Gérer le temps, l’espace
et la communication en
contexte interculturel
3. Monochronisme vs. polychronisme
A travers leurs investigations, Hall et Hall (2000) montrent que le temps
joue un réle essentiel dans organisation des activités. Les auteurs mettent en
relief différentes maniéres de traiter le temps et distinguent deux concepts : le
monochronisme (« temps M ») et le polychronisme (« temps P »).Dans un.
systéme monochronique, les individus ont tendance a accomplir les taches de
maniére séquentielle, selon un programme qui doit étre respecté. Le temps
est percu et utilisé d'une maniére linéaire. Il est programmé avec précision.
Le processus de prise de décision peut étre plus long car il est nécessaire de
sassembler un maximum d’informations avant de s’engager. Lorsque la déci-
sion est prise, elle ne sera plus remise en question. En revanche, un syst#me
polychronique se caractérise par la capacité des individus a exercer de mul-
tiples activités simultanément. Les membres d'une culture polychronique
attachent plus d'importance aux relations interpersonnelles qu’au respect du
programme ou de I’horaire. Le temps est traité comme un point plutdt que
comme un axe linéaire et les situations sont susceptibles d’évoluer dans la
durée. Les décisions peuvent étre prises de maniére plus impulsive et rapide.
Le tableau 4.1 résume les principales caractéristiques des systémes mono-
chronique et polychronique.
Tableau 4.1. La comparaison des systémes monochronique
et polychronique
‘Systme monochronique
Systéme polychronique
Exemples de pays : Etats-Unis, Allemagne,
pays scandinaves
‘Exemples de pays : France, pays du sud de
Europe
‘On ne fait qu'une chose 3 la fois.
(On mene plusieurs taches de front.
‘On se consacre totalement et exclusivement
alla tache entreprise.
‘On admet les interruptions et les
changements doccupation.
‘On communique sans se référer au
contexte, ou en s' référant moins et plus
rarement.
‘On communique en se référant beaucoup
et souvent au contexte.
Figure 4.1. Temps linéaire et temps cyclique
Temps linéaire
se
Passe => Présent => Futur
Temps eyclique
OOOSystéme monochronique
Systéme polychronique
Lexécution du projet ou de la tache
entreprise a priorité sur les rapports entre
individus
Les relations entre individus sont plus
importantes que l'atteinte du but fixé,
On suit scrupuleusement les programmes
établis,
Programmes et projets sont frequemment
et facilement modifies.
(On sefforce de ne déranger personne.
Réserve et distance sont la régle.
Priorité aux proches
La propriété est bien définie. On ne préte
‘ou néemprunte que contraint et forcé
Les échanges, les préts et les emprunts
dobjets familiers sont fréquents et bien
admis.
Lexactitude est poussée & lextréme.
exactitude est trés relative,
Les relations sont plus superficielles et plus
éphémeres.
Les relations sont plus intenses et plus
durables.
Les individus sont plus lents, plus
méthodiques et plus engagés.
Les individus manquent de patience et
tendent passer directement a laction.
Les engagements considérés comme les
plus contraignants portent sur le temps, les
dates, la durée.
Les engagements considérés comme
les plus contraignants concernent les
personnes.
Sousce : Adapté de Hall et Hall (2000), p. 49-50
La gestion du temps peut influer sur le déroulement des réunions de tra-
vail dans différents contextes culturels. Dans un syst8me monochronique,
on attache beaucoup d’importance & la préparation de V'ordre du jour qui
est généralement respecté. En raison du cloisonnement qui caractérise les
organisations monochroniques, il est nécessaire de communiquer les in-
formations sur le déroulement des projets aux participants des réunions.
A/'inverse, dans un systéme polychronique, |’information circule souvent
de maniére informelle, et les personnes connaissent les positions de leurs
collégues et l’avancement des projets en cours. Il est dés lors plus facile de
participer directement aux discussions qui sont engagées lors des réunions
de travail. Cette dichotomie peut étre source de malentendus, voire de ten-
sions, dans les réunions qui associent des personnes appartenant A ces deux
systémes (Hall et Hall, 2000).
La gestion du temps détermine aussi le déroulement des projets que
Von peut observer dans différents pays. En régle générale, un projet se
réalise en trois étapes : (1) la planification, (2) la décision et (3) la réa-
lisation, La phase de planification permet lélaboration des stratégies et
des actions qui pourront étre menées pour apporter des solutions aux
problémes rencontrés. Durant la phase de décision, les problmes discutés
dans la phase de planification sont relativisés ou écartés, et les objectifs a
atteindre sont déterminés. La décision permet I’exécution des actions pro-
grammées. Dans le mode de prise de décision, on peut identifier la structuredémocratique ou autoritaire du groupe de travail. Durant la phase de réali-
sation, les taches sont attribuées aux membres du groupe. C’est lors de cette
phase que l'on voit dans quelle mesure les solutions théoriques peuvent
étre appliquées dans la pratique (Barmeyer, 2007).
Exemples de pays
Dans une étude menée en Allemagne, en France et au Québec, Barmeyer (2007)
montre que la phase de planification est plus longue en Allemagne quen France
‘ou au Québec. Les détails du projet sont examinés, et les problémes qui sont
susceptibles dentraver son bon déroulement sont discutés. La prise de décision
intervient plus tardivement, mais les taches sont ensuite exécutées selon le pro-
gramme élaboré et lobjectif qui est clairement fixé. Sila phase de planification
est plus courte en France et au Québec, et sila prise de décision intervient plus
rapidement, on peut remarquer que la phase de réalisation est plus longue, car
elle nécessite souvent des ajustements et des modifications dans les actions
initialement proposées. En effet, les structures et dispositifs sont plus souples
et laissent la place a de nouvelles solutions qui pourraient étre trouvées durant
cette troisiéme phase, En France, on peut observer une remise en question cri-
tique de décisions deja prises, ce qui n’est pas le cas au Québec.
Exemples de pays
LAllemagne, la Suisse, les pays scandinaves et les Etats-Unis constituent des
pays oli in communique sans ou avec faible référence au contexte. Le mode
de communication est plutét explicite et direct. La France, les pays méditer-
ranéens, la Chine et le Japon sont marqués par un style de communication
avec forte référence au contexte. Le made de communication y est davantage
implicite et indirect.
2. Les distances interpersonnelles
Dans son ouvrage La Dimension cachée, Hall (1978) développe l'approche
de la proxémie, qui désigne l'étude des distances sociales entre les individus.
Lauteur décrit l’espace subjectif qui entoure les personnes et la distance phy-
sique que les individus respectent dans leurs interactions avec d'autres per-
sonnes. La maniére d’occuper I’espace semble fortement conditionnée par
lenvironnement culturel. Lauteur montre que les individus vivent dans une
« bulle » invisible dont ’accés est réduit ou interdit. II s’agit d’une zone émo-
tionnellement forte ou d’un périmétre de sécurité individuel qui détermine la
distance avec d’autres personnes. Le volume de cette bulle personnelle varie
selon les cultures. La définition de V’espace peut se traduire par l’aménage-
ment des bureaux. L'espace est aussi un signe de pouvoir. Un bureau person-
nel confére ainsi plus de prestige qu'une place dans un bureau collectif (Hall
et Hall, 2000).Exemples de pays
Le volume de la « bulle » personnelle est plus important dans les pays anglo-
saxons et au Japon que dans les pays latins et méditerranéens, De méme, l'atti-
tude des personnes vis-a-vis de lespace n'est pas la méme en Allemagne, aux
Etats-Unis et en France. En Allemagne, les individus se sentent 8 l'étroit sur
leur territoire et exigent le respect de leur sphére personnelle. Les distances
interpersonnelles sont plus fortes qu’aux Etats-Unis ou en France, ol les espaces
professionnel et personnel sont moins clairement définis. Dans les grandes
entreprises allemandes, les dirigeants sont habitués 4 avoir un bureau d’angle
dans les étages supérieurs. Dans les organisations francaises, occuper une posi-
tion au centre de espace est associé a 'idée d'un certain contréle. Dans un
bureau collectif le supérieur hiérarchique a souvent sa place au centre.
2. Le contexte de communication
Hall et Hall (2000) soulignent I’importance du contexte de communica-
tion qui désigne les circonstances dans lesquelles s’insére I'acte de communi-
cation. Ce contexte peut étre identifié par les acteurs qui souhaitent commu-
niquer des informations. En effet, un message ne suffit pas a établir la com-
munication, comme les informations ont souvent trait 4 des circonstances
dont elles sont indissociables. Deux modes de communication peuvent étre
distingués : la communication sans ou avec faible référence au contexte (C-)
et la communication avec forte référence au contexte (C+). Dans une com-
munication sans ou avec faible référence au contexte, |’interlocuteur est sup-
posé détenir peu d’ informations. Comme les informations ne circulent pas de
maniére informelle, il est nécessaire de fournir des renseignements détaillés.
Le mode de communication est plus explicite. Au contraire, dans une com-
munication avec forte référence au contexte, |’interlocuteur est supposé déte-
nir la méme somme d’informations, et les messages explicites ne véhiculent
qu’un complément d’informations. Dans ce cas, le mode de communication
est plus implicite, les informations circulant souvent sur une base informelle.
Les interactions entre des personnes originaires de cultures 4 contexte fort
et des personnes issues de cultures 4 contexte faible peuvent provoquer des
incompréhensions et des malentendus. La figure 4.3 illustre ces différences
de compréhension. Lorsqu’une personne d'une culture 4 contexte faible
regoit un message d’une personne a contexte fort, elle peut percevoir un défi-
cit d’informations. A l’inverse, lorsqu’une personne d’une culture 4 contexte
fort recoit un message d’une personne & contexte faible, elle peut percevoir
un surplus d’informations.Figure 4.3. La communication entre les cultures
contexte fort et a contexte faible
La communication d'un conteate fort a un contexte
Personne d'une culture
A contexte fort (France, Personne d'une culture
pays méditerranéens, Peadinformations «| Acontexte faible
Chine, Japon)
La communication d'un contexte fable 8 un contexte fort
Personne d'une culture
Personne d'une culture & contexte faible
contexte fort {Alleragne, Suisse, pays
7 scandinaves Etats-Unis)
g
Je connais dé ga!
Source: Adapt de Barmeyer (2007) p. 150
Les malentendus sont particuligrement fréquents dans les situations de
communication avec des personnes parlant des langues trés éloignées de
leur langue d'origine. Par exemple, les caractéristiques du style de commu-
nication chinois influencent les relations que les Chinois entretiennent avec
leurs clients. Ainsi, dans le cadre