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Université de Sousse

Faculté de Médecine Ibn El Jazzar

Module de santé mentale

Quatrième année Médecine

(DECM2)

LE DELIRIUM (Les états confusionnels)

Pr. Jaafar NAKHLI

Pr Ag. Ahlem MTIRAOUI

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I/– INTRODUCTION ET DÉFINITION
L’état confusionnel (ou confusion mentale), appelé Delirium par les anglo-saxons, est une
véritable urgence qui se trouve au carrefour de la médecine générale et de la psychiatrie et qui
traduit une souffrance cérébrale aiguë.
Il s'agit d'une perturbation aigue et transitoire des capacités d’éveil et d’attention secondaire à
une atteinte diffuse et réversible de l’encéphale
Elle se caractérise sur le plan sémiologique par la triade suivante :
1- une obnubilation de la conscience entravant le fonctionnement de toute l’activité
psychique
2- un délire hallucinatoire particulier dit délire onirique
3- une Altération de l’état général plus ou moins marquée
Le syndrome confusionnel impose un bilan clinique et para clinique d’urgence pour
rechercher une cause organique.

II/- EPIDEMIOLOGIE
Trouble fréquent :
-10 à 15% dans les services de chirurgie
-15 à 25% dans les services de médecine
-L’âge avancé augmente le risque de confusion : 30 à 40% des sujets de plus de 65 ans
hospitalisés font un épisode confusionnel

III/– CLINIQUE DE LA FORME TYPIQUE


A- LE MODE DE DÉBUT :
L’installation est souvent progressive.
Les prodromes sont peu spécifiques qui peuvent durer quelques heures à quelques jours.
Le patient présente des céphalées, une insomnie avec cauchemars, une asthénie et des troubles
caractériels à type d’irritabilité.
B- LA PHASE D'ÉTAT :
Dans sa forme typique, le syndrome confusionnel associe : une présentation caractéristique,
des signes psychiques et des signes somatiques dont l’association doit faire évoquer le
diagnostic
1 - La Présentation du malade
- la mimique est inexpressive ou inadaptée,
- le regard flou, lointain (on a l'impression que le patient est absent de la situation présente) ou
apeuré,
- la tenue vestimentaire est sale, négligée,
- le comportement général psychomoteur est caractérisé par:
Tantôt par des mouvements lents, maladroits avec une démarche hésitante, tantôt par une
agitation et parfois des raptus violents avec le risque d’actes inadaptés ou dangereux.
Malgré cette agitation le patient semble faire, du moins par moments, un effort de
concentration pour se rendre compte de ce qui se passe autour de lui ce qui est à l'origine de la
perplexité anxieuse (Situation d’embarras et d’indécision).

2 - Les signes psychiques


Les signes psychiques ont deux versants :
Les troubles de la conscience qui peuvent aller de l'obnubilation à la stupeur qui se traduitpar
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-Une désorientation temporo-spatiale : elle touche le temps, l’espace et les personnes.
Elle est responsable d’erreurs sur l’heure, la date et sur le lieu où l’on se trouve.
-Des troubles de la mémoire sont importants et portent sur la mémoire de fixation qui est
nulle, avec impossibilité de fixer les informations (amnésie antérograde).
L’évocation des souvenirs anciens ou récents est imprécise, voire défectueuse et le malade
répond le plus souvent par "je ne sais pas, je ne me rappelle pas" ou peut combler les lacunes
mnésiques par de la fabulation.
-Une perturbation de tous les processus intellectuels : la concentration et l'attention sont
impossibles, le malade ne comprend pas ou saisit partiellement la question posée, il apparaît
distrait.
Il existe une altération de toutes les capacités psychiques ; la réflexion, le jugement, le
raisonnement sont touchés, entraînant une désorganisation de la pensée. Celle-ci est
laborieuse, embrouillée. Au maximum, le malade prononce des bribes de phrases incohérentes
et décousues, et est incapable de résoudre des problèmes simples.
-Un déficit des perceptions : le malade identifie mal le monde extérieur, il ne reconnaît pas
ses parents, ceux qui le soignent et il peut exister des fausses reconnaissances. Le patient
interprète de façon erronée les stimuli sensoriels. Il est victime d’illusions (ex : la tubulure de
la perfusion est prise pour un serpent, le claquement d’une porte pour un coup de feu).
-Deux autres caractéristiques sont essentielles :
Le déficit est fluctuant et d’intensité variable augmentant avec l'obscurité
(aggravation vespérale), l'endormissement et l'effort.
Le contact est toujours possible avec un confus et le sujet se rend compte,
périodiquement, de son état, ce qui le rend perplexe et anxieux.
Le délire onirique ou onirisme : est un délire rappelant le rêve, un rêve vécu et agi. Il
manque parfois au tableau clinique, mais il est très évocateur lorsqu’il est présent.
Les mécanismes du délire
Ils sont essentiellement hallucinatoires surtout visuelles mais également auditives, tactiles et
cénesthésiques. Les hallucinations peuvent avoir un caractère simple (tâche lumineuse, son)
ou être plus élaborées (défilé d’images, enchaînement de scènes comme dans un film).
Les thèmes du délire
Les thèmes d’épouvantes sont fréquents (visages monstrueux, flammes…), de même que les
zoopsies (visions d’animaux effrayants, monstres, bêtes féroces) et les thèmes professionnels
(le malade se croit au travail, aux prises avec des difficultés).
Adhésion au délire
En règle, le délire est vécu de façon pénible et angoissante.
Il entraîne une conviction absolue du sujet. Le délire est vécu et le patient s'y engage
vivement : il crie, il se débat, il fuit et peut présenter des réactions dangereuses (agression,
défenestration).
Variabilité au cours de la journée
Comme les troubles de la conscience, l’intensité du délire onirique est variable au cours de la
journée.

3 - Les signes physiques


Les signes d'altération de l'état général sont directement liés à la dénutrition, à l'agitation et
aux désordres électrolytiques. Ils sont constants mais variables d’un malade à l’autre. Certains
troubles sont témoins de l'affection organique causale. Ils imposent un examen somatique,
neurologique et biologique complet.
Les signes généraux sont constants
En plus des troubles du sommeil avec inversion du rythme habituel, il existe une fièvre
d’intensité variable, une déshydratation et une anorexie.

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Les signes neurologiques
Certains ne sont pas spécifiques (tremblements, céphalées, mouvements de préhension sans
but), d’autres sont en rapport avec l’étiologie.

4- Les signes biologiques


On trouve une hémoconcentration (Hématocrite augmentée, hyperprotidémie, hyperazotémie)
et des troubles hydroélectrolytiques (hypernatrémie, hypokaliémie).
A l'EEG on trouve des ondes lentes 1 à 3 cycles/seconde.
Hormis les signes physiques liés à la confusion en elle-même, il peut également exister des
signes somatiques en relation avec le trouble organique responsable de la confusion mentale.

IV/– FORMES CLINIQUES


Les formes mineures ou dégradées ou sub-confusion
On ne retrouve pas d’anomalie apparente dans la présentation du patient, ni de délire onirique,
ni de signes généraux.
Les symptômes sont discrets, il existe toujours un déficit de l’attention, de l’orientation et de
la mémoire avec un ralentissement de opérations mentales. Le tableau clinique est variable
avec de nombreux moments de pleine vigilance. L'EEG montre un ralentissement global.
La forme agitée et délirante
Cette forme serait fréquente avec les causes toxiques.
L’agitation et l’onirisme sont au premier plan.
L’excitation motrice est intense, avec des raptus violents pouvant prendre l’ampleur d’un état
de fureur confusionnelle.
Le délire hallucinatoire est très intense. La perte de l’orientation paraît totale.
La forme stuporeuse
La stupeur confusionnelle est caractérisée par:
- une confusion particulièrement profonde dans laquelle il existe une inhibition de tous les
processus alors que l’onirisme est peu marqué ou absent;
- un état de prostration avec akinésie et mutisme.
La confusion est rarement stuporeuse d’emblée; le plus souvent elle succède à une phase de
confusion typique ou agitée.
La forme suraiguë ou maligne
Cette forme grave de la confusion mentale est devenue actuellement exceptionnelle. Elle était
surtout l’aboutissement de confusion non traitée ou insuffisamment mais peut être
l’expression d’étiologie particulière comme les encéphalites.
Elle est caractérisée:
- par une confusion profonde avec un délire onirique intense accompagné d’anxiété vive, une
agitation importante, incoercible proche de la fureur avec agressivité évidente;
- par une atteinte sévère de l’état général avec un amaigrissement impressionnant, une
déshydratation massive et une hyperthermie à 40°-41°;
- sur le plan biologique la déshydratation est intracellulaire avec hyperazotémie (1-2g/l).
L’évolution peut se faire, en l’absence de traitement, inéluctablement vers la mort dans un
tableau d’hyperthermie.
Avec la thérapeutique actuelle et la réanimation, la guérison peut s’observer mais l’épisode
laisse souvent des séquelles (démence).

V/– DIAGNOSTIC POSITIF


Le diagnostic positif de la confusion mentale dans sa forme habituelle est généralement facile.
Il repose sur l'association de :
-Troubles de la conscience

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-Onirisme et d'une atteinte de l'état général
-L'exagération des troubles par l'obscurité
-Perplexité anxieuse.
Il peut cependant être plus difficile devant des formes atypiques. Il faut donc toujours penser à
la confusion devant tout état psychotique aigu surtout si on note des troubles de la conscience.

Les critères du DSM 5 du délirium sont : (Chapitre troubles neurocognitifs du DSM 5)


A. Perturbation de l’attention (c'est-à-dire diminution de la capacité de diriger,
focaliser, soutenir et déplacer son attention) et de la conscience (diminution de
l’orientation dans l’environnement)
B. La perturbation s’installe en un temps court (habituellement qq heures à qq jours),
représente un changement par rapport à l’attention et à la conscience préalables, et
tend à fluctuer en sévérité tout au long de la journée
C. Une autre perturbation cognitive (ex : déficit de la mémoire, de l’orientation, du
langage, des habilités visuospatiales ou des perceptions)
D. Les perturbations des critères A et C non sont pas mieux expliqués par un trouble
neurocognitif préexistant ou en évolution et ne doivent pas survenir dans un
contexte d’un niveau de vigilance très réduit, comme dans le coma
E. Mise en évidence d’après les antécédents, l’examen physique ou les ex
complémentaires que la perturbation est la conséquence physiologique directe
d’une autre affection médicale, d’une intoxication ou d’un sevrage d’une substance
(càd drogue ou médicament) ou d’une exposition à un produit toxique, ou est due à
de multiples causes
Spécifier :
-Etat confusionnel (delirium) du à une intoxication par une substance
-Etat confusionnel (delirium) du au sevrage d’une substance
-Etat confusionnel (delirium) induit par un médicament
-Etat confusionnel (delirium) du à une affection médicale
-Etat confusionnel (delirium) du à des étiologies multiples
Spécifier :
-Aigu : qq heures à qq jours
-Persistant : qq semaines à qq mois
-Hyperactif : hyperactivité psychomotrice, labilité émotionnelle agitation et/ou
mauvaise adhésion aux soins
-Hypoactif : hypoactivité psychomotrice, lenteur, léthargie jusqu’à la stupeur
-Niveau d’activité mixte : activité psychomotrice normale, perturbation de l’attention
et la conscience ou activité psychomotrice fluctuante

VI /– DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
1- Les états psychotiques : Les états psychotiques aigus (bouffées délirantes aiguës) peuvent
s’accompagner de confusion.
Le délire de la bouffée délirante aigue est un délire vécu et agi à plusieurs thèmes et plusieurs
mécanismes et il n’existe pas d’altération de la vigilance.
2- Stupeur mélancolique et catatonique
Le facies du patient est douloureux (douleur morale) et on note dans le discours du patient des
thèmes de ruine et de culpabilité
3- La démence
La confusion est un phénomène aigu, réversible, réalisant un déficit intellectuel massif dans
un contexte de conscience perturbée, variable, associée à une perplexité anxieuse. Alors que
l'état démentiel a une évolution progressive et chronique, sans troubles de la conscience et

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associé à un trouble du jugement et à une perte de l'autocritique. Mais il existe parfois des
problèmes diagnostiques car un syndrome confusionnel peut être révélateur de la démence.

Confusion mentale Démence


Début Aigu Habituellement progressif
Niveau de conscience Fluctuante Normale
Perceptions Hallucinations fréquentes Hallucinations moins
fréquentes
Attitudes Perplexité anxieuse Indifférence
Variation dans la journée Importantes Absentes
Evolution Réversible Souvent irréversible

4- Le syndrome de Korsakoff
Il s’agit d’une complication de l’alcoolisme chronique.
Le syndrome de Korsakoff associe une amnésie de fixation, une désorientation, des fausses
reconnaissances et une fabulation, mais l’atteinte cognitive n’est pas globale. On n'y retrouve
non plus ni troubles de la vigilance, ni onirisme, ni altération de l'état général.
5- L’Aphasie de Wernicke
Le tableau clinique est dominé par des troubles de la compréhension orale, mais dans certains
cas, le patient est très difficile à canaliser, ce qui peut amener à porter à tort le diagnostic de
confusion.

VII/– DIAGNOSTIC ÉTIOLOGIQUE


Un Bilan clinique et para clinique d'investigation doit être pratiqué en urgence à la recherche
d'une étiologie organique.

1- LE DIAGNOSTIC ETIOLOGIQUE : c’est un temps essentiel de l'examen, il repose sur :


L'interrogatoire de l'entourage
L'examen clinique complet particulièrement neurologique
Les examens complémentaires
-Biologique : hémogramme, glycémie, créatinine, urée sanguine, ionogramme sanguin, bilan
hépatique, permettant de déceler une éventuelle étiologie.
-Radiologique : Radio thorax, Scanner cérébral.
-D'autres examens complémentaires peuvent être demandés en fonction des données de la
clinique tels qu'une Ponction Lombaire, une Hémoculture, un bilan endocrinien, un dosage de
toxiques.

2- LES ETIOLOGIES :
Elles sont très nombreuses et peuvent être multi factorielles. Les causes sont dans l’écrasante
majorité des cas organiques, dans de rares cas, psychiatriques.
CAUSES ORGANIQUESA-
Les origines neurologiques
La plupart des atteintes du système nerveux central peuvent s’accompagner d’une confusion
mentale.
L’épilepsie : La confusion post-critique. Elle peut également être critique (état de mal
d’épilepsie partielle complexe).
Les traumatismes crâniens (hématome extradural et hémorragie méningée)
Les tumeurs cérébrales et les abcès cérébraux
Les accidents vasculaires cérébraux

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Les anoxies cérébrales : insuffisance cardiaque, encéphalopathie hypertensive, troubles du
rythme, insuffisance respiratoire, anémie…
B - Les étiologies infectieuses : avec localisation cérébro-méningée
Infections bactériennes : fièvre typhoïde, brucellose, tuberculose…
Infections virales : rougeole, grippe, oreillons, HIV…
C - Les étiologies toxiques
- l’alcool : lors des intoxications aiguës, au cours du sevrage («délirium trémens ») ou au
cours des encéphalopathies éthyliques par carence vitaminique
-les autres toxiques : psychostimulants et psychodysleptiques, anticholinergiques,
antibiotiques, antiparkinsoniens, psychotropes…
-Intoxications professionnelles ou accidentelles : Plomb, Mercure, Zinc, CO, insecticides…
D - Etiologies endocriniennes
- Diabète : hypoglycémie, acido-cétose ou hyperosmolarité
- Dysthyroïdie
- Insuffisance hypophysaire
- Insuffisance surrénalienne aiguë
- Hyper ou hypo parathyroïdie
E - origines métaboliques
- Insuffisance rénale
- Encéphalopathie hépatique
- Troubles hydroélectrolytiques ( en particulier l’hyponatrémie)
F- origines diverses
- Certaines affections hématologiques (leucémies) - Electrocution - Collagénoses (lupus) -
Coup de chaleur - Irradiation thérapeutique

2.2- CAUSES PSYCHIATRIQUES


C’est un diagnostic d’élimination
- Psychose puerpérale où les états confuso-oniriques sont fréquents
- Les confusions post émotionnelles ou réactionnelles consécutives à des stress intenses
(catastrophe naturelle, massacre, accident...)

VIII/– ÉVOLUTION ET PRONOSTIC


Le pronostic dépend du terrain, de l’étiologie et de la précocité du traitement
1 - L'évolution habituelle est favorable
L’évolution habituelle de la confusion mentale se fait vers la guérison avec une amnésie
lacunaire de l’épisode partielle ou totale, une asthénie peut persister plusieurs semaines après
le retour de la lucidité.
2 - Séquelles
* Le plus souvent la seule séquelle est une amnésie lacunaire de l’épisode.
* Cependant, parfois après la disparition des troubles confusionnels et du délire onirique, le
malade peut rester longtemps, sous l’influence de son expérience onirique plus ou moins
convaincu de la réalité de certaines scènes vécues au cours de la confusion. Ce sont les idées
fixes post-oniriques qui disparaissent le plus souvent au bout de quelques jours.
* Délire d'évocation post confuso-onirique
* Les confusions chroniques : le syndrome confusionnel généralement stuporeux ou à forte
charge confusionnelle, se prolonge et passe à la chronicité.

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* L’évolution démentielle se voit quand le trouble cérébral sous-jacent persiste et entraîne des
lésions irréversibles du cerveau.

IX/– PRINCIPES THÉRAPEUTIQUES D’UN ÉTAT CONFUSIONNEL


Le traitement d’un état confusionnel doit être entrepris d'urgence et en milieu hospitalier. Il
comporte un traitement symptomatique et un traitement étiologique.
➢ Hospitalisation
En service de médecine ou de spécialité
En psychiatrie si le bilan étiologique est négatif
➢ Traitement étiologique
Mesure spécifique en fonction de l’étiologie
➢ Soins généraux
Chambre calme et bien éclairée
Nursing
Surveillance: TA, Pouls, T°, Respiration, Diurèse, État de conscience, Surveillance
biologique
Éviter la contention
➢ Rééquilibration hydro électrolytique
Réhydratation par voie orale (4-5 l/j) ou IV (2-3 l/j) avec apport électrolytique (Na+,
K+) et calorique suffisant
Apport vitaminique B1et B6
➢ Pharmacothérapie sédative
Permet de calmer l'agitation et l'onirisme
Benzodiazépines par voie IM (Valium ou Tranxéne) :2 à 3 fois/jour
Neuroleptiques par voie IM (Largactil ou Haldol) : 2 à 3 fois/jour

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