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La création individuelle

Nous avons dans la Gîtâ une présentation claire de cette perception individuelle du monde, un monde coloré et
déformé par les deux facteurs suivants : râga et dvesha, c’est-à-dire nos attractions et nos répulsions, nos
préférences et nos aversions, nos attachements et nos dégoûts. L’aspect psychologique de l’individu est présenté
en ces deux termes, râga et dvesha. J’ai un râga pour un objet quand je le trouve désirable, car en sa présence, je
m’attends à être plus heureux, plus en sécurité que je ne le suis à présent. Dvesha est simplement le contraire,
l’aversion pour un objet en présence, expérience ou possession duquel, j’ai le sentiment d’une menace à mon
bonheur, à ma sécurité. Je veux acquérir et posséder les choses pour lesquelles j’ai un râga et je veux éviter ou
éloigner de moi celles pour qui j’ai un dvesha. En fin de compte, ma vie toute entière se résume à exprimer
ces râga et dvesha. Vous pouvez très bien vouloir partir de votre maison parce qu’il y a quelque chose qui ne va
pas chez vous. Cela est dvesha. Puis vous pouvez avoir le choix de l’endroit où aller et vous décidez alors d’aller
écouter un Swami, c’est un autre type de râga – il est important pour vous de participer à ces conférences. Votre
vie toute entière, vos efforts, vos luttes quotidiennes, ne sont qu’une expression de ces râga et dvesha.

J’ai lu et étudié la psychologie moderne, et je trouve que ce que présente la Gîtâ convient aux besoins d’une
personne normale. Comprenez, s’il vous plaît, que je ne parle pas de psychothérapie ou de psychologie clinique,
qui est un domaine complètement différent. Je parle ici de la disposition psychologique d’une personne qui est
décrite par ces deux termes, râga et dvesha. Ce que dit la Gîtâ à ce sujet est suffisant pour découvrir et vivre une
vie de maturité.

Quand il y a un râga pour quelque chose, vous voulez l’acquérir, si vous ne l’avez pas encore. Cela peut être de
l’argent, une maison, un endroit où vous voulez vous rendre. Il y a de nombreuses choses que vous n’avez pas
actuellement et que vous aimeriez bien posséder. Et il y a de nombreuses choses que vous avez déjà, que vous
voulez conserver – vous voulez garder votre santé, votre argent, votre travail, vos cheveux sur la tête, etc... Vous
voulez garder votre fonction, votre utilité. La tentative d’acquérir ce que vous n’avez pas est appelée yoga et la
tentative de sauvegarder ou de protéger ce que vous avez est kshema. Le râga se transforme en yoga et kshema,
l’obtention de ce que vous n’avez pas et la sauvegarde de ce que vous avez.

C’est à cela que se résume votre lutte, l’ensemble de vos efforts. Il vous faut lutter non seulement pour acquérir ce
qui vous manque mais aussi pour préserver ce que vous avez. Conserver quelque chose n’est pas non plus facile.
Vous devez dépenser de l’énergie pour atteindre ce but. Supposez que vous avez réduit votre poids à un certain
niveau ; mais pour conserver ce poids, mon Dieu, que d’efforts ! Les gens font du jogging, de l’exercice, qu’est-ce
qu’ils ne font pas ! Vous devez aussi travailler dur pour conserver votre poste. Ainsi, l’obtention et la conservation
exigent tous deux un travail considérable.

De la même manière, éviter, éloigner de vous ou vous débarrasser de ce que vous n’aimez pas, exige aussi
beaucoup de travail. Il n’est pas évident d’accomplir ce que vous désirez ou ce que vous voulez éviter. Qui
souhaite avoir un mal de tête ? Mais le mal de tête vous saisit. Vous êtes supposé prendre des précautions pour
éviter d’attraper certaines maladies. Ainsi, beaucoup d’argent et d’efforts sont aussi mis en jeu dans le but d’éviter
les choses. Il faut produire de nombreux efforts pour se débarrasser des choses. Laver le linge, nettoyer le sol,
vider les poubelles, etc. ne sont rien d’autre que des efforts pour se débarrasser des choses.

La vie toute entière est donc une lutte pour satisfaire les râga et dvesha. Il n’y a rien de bon ou mauvais en cela,
comprenez le bien. Je dis simplement que c’est en cela que la vie consiste. Nous avons acquis ces préférences et
aversions en grandissant dans un environnement donné, qui consiste en culture, religion, famille, éducation,
etc...L’environnement exerce une grande influence sur l’individu. Ce qui arrive quelque part dans le monde vous
atteint aussi. Je suis étonné par les moyens de communication qui transportent de New-York à Berkeley en
quelques mois les modes et les fraudes, puis vers Ahmedabad et Baroda en une année, et enfin à Bombay !
Quand un événement se produit dans la mode ou la musique, il semble se transporter jusqu’ici. Et il y a cette
« campus connexion » qui fait que ce qui arrive sur un campus d’université parvient rapidement à un autre
campus. C’est ainsi que nous collectons des râga et dvesha sans aucune volonté ou effort particulier. La famille,
la culture, la société, tout donne naissance à des râga et dvesha, et certains de ces attachements et
dégoûts ont une emprise sur nous, et nous dictent notre comportement. Ils colorent notre vision des choses.

Au cours de notre quête pour satisfaire les râga et dvesha, nous collectons également des peurs et des craintes,
etc... parce qu’il n’est pas toujours possible de les satisfaire tous.

Y a-t-il quelqu’un qui puisse affirmer qu’il a pu réaliser tous ses râga et dvesha et qu’il était dépourvu de râga et
dvesha, un seul jour ? Vous souvenez-vous d’un jour – douze heures de veille – pendant lesquelles vous étiez
complètement dénué de râga et dvesha, c’est-à-dire libre de tout désir provenant d’attractions et de répulsions ?

Je ne me souviens pas, enfant, d’avoir vécu un seul jour pendant lequel j’étais dénué de désirs. Je voulais manger
quelque chose, et on me disait que ce n’était pas bon pour ma santé. Si j’avais pu, j’aurais complètement vidé le
magasin de jouets et je l’aurais ramené à la maison ! Je n’ai pas eu tous les jouets que je voulais, je n’ai pas pu
avoir tous les Crackers que je voulais acheter, ou les bonbons que je voulais manger ! J’ai toujours dû me
contenter de peu ou de moins par rapport à ce que je voulais et c’est ainsi que la plupart de mes désirs sont restés
insatisfaits, quand j’étais enfant. Qui n’espère pas être le meilleur lors des compétitions sportives ? Qui ne voudrait
pas être classé toujours premier à tous les examens ? Mais personne n’y parvient. Vous vous contentez toujours
de quelque chose de moins, de moins, de moins… Vous trouvez que la concurrence est trop dure et vous êtes
sans cesse humilié. A l’adolescence, vous avez eu, bien sûr, de nombreux désirs non réalisés. Avez vous jamais
passé douze heures de veille – je ne parle pas de sommeil car en dormant vous êtes totalement libre de désirs –
pendant lesquels vous étiez dépourvu de râga et dvesha ? Jamais. Cela, c’est vous.

La plupart de ces râga et dvesha insatisfaits restent à l’intérieur de vous ; certains d’entre eux sont mutilés,
blessés, certains saignent encore, d’autres donneront le jour à de nouveaux râga et dvesha ! Ils déforment votre
perception. Vous ne voyez pas le monde tel qu’il est. Il y a de la peur, de l’anxiété, de l’insécurité et de l’inquiétude
en vous et tout ceci pollue votre perception. Ainsi, vous ne vous trouvez pas en face du monde créé par le
Seigneur, isvara srsti, mais vous vous retrouvez plutôt confronté à jiva srsti, au monde créé par votre perception
individuelle. Vous pouvez faire face aux problèmes s’ils sont bien réels, mais les peurs, les angoisses, les
inquiétudes, etc... sont créés par vos propres perceptions, ils sont votre manière de voir les choses. En d’autres
mots, vous faites rarement face à la réalité, à ce qui est. Vous faites face à ce que vous pensez être la réalité. Il
s’agit du problème de ce qu’on appelle l’expérience et la subjectivité.

Quand je dis que “ un plus un égal deux ”, cela est empiriquement vrai. Quand je dis que “ ceci est une fleur ”,
c’est empiriquement vrai, “ ceci est une rose ”, est aussi empiriquement vrai. Mais la manière dont vous la
regardez est une question différente. Votre subjectivité est généralement absente quand vous êtes avec la nature,
les montagnes, le ciel, les étoiles, la lune, etc.... Quand vous regardez le ciel, vous ne voulez pas qu’il soit différent
de ce qu’il est. Vous acceptez le ciel tel qu’il est, vous ne voulez pas qu’il soit vert par exemple. Alors il y a de
l’expérience, de l’objectivité, il y a une véritable appréciation de ce qui est. Le ciel, les étoiles, les montagnes, les
oiseaux, les buissons, les arbres, les fleurs sont tous pris comme ils sont ; vous ne voulez pas qu’ils soient autres,
différents de ce qu’ils sont. Cela signifie que vous n’interprétez pas les choses. Vous restez dans le vrai aussi
longtemps que vous n’interprétez pas. Tout vous paraît clair et beau aussi longtemps que votre mental apeuré,
votre mental anxieux, votre mental désirant n’entre pas en jeu pour vicier votre perception.

Quand vous prenez votre bébé dans vos bras, vous êtes heureux, si vous ne pensez pas à son avenir, sa santé,
etc... Vous retirez de la joie à être avec cet enfant tel qu’il est, quand vous ne vous inquiétez pas à son sujet. Mais
la situation change dès que vous vous inquiétez pour lui. Vous voudriez qu’il soit plus actif, qu’il ne pleure pas et
ainsi de suite. Dès lors, cela devient entièrement différent, vous ne pouvez pas éprouver de la joie à être avec
votre bébé.

Ainsi, quand il s’agit de situations où des gens sont impliqués, quand ma propre vie est impliquée, alors je ne fais
pas réellement face aux faits, à ce qui est. Je fais plutôt face aux situations telles qu’elles sont projetées par mon
mental, qui est contrôlé par ses propres râga et dvesha. La perception claire et discriminante, la compréhension
de ces râga et dvesha, ainsi que la capacité de les gérer, de rester libre de leur emprise, constituent la maturité
émotionnelle, et c’est cela dont parle la Gîta. C’est pourquoi je trouve que la Gîtâ suffit parfaitement. Nous
n’avons besoin d’aucune autre approche psychologique.

Quand je suis sous l’influence, l’emprise des peurs, etc... produite par les râga et dvesha, seule jiva srishti, la
création individuelle, est présente et non isvara srishti, la création du Seigneur. Isvara srishti est ce qui est donné,
le monde empirique. Si je permets à ma vision d’être viciée par mes propres peurs, etc..., alors je vis dans un
monde qui est ma propre création.

Supposons que je perde énormément d’argent dans les affaires. Le marché boursier s’est effondré et c’est un
désastre. Alors ce qui devient important, c’est avec quelle objectivité je suis capable d’apprécier la situation. Une
situation de ce genre exige une action de ma part. Je devrais être objectif. De la même manière, quand je suis
dans une situation qui implique pour moi un deuil, du déshonneur, une certaine perte de sécurité, etc..., alors il est
important que je sois objectif, aussi objectif que lorsque je vois une montagne !

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