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Neuropathies pudendales

M. Bensignor (†), J.-J. Labat et R. Robert

Maurice Bensignor nous a quitté. Il avait une place à part de par sa curiosité, son intégrité et son extraordinaire
énergie à trouver une solution aux situations les plus complexes. Il nous laissera l’exemple d’une médecine à la fois
rationnelle et humaniste. Nous resterons tous imprégnés de cette lumière qui irradiait de son attachante personnalité.
J.-J. Labat

La neuropathie pudendale est un syndrome canalaire dont l’expression symptomatique évoca-


trice est une douleur pelvienne chronique à type de brûlure accentuée lors de la station assise
prolongée. La topographie correspond au territoire d’innervation sensitive du nerf pudendal et
de ses branches. Le traitement non chirurgical permet de soulager ou de guérir les deux tiers
des malades souffrant de douleurs en rapport avec une neuropathie pudendale. Dans les formes
chroniques bien documentées, la chirurgie (neurolyse-transposition) est vraisemblablement
l’approche qui permet l’amélioration symptomatique la plus durable.

INTRODUCTION peut irradier en avant vers la région scrotale ou


vulvaire et/ou en arrière vers la région anorectale.
Les algies périnéales chroniques représentaient une Cette douleur est d’autant plus évocatrice qu’elle
entité méconnue jusqu’à la fin des années 1980. est unilatérale, mais elle peut être également
Diverses appellations telles que proctalgies essen- médiane. La topographie correspond au territoire
tielles, vulvodynies, prostatodynies, névralgies d’innervation sensitive du nerf pudendal et de ses
anorectales, syndrome des releveurs, coccygody- branches. Il s’agit le plus souvent, d’une douleur
nies étaient plus liées au spécialiste consulté qu’à à type de brûlure, sans paroxysme névralgique,
une entité nosologique précise. En 1987, Ama- très mal soulagée par les antalgiques habituels.
renco (1) décrit la clinique d’un syndrome névral- Cette sensation de cuisson incite éventuellement
gique périnéal. Les douleurs siègent au niveau de aux bains de siège, qui soulagent de façon fugace.
tout ou partie du périnée. Elles sont déclenchées Les patients se plaignant fréquemment d’une sen-
par la station assise. Ce syndrome clinique est sation de corps étranger intrarectal. Plus rarement,
assez fréquent bien que la littérature à son propos le patient rapporte des dysesthésies. Dans 80 %
soit pauvre. La prévalence n’est pas connue. Elle des cas, la posture est un élément caractéristique
a été estimée à 4 % de l’ensemble des consultants de survenue. Si le patient ne souffre pas en décu-
dans une structure de lutte contre la douleur (2). bitus (85 %), la douleur apparaît avec la station
Le terme de névralgie pudendale paraît bien assise qui peut devenir insupportable. La station
adapté. Il existe des arguments cliniques, électrophy- assise sur un siège de W.C. est mieux tolérée et
siologiques, anatomiques et thérapeutiques en faveur les patients utilisent souvent une bouée pour s’as-
d’une souffrance neurologique responsable. Une seoir. La position debout soulage le patient dans
étude anatomique (3) confirme l’existence de plu- 70 % des cas. La douleur est généralement
sieurs conflits possibles entre le nerf pudendal et les absente le matin au réveil et s’aggrave progressi-
tissus de soutien ostéo-ligamentaires et musculo- vement dans la journée pour être maximale le
aponévrotiques. Il s’agit d’un syndrome canalaire. soir, et disparaître après le coucher. Le plus sou-
vent la douleur s’est installée insidieusement. La
pratique du cyclisme, le travail assis, les dépla-
cements automobiles répétés sont des situations
TABLEAU CLINIQUE favorisantes. Exceptionnellement, la douleur a
débuté de façon aiguë après un traumatisme de la
Le tableau concerne une femme 7 fois sur 10. La région ischiatique (chute sur les fesses), plus sou-
douleur prédomine au niveau du périnée. Elle vent après une intervention chirurgicale procto-
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logique, urologique, gynécologique ou un geste tuelle efficacité thérapeutique des infiltrations de


endoscopique. On peut penser que les gestes corticoïdes va dans le même sens.
déclenchants sont surtout des révélateurs d’un Les études anatomiques ont révélé des sources
syndrome canalaire, latent jusque-là. L’évolution de conflit potentiel à deux niveaux : dans la pince
est progressive, d’une gêne périnéale en station ligamentaire postérieure constituée par le liga-
assise à une douleur de plus en plus constante de ment sacro-épineux (LSE) et le ligament sacro-
moins en moins soulagée debout et parfois même tubéral (LST) et dans le canal pudendal d’Al-
en décubitus. Cette évolution paraît inexorable, cock. En position assise, on observe une
elle peut s’étendre sur de nombreuses années. ascension de la graisse ischiorectale qui vient se
L’examen clinique est pauvre. Il n’y a pas de plaquer sur le processus falciforme, qui s’élève
trouble sensitif, pas de troubles sphinctériens, les lui aussi.
réflexes bulbo-caverneux et anal sont présents.
Le toucher pelvien déclenche volontiers une dou-
leur à la pression de l’épine ischiatique. Les
bilans gynécologique, urologique et proctolo- PRISE EN CHARGE
gique sont en règle normaux, ainsi que l’ima- NON CHIRURGICALE
gerie.

Peu de traitements ont été véritablement évalués.


Arguments en faveur La constatation d’une composante « musculaire »
d’une étiologie neurologique en réflexe à ces douleurs permet de proposer une
prise en charge rééducative. Des techniques ont
L’hypothèse d’une étiologie neurologique est
été rapportées, mais pas toujours évaluées (5).
étayée par de nombreux arguments. Les caracté-
ristiques de la douleur sont évocatrices : brûlure,
allodynie. Des douleurs du même type ont parfois Blocs et infiltrations péritronculaires
été rapportées après une ligature accidentelle du du nerf pudendal
nerf pudendal au cours d’une spinofixation pour
traitement d’un prolapsus du dôme vaginal (inter- Deux abords principaux transfessiers sont
vention de Richter) ou après un traumatisme sur décrits (6) : à l’épine sciatique et dans le canal
une table orthopédique. pudendal. Il est probable que les injections de
corticoïdes agissent par le biais d’une atrophie
des tissus ligamentaires, et qu’elles ne soient effi-
Arguments en faveur
caces que lorsqu’elles sont effectuées au siège
d’un syndrome canalaire précis du conflit.
L’hypothèse d’une souffrance neurogène d’ori- Voie transfessière à l’épine sciatique sous
gine compressive a été proposée par Amarenco amplificateur de brillance (fig. 1) : le bloc est
qui évoquait la possibilité d’une compression du effectué sous amplificateur de brillance en
nerf dans le canal pudendal, et constatait des ano- 3/4 alaire. Une aiguille spinale 22 G-90 mm est
malies électrophysiologiques (1). Des études ana- insérée verticalement jusqu’au contact de l’épine
tomiques ont ensuite précisé l’anatomie du nerf sciatique. L’aiguille est alors légèrement retirée
pudendal et les zones de conflits possibles (3). et réinsérée médialement dans le tissu ligamen-
La réalisation d’explorations électrophysiolo- taire.
giques peut montrer l’existence de signes de Canal pudendal sous scanner (fig. 2) : le
dénervation périnéale, une augmentation de la patient est installé en décubitus ventral. Le trajet
latence du réflexe bulbocaverneux, et une aug- idéal de l’aiguille est simulé sur l’écran en joi-
mentation de la latence distale motrice du nerf gnant le bord postérieur de la symphyse pubienne
pudendal après stimulation par voie endorectale, au bord interne de l’ischion en passant entre le
au contact de l’épine sciatique et recueil péri- muscle obturateur et son fascia. L’aiguille est
néal (4). insérée obliquement en avant et médialement, en
Un soulagement transitoire après bloc anes- restant parallèle au fascia de l’obturateur interne.
thésique local constitue un argument de plus en On attend des infiltrations une contribution au
faveur d’une participation neurologique. L’éven- diagnostic par la disparition temporaire de la dou-
Neuropathies pudendales 365

décevants à long terme. Les analgésiques péri-


phériques et centraux, y compris morphiniques
opioïdes sont généralement insuffisamment effi-
caces. Le tramadol pourrait être plus souvent utile.
Une prise en charge rééducative est proposée (8),
quand une composante myofasciale est présente.
Elle repose essentiellement sur des techniques
d’étirements musculaires et de relaxation.

PRISE EN CHARGE
CHIRURGICALE

La voie transglutéale (9) permet de régler en une


seule incision tous les conflits possibles. Sous
anesthésie générale, après une incision glutéale,
Fig. 1 – Infiltration transfessière sous contrôle par ampli- le paquet vasculo-nerveux pudendal est libéré du
ficateur de brillance. LSE. Le nerf est libéré par digitoclasie dans le
canal pudendal. Le LSE est sectionné pour trans-
poser le nerf en avant de l’épine sciatique. L’hos-
pitalisation n’est que de cinq jours. Les constata-
tions opératoires faites chez environ 400 patients
opérés depuis 1987 incitent à une libération chi-
rurgicale large, contrairement à ce qui a pu être
proposé sans être évalué (10). Sur les patients
opérés, des conflits ont été constatés dans 42 %
des cas à l’épine sciatique, 26 % des cas dans le
canal pudendal, et aux deux niveaux dans 17 %
des cas. Dans 15 % des cas, le nerf n’était pas
considéré comme soumis à une compression
nette. Dans une étude rétrospective sur
158 opérés (11) 60 % des patients étaient amé-
liorés et 40 % des patients restaient des échecs.
Fig. 2 – Infiltration transfessière sous contrôle scanner. Au-delà de soixante-dix ans, les résultats de la
chirurgie sont nettement moins favorables. Ces
résultats apparaissent insuffisants si on considère
leur sous l’effet de l’anesthésique local, et un que les patients attendent tout du geste chirur-
effet thérapeutique secondaire lié aux effets des gical. Néanmoins, les patients peu améliorés ont
corticoïdes. Un soulagement de la douleur a pu tiré suffisamment bénéfice de la chirurgie pour
être obtenu chez deux tiers des patients avec 2 à retrouver dans la plupart des cas une vie sociale
3 infiltrations avec un recul de six mois (7). Il et professionnelle acceptable. Ces résultats peu-
convient d’espacer les infiltrations de six à vent être considérés comme encourageants si on
huit semaines minimum et de limiter le nombre les intègre dans le contexte, puisque ces 40 %
d’injections à 3 ou 4. d’échec ne représentent plus que 12 % au sein de
la pathologie considérée. En effet, 70 % des
Autres traitements médicaux patients s’améliorent ou guérissent avec le traite-
ment médical, les infiltrations et la rééducation.
Les anticonvulsivants (clonazépam, gabapentine) La chirurgie permet ainsi de repousser la barre
peuvent apporter un certain soulagement, de des échecs de 30 % à 12 %. De plus, la chirurgie
même que certains antidépresseurs (imiprami- apporte sans conteste un bénéfice très appréciable
nique, paroxétine). Ces traitements sont souvent si l’on tient compte de la difficulté à traiter les
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algies chroniques. Une étude prospective rando- 2. Bensignor-Le Henaff M, Labat JJ, Robert R et al.
misée a été entreprise avec un suivi de quatre (1991) Douleur périnéale et souffrance des nerfs hon-
teux internes. Agressologie 32: 277-9
ans. Les résultats détaillés sont en cours de publi-
cation. Cette étude a permis de valider la chi- 3. Robert R, Prat-Pradal D, Labat JJ et al. (1998) Ana-
rurgie sur 32 patients avec un seul patient sur 16 tomic basis of chronic perineal pain : role of the
pudendal nerve. Surg Radiol Anat 20: 93-8
amélioré à six mois dans le groupe « traitement
médical », contre 8 sur 16 dans le groupe 4. Labat JJ, Robert R, Bensignor M et al. (1990) Les
« opérés », en intention de traiter. névralgies du nerf pudendal (honteux interne). Consi-
dérations anatomo-cliniques et perspectives théra-
peutiques. J Urol 96: 239-44
5. Costello K (1998) Myofascial syndromes. In: Chronic
pelvic pain. An integrated approach. Steege JF,
CONCLUSION Metzger DA, Levy BS (ed). Saunders: 251-66
6. Bensignor M, Labat JJ, Robert R et al. (2000) Dou-
leurs périnéales anorectales et urogénitales. Douleurs
Les résultats obtenus par la neurolyse transposition 1: 131-42
confirment les hypothèses physiopathologiques en
7. Bensignor-Le Henaff M, Labat JJ, Robert R et al.
faveur de possibles névralgies pudendales, dans (1993) Douleur périnéale et souffrance des nerfs hon-
un contexte de syndrome canalaire, à l’origine de teux internes. Cah Anesth 41: 111-4
nombreuses algies périnéales chroniques. Plus le
diagnostic est précis, meilleurs seront les résultats. 8. Clemens J, Nadler RB, Schaeffer AJ et al. (2000)
Biofeedback pelvic floor re-education, and bladder
Cette évidence engage à développer une prise en training for male chronic pelvic pain syndrome. Uro-
charge pluridisciplinaire individualisée sur mesure, logy 56: 951-5
pour ces patients douloureux chroniques.
9. Robert R, Brunet C, Faure A et al. (1994) La chi-
rurgie du nerf pudendal lors de certaines algies péri-
néales : évolution et résultats. Chirurgie 119: 535-9
10. Shafik A (1998) Pudendal canal syndrome: A new
Références etiological factor in prostatodynia and its treatment by
pudendal canal compression. Pain Dig 8: 32-6
11. Deschamps C (2002) La neurolyse transposition du
1. Amarenco G, Kerdraon J, Bouju P et al. (1997) Treat- nerf pudendal dans les névralgies pudendales. Etude
ments of perineal neuralgia caused by involvement of rétrospective à propos de 158 patients opérés. Thèse.
the pudendal nerve. Rev Neurol 153: 331-5 Fac. Méd. Nantes 27 juin 2002

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