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CLAIRE CHAMBERY (n° 31603271)

Validation séminaire Master 1 : Sciences et société (THOMAS BENATOUIL)


Sujet : Réflexions autour du livre d’Isabelle Stengers ; l’hypnose, entre magie et science.

En guise d’introduction à cet exposé, partons du titre de l’ouvrage d’Isabelle Stengers,


L’hypnose, entre magie et science. Comme l’indique l’autrice, l’histoire de l’hypnose n’a eu
cesse de bégayer (‘’entre magie et science’’), face à l’impératif exigé par les sciences modernes
de la nécessité de la preuve. Loin d’être un impératif uniquement dirigé vers la discipline qu’est
l’hypnose, les injonctions soulevées amènent à interroger les limites des sciences humaines et
leurs prétentions à la scientificité, au travers notamment de la question de la prétention à la
scientificité des laboratoires expérimentaux de la psychologie.

Les questions qui vont guider notre analyse seront multiples, mais nous tâcherons de les
ramener à la problématique du cours, à savoir à la question de la relativisation dans les sciences.
C’est pourquoi nous pouvons en dégager deux principales à partir de l’ouvrage d’Isabelle
Stengers, la deuxième étant la conséquence de la première. Comment, d’une part, la discipline
de l’hypnose est-elle devenue le paradigme de l’ambition de scientificité dans les sciences
humaines ? Cette ambition, loin d’être parvenue à sa réussite, nous amène à cette question qui
en est la conséquence : Comment l’échec de scientificité dans le cas de l’hypnose amène-t-elle
à relativiser l’ambition scientifique des sciences humaines, notamment de la psychologie ?

Notre propos se déclinera en trois principaux points ainsi qu’en deux points conclusifs.
Dans un premier temps, nous serons amenés à étudier ce qu’est l’histoire des sciences modernes
et notamment sa conséquence concernant la connaissance, à savoir l’ambition et l’injonction de
scientificité dans les sciences, notamment dans les sciences dites dures, les sciences naturelles.
Cette injonction à la scientificité s’est étendue aux sciences dites molles, à savoir les sciences
humaines, et notamment les disciplines telle la psychologie, et tout particulièrement l’hypnose ;
ce sera l’enjeu de notre deuxième point. Enfin, dans un dernier temps, nous tirerons les
conclusions de nos précédentes analyses, et nous essaierons de penser une efficacité de la
technique thérapeutique, débarrassée de l’impératif de la preuve. Pour terminer, et en guise à la
fois de conclusion et d’ouverture, je reviendrai sur l’échec d’objectivité et de scientificité dans
les sciences humaines à partir des propos d’Isabelle Stengers, tout en proposant une réflexion
sur science et hypnose aujourd’hui (sachant que le livre d’Isabelle Stengers a aujourd’hui dix-
huit ans).

1
I. L’histoire des sciences modernes : l’impératif d’objectivité

Nous ne pouvons comprendre le problème que pose l’hypnose que si nous commençons
notre analyse par le rôle qu’a joué les sciences modernes dans les ambitions de scientificité dans
le domaine de la connaissance. L’avènement des sciences modernes est associé aux
conséquences des découvertes de Copernic et de Darwin, notamment du point de vue du statut
de la connaissance. Leur point commun est le suivant : d’une vision de l’Homme sur l’Homme,
nous sommes passés d’une vision de l’Humanité sur elle-même et sur son environnement, à
savoir des réponses universelles s’appliquant à tout. On passe du point de vue de l’opinion, à
savoir l’autorité d’un seul sujet (un point de vue subjectif), à un savoir reconnu de tous (un
point de vue objectif). Là est l’enjeu principal des sciences modernes à savoir l’universalité des
savoirs et des techniques pour stabiliser un objet et le connaître. On passe du régime du « On
croyait que » au maintenant, « On sait que ». Comme Foucault l’a très bien montré dans son
ouvrage l’Herméneutique du sujet. Cours au Collège de France, 1981-1982, on passe du régime
des illusions de la spiritualité au régime propre de l’âge moderne qu’est l’objectivité. Alors que
dans la spiritualité, la vérité accomplissait l’être même du sujet, l’âge moderne détache la vérité
du sujet. Le seul moyen désormais d’accéder au vrai, c’est la connaissance. Il n’y a donc plus
de transformation du sujet par l’accès à la vérité.

Comme le souligne l’autrice, cette ambition de scientificité est une véritable aventure
pour les sciences, qui cherchent à prolonger l’ambition d’objectivité des sciences dures aux
sciences humaines et surtout à la psychologie, dont l’objectif était de « constituer un universel
humain au-delà de la multiplicité des pratiques et des interprétations1. ».

La suite de notre propos sera d’analyser, notamment au travers de l’histoire de


l’hypnose, comment l’ambition de scientificité dans les sciences humaines et dans la
psychologie a échoué.

II. L’hypnose : une discipline sur les traces de l’objectivité. L’histoire d’une
non réussite.

1
STENGERS, Isabelle, L’hypnose, entre magie et science, Les empêcheurs de penser en rond, Paris, 2002, p. 94.

2
On ne peut comprendre l’échec de l’hypnose en tant que sciences que si l’on retrace son
histoire et que si cette dernière est mise en perspective dans un ensemble plus large que sont les
sciences humaines et la psychologie.

Comme Léon Chertok l’a très bien saisi, l’hypnose est une véritable blessure
narcissique, au même titre que la psychanalyse, l’évolutionnisme et l’héliocentrisme. Pour être
plus précis, ce n’est pas tant l’hypnose en tant que discipline qui est en tant que telle une blessure
narcissique mais les ambitions de scientificité de l’hypnose qui ont été soldées par un échec :
« Car cette blessure n’atteint pas l’Homme en général, mais très précisément ceux qui ont vu
dans l’hypnose la voie royale grâce à laquelle s’affirmerait le pouvoir de la science ou de la
raison, capable, partout et en tout lieu, de faire prévaloir une référence objective […]2. »
L’enjeu était de taille. Il fallait comprendre le fonctionnement du psychisme, et notamment ses
dérives que représentaient les postures mystiques, les possessions, les rituels magiques… Il
fallait ramener le surnaturel à une description rationnelle grâce à l’hypnose. Il fallait unifier
tous ces phénomènes magiques en une unité objective : « L’hypnose, constituée en modèle
expérimental intelligible et ‘’laïque’’, aurait permis de faire régner d’un seul coup la lumière
de la rationalité scientifique sur le continent obscur et fascinant de l’irrationnel, de réduire à
un phénomène intelligible et reproductible ce qui avait été auparavant considéré comme
témoignage de la puissance du surnaturel3. » L’hypnose semblait donc la discipline par
excellence pour stabiliser le psychisme, l’étudier, et le connaître. L’hypnose se posait ainsi
comme « la voie enfin scientifique d’accès à une multiplicité de manifestations plus ou moins
inquiétantes4. ».

Pour retracer cette histoire de la non-réussite, regardons de plus près l’histoire de


l’hypnose et ses défaites successives au titre de science. Qu’est ce qui a fait que l’objectivité de
l’hypnose s’est soldée par un échec ?

L’histoire de l’hypnose commence avec le magnétisme animal de Franz Anton Mesmer.


Le magnétisme était la croyance en un fluide naturel, magnétique, qui mettait en rapport les
animaux dotés d’âme. Selon Mesmer, le magnétisme était une vraie science. Le fluide était tout
aussi valide scientifiquement que la force newtonienne ou la force magnétique animale.
Comment Mesmer justifiait-il la scientificité du magnétisme ? Par le lien de cause à effet. La
cause, qui était celle du fluide magnétique, avait pour effet les crises et guérisons. Mais une

2
Ibid, p. 15.
3
Ibid, p. 21.
4
Ibid, p. 93.

3
question s’est très vite posée : « Mais les effets témoignaient-ils de manière fiable pour une
telle cause5 ? » La question fût posée par l’Académie de médecine en 1784 sous l’ordre du roi.
Le fluide devait, pour être érigé en réalité scientifique, résister à un grand nombre de tests.
Malheureusement, les sujets se sont trouvés dupés. Le fluide « n’avait pas le pouvoir de
s’imposer indépendamment des circonstances6. ». La guérison et les crises ne devaient alors
leur succès, selon les commissaires, qu’à l’imagination des sujets participants. Le magnétisme
a alors été réduit à une médecine de l’imagination, et les magnétiseurs ont été réduit au titre de
charlatan ; là où la preuve ne s’impose pas, il faut passer son chemin.

Le magnétisme est loin d’avoir été le seul à être discrédité. L’hypnotisme (désignant
une purification, une prise en main enfin scientifique après l’abandon de l’idée de fluide) puis
l’hypnose ont suivi le même chemin. Ce changement de nom, bien que le phénomène eût
finalement été toujours le même, a mis à mal l’idée d’une continuité historique. Chaque
phénomène scientifique a sa propre histoire, et bien que des avancées majeures ont été apportées
par rapport à tel ou tel phénomène, on ne nie pas l’idée de continuité. Cependant, concernant
l’histoire de l’hypnose, est-ce la même chose de dire ‘’nous sommes maintenant en rapport
magnétique’’ (magnétisme), ‘’je vais vous hypnotiser’’ (hypnotisme) et ‘’je vais vous guider
vers une relaxation profonde’’ (hypnose) ? L’hésitation quant au terme à adopter montre une
hésitation quant à la stabilité avérée de la discipline et donc de son objet commun. L’hésitation
sur les termes ne fut pas le seul obstacle à l’objectivité scientifique de l’hypnose. On nota
également des variations concernant les termes utilisés pour décrire les comportements
observés (crise, sommeil magnétique, reproductions d’états psychopathologiques…) et les
interprétations à donner quant à ses comportements sous hypnose (état particulier du cerveau
autre que le sommeil ou simple mode de fonctionnement du cerveau dans son état de veille
normal.).

Pour ainsi stabiliser l’hypnose et son objet qu’est le psychisme, il eut fallu les tester en
laboratoire. Il fallait tester le phénomène obtenu pour pouvoir le comprendre puis le reproduire.
C’est le début de l’hypnose expérimentale. Le but était notamment de trouver un mode de
suggestibilité propre à l’hypnose, en raison du doute de simulation qui sans cesse planait sur
elle. En effet, les expérimentateurs ont observé que les sujets adoptaient le mode de
suggestibilité induit et attendu par l’opérateur. Et ainsi, ce qu’ils pensaient mesurer
objectivement n’était qu’une fabrication : « Ces protocoles sont également ce qui guide le sujet

5
Ibid, p. 61.
6
Ibid, p. 62.

4
expérimental qui adopte en général le ‘’mode de suggestibilité’’ dont il comprend qu’il est
attendu. Les expérimentateurs et leurs échelles quantitatives censées caractériser le degré de
suggestibilité, défini comme témoin fiable de l’hypnose, contribuaient à ‘’fabriquer’’ ce dont
ils pensaient donner une ‘’mesure objective’’7. ».

Cependant, bien qu’une différence résiduelle fût observée à savoir l’indifférence à la


contradiction (« Les ‘’sujets hypnotisés’’ acceptaient par exemple sans problèmes que
quelqu’un puisse être en face d’eux alors qu’ils sont parfaitement capables de le voir ailleurs
dans la pièce8. »), les expérimentateurs ont jugé que l’hypnose n’était qu’un simple jeu de rôle,
jeu de rôle renforcé par l’idée de consentement et de soumission du sujet hypnotisé. En effet,
contrairement aux laboratoires de sciences dures dont la soumission est de l’ordre de la réussite
à savoir « la réussite de l’événement que constitue la production d’un phénomène répondant de
manière fiable à la question expérimentale9 », la soumission propre aux laboratoires de
psychologie est de l’ordre de la condition. Le souci étant que par la condition, le sujet est
parfaitement conscient du protocole et qu’il peut par sa volonté y adhérer ou pas et voir même
il peut simuler.

Au-delà de la validité de l’hypnose, c’est toute la validité dans le domaine de la


psychologie qui s’est vue mise à mal, ayant été qualifiée de machine productrice systématique
d’artefacts, à savoir que « Le laboratoire ne serait plus le lieu de la preuve mais une scène où
le sujet expérimental joue son rôle de dupe ou de naïf afin de satisfaire un expérimentateur
pour qui il est essentiel qu’il ne sache pas qu’il joue10. ». Ainsi, l’hypnose ne passe pas sous le
régime désormais, ‘’nous savons que’’ mais sous le régime ‘’ce n’est que’’ ; ce n’est que pur
jeu de rôle, ce n’est que de l’imagination.

Là est donc le principal obstacle à l’objectivité scientifique en matière d’hypnose, à


savoir la possibilité sans cesse présente de la simulation : « [La simulation] est ce qui fait
obstacle à l’économie de la preuve scientifique, ce qui détruit l’autorité du fait expérimental,
ce qui signe l’échec des opérations de purification. Le sujet adhère au projet de purification, il
coopère, il présente avec complaisance tous les traits attendus.11 »

7
Ibid, p. 30.
8
Ibid, p. 31.
9
Ibid, p. 49.
10
Ibid, p. 52-54.
11
Ibid, p. 58.

5
L’explication est donc réduite à la nécessaire preuve, preuve sans cesse exigée est
recherchée par les laboratoires de sciences expérimentales. Dès lors, sans preuve, l’hypnose
n’explique rien. ‘’Prouvez, sinon rien’’.

C’est pourquoi, certains ont avancé qu’elle n’existe pas. Avec ce fameux, ‘’l’hypnose
n’existe pas’’, on retrouve l’opposition entre fait (propre à la science) et artefact (propre au
domaine de la culture et de l’opinion). La science a sans cesse cherché l’impératif de la preuve
et dénoncé les artefacts. Par ce rejet des artefacts, on assite à la naissance des techniques
modernes, ces dernières ayant pour objectif de lire de manière enfin scientifique les
phénomènes auxquels elles s’adressent. Ces techniques modernes s’opposent aux simples
techniques, qui quant à elles reposeraient sur des faits mal fabriqués, et ne peuvent donc
prétendre à l’objectivité. Le passage de la simple technique à la technique moderne s’explique
par la présence d’un marqueur fiable : « Une technique dépend de manière cruciale de
l’existence d’un marqueur fiable, qui lui permet d’affirmer la validité de ses définitions ; et
donc son rapport étroit aux pratiques scientifiques12. »

Du côté de la psychologie, son but était de constituer un universel humain, au-delà des
pratiques et des interprétations. Cependant, concernant l’hypnose, aucune technique moderne
n’a su mettre au jour une réalité unique au-delà de ses manifestations : « les différentes mises
en scène de l’hypnose ont produit des données divergentes, inséparables de leur mode
particulier de production […] Ces faits ne sont pas, en fin de compte, différents de ces
manifestations multiples dont ils prétendaient produire une version purifiée13. ». Cet échec a
donc poussé les expérimentateurs à dire que l’hypnose n’est qu’artefact, artefact ayant « le
statut d’échec dans une mise en scène tout entière organisée pour produire des témoins
fiables14. ».

Le laboratoire de psychologie a donc été réduit à un théâtre de music-hall, où plane


toujours le doute de la simulation, et où la mise en scène d’un jeu de rôle brouille les rapports
entre celui qui interroge et celui qui est interrogé. Cependant, l’hypnose ne fut pas que l’affaire
des expérimentateurs mais aussi des thérapeutes. Ces derniers ont aussi cherché à travers
l’hypnose une efficacité à savoir celle de ‘’guérir’’ leurs patients. Mais comment légitimer leur
action si, de fait, sans preuves, ils sont réduits, eux aussi, au statut de charlatan ?

12
Ibid, p. 120.
13
Ibid, p. 94.
14
Ibid, p. 102.

6
III. Vers une nouvelle approche thérapeutique, entre magie et science : la
technique.

Deux obstacles ont empêché l’hypnose de s’ériger en discipline scientifique et objective.


D’une part, c’est l’exigence de la preuve soumise par le laboratoire des sciences expérimentales
qui a fait échouer l’hypnose, pas l’hypnose en tant que tel. Le problème a donc été de rejeter
les singularités du sujet hors du champ de l’explication (« Ils ont ‘’extrait’’ de son contexte ce
qui devait répondre à leurs questions, l’ont soumis à une mise en scène qui élimine tout ce qui
est jugé parasite ou anecdotique15. »). L’imagination a également était un obstacle à
l’objectivation ; ce que croyait le sujet a été éliminé.

Les thérapies exigent donc que l’on revoit l’impératif de la preuve dans des disciplines
propres aux sciences humaines. Comme le souligne très bien Isabelle Stengers dans son livre,
il faut cesser de raisonner à partir de l’opposition fait et artefact ; il faut aller au-delà : « Il s’agit
donc de prendre le risque d’aller au-delà de la notion d’artefact, c'est-à-dire d’apprendre à
nous aventurer en dehors des territoires balisés par l’impératif de la preuve et hantés par la
dénonciation des artefacts16. ». Cet au-delà se comprend à partir de la technique que nous avons
déjà pu esquisser ci-dessus. Comme le montre l’autrice, technique et réussite peuvent
s’articuler, sans passer par la notion de vérité et donc par l’exigence de scientificité : « La
‘’réussite’’ d’une technique n’est pas en rapport avec les valeurs de vérité (ce qui ne signifie
pas du tout qu’elle soit relative à un simple ‘’ça marche’’.)17. ».

Dès lors, « Nous sommes passés d’une question ‘’scientifique’’ (tel phénomène peut-il
s’exhiber comme ‘’fonction de’’, comme ‘’se laissant expliquer par’’) à une question qui
désigne d’abord la production réussie d’un être nouveau […]18. » Car en effet, dans les
thérapies, bien que la preuve ne soit pas là, on voit bien que ‘’cela marche’’, « que l’on se
rapporte à l’ensemble des techniques expérimentées un peu partout, depuis les sportifs de haut
niveau jusqu’aux cadres de multinationales, pour augmenter les performances, ‘’libérer la
créativité’’, jusqu’à l’utilisation courante des techniques de relaxation pour obtenir des
possibilités de concentration plus intense, etc19. ». Il faut donc penser la cause non plus en tant

15
Ibid, p. 62.
16
Ibid, p. 102.
17
Ibid, p. 109.
18
Ibid, p. 108-109.
19
Ibid, p. 124-125

7
que telle cause produite tel effet mais la cause comme efficacité thérapeutique, hors science :
« Que se passerait-il si, au lieu de chercher à ‘’expliquer’’, à ramener l’expérience, la
perception, la conscience à une fonction, nous tentions de les rencontrer à partir de ce qui les
oblige, à partir de ce qui est ‘’cause’’ certes, mais ont pas au sens où une cause permet
d’expliquer : au sens où à une cause est associée une efficacité […]20. ».

Bien que les différentes techniques thérapeutiques ne puissent être rassemblées autour
d’une identité commune, un nom générique fut donné à l’ensemble de ces phénomènes, à savoir
les phénomènes de transe : « L’hypnose comme le magnétisme, comme les possessions comme
les convulsions et peut-être même comme tout rapport d’adhésion à un rôle seraient autant
d’actualisations différentes, renvoyant à des contextes différents, de ce trait commun, la
‘’transe’’21. ». Mais souvent, est associé à ce terme de transe celui de potentialité, à savoir des
potentialités qu’offrent les malades en termes d’efficacité thérapeutique et de guérison. Cette
potentialité serait alors « un trait commun à tous les vivants mais auquel chaque espèce
donnerait un contenu différent, propre au type de rapport qu’elle entretient avec son
environnement22. »

Ces potentialités sont étudiées par l’ethnopsychiatrie. Cette discipline cherche à étudier
toutes ces techniques thérapeutiques qui s’imposent comme modifiant la réalité et créant des
êtres nouveaux, sans prétendre à une quelconque explication réductrice qui nous ferait retomber
dans l’échec de l’objectivité et de la scientificité. Ce qu’ils observent alors, c’est un pouvoir
propre de l’Idée, pouvoir que l’on retrouve selon Whitehead déjà chez Platon et dans sa
définition de l’homme : « L’homme, propose-t-il, est ‘’sensible à l’Idée’’, et le pouvoir de l’Idée
est de type érotique : on ne se soumet pas à une idée, on ne lui obéit pas, on est ‘’séduit’’, attiré,
transformé par elle23. » Si l’homme est sensible à l’Idée, si l’Idée le fait agir, on ne peut alors
séparer l’homme de son intention impulsée par l’Idée, comme a tenté de le faire vainement les
laboratoires de psychologie. C’est ce pouvoir de l’Idée qui a été discrédité… par la science. Or
l’efficacité dans l’hypnose est liée à ce pouvoir de l’Idée.

Au travers de ce pouvoir de l’Idée, Isabelle Stengers veut nous amener à penser


l’efficacité des techniques thérapeutiques sur le mode non plus scientifique mais pragmatique,
à savoir sur ce qu’elles permettent au devenir, ce à quoi elles donnent forme et ce qu’elles

20
Ibid, p. 107.
21
Ibid, p. 127.
22
CHERTOK, Louis. STENGERS, Isabelle. GILLE, Didier, Mémoires d’un hérétique, Paris, La Découverte,
1990, p. 328.
23
STENGERS, Isabelle, L’hypnose, entre magie et science, op. cit, p. 138

8
permettent : « La technique n’a pas pour but de faire la différence entre fait et fiction, mais de
susciter une transformation24. ». Selon elle, il est important dans ce genre de techniques de
raisonner en termes de forces et non pas en termes de preuves. Il faut voir en ces techniques la
force qu’un dispositif peut convoquer, dans un sens autant positif que négatif (et on retrouve
l’idée de Pharmakon, à la fois remède et poison) !

Et cette question, bien que nous ne les développerons pas dans notre propos, ouvre les
portes à une réflexion politique et à l’empowerment.

IV. Conclusion : de l’autorité de l’approche scientifique à sa légitimité dans les


sciences humaines.

Que nous apprend ce livre et ses réflexions autour de l’hypnose ? D’une part, que
l’hypnose doit nous permettre de penser. Elle ouvre les perspectives. Il faut en reconnaitre sa
singularité sans la discréditer, ni y renoncer, ou nom d’un impératif de scientificité. La science
ne s’arrête pas au cela marche ; c’est le comment cela marche qui l’emporte, c’est la preuve
qui est capitale et qui assure une bonne compréhension de son objet et sa reproduction autour
d’une technique l’ayant stabilisé. Ces conclusions signent alors l’arrêt de mort de l’hypnose.
Mais comme le montre Isabelle Stengers, ce qui est en jeu ici ce n’est pas la légitimité et
l’autorité de la science mais l’aventure des sciences qui a voulu se prolonger. Le problème ne
se cantonne donc pas exclusivement à l’hypnose mais bien à toute l’ambition des laboratoires
expérimentaux de psychologies ayant voulu stabiliser le psychisme humain autour de
techniques bien définies et qui ont dès lors échoué.

La question de l’hypnose permet alors de penser l’efficacité non plus en termes d’effet
répondant à une cause mais en termes d’efficacité et de transformation. Il ne faut pas raisonner
en termes de ce qui est produit mais en termes de ce qui est dès lors permis grâce à ces
techniques nouvelles non scientifiques, à savoir la production d’être nouveaux, d’êtres qui
agissent sur le monde.

V. Ouverture : science et hypnose aujourd’hui.

24
Ibid, p. 135.

9
Le livre d’Isabelle Stengers a été écrit dans les années 2000. On peut légitimement se demander
si durant ces vingt dernières années l’hypnose a scientifiquement évolué.

Aujourd’hui encore, l’hypnose est associée au spectacle. Cependant, il a été montré que
« Parmi les effets de l'hypnose sur le cerveau, des scientifiques ont mis en évidence une
activation de réseaux internes (conscience de soi), une baisse de réseaux externes (conscience
de l'environnement) et la modulation de circuits cérébraux de la perception de la douleur 25. ».
Mais l’hypnose reste toujours associée à la volonté de l’individu et à sa volonté de lâcher prise
ou non.

D’ailleurs l’article se termine sur une jolie conclusion qui résume bien l’analyse
d’Isabelle Stengers : « Les outils scientifiques standardisés prennent difficilement en compte le
ressenti et la subjectivité des patients, primordiaux dans des techniques comme l'hypnose... 26».

25
LOUME, Lise, « Question de la semaine : l’efficacité de l’hypnose est-elle scientifiquement prouvée ? »,
Sciences et Avenir, [Consulté le : 25/03/2020]. Publié le 03/03/2017. Disponible à l’adresse :
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/question-de-la-semaine-l-efficacite-de-l-hypnose-est-elle-
scientifiquement-demontree_111005
26
Ibid.

10

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