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Douleurs, 2005, 6, 5 297

FAITES LE POINT

Le questionnaire DN4 : le nouvel outil d’aide


au diagnostic des douleurs neuropathiques
Didier Bouhassira

Le terme de « douleurs neuropathiques » désigne l’ensem- les procédures scientifiques les plus rigoureuses, tient à son
ble des douleurs associées à une affection du système ner- extrême simplicité (tableau I).
veux. De fait, il s’applique à une catégorie très vaste et assez
hétérogène de patients. Parmi les causes classiques de dou-
QU’EST CE QUE LA DOULEUR NEUROPATHIQUE ?
leurs neuropathiques on peut citer les neuropathies du dia-
bète et du zona. Toutefois, les étiologies de très loin les plus Il est classique de distinguer deux grands types de douleurs
fréquentes sont réprésentées par les radiculalgies rencon- selon l’existence ou non d’une lésion nerveuse : les dou-
trées de façon très banale dans le cadre des lombosciatiques leurs dites par « excès de nociception » et les douleurs
et névralgies cervicobrachiales ainsi que les traumatismes neuropathiques. Ces deux catégories de douleurs répon-
nerveux accidentels ou liés à une intervention chirurgi- dent à des mécanismes physiopathologiques distincts. Les
cale. Aussi, bien qu’il n’existe pas à ce jour de donnée pré- douleurs « nociceptives » sont le plus souvent associées à
cise concernant la prévalence de ce type de douleur, on des processus inflammatoires responsables d’une augmen-
peut estimer que les douleurs neuropathiques, qui concer- tation des messages nociceptifs, générés par les récepteurs
nent au moins 30 % des patients suivis dans les structures de la douleur (les nocicepteurs) et à l’amplification de leur
spécialisées dans la prise en charge de la douleur, représen- transmission dans le système nerveux central. En revanche,
tent également une très forte proportion des causes de les douleurs neuropathiques ne dépendent pas des phéno-
douleurs chroniques dans la population générale. Cepen- mènes inflammatoires. Cependant, des altérations directe-
dant, en dépit de leur prévalence, les douleurs neuropathi- ment liées à la lésion nerveuse peuvent également conduire
ques ne sont souvent pas reconnues ou diagnostiquées trop à une hyperexcitabilité (sensibilisation) des processus
tardivement. Or, ces douleurs, qui se caractérisent avant nociceptifs périphériques et centraux. Il convient de souli-
tout par leur résistance aux antalgiques usuels, y compris gner les limites de la dichotomie entre douleurs « neuropa-
les morphiniques, nécessitent une prise en charge spécifi- thiques » et « inflammatoires/nociceptives ». En réalité, les
que et précoce reposant principalement sur l’utilisation des deux types de douleurs sont intriquées dans un très grand
antiépileptiques et des antidépresseurs tricycliques. nombre de pathologies comme par exemple la hernie dis-
Récemment, un groupe d’experts français [1]1 a élaboré et cale, reponsable à la fois de lombalgies inflammatoires et de
validé un nouvel outil visant à faciliter le dépistage et le sciatalgies neuropathiques. Aussi, la reconnaissance des
diagnostic des douleurs neuropathiques. Il s’agit d’un composantes neuropathiques au sein des tableaux de « dou-
questionnaire, dénommé DN4 (douleurs neuropathiques en leurs mixtes » revêt une importance capitale pour la prise
4 questions), qui repose, pour l’essentiel, sur l’analyse en charge thérapeutique.
sémiologique des qualificatifs employés par les patients La multiplicité des mécanismes sous-jacents confère aux dou-
pour décrire leurs douleurs. De fait, certains termes comme leurs neuropathiques une très grande richesse d’expression
brûlures, décharges électriques ou encore picotements, sur le plan sémiologique. Les patients peuvent se plaindre de
sont très fréquemment utilisés spontanément par les patients douleurs spontanées continues (brulûres, sensations de
pour décrire leur symptomatologie. Aussi, la principale origi- serrement, d’étau…), ou paroxystiques (décharges électri-
nalité de ce nouvel instrument clinique, qui a été validé selon ques, coups de couteau…), souvent associées à des douleurs
provoquées par des stimulations mécaniques (frottement,
INSERM E-332, APHP, Hopital Ambroise Paré, Boulogne- pression légère) ou thermiques (surtout froides) de faible
Billancourt et Université de Versailles Saint-Quentin. intensité, particulièrement invalidantes. Ces dernières, qui
1
témoignent d’altérations profondes des processus nocicep-
Experts ayant participé à la validation de DN4 : Drs Alchaar, Attal,
Baud, Baylot, Bouhassira, Boureau, Brochet, Bruxelle, Caillet,
tifs, sont appelées « allodynie » (douleur évoquée par des
Creach, Cunin, Denis, Denise, Dousset, Ginies, Kong A Siou, Lanteri- stimulations normalement non douloureuses) ou « hyper-
Minet, Laurent, Margot-Duclot, Mick, Navez, Perrot, Picard, Riaux, algésie » (augmentation de la douleur évoquée par des sti-
Rostaing, Serrie, Sibrac, Simon, Valade. mulations normalement faiblement douloureuses).
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Tableau I
Questionnaire DN4.

Répondez aux 4 questions ci-dessous en cochant une seule case pour chaque item.

INTERROGATOIRE DU PATIENT
Question 1 : La douleur présente-t-elle une ou plusieurs des caractéristiques suivantes ?

oui non
1. Brûlure
2. Sensation de froid douloureux
3. Décharges électriques

Question 2 : La douleur est-elle associée dans la même région à un ou plusieurs des symptômes suivants ?

oui non
4. Fourmillements
5. Picotements
6. Engourdissement
7. Démangeaisons

EXAMEN DU PATIENT
Question 3 : La douleur est-elle localisée dans un territoire où l’examen met en évidence ?

oui non
8. Hypoesthésie au tact
9. Hypoesthésie à la piqûre

Question 4 : La douleur est-elle provoquée ou augmentée par :

oui non
10. Le frottement

NON = 0 point. OUI = 1 point. Score du patient sur 10 points.

Le diagnostic de douleur neuropathique est exclusive- des fourmillements, picotements ou encore un engourdis-
ment clinique. Il repose sur un interrogatoire bien conduit sement (voir ci-dessous).
et un examen clinique de la sensibilité. Les examens L’examen clinique permet en règle générale de montrer
complémentaires peuvent être nécessaires pour le diagnos- que la douleur siège dans un territoire où existe un déficit
tic étiologique ou l’évaluation de la lésion neurologique sensitif, qui peut intéresser une ou plusieurs modalités
sous-jacente, mais n’ont que peu d’intérêt pour le diagnos- sensorielles : tact léger, piqûre, sensibilité thermique. Le
tic de douleur neuropathique proprement dite. second élément à rechercher par l’examen clinique est la
L’interrogatoire doit s’attacher à repérer certains descrip- présence d’une allodynie, en particulier au frottement ou
teurs caractéristiques des douleurs neuropathiques tels que au contact avec un objet froid dans la zone de douleur spon-
brûlures, décharges électriques, ainsi que la présence, dans tanée.
le même territoire, de sensations anormales, mais non dou- Il est cependant important de noter qu’aucun de ces symp-
loureuses (paresthésies/dysesthésies), décrites comme tômes ou signes, pris individuellement, n’est pathognomo-
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nique ou spécifique de douleur neuropathique, puisqu’ils bosciatalgies) n’ont pas été inclus, pour des raisons d’ordre
peuvent être observés, bien qu’avec une fréquence moindre, méthodologique, dans cette première étude de validation.
chez des patients présentant une douleur inflammatoire. Dans le groupe « douleur neuropathique », la principale
C’est donc l’association de ces différents symptômes et étiologie était représentée par les lésions nerveuses post-
signes qui va orienter le diagnostic (voir plus loin). traumatiques (accidentelles ou post-chirurgicales), suivies
Dans la majorité des cas, l’étiologie de la lésion nerveuse par les douleurs post-zostériennes et les polyneuropathies
périphérique ou centrale à l’origine des douleurs, soit est douloureuses. Dans le groupe « douleur non neuropathi-
déjà connue, soit ne pose pas de problème majeur. Cepen- que » les douleurs étaient rhumatologiques et liées principa-
dant, cette notion peut faire défaut et il peut être néces- lement à l’arthrose (plus de 56 %) ou à une pathologie
saire de réaliser un bilan paraclinique (EMG, imagerie…) inflammatoire chronique (32 %).
pour tenter de déterminer l’étiologie de la lésion, même si Chaque patient était vu de façon indépendante par deux
celle-ci n’est pas nécessairement curable. Il en est ainsi de experts au sein de chaque centre. Après avoir vérifié les cri-
nombre de douleurs neuropathiques post-traumatiques ou tères d’inclusion, chaque expert devait proposer un dia-
post-chirurgicales séquellaires, pour lesquelles la lésion est gnostic de douleur neuropathique ou non neuropathique
fréquemment difficile à objectiver. Quoi qu’il en soit, le sur la base de son expérience et de sa pratique habituelle.
bilan étiologique ne doit pas retarder la prise en charge Ensuite, il devait remplir le questionnaire en 17 items, en
thérapeutique des patients. interrogeant le patient et en réalisant un examen clinique
de façon systématique.
Seules les données des patients pour lesquels un diagnostic
DÉVELOPPEMENT ET VALIDATION DE DN4
concordant (de douleur neuropathique ou non) a été pro-
Les difficultés et problèmes diagnostiques décrits ci-dessus posé par chacun des deux experts ont été inclus dans l’ana-
nous ont conduit à développer le questionnaire DN4 dont lyse statistique (soit 160 patients).
la validation a reposé sur une étude multicentrique, l’étude L’analyse des propriétés psychométriques du questionnaire,
VALIDON. Cette étude, impliquant 14 centres français et en d’autres termes la validation proprement dite, a d’abord
plus d’une trentaine d’experts, a été mené à son terme en porté sur la validité d’apparence visant à vérifier la bonne
moins d’un an grâce à un partenariat avec le laboratoire compréhension, la pertinence et la bonne formulation des
Pfizer. Son objectif a été de mettre au point un outil simple items, qui ont globalement été jugées satisfaisantes par plus
d’utilisation, et en même temps validé selon les critères de 90 % des patients. Puis, nous avons analysé la reproducti-
scientifiques les plus rigoureux. Le diagnostic de douleur bilité des résultats obtenus par les deux experts (validité
neuropathique reposant sur des bases cliniques, ce ques- inter-juges). Pour ce faire, nous avons mesuré d’une part la
tionnaire s’appuie exclusivement sur des questions d’inter- concordance globale des réponses à chaque item, qui était
rogatoire et un examen succinct de la sensibilité. un peu moins bonne (86-90 %) pour les items d’examen cli-
Ainsi, la première étape de cette étude a consisté a établir nique, et, d’autre part, calculé le coefficient kappa de Cohen
une première liste d’items cliniques que les experts dont la valeur (entre 0,70 et 0,96) a été jugée très satisfai-
jugeaient, a priori, discriminants pour le diagnostic de dou- sante pour tous les items à l’exception d’un seul (« douleur
leur neuropathique sur la base de leur expérience clinique. déclenchée ou aggravée par le contact avec le froid »).
Cette première liste de 17 items qui a fait rapidement La comparaison de la fréquence relative des differents items
l’objet d’un consensus comportait 9 items d’interrogatoire entre douleurs neuropathiques ou inflammatoires, nous a
et 8 items d’examen clinique répartis en 4 grandes questions. ensuite permis de montrer que certains items, dont la fré-
Outre les items de la version finale (voir ci-dessous), la version quence était similaire dans les deux groupes de patients,
initiale du questionnaire comportait 2 descripteurs (« sensa- n’avaient aucune spécificité diagnostique, malgré une bonne,
tion de serrement », « élancements ») et 5 signes d’examens voire une très bonne sensibilité. Il en est ainsi de certains des-
supplémentaires (« hypoesthésie au chaud », « hypoesthésie au cripteurs, tels que « sensation de serrement », « lancinante »,
froid », « douleur évoquée par la pression », « douleur évoquée utilisés par plus de 40 % des patients des 2 groupes, ou d’un
par le froid », « douleur évoquée par le chaud »). signe clinique, « l’allodynie à la pression », observé chez plus
Ce premier questionnaire a été proposé de façon systéma- de 45 % des patients des 2 groupes.
tique à une série de 167 patients souffrant de douleurs Une analyse factorielle a été réalisée de façon à vérifier la
chroniques non cancéreuses, répartis en 2 catégories selon corrélation entre les items. Enfin, le caractère discriminant
qu’ils présentent ou non des douleurs liées à une lésion ner- de l’association des différents items a été déterminé grâce à
veuse. Ainsi, les patients souffrant de douleurs d’origine une régression logistique.
indéterminée (par exemple dans le cadre d’une fibromyal- Sur la base de ces résultats, détaillés dans la publication ori-
gie) ou de douleurs d’origine mixte (par exemple des lom- ginale de ce travail (Bouhassira et al., Pain 2005 [1]), la ver-
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Tableau II Tableau III


Sensibilité et spécificité correspondant au score total (somme Sensibilité et spécificité correspondant au score total (somme
des 10 items) du questionnaire DN4 dans sa version. Le score des 7 items) du questionnaire DN4 dans sa version « interro-
de 4/10 qui possède le meilleur rapport spécificité/sensibilité gatoire », incluant uniquement les descripteurs sensoriels. Le
peut-être considéré comme la valeur seuil pour le diagnostic score de 3/7 qui possède le meilleur rapport spécificité/sensi-
de douleur neuropathique. bilité est considéré comme la valeur seuil.

Score total Score total


(somme Sensibilité Spécificité (somme Sensibilité Spécificité
des items positifs) des items positifs)

0 100 0 0 100 0

1 98,8 37,7 1 98,8 39,1

2 95,1 59,4 2 86,6 62,3

3 90,3 76,8 3 78,0 81,2

4 82,9 89,9 4 61,0 92,7

5 69,5 92,7 5 32,9 97,1

6 56,1 98,5 6 17,0 100

7 35,4 98,5 7 4,9 100

8 15,8 98,6

9 8,5 100
CONCLUSION
10 2,4 100
L’outil diagnostique DN4, qui va désormais être mis à disposi-
tion du plus grand nombre de médecins, pourrait contribuer à
une meilleure identification des douleurs neuropathiques en
pratique clinique quotidienne et ainsi sensiblement améliorer
sion finale du questionnaire DN4 ne comporte que les
leur prise en charge thérapeutique. En outre, compte tenu de
10 items considérés comme les plus discriminants, répar-
ses très bonnes performances diagnostiques, notamment sous
tis en 4 grandes questions. Sept items relatifs à l’interro-
sa forme interrogatoire, DN4 pourra également être utilisé
gatoire concernent les caractéristiques de la douleur et
dans le cadre d’études épidémiologiques, qui font encore lar-
3 items reposent sur un examen clinique succinct de la sen-
gement défaut dans ce domaine. Enfin, on peut souligner que
sibilité à la recherche d’une hypoesthésie au tact ou à la cet outil pourra également être utilisé dans des études multi-
piqûre et/ou d’une allodynie au frottement. Un score de 1 centriques internationales dans la mesure où des traductions
est attribué à chaque item positif et le score DN4 total ont déjà été réalisées dans plus de 10 langues. ■
correspond à la somme des scores des 10 items.
Comme l’illustre le tableau II, DN4 possède d’excellentes
propriétés diagnostiques. La spécificité pour le diagnostic RÉFÉRENCES
de douleur neuropathique est de près de 90 % dès le 1. Bouhassira D, Attal N, Alchaar H, Boureau F, Brochet B, Bruxelle J, Cunin
G, Fermanian J, Ginies P, Grun-Overdyking A, Jafari-Schluep H, Lanteri-
score de 4/10 considéré comme la valeur seuil, avec une Minet M, Laurent B, Mick G, Serrie A, Valade D, Vicaut E. Comparison of
pain syndromes associated with nervous or somatic lesions and develop-
très bonne sensibilité, de l’ordre de 83 %, et près de ment of a new neuropathic pain diagnostic questionnaire (DN4). Pain
87 % de patients correctement classés. 2005;114:29-36.Ì.

De façon très intéressante, nous avons également montré Tirés à part : D. BOUHASSIRA,
que la spécificité et la sensibilité des seuls items d’inter- INSERM E-332, Centre d’Évaluation
rogatoire étaient également excellentes (tableau III), ce et de Traitement de la Douleur,
CHU Ambroise Paré,
qui indique que ce nouvel instrument pourra notamment
9 avenue Charles de Gaulle,
être utilisé dans le cadre des enquêtes épidémiologiques 92100 Boulogne-Billancourt.
en population générale que nous souhaitons développer. e-mail : didier.bouhassira@apr.ap-hop-paris.fr

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