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ISBN : 978-2-01-712542-6
— Allez, décide-toi.
Je brandis ma fleur favorite sous le nez de Mímir. Un splendide lotus
blanc. Un faux, malheureusement. Monsieur demeurait persuadé que s’il
faisait l’achat de véritables, elles mourraient dans d’atroces souffrances,
faute d’arrosage régulier. Je compatissais à sa maladresse : il m’avait fallu
des années d’expérience avant d’acquérir la main verte.
— Je ne sais vraiment pas, Bass. Elles me semblent toutes belles, dit-il en
haussant les épaules pour renforcer ses paroles.
Je fis une moue d’exaspération. J’avais posé mon panier par terre avec
une dizaine de variétés. Cela devait faire une bonne heure que nous étions
dans le magasin.
— Pourquoi pas ces cinq-là ?
— Mímir, je sais bien que les hommes n’ont aucun goût en matière de
décoration végétale, mais tu ne peux décemment pas dispatcher trente-cinq
fleurs différentes dans ton pub ! Non seulement ça donnerait une apparence
infantile, mais ça piquerait les yeux des clients. Tu dois choisir : d’autant
plus que je ne t’ai sélectionné que des couleurs qui correspondent à l’esprit
du bar.
Après de longues heures de discussions autour de verres de whisky le
soir de notre rencontre, Mímir m’avait avoué qu’il était en fait le patron de
l’établissement, mais qu’il ne lui accordait que très peu d’attention. Il
souhaitait donc s’impliquer davantage en lui apportant une « peau neuve ».
Il m’avait donc aimablement proposé de l’aider dans le réaménagement de
son bistrot.
« Je ne suis pas très doué pour ce genre de chose », m’avait-il dit. Ça, ce
n’était pas peu dire.
Je n’étais pas totalement dupe, cela dit. Plus nous nous fréquentions et
plus je suspectais une surveillance de sa part – mise en place par la meute,
bien entendu. Sa présence n’en demeurait pas moins foutrement agréable.
J’appréciais sincèrement sa fréquentation, son esprit éveillé et ouvert sur le
monde, son honnêteté et sa générosité sans égale. S’il tentait de
m’amadouer en se faisant passer pour celui qu’il n’était pas, j’étais tombée
dans le piège sans effort. Il n’élevait jamais le ton, ne s’agaçait pas ; sa bête
restait imperceptible, à tel point qu’il paraissait parfaitement humain en
toutes circonstances. Tellement que j’oubliais la plupart du temps – tant que
je ne le reniflais pas – qu’il n’était pas seul sous cette peau de rouquin.
Je le détaillais souvent à la dérobée, cherchant à dénicher le défaut – ou
tout du moins le secret – qu’il voudrait me dissimuler. Cependant, l’unique
chose que j’avais découverte était que j’adorais son sourire. Je n’étais pas
tirée de l’auberge, il fallait l’admettre : je ne trouvais aucun reproche à lui
faire. Il était tout simplement charmant.
J’aurais même pu être tenté de flirter avec lui, s’il ne m’avait pas
rapidement avoué son homosexualité. J’étais tombée des nues, car rien ne
permettait de le détecter dans son comportement ; pis, j’avais plusieurs fois
eu la sensation que je pouvais l’intéresser. Lorsqu’il me l’avait révélé, l’air
de rien, durant une conversation sur un sujet tout à fait banal, j’avais dû me
faire violence pour qu’il ne décèle pas la déception que cette annonce avait
déclenchée chez moi.
— Bon… les lotus, c’est certainement trop féminin pour mon bar, tu as
raison, réfléchit Mímir. Mais les tulipes me disent bien. Les oranges, là.
— Les sunshines ? Excellent choix, mon p’tit père. Adjugé pour les
tulipes ! Ça te fera cent cinquante livres sterling les dix, puisque je prends
une commission pour t’avoir aidé.
Il me dévisagea comme si des cornes m’avaient poussé.
— Je peux t’offrir des paninis gratuitement pendant un an, sinon,
proposa-t-il très sérieusement.
J’éclatai de rire avant de déclarer que je me payais sa tête. Une fois de
retour à son bar, nous passâmes l’heure suivante à décider où les placer,
pendant qu’il nous préparait une dizaine de sandwichs. Je ne m’offusquais
plus lorsqu’il m’en servait plusieurs. Lui-même pouvait en dévorer cinq en
apéritif. Il me reprochait de mettre ma bête à la diète, et moi au passage. Je
trouvais sa sollicitude attendrissante.
— C’est important de bien manger pour un thérianthrope. Toutes nos
forces viennent de ce que nous avalons. Tu ne peux pas ignorer tes besoins
physiologiques, disait-il lorsque j’abandonnai la partie après seulement
quatre sandwichs.
Ce qu’il ne comprenait pas – ou difficilement – c’était que j’avais grandi
en étant éduquée comme une humaine, et non pas comme si j’avais été
élevée par les loups. Il riait beaucoup quand je disais ça, d’ailleurs. Je
commençais à croire que Mímir m’appréciait avec sincérité. Ou bien alors
je le souhaitais tant que mon esprit l’imaginait.
J’avais mis de côté mon appréhension due au fait qu’il soit un garou et il
ne m’embêtait jamais avec ça. Il me laissait lui poser des questions sans
jamais me brusquer. Chaque jour, je passais un peu plus de mon temps libre
avec lui. Je le trouvais fascinant et hilarant. Nous pouvions parler de tout et
de rien sans que cela nous gêne outre mesure. Au retour de chez Mamá, et
après ma rencontre avec le thérianthrope solitaire, ma bête était redevenue
attentive à ma vie. Elle demeurait silencieuse, tout en observant, aux aguets.
C’était un grand pas. Je n’étais pas parvenue à savoir si elle se méfiait
encore ou si elle était juste intriguée par ce barman, premier représentant de
notre espèce avec qui nous tissions une relation. Sûrement les deux. Le loup
de Mímir – fait qu’il avait confirmé – n’avait plus eu de contact avec mon
jaguar. Lorsque nous nous saluions, nos bêtes ne pouvaient se connecter que
par le biais d’un lien physique. Mon nouvel ami avait pris le temps de
m’expliquer que tant que je ne ferais pas officiellement partie intégrante de
la meute, nos Anam Cara ne pourraient pas se confronter autrement, étant
donné que je n’y connaissais strictement rien à la façon de les faire se
rencontrer. Trop intimidée pour en apprendre plus, j’avais préféré détourner
le sujet. Mímir n’avait pas souhaité me brusquer. Depuis, nous n’en avions
plus parlé.
Aujourd’hui, mon jaguar et moi avions une relation presque revenue à la
normale. Elle émergeait chaque fois que Minuit venait ronronner sur moi,
grondait de nouveau quand je m’énervais et arpentait mon esprit lorsque je
l’exaspérais.
> ARIEL : Hey, Manita, tout va au poil ? J’peux m’incruster demain ? Merci ! Je serai là
pour manger. Prépare Desperates Housewives et les popcorns ! Besos.