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Nicole Cocquempot, Virginie Godron, Sandrine Henneron

Introduction au Droit de l’Entreprise – 2006-2007

Correction du Cas de synthèse de la Séance 12

Inscrit au Registre du Commerce et des Sociétés, Monsieur Fabrice PICCOTIN est installé à
son compte à Lille où il exploite une épicerie. Il est marié et habite avec son épouse dans un
appartement situé au-dessus du commerce. Son épouse Carine, sans profession, l’aide
occasionnellement, de manière informelle. Elle tient la comptabilité du magasin et sert les
clients deux matinées par semaine.
Les deux époux vous interrogent sur quelques problèmes rencontrés dernièrement. Il vous
est demandé de les renseigner au mieux, en leur apportant toutes les précisions juridiques
nécessaires.
1 - Fabrice PICCOTIN a passé commande auprès de Marcel BISCRAC, exploitant agricole,
installé près d’Amiens de 150 boîtes d’œufs et de 60 poulets fermiers. Il a constaté un
emballage défectueux des produits et souhaite agir en justice afin d’obtenir le
remboursement de la somme versée. Sur la facture, il est mentionné la compétence du
Tribunal de commerce de Lille pour tous litiges. Il souhaite agir en justice contre Marcel
BISCRAC. Devant quelle juridiction doit-il agir ?
2 – Carine, de plus en plus présente dans le magasin, aimerait des précisions sur sa
situation. Peut-elle passer régulièrement des commandes auprès de fournisseurs et servir
les clients de l’épicerie ou a-t-elle des précautions à prendre? Ces derniers temps les
affaires marchent mal, les dettes s’accumulent.
Monsieur PICCOTIN souhaiterait lui aussi être renseigné sur les possibilités qui s’offrent à lui
afin de proposer un statut à son épouse. Il ne peut se permettre de l’embaucher vu la
situation de l’entreprise, car les charges salariales seraient trop importantes.

3 – Monsieur PICCOTIN a été démarché par un vendeur professionnel, Paul HUCHON,


cadre commercial, représentant la SA Confiance. Ce dernier lui a vendu un système
d’alarme. Or l’alarme ne fonctionne pas. Les époux sont très contrariés car leur voisin
restaurateur a été cambriolé deux fois dernièrement. Monsieur PICCOTIN refuse de payer la
facture et vient d’être assigné devant le Tribunal de commerce de Lille par la SA Confiance.
Le neveu de Monsieur PICCOTIN, avocat, lui a précisé, que dans le cadre du démarchage à
domicile d’un particulier par un professionnel, le professionnel doit remettre certains
documents, sous peine de nullité, au cocontractant, notamment un bon de rétractation. Or
Monsieur PICCOTIN a simplement reçu une facture. A-t-il des arguments juridiques à faire
valoir ? Autrement dit, peut-il légitimement invoquer les dispositions sur le démarchage dont
lui a parlé son neveu ? Pourquoi ?

4 – Un peu débordé par le développement de son activité, Monsieur PICCOTIN néglige


quelque peu de tenir sa comptabilité. Il ne voit par l’intérêt d’une tenue régulière. Pouvez-
vous l’éclairer ?

5 – Afin de dynamiser son chiffre d’affaires, M. PICCOTIN envisage de conclure un contrat


de franchise avec la SA Petite Saldejeu. L’un des commerçants du quartier l’a cependant
informé que ce contrat pouvait engendrer des conséquences néfastes indirectes et
inattendues. Selon lui, ce contrat de franchise pourrait être utilisé par le propriétaire des
locaux dans lesquels M. PICCOTIN exploite son commerce pour refuser le renouvellement
du bail. M. PICCOTIN souhaiterait que vous le rassuriez sur ce point.

6 – Afin de dynamiser son chiffre d’affaires, M. PICCOTIN a eu une idée originale. Il voudrait
aménager une partie de ses locaux avec quelques tables et micro-ondes. Cela permettrait
aux clients les plus pressés de consommer sur place les plats cuisinés industriellement qu’il
vend dans son épicerie. Cette brillante idée se heurte cependant à un obstacle de taille : M.

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PICCOTIN est simple locataire des locaux commerciaux et le propriétaire s’oppose


formellement à cette modification. Il voudrait savoir s’il peut passer outre cette opposition.

7 – Lassé par tous ces soucis, M. PICCOTIN envisage de cesser son activité commerciale et
de se reconvertir dans l’horticulture. Il est d’ailleurs en pourparlers avec M. JARNAC, qui
envisage de racheter cette épicerie. Cependant, eu égard à son budget limité, M. JARNAC a
demandé une faveur à M. PICCOTIN. Il souhaiterait que M. PICCOTIN lui vende
successivement le droit au bail, puis les marchandises et enfin le matériel. Ainsi, il n’aurait
pas à payer les droits fiscaux attachés à la cession globale du fonds de commerce. M.
PICCOTIN voudrait savoir si M. JARNAC peut contourner sans risque les règles fiscales.

CORRECTION

I - Identification des faits pertinents


1 – Qualité des parties

Qualité de commerçant de Fabrice PICCOTIN


Fabrice PICCOTIN est immatriculé au RCS. Il bénéficie de ce fait d’une présomption
simple de commercialité. Il convient dès lors de vérifier si son activité réelle
correspond à son statut officiel. A cet effet, il faut déterminer si Fabrice répond à la
définition du commerçant posée par l’article L121-1 du Code de commerce, à savoir
« sont commerçants ceux qui exercent des actes de commerce et en font leur
profession habituelle ».
Il faut donc la réunion de trois conditions cumulatives : exercer des actes de
commerce, de manière indépendante (en son nom et pour son compte) et en faire sa
profession habituelle.
En l’espèce, l’activité de Monsieur PICCOTIN, épicier, correspond à l’achat pour
revendre et fait partie des actes de commerce par nature au sens de l’article L110-
du Code de commerce : « la loi répute acte de commerce l’achat pour revendre… ».
La première condition est donc remplie. En outre, son activité est effectuée de
manière indépendante, et à titre de profession habituelle. Les deux autres conditions
sont donc également remplies. L’activité réelle de M. PICCOTIN correspond donc
bien à son statut officiel de commerçant. Il est un commerçant de droit.

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Qualité de Carine, épouse de Fabrice PICCOTIN


Elle est sans profession et aide de manière informelle son mari. Cela signifie qu’elle
ne figure nullement au RCS : ni en qualité de commerçante, ni en qualité de conjoint
collaborateur. Elle est donc à priori régie par le droit civil. Il se trouve cependant
qu’elle aide son mari de plus en plus souvent. Elle sert les clients, passe des
commandes. Si elle n’est pas commerçante « de droit », la question se pose de
savoir si elle n’est pas commerçante de fait.
En tant qu’épouse d’un commerçant, elle est protégée par une présomption de non-
commercialité. Mais cette présomption est une présomption simple : l’article L121-3
du Code de commerce dispose que « le conjoint d’un commerçant n’est réputé lui-
même commerçant que s’il exerce une activité commerciale séparée de celle de son
époux ». Il convient de plus de noter que, n’étant pas immatriculée au RCS, la
présomption de non-commercialité l’affectant est simple à l’égard des tiers, et
irréfragable à son égard. Il faut donc rechercher si, dans les faits, Carine répond à la
définition du commerçant. Il convient de se demander si, au sens de l’article L110-1
du Code de commerce, elle fait régulièrement des achats pour revendre, et donc des
actes de commerce par nature. Ici, nous savons qu’elle « sert les clients deux
matinées par semaine » : il est possible de discuter la qualification d’actes de
commerce à partir de cet élément de fait. En outre, il faudrait qualifier l’exercice
d’actes de commerce de façon indépendante et à titre de profession habituelle. Si les
trois critères de commercialité, achats pour revendre, habitude et indépendance sont
remplis, Carine pourrait être qualifiée de commerçante de fait. Néanmoins, cette
qualité de commerçante de fait suppose qu’un tiers la fasse reconnaître en justice, ce
qui n’est pas le cas à ce jour. Enfin, il convient d’ajouter que, si tel était le cas, Carine
pourrait justifier cette « aide occasionnelle » par l’entraide familiale que les tribunaux
peuvent admettre.

Monsieur et Madame PICCOTIN n’ont pas fait le choix d’un régime pour le conjoint
de commerçant. L’article L.121-4 du Code de commerce impose au conjoint du chef
d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui y exerce de manière
régulière une activité professionnelle d’opter pour l’un des trois statuts, collaborateur,
salarié ou associé.
Ici aucun statut n’a été choisi. Carine n’a donc pas satisfait à son obligation légale de
choisir un statut. Il convient de relever que, bien que l’obligation de choisir un statut

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incombe à Carine, c’est Fabrice qui risque une lourde sanction : une condamnation
pénale pour travail dissimulé.
Il est donc temps pour Carine de choisir un statut.
Carine PICCOTIN est, en résumé, une personne non commerçante, mais il ne s’agit
que d’une présomption de non-commercialité (simple à l’égard des tiers, irréfragable
à l’égard de Carine). Les tiers pourraient, s’ils y trouvaient intérêt, prouver sa
commercialité de fait.

Qualité de personne civile de Marcel BISCRAC


Il est exploitant agricole. Il n’est donc pas commerçant. Son activité est civile.
L’activité agricole est traditionnellement de nature civile. Parfois la frontière est
délicate entre activité commerciale et activité civile. Ainsi, pour un éleveur, si la vente
d’animaux s’effectue quelques jours après l’achat, il peut y avoir requalification de
l’agriculteur en commerçant : la jurisprudence peut en effet estimer que, dans ce cas,
l’agriculteur tire principalement ses revenus des achats pour revendre (actes de
commerce par nature et non de son travail personnel). Ici il s’agit de poulets fermiers
(donc élevés grâce aux prestations de l’agriculteur), il est a priori exclu de remettre
en cause la qualité civile de Marcel BISCAC.

La SA CONFIANCE et la SA PETITE SALDEJEU.


Ce sont des sociétés commerciales par la forme au sens de l’article L.210-1 du
Code de commerce.

Paul HUCHON est cadre commercial. Il est salarié de la SA CONFIANCE. Il agit pour
le compte de celle-ci. Il n’est pas lui-même commerçant.

Le propriétaire de l’immeuble est une personne civile, la location d’immeuble étant


civile par nature.

Monsieur JARNAC, acheteur éventuel, est commerçant, a priori immatriculé ou


prochainement immatriculé au RCS

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2 - Les actes conclus ou projetés

Un acte de vente portant sur 150 boîtes d’œufs et 60 poulets fermiers a été conclu
entre Fabrice PICCOTIN acheteur et Marcel BISCRAC vendeur. Une clause de
compétence en faveur du Tribunal de commerce de Lille figure sur la facture. Il s’agit
donc d’une clause double : attributive de compétence matérielle et territoriale.
Un litige survient suite à une livraison défectueuse.

Un acte de vente portant sur un système d’alarme a été réalisé entre Fabrice
PICCOTIN, acheteur, et la SA CONFIANCE. Cette vente a été réalisée suite à un
démarchage à domicile. Monsieur PICCOTIN refuse de payer la facture car le
système ne fonctionne pas. Il vient d’être assigné devant le Tribunal de commerce de
Lille par la SA CONFIANCE.

Un contrat de franchise entre Monsieur PICCOTIN, franchisé et la SA PETITJEU,


franchiseur, est envisagé.

Un contrat de bail commercial existe entre le propriétaire de l’immeuble et Monsieur


PICCOTIN. Ce bail est soumis au statut des baux commerciaux. En effet l’article
L.145-1 du Code de commerce est applicable aux baux des immeubles ou locaux
dans lesquels un fonds est exploité. Il s’applique notamment si le commerçant est
immatriculé au RCS. Le bail commercial est de neuf ans minimum, ouvre droit au
renouvellement et à une réglementation particulière du loyer.

II - Résolution du cas
1 – La livraison défectueuse
Le contrat est civil pour le vendeur (Marcel Brisbac, agriculteur) et commercial pour
l’acheteur (Fabrice Piccotin). Le contrat est donc un acte mixte. On appliquera dès
lors le principe de distributivité : le droit commercial pour la partie pour laquelle l’acte
est commercial, et le droit civil pour la partie pour laquelle l’acte est civil. Les deux
parties au contrat sont par ailleurs des professionnels.
Sur le fond, chaque partie à un contrat doit respecter ses obligations. Ici les produits
sont arrivés dans un état défectueux.

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L’acheteur pourra mettre en jeu la responsabilité du vendeur. Mais deux questions se


posent, la question de la preuve et celle de la compétence de la juridiction.
- Quant à la preuve, il conviendra d’appliquer le principe de distributivité. L’acheteur
(commerçant) devra établir la preuve en respectant les formes de preuve du droit
civil, l’autre partie étant une personne civile. Il devra donc fournir un écrit si sa
demande est supérieure à 1500 €. Quant au vendeur, il pourra prouver par tous
moyens s’il respecte les conditions posées par l’article L 110-3 du Code de
commerce : prouver un acte de commerce et prouver contre un commerçant. Ici,
Fabrice est bien commerçant, et l’acte litigieux est commercial à son égard. Marcel
pourra donc prouver par tous moyens contre Fabrice.

- Quant à la juridiction compétente. Monsieur PICCOTIN est demandeur à l’instance.


Il souhaite agir contre un défendeur, personne civile.
La clause mentionnée sur la facture est une clause de compétence matérielle et
territoriale. Elle désigne en effet le tribunal de commerce de Lille comme seul
compétent pour régler le litige. Cette clause déroge aux règles normales de
compétence (articles L.721-3 du Code de commerce et 42 du NCPC) et il faut
examiner si elle est ici valable. Pour cela, il convient de distinguer l’aspect matériel
de l’aspect territorial.
Concernant la clause de compétence matérielle en matière d’acte mixte, il faut
distinguer selon la qualité procédurale des parties. La clause est inopposable au
défendeur civil (Cass.com.10 juin 1997), mais valable et pleinement efficace si le
défendeur est commerçant. En l’espèce, la clause est donc inopposable. Il faut alors
se tourner vers les règles légales de compétence. Et là encore, il faut distinguer
selon la qualité procédurale des parties. Si le demandeur est la personne pour
laquelle l’acte est civil, il a le choix entre les juridictions civiles et le tribunal de
commerce. En revanche si le demandeur est commerçant (ce qui est le cas ici), il
devra agir devant les juridictions civiles. Donc ici, seules les juridictions civiles sont
compétentes.

Selon l’article 48 du NCPC, la clause de compétence territoriale, pour être valable,


doit être conclue entre deux commerçants et doit être stipulée de manière apparente.
Ici la clause est réputée non écrite puisque Marcel n’est pas commerçant. Il convient
donc de se tourner vers les règles légales de compétence. Le principe est alors la

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compétence du tribunal du domicile du défendeur (donc Marcel, et ainsi les


juridictions amiennoises) Toutefois, en matière contractuelle, le demandeur peut
opter pour la compétence du tribunal du lieu de livraison. Si ce lieu de livraison est le
lieu de l’exploitation commerciale (Lille), Fabrice pourra aller devant les juridictions
lilloises.
Fabrice PICCOTIN doit saisir les juridictions civiles du lieu de livraison (Lille) ou du
domicile du défendeur (Amiens). Il pourra demander des dommages-intérêts, ou la
résolution du contrat et le remboursement du prix.

2 – La situation de Carine et son statut


Carine est sans profession et n’a pas de statut ce qui représente un danger à la fois
pour elle-même et pour son époux.
Comme il a été précisé plus haut, le conjoint d’un commerçant est protégé par une
présomption de non commercialité. Mais cette présomption est simple, c’est-à-dire
que tout intéressé peut prouver que Carine est commerçante de fait pour avoir
accompli des actes de commerce de manière habituelle. En l’espèce, cela peut être
discuté au regard des commandes qu’elle passe éventuellement et des ventes
qu’elle effectue aux clients (achats pour revente). Or certains tiers risquent fort de
faire jouer cette commercialité de fait, puisqu’il est dit que les affaires marchent mal
et que les dettes s’accumulent. Si les conditions de l’article L121-1 du Code de
commerce sont réunies, elle peut être reconnue comme commerçante lors d’un litige.
Elle serait alors tenue des dettes de l’exploitation.
Il faut par ailleurs noter que l’article L.121-4 du Code de commerce impose au
conjoint du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui y exerce de
manière régulière une activité professionnelle d’opter pour l’un des trois statuts,
collaborateur, salarié ou associé.
Ici aucun statut n’a été choisi. Carine n’a donc pas satisfait à son obligation légale de
choisir un statut. Il convient de relever que, bien que l’obligation de choisir un statut
incombe à Carine, c’est Fabrice qui risque une lourde sanction : une condamnation
pénale pour travail dissimulé. Il faut donc remédier d’urgence à la situation, en optant
pour l’un des trois statuts offerts par la loi au conjoint qui participe à l’activité
commerciale de son époux.
Ceci est d’autant plus vrai que le statut de coexploitant est à déconseiller, en raison
des difficultés financières existantes. En effet s’ils optent pour la co-exploitation

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(Carine serait immatriculée en tant que commerçante au RCS), les biens de Carine
seraient engagés par l’activité commerciale (ses biens propres et ses salaires s’ils
sont mariés sous le régime légal de la communauté ; ses biens personnels s’ils sont
mariés sous un régime séparatiste). Ceci permet par ailleurs de montrer un autre
intérêt du choix d’un statut. En effet, tant que Carine est commerçante de fait, ses
biens sont engagés du fait de l’exploitation commerciale.
Le statut de salarié est à exclure d’emblée, puisque Fabrice n’a pas les moyens de
l’embaucher. Ils pourraient également choisir le statut d’associé, ce qui implique la
création d’une société dans laquelle ils seraient tous deux associés. Un tel statut
aurait l’avantage de les protéger pour les dettes FUTURES, puisque ces dettes
seraient celles de la société et non celles de Fabrice. Néanmoins, cette création de
société doit également être écartée, car elle nécessitera l’apport du fonds de
commerce à la société (et donc des frais de mutation). De plus, la société ne permet
pas d’exclure totalement la participation de chaque associé au risque commercial :
Carine serait donc indirectement exposée, même de manière limitée. Le statut de
collaborateur semble donc le plus adapté. Déclarée comme collaboratrice, Carine
PICCOTIN pourra effectuer des actes d’administration et de gestion courante sans
pour autant avoir la qualité de commerçante, ni prendre de risques financiers. Elle
sera considérée comme mandataire de son époux. En outre elle bénéficiera d’un
statut social. Pour pouvoir bénéficier de ce statut, elle devra être mentionnée en tant
que collaboratrice au RCS.

3 – L’achat du système d’alarme défectueux


Le neveu de Monsieur PICCOTIN, avocat, a parfaitement raison. Le démarchage à
domicile effectué par un professionnel au domicile d’un particulier est précisément
encadré : remise de document, interdiction de demander un quelconque paiement
avant l’expiration d’un délai de rétractation de 7 jours, au profit du consommateur Il
reste à se demander s’il s’agit bien d’un démarchage à domicile.
Ces dispositions ne s’appliqueront que si le contrat oppose un professionnel à un
non-professionnel ou consommateur. Quant au vendeur, aucun doute n’existe quant
à sa qualité de professionnel. La question est en revanche plus délicate en ce qui
concerne M. Picottin. Pour cela, il faut distinguer selon que l’alarme vise à équiper
l’appartement de Fabrice Piccotin, ou uniquement son commerce.

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- Si M. Piccotin a acquis l’alarme pour son domicile, il doit être considéré comme un
consommateur, puisque la jurisprudence définit le professionnel comme celui qui agit
pour les besoins de son activité professionnelle. Concernant cet acte, Fabrice
PICCOTIN aurait donc la qualité de civil. Dans ce cas, la solution est assez simple :
les dispositions du droit de la consommation lui sont applicables. Il pourrait donc s’en
prévaloir, au même titre que n’importe quel consommateur. Le contrat sera alors nul
puisque le bon de rétractation fait défaut. M. Picottin devra rendre l’alarme, et
obtiendra la restitution des sommes versées.
Concernant la clause attributive de compétence, l’aspect territorial serait réputé non
écrit alors que l’aspect matériel ne jouerait que s’il est demandeur à l’instance. Or, il
vient d’être assigné : la juridiction compétente est alors civile.

- Si l’achat de l’alarme est effectué pour le commerce : A priori les deux parties la SA
CONFIANCE et Fabrice PICCOTIN sont des professionnels, puisque la
jurisprudence définit le professionnel comme celui qui agit pour les besoins de son
activité professionnelle. Toutefois, la jurisprudence applique largement les
dispositions en faveur du consommateur, et certains arrêts qualifient de non-
professionnel celui qui, bien qu’agissant pour les besoins de son activité
professionnelle, agit en dehors de son champ de compétence (principe de
spécialité). En l’espèce, Fabrice PICCOTIN n’a pas de compétence en la matière,
mais agit pour les besoins de son activité professionnelle. On ne peut donc résoudre
son problème de façon certaine. S’il est considéré comme non-professionnel, les
dispositions protégeant le consommateur lui seront applicables. Il pourra obtenir gain
de cause : nullité du contrat du fait de l’absence du bon de rétractation. Si en
revanche il est considéré comme professionnel, il ne bénéficiera pas de la législation
sur le démarchage à domicile. Le contrat sera valable et il devra se fonder sur les
règles relatives à la responsabilité contractuelle.
Concernant le jeu de la clause attributive de compétence, il convient de se reporter à
ce que nous avons déterminé précédemment s’il est considéré comme non-
professionnel. En revanche, s’il est qualifié de professionnel, la clause pourra jouer
pleinement (même démonstration que pour la question 1).

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4 – Les obligations comptables de Fabrice PICCOTIN


Si Fabrice PICCOTIN ne voit pas l’intérêt d’une tenue régulière de comptabilité, il est
urgent de l’en informer. Il risque fort d’avoir des soucis et pourrait même « se
retrouver » devant le tribunal correctionnel !
Le commerçant a l’obligation de tenir une comptabilité régulière. La tenue d’une
comptabilité est essentielle car elle permet de donner une image fidèle de
l’entreprise. La comptabilité est imposée à tout commerçant. Monsieur PICCOTIN
doit tenir régulièrement les livres comptables et les comptes annuels. D’ailleurs,
seules une comptabilité régulière pourrait servir de preuve devant un tribunal.
Tout manquement, toute irrégularité risque d’avoir des conséquences. Il existe de
nombreuses sanctions pénales.

5 – Le contrat de franchise
Fabrice PICCOTIN a une opportunité : conclure un contrat de franchise avec la SA
PETITJEU. Ceci pourrait être intéressant, vu la situation délicate de l’entreprise. Mais
alerté par un voisin, il s’inquiète des conséquences au niveau du droit au bail.
Effectivement, il convient de rappeler que, pour avoir droit au renouvellement de son
bail et au bénéfice du statut des baux commerciaux, différentes conditions sont
requises.
Il faut tout d’abord être immatriculé au RCS, ce qui est bien le cas. Il faut ensuite
exploiter un fonds de commerce. Cette seconde condition est remplie. Il faut par
ailleurs que le contrat porte sur un local stable et permanent, ce qui est le cas ici, et
qu’il ne s’agisse pas d’un contrat échappant par nature au statut des baux
commerciaux (cette condition étant également remplie). Le bail dans ces conditions
est de neuf ans minimum et ouvre droit au renouvellement, ou à défaut, au paiement
d’une indemnité d’éviction.
A ces conditions il convient d’ajouter l’obligation d’avoir une clientèle personnelle. Le
voisin commerçant fait allusion à cette obligation : si on considère que, désormais, la
clientèle est attachée au franchiseur (la SA PETITE SALDEJEU), alors le statut des
baux commerciaux n’est plus applicable et le propriétaire de l’immeuble pourra
refuser le renouvellement du bail sans indemnité d’éviction.
Rassurons cependant Fabrice PICCOTIN. Depuis notamment un arrêt du 27 mars
2002 (3ème chambre civile), la Cour de cassation reconnaît l’existence d’une clientèle
propre au franchisé s’il a la maîtrise juridique des autres éléments du fonds de

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commerce et s’il l’exploite à ses risques et périls. Il pourrait par conséquent conclure
ce contrat, sans risquer de perdre le bénéfice du statut des baux commerciaux.

6 - L’aménagement des locaux


Monsieur PICCOTIN a l’idée d’aménager ses locaux afin de proposer, à côté de son
activité d’épicier, une consommation sur place de produits industrialisés. Se pose
alors la question de la despécialisation. Il existe en droit deux types de
despécialisation, la despécialisation simple et la despécialisation renforcée, chacune
ayant un régime juridique propre.
La despécialisation simple consiste à adjoindre à l’activité préexistante des
activités connexes ou complémentaires. La despécialisation renforcée consiste quant
à elle soit à adjoindre à l’activité préexistante des activités qui ne sont ni connexes, ni
complémentaires, soit à modifier totalement l’activité commerciale.
La despécialisation simple est un droit pour le locataire. Il a seulement l’obligation
d’informer le bailleur, mais ne doit nullement demander son autorisation. Le bailleur
dispose d’un délai de 2 mois, non pour donner son accord, mais pour contester le
caractère simple de la despécialisation. La despécialisation renforcée au contraire
n’est pas un droit pour le locataire, qui doit demander l’autorisation du propriétaire
par acte extra-judiciaire.

Afin de déterminer si les nouvelles activités sont connexes ou complémentaires,


deux critères (alternatifs) sont généralement pris en compte. Il faut tout d’abord
déterminer si cette nouvelle activité s’adresse à une clientèle différente. Si tel est le
cas l’activité ne sera ni connexe ni complémentaire. Il faut également regarder si de
nouvelles installations sont nécessaires. Là encore, si tel est le cas, l’activité
envisagée ne sera ni connexe ni complémentaire.
En l’espèce, la despécialisation envisagée est renforcée : il y a adjonction d’activités
qui ne sont ni connexes, ni complémentaires. En effet, non seulement M. Piccotin
doit procéder à de nouvelles installations, mais il s’adresse de surcroît à une nouvelle
clientèle. Il doit donc respecter les règles de la despécialisation renforcée.
M. PICCOTIN doit donc doit demander l’autorisation du propriétaire par acte extra-
judiciaire. La demande doit par ailleurs être notifiée aux créanciers inscrits sur le
fonds, ainsi qu’à certains locataires du même propriétaire (si le propriétaire s’est
engagé à leur égard à ne pas louer pour l’activité envisagée). Le bailleur dispose

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d’un délai de réflexion de trois mois, son silence valant acceptation. Si le bailleur
refuse, le locataire peut saisir le TGI (Tribunal de Grande Instance). Le TGI peut
alors autoriser la despécialisation, malgré le refus du bailleur, si plusieurs conditions
sont réunies :
- la despécialisation doit être nécessaire « eu égard à la conjoncture
économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution » (article
L 145-48 Code de commerce).
- la nouvelle activité doit être compatible avec la destination, les caractères et
la situation de l’immeuble ou de l’ensemble immobilier (article L 145-48 Code de
commerce)
- le refus du bailleur ne doit pas être justifié par un motif grave et légitime
(comme par exemple une clause d’exclusivité à l’égard d’un autre locataire).
Lorsque la despécialisation renforcée est autorisée (soit par le bailleur, soit par le
juge), le bailleur peut demander une augmentation immédiate de loyer.
En l’espèce, bien que M. PICOTIN ait des difficultés financières, il n’est pas certain
que cette despécialisation soit nécessaire. Si le bailleur refuse la despécialisation, il
est donc peu probable que le juge lui accorde l’autorisation nécessaire.

Cette adjonction d’une activité différente est considérée juridiquement comme une
déspécialisation renforcée c’est-à-dire un changement d’activité. En effet, d’une
simple épicerie, l’exploitation se transforme en activité de restauration rapide. Or s’il
est permis à un commerçant locataire, d’ajouter à son activité principale, des activités
connexes ou complémentaires, il lui est formellement interdit d’opérer une
déspécialisation renforcée sans l’accord du propriétaire.

Il est impératif que Fabrice PICCOTIN respecte cette procédure. Il risque, s’il passe
outre le refus du propriétaire (et s’il n’obtient pas à défaut l’autorisation judiciaire de
procéder à la despécialisation), de voir prononcer à ses torts, la résolution du bail sur
le fondement du non-respect de ses obligations contractuelles. La rupture du bail se
ferait alors sans aucune indemnité d’éviction !

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7 – La « réorientation » de Fabrice PICCOTIN


Finalement, Fabrice PICCOTIN s’oriente vers la vente de son exploitation, ayant
l’idée de devenir horticulteur. Monsieur JARNAC, acheteur éventuel lui fait une
proposition visant à éviter l’application de certaines règles fiscales.
Il faut savoir que la vente de fonds de commerce obéit à des exigences de fond et de
forme. L’acte de vente comporte des mentions obligatoires et doit être publié. Des
droits d’enregistrement sont perçus par l’administration fiscale.
En revanche la vente de marchandises, de matériel, la cession de bail sont des
contrats pouvant être considérés comme de simples ventes mobilières non soumises
à des droits d’enregistrement.
Toutefois, les plus vives réserves doivent être émises face aux arrangements
douteux entre Monsieur PICCOTIN et Monsieur JARNAC !
D’une part, l’opération pourrait être requalifiée, par l’administration fiscale (et les
tribunaux) de cession de fonds de commerce. Cette requalification s’attachera à
l’acte isolé par lequel la clientèle a été cédée avec son élément support. En effet, la
jurisprudence considère que la cession de l’élément retenant la clientèle s’analyse en
une cession de fonds. En conséquence la responsabilité civile et pénale de Monsieur
PICCOTIN pourrait être engagée. D’autre par une cession de bail à elle seule
pourrait ici être qualifiée de cession de fonds, si elle est le support essentiel de la
clientèle. Il ne faut pas méconnaître les droits des créanciers du vendeur de fonds de
commerce : droit d’opposition et de surenchère.
Fabrice PICCOTIN doit renoncer à ce projet et rechercher un acheteur plus sérieux.
Il devra, s’il vend son fonds de commerce, respecter les exigences de forme, mettre
ses documents comptables à disposition de l’acheteur, enregistrer l’acte dans les
quinze jours auprès du service des impôts et publier la vente dans un journal
d’annonces légales. Il devra aussi se faire radier du RCS.

Nombreux sont, en tout état de cause, les risques pesant sur Fabrice
PICCOTIN et sur son épouse. Il faut d’urgence prévoir un statut pour celle-ci et
respecter strictement les obligations fiscales et comptables, dans la
perspective de trouver un éventuel acquéreur.

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