 042126 1
Dépôt légal — 1re édition : 1972
4e édition mise à jour : 1988, novembre
© Presses Universitaires de France, 1972
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