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Le bâillement
Un symptôme oublié ?
n Bâiller est un phénomène physiologique : cela nous arrive 3 à 8 fois par jour. Mais le bâille-
ment, s’il est répété, en salves, gênant, est aussi un symptôme souvent éludé à tort. La cause
la plus fréquente est iatrogène. Il peut être associé à des troubles du sommeil, faire évoquer
une pathologie hypothalamo-hypophysaire, il peut accompagner les troubles de la vigilance
des pathologies vasculaires cérébrales, les crises d’épilepsie, être l’un des signes de la dé-
pression... Olivier Walusinski*
L
e bâillement est un com- XIXe siècles y faisaient pourtant rance de l’intérêt diagnostique
portement phylogénéti- régulièrement référence, essen- de ce trouble fait éluder, à tort,
quement ancien, puisque tiellement comme symptôme ce symptôme. Dans d’autres cir-
déjà présent chez les reptiles, pronostique d’une évolution pé- constances, un questionnement
retrouvé chez les poissons, les jorative, des fièvres, des hémorra- orienté libère l’expression d’une
oiseaux et les mammifères. Il gies ou des “léthargies”. gêne enfouie et cachée par une
apparaît chez l’homme dès la sorte de tabou culturel. Comme
douzième semaine de la vie Le bâillement a une particularité dans bien d’autres situations, la
intra-utérine. Ces deux carac- unique. Comme tout comporte- clinique domine et les examens
téristiques indiquent son im- ment physiologique, il a sa pa- complémentaires resteront ac-
portance au regard des lois de thologie propre, que nous allons cessoires.
l’évolution et de l’ontogenèse. parcourir. Mais, tout en étant
Un peu comme pour le sommeil, physiologique, il peut soulager Un vrai bâillement spontané,
sa finalité physiologique reste d’autres pathologies (comme les non inhibé par les convenances
mystérieuse et fait l’objet de dé- dysfonctions tubotypaniques sociales, apporte une brève sen-
bats : stimulation de la vigilance, d’altitude ou inflammatoires de sation de plaisir. La perte d’un
refroidissement cortical, langage l’oreille moyenne) ou en déclen- déroulement harmonieux du
non verbal, extériorisation de cher d’autres. En effet, le bâille- bâillement est un motif fréquent
l’activité parasympathique, etc. ment est la première cause de la d’interrogation. Ce symptôme ré-
luxation de la mâchoire, il peut vèle un état de tension psychique
être le facteur déclenchant d’une (stress) teinté d’hypochondrie.
De la physiologie dystonie oromandibulaire, d’une Les techniques de relaxation, vé-
à la pathologie névralgie glossopharyngée. Il a été ritables reprogrammations du
Alors que bâiller nous arrive, à rapporté comme cause de dissec- schéma corporel, apporteront le
tous, de 3 à 8 fois par jour, soit en- tion carotidienne, d’une fracture plus souvent un retour à un bâille-
viron 200 000 fois au cours d’une de l’apophyse styloïdienne ou ment agréablement ressenti.
vie, la médecine du XXe siècle d’une calcification du ligament
semble l’avoir oublié aussi bien stylohyoïdien (syndrome d’Eagle). La disparition du bâillement
comme symptôme que pour sa ne paraît pas avoir de consé-
pathologie propre. Les traités de Régulièrement, des patients se quences dommageables. On
médecine des XVIIe, XVIIIe et du présentent à nos consultations en peut le constater dans des
parlant de leurs bâillements qui, syndromes extra-pyramidaux
* Brou - walusinski@baillement.com - http://baillement.com souvent, les importunent. L’igno- (maladie de Parkinson, prise
de neuroleptiques) ou lors de
la prise régulière d’opiacés ou Les mécanismes du bâillement
d’excès de consommation de
caféine. Dans ces deux dernières Les travaux qui ont été consacrés au bâillement, en regard de son intérêt
circonstances, à leur cessation, en pharmacologie expérimentale, ont dévoilé l’intrication de deux voies
des salves de bâillements répé- principales dopaminergique et ocytocynergique au niveau septo-hippo-
tés témoignent, entre autres, campique et du noyau paraventriculaire de l’hypothalamus, agissant par
d’un syndrome de sevrage. une stimulation commune, exécutive, cholinergique au niveau du tronc
cérébral (noyaux des nerfs V, VII, IX, X, XI et XII) et de la moelle cervicale
C1-C4, afin de réaliser ce pattern comportemental chronologiquement
Bâillements isolés ou stéréotypé.
associés à d’autres
symptômes ?
Deux types de consultations peu- tic précis et de distinguer l’ex- notamment avec l’aide d’un
vent nettement être distingués : cès de bâillements, symptôme agenda du sommeil et le ques-
les bâillements répétés associés d’une pathologie neurologique tionnement du conjoint. Seront
à d’autres signes cliniques ou des lésionnelle, et l’excès de bâille- ainsi détaillées la qualité répa-
bâillements répétés isolés. ments maladie propre. ratrice du sommeil, l’existence
d’une somnolence diurne exces-
Les bâillements répétés (10 à 30 • Il faudra préciser la sémio- sive (échelle d’Epworth), d’un
successifs par exemple) s’intè- logie en quantifiant la plainte ronflement et de pauses respira-
grent au sein d’un riche tableau (nombre de bâillement par jour ; toires associés, évocateurs d’un
sémiologique dans au moins rechercher l’existence de salves syndrome d’apnées du sommeil.
deux circonstances fréquentes : définies par plus de 5 bâille-
• lors de l’installation du ma- ments successifs en série), ana- • L’interrogatoire permettra,
laise vagal, la pâleur, les sueurs lyser les circonstances de sur- également, de cerner le profil
froides, le flou visuel les accom- venue (horaires, notamment psychologique du consultant
pagnent et précèdent la perte de post-prandial, signes associés (anxiété, dépression, troubles
connaissance ; tels les étirements ou pandicu- obsessionnels).
• lors d’un geste médical invasif lations, sensations dyspetiques).
ou lors de l’induction anesthé- • L’examen clinique s’efforcera
sique, ce cortège symptoma- • Il ne faut pas négliger le reten- de déceler des mouvements
tique doit alerter le praticien de tissement socio-affectif : est- anormaux, des signes évoquant
l’imminente perte de connais- ce l’intéressé qui peine de ses une dysfonction hypothalamo-
sance et du risque éventuel de salves de bâillements ou l’entou- hypophysaire avec estimation
chute associée. rage ? Ou, au contraire, y a-t-il du champ visuel, et examen de
une satisfaction recherchée, une la motricité oculaire extrinsèque
De nombreux migraineux sensation libératoire après les (aménorrhée-galactorrhée de
connaissent un déroulement bâillements ? Les bâillements l’adénome à prolactine ; modi-
stéréotypé de leur crise. Pour interfèrent-ils avec l’activité fication cheiro-faciale de l’acro-
certains, des salves de bâille- quotidienne ? mégalie), symptômes évocateurs
ments sont une véritable aura ; d’une hypertension intracrâ-
parfois, pour d’autres, elles se- • L’interrogatoire devra préciser nienne, des séquelles d’un ac-
ront le signe de la cessation toutes les prises médicamen- cident vasculaire cérébral, d’un
proche de la phase douloureuse. teuses prescrites ou auto-mé- syndrome frontal, de mouve-
diquées, en particulier celles ments anormaux (tics moteurs).
d’antidépresseurs, d’antiépi-
Analyse leptiques, d’anti-cholinestéra-
de la sémiologie siques ou de dopaminergiques. Les diagnostics
Bien différente est la consulta-
tion pour bâillements répétés. • Le sommeil et l’éveil devront Une Origine iatrogène
L’enjeu est de porter un diagnos- être estimés de façon précise, La principale cause de bâille-
Les antidépresseurs
Les antidépresseurs, en par-
ticulier les sérotoninergiques
(SSRI), sont le plus souvent re-
trouvés. C’est un effet de classe
pharmacologique, et toutes les
molécules ont été impliquées
(fluoxétine, paroxétine, esci-
talopram, duloxétine, venla-
© Maridav - Fotolia
faxine, etc.). Ce symptôme est
très souvent mal interprété, tant
par les patients que par leurs
thérapeutes.
Rapportés à l’asthénie, à la per-
sistance d’un état dépressif, à Figure 1 - Nous bâillons tous 5 à 8 fois/jour. Mais le bâillement est aussi un symptôme.
un manque d’efficacité du trai-
tement, ces bâillements répétés
fréquents peuvent conduire, à que les antidépresseurs imi- études cliniques initiales. Au-
tort, à une augmentation des praminiques ont des effets se- cune donnée de suivi depuis la
posologies préconisées, ce qui condaires atropiniques, donc commercialisation n’est acces-
accentue le trouble, alors que inhibiteurs des bâillements, sible.
l’arrêt des prises permet la dis- et sont réputés engendrer une Les données pour les autres do-
parition des symptômes en impuissance, des observations paminergiques (bromocriptine,
quelques jours. Il n’existe ja- ont été rapportées de salves de lisuride, pergolide, ropirinole,
mais de somnolence associée. bâillements trop fréquents ac- pramipexole, sélégiline, piribé-
Cet effet a été parfois associé compagnant des orgasmes in- dil) manquent, sans doute faute
à une érection clitoridienne et volontaires sous clomipramine. d’une pharmacovigilance éclai-
des orgasmes involontaires. Les rée, car les modèles animaux
SSRI sont pourtant considérés Les agonistes de la dopamine plaident pour le même risque
comme mieux tolérés que les Le chlorydrate d’apomorphine iatrogène.
tricycliques ou les IMAO. est utilisé en injection lors d’épi-
Il n’est pas aisé d’interpréter le sodes de blocage moteur chez le Syndrome d’apnées
mécanisme, inconstant, prési- parkinsonien, afin de restituer du sommeil
dant à cet effet secondaire. En une motricité. Le bâillement est Il touche près de 10 % de la po-
effet, à côté de leur activité ago- alors nettement décrit par les pulation. Les endormissements
niste sérotoninergique (récep- patients, non comme une gêne, répétés inappropriés ne résu-
teurs 5HT4 ?), ces molécules ont mais comme l’annonce du dé- ment pas la symptomatologie. A
aussi des effets adrénergiques, blocage attendu, et témoigne du côté des difficultés cognitives et
cholinergiques, muscariniques début de l’effet thérapeutique. attentionnelles, la somnolence
et histaminergiques. Il n’existe Le chlorydrate d’apomorphine diurne est très fréquente et des
aucune notion statistique éva- à plus faibles doses par voie bâillements répétés y sont asso-
luant la fréquence de cet effet orale est utilisé dans l’impuis- ciés, voire parfois sont la plainte
iatrogène, ni d’expertise ayant sance masculine. Les notices, principale en raison de la gêne
montré qu’une association à jointes au produit, indiquent le sociale engendrée. C’est la deu-
un autre psychotrope le dé- bâillement en effet secondaire, xième cause de bâillements ex-
voile. Très curieusement, alors rarement rapporté au cours des cessifs en consultation.
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