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Crimes dans la discothèque

(3/6): Mia Zapata, chanson


presque prémonitoire
Julien Broquet
:
«La victime s’appelait Mia Zapata. 27 ans. Chanteuse du groupe
punk grunge The Gits.» Je lâche une moue dubitative et hausse un
peu les sourcils. J’ai beau regarder MTV, connaître Kurt Cobain et
Nirvana, Eddie Vedder et Pearl Jam, savoir que c’est vachement
:
jeune pour crever et en même temps un bel âge pour disparaître
dans la mythologie du rock’n’roll, je n’ai jamais entendu parler de
cette affaire et de cette éternelle jeune femme qui est née et a
grandi à Louisville, dans le Kentucky dont je suis originaire moi aussi.
En même temps, le 6 juillet 1993, cela remonte à dix ans déjà. J’ai
l’impression d’être la petite blonde dans la série Cold Case avec la
musique qui va avec. Dans ma tête, j’entends Alive, Black Hole Sun,
Smells Like Teen Spirit. Puis aussi des trucs franchement bizarres
comme Rape Me et Polly, cette chanson de Nirvana, inspirée d’un
fait divers, dans laquelle le narrateur se trouve être un violeur. Drôle
d’écho à ce qui m’occupe.

Sign of the Crab, écrite et chantée par Mia, raconte son


hypothétique meurtre. «Vas-y. Coupe-moi en morceaux et
éparpille-moi à travers la ville.

Je suis nouveau au service médico-légal de Seattle. Le chef a


balancé le dossier sur mon bureau propre et bien rangé. Je reprends
les notes de l’époque, difficiles à déchiffrer et truffées de fautes
d’orthographe. Formé à Yellow Springs dans l’Ohio, en 1986, The
Gits est arrivé en ville à la fin des années 80, attiré par la réputation
grandissante de la scène locale. La jeune Zapata a trouvé un
boulot de serveuse dans un bar rock et emménagé vite fait bien
fait en colocation avec sa clique dans un immeuble désaffecté.

Ce mardi-là, Mia est à la Comet Tavern. Un bar cool de Capitol


Hill, quartier historique de la contreculture. Elle y rejoint des potes,
pour la plupart des musiciens. Cela fait quatre ans que son groupe,
The Gits («Les Connards/Connasses»), fout le boxon dans le
berceau du grunge. Il a sorti son premier album en 1992, enchaîné
les tournées et vient de signer un contrat avec Atlantic. Le label a été
charmé par sa voix rauque et ses textes poétiques.
:
Lire aussi | Crime dans la discothèque (1/6): Jim Morrison, le roi
lézard et le comte destroy

En juin, Mia s’est coupé les cheveux et a commencé à s’habiller


comme les stars qu’elle côtoie. Elle donne parfois des concerts en
solo à Los Angeles, mais reste la plupart du temps dans le coin pour
composer le deuxième album. Ce soir-là, quand elle quitte le pub, à
l’heure où les carrosses se transforment en citrouille et où les
mogwais ne peuvent plus manger sous peine de devenir très très
méchants, Mia passe dire bonjour à un pote du quartier. Il n’est pas
là. Elle échoue chez une autre connaissance du même immeuble. Et
deux heures plus tard, elle se barre pour rentrer à la coloc, où elle
n’arrivera jamais. A 3h20, une passante découvre son corps dans
une ruelle voisine. Elle est inanimée. Etendue sur le dos, les bras en
croix. Elle porte un sweat à capuche de son groupe et dans ses
poches sont retrouvés ses propres sous-vêtements. Couverte de
coups, Zapata a été violée et étranglée avec les lacets de ses
chaussures. Putain de taré… Je suis content de pas avoir vu le
corps. Les photos ça va, mais je sors de l’école et je ne suis pas
préparé à ça.

«Zapata a sans doute été emmenée de force sur ce chemin sombre


par un homme plutôt costaud.» «Zapata est morte par
strangulation.» C’est qu’ils avaient mis Sherlock Holmes sur l’affaire
à l’époque… Je m’interroge. Comment une femme célèbre dans le
:
milieu du rock peut-elle se faire trucider en rue à deux pas de
chez elle alors qu’un tas de ses amis musiciens habitent dans le
quartier? «C’est simple, personne n’a rien vu, défend un collègue
rougeaud et pantouflard (je sens qu’il va me plaire…) toujours prêt à
soutenir les forces de l’ordre. C’est devenu assez tendu d’ailleurs.
Dans la foulée du meurtre, alors que les mois passaient et que le
meurtrier courait toujours, la scène rock était méchamment à
cran. J’ai lu une interview du batteur des Gits, Steve Moriarty, dans
Rolling Stone. Il racontait que les gens de la communauté avaient
commencé à acheter des armes et à les porter partout parce qu’ils
voulaient retrouver et buter le coupable.»

Lire aussi | Crimes dans la discothèque (2/6) : Scott La Rock, Boy


N the Hood

«A côté de ça, dans un registre moins cow-boy, poursuit la féministe


du bureau pour compléter le tableau, la compagne de Moriarty a
créé Home Alive, une organisation qui avait pour but de former les
femmes de Seattle à l’autodéfense. Au maniement des armes
défensives et à la désescalade dans les conflits.»

Etrange coïncidence. Récupération malsaine. Sur le deuxième album


de The Gits, sorti en 1994 à titre posthume, la chanson Sign of the
Crab, écrite et chantée par Mia, raconte son hypothétique meurtre.
«Vas-y. Coupe-moi en morceaux et éparpille-moi à travers la ville.
Car tu sais que tu es celui qu’on ne retrouvera jamais.» Le morceau a
longtemps été visionnaire. Plus maintenant. Aujourd’hui, c’est notre
jour de chance. Jesus Mezquia, un pêcheur cubain de 48 ans
résidant en Floride, a été arrêté pour cambriolage et violences
conjugales. La science et la médecine ne mentent jamais. Du moins
pas souvent. Lors de l’autopsie de Zapata, des résidus de salive
avaient été retrouvés sur sa poitrine. Elles accompagnaient des
traces de morsure mais les analyses n’avaient rien donné. Pas assez
:
de matière à comparer. Heureusement, les technologies ont évolué
et Mezquia a commis la connerie de trop… Il a beau nier les faits,
l’ADN qui a été rentré dans le système coïncide. Et mes
vérifications le confirment bien. Je me demande à quelle sauce le
tribunal va le manger.

De facto

25 août 1965: naissance de Mia Katherine Zapata.

7 juillet 1993: Mia Zapata est retrouvée morte dans une ruelle de
Seattle. Elle a été violée et rouée de coups.

Janvier 2003: Jesus Mezquia est arrêté à Miami.

24 mars 2004: Jesus Mezquia est condamné à 37 ans


d’emprisonnement pour le meurtre de Mia Zapata. La sentence sera
réduite à 36 ans en appel.

21 janvier 2021: Jesus Mezquia meurt dans un hôpital de


Washington, à l’âge de 66 ans.
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